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 WA, exercice n°123 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 5 septembre 2013 à 23:34:02
WA n° 123, thème.


De nombreux auteurs racontent qu’à un certain moment de l’écriture d’un texte, l’oeuvre prend son indépendance et leur impose la suite du récit. Cet exercice traitera donc de « l’auteur face à son oeuvre » ; celle-ci peut être hostile, voire menaçante, capricieuse ou ironique, elle peut envahir la vie réelle de l’auteur ou l’entraîner dans son monde. Si le procédé est fantastique, le monde, lui, reste à votre choix. Attention, si le cas se présente, à bien présenter les transitions entre le monde réel et l’imaginaire, de préférence sans avoir recours à l’artifice classique des italiques. Mais vous avez droit aux guillemets...

Et comme une consigne ne vient jamais seule, j’aimerais que l’un de vos personnages ait un accent, ce qui vous amènera à écrire de manière phonétique, en essayant de rester compréhensible pour le lecteur.
A vos claviers ! Vous êtes sûrement en pleine forme après la pause estivale, et piaffant d’impatience de vous mesurer à ce nouveau challenge. Néanmoins, comme les journées n’ont que 24 heures sur notre petite planète bleue (et qu’en plus les jours raccourcissent, damned !), vous avez quatre semaines, jusqu’au jeudi 3 octobre.
Je rappelle que tout le monde peut participer, qu’il n’y a pas de contrainte de nombre de pages et que toutes les participations seront commentées. Alors si vous ne l’avez jamais fait, lancez-vous ! La WA ne vit que grâce à vos participations.
Amusez-vous à écrire, et vos lecteurs (même les passants anonymes qui ne laissent jamais de trace) se régaleront !
Narwa Roquen, en retard 12 mois sur 12!


  
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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-10-05 17:55:53 

 WA - Participation exercice n°123Détails
Ouaf, une histoire qui respecte de très loin la consigne. J'avais en tête une partie II bien différente mais, quand sur l'écran est apparu le nom de l'héroïne, le récit a pris une toute autre direction!!! Comme quoi, l'auteur peut être débordé par sa créature!


OBLIVION


La bande-son


I


Finalement, les hommes rentrèrent à la maison.

Durant des siècles, ils regardèrent le ciel en rêvant de voler. Ils se nourrirent de leurs rêves pour s'affranchir de la pesanteur. Ils quittèrent une Terre agonisante et inhospitalière. Jaillissant de l'atmosphère polluée, les astronefs ressemblaient à des milliers de larmes scintillantes pleurées par une planète exsangue. Ce fut un spectacle grandiose, le début d'un voyage sans retour.

Seuls entre les étoiles, ils rêvèrent de rivages étrangers et de courses lointaines. Ils se nourrirent de leurs rêves et leur technologie devint immense. S'inspirant des Dieux que jamais ils ne rencontrèrent, ils bâtirent des vaisseaux galactiques aux dimensions prodigieuses, caravanes de planètes enchaînées puisant leur énergie dans la combustion de soleils asservis.

Ils partirent si loin que la notion même de distance ne fut bientôt compréhensible que par les Déïmates, symbiotes supra-conscients qui ouvraient leurs yeux de mercure, miroirs d'argent liquide, dans les courants paradoxaux séparant les plis de l'espace et du temps.

Ils s'élevèrent au rang des Dieux qu'ils avaient toujours révérés. Mais l'Espace était bien plus profond que toutes leurs brillantes théories ne l'avaient supposé. Chaque fois qu'ils croyaient atteindre enfin la dernière limite, ils découvraient, navrés, qu'il y avait toujours quelque chose situé au-delà. Une nouvelle frontière les narguait dans le lointain. Et, comme des alouettes abusées par le miroir, ils se lancèrent toujours plus loin, poursuivant vainement une chimère mille ans durant, repoussant la Terre originelle dans la légende et la superstition.

L'Espace se moquait d'eux. L'espoir quitta peu à peu leurs coeurs et l'amertume remplaça peu à peu l'espoir. Ils ne renoncèrent pourtant pas, s'enfonçant obstinément dans ce qui n'était ni le centre ni la périphérie. Mais l'Espace demeurait silencieux. Il n'y avait ni Dieux ni vie. Les hommes demeuraient seuls et toute leur puissance ne se mesurait qu'à celle du vide.

Alors ils retombèrent dans leurs vieilles querelles. Le frère se retourna contre le frère. Le père contre le fils. Ce fut l'ère de la Grande Désillusion, longue et cruelle période de ténèbres au cours de laquelle l'Humanité faillit disparaître dans le silence railleur des étoiles. Peu survécurent. Les plus riches. Les plus puissants. Les plus sages. Quelques poignées à peine. Quand le fracas des armes se tut, ils se regroupèrent tant bien que mal et, finalement, se résolurent à rebrousser chemin. Ce chemin de Damas fut un long et pénible voyage vers leur planète oubliée.

Ils étaient plus puissants que les Dieux qu'ils avaient imaginés. Les Hommes avaient enfanté les Dieux. L'ironie du sort s'abattit sur leurs têtes car les Dieux étaient orphelins.

Finalement, plusieurs millénaires après l'exode initial, les survivants épuisés rentrèrent à la maison, maîtres de l'Espace et du Temps, de la Matière et du Vide. Quand ils ouvrirent en grand les baies d'observation aux abords de la Lune, ils s'aperçurent que la Terre était belle à nouveau. Ses océans étaient limpides et ses plaines verdoyantes. L'air y était doux et parfumé, le ciel d'un bleu parfait. Les neiges éternelles scintillaient, immaculées, sur les cimes des montagnes. Ses sources et ses rivières étaient pures et fraiches. S'ils avaient retrouvé l'Eden, ils découvrirent bien vite que toute vie animale l'avait quitté.

Cependant, ils auraient pu être heureux. Grâce à toute leur science, ils auraient pu facilement repeupler les mers et les terres. Mais la rédemption qui leur avait été accordée, avait un prix. Un prix incroyablement élevé.

Quand ils se réveillèrent de leur long sommeil de glace, les Hommes ne savaient plus rêver. Leur sommeil était désormais noir et silencieux. Leur existence était quasiment éternelle mais ils se contentèrent de répéter chaque jour les mêmes gestes que la veille, peut-être un peu plus lentement. Ils ne rêvèrent plus et furent incapables de créer la moindre chose nouvelle.

Ils ne désirèrent plus rien. Car le désir est une forme de création. Il aurait pu transformer la Terre en un merveilleux paradis mais ils errèrent sans but dans un glorieux cimetière parfaitement entretenu et absolument silencieux. Un écrin vide dédaigné par l'Univers. Ils avaient oublié qui ils avaient été et pourquoi ils étaient revenus!

Alors le temps glissa sur eux comme la pluie sur les galets.

Beaucoup s'abandonnèrent à la contemplation et au silence. Le froid s'insinua dans leurs veines et l'immobilité s'empara d'eux, les figeant dans une attente stérile. Leurs besoins étaient infimes et leur puissance infinie. Ils n'espéraient rien, étant revenus de tout. Le soleil domestiqué ne s'éteindrait pas avant longtemps. L'Univers mourrait avant eux!

Alors, ils s'allongèrent le long des rivages et devinrent des dunes de sable contemplant le ballet renouvelé des vagues dociles grignoter peu à peu leur empire. Ils s'érigèrent en puissantes montagnes enneigées, culminant à de vertigineuses hauteurs, bien au-dessus des sommets les plus élevés. Ils se changèrent en fleuves nonchalants ou intrépides, inondant les plaines quand les pluies grossissaient leurs cours. Ils revêtirent l'apparence d'arbres monumentaux émergeant des canopées comme des phares au-dessus des flots. Ils plongèrent au milieu des océans où naquirent autant d'îles alanguies, recouvertes de sable blanc et d'arbres penchés aux longues palmes.

C'était une fin miséricordieuse et discrète. Une fin délibérément choisie et acceptée. ils quittaient la scène sur la pointe des pieds. Il n'y aurait pas d'apocalypse. Les morts ne se lèveraient pas à nouveau. Il n'y avait aucun bruit. Aucun rire d'enfant. Aucune musique. Aucune chanson. Ils s'étaient détournés des Arts. Car toute forme d'art est un acte de création. Les habitats, où quelques humains consentaient encore à partager le même espace, étaient très rares.

L'un de ces derniers endroits s'appelait Pâris. Ce nom avait été proposé par CHIR-1, le dernier Deïmate. D'après lui, c'était le nom d'un ancien héros qui avait aussi bâti à cet endroit, sur cette île au milieu du fleuve, longtemps auparavant, une cité prestigieuse.

Les Déïmates étaient à la fois homme et femme et leur destin était programmé par une quadruple hélice ADN. L'espace était leur élément où ils évoluaient avec grâce, choisissant les routes les plus sûres entre les quasars et les trous noirs. Ils affrontèrent les monstres du chaos extérieur qui essayaient de pénétrer les champs de force préservant les vaisseaux de l'Exode, attirés par la chaleur palpitante de la vie.

CHIR-1 protégea tant et si bien ses fragiles passagers qu'il en vint à les aimer comme un Dieu aime ses créatures. Un dieu esclave certes, mais à la puissance considérable. Il fut le seul parmi les siens à monter à bord des barges de débarquement qui transportèrent les rescapés humains à la surface de la Terre. Il contempla, le plus longtemps possible, le gigantesque vaisseau, le dernier de son espèce, toute propulsion coupée, glisser le long d'une trajectoire le précipitant droit vers le soleil. Quand une langue de feu embrasa les superstructures de la nef qu'il avait commandée, il sut qu'elle était sa véritable mission. Il ne pleura pas.

CHIR-1 servit ses parents en évolution du mieux qu'il le put. Ses banques mémorielles étaient riches d'un infini de connaissances. Il était cependant, comme eux, affligé de la même impuissance, quoique la cause en était différente. Devant la beauté et la magie qui se dégageaient des paysages changeants de la planète ressuscitée, il n'éprouvait aucune émotion. Les zones cognitives de la paroi médiane de son cerveau, siège des émotions, avaient été réarrangées afin de lui permettre d'affronter sans dommage les ténèbres extérieures.

Toutefois, il était le dépositaire d'un savoir multimillénaire qu'il devait à tout prix préserver de la disparition. C'était inscrit dans ses gènes. Alors il construisit un entrepôt interstitiel où il déposa tous les trésors qu'il avait protégés jusque là, afin que l'oubli ne les recouvre pas comme un linceul. Il en organisa les accès et indexa les arborescences de recherche. Il l'appela le "Tjukurpal", le Temps du Rêve. Ce fut un extraordinaire travail que seul un Ingénieur de sa trempe pouvait réaliser. Il forma quelques disciples, qu'il choisit parmi les esprits les plus curieux, les plus ouverts et les plus rebelles qu'il conduisit sur l'île au milieu du fleuve.

Quand il eut la certitude que l'étincelle ne s'éteindrait plus, CHIR-1 s'assit en tailleur au bord d'une falaise dominant la mer, face au soleil levant. Il joignit ses mains en flèche devant sa poitrine et brisa les milliards de liaisons biochimiques qui le maintenaient en vie. Sa chair se changea en pierre et bientôt une statue d'ivoire poli s'éleva à l'endroit où il se tenait. Une source inépuisable jaillit de ses lèvres et dans le bassin formé par ses jambes repliées, trois fleurs d'une beauté étrangère à ce monde émergèrent de l'onde, embaumant loin à la ronde, aux couleurs chaque matin différentes.

II


bande-son 2

Le jour s'est levé. Do-Dièse plus difficilement. Elle serait bien restée au chaud dans le cocon plus longtemps. Il lui semble qu'il devient de plus en plus difficile de s'extirper du confort douillet qui nourrit ses besoins primaires. Elle secoue la tête pour chasser ces idées mortifères. Elle ne deviendra pas comme les autres. C'est une Pârisienne.

Do-Dièse n'est ni jeune ni vieille. A quoi sert ce genre de référence quand aucune ride ne viendra jamais altérer ses traits? C'est la raison pour laquelle elle a banni tout miroir de sa bulle domestique. Elle a vingt ans. Durant mille ans.

C'est pour elle une idée insupportable. Mille ans à ne rien attendre d'autre que la fin. Attendre que le jour passe. Elle a été la disciple favorite de CHIR 1, le commandant du Constellation, le vaisseau qui a réussi à les ramener sur la Terre, sains et saufs. Un seul vaisseau alors que la flotte du retour en comptait plusieurs centaines. Elle lui doit son nom actuel. Elle n'en comprend que confusément le sens, aidée par les maigres indices laissés par son mentor.

Un accord de musique. Do-Dièse conçoit ce que signifie la Musique, les portées et les notes, les diminutions et les augmentations, les clés et les harmonies. Oui, elle possède un savoir réellement encyclopédique sur la Musique et elle comprend parfaitement à quoi sert le solfège et les accords. Elle est capable d'aligner sur la portée les signes convenables mais quand elle s'essaie à jouer ce qui est écrit, c'est au mieux bancal, plus généralement, désagréable. Elle n'y arrive pas.

Elle n'est pourtant pas, loin de là, la plus mauvaise des Escholiers, comme les a surnommés CHIR-1. Au contraire, Do Dièse fréquente assidûment le Tjukurpal. Comme tous les jours. Comme ce matin.

Elle ne rêve toujours pas. Son sommeil reste essentiellement minéral, intervalle inerte et mécanique, tout juste zébré par quelques éclairs synaptiques, fantômes régressifs de signaux désordonnés. Elle entr'aperçoit comme masquées par un rideau de brume, des étendues inconnues, bruissant de murmures assourdis. C'est là qu'elle doit aller. Elle en est convaincue. Il y a des sons à peine audibles et pourtant ensorceleurs. Ils l'invitent à les rejoindre mais la barrière de fumée se révèle aussi dure que la paroi des cocons, infranchissable.

Une fois prête, elle prend le chemin du Panthéon, le bâtiment qui abrite le Tjukurpal. CHIR-1 a assemblé plusieurs éléments préfabriqués employés dans la construction des bulbes collectifs. Le résultat a des allures industrielles, des lignes simples, utilitaires. Doté d'angles droits, c'est ni beau, ni laid, sans fioritures. Sa masse austère domine les cocons alignés le long des voies rectilignes qui rayonnent à ses pieds.

Do-Dièse marche d'un pas lent et mesuré. Son visage est impassible et ses mains sont croisées sous les longues manches du vêtement de néolin. La lumière tente de jouer sur ses traits. En vain. Elle ne croise personne sur sa route. On entend seulement le vent dans les feuillages et la rengaine butée de l'eau vive autour des piles d'un pont. En pénétrant dans l'édifice, elle parvient sous le dôme d'une vaste rotonde percée de nombreuses portes. Elle remarque aussitôt que certaines étaient masquées. Trois Escholiers ont été plus matinaux qu'elle. Ils déambulent déjà dans les allées du Tjukurpal où jamais ils ne se rencontreront. Il reste vingt-neuf portes.

Elle s'approche de l'une d'elles près de laquelle une mince colonne supporte une plaque de commandes. Elle pose sa paume sur une surface tactile qui se réveille à son contact. Elle compose sur un clavier virtuel une courte séquence du code D-CHIR, conçu par CHIR-1 pour dialoguer avec le pool d'IA qui gère le Tjukurpal. La surface prend une teinte opaline et la porte s'efface, cédant place à un miroir d'argent liquide parcouru de vagues concentriques qui naissent en son centre pour glisser vers les bords. La surface miroitante pulse doucement. Sans hésitation, Do-Dièse avance et sent la caresse fraîche et familière sur sa peau nue alors qu'elle traverse le miroir.

Sans transition, elle termine son pas... ailleurs. Une lumière pâle et crémeuse frissonne dans un ciel qui ne ressemble pas à celui qu'elle connait. Un ciel trop proche et trop lointain à la fois. La perspective est dérangeante, mettant ses sens à rude épreuve. Elle récite un mantra de concentration pour affronter la perturbation générée par la reconfiguration des textures topomentales créées par le Tjukurpal. L'induction est directe et sans contact. Les nano-récepteurs que CHIR-1 a greffés sur les chaînes de ganglions spécialisés du système nerveux cérébrospinal des Escholiers fonctionnent à plein régime. Ils calculent en temps réel une réalité alternative. Do-Dièse ravale la brusque nausée qui accompagne la mise en place de la liaison syn-haptique. C'est passager.

Elle est vêtue différemment. Des tonnes de tissus cascadent jusqu'à ses pieds. Sa poitrine, si menue, a pris des proportions étonnantes. Elle plaque les mains sur sa gorge, si pleine, si ronde, si lourde. Ce n'est pas désagréable. Juste différent. Le décor s'affirme autour d'elle. Elle se tient dans une ruelle. Il neige. Ses narines perçoivent de nouvelles odeurs. Du bois qui se consume. Des corps qui transpirent. Son odorat est décuplé par les sous-routines du Tjukurpal. CHIR-1 les a prévenus. Tous leurs sens seraient amplifiés afin de favoriser leur immersion dans le Monde du Rêve. Leur atrophie sensorielle est trop complexe pour se satisfaire de niveaux habituels. Ils sont demeurés trop longtemps dans les cavernes de glace du Constellation, bombardés par des rayons que les protections n'ont pu entièrement arrêter.

Do-Dièse peut mettre un nom sur ce qu'elle ressent. Elle peut mettre un nom sur ce qui l'entoure. Le Tjukurpal y pourvoit. C'est à la fois grisant, car cela lui offre la possibilité de s'immerger totalement, sans crainte d'être stoppée par l'incompréhension, et frustrant, car elle sait que tout ce savoir lui sera confisqué dès qu'elle franchira à rebours le sas de la salle aux trente-deux portes. Non par la faute du Tjukurpal, CHIR-1 aurait heureux de libérer ses parents de leur prison régressive. Mais à cause de ce que les hommes ont perdu quelque part entre les étoiles, sur le chemin du retour. CHIR-1 leur a promis que, s'ils le cherchaient avec assiduité et humilité, les Escholiers regagneraient ce qui leur avait été dérobé. Il ne leur a jamais dit que cela serait facile ou rapide.

Do-Dièse sent une ville bourdonner autour d'elle. Une ville immense. Emplie de tellement de vies. Tant de personnes réunies au même endroit. Pâris compte une petite centaine d'habitants. Une goutte d'eau par rapport à cet océan urbain. Elle resserre son écharpe autour du cou et relève les larges revers de son manteau. Un avertissement fuse dans son dos. Elle fait un bond pour éviter un carrosse tiré par deux énormes chevaux, noirs comme le charbon. Leurs naseaux fument de façon incroyable. Do-Dièse est fascinée. Elle effleure du bout des doigts la muraille grisâtre. Cela parait si naturel, si réel. Elle sait qu'elle est plongée dans un bain de particules lourdes qui génère une transe singulière. Ses sens lui affirment le contraire.

Vienne. Bien sûr! Elle est à Vienne. Le soir tombe et elle se dépêche d'atteindre le faubourg de Wieden. Le théâtre n'est plus très loin. La troupe de ce gredin de Schikaneder y donne un spectacle assurément fabuleux. Do-Dièse ne peut différencier les artefacts mémoriels implémentés par le Tjukurpa de ses propres souvenirs.

Elle court assister à la représentation d'un opéra populaire écrit par cet effronté courtisan, Mozart, mais tellement pétri de talent. Les rues grouillent de tout un monde de silhouettes qui semblent vaquer à des occupations auxquelles elle n'entend rien. Elle serre ses robes autour d'elle. Ses bottines de cuir sont trop légères pour affronter le tapis de neige fondue qui envahit le trottoir, mais elle ne ressent pas le froid.

Au bout de l'avenue, elle distingue enfin le théâtre, imposant bâtiment aux lignes surchargées. Sur les larges escaliers qui conduisent à l'intérieur, se presse une petite foule compacte. Des coches et des carrosses marquent une courte halte devant l'entrée. Une rumeur se répand de proche en proche. Mozart sera présent. Oui. Il jouera même du glockenspiel. Cela promet une extraordinaire représentation. Il se fait tellement rare depuis plusieurs semaines. On dit qu'il est physiquement diminué, qu'il aurait encore grossi.

Mue par une brusque intuition, Do-Dièse fourre une main dans une profonde poche. Elle sent sous ses doigts un pli de papier. Mais elle refuse de se laisser distraire. Elle fend sans difficulté la longue file des spectateurs qui ne lui disent rien. Le Monde du Rêve permet certaines libertés avec la cohérence.

Do-Dièse s'assied au premier rang. Tout lui parait fastueux. Les lustres qui supportent des dizaines de grosses bougies projetant une lumière chaude et épaisse. La scène fermée par de lourds rideaux de velours cramoisi. L'orchestre attend. Do-Dièse ne perd pas une miette des sons des instruments qu'on accorde. Sur les pupitres sont posées les partitions retranscrites à la main. Elle étudie le placement de chaque musicien, la façon dont il tient son instrument, ce rapport qui touche à l'intime.

Tous les visages qui l'entourent sont joyeux et attentifs. La fête est imminente. L'opéra sera une nouvelle fois merveilleux. Un homme s'approche du petit clavier à l'écart de l'orchestre. Mozart. Mozart. Le nom se propage rapidement dans le théâtre. Des cous se tendent, des jumelles se braquent pour apercevoir le Maestro. Do-Dièse est captivée. Des stimuli préprogrammés éveillent dans sa mémoire des informations nécessaires. Mozart. L'homme est plaisant. Un visage assez juvénile mais aux traits tirés, fatigués. Des cernes noires creusent ses orbites. Mais ses yeux brillent d'un éclat passionné. Sa perruque est de piètre qualité, mise un peu de travers. Son pourpoint, qui devait être à l'origine taillé dans un satin bleu pâle, est élimé. Un bouton manque même à la boutonnière. Curieusement, il ne lui apparaît pas si gros que ça! Il a plutôt l'air d'un adolescent vieilli artificiellement.

CHIR-1 leur a expliqué. Le Monde du Rêve emmagasine le contenu des gigantesques banques de données précieusement conservées depuis la nuit des temps, dans tous les domaines artistiques. CHIR-1 ne leur a pas caché qu'il existait des limites et des biais à ce méta-univers virtuel. Ce n'est pas forcément la stricte réalité historique. Certains univers s'accordaient quelques licences dues à la qualité imparfaite du substrat de base. Le Tjukurpa n'est pas une machine à remonter le temps. Quand il n'existe aucune source audiovisuelle historiquement certifiée, le pool des IA extrapole à partir des documents disponibles : supports écrits, films de fiction, tableaux, statues, partitions, architecture... Le résultat est généralement le meilleur compromis possible. Les Escholiers n'ont jamais été confrontés à une contradiction flagrante quand ils cheminent dans les réalités reconstruites. CHIR-1 était un ingénieur de classe exceptionnelle et le pool des IA de parfaits contremaîtres.

Do-Dièse lève ses regards vers les loges qui surplombent le parterre et la scène. Elle n'a aucun mal à distinguer la paire de petites jumelles qui se cache dans l'ombre d'un rideau. Salieri, le rival de Mozart, est là. Do-Dièse connait son nom et son histoire sans effort, grâce à la magie du Tjukurpa. Elle devine, plus qu'elle ne voit, un visage anguleux, un regard de braise, une bouche sensuelle. La soirée sera exaltante.

Trois coups sont frappés derrière le rideau. Le spectacle va commencer. Les conversations baissent de plusieurs tons sans toutefois s'interrompre totalement. Des odeurs étonnantes flattent les narines de Do-Dièse. On mange, on boit dans la grande salle, sans vergogne, en famille. Le théâtre est une vaste pétaudière.

Et soudain, la musique emplit l'espace. L'ouverture de l'opéra. L'adagio. D'abord la musique est ample et lente. Chaque instrument est aisément identifiable. Do-Dièse n'ignore pas que l'ouverture a été écrite après que l'opéra ait été composé. Sur la scène, Tamino et Papageno prêtent serment devant une sorte de temple égyptien. Puis, le rythme de la musique s'accélère. La fugue d'une vivacité éblouissante étourdit l'assistance. La musique met de l'ordre dans le chaos. C'est bien là sa fonction. Les violons galopent et virevoltent, les flûtes, clarinettes et hautbois insèrent de longues phrases liquides. Tout est parfaitement en place. C'est un opéra populaire composé par un artiste exigeant, qui veille au moindre détail. Do-Dièse se laisse emporter par la musique. Elle n'est pas distraite par la sarabande exubérante des comédiens qui, sur scène, courent et surjouent ce conte enchanté où leurs personnages, haut en couleurs, vivent d'extravagantes aventures. Tamino épousera Pamina et ne succombera pas à la machiavélique Reine de la Nuit.

Do-Dièse écoute avec ravissement cette musique qui n'est qu'harmonie, dialogues féériques entre instruments. Elle serait capable de tout noter sur une partition. C'est tellement simple, tellement évident, tellement lumineux. Il s'en dégage cependant une très grande force vitale. Do-Dièse ferme les yeux quand la Reine de la Nuit débute son aria, à l'unisson des violons, perchée sur son nuage de carton, menaçant la pauvre Pamina d'un spectre d'argent. Sa voix est forte, juste et claire. L'explosion pyrotechnique qui ponctue la scène déclenche un tonnerre d'applaudissements. Do-Dièse surprend le malaise de Mozart qui doit s'appuyer sur la balustrade derrière lui, une main sur le coeur. Une pâleur cadavérique envahit son visage.

Mais sa Musique le soutient et il dirige sans hésitation l'orchestre et la cantatrice, quitte à puiser dans ses dernières réserves. Il s'assied ensuite devant le petit clavier qui a l'air d'un jouet pour enfant. Illustrant la supplique de Papageno qui souhaite une gentille compagne à ses côtés, il plaque quelques accords simplissimes qui pourtant bouleversent Do-Dièse.

Elle comprend que la vie quitte Mozart et que celui-ci ne veut toujours pas se résigner. Il tousse dans un mouchoir un flegme sanguinolent. Il se passe une main sur son front luisant de transpiration. Il se meurt mais sa Musique est vivante, aérienne et sublime. Il se meurt mais sa Musique lui survivra. Contrairement à ce qui se passe hors du Monde du Rêve.

La flûte enchantée est une leçon murmurée par le passé. Tamino et de Pamina échapperont à la fin au funeste destin ourdi par la Reine de la Nuit, grâce à la puissance de la Musique, leur plus fidèle alliée.

A la faveur d'un changement de décor, Mozart disparaît par une porte latérale. Do-Dièse se retourne vers les loges supérieures. Salieri n'est plus là non plus. Poussée par une nécessité qu'elle ne comprend pas, elle se lève et remonte l'allée centrale du théâtre. Elle sort dans la rue. Dans son dos, elle peut entendre l'écho de la Musique et les voix des chanteurs. Il fait nuit désormais sur Vienne. La neige tombe toujours et les passants sont rares. Elle se dirige vers le centre de la ville. Elle ne sait pas où elle va mais elle se repère sans difficulté dans l'écheveau des ruelles étroites. Les lois du Monde du Rêve s'imposent à elle, obéissant aux routines du Pool des IA.

Elle s'engouffre sous la porte cochère d'un immeuble bourgeois. Un escalier mène aux étages. Elle l'emprunte. Elle n'est plus vêtue de ses amas de tissus qui s'élargissent en corolle. Elle est engoncée dans une sorte de grand manteau aussi noir que l'Enfer. Elle? Ses bottes ferrées claquent sur la pierre tendre. Ses mains sont gantées de cuir épais. Elle sent la pression d'un masque de cuir qui lui recouvre tout le visage. Elle? Elle s'immobilise devant une porte et son poing s'écrase contre le bois. Cela résonne lugubrement. Pas de réponse. Elle répète son geste. Deux fois. Une voix inquiète s'élève alors de l'autre côté de la porte. Une voix éteinte.

"Allez-vous en! Je n'ai pas fini... je n'ai pas fini...!"

Do-Dièse frappe encore, faisant trembler le chambranle. Il suffirait de pas grand chose pour que le panneau de bois cède sous la violence du choc. Une seconde voix se fait entendre. Celle de Salieri. Elle le sait. Il aide son ami, au pied de son lit de mort. Il l'aide à terminer une commande. Sa commande. Une grand messe des Morts. Elle se souvient. C'est le thème central du parcours défini pour elle par CHIR-1. Une grand messe en souvenir des âmes des générations ensevelies dans l'oubli. Mozart lui a promis. Il a signé le contrat et a perçu une avance rondelette. Il doit lui donner ce qu'elle lui a commandé. Coûte que coûte.

La porte s'ouvre à la volée et Mozart apparaît, défait, le visage mal démaquillé, les cheveux en bataille, le teint d'un jaune maladif. Do-Dièse distingue fugitivement une autre silhouette à l'autre bout du couloir. Salieri, une plume à la main, où perle une gouttelette d'encre. Mais sur le mur derrière Mozart et face à Do-Dièse, un grand miroir renvoie l'image de l'apparition sur le palier. Une statue sombre et immense, bien trop haute pour être tout à fait naturelle, entièrement vêtue de noir, un masque sinistre sous un large tricorne de feutre noir. Un émissaire de l'Autre Monde.

Do-Dièse met une seconde à comprendre que c'est elle, cette imposante statue qui attend, une main gantée tendue vers Mozart. Une main qui attend de recevoir sa partition. Mozart tressaille, dominé par l'écrasant visiteur. Il bafouille, bredouille :

"Je n'ai pas terminé, Monseigneur! Pas encore! Il me faut plus de temps! Je n'ai écrit que l'introït. Juste l'antienne et un verset!"

"C'est trop peu! Les mots jaillissent tous seuls de la bouche de Do-Dièse. J'ai payé sans barguigner et vous êtes en retard. Je ne peux m'occuper de vous continuellement! C'est trop peu, Mozart!"

"Il me faut plus d'argent! gémit le compositeur. J'ai des frais. Ma femme, mes beaux-parents! Mes enfants. Je suis criblé de dettes... versez-moi une autre avance! Vous ne serez pas déçu. J'écris les plus belles pages de ma Musique. Pour l'amour de moi, accédez à ma requête, Monseigneur, de grâce!"

Do-Dièse ne répond pas. Mozart écarquille les yeux, paraît se recroqueviller devant elle.

"J'ai besoin de plus de temps... répète Mozart, au bord des larmes. La fièvre m'étreint et pourtant, avec Salieri, je couche sur le vélin des notes qui transporteront ceux qui écouteront ma Musique. Elle sera véritablement éternelle. Je peux vous jouer le thème sur le piano. Vous voulez bien?"

"Il n'est plus temps, Mozart. Vous n'avez pas tenu votre engagement. Il est trop tard, vraiment trop tard. Vous vous acquitterez de votre dette d'une autre façon. Je vais revenir, Mozart. Cette nuit. Plus tard. Et quand je repartirai, vous viendrez avec moi, Mozart"

La sonnerie cristalline d'un carillon retentit à cet instant. Dans une heure, le jour aura passé. Mozart ne vivra pas beaucoup plus longtemps. Un courant d'air glacial referme brutalement la porte, comme la dalle tombale scelle le trou où gît le cercueil.

Sans transition, Do-Dièse se tient sur une vaste plaine crépusculaire dont les confins se perdent dans le vague. A quelques pas, un corbillard anonyme pénètre lentement dans un cimetière, suivi par une poignée de silhouettes, dans le silence ouaté de la neige fraîche. Dans un coin, une tombe de terre noire a été ouverte. Une fosse commune. Il fait froid mais Do-Dièse n'en ressent pas la morsure. Elle entend une musique descendre du ciel. Ample, majestueuse, mêlant les accords en canon des cors de bassets et des bassons. Puis les anges entonnent un canon à leur tour, mariant voix féminines et voix masculines, douloureusement belles, douloureusement poignantes.

Do-Dièse pourrait énumérer sans une seule erreur les instruments qui interviennent dans l'adagio : les cordes et le cor, les bassons et la clarinette, les timbales et les trombones, l'orgue à la basse. Elle repère sans effort l'armure en ré mineur et les accords joués en syncope par les cordes, précédés par la basse sur les temps. Elle note sans s'y arrêter que les accords changent tous les temps sur les sept premières mesures pour terminer sur le ré mineur au début de la huitième mesure. Elle pourrait même réciter sans se tromper l'ordre des accords. Mais elle comprend soudain que la Musique ne se résume pas à cette description intellectuelle qui ne sert qu'à reproduire la beauté de l'acte de création. Il y a quelque chose de plus puissant à l'oeuvre, dans ces voix, humaines ou instrumentales, qui convoquent le passé.

Do-Dièse est sur le point de faire une découverte majeure, qui l'aidera à progresser sur son long chemin. Une clé tourne enfin dans la serrure. Elle sent poindre en elle une nouvelle sensation. Il faut qu'elle la conserve en elle, hors du Monde du Rêve. C'est chaque fois une petite victoire arrachée à l'oubli. Un petit pas de plus dans la bonne direction. La Musique de Mozart retentit toujours et les cieux se déchirent pour inonder la scène d'une lumière dorée, peu naturelle. Do-Dièse a compris. L'intervalle de temps que lui a octroyé le Tjukurpa touche à sa fin. Les ressources ne sont pas illimitées.

Do-Dièse fait un pas et traverse le miroir dans l'autre sens. L'extrême fatigue qui la submerge aussitôt lui rappelle que ces excursions dans le Monde du Rêve ne sont pas gratuites pour son organisme. En temps relatif, elle a l'impression de n'avoir été absente qu'une poignée d'heures. Dans la réalité, près de deux jours se sont écoulés. C'est déjà le début de la soirée. Elle est complètement vidée. Elle ne pourra pas tenter de nouvelle incursion dans le Tjukurpa avant plusieurs semaines, le temps que son corps évacue les toxines secrétées par les greffons. C'est le prix. Elle dispose d'un crédit temps quasi illimité. Mille ans. Ce n'est finalement pas cher payé!

Elle ressent une irrépressible envie de dormir. Le sommeil est réparateur et les systèmes sophistiqués du cocon, modifiés par CHIR-1, s'occuperont d'elle durant les semaines où elle sera inconsciente. Mais, avant de se glisser dans la chrysalide, elle veut préserver ce qu'elle a réussi à garder en mémoire. Elle prend dans un tiroir une partition vierge et trempe son stylet favori dans l'encrier. En fronçant les sourcils pour ne pas commettre d'erreur, elle dessine au début de la première portée, une clé de sol parfaitement proportionnée. Juste à côté, elle forme une dièse et termine en plaçant un 3 au-dessus d'un 4. C'est bien ça. Une mesure à trois temps. Puis elle commence à poser une à une les notes correspondant à l'air qui trotte dans sa tête.

Ses yeux se ferment malgré elle. Elle lutte pied à pied, voulant au moins terminer la première ligne de la portée. Do-Dièse ne peut aller bien plus loin et déjà l'air se dissipe dans sa mémoire. Il est temps d'aller dormir. Sur la partition, une tache d'encre ponctue les 8 premières mesures. Cela donne ça :

"si-si-si si-la-sol sol-fa dièse-mi mi-sol-si MI-MI-MI MI-RE-DO Do-si-la la-si-DO".

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-10-06 23:07:49 

 WA, exercice n°123, participationDétails
Airelle






La pièce est faiblement éclairée par la vingtaine de watts distraits d’une lampe de chevet noire à six euros cinquante. La moquette élimée et crasseuse est parsemée de cadavres de bouteilles, de cannettes vides, de cartons à pizza et de pots de yaourt plus ou moins vides et d’autant moins ou plus moisis. Une pile de vêtements sales dessine une colline odorante sur le seuil de la cabine de douche. C’est l’hiver. Il n’y a pas de mouche. Pas de chauffage non plus.
Touchant presque le lit en 140 d’où parviennent des ronflements irréguliers, une grande planche de contreplaqué mélaminé, sur deux tréteaux, est couverte de feuilles griffonnées, colorées ou non, de crayons, de pinceaux, de bouteilles d’encre et de godets de peinture. Elle semble étonnamment propre en comparaison du sol. Une lettre imprimée, Times New Roman, est jetée en travers des dessins. Elle commence par :
« Cher monsieur Lescuyer, j’ai le regret de vous informer... »
Et puis tout au bord du plateau, presque en exil, un ordinateur portable qui veille patiemment.
Le temps semble figé dans ce décor abandonné. Mais voilà qu’une petite silhouette rouge et ailée semble émerger du papier coloré. Elle est fine et svelte mais ses joues sont bien rondes, ses lèvres pulpeuses et ses longues jambes nues émergent d’un short rouge qui moule une jolie paire de fesses délicieusement musclées. Sa tunique largement décolletée découvre volontiers une épaule ; la mousseline légère ne masque pas grand-chose des seins ronds et fermes dont les tétons presque arrogants pointent sous le tissu. Les cheveux sont longs et bouclés, embroussaillés et rebelles, s’échappant comme des chardonnerets en goguette de ce qui devrait être un reste de chignon. Ah oui, les yeux sont verts. Mais leur regard n’a rien d’une eau tranquille. Il tient de l’aigle, du torrent, et du vent farceur qui emporte les chapeaux.
Elle pèse à peine plus qu’une plume et pourtant son pied chaussé de sandale rouge enfonce une touche du téléphone égaré sous les papiers, réveillant l’écran bleu pâle qui affiche le dernier message reçu :
« Lâche-moi ! »
C’est signé : « C . »
A la lumière blafarde et momentanée de l’écran, elle a le temps de lire en diagonale la lettre à l’en-tête des Editions du Manganèse.
« ... regret... ligne éditoriale... en espérant... »
Elle soupire. Les ronflements n’ont pas cessé.
« Roland ! »
Sa voix est mélodieuse mais pas bien puissante.
« ROLAND ! »
Le dormeur n’entend pas. Debout sur une épaule, elle bourre le nez vibrant de coups de pied et de coups de poing, en laissant libre cours à son humeur excédée.
« Debout, sale mec ! Egoïste, salaud, connard ! Sors du plumard, enfoiré de mes deux ! Lâcheur, judas, espèce de plouc ! Pet foireux, grosse merde... fonctionnaire ! »
L’homme lève enfin une main hagarde pour se gratter le nez, à laquelle elle n’échappe de justesse qu’en s’envolant à tire d’aile. Mais le ronflement à peine interrompu reprend de plus belle... Alors, rageuse et déterminée, elle se pose sur le cou et de toutes ses forces elle mord jusqu’au sang la narine ennemie.
« Aïe ! »
L’homme s’est dressé d’un bond, il essuie d’un revers de main le sang qui éclabousse, et voit enfin la créature furibonde et rouge dont les yeux lancent des éclairs.
« Mais que... Mais tu... Airelle ?
- Ah quand même, tu te souviens de moi !
- Mais tu... Oh la cuite ! Je rêve, j’hallucine... Tu n’existes pas !
- Je n’existe pas ? Deux ans que tu me ballottes au gré de ta fantaisie dans des aventures ridicules et inconfortables, et je n’existe pas ? T’es un gros con ou tu te fiches de moi ?
- Attends, attends... Je suis un peu fatigué, là...
- Ah ! Monsieur est un peu fatigué ! Et moi ? Depuis trois semaines, crétin, je suis enfermée dans la grotte du Géant sans manger ni boire, alors moi je ne le suis pas, peut-être, fatiguée ? »
L’homme cligne des yeux, comme ébloui par un soleil d’Austerlitz, et il sourit d’un air béat.
« Qu’est-ce que tu es belle !
- Mais bien sûr ! », vocifère une Airelle plus rouge que jamais. « Tu t’imagines pas que ça va me calmer ? »
Il s’étire dans un bâillement et remonte la couette jusqu’à son menton. Airelle frissonne.
« Il fait froid, chez toi.
- Je sais. C’est pour ça que je n’ai aucune envie de me lever. Et puis je n’ai pas d’idée, j’ai le cerveau ramolli, et puis c’est trop fatigant, j’ai pas envie...
- Alors ça, espèce de rebut de ta race ! Tu m’as mise dans la merde, et maintenant, tu vas m’en sortir ! »
Elle referme une petite main d’acier sur son annulaire ; il sourit, elle est tellement légère... Mais voilà qu’elle bat des ailes et qu’il se sent soulevé, entraîné...
« Ehhhhh... »
Sa dernière vignette se précipite vers lui comme un mur derrière un virage pris trop vite, le choc est inévitable, le choc...



Il fait sombre, il fait froid. L’odeur de moisi est désagréable. Roland éternue.
« Enfin réveillé, ton Altesse ? Allez les vers, soyez sympa, un peu de lumière ! »
D’étranges guirlandes apparaissent aux murs de la grotte. Roland se met debout, porte la main à sa tête encore bien embrumée. Puis, pour se donner contenance, il s’approche d’une paroi de pierre.
« Des vers luisants ? C’est une idée à moi, ça ?
- Et alors ? Elle te plaît pas ?
- Si, si, c’est très bien... Vais juste me faire chier avec les jaunes...
- T’es vraiment un merdeux, on te l’a jamais dit ? »
Il voudrait bien la prendre de haut... mais ils ont exactement la même taille. Ca lui apprendra à finir la bouteille de vodka. D’un autre côté, si ça réveille son imagination, il va peut-être pouvoir se remettre à dessiner...
Un petit séisme fait trembler le sol, un séisme rythmé comme des pas très lourds.
« Airelle ? Tu parles toute seule ? Tu t’es décidée à me dire ce que je veux savoir ?
- Le trésor de Grouchy, même pas dans tes rêves ! Ouvre-moi, Grotha, je suis avec l’Auteur !
- M’en fous, moi, je suis chez moi, ici.
- Mais j’ai le pouvoir de te faire disparaître », intervient Roland qui commence à suer un peu. « Je n’ai qu’à déchirer la planche...
- M’en fous ! Tu m’as créé, je fais partie du Monde... Alors planche ou pas...
- Tu as raison. J’ai eu tort de te sous-estimer. Mais... peut-être... puisque je suis là... Est-ce que quelque chose te ferait plaisir, quelque chose... que je pourrais ajouter à l’histoire ?
- Le trésor !
- Oui, bien sûr... Mais en plus... Ouvre, on pourrait discuter... J’aimerais tant profiter de la chance de te voir en chair et en os... »
Brrroum brrroum badaboum, le gros rocher roule sur le côté et va s’écraser au loin, sans doute dans une vallée verdoyante. La lumière du jour pénètre dans la grotte, en partie masquée par deux énormes colonnes vertes. Roland s’avance vers ce qui, incontestablement, est un pied. Et il réalise qu’il dépasse à peine la hauteur du gros orteil. Il lève les yeux, ébloui par le soleil, devinant quelque part dans les cieux la présence d’une tête.
« Putain de contreplongée ! », lâche-t-il admiratif. C’est vrai, il n’a dessiné Grotha en pied qu’en panoramique. Et jamais Airelle dans le même cadre. Du coup le lecteur ignore tout de l’échelle. Pas bon. Mais quand même, il a souvent représenté le géant courbant la tête comme s’il avait peur de se cogner aux bords de la vignette. De même qu’il s’est amusé à ne le cadrer que par morceaux – tête, main, pied... Tout n’est pas à jeter.
« Ah quann mêmé ! Ié mé fésé oun sangoué dé enncrrré ! » (kof kof kof...) « Ma pétité Errrellé ! Vieni, vieni, dann mes bras ! »
Une énorme femme en longue robe violette étouffe à moitié Airelle sous ses baisers profus. Roland se reproche aussitôt le terme « énorme ». En présence de Grotha, tous les autres sont petits...
« Violetta ?
- Ié vous conné, vous ?
- C’est l’Auteur », intervient Airelle.
- Ah c’est lui, eh ? Vigliacco, stronzo, figlio di... Ma qué c’é pas dé maniérrré, ça, dé lésser ma pétité Errrellé touté sélé dann ouné horrriblé grrrotté dépouis trois séméné ? » (kof kof kof...)
Et joignant le geste à la parole, elle le pourfend et le pourchasse à grands coups de son ombrelle, comme il se doit violette, alors que son visage crispé dans une quinte incoercible, prend à peu près la même couleur.
« Arrête, Violetta », s’interpose Airelle. « C’est quand même l’Auteur !
- Dites donc, les morpions, je vous signale que le patron, ici, c’est moi ! Ou dois-je vous le dire autrement ? »
Et le géant soulève lentement ses orteils du sol, l’ombre de son pied plongeant les trois minuscules protagonistes dans une obscurité menaçante.
« Ah non, ça non », hurle Roland. « Les clairs-obscurs, c’est trop galère, j’ai même pas photoshop ! Et puis de toute façon, tu es beaucoup trop grand ! »
Toute puissance de l’auteur ! Voilà que Grotha rapetisse à vue d’oeil, jusqu’à n’avoir plus qu’une taille double de celle des autres. Alors Violetta repart à l’attaque :
« Assassino ! Brigante ! Mascalzone ! Tou a osé annferrrmé ma pétité Errrellé ! » ( tout ça avec les coups d’ombrelle, bien sûr, et une nouvelle quinte de toux).
Cette fois ils sont trois à lui lancer en choeur :
« Violetta, arrête, t’es chiante ! »
La grosse dame fond en larmes.
« Ié souis pas chianté, moi, mé je l’émé, ma pétité Errrellé ! »( kof kof kof...)
- « D’accord, d’accord », concède Roland qui trouve que l’aventure tourne au très mauvais vaudeville. « On se calme, on s’assied tous ensemble dans l’herbe et on discute. Je veux bien essayer de vous rendre service, mais il faut que chacun de vous m’explique clairement quels sont ses désirs. OK ? »




Les voilà donc tous les quatre dans la position dite du « feu de camp » (sans feu).
« D’abord », commence Airelle, je voudrais bien savoir ce que je suis.
- Comment ça ?
- J’ai des ailes, mais un corps humain ; pas plus de pouvoirs qu’un caillou, donc je ne suis pas une fée. Alors, je suis quoi ?
- Tu es... une Iride.
- Et en clair ?
- Tu es une des filles d’Iris, la messagère des Dieux grecs. Ils pensaient que l’arc en ciel était la trace de son pied quand elle descendait de l’Olympe porter un message vers la terre. D’autres croyaient que c’était son écharpe, d’où l’expression poétique.
- Ah, parfait ! Monsieur étale sa confiture ! Puis-je te faire remarquer que personne n’est au courant, que je ne sais pas si j’ai des soeurs ni ce qu’est devenue ma mère (et je ne parle pas de mon père), que je ne suis la messagère de personne et que je ne sais pas ce que je fous ici, bordel !
- Mais... tu es mon héroïne ! S’il te faut une ascendance, je te la trouverai, mais on s’en fiche : tu es belle, tu es courageuse, et il t’arrive des aventures parce que tu es toujours prête à rendre service et que rien ne te fait peur... Et ça finit bien parce que... parce que... la RL est déjà assez dure...
- Sann vouloiré tiré la couetté à moi... Ié pé savoir, pour moi aussi ?
- Toi tu es la figure maternelle, tu as recueilli Airelle quand elle était petite, sans doute le jour où elle est tombée de l’Olympe... Tu es un peu trop grosse, un peu trop gourmande, un peu trop impulsive et envahissante, mais très gentille. En fait, tu étais une fée autrefois, mais tu as dû renoncer à tes pouvoirs pour sauver Airelle des griffes de Hadès qui voulait se venger d’Héra, elle-même maîtresse d’Iris. C’est en allant la chercher dans les Enfers que tu as pris froid, et c’est pour ça que tu tousses souvent. Ton nom, bien sûr, fait référence à Verdi. Et ton accent aussi...
- Buona madre... » soupire Violetta en écrasant une larme au coin de son oeil, « Si ié avé sou...Ié auré moins manndgé dé gâteaux...
- C’est prévu, c’est prévu... Je vais te redessiner... juste un peu ronde, mais pas plus... »
Et voilà l’ancienne fée qui fond à vue d’oeil, et toute heureuse de sa nouvelle apparence, se lève pour esquisser quelques pas de valse, évidemment en chantonnant : « Libiamo, libiamo ne’lieti calici che la bellezza infiora... »
- Bon, alors je vais l’avoir, ce trésor ?
- Même pas dans tes rêves, Grotha !
- La ferme, Airelle, l’Auteur, c’est lui !
- Eh bien mais... Et qu’est-ce que tu en ferais ?
- Ah... »
Grotha ferme les yeux et se met à rêver tout haut.
« Un trésor ! De l’or, de l’or à n’en plus finir... Je prendrais un tailleur sur mesure, je me ferais faire un costume trois pièces, au lieu de cet immonde pantalon retenu par une ficelle... Et puis je ferais construire un palais, avec des jardins et des fontaines, et puis... j’irais m’agenouiller devant la Dame de mes pensées, et je lui dirais : « Tout cela est à toi, si tu le veux... Violetta, veux-tu m’épouser ? »
La dénommée saute sur ses pieds en toussant de plus belle.
« Mah... »(kof kof kof) « Mah... » (kof kof kof) « Grotha ? »
Mais Roland ne lui laisse pas le temps de donner son avis.
« Non mais là c’est carrément cucul, comme histoire ! Je refuse ! C’est pas du tout vendeur ! Et en plus de ça... »
Il éclate de rire, en fait il est pris d’un fou rire dans lequel il se vautre allègrement, se roule par terre en se tapant le ventre, hoquète et pleure d’une hilarité sincère et effrénée qui fait froncer sévèrement les sourcils du géant et serrer agressivement son poing prêt à fuser...
« Ce qu’il veut dire, mon cher Grotha... », intervient Airelle, « c’est qu’il y a... comme un souci... technique...
- Airelle a raison », continue Roland qui a perçu au ton de son héroïne que ce n’était pas le moment de déconner. « En fait... le trésor de Grouchy... ce n’est pas de l’or... »
Le géant se fige, déçu mais encore très en colère.
« Ah... et alors, c’est quoi ? »
Roland et Airelle se consultent du regard. Et c’est Airelle qui raconte.
« En fait, dans une ruine du Monde d’Avant j’ai découvert un journal d’Emmanuel de Grouchy, célèbre maréchal d’Empire... Napoléon, tu connais ?
- Napo...
- Laisse tomber. Napoléon était empereur. La guerre, la gloire, des morts partout... Ca te parle ? Bref, Napoléon a perdu sa dernière bataille, Waterloo, parce que Grouchy est arrivé trop tard. Et pourquoi ? Parce qu’il mangeait des fraises. Seulement voilà... ce n’était pas des fraises ordinaires. Grouchy s’est aperçu que quand il les mangeait par le bout pointu, il rapetissait, et par l’autre bout, il grandissait. Alors il a voulu grandir, pour impressionner l’ennemi prussien. Mais quand il se remit en selle, son cheval s’écroula sous lui. Alors il revint sur ses pas, demanda d’autres fraises, mais il n’y en avait plus... Le temps d’en cueillir d’autres, de les laver... Napoléon était battu.
- Alors le trésor de Grouchy...
- Oui, Grotha. C’est des fraises. Entre les pages du journal il y avait un petit sachet de graines (d’akènes, plutôt). Je les ai semées... et j’en ai tout un parterre...
- Alors... je ne pourrai jamais dire à Violetta que je l’aime ?
- Ma tou vienn dé lé diré, imbécillé ! Et si tou mé promé dé né plou toucher à ounn chévé dé ma pétité Errrellé... Ié sé bienn qué tou n’é pas oun méchanté garçonn..
- Violetta !
- Grotha !
- Non, arrêtez, c’est trop nul... »





Le téléphone sonne. Roland se redresse. Il ne se souvient pas de s’être remis à dessiner, et pourtant il s’est endormi là, à sa table de travail, devant une vignette qui porte le mot « fin ».
« Allô ?
- Monsieur Lescuyer ? Iris Messager, directrice de publication aux éditons La Chance. J’ai bien reçu vos deux premières planches d’ « Airelle et le trésor de Grouchy ». Vous travaillez en couleur directe, c’est ça ? C’est vraiment magnifique, ce que vous faites, chaque vignette est une oeuvre d’art... Vous avez une suite ? Je serais honorée de vous rencontrer pour que nous puissions trouver un accord... Vos conditions seront les nôtres, bien entendu... Ce soir vers 17 heures, cela vous convient ? Nous sommes rue de Waterloo... Alors, à tout à l’heure... »
Roland se penche vers le scanner posé au sol, appuie sur « on ». L’appareil est toujours en panne. Il remarque au passage que son jeans est largement taché de vert. De la peinture ? Sur la dernière vignette, Airelle sourit en portant dans ses bras un grand panier de fraises. Il sursaute. Elle vient de lui faire un clin d’oeil !
« Fatigué, moi. Faut que j’me douche, que j’me rase. Mais quand même... »
Narwa Roquen, qui n'a pas non plus photoshop, sinon, ç'aurait été avec plaisir...

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-10-15 23:05:35 

 Commentaire Maedhros, exercice n°123Détails
Encore un texte ouvert sur l’infini et qui nous balade aux confins de l’espace et du temps... Si vous ne vous appelez pas z653z, chers lecteurs, je vous conseille une 2° voire une 3° lecture...
La première partie , SF pur jus, est aussi fantastique que poétique. Mention spéciale pour les vingt premières lignes qui m’ont coupé le souffle ! L’idée maîtresse, que je ne spoilerai pas, est tout à fait originale, et en même temps parfaitement cohérente. C’est la fin d’une ère, la fin d’une histoire, et les quelques survivants sont condamnés à errer pendant mille ans de solitude en cherchant les petits cailloux blancs semés par un Grand Poucet disparu, à travers une technologie époustouflante.
La deuxième partie semble être la suite de la première, en tout cas un focus sur une des survivantes dont le nom même suggère que la musique est le chemin qu’elle doit suivre. Avec un aplomb effronté, voilà que tu nous parachutes dans le Vienne du 18 ° siècle – si, si, culotté ! Bien écrit, bien décrit, sympathique... mais gonflé ! Et puis l’hypothèse de Milos Forman m’allait bien, à moi : le gentil Mozart, le méchant Salieri... Voilà que tu y substitues une théorie !!! c’est à peu près le seul adjectif qui me vienne : !!! Lecteurs, ceci est un avertissement : un texte de Maedhros se lit assis, et sans rien manger ni boire. Sinon vous pourriez bien tomber à la renverse ou vous étrangler de surprise devant l’imagination iconoclaste et néanmoins musicale de ce vagabond intergalactique et qui plus est impénitent.
Aucune des deux consignes n’a été respectée. Une prochaine fois, peut-être ?


Bricoles :
- ... les hommes rentrèrent... un voyage sans retour : même si pour la plupart il fut sans retour, la presque juxtaposition des deux termes contradictoires me gêne un peu
- L’Espace demeurait silencieux ... les hommes demeuraient seuls
- Pures et fraiches : fraîches
- Leur existence était quasiment éternelle mais ils se contentèrent : se contentaient ( verbe d’état, comme « était »)
- On peut discuter sur « ils ne désirèrent plus rien » : je dirais : « petit à petit, ils cessèrent de désirer » ( la notion de temps introduit le passé simple), ou « désiraient » (état)
- ils quittaient la scène : Ils
- il sut qu’elle était sa véritable mission : ou « quelle » ?
- quoique la cause en était différente : en fût
- il forma quelques disciples qu’il choisit... qu’il conduisit... : et les conduisit
- à quoi sert le solfège et les accords : servent
- comme masqués par un rideau de brume, des étendues : masquées
- C’est ni beau ni laid : ce n’est
- Elle remarque aussitôt que certaines étaient masquées : sont ou ont été ( texte au présent)
- La caresse ... sur sa peau nue : son vêtement a des manches longues : jambes nues ? visage ?
- Celui qu’elle connait : connaît
- CHIR 1 aurait heureux : été
- Cela parait si naturel :paraît
- Certains univers s’accordaient quelques licences : s’accordent
- Do-Dièse se laisse emportée : emporter
- Il se passe une main sur son front : ou bien : « il passe une main sur son front » ou bien « il se passe une main sur le front »
- La flûte enchantée est une leçon : j’aurais mis des majuscules et / ou des guillemets
- Tamino et de Pamina : faute de frappe
- Ces excursions dans le Monde du Rêve... de nouvelle incursion : ce ne sont pas tout à fait des synonymes
- Par ailleurs, sur le plan historique, tu fais dire à Mozart : « J’ai des frais. Ma femme, mes beaux-parents ! » Franz Fridolin Weber, le père de Constance, est mort en 1799, soit trois ans avant le mariage de sa fille...


Encore une histoire ébouriffante ! Merci de nous avoir donné l’occasion de réécouter Mozart, et peut-être d’avoir donné envie aux plus jeunes de découvrir cet incroyable génie.
Narwa Roquen, lente mais pas oublieuse

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-10-20 19:51:01 

 In questo paradiso ne scopra il nuovo dì!Détails
Pour répondre à la consigne, tu as convoqué une belle assemblée de figures emblématiques des contes de fées, de la mythologie grecque, en passant par le chef-d’oeuvre de Verdi et en revisitant l’une des plus belles pages de la philosophie platonicienne. Qu’est-ce donc que la réalité ? Ne sommes-nous pas tous des habitants de la caverne ?

Le brave mais pusillanime dessinateur qui a laissé choir ses personnages en fera gentiment les frais. Menés par une Fée Clochette inspirée, dont les traits lorgnent sans vergogne du côté des belles de Tex Avery (ouaf, les yeux du loup !), ses créatures vont mener la fronde tambour battant pour ranimer la flamme créatrice de leur géniteur.

Les noms sont bien tournés, avec une mention toute particulière pour Grotha. Le contre-emploi du personnage de Violetta est également savoureux. Cela te permet de répondre à la consigne en matière d’accent. Tu dépeins une truculente bande dessinée, avec quelques détails sur la condition du dessinateur (bien vu les contraintes d’échelle dans les vignettes, très graphique !). Le trésor de Grouchy est finalement très surfait. Il ne faudra pas omettre un bon nappage de crème chantilly ou une averse abondante de sucre, pour donner plus de liant.

Et puis, il m'a semblé que la jolie Airelle avait certains points communs avec la directrice de publication des éditions bien nommées! Non?

Au total un récit enlevé, avec plein de bulles pétillantes qui rappellent celles qui dansent dans le champagne. Alors, comme Alfred, buvons dans ces joyeuses coupes que la beauté fleurit et que l'heure fugitive s'enivre de volupté !

M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2014-06-13 17:06:40 

 Commentaire WA 123 : NarwaDétails
Re les copains ! L'école est finie et me re-voilà !
Alors, hop, on rattaque en douceur par quelques critiques !



C'est une histoire simple, que tu nous livres là, avec un happy end. Elle parait curieusement d'actualité vues les difficultés rencontrées de nos jours par les auteurs de BD. Je lisais encore avant-hier dans la blogosphère que deux auteurs de BD (Maïorana qui fait Garulfo et Bonifay qui fait La compagnie des glaces) venaient d'arrêter leur carrière pour ne pas mourir de faim...
Tu poses en quelques lignes l'ambiance de déchéance et de pauvreté de ton auteur de BD.
Certaines précisions m'ont interloquée, comme la mention de la police de la lettre.
J'aime bien "vent farceur qui emporte les chapeaux".
L'auteur accepte plutôt vite l'idée que sa création s'est matérialisée, ai-je trouvé, et encore plus vite le fait d'avoir été transporté dans sa BD.
J'aime bien les remarques portant sur la technique du dessin, le clair-obscur, la contre-plongée...
La consigne est respectée avec cet auteur véritablement face à son oeuvre et l'accent de Violetta. Qui est lisible en restant exotique.

Est', de retour pour vous jouer un mauvais tour.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2014-06-20 17:09:52 

 Commentaire WA 123 : MaedhrosDétails
Joli titre et parfaitement approprié.
Ton style est comme d'habitude sûr, efficace et élégant, avec ses floraisons d'adjectifs baroques.
Le pilote du vaisseau m'a rappelé les navigateurs de la Guilde dans Dune.
L'idée que la Terre ait pu se régénérer durant l'absence des hommes est plaisante.
Do-Dièse, quel curieux nom... J'imagine que sa mission particulière est de comprendre la musique.
L'idée de posséder le savoir sans la créativité, sans la sensibilité est intéressante.
Un petit côté Alice au pays des merveilles, le fait de devoir traverser un miroir pour aller dans le pays des rêves.
Bien pratique cette machine à visiter virtuellement le passé ! J'aimerais bien en avoir une !
Je n'ai pas compris ce qu'était le papier dans sa poche.
Tiens j'ai appris un mot ! "pétaudière"
Je n'ai pas très bien compris le déroulement des évènements après le spectacle. Sans doute me manque-t-il des connaissances. Mais j'ai tout de même remarqué les libertés que tu prends avec Salieri ! (^-^)

Trucs et bidules :
"L'espoir quitta peu à peu leurs coeurs et l'amertume remplaça peu à peu l'espoir." : le remplaça ?
"Les Hommes avaient enfanté les Dieux." : répétition de dieux
"Leur existence était quasiment éternelle mais ils se contentèrent de répéter chaque jour" : contentaient
"Il aurait pu transformer la Terre en un merveilleux paradis mais ils errèrent" : ils auraient pu
"Ils n'espéraient rien, étant revenus de tout." : revenu de tout fait un peu familier, je trouve
"Ils affrontèrent les monstres du chaos extérieur" : ils avaient affronté, puisque ce que tu évoques est déjà passé au moment de la fondation de la ville
"Il était cependant, comme eux, affligé de la même impuissance, quoique la cause en était différente." : en fut différente, à mon avis
"Doté d'angles droits, c'est ni beau, ni laid" : : ce n'est ni beau ni laid
"Elle remarque aussitôt que certaines étaient masquées." : sont
"Tous leurs sens seraient amplifiés" : sont
"Certains univers s'accordaient quelques licences" : s'accordent

Au final, un texte énigmatique mais agréable à lire, sur lequel plane une musique majestueuse.
Je n'ai pas trouvé franchement d'auteur face à son oeuvre et encore moins de personnage avec un accent mais, étant donné mon propre respect des consignes, je ne serai pas celle qui te jettera le caillou ! (^_^)

Est', qui attend le week end.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2015-06-18 11:07:49 

 WA 123 : participationDétails
Un petit texte sans prétention pour me remettre en jambes, inspiré par celui de Narwa sur le même sujet. Et en plus, il passe le Bechdel test !


Idées noires





Tu fermes le robinet, essores tes cheveux et réprimes un couinement lorsque l’air plus frais de la salle de bain s’engouffre dans la cabine de douche. Tu descends sur le moelleux tapis vert d'eau et attrapes la serviette que te tend obligeamment la patère en forme de canard. La lassitude de cette journée passée à corriger les bugs d'un programme particulièrement tortueux s'est un peu estompée. Tu jettes un coup d’oeil à ton image, embrumée par la buée sur le miroir -silhouette potelée, couverte de tatouages flashy-, et te saisis du sèche-cheveux. Ta chevelure turquoise s'ébouriffe sous l'assaut de l'air chaud. Voilà, ça ira; pas besoin d'un brushing impeccable pour aller à la chasse !

Dans la salle de bain, flotte un parfum sucré de gel douche. Une minuscule bulle de savon se pose sur ton bras et explose en un scintillement irisé. Tu vas jusqu'à la chambre en tenue d'Eve. Par la fenêtre entrouverte, te parvient le bourdonnement lointain du périphérique, semblable au chant d’une cigale titanesque. Un t-shirt Totoro, un jean troué, des baskets, quelques barrettes fluo : te voilà parée. La nuit s'annonce chaude et moite : tu reprendras probablement une douche en rentrant.

Tu traverses l'appartement en évitant les objets répandus sur la moquette, boites de crayons de couleur, livres, peluches, papiers de bonbons... Tu jettes un coup d’oeil à l’ordinateur portable qui calcule un rendu 3D. En passant près de la table basse, tu claques des doigts pour réveiller le ventilateur qui s'est assoupi. Il remue ses larges oreilles jaunes et se remet à tourner paresseusement. Tu te laisses tomber sur le canapé pour lacer tes chaussures. Ton regard traine sur les étagères bourrées à craquer de mangas, de robots transformables et de figurines kawaii. Tu aimes vivre entourée d'un désordre coloré, ça te rassure. Une maison trop bien rangée est une maison morte !

Tu mets à chauffer de l'eau dans la kitchenette et pendant ce temps, tu entasses des affaires dans un sac à dos. Tu soupires; cela fait quatre nuits que tu le cherches et tu commences à perdre espoir de l'attraper. Et s'il a vraiment fait du mal à quelqu’un cette fois-ci, que feras-tu ? Tu jettes les nouilles et les sachets d'aromates dans l'eau bouillante et tu appuies sur le bouton du minuteur en forme de panda. Il te sourit avant de reporter son attention sur le bol. Tu t'assois en tailleur sur la moquette et tu passes la main dans tes cheveux. Peut-être était-ce une erreur de les éveiller... Peut-être n’aurais-tu jamais dû le faire ?

Sidonie traverse la pièce dans ta direction. En trottinant, elle marche sur une de ses longues oreilles, fait un rouler bouler et se relève en gloussant. Tu pouffes. Même quand tu es triste ou grognon, Sidonie parvient toujours à te faire sourire. Comment pourrais-tu regretter de l'avoir créée ? Le petit lapin te rejoint et te tend les bras. Ses traits en dessin animé et sa couleur rose tendre tranchent avec le reste. Elle est pourtant aussi tangible que n’importe quoi dans l’appartement. Tu la soulèves et tu caresses sa fourrure douce et tiède. Tu lui as fait un nez en forme de coeur et d'adorables grands yeux bleus. Sidonie est l'un des premiers dessins que tu as éveillé, juste après que Tony t'a appris. Et si tu avais eu tord ? Et si créer la vie était dangereux, irresponsable ? Tu plonges ton regard dans celui du lapin qui hausse les sourcils et lance un « Zigou ? » interrogatif.

Une odeur d'algues, chaude et salée, envahit la pièce, interrompant tes réflexions, et le minuteur-panda siffle et agite les bras pour attirer ton attention. Tu lui tapotes la tête pour le remercier et emportes les nouilles. Tu déposes Sidonie à côté de toi sur la table basse et commences à ingurgiter la soupe épicée. Le ventilateur s'est de nouveau assoupi et il ronronne doucement. Tu n'as pas osé appeler Tony pour lui dire ce que tu as fait. Tu as eu honte, sans doute. Tu ne voulais pas qu'il voit ce qui est sorti de toi. Tu préférais régler ça toute seule. Cette nuit, ce sera la bonne, il le faut.

Pratiquement personne n’est au courant de ton étrange pouvoir. Seulement Tony et madame Rodriguez. Il faut dire que tu n'as pas beaucoup d'amis. Les humains, c'est compliqué. Compliqué à comprendre, compliqué à prévoir, bien plus que les ordinateurs. Tu as l’impression qu’ils vivent tous dans un monde légèrement différent du tien. Tu as bien pensé à en parler à ta famille mais tu ne te voyais pas trop leur dire entre l’apéro et le plat principal : « Vous savez quoi ? Je peux rendre réels les trucs que je dessine. » Ca fait des années que la plupart d’entre eux te prend pour une folle sans aucune raison ; ça te contrarierait vraiment de leur en fournir une maintenant.

Tes baguettes de bambou plongent et tournent dans le bouillon, jouant avec les nouilles tandis que tu revois Tony lors de votre première rencontre, il y a un an. Les tresses dans ses cheveux longs, le parfum de patchouli, la tunique dont il tripotait anxieusement les franges pendant que tu tentais l’opération de la dernière chance sur son ordinateur. Tu l’avais rencontré sur un forum de dessin. Sa bécane était pleine de virus et il criait au secours. Comme il habitait la région parisienne, tu y étais allée. Ce n’était pas dans tes habitudes de débarquer chez des inconnus mais sa détresse t’avait émue. Cinq ans de dessins numériques et, bien sûr, il n’avait aucune sauvegarde de ses données.

Pendant que tu bidouillais, il te regardait avec l’angoisse d’un parent dont le proche subit une opération à coeur ouvert. Il se tordait les mains, tournait en rond, répétant en boucle « Quel con, mais quel con... ». Les dieux de l’informatique étaient à tes côtés ce jour-là et tu avais pu sauver les oeuvres de Tony. Pour te remercier, il avait tenu à te faire un cadeau spécial. Il avait imprimé un de ces papillons ultra-réalistes qu’il créait avec sa tablette graphique et l’avait posé sur la table en silence. Puis, il s’était concentré pendant un moment. Il ne semblait même plus cligner des paupières. Tu regardais le papillon sans oser dire un mot et il y avait quelque chose de mystique dans la scène, sans que tu saches dire pourquoi. L’insecte était magnifique, éclatant de détails et de riches couleurs, dessiné avec une exactitude naturaliste à l’exception du choix du motif de ses ailes : des roses rouges stylisées. Tu l’observais en te demandant si tu atteindrais un jour un tel niveau artistique et puis, soudain, le papillon avait battu des ailes, avait décollé de la feuille et s’était envolé dans le studio.

Tony s’était laissé tomber sur une chaise. Il semblait épuisé mais il souriait. Toi, tu regardais bêtement la feuille blanche et le papillon et de nouveau la feuille, incapable de saisir ce qui venait de se passer. Tu avais tendu la main et, comme par magie, l’insecte était venu se poser dessus. Tu pouvais encore apercevoir la légère texture du pinceau numérique sur lui mais il était indubitablement devenu vivant. Incroyable. Inconcevable. Le silence avait duré longtemps avant que Tony ne prenne la parole de sa voix douce et basse. Il t’avait appris son secret, l’art de donner le souffle vital.

Tu termines les nouilles à présent froides. Cette nuit, ce sera la bonne sinon tu iras lui demander son aide. Fini les dérobades et pudeurs mal placées. Tu ne peux pas laisser cette chose en liberté plus longtemps. Tu en as la responsabilité. Tu ramasses le sac à dos et tu te mets en route. Quand tu refermes la porte, Sidonie te fait un clin d’oeil.

Tu descends rapidement l’escalier et, quand tu arrives au second, tu aperçois madame Rodriguez qui sort de l’ascenseur avec son irritant petit chien. Elle hausse les sourcils :
- Tu sorrrs encorre ce soirrr, ma petite ?
Dans sa bouche, les r roulent comme si elle suçait des cailloux. Elle se penche vers toi :
- Tu sais que le quarrtier n’est pas sûrr quand il est tarrrd...
L’instinct maternel de madame Rodriguez est suffisamment vaste pour accueillir tout le quartier. Elle est un peu ta grand-mère d’adoption. Comme toujours, elle est pomponnée : boucles impeccable sur ses cheveux argentés au léger reflet mauve, effluves d’eau de Cologne. A ses poignets, une quantité de bracelets multicolores en caoutchouc, cadeau de ses petits enfants, jure avec son tailleur crème. Tu tentes de prendre un ton léger :
- Ne t’inquiète pas, j’ai de quoi me défendre.
Tu tâtes tes poches que gonflent un tazer et une bombe anti-agression. Depuis deux semaines, ils sont devenus tes meilleurs amis. La vieille dame te lance un regard inquiet. Tu changes de sujet :
- Pas de souci avec tes fleurs ?
- Oh non ! C’est un vérrritable enchantement ! C’est si gentil à toi de me les avoirr données. Je me sens moins seule depuis qu’elles sont là.
Elle sourit et ses joues se colorent de rose. Tu as éveillé pour elle trois fleurs cartoon en pot, qui chantent du scat et boivent de la limonade. Tu lui fais confiance pour les cacher quand elle reçoit des visites. A tes pieds, le yorkshire agite son palmier de poils rêches. Il lâche un borborygme furieux et tire sur sa laisse en direction de son domicile. Il est sans doute en train de rater Questions pour un champion. Tu traverses le palier :
- Je dois y aller. Bonne soirée, Dolores !
- Bonne soirrée, Sarrrah, sois prrudente.

La chaleur de la rue t’enveloppe comme un peignoir humide quand tu passes la porte de l’immeuble. Tu hésites : par où commencer ? Par le square à deux pâtés de maisons de là, où un « monstre » a effrayé des enfants ? Par la grande rue où toutes les voitures ont eu les pneus crevés ? Comment savoir si c’est lui ? Tu en es réduite à te fier à ton intuition. Tu te concentres et essaies de le sentir. C’est ta créature, tu dois avoir une sorte de lien avec lui. Finalement, tu te mets en route au hasard, avec en prime un début de mal de tête. Tu écoutes les bruits du soir : les échos distants d’une fête qui commence, le chant mélancolique d’un matou. Des tags gris défilent sur des murs gris. A un coin de rue, un zonard te propose une bouffée d’un joint au puissant fumet d’herbe grillée ; tu déclines poliment, l’estomac noué. Même s’il a l’air paisible, c’est un homme et dans chaque homme se cache un prédateur. Tu t’arrêtes un instant dans le halo d’un lampadaire pour cocher les quartiers que tu as faits puis tu repars. La nuit est tombée à présent.

Tes pensées planent au dessus de la ville, focalisées sur la créature, ta créature. Tu veux croire qu’il ne fera de mal à personne ; après tout, il est issu de toi. Mais mieux vaut ne pas courir le risque. Ce que l’on crée, on y met forcément du sien, de son inconscient, mais tu étais dans un sale état d’esprit ce jour-là. Tes pensées étaient une boue infâme, noire et gluante comme du goudron. Ta foi en l'humanité, tes espoirs féministes achevaient d’y sombrer. Tu rentrais du travail ce soir-là, tu avais eu une journée de merde. Tu étais fatiguée, pas aussi vigilante que d’habitude. Il avait suffi d’un instant pour qu’il t’attire contre lui et que sa main s’insinue sous ta jupe, jusque dans ton slip. A travers le tissu de son pantalon, tu pouvais sentir son érection. Tu l'avais repoussé, horrifiée, terrifiée. Tu appelais au secours mais personne n'avait répondu; tout le monde s'en fichait. Au commissariat, l'agent t'avait regardé d'un oeil torve et t'avait dit de t’habiller moins court à l'avenir. Le retour avait été interminable. Tu frissonnais, tu jetais des regards partout, t'attendant à ce que les hommes se jettent sur toi comme des requins.

Tu avais passé une heure sous la douche ce soir-là mais l'eau, aussi chaude soit-elle, ne pouvait laver la souillure. Souillure de ce corps, de cette main, la main du monstre en habit d'humain. Souillure de l'agent qui transformait les victimes en coupables, souillure de ce monde où les femmes étaient juste des objets sexuels en libre service. La nausée ne t'avait pas lâchée pendant deux jours. Tu t'étais dit que dessiner te ferait du bien. Tu avais jeté sur le papier tout ton dégoût, ta colère, ta haine. Puis tu avais contemplé ton oeuvre, une chose immonde, sombre et contrefaite. Tes idées noires. Le lendemain, la feuille était vide et la fenêtre du salon battait au vent, sortie de ses gonds.

La chair de poule te couvre les bras. Tu revois le métro, son expression quand tu l'as repoussé : pure concupiscence, même pas de culpabilité. Les larmes te montent aux yeux ; tu ne dois pas penser à ça. Tu forces le pas, tu te concentres sur la traque. Tu fais le tour des pâtés de maison, écoutant chaque son, fouillant chaque ombre. Soudain, le bruit d’un pot de fleurs qui se brise, pas très loin. Tu fonces. Tes baskets sont presque silencieuses sur le bitume. Tu ralentis avant de tourner le coin d’un bâtiment. Tu as dessiné un prédateur : il doit avoir des sens aiguisés. Tu poses les mains sur le mur, tu passes la tête de l’autre côté du coin et là, tu le vois.

Dans la pénombre de l’impasse, il ressemble à une tâche d’encre, plus griffonné que tracé. Il n’est pas plus gros qu’un chien mais ses dents jettent un éclat inquiétant. Il fouille une poubelle et émet un grognement sourd et chuintant. Tu l’observes un moment avec perplexité ; tu as peine à croire qu’une chose aussi glauque et sombre ait pu sortir de ton crayon. Tu fais toujours très attention aux dessins que tu éveilles ; jamais tu ne l’aurais fait volontairement sur une telle horreur. Il faut que tu la mettes hors d’état de nuire. Tu sors la couverture de ton sac et tu t’approches avec mille précautions ; tu n’auras qu’une seule chance. Plus tu avances, plus tu peux sentir son odeur acide et musquée, comme du pipi de chat. Encore vingt mètres... encore dix... encore cinq... il lève la tête et le fouillis de tentacules au dessus de sa gueule s’agite follement. Ses yeux, disséminés un peu partout sur son corps, s’étrécissent. Il lâche l’ordure qu’il tenait entre ses crocs et rampe à reculons vers le fond de l’impasse. Tu déplies la couverture, tu prends une grande inspiration et tu te jettes sur lui.

Tu roules au sol avec lui dans une confusion de bras, de jambes et de pattes. Tu reçois un coup violent à l’estomac et tu atterris durement contre le mur. La créature s’enfuit vers la grande rue, ses griffes raclant l’asphalte : tu l’as loupée. Tu te relèves lentement en contrôlant que tu n’as rien de cassé puis, tu vas ramasser la couverture abandonnée quelques mètres plus loin. Il va falloir changer de technique. Tu sors ton calepin et tes feutres et tu ébauches grossièrement une côtelette stylisée, rose et rondouillarde. Tu ne lui fais ni yeux ni bouche ; elle ne sera qu’un objet. Tu ajoutes quelques vagues au dessus pour suggérer un fumet appétissant et tu commences à te concentrer. Tu fixes le dessin sans ciller, comme Tony t’a montré. Il t’a dit que tout se jouait au niveau des sourcils. Les tiens se froncent tandis que la côtelette se grave au fer rouge sur ta rétine. Tout à coup, avec le bruit d’une bulle de savon qui éclate, elle se gonfle et se décolle de la feuille. Et voilà ! Tu t’en saisis et tu te remets en chasse.

Tu vagabondes entre les barres d’immeuble en agitant la côtelette. Il ne doit pas être loin mais peut-il sentir la viande par-dessus les relents de gasoil et de friture du quartier ? A la limite de ton champ de ton vision, une forme floue disparaît sous un porche. Tu démarres en trombe et tu t’engouffres dans une cage d’escalier. Tu gravis les marches quatre à quatre. Les murs de béton nu te renvoient les échos des grognements de ta proie. Ses griffes ont laissé des écorchures sur le sol. Quand tu arrives au sommet du bâtiment, tu halètes et le sang bourdonne dans tes tempes. Tu pousses une porte de fer et débouches sur le toit couvert de gravier. La créature est là, à un mètre du bord. Elle se détache en ombre chinoise sur la luminosité vague et violacée de la nuit citadine.

Tu lui tends la côtelette en espérant qu’elle est suffisamment affamée. La bête recule en grondant, ses multiples yeux te lançant des éclats sauvages. Arrivée sur la corniche, elle continue sa reptation au dessus du vide, avançant littéralement sur l’air. Tu la regardes violer les lois de la physique, fascinée. Un an n’a pas été suffisant pour que tu t’habitues à ce phénomène : tant que la créature ne regardera pas en bas, elle pourra continuer à marcher sur le vide en toute impunité. C’est la loi des toons. Tu jures. Elle a atteint le sommet d’un autre immeuble à présent, elle va t’échapper. Impulsivement, tu cours vers le bord et tu jettes la côtelette sur le toit d’en face. Elle s’écrase avec un bruit mouillé. Le monstre lâche un couinement apeuré et fait un bond en arrière, prêt à s’enfuir. Puis, il hésite, hume l’air et se jette voracement sur la viande.

Tu as cinq minutes pour trouver une astuce. Ce qu’il te faudrait, c’est une sorte de fusil à seringues hypodermiques mais tu n’as jamais dessiné ce genre de choses. Tu restes un moment perplexe au dessus du calepin puis tu te mets à griffonner furieusement. Tu prends quelques secondes pour ajouter un peu de couleur et une onomatopée, avant de te concentrer avec plus d’intensité que tu ne l’as jamais fait. Une migraine commence à pulser sous ton crâne. Ton dessin se détache du calepin avec son « pop » habituel. C’est une grosse mouche bleue avec des yeux qui louchent et une basket à chaque patte. Elle te regarde avec un sourire qui semble te remercier de lui avoir donné vie, avant de déplier ses ailes. Tu lui désignes sa cible du doigt et elle décolle en zonzonant. Elle traverse l’espace entre les immeubles en zigzagant et s’approche du monstre qui déchire la côtelette de ses crocs. Il est tellement absorbé par son festin qu’il ne remarque pas l’insecte qui se pose sur lui et le pique. Il bondit, il donne des ruades, il rugit. Des filets de bave jaillissent de sa gueule et, finalement, il s’effondre en ronflant.

Tu sautes sur place en battant des mains : tu l’as eu, enfin ! Tu dévales l’escalier de l’immeuble et tu gravis les marches de celui d’en face. Tu t’approches précautionneusement de ta créature mais, rien à craindre, elle est profondément assoupie. Tu siffles la mouche tsé-tsé qui se pose sur ton épaule et tu la gratifies d’une caresse ; elle a bien travaillé. Pas question de la laisser dans la nature, cependant : un pensionnaire de plus dans ton appartement. Tu t’accroupis à côté de la bête. De près, elle est encore plus hideuse, imbroglio de traits et de hachures noirs, toute de crocs et de griffes. Ses tentacules buccaux s’agitent mollement et elle répand une odeur ammoniaquée. Tu attrapes ta plus grosse gomme et tu poses l’autre main sur les écailles rêches. C’est tiède et tu peux sentir, quelque part sous la peau sombre, un coeur dessiné qui bat.

Tu hésites. C’est une vie que tu t’apprêtes à effacer, une vie que tu as créée. Tu l’observes plus attentivement. Il n’est peut-être pas vraiment méchant... Et puis, est-ce que le fait de l’avoir créé te donne le droit de le détruire ? Ton geste s’est arrêté. La gomme et le destin du monstre sont suspendus. Il gémit dans son sommeil narcotique et sa patte tressaute. Tu ne peux pas faire ça. Ton bras retombe et tu laisses échapper un soupir que tu n’avais même pas conscience de retenir. Bon, comment vas-tu bien pouvoir l’apprivoiser ?

Estellanara, en retard mais vraiment.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2015-07-20 19:21:44 

 gestalt-thérapieDétails
Idées noires...

D'abord, cela m'a remis en mémoire une bande dessinée culte signée Franquin, le père de Gaston, horriblement gaie ou joyeusement déprimante. Cela tombe bien, puisqu'une partie de ton histoire puise dans la bande dessinée.

Ensuite, la narration à la deuxième personne du singulier est habile. Elle place le lecteur dans la peau du héros (là, de l'héroïne). Le lecteur, qu'il le veuille ou non, fait siennes les réactions du héros. Et cela instaure aussi une sorte de dialogue feutré avec celui qui a écrit l'histoire. A bien y réfléchir, cela fait un petit moment que je n'ai pas eu recours à ce style de narration...

Ensuite, l'intrigue elle-même. Le pouvoir que transmet Tony à Sarah est extraordinaire ! Dans cette histoire, il y a quelque chose d'Inception, où l'esprit crée un monde, et quelque chose de Space Jam, qui mélange cartoons et réalité. Et puis quelque chose de ces vieux films d'animation russes qui opposaient au rouleau compresseur des dessins animés américains, une douce poésie slave, lunaire et fragile (comme un peu l'école italienne aussi !). Ce que j'apprécie dans cette histoire, c'est son côté pudique. Tu ne dévoiles que l'indispensable mais autour, tu brodes une dentelle de petits détails de la vie quotidienne qui donne à l'ensemble une langueur et une lenteur particulières.

Il y a peu de personnages aussi. A peine une poignée. Sarah, Tony, Dolorès, l'inconnu dans le métro, le policier. Ils sont tous bien campés, avec juste la distance nécessaire. Peut-être abusivement, j'ai cru reconnaître dans ce récit des éléments assez proches de la gestalt-thérapie ! Faut-il voir un parallèle avec la Sarah biblique, qui a été mère également de façon miraculeuse ? En effet, ta Sarah est plus proche des machines que des hommes, sans doute traumatisée par l'agression dont elle a été victime. Ce n'est pas Sarah Connor (joke : je viens de voir le dernier Terminator !). Mais cette agression, qui fait écho à un triste fait de société qui semble prendre de l'ampleur, conduira Sarah à concevoir la créature de ses ténèbres. Il y a enfin, une approche très originale du rapport créateur-créature, que tu places au-delà du bien et du mal, ou du beau et du laid. La fin est toute en nuance.

En tous cas, la progression est fluide et le style convient parfaitement à l'ambiance. Il y a de belles expressions :
- bourdonnement lointain du périphérique, semblable au chant d’une cigale titanesque.
- il ressemble à une tâche d’encre, plus griffonné que tracé.
- La gomme et le destin du monstre sont suspendus (cela me dit quelque chose, ça, non ?)

Au rayon des bricoles :
- Sidonie est l'un des premiers dessins que tu as éveillé : éveillés
- Et si tu avais eu tord ? ...tort ?
- Ca fait des années que la plupart d’entre eux te prend : te prennent (source : Larousse)
- boucles impeccable sur ses cheveux argentés : impeccables
- au dessus : au-dessus.

Au final, un texte preaant et habile, surréaliste plutôt que fantastique, sombre mais avec un espoir à la fin. Bravo.

M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2015-07-21 20:44:52 

 Merci pour ta lecture !Détails
Hé ! Merci pour ta lecture !!
Mais ce n'est pas une coïncidence. Ma nouvelle tire en effet son titre de cette BD. Je suis absolument fan de Franquin et ce volume est mon préféré. Et, sachant tous les petits monstres affreux qu'il a griffonnés, cela me paraissait approprié.
Pour la narration, j'ai vu le procédé dans une nouvelle de Gaborit et je voulais l'essayer. C'est bien fun quoique un peu déroutant.
J'ai pensé à Roger Rabbit en écrivant les bestioles cartoon.
J'avoue ne rien y connaitre en gestalt-thérapie. Je vais me renseigner. De même, mes connaissances de la Bible sont minimes. Les ressemblances sont donc fortuites.
Rarg ! Trop tard pour éditer mon texte et retirer les fautes que tu me signales !!
Merci beaucoup ! Ravie que tu aimes !

Est', qui déménage au sens propre

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2015-08-11 17:26:54 

 Commentaire Estellanara, exercice n°123Détails
C’est une histoire fantastique où se côtoient l’ombre et la lumière. L’idée centrale de la création de la vie est alléchante et qui plus est tu t’en sers très bien ; de fantasme ludique, la création échappe à sa créatrice puis redevient une arme pour juguler le monstre. L’intrigue est bien ficelée et se déroule avec fluidité d’un rebondissement à l’autre ( jolie, la loi des toons, et astucieuse, la mouche !)
Mais ce que j’ai préféré, c’est ta manière de présenter les choses, art sans lequel il n’est pas de véritable auteur. Rares sont les textes écrits à la 2° personne, et cela interpelle toujours le lecteur d’emblée.
Ensuite, la présentation de l’héroïne dans son environnement est menée avec délicatesse pour aiguiser la curiosité. A la « chevelure turquoise » on émet l’hypothèse, mais il faudra attendre la fin du 3° paragraphe pour qu’un participe passé nous donne confirmation : c’est bien une fille !
La naissance du papillon est un moment fort, décrit sans fioritures mais tout à fait efficace. Le récit du dépannage informatique fera sûrement sourire ( avec un vieux reste de frisson d’angoisse) tous ceux qui ont vécu cette situation douloureuse !
Le moment de la présentation du monstre est bien choisi : dans l’inquiétude de la nuit, au coeur d’une ville possiblement hostile, les souvenirs pénibles sont convoqués facilement.
La fin semble ouverte, mais elle est surtout extrêmement symbolique : apprivoiser son propre côté obscur mène à la sagesse...

Bricoles :
- La salle de bain : ou salle de bains, les deux s’écrivent
- Et si tu avais eu tord : tort
- Boucles impeccable : impeccables
- La fenêtre du salon battait au vent, sortie de ses gonds : comment est-ce possible ? C’est autour de ses gonds que la fenêtre pivote en s’ouvrant, non ?

C’est un très joli texte, bien pensé, bien raconté, bien écrit, et qui donne matière à réflexion. En particulier, il est intéressant de comparer l’attitude de ton héroïne face aux hommes en général, faite de peur et de dégoût, et celle qu’elle manifeste à l’égard de « son » monstre : aucune peur, de la détermination, et pour finir presque de la tendresse. Sarah a-t-elle évolué pendant cette histoire ? Ou bien est-il plus facile d’être indulgent vis-à-vis de son propre côté obscur que face à celui d’autrui ? Et puis, est-ce que le fait de maîtriser et d’apprivoiser sa part d’ombre lui donnera une nouvelle force pour accorder à nouveau sa confiance à l’espèce mâle ?
Etant d’un naturel optimiste, j’ai tendance à penser qu’elle va trouver la paix dans cette épreuve. Mais la suite reste ouverte, et c’est une richesse supplémentaire. Félicitations !
Narwa Roquen, on n'avance à rien dans ce canoë...

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2015-11-03 20:10:52 

 Merci pour ta lecture !Détails
Je voulais dire, "sortie d'un de ses gonds"...
Oui, je pense que Sarah est plus indulgente vis à vis de sa propre obscurité. Et elle considère également ses créations un peu comme ses enfants. Peut-être est-elle inconsciemment persuadée que le monstre ne lui fera pas vraiment de mal.
Je pense également que cette histoire la fera grandir, d'une façon ou d'une autre.

Est', mélancolique.

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