C’était l’hiver et il neigeait particulièrement fort ce jour-là sur Sarehole. Le ciel de la petite bourgade anglaise était d’un blanc laiteux. Un vent venant du nord, glacial et puissant, obligeait les habitants à rester calfeutrés chez eux. On pouvait voir au travers des rideaux des maisons de petites lumières clignotantes de toutes les couleurs. Noël approchait... John, le nez collé à la vitre, regardait tomber la neige. L’enfant passait ses vacances de fin d’année chez sa grand-mère avec son frère Ronald. Leurs parents, membres de l’association Médecins du Monde, étaient en Afrique depuis quelques jours maintenant. Une voix familière résonna soudain dans l’escalier.
« Johnny ! Ron ! Descendez vite ! Il est temps de décorer le sapin ! » cria grand-mère Mabel.
- On arrive granny ! » répondirent en coeur les deux enfants.
Ils dévalèrent l'escalier et se postèrent au garde-à-vous dans le salon. Leur grand-mère avait déjà installé le sapin dans un coin de la pièce et avait préparé les boîtes contenant les précieuses décorations scintillantes. Elle mit en route le tourne-disque et la maison s’emplit de chants de Noël. Les enfants accrochaient avec enthousiasme les boules et les guirlandes dans le sapin.
« Alors, lequel de vous deux va installer l’étoile en haut de notre bel arbre ? interrogea granny Mabel.
- Moi ! répondit John, sautillant sur place la main levée... Je suis l’aîné, c’est à moi de le faire.
- Non moi ! répliqua Ronald. Je suis le plus petit alors c’est moi qui le ferai ! »
S’en suivit une vaine dispute entre les deux enfants. Leurs cris de protestation couvrirent le son des « Jingle Bell ». Grand-mère Mabel s’exclama :
« Ça suffit tous les deux ! Puisque vous n’êtes pas capables de vous mettre d’accord, je vais vous raconter ce qui arrive lorsqu’on se dispute pour des bêtises... »
Granny Mabel éteignit le gramophone puis s’installa confortablement dans son rocking-chair auprès du feu qui crépitait dans la cheminée. Les enfants s’assirent à ses pieds sur les moelleux coussins prévus à cet effet et attendirent patiemment que leur grand-mère commence son histoire.
« Je vais vous compter la Légende de Magus... Cette histoire vous permettra certainement de mieux comprendre pourquoi la violence – qu’elle soit physique comme verbale – ne conduit à rien de bon... Il y a de cela bien longtemps, et dans un pays lointain, vivaient deux rois. Ils s’appelaient Tolman et Robin et étaient frères de sang; ils étaient jumeaux pour être vraiment précise... Ils se partageaient le royaume de feu leur père : l’un gouvernait le Nord de Faërie, l’autre le Sud. Et les deux peuples, tout comme leurs rois, s’appréciaient mutuellement. Mais il vint un jour où l’on découvrit au deçà de leur frontière commune une profonde caverne contenant un fabuleux trésor d’argent et d’or. Il y en avait bien assez pour satisfaire les deux frères, s’ils avaient eu l’idée de partager. Mais la cupidité les ensorcela tour à tour. Les Frères Rois se disputèrent l’entièreté du trésor, et par conséquent ne parvinrent à se mettre d’accord. Et c’est à cause de cela qu’il déclenchèrent une guerre entre leurs deux royaumes. Cette guerre fut terrible. De nombreuses vies innocentes furent sacrifiées. Et c’est lors de leur dernière bataille que Tolman et Robin comprirent que jamais ils n’auraient dû renier leur amour pour un trésor maudit. Les soldats étaient des milliers de silhouettes cliquetantes dans leur armure de métal, se battant encore et encore devant la caverne. Les deux rois s’affrontaient, sans jamais qu’aucun des deux n’ai le dessus sur l’autre. Tant de sang abreuvait la Terre qu’elle en tremblait d’horreur... Et le bruit des cors mélangés à celui des hommes résonnait plus fort que le tonnerre lui-même... Alors le ciel furieux gronda et libéra dans un éclair éblouissant son plus cruel châtiment. De l’intense lumière que projetait l’éclair émergea un gigantesque Dragon noir et or. Les hommes s’immobilisèrent instantanément et observèrent avec crainte le légendaire animal effectuer quelques larges cercles dans le ciel à présent ténébreux. Puis le dragon fondit sur les guerriers en crachant de redoutables flammes destructrices. Certains tentèrent de l’abattre en lui décochant de nombreux traits. Mais ses écailles luisantes lui procuraient une armure redoutable... La créature réalisa un nouveau cercle au-dessus des hommes et chargea une seconde fois. Là, elle se posa à terre et balaya la plaine de violents coups de sa queue hérissée. Mais l’animal était en quête de quelque chose... Ses pupilles noires comme l’abîme étaient dilatées à leur maximum, occultant presque le jaune brillant de ses yeux vifs. Et il trouva ceux qu’il cherchait... Les deux rois responsables de ce massacre tentaient de fuir le plus loin possible de la bête. Mais d’un battement de ses ailes puissantes, le dragon les rejoignit. Il se plaça devant eux et se redressa, montrant un peu plus encore à quel point il était imposant. S’ils n’étaient pas aussi effrayés, Tolman et Robin se seraient inclinés devant tant de majesté. Le Dragon les scruta de longues minutes et, devant ce qui restait des deux armées, les mis à mort sans sommation d’un brusque coup de patte aux griffes acérées. Il poussa alors un abominable rugissement de victoire semblable au bruit du tonnerre résonnant dans les montagnes. Son règne ne faisait que commencer...
Les jours qui suivirent furent particulièrement difficiles pour les Faëriens. Le Dragon ne cessait de faire des allers et retours entre les deux châteaux. Il ordonna finalement qu’on amène les biens les plus précieux des deux royaumes à la caverne qui renfermait le trésor maudit, source de tous les maux. Car comme chacun sait, les Dragons aiment à dormir sur de fabuleux trésors... et Magus – c’était son nom – ne dérogeait point à la règle. Des pierres précieuses étaient d’ailleurs incrustées dans son cuir, preuve qu’il existait quelque part dans ce vaste monde une autre de ses antres contenant un trésor qu’il avait dû longuement couver...
Mais le pire de tout cela, c’est que les Faëriens n’avaient pas compris la terrible leçon. En effet, il était à présent inimaginable de penser qu’ils pourraient à nouveau s’entendre ; chaque peuplade estimant l’autre responsable des actes de leurs rois respectifs et par conséquent de leur malheur commun...
La Faërie du Nord était séparée de celle du Sud par une forêt. Les arbres qui y poussaient étaient si hauts que le soleil perçait difficilement à travers leur feuillage. Il y faisait frais et l’atmosphère y était chargée de délicieuses senteurs boisées. De nombreux animaux y habitaient, et les arbres les protégeaient du redoutable appétit du seigneur Magus. Les bêtes n’étaient cependant pas les seules à vivre à cet endroit ; il y respirait également une fée. Elle était si petite que de loin, et si on n’y faisait pas vraiment attention, elle ressemblait d’avantage à un grand papillon. Les animaux la connaissaient sous le nom de Yavanna. Elle portait une robe délicate qu’elle avait elle-même brodée à partir de perles de rosée. Elle allait tantôt marchant de ses pieds nus dans l’épaisse mousse qui recouvrait le sol, tantôt volant entre les arbres grâce à ses somptueuses ailes colorées de mille nuances de bleu. Yavanna possédait de nombreux pouvoirs et elle pratiquait l’ancienne magie. Mais contre Magus elle était impuissante, car le Dragon était le fils de cette magie disparue, et il savait parfaitement user de la puissance des éléments à son avantage. Le combattre aurait donc été vain... Mais la petite fée avait un don que Magus n’aurait jamais. Elle savait prédire l’avenir. Et elle révéla un jour aux habitants de la forêt la prophétie suivante :
Cette nouvelle fit le tour de la forêt en à peine deux jours, propagée par les arbres qui avaient tout entendu... Et on envoya dans chaque village et dans chaque ville de Faërie un émissaire rapporter la prophétie. Le messager était tantôt un oiseau, dont le chant touchait au plus profond d’eux même les humains qui l’entendaient - faisant renaître la petite lueur d’espoir enfouie dans leurs coeurs -, tantôt le bruissement du vent dans les arbres qui annonçait secrètement aux hommes que Magus ne serait pas éternel... Mais plus le temps passait, et plus Magus faisait des ravages, pillant et tuant tout être vivant... Alors la nouvelle de Yavanna devint une légende, la légende devint un mythe, et la prophétie fut oubliée de tous...
La frontière sud du bois était bordée par une petite rivière où une eau pure s’écoulait dans un doux clapotis. Un village était implanté là et les villageois utilisaient le courant pour faire tourner la roue du moulin. Ce village portait le nom de Celon et n’était habité quasiment que par des fermiers. On n’y trouvait, en plus des fermes, qu’une unique petite auberge qui tenait lieu également d’épicerie. Les Faëriens qui le peuplaient n’étaient pas très riches, mais ils produisaient eux-mêmes tous ce dont ils avaient besoin. C’est ici que vivait la jeune Abigaëlle. Elle avait tout juste 17 ans, et d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Magus avait toujours régné sur Faërie. Comme la plupart des femmes de cette région, elle avait de grands yeux noisette et de longs cheveux châtains qu’elle rassemblait chaque matin en un chignon serré pour ne pas qu’ils la gênent pendant son travail. Son teint était assez pale, comme maladif, depuis qu’elle avait perdu ses parents à l’âge de 13 ans. On ne la voyait pas souvent rire, mais lorsqu’on la surprenait à sourire, c’est tout son visage qui s’en trouvait illuminé. Abigaëlle était une jeune fille assez solitaire et elle aimait particulièrement flâner dans le bois. Et c’est là qu’elle se trouvait le malheureux jour où Magus décida qu’il avait faim... Le seigneur des Dragons, calfeutré dans son antre ténébreux, n’avait pas mangé depuis plusieurs années d’affilées. Il avait passé son temps soit à dormir, soit à compter et recompter chaque pièce de son fabuleux trésor, vérifiant que toutes étaient bien présentes et qu’aucun imprudent n’ait commis l’erreur de lui dérober ne serait-ce qu’une perle. Aussi entreprit-il ce jour là de partir en quête de viande fraîche et de nouvelles merveilles. Il déploya ses ailes et pris son envol. Plus rien ne vivait au-dessous de lui... Tous les villages qui avaient un jour existés à ces endroits n’étaient plus ; ils n’avaient servis qu’à satisfaire le féroce appétit du monstre. Magus vira alors d’avantage vers le sud et aperçu Celon de ses yeux perçants. Il plana quelques instants au-dessus des maisons, occultant la lumière du soleil. Une vive panique saisit alors les villageois qui s’enfuirent en tout sens. De là-haut, Magus s’amusait à les comparer à de petites fourmis affolées. Puis, quant il n’eut plus envie de jouer, il fondit sur le village. Lorsqu’il vit l’aspect des maisons, certes accueillantes mais faites en bois – ce qui était un signe évident de « pauvreté » - Magus fut pris d’une rage folle et destructrice. Il venait de comprendre que l’on ne lui offrirait qu’une modeste pitance constituée au mieux de quelques vaches, moutons ou chevaux... Point d’or ni d’argent, point de pierreries ou autre trésor insoupçonné pour compléter sa vaste collection... Et cela était à des miles de le satisfaire ! Alors dans un torrent de flammes, il détruisit tout ce qui l’entourait. Il dévora les hommes, les femmes, et même les enfants ! Son festin terminé, il s’abreuva à la rivière et s’en alla, ne laissant qu’un gigantesque tas de cendres d’où s’échappent encore aujourd’hui de sombres volutes de fumée.
À l’abri dans le bois, Abigaëlle ne fut pas touchée par le massacre. Elle n’avait d’ailleurs rien entendu, car le pouvoir de Yavanna préservait la forêt et tous ceux qui s’y trouvaient du bruit et des violences de l’extérieur. Ce que la jeune fille vit en rentrant chez elle cet après midi là la glaça d’effroi... Tout n’était plus que poussière. Même le moulin n’avait pas été épargné. L’eau de la rivière semblait contaminée par un poison inconnu. Elle n’était plus claire et limpide mais comme imbibée d’un sang noir et malsain. Une odeur nauséabonde s’en dégageait. Plus jamais un mortel ne pourra la boire ou s’y baigner... Abigaëlle longea les ruines des habitations et fouilla dans les cendres brûlantes à la recherche d’un survivant. Mais elle ne retrouva personne. L’air même était souillé de l’odeur du Dragon, et le simple fait de le respirer lui donnait la nausée. Elle fut donc contrainte de quitter Celon. Aussi reprit-elle la direction de la forêt, la seule maison qui lui restait désormais. De chaudes larmes coulèrent sur ses joues alors qu’elle avançait en slalomant entre les longues silhouettes filiformes des arbres. Après deux heures de marche dans le bois, Abigaëlle s’effondra au pied d’un énorme chêne, à bout de force. Un magnifique papillon se posa dans les branches du même arbre et murmura quelques paroles incompréhensibles qui plongèrent Abigaëlle dans un profond sommeil sans rêve. Yavanna veillait sur elle à présent...
Abigaëlle sentit quelque chose de doux et rude à la fois caresser son visage. Elle entendit quelqu’un murmurer aussi, mais elle ne parvint pas à saisir le sens des mots prononcés. Tout ce qu’elle savait, c’est que cette voix était celle d’un jeune homme. Elle ouvrit difficilement les yeux, encore à moitié sous le charme de Yavanna. Depuis combien de temps était-elle allongée là, elle l’ignorait. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle avait dormi d’un sommeil pur et réparateur. Elle chercha des yeux d’où venait la voix et aperçu à ses côtés un beau jeune homme qui lui proposa son bras pour l’aider à se relever. Elle l’accepta et se redressa. Elle le dévisagea un cours instant. Le jeune homme devait avoir une vingtaine d’années. Son corps était musclé et sa peau avait un léger teint halé. Il était habillé de cuir et portait un arc magnifique ainsi qu’un superbe carquois remplis de flèches aux plumes rouge vif. Une étoile d’argent brillait dans ses yeux vert clair. Il rompit le silence le premier.
« Bonjour mademoiselle... Je m’appelle Arthur. J’étais en train de chasser lorsque je vous ai vu... J’ai bien cru que vous étiez blessée... ou pire encore...
- Et bien non sieur Arthur, je suis en vie... répondit la jeune fille dans un soupir. Je suis Abigaëlle. Et j’habitais jusqu’à présent à Celon, le village qui borde la frontière sud de ce bois. Mais le monstre Magus a ravagé mon village et tué scrupuleusement toute âme qu’il a pu rencontrer en chemin. C’est pourquoi je me suis abritée dans cette forêt que l’on dit bénie des Valars...
- Oh, vous êtes une sudiste alors... ajouta Arthur avec une légère grimace.
- Je constate à votre réaction que vous êtes du nord, et que finalement vous auriez peut-être préféré me trouver sans vie... Et bien dans ce cas sieur Arthur, permettez-moi de prendre congé ! » s’indigna Abigaëlle.
La jeune femme tourna les talons et quitta sa retraite, offensée d’avoir subit les préjugés de ce jeune homme qu’elle trouvait passablement séduisant par ailleurs. Mais Arthur la rattrapa et lui saisit le bras pour la stopper. Un léger frisson parcouru l’échine d’Abigaëlle.
« Je suis désolé, veuillez excuser le manque de respect dont je viens de faire preuve, il était involontaire. Pardonnez-moi. » la supplia Arthur.
Abigaëlle sembla réfléchir un instant puis finit par sourire. C’est à ce moment précis qu’Arthur remarqua à quel point la jeune fille était belle, et il se sentit rougir. Embarrassé, il baissa les yeux. Timidement, comme s’il venait juste de comprendre qu’il s’adressait à une jeune personne du sexe opposé, Arthur lui proposa de venir avec lui jusqu’à son village. Abigaëlle accepta, n’ayant nulle part où aller... Cachée dans son arbre, la puissante Yavanna frétilla de joie...
Le village d’Arthur était loin de ressembler à Celon. Il était même aux antipodes de celui-ci, se rapprochant d’avantage d’une petite ville. Les habitants l’avaient baptisée Nerubin. La cité était bâtie en une succession de cercles concentriques, et chaque anneau avait sa propre spécificité. Ainsi, les fermes et les écuries, qui nécessitaient le plus de place, étaient situées à la périphérie de la ville. Passé le secteur agricole, on trouvait quelques maisons, d’abord d’aspect simple puis de plus en plus riche et sophistiqué à mesure que l’on se rapprochait du centre. Enfin, le coeur de Nerubin regroupait les commerces en tout genre. Arthur était forgeron. Il habitait dans une jolie petite maison ouvrière. Sa forge, où il fabriquait toutes sortes de choses, du simple coutre en fer pour les charrues aux somptueuses épées à la garde incrustée de fils d’or, se trouvait en centre ville. Les deux jeunes gens arrivèrent à Nerubin en début d’après midi. La ville débordait de vie et chacun pu constater que le jeune forgeron ramenait une belle inconnue. Une vieille femme, assise à l’entrée de sa maison, ricana :
« Tu nous ramènes là un bien beau gibier Arthur... Je ne douterais plus de tes talents de chasseur à présent... »
Abigaëlle rougit et Arthur lui prit la main et força le pas jusque chez lui. La maison d’Arthur, héritée de ses parents, était composée de quatre pièces – une cuisine, une salle de toilette assez petite, une chambre à coucher et une chambre d’amis. La cuisine était dans un état épouvantable. La vaisselle sale avait envahi l’évier et la poussière semblait être la maîtresse des lieux. Abigaëlle se serait cru sur un champ de bataille.
« Oui... euh... bon... en effet, la pièce mériterait un petit coup de ménage... mais je n’ai pas vraiment le temps tu comprends... la demande d’armes est vraiment importante depuis que Magus s’est réveillé... enfin tu vois quoi... bredouilla t-il, embarrassé.
- Un petit coup de ménage ? répéta Abigaëlle un léger sourire au coin des lèvres. Ce n’est pas un balai qu’il nous faudrait, mais plutôt le souffle de Manwë !
- Oh tu exagères... » ajouta Arthur sans grande conviction.
Le jeune homme jeta un dernier coup d’oeil circulaire dans la pièce et entreprit de lui faire visiter le reste de sa demeure. Il installa Abigaëlle dans la chambre d’amis puis pris congé, la laissant seule dans la maison ; il avait beaucoup de travail en retard à rattraper.
Abigaëlle pris son courage à deux mains et entrepris d’ajouter une touche féminine à la maison. Elle commença par la cuisine. Après deux bonnes heures d’intense récurage, cette dernière retrouva toute sa jeunesse. La jeune femme s’attaqua ensuite à la salle d’eau, puis la chambre d’Arthur – comment les hommes arrivent-ils à laisser traîner autant de linge sale dans une si petite pièce ? Et pour finir, elle dépoussiéra sa nouvelle chambre. L’après midi touchait à sa fin lorsqu’elle eut enfin terminé. Satisfaite, elle s’accorda un bref instant de répit dans la cuisine. Elle trouva de quoi préparer le repas du soir et en fut soulagée. Au moins elle n’aurait pas à aller en centre ville acheter de quoi manger... Finalement, après avoir élaborer le menu du dîner, Abigaëlle décida de sortir s’aérer. Tous ceux qui n’avaient qu’entendu parler d’elle sans la voir se retournèrent sur son passage. Mais la jeune fille n’y pris pas garde, prenant soin néanmoins de sourire à ceux qui lui souhaitaient le bonsoir. Mais elle ne fut parfaitement détendue que lorsque ses pieds nus frôlèrent à nouveau l’herbe parfumée, quittant ainsi les routes pavées. Pour la première fois depuis la terrible attaque de Magus, elle se sentait en sécurité. Elle cueillit de nombreuses fleurs aux couleurs de l’été et rentra presque en courant pour avoir le temps de les disposer dans la maison avant qu’elles ne fanent. Elle dégota trois vases et composa de magnifiques bouquets qu’elle disposa dans les chambres et la cuisine. Puis elle se mit au fourneau, préparant à Arthur un potage léger et rafraîchissant. Elle mit le couvert et s’assit à table, dans l’attente du maître des lieux. Elle l’attendit longtemps mais Arthur ne rentrait pas... Elle attendit encore et finit par s’endormir, les bras croisés sur la table. Arthur rentra très tard dans la nuit, le visage couvert de suie et de poussière après cette longue journée de travail. Lorsqu’il découvrit sa cuisine aussi propre et parfumée, il esquissa un sourire. Et lorsqu’il aperçut Abigaëlle profondément endormie sur la table, son sourire se fit plus franc. Il se dirigea silencieusement dans la salle de bain, se lava rapidement et retourna dans la cuisine. Doucement, il pris Abigaëlle dans les bras et la porta jusque dans sa chambre. Il la déposa sur le lit et la contempla un instant. Puis il referma la porte et retourna dans la cuisine où l’attendait encore une bonne soupe froide. Enfin, il débarrassa la table et partit se coucher...
Le lendemain, une bonne odeur de brioche lui chatouillant les narines le réveilla. Dans la cuisine, Abigaëlle préparait le petit déjeuner.
« Où as-tu trouvé le beurre, les oeufs ou simplement la farine pour faire une brioche ? l’interrogea Arthur, pantois.
- Bonjour Arthur. Ce sont tes charmants voisins qui les ont apportés, en guise de bienvenue. J’ai pensé qu’une brioche encore chaude te ferait plaisir ? répondit Abigaëlle sans quitter des yeux la gourmandise qui cuisait.
- Oui pardon, bonjour. Les voisins tu dis ? répéta Arthur étonné. Ils cherchaient sans doute une bonne excuse pour pouvoir te rencontrer...
- Et bien moi je les ai trouvés très gentils ! Je leur ai raconté mon histoire et la fille de la voisine va me prêter des robes en attendant que je puisse m’en faire de nouvelles... répliquât la jeune femme dans un sourire. Allez, cesse de te plaindre et mange avant que ça ne refroidisse, c’est prêt...
- Tu leur as dis que tu venais du sud ? » murmura Arthur.
Abigaëlle ne répondit pas et se mordilla la lèvre. Un oiseau gazouilla à la fenêtre. Elle lui offrit quelques miettes de brioche. L’oiseau s’en régala et reprit son envol. Il voleta au-dessus des maisons et pris la direction du bois béni. Là il retrouva Yavanna et lui fit son rapport. La fée se félicita de la tournure que prenaient les événements et remercia son espion ailé.
Pendant ce temps, Arthur se prépara à une nouvelle journée de travail. Il quitta Abigaëlle alors qu’elle faisait la vaisselle. Elle finissait à peine de tout ranger qu’on frappa à la porte. Intriguée, elle alla ouvrir. Une jeune fille – qui devait avoir le même âge qu’elle, à peu de choses près – se tenait sur le seuil, du linge dans les bras. Elle avait un large sourire gravé sur un visage angélique encadré de longs cheveux noirs.
« Bonjour ! Je suis Mégane, la fille de votre voisine. Vous devez être Abigaëlle ? Ma mère m’a demandé de vous apporter ces deux robes...
- Oh... Oui merci, c’est gentil de votre part... Peut-être voulez-vous entrer un instant ? l’invita Abigaëlle.
- Oui, c’est aimable... » accepta Mégane sans se faire prier d’avantage.
Mégane entra dans la pièce d’un pas sûr et détailla tout ce qui l’entourait.
« C’est étrange, dit-elle, de voir comme c’est propre et rangé ici... Quant on voit le désordre qui règne à la forge... »
Abigaëlle sentit ses joues rosir mais n’émit aucun commentaire. Elle conduisit Mégane à la cuisine et toutes deux papotèrent longtemps devant un thé à la rose. Puis Mégane la quitta en lui souhaitant une dizaine de fois au moins la bienvenue à Nerubin. Abigaëlle souriait encore de la bonne humeur de son invité pendant qu’elle se changeait. Elle enfila l’une des robes de Mégane – la plus belle – et se rendit en ville en quête d’un travail. Elle avait fière allure dans sa robe soyeuse. Elle passa devant la forge et entendit le bruit du marteau frappé sur l’enclume. Assurément, Arthur travaillait d’arrache-pied... Elle entra dans une petite épicerie et demanda à voir le gérant. Ce dernier l’engagea de suite. Il caressa sa barbe grisonnante, satisfait d’avoir pu engager « la nouvelle », ce qui pour sûr attirerait les curieux...
Après deux mois ainsi, Abigaëlle disposait de suffisamment d’argent pour s’acheter le tissu nécessaire à la confection de ses robes, ainsi que pour participer aux frais de l’entretien de la maison. Arthur l’y avait en effet invité à rester, ce qui avait fait quelques jalouses à Nerubin parmi les admiratrices du jeune forgeron... Un soir, Arthur rentra particulièrement tôt de la forge. Abigaëlle gouttait le bouillon qui mijotait au-dessus du feu et en ajustait l’assaisonnement. Arthur s’approcha et huma le délicieux parfum de la préparation par-dessus l’épaule de la jeune femme. Elle se retourna et leurs lèvres se frôlèrent et leurs regards se rencontrèrent. Arthur recula d’un pas et baissa les yeux. Abigaëlle sentit son coeur battre la chamade dans sa poitrine. Elle respira un grand coup et entrepris de mettre la table, comme si rien ne s’était passé. D’ailleurs, rien ne s’était passé ! réussit-elle à se convaincre. Ils mangèrent en silence et se séparèrent sur un timide « Bonne nuit »... Arthur se retourna encore et encore dans son lit... Il ne résisterait plus très longtemps au charme de la jeune fille... Quant à Abigaëlle, cela faisait un moment déjà qu’elle était éprise d’Arthur...
Le lendemain, Arthur était déjà partit lorsque Abigaëlle se réveilla. Elle ne travaillait pas ce jour ci. Aussi prit-elle son temps pour déjeuner et se préparer. Lorsqu’elle fut fin prête, elle alla chercher Mégane et toutes deux partirent se promener dans les prés. L’été touchait à sa fin, mais les fleurs étaient encore abondantes... Les deux jeunes filles emplirent leurs poumons de ce bon air aux odeurs de fleurs sauvages. Elles en cueillirent suffisamment pour se fabriquer de délicates couronnes et rentrèrent chez elles bras dessus bras dessous en riant aux éclats. Il était très tard lorsque Arthur revint du travail. Il trouva Abigaëlle assoupie sur une chaise dans un coin de la cuisine, un livre ouvert à la main. La flamme vacillante d’une bougie presque entièrement consumée faisait danser des ombres sur le visage de la jeune femme. Arthur sentit son coeur faire un bond. Avec sa couronne de fleurs Abigaëlle ressemblait à une elfe endormie... Il la regarda dormir pendant qu’il mangeait. La poitrine de la jeune femme se soulevait lentement au rythme de sa respiration. Arthur s’approcha d’elle et l’enivrant parfum des fleurs lui brouilla les sens. Il déposa un baiser sur les lèvres d’Abigaëlle. La belle frémit et son livre tomba. Arthur se redressa vivement mais Abigaëlle était toujours endormie. Il ramassa le livre – une romanesque histoire d’un hobbit, de nains et d’un dragon – et le posa sur la table. Puis il retourna auprès d’elle, et comme chaque fois où elle s’était endormie en l’attendant, la prit délicatement dans les bras et l’emporta dans sa chambre. Un petit oiseau quitta le rebord de la fenêtre de la cuisine et s’envola à tire d’ailes.
Mais Arthur ne quitta point le chevet d’Abigaëlle. Il aimait tant la regarder dormir... La lune éclairait faiblement la chambre de ses rayons d’argent. Il s’assit près d’elle et lui prit la main. Alors qu’il la lui caressait doucement du bout des doigts en rêvassant, la jeune femme s’éveilla. Arthur ne remarqua pas tout de suite qu’elle l’observait. Et lorsqu’elle se redressa dans son lit en lui souriant tendrement, il sursauta. Puis lentement Arthur approcha son visage de celui d’Abigaëlle et l’embrassa avec passion. Ils s’enlacèrent et s’allongèrent côte à côte. Un nuage vint cacher la lune, les plongeant dans le noir...
Quelqu’un frappa à la porte de chez Mégane. La jeune fille alla ouvrir. C’était Abigaëlle. Elle avait les larmes aux yeux mais le sourire gravé sur ses lèvres montrait que ces larmes étaient celles du bonheur... Mégane l’invita à entrer et Abigaëlle lui annonça la bonne nouvelle.
« Il m’a demandé de l’épouser... articula t-elle avec joie.
- Qui ça ? Arthur ? Non, c’est vrai ? Il s’est enfin décidé ? l’assailli Mégane.
- Oui Arthur ! Qui d’autre ! Il me l'a demandé ce matin... répondit Abigaëlle.
- Et bien... Il aura mis son temps quand même... Et qu’est-ce que tu as répondu ?
- Oui ! Je lui ai dit oui naturellement ! Je n’en reviens pas... Quel bonheur...
- Il faut fêter ça ! Que dirais-tu d’un verre d’hydromel ?
- Non, non, je suis désolée, je n’ai pas vraiment le temps... Je dois aller travailler... En fait, j’étais simplement venue t’annoncer la nouvelle... Et te demander aussi d’être ma demoiselle d’honneur... ?
- Fantastique ! Avec plaisir, oui ! Quelle joie... Tu as de la chance... Arthur est très joli garçon... Et je connais pas mal de monde qui va te jalouser un moment... » ajouta Mégane en riant.
Les jeunes femmes se quittèrent et Abigaëlle parti travailler. Jamais elle n’avait été aussi heureuse...
On célébra les noces à la fin de l’Automne. Un charme mystérieux permit aux fleurs de perdurer et aux arbres de garder leurs feuilles jusqu’à la cérémonie. Celles-ci, couleur d’or, étincelaient au soleil. Mégane fut chargée de confectionner la robe de mariée d’Abigaëlle. Elle choisit pour se faire une splendide étoffe blanche et soyeuse. En référence à l’attaque de Magus qui avait détruit le village natal de son amie, Mégane broda dans le bas de la robe de superbes flammes d’argent. Ainsi, lorsque Abigaëlle la revêtit, elle sembla se mouvoir au travers d’un feu spectral sans en ressentir les brûlures mortelles... Sur sa tête, la jeune femme avait disposé un superbe diadème qu’Arthur avait fait pour elle. Le jeune homme était d’ailleurs également très élégant. Il portait un magnifique ensemble en cuir ; un arbre aux fruits d’or était gravé sur la devanture de sa veste. Des étoiles brillèrent dans ses yeux lorsque Abigaëlle s’avança vers lui...
Pendant ce temps, quelque part dans la forêt, un somptueux papillon – à moins que ce n’ait été une fée ? – virevoltait dans une danse effrénée, rythmée par le chant des oiseaux.
C’était à nouveau l’été sur Nerubin. Le jour était levé depuis longtemps, mais Arthur n’était pas à la forge. Il était devant chez lui et tournait nerveusement en rond devant la porte d’entrée. À l’intérieur, Abigaëlle poussa un cri de douleur. Mais Arthur ne fit pas un geste pour rentrer. De toute façon, Mégane l’aurait aussitôt jeté dehors... Abigaëlle cria à nouveau mais cette fois si, son cri fut accompagné des pleurs d’un bébé qui respirait pour la première fois l’air de Faërie... Arthur se posta devant l’entrée, dans l’attente des nouvelles... Mégane ouvrit la porte à la volée...
« C’est un garçon ! lui annonça t-elle dans un large sourire.
- Je... Je suis papa... » murmura Arthur les larmes aux yeux...
- Mégane ! Viens vite... hurla sa mère de l’intérieur.
Mégane regarda Arthur avec inquiétude et se précipita au chevet d’Abigaëlle.
- Il y en a un autre ! lui expliqua sa mère
- Un autre ? Abigaëlle tu te rends compte ! Tu vas avoir des jumeaux ! C’est fantastique ! » s’emporta Mégane, transportée de joie.
Mégane appliqua un linge humide et frais sur le front de son amie. Abigaëlle, le visage crispé poussa une dernière fois et les cris d’un second bébé emplirent la maison. Arthur, n’y tenant plus, entra voir ce qui se passait. Lorsqu’il vit les deux bébés dans les bras de sa femme, il balbutia quelque chose comme : « Deux... Il y en a deux... Je suis deux fois papa... ».
- Le deuxième est une fille Arthur. précisa la mère de Mégane.
- Une fille ? Tu te rends compte Abigaëlle ! Ils sont deux... Un garçon et une fille ! s’exclama Arthur, fou de bonheur...
- Oui je me rends compte mon chéri... Je te rappelle que s’est moi qui les ai mis au monde... J’ai bien senti qu’ils étaient deux... » ajouta Abigaëlle, fatiguée mais amusée de la réaction de son époux.
On appela les deux enfants Aratan et Elanor. Comme leur père, ils avaient tous les deux de magnifiques yeux verts, mais à l’instar de leur mère, ils portaient de beaux cheveux bruns. Les enfants étaient un rayon de soleil dans la maison, et leurs rires résonnaient dans les rues de Nerubin. Jamais on ne les voyait se disputer, ils étaient beaucoup trop occuper à courir dans les champs à la poursuite des papillons... Ainsi grandirent-ils, gagnant en sagesse et en beauté, liés par cet amour propre aux frères et soeurs. Cependant, il vint un temps où leurs centres d’intérêts divergèrent. Ainsi, Elanor se pris de passion pour la littérature. Elle passait des heures, allongée dans l’herbe, à étudier la Légende de l’Anneau Unique ou l’arrivée des humains sur Arda. Mais son ouvrage préféré lui avait été confié par Abigaëlle et retraçait l’histoire de Smaug et de Bilbo... Et la petite fille, qui avait en horreur la violence, se lamentait de voir son frère se rendre à la forge apprendre le maniement du marteau pour concevoir toutes sortes d’armes avec lesquelles il s’entraînait par la suite... Car en Aratan brûlait la flamme de la justice, et le jeune garçon sentait au plus profond de son être qu’un important dessein lui était destiné...
Pour leur seizième anniversaire, Arthur offrit à son fils une épée à la garde d’argent et un somptueux bouclier décoré du symbole de Yavanna ; le même arbre d’argent aux fruits d’or qu’arborait Arthur le jour de son mariage. Elanor quant à elle reçut un diadème décoré d’une pierre à la couleur changeante selon l’humeur du soleil, ainsi qu’une délicate robe aux reflets d’argent.
« Où donc avez-vous trouvé une pierre aussi jolie ? interrogea t-elle ses parents.
- C’est un oiseau qui l'a déposée sur le rebord de la fenêtre il y a quelques jours... répondit Abigaëlle. Nous l’avons trouvée si belle que ton père a décidé de la sertir sur un diadème digne de sa beauté étincelante...
- Un oiseau tu dis... répéta Elanor. Étrange... Très étrange... » murmura t-elle comme pour elle-même.
Et la jeune fille installa le bijou sur sa tête, l’enfonçant doucement dans sa longue chevelure bouclée. Puis elle mis sa nouvelle robe. Lorsque son frère la vit ainsi vêtu, il n’en cru pas ses yeux. Sa soeur ressemblait davantage à une princesse elfe – il en avait vu une représentée dans un des livres d’Elanor – qu’à une simple mortelle... La jeune fille annonça d’un air absent qu’elle partait se promener, une étrange lueur brillant dans ses yeux... Ses parents l’embrassèrent et Elanor s’en alla. Intrigué par son comportement, Aratan entreprit de la suivre discrètement. Il pris son épée et son bouclier, installa une cape vermeille sur ses épaules - le vent soufflait fort ces temps ci – et sortit à la suite de sa soeur. Il la vit tourner à un coin de rue et fit de même. La jeune fille semblait se diriger vers la sortie de la ville. Où donc pouvait-elle aller ? Elanor sentait à peine le vent qui l’enveloppait pourtant de sa froideur; en fait, la pierre sur son diadème semblait la protéger du mordant de ce vent d’ouest... Elle ne savait pas vraiment où elle allait, mais elle sentait une sorte de force invisible l’attirer vers la forêt de Yavanna. Distraitement elle abandonna la ville derrière elle et s’engagea dans le bois. Les feuilles des arbres commençaient à se colorer du doré que leur amenait l’Automne. Mais Elanor ne fit attention ni à la beauté sauvage ni à la tranquillité du milieu qui l’entourait. Elle était comme hypnotisée et continua à marcher droit devant elle, plusieurs heures durant, sans ressentir le moindre signe de fatigue. Un papillon bleu tournoyait autour d’elle, semblant lui indiquer le chemin. Soudain, la jeune fille sortit de la forêt et traversa un petit pont de pierre en ruine qui surplombait une rivière à l’eau noire et malodorante. Elle passa devant les restes de ce qui semblait avoir été jadis un moulin et s’avança jusqu’au milieu du village en cendre. Là elle s’arrêta et resta longtemps immobile, telle une statue de sel. Aratan l’avait suivie jusque sur le pont. Il l’observa de longues minutes, sans comprendre pourquoi elle se tenait là, figée au milieu d’un tel paysage apocalyptique. Il remarqua de-ci de-là des volutes de fumées s’échappant des ruines. Soudain, il le vit, haut dans le ciel et tournant en rond comme un oiseau de proie, sa robe noire et or scintillant sous le Soleil. Le Dragon avait senti depuis le fond de son antre le joyau qui illuminait le front d’Elanor. Car la Pierre était un présent de Yavanna, et le profond pouvoir qui émanait d’elle attirait Magus comme un aimant, son coeur ne désirant à présent qu’une seule chose : s’en emparer... Aussi se posa t-il près de sa porteuse et l’approcha t-il doucement. Elanor le regarda faire sans frémir une seule seconde. Il baissa son long cou à hauteur de la jeune fille et la scruta attentivement, guettant la moindre de ses réactions. Son souffle brûlant aurait blessé n’importe qui, mais Elanor ne le sentit pas, de la même façon que le vent n’avait aucun effet sur elle. Magus rompit le silence et s’adressa à la jeune fille de sa voix caverneuse :
« Qui es-tu donc pour oser soutenir le regard de ton seigneur et maître !?
- Je suis Elanor, fille d’Abigaëlle et d’Arthur de Nerubin. Je suis Celle qu’il y a bien longtemps la prophétesse de Faërie annonça ! Je suis l’Enfant Sauveur qui débarrassera le monde du Fléau cracheur de feu ! répondit Elanor. En réalité, ces mots avaient franchi ses lèvres sans qu’elle ne sache véritablement ce qu’elle disait...
- Idiote ! rugit le Seigneur des ténèbres. Personne ne peut m’affronter ! Je n’étais pas venu pour te tuer ; simplement pour t’arracher ce splendide bijou dont tu n’es pas digne ! Mais ton impertinence te coûtera la vie, fille de Nerubin ! Ta vie ainsi que celle de tous les autres de ta race ! » rugit le dragon...
Aratan en avait assez entendu... Sans attendre, il se précipita sur sa soeur et l’écarta du Dragon, brandissant son épée en direction de la bête. Magus, surpris, fit un pas en arrière. Puis il riposta et envoya sur Aratan un puissant jet de flammes. Le jeune garçon se protégea derrière son bouclier. Il attira le Dragon le plus loin possible d’Elanor. Il donna de nombreux coups d’épée, abîmant le cuir de l’Animal sans jamais le blesser réellement... Magus sentit la rage monter en lui, plus puissante que jamais, car c’était la première fois en cent ans que l’on osait ainsi l’affronter ! Et Aratan était rapide et bien armé... Mais le dragon n’avait pas dit son dernier mot... Et alors que le jeune homme le défia de front, le sournois animal lui envoya un nouveau jet de flamme suivit d’un violent coup de queue. Aratan évita le feu, mais ne put esquiver le coup qui lui arrivait par derrière... La violence de l’attaque le propulsa à terre, son épée et son bouclier volant loin de lui et retombant en un bruit sourd dans les cendres... Magus s’avança en vainqueur et déposa sa lourde patte aux griffes acérées sur le torse d’Aratan, écrasant son assaillant sous son poids. Celui-ci, épuisé et couvert de sang ne trouva point la force de résister.
« Tu vas regretter d’avoir oser défier le Seigneur Magus, humain ! Jamais plus tu ne reverras la lumière du Soleil ! Jamais plus tu ne sentiras le vent te caresser le visage ! Ni n’entendras le bruit de la rivière qui s’écoule gaiement ! Non ! Là où je vais t’envoyer, humain, il n’y a que les ténèbres et la souffrance ! » déclama Magus d’un ton emprunt d’une joie morbide...
Et alors qu’il s’apprêtait à dévorer Aratan, une violente douleur le saisit... L’Animal recula en titubant, relâchant du même coup son étreinte... L’épée d’Aratan était profondément fichée dans son coeur. Car pendant qu’il crachait tout son fiel sur le jeune garçon, Elanor était sortie de sa transe. Et malgré sa répugnance à la toucher, elle avait ramassé l’arme de son frère et s’était approchée du dragon. Et c’est quand celui-ci abaissa sa gueule aux dents tranchantes que la jeune fille lui asséna le coup fatal... Le dragon s’effondra à ses pieds et ses yeux jaunes se posèrent une dernière fois sur elle. Le feu qui y brillait s’éteignit doucement. La Bête était vaincue... Elanor se retourna en direction de son frère et courut à lui. Elle s’agenouilla à ses côtés et épongea son sang avec les pans de sa robe d’argent. Aratan se laissa faire, le regard vide. Elanor déposa la tête de son frère sur ses genoux et resta là, à panser ses blessures pour stopper l’hémorragie. Ils étaient seuls sur la plaine déserte, seuls avec le cadavre de Magus... Yavanna s’approcha d’eux lentement. Elle se posa sur le cadavre du Ténébreux et fixa intensément Elanor. La jeune fille lui lança un regard implorant. Yavanna lui sourit et, comme elle l’avait fait avec Abigaëlle dix-sept ans plutôt, envoûta les deux enfants, les faisant sombrer dans un sommeil sans rêve. Son sourire s’effaça et elle partit à tire d’ailes, survolant les ruines de Celon, puis la forêt dorée pour arriver finalement à Nerubin. Là elle voleta jusqu’à la demeure de ses êtres opposés, ceux qui avaient enfanté les Sauveurs, ceux qui avaient oublié les querelles entre les nordistes et les sudistes, n’écoutant que leur amour. Et elle entra par la fenêtre ouverte. Le couple se figea devant cette intrusion divine. Car aussi petite soit-elle, Yavanna inspirait un profond respect à quiconque croisait son regard... Alors elle raconta ce qu’elle avait vu. Abigaëlle sentit son coeur tressaillir dans sa poitrine. Arthur se leva précipitamment, suivi par sa femme, et ils se précipitèrent à l’extérieur de la ville. Sans un mot, ils dérobèrent deux chevaux dans l’une des écuries et partirent au galop en direction de Celon. Le palefrenier, averti par le hennissement des bêtes, alerta qui voulait l’entendre, criant au larcin ! dans les rues de Nerubin. Alors quatre autres hommes enfourchèrent leurs destriers et partirent à la recherche des voleurs. Yavanna murmura à l’oreille des chevaux - Noro lim – et ceux-ci doublèrent la cadence. Abigaëlle et Arthur s’accrochaient fébrilement à la crinière de leur monture qu’ils n’avaient pas pris le temps de seller. La fée guida les bêtes au travers du bois, et jusqu’à Celon. Les chevaux ralentirent nerveusement à la vue du dragon. Leurs cavaliers mirent pied à terre et se précipitèrent vers leurs enfants endormis. De longues minutes plus tard, les autres cavaliers arrivèrent sur les lieux, en ayant suivi les traces laissées par les chevaux volés. Le spectacle qui les attendait les effraya dans un premier temps. Mais lorsqu’il comprirent que Magus n’était plus, une indescriptible joie les envahit... Ils descendirent de leurs montures et se rapprochèrent doucement du monstre vaincu. L’un des hommes - Uther de son prénom, et ami d’Arthur - s’enquit de l’état de santé des enfants. Abigaëlle était en pleurs. Mais malgré tout le sang qui recouvrait ses deux enfants – Elanor était souillée du sang de son frère – ils étaient vivants.
« Que s’est-il passé ici ? interrogea Uther en contemplant alternativement le paysage gris et nu, le dragon mort et les enfants endormis.
- Vous êtes sur les ruines de Celon; sur les ruines de mon village natal... répondit Abigaëlle dans un sanglot.
- Votre village natal ? Non, vous devez vous tromper, nous sommes ici au Sud de Faërie... La peur de trouver vos enfants blessés vous aura brouillée les sens... ajouta Uther.
- Elle ne fait pas d’erreur Uther... le corrigea Arthur.
- Une sudiste ? répéta Uther dégoûté. Tu t’étais bien gardé de nous le dire Arthur !
- Parce que ça a une importance pour vous Uther ? Vous qui me connaissez, vous qui avez laissé vos enfants jouer avec les nôtres !? s’insurgea Abigaëlle. Je vous ferai remarquer au passage que se sont mes enfants qui sont ici, gisant devant la dépouille du Fléau ! »
Cette dernière remarque eut raison d’Uther qui bredouilla alors quelques mots dépourvus de sens, sans oser toutefois regarder Abigaëlle dans les yeux. Finalement, les quatre hommes aidèrent Arthur et Abigaëlle à installer leurs enfants sur les chevaux. Arthur monta derrière Aratan et Abigaëlle derrière Elanor. Ils rentrèrent au petit galop à Nerubin. Mégane, alertée par le son des sabots claquant sur les pavés, sortit en hâte de chez elle et se précipita à la rencontre de ses amis. Elle aida Abigaëlle à descendre sa fille du cheval et à l’étendre à l’intérieur. Uther et Arthur s’occupèrent d’Aratan. Ces blessures étaient assez superficielles, mais sa peau était brûlée en maints endroits par le souffle dévastateur de son ennemi. C’est à ce moment que Yavanna fit sa réapparition. Si Arthur et Abigaëlle n’en furent point étonnés, Uther sursauta lorsqu’il l’aperçut. Yavanna se posa délicatement sur le torse d’Aratan et chantonna doucement quelque chose comme «lasto beth nîn, tolo dan na ngalad – entends mes paroles, reviens vers la lumière ». Alors une lumière claire et douce, prenant sa source aux pieds de la petite fée, se propagea tout le long du corps d'Aratan. Et ses blessures guérirent, et ses brûlures se résorbèrent. Seules les quatre marques des quatre griffes du dragon restèrent gravées sur le torse du jeune homme, cicatrices de son glorieux combat.
« Maintenant ils doivent tous les deux se reposer » déclara Yavanna.
Le frère et sa soeur restèrent ainsi endormis près d’une semaine. Et à leur réveil, toute la Faërie, du Nord comme du Sud, avait eu vent de leur exploit... La rumeur s’était propagée que deux enfants nés de l’amour qu’une femme du sud portait à un homme du nord les avaient tous délivrés de la crainte qu’inspirait le seul nom de Magus. Alors les gens du peuple comprirent que seuls ils étaient faibles, mais qu’ensemble ils seraient capables de déplacer des montagnes... Et doucement, les Faëriens se réconcilièrent, reformant ce lien qui les unissait par le passé et qui jamais n’aurait dû être brisé. Partout où ils allaient, Elanor et Aratan étaient salués. Tous les connaissaient. Et c’est ainsi qu’au début de l’hiver se déroula une singulière cérémonie sous une neige pure et vierge. Devant la caverne de Magus, tous les Faëriens s’étaient rassemblés, les humains comme les bêtes. Yavanna s’avança, planant au-dessus de têtes qui s’inclinaient sur son passage. Et devant tous, elle déclara :
« Il y a maintenant cent années, deux jumeaux, deux rois, ont causé notre perte, emprisonnant la souffrance et le désespoir dans nos coeurs. Pourquoi ? Pour posséder le fabuleux trésor qui repose au sein même d’Arda notre terre... La cupidité a faillit perdre Faërie, l’Amour l'a sauvé ! Car deux jumeaux nous ont défendus, en achevant Magus d’un violent coup d’épée ! Alors de ces enfants, nous allons faire notre nouveau Roi et notre nouvelle Reine ! Moi, Yavanna, grande prêtresse et gardienne de Faërie, je proclame devant vous qu’Aratan le Juste est votre Roi ! Je proclame devant vous qu’Elanor la Toute Belle est votre Reine ! Que leur règne soit long et bienheureux ! Que comme leur sang, Faërie ne reforme plus qu’un seul royaume illuminé par Anar notre Soleil ! »
Et sous les applaudissements de la foule, Arthur déposa sur la tête de sa fille une délicate couronne d’argent pendant qu’Abigaëlle plaçait une superbe couronne d’or sur celle de son fils.
Et c’est ainsi, mes chers enfants, que s’achève la terrible Légende de Magus... »
Granny Mabel baissa les yeux vers ses petits-enfants. Les deux petits garçons s’étaient endormis, pelotonnés l’un contre l’autre... Mabel sourit et quitta doucement son rocking-chair pour ne pas les réveiller. Puis elle ramassa l’étoile scintillante et la déposa sur la cime du sapin. Après avoir jeté un dernier regard à John et Ronald, elle se dirigea vers l’escalier et monta les marches jusqu’au grenier. Elle poussa la porte et s’avança dans la pièce sombre. Son rythme cardiaque s’accéléra et ses mains tremblèrent un peu plus lorsqu’elle tira vers elle un vieux coffre poussiéreux. Lentement, elle l’ouvrit et un objet lumineux se refléta dans ses yeux en deux points brillants. Mabel le contempla longtemps avant de finalement le sortir de son coffret. Le diadème était aussi beau qu’au premier jour... Et la pierre scintillante qui l’illuminait ne semblait encore décidée à s’éteindre. La vieille dame reposa le joyau sur la robe argentée tachée de sang qui se trouvait également dans le coffre et le referma soigneusement. La lumière s’éclipsa, la laissant seule dans le noir.
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le 24-08-2006 à 10h27 | « Time of the twins” | |
Il s’agit d’un conte de noël. Cet auteur aime dépeindre les joies de l’amour, du mariage et de la famille. Cela donne un côté un peu répétitif aux trois contes dont il nous gratifie. En effet, la succession rencontre/mariage/enfants se reproduit dans les trois. On peut également dégager une thématique récurrente de : - bonne fée protectrice avec l’elfe Ithil puis la fée Yavanna, - d’amour frate... | ||
le 14-08-2006 à 16h09 | Les histoires d'amour sont toujours d'une banalité... Et alors?? ;o) | |
Histoire très agréable à lire, bien écrite, malgré la banalité de la rencontre des deux amoureux et des dialogues qui suivent (pourquoi c'est toujours la femme au ménage et à la vaisselle et l'homme à la forge et du linge sale dans sa chambre? lol). Mais pour autant, le texte est équilibré. J'apprécie! :o) |