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Souvenirs évanescents

Le regard était noir, perçant, mauvais... Ce n'était pas possible, non... Mais pourtant cet homme en robe de couleur sombre le regardait sans ciller.
Thomas n'arrivait pas à réaliser ce qu'il faisait entre ces murs verdâtres. Une lueur malsaine semblait irradier du plafond et donnait une atmosphère encore plus sinistre à cette rencontre étrange. L'homme était debout devant une chaise, enfin une sorte de chaise : des entrelacs de racines noueuses semblaient sortir du sol pour former cette...chose...
Le coeur de Thomas ne mit pas longtemps à s'emballer, mais où était-il ? Que lui voulait cet homme ? Affolé, il jeta un rapide regard circulaire. Il se trouvait dans une pièce carrée, devant lui : l'homme, puis derrière lui : une seule ouverture, une arche de pierre avec une énorme ouverture noire, impossible de discerner ce qui pouvait se trouver au delà. Que faire ? Fuir, vite ! Il se leva, les jambes flageolantes, les mains moites, des gouttes de sueurs froides dégoulinant dans son dos lui donnaient des frissons incontrôlables. Il fit quelques pas en arrière, toujours face à l'homme impassible. Ne pouvant même pas crier à cause de la boule qui était apparue dans sa gorge, il se retourna, faillit trébucher et d'un seul élan, se mit à courir comme un possédé et se précipita dans l'orifice béant.

Passé l'arche, l'espace noir lui fit l'effet d'un électrochoc, il faisait froid, très froid... Il ne voyait rien, il continuait pourtant à courir, ne cherchant même pas à mettre ses mains devant lui au cas où il y aurait eu un quelconque obstacle, il ne contrôlait pas sa peur, rien ne le pouvait... Malgré sa course folle, il était gelé, le sol semblait dur et lisse. Epuisé, il s'arrêta, le noir était tellement impénétrable qu'il ne voyait ni ses mains ni ses pieds... Il n'osa pas s'asseoir, quel était cet endroit ? Il fallait qu'il sorte d'ici. S'il ne voulait pas être frigorifié sur place, il devait rester en mouvement ! Il se leva donc et se mit à marcher tout droit. Rien, il entendait seulement le bruit étouffé de ses pas. Pris de panique, cette fois-ci il cria : au secours ! ...futile... Il crut apercevoir une lueur dans son champ de vision vers la droite. Plus rien, que faire ? Il décida de se diriger vers la droite...Complètement découragé, il se mit à sangloter... Bizarre, au loin devant lui, un petit point lumineux semblait clignoter irrégulièrement. Il marcha plus vite, était-il sur la bonne voie pour quitter ce lieu si inhospitalier ? Tout à coup, plus rien... Cette fois-ci énervé, il hurla ! Le point brilla fortement et s'éteignit aussitôt, Thomas ne bougea plus. Il attendit de longues minutes espérant revoir l'apparition fugace... Soudain, il eut une idée ! Il commença à chanter : la lumière semblait danser au loin, il se tut : la lumière disparut. Il comprit ! Le son de sa voix servait de combustible à la lumière. Reprenant son souffle, il se mit à chanter à tue-tête ! Victoire ! Une étincelle brillait en continu et devenait pour lui comme un phare qui guide les bateaux perdus! Il s'était mis à courir, le point lumineux grossissait vite. Arrivé au pied de sa vision, il s'aperçut qu'elle représentait une arche assez haute, il ne lui restait que quelques pas à faire pour la franchir. Faisant silence, l'arche disparut et il s'avança... Rien ne se produisit, encore quelques mètres, toujours rien, il avait du passer l'arche depuis au moins une dizaine de pas. Il chanta et l'arche se matérialisa dans son dos, il se retourna brusquement et sauta dans la lumière...

Il se trouvait dans une pièce carrée, exactement pareille à celle où se trouvait l'homme en robe, à la différence qu'il n'y était pas. Une arche derrière lui : celle d'où il venait probablement ; une devant et une dans le mur de gauche, toutes les trois noires... Il ne devait pas céder à la panique. Où se trouvait-il ? Par où devait-il aller ? Pourquoi lui ? Ne pas penser... A gauche ou tout droit ? Malgré la chaleur normale de la pièce, tout s'embrumait dans sa tête... Il était fatigué. Ne sachant que faire, il passa sous l'arche de gauche.

Comment pouvait il y avoir de la pluie dans un couloir ? Quel couloir ? Se retournant, il vit une arche en pierre au milieu d'un désert gris. Cette arche faite de pierres rougeâtres, haute d'au moins cinq mètres, avait vraiment un aspect insolite. Au dessus de lui, un ciel rempli de nuages rouge sombre s'étendait d'un bout à l'autre de l'horizon. La pluie s'arrêtait. Que fallait-il faire maintenant ? Sans trop y croire, Thomas se mit à chanter, rien ne se passa... Soudain, une tache bleue attira son regard : une fleur... Une fleur qui poussait en plein désert, la pluie était sûrement responsable de ce prodige. Très vite, l'étendue grise et morne se couvrait de milliers de fleurs. Thomas s'avança pour examiner la plus proche qui lui arrivait déjà à la taille : des drôles de pétales indigos en forme de trèfle, et une tige de même couleur et même nature que le sol. Un feulement lui fit lever la tête. Sur une fleur à côté de lui, une immense araignée noire et velue, avec des pattes chitineuses, le regardait. Le seul soucis, mis à part la taille du monstre, était sa tête : un visage humain rond et chauve, avec à la place des yeux deux petites billes noires sans cils ; une fente faisait office de bouche, avec à chaque extrémité une petite dent jaune et pointue pointant vers le haut... Affreux ! Malgré son poids apparent, ses huit pattes étaient posées sur les pétales d'une fleur et le bout des pattes commençait à prendre une teinte indigo... Le coeur de Thomas s'arrêta... Un autre feulement le fit sursauter, et cette fois il avait l'impression que son coeur allait sortir de sa poitrine ! Ces bestioles s'étaient multipliées en quelques secondes sans qu'il s'en aperçoive, elles semblaient attendre quelque chose où quelqu'un. Tous les regards monstrueux étaient braqués sur lui... Tremblant de tous ses membres, il se dirigea vers l'arche vide, doucement, tout doucement... Rester ici était au dessus de ses forces... Encore fallait il que le fait de passer sous l'arche le fasse revenir dans la pièce... Essayant de ne pas céder à la panique, il marchait sans se presser. L'arche était toute proche, encore quelques mètres et... Rien ! Rien ne se passa ! Il était toujours dans cet endroit diabolique... Les araignées autour de lui avaient arrêté de " butiner " et lentement descendaient des fleurs et commençaient à se diriger dans sa direction. La vision d'horreur de cette masse grouillante donnait à Thomas une envie de vomir. Ces visages étaient terrifiants ! Thomas recula, un éclair blanc éblouissant lui fit mettre les mains devant les yeux.

Il se trouvait de retour dans la pièce ! Il avait échappé au cauchemar, enfin à celui de cette arche... Comment était-il sorti ? Il n'en savait rien... Peut être fallait-il activer l'arche en passant en dessous, peut être fallait-il y pénétrer en reculant... Qu'importe, il était sorti. Il lui restait donc à prendre la dernière arche de la pièce. Il ne pouvait pas faire autrement de toute façon...

Passée l'arche c'était un vrai couloir cette fois-ci, large de deux mètres. De chaque côté, le haut des murs se perdait dans le noir... Toujours la même lueur verdâtre nimbait l'endroit. Thomas était fatigué maintenant... Il soupira. Au même instant, sortant du sol ou des murs, plusieurs lames fouettèrent l'air tout le long du couloir. Oh non !... Comment avait-il déclenché ces pièges ?... Les lames sortaient et rentraient dans le mur sans rythme apparent. Le bruit ? thomas essaya de chanter, s'arrêta, recommença... Non, ce n'était pas le bruit qui activait les pièges. Alors quoi ?... Il y avait bien une solution, pourvu que ce ne soit pas celle à laquelle il pensait... Il inspira profondément, bloqua sa respiration : les lames s'arrêtèrent. C'était bien ce qu'il craignait : sa respiration était responsable du fonctionnement des pièges... Le couloir continuait tout droit à perte de vue. Il n'arriverait jamais à tout traverser en apnée... Il fallait fuir, et le seul moyen de le faire était par ici. On verra bien... Il inspira à fond et se mit à courir comme un damné. Au bout d'une cinquantaine de mètres Thomas commençait à suffoquer, le manque d'oxygène et la fatigue lui faisait tourner la tête. Il fallait respirer... Il s'arrêta avec une sourde appréhension, trop tard pour reculer. Il expira et ré inspira brutalement, une lame le frôla à moins de trois centimètres au niveau du visage. N'osant plus bouger, que respirer, il essayait de reprendre son souffle. Il ferma les yeux, à chaque fois, il sentait l'appel d'air provoqué par la lame... Soudain, un bruit sourd semblait monter du sol. Les murs ! Les murs de chaque côté se mettaient à bouger, ils se rapprochaient l'un de l'autre, lentement mais sûrement...Vite ! Sortir de ce couloir ! Le sang de Thomas ne fit qu'un tour, il bloqua sa respiration et fonça ! Un voile noir dansait devant ses yeux... Ce n'était vraiment pas le moment de flancher ! Son oeil surpris sur le mur de droite des petites anfractuosités noires, stop ! Il recula doucement au niveau des trous. Il expira vite... Cette fois ci une lame lui fit une grande estafilade au niveau de la jambe, Thomas la retira vivement, il ne manquait plus que ça... Un peu au dessus de sa tête, une autre lame fouettait l'air de droite à gauche semblant sortir de cet escalier improvisé... Ne cherchant pas à comprendre, il commença à escalader le mur. La fatigue, sa blessure et les tremblements du mur rendait l'ascension quasi impossible, mais il serrait les dents... En plus, à intervalles réguliers, il devait faire attention aux lames et bloquer sa respiration déjà laborieuse... Il avait dû monter de quatre ou cinq mètres quand il faillit tomber à la renverse, la seule chose qui le sauva fut le mur derrière lui. Déjà... ! Le dos appuyé, il réalisa que les murs seraient bientôt l'un contre l'autre... En regardant vers le bas, le pied du mur se perdait dans le noir, vers le haut pareil. S'aidant avec le dos, poussé par la peur, ses pieds et ses mains avalaient les orifices noirs qui constituaient son escalier de fortune et sa seule planche de salut... Tout d'un coup : le plat ! Le haut du mur était là ! Il fallait faire vite, dans sa précipitation il faillit glisser et retomber dans la fente, se rattrapant comme il put sur ses coudes, il se hissa à la force de ses bras gourds en poussant un cri de rage et de frayeur... Sa jambe blessée eut juste le temps de sortir avant que les murs, dans un dernier bruit de tonnerre, ne fissent plus qu'un... Tremblant, épuisé, Thomas sombra dans l'inconscience... Combien de temps s'était écoulé, il ne put le dire, mais quand il se réveilla, il avait la marque du sol pavé sur la joue. Il ne se sentait pas vraiment mieux, mais en tout cas il était moins fatigué. Il était dans un couloir similaire à celui qu'il venait de quitter, enfin à celui qui se trouvait maintenant sous lui... Il pouvait respirer normalement et aucun piège ne se déclenchait ; quels nouveaux sortilèges allaient encore apparaître ici ?... Il se remit debout et avança. Au bout d'une dizaine de minutes, il vit une arche qui semblait terminer le couloir. Revigoré par cette hypothétique porte de sortie, il pressa le pas, courant presque. Emporté par son élan, il faillit tomber dans le trou juste avant l'arche qu'il ne vit qu'au dernier moment ! Excité comme il était, il en avait oublié toute prudence. Il ne voyait pas le fond de ce trou qui avait presque trois mètres de long...Un horrible craquement le fit se retourner brusquement : une fissure sombre serpentait entre les pavés du sol... Un autre bruit comme si on coupait un fil trop tendu, et une seconde fissure apparue ! Un grondement sourd comme un orage menaçant semblait sortir des murs. Scrutant le fond du couloir, Thomas sentit son coeur chavirer encore une fois : le sol s'effondrait au fur et à mesure dans des profondeurs insondables, dans quelques instants, le sol n'existerait plus. Prenant deux où trois mètres d'élan, il s'élança... Trop court ! Non, de justesse... Ses bras réussirent à agripper le rebord, les jambes ballottaient dangereusement dans le vide. Cherchant appui avec les pieds, il remontait difficilement tandis que l'endroit où il se trouvait quelques secondes auparavant s'écroulait dans le vide avec un bruit sinistre... Se hissant tant bien que mal hors du trou, il se précipita sous l'arche.

C'était une pièce carrée, similaire aux deux autres, mais avec quatre arches cette fois ci. Las, Thomas se laissa glisser le long d'un mur et enfouit sa tête entre ses mains. Il n'arrivait même pas à pleurer... Il resta dans cette position, prostré, n'osant même plus bouger. Il ne comprenait pas comment sortir d'ici... Il essaya de savoir où il se trouvait, peine perdue... D'un coup, il se releva et se dirigea vers l'arche du fond de la pièce. Il fallait en finir, alors autant se dépêcher... Il s'arrêta à quelques pas de l'arche pour l'observer, rien de spécial. Il s'élança dans l'orifice noir.

Il tombait... Une chute libre qui ne dura que quelques instants... Tout à coup, il percuta avec les pieds une surface liquide. N'étant pas préparé à ce qui l'attendait, il but la tasse en s'enfonçant. Il toussa en essayant de reprendre son souffle, l'eau salée lui piquait la gorge. C'était de l'eau, juste de l'eau salée, mais à perte de vue. Cette immensité liquide était agitée et de couleur verte sombre ; le ciel était rempli de nuages gris foncé qui se trouvaient à quelques mètres seulement de la surface de l'eau. Thomas n'était pas un très bon nageur, il savait qu'il n'allait pas pouvoir laisser la tête très longtemps hors de l'eau, les vagues lui rendaient cette tâche encore plus ardue... Un sifflement derrière lui : il essaya de se retourner le plus vite possible pour voir ce qui allait se passer... Trop tard, une immense gerbe d'eau s'élevait, créant en même temps une énorme vague. Essayant de rester à flot, Thomas entendit le même bruit sur sa droite. Il eu juste le temps d'apercevoir un rocher gigantesque percuter la surface et s'enfoncer dans cet océan sans fond... Un autre sifflement, puis un autre, et encore et encore ! Thomas regardait incrédule : il pleuvait des pierres... Folie ! Et ce n'était pas des petites pierres, plutôt des cubes d'une vingtaine de mètres de coté. Il sentit que cette fois ci il n'échapperait pas à cet endroit... Une masse sombre apparut au dessus de lui dans les nuages. Il eu juste le temps de mettre les mains en avant et de pousser un hurlement...

WAAAAAaaaaaaaaaaaaaaahhhHHHHHH ! ! ! !

-" Félicitations ! C'est un garçon..." dit l'homme en blouse blanche.
Avec un regard amusé, il tendit son fardeau à la femme épuisée en face de lui.
-" Il nous aura donné bien du mal ce petit bout " lui dit il.
La femme regardait avec bonheur le petit être lové dans ses bras.
Avec une voix chargée d'émotion, elle dit :
-" Nous l'appèlerons Thomas ".

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Publication : 18 octobre 2003
Dernière modification : 07 novembre 2006


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