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 WA-Exercice 19 - Rencontres des quatre. Voir la page du message Afficher le message parent
De : Onirian  Ecrire à Onirian
Page web : http://oneira.net
Date : Mercredi 12 aout 2009 à 23:24:20
Désolé pour ce long retard, mais ca y est, la fin de la wa18 est enfin arrivée (Et dire que Narwa voulait que j'aille vite... je suis désolé !).
Bref. Je crois qu'il n'est pas inutile de relire les trois premiers textes, à savoir, celui-là, celui-ci, et ce dernier.

Et donc, suite et fin de "Intimité".

---

Intimité.


Demain...
Je regardais le soleil se lever. Les quelques nuages à l'horizon n'étaient présents que pour mieux souligner la beauté de l'aurore. La nuit avait été longue, difficile. J'étais ébranlé. J'avais parfaitement conscience que le choix des hôtes que l'on m'avait assigné ne devait rien au hasard. Ce que j'aurai pu être, ce que j'ai été – et dans une certaine mesure, suis encore – et ce que j'ai causé.
Je goûtais la sensation de chaleur sur ma peau, donnée par les premiers rayons du soleil levant, peut-être comme une façon naïve de combattre le froid qui m'habitait. Le crépuscule et l'aurore. J'ai toujours aimé ces moments, le passage de la nuit au jour et réciproquement, entre la vie et la mort, ponts d'un monde à l'autre... comme moi, finalement...
Tous les marqueurs avaient des dettes personnelles vis-à-vis de leur existence d'avant. Une forme de purgatoire ? Sans doute. Je me retournai, contemplant un magnifique et admirablement décalé centre commercial. Rien ne subsistait du parc où tout avait commencé, il y a une bonne quarantaine d'années maintenant. Avec un temps de retardement, je vis, assis sur un banc, un vieil homme qui me regardait. Je me figeai, c'était mon premier hôte. Je tentai de me raisonner, il ne peut pas me reconnaitre, il ne m'a pas vu, ce n'est pas possible. Un instant, je fus tenté d'user de mes pouvoirs pour sonder son esprit, et le cas échéant, y ôter mon image, mais l’oeuvre était déjà accomplie, je n'en avais plus le droit. Quelle serait la sanction ? Je l'ignorai. Beaucoup de points me restaient obscurs, mais ce dont j'étais certain, c'est que mes employeurs, à défaut d'un mot plus approprié, étaient du genre à faire confiance d'abord, et à ne plus jamais pardonner ensuite.
L'homme s'était levé de son banc, et venait à pas mesurés dans ma direction, ses yeux rivés sur les miens. Bien qu'en conscience, je fusse persuadé qu'il ne pouvait pas m'avoir reconnu, une peur irrationnelle m'avait saisi. Il était marqué. J'avais toujours plus ou moins inconsciemment considéré que cela signifiait la mort pour chaque hôte, mais au fond, l'on m'avait simplement parlé de destinée, de chemin d'Ame, et d'accomplissement...
Il s'arrêta à quelques pas de moi, continuant de me fixer, comme s'il cherchait un souvenir très profondément enfoui. Face à lui, je restai aussi stoïque que possible, sachant que ma gêne m'avait probablement déjà trahi de toute manière.
Quelques longues minutes s'écoulèrent. Pourquoi restais-je ainsi, sans mot dire ? Après coup, j’en suis venu à penser que c'est parce que la Marque fonctionne autant pour le marqué que pour le marqueur. Un contrat de fait, je l'avais lié au destin, et m'étais lié à lui. Au cours de son examen, de nombreuses expressions passèrent sur son visage. Perplexité, haine, peine, colère, résignation, fureur... Le tout fini par s'entremêler et acquérir une certaine stabilité. Pas encore de la sérénité, mais quelque chose d'approchant. Alors seulement il ouvrit la bouche :
- C'est toi, j'en suis sûr.
- Moi ?
De quoi pouvait-il bien parler ? De cette nuit ? Non... plus profond, plus ancien. L'avais-je connu dans ma vie précédente ? Son visage ne m'évoquait rien... encore que, en supprimant les rides et la barbe, en remplaçant le gris des cheveux par un châtain foncé... se pourrait-il ?
- C'est moi qui ai construit ce supermarché, le savais-tu ? Je ne supportai plus la vision de ce parc, et de ses abjects occupants.
La haine transparaissait en filigrane dans sa voix. Il fit visiblement un effort pour se reprendre. Si la paix de l'âme était une montagne, alors cet homme était un alpiniste chevronné et opiniâtre. Il reprit d'une voix plus posée.
- Elle s'appelait Estelle.
Estelle... Je revis son visage aussi nettement que si ces évènements ne dataient pas d'une quarantaine d'années, mais de la veille. Ses lèvres étaient d'un rose envoutant ; son teint blanc, ses vêtements noirs, ses bracelets argentés, tout me revenait. Le goût de sa peau aussi, et la chaleur de son corps, déjà entrain de se dissiper. Et l'horreur du réveil une fois ma tension déchargée. Les marques sur son cou, les bleus sur ses bras, les vêtements arrachés, les coupures de journaux, la fermeture du parc, la peur d'être découvert, l'enterrement – j'étais venu en tant que camarade de classe – la culpabilité, puis l'égoïsme, la vie qui reprend le dessus, les mensonges envers moi-même, le mépris que je jetais à la face du monde, mes visites au cimetière, mes cauchemars, la réouverture du parc quelques mois plus tard. Mes échecs amoureux, à cause d'elle, ma vie pitoyable, à cause d'elle, mon suicide, à cause d'elle, mon incapacité même à atteindre l'enfer, toujours à cause d'elle...
- Pourquoi as-tu les traits d'un jeune homme ? Cela s'est passé il y a quarante ans. Regarde-moi, je suis vieux. Même cela est injuste, reprit-il, tristement résigné.
Et ce n'est que l'année dernière que j'ai finalement réussi à faire en sorte que mon coeur putréfié cesse de battre, mais la vie ne m'a pas quitté. Je suis redevenu jeune, comme à l'époque, parce que dans ma tête, ce jour fatal ne s'est jamais terminé. Le battement régulier dans ma poitrine à disparu, mais la vie refuse encore et toujours de me quitter.
- A ma mort, je suis revenu, pour payer mes dettes. Et la sublime ironie du monde m'a donné le corps que j'avais, ce jour là.
Il sourit brièvement.
- Sais-tu pourquoi tu n'es pas mort ? Te l'a-t-on expliqué, là-haut, comment étaient choisis les marqueurs ?
- Se sont les âmes coupables.
- Il y a de cela oui. Mais la sentence, c'est moi qui l'ai choisie. Il y a des passerelles entre le monde de l'occulte et celui-ci. Des instants, comme maintenant, où il est possible de communiquer. Tu as tué ma fille et la police ne t'a jamais soupçonné. Personne. Et comment auraient-ils pu ? Toi qui semblait si désemparé à son enterrement... Oui, c'est comme ca que je t'ai reconnu et jusqu'à maintenant, je ne savais toujours pas qui était le fils de chien... – il se reprit – qui était l'homme ayant pu commettre un tel acte. Si je te vois aujourd'hui, c'est probablement que tu m'as marqué, n'est-ce pas ? Tu as donc vu ma bibliothèque, tu dois en connaître beaucoup sur mes recherches.
Je restai coi, en prise à un vertige contre lequel je ne pouvais rien. Mon premier marqué, un sympathique vieil homme, comment avais-je pu passer à coté ? Les livres... qu'avais-je loupé ? Oui, il s'intéressait à l'ésotérisme, mais de là à en connaître plus que moi sur ma propre nature...
- Je voulais t'envoyer en enfer... Ma femme ne croyait pas cela possible. Cesse tes balivernes, me répétait-elle, ne me laisse pas seule... Mais toujours je repartais dans mes études, l’abandonnant... Jusqu'à ce qu'elle finisse par se tuer. Elle a survécu à la mort de notre fille pendant trente années de misère, et c'est mon entêtement qui lui a donné le coup de grâce. Paradoxalement, c'est sa mort qui m'a permis de retrouver la paix, comme le noyé au fond d’une mare qui redonne un coup de talon. Je n'ai pas abandonné mes recherches, mais je les ai réorientées, pour tenir compte de ce que ma femme n’avait cessé de me dire. Ne pas te tuer, ne pas te faire souffrir, mais te faire comprendre ma vie, t'offrir le fardeau des faucheurs, ou marqueurs, t'apprendre à aimer tes victimes, à vivre leurs peines, à les soulager.
Je ne pouvais toujours pas parler. Etrangement cela m'évoqua mon enfance, quand j'avais eu peur de redoubler ma sixième. Redoubler est une chance, pas une sanction ; je n'avais jamais adhéré, c'était une punition pour incompétence, rien de plus. Je comprenais enfin, une chance... Cet homme là ne m'avait pas pardonné, et il ne me pardonnerait sans doute jamais, mais il s’efforçait voir plus loin. En écho à mes pensées, il ajouta :
- Je sais que ma décision a été la bonne, mais je dois me battre tous les jours pour l'admettre.
Tout aurait pu s'arrêter là, sur cette espèce de paix bancale, mais il n'était pas le seul marqué de la nuit, et le destin, s'il prend parfois le temps de s'occuper de quelqu'un en particulier, n'oublie jamais personne.
A ma droite, j'entendis la marche rapide d'une paire de botte. En tournant la tête, je la vis, elle. Elle était vêtue un haut noir transparent, plaqué sur son corps par le corset que j'avais remarqué cette nuit, lui découpant une silhouette haute et fière. Elle portait également une longue jupe noire et quelques bijoux. Son maquillage lui donnait un regard profond, avec un coté presque prédatrice. Soudain, choqué, je me retrouvais à terre, une douleur incongrue me vrillant la mâchoire. Le vieil homme m'avait frappé. Indistinctement, je compris que mon regard sur elle avait du lui évoquer celui que, quarante années plus tôt, j'avais dû avoir sur sa propre fille.
Avant d'avoir pu me relever, la fille arriva à notre hauteur. Sans égard pour ma situation peu flatteuse, elle planta ses yeux emplis de haine dans les miens, puis secoua la tête un instant. Je n'étais pas sa proie. D'un ton sec, elle s'adressa au vieux :
- Où est-il ?
- Le violeur !
Ainsi c'est ce que l'on ressentait lorsqu'on était pris dans la vague du destin ? Les yeux de l'homme se posèrent sur moi. Je crus qu'il allait encore me frapper, mais il n'en eut pas l’occasion. D'un coin du bâtiment venait d'apparaitre le paranoïaque. Il courrait vers nous, le regard fou et un long couteau en main. Tout se passa en un éclair, il se jeta sur la fille, mais ce fut le vieux qui prit le coup en s'interposant.
Il n'y survivrait pas, j'en avais l'intime conviction.
Du sang coulait abondamment de sa plaie, située vers la clavicule, cependant, il ne semblait pas s'en soucier. Je crois en vérité qu'il attendait ce jour depuis bien des années. Le fou quant à lui, voyant son crime, s'était prostré à genoux, en position foetale. Il traçait du bout du doigt de petits pentacles, en ânonnant des paroles inintelligibles.
La g_o_t_hique, elle, avait ramassé le couteau et se dirigeait déjà vers le monstre. Le vieux me regarda un instant, et m'ordonna d'un ton impérieux :
- Prend leurs mains !
Sans réfléchir, je me tournais vers l'homme prostré, et lui attrapais le bras. Le blessé fit de même de son côté, et, d'un geste étonnamment vif pour son âge, attrapa également au vol la main de la fille alors qu'elle plantait déjà son couteau dans le corps du fou, j’attrapais alors la dernière main libre, il prononça un mot, et monde bascula.

Nous n'étions plus sur cette place, devant ce supermarché aseptisé, nous n'étions pas non plus dans ce parc détruit. Il n'y avait plus de couteau, plus de blessures. Non, c'était un moment, un espace hors du temps. Nous étions quatre esprits, et pour la première fois, nous nous rencontrions.
Oui, pour la première fois de ma vie, ou de ma mort, c'est selon, je prenais conscience des ramifications qui unissent les êtres. Je pouvais voir mes actes et sentir comment ils faisaient vibrer le monde. Je découvrais les liens qui nous unissaient, certains si ténus que je n'aurai jamais pu les soupçonner autrement.
Chacun d'entre nous allait de révélations en révélations, de questions en réponses, d'incompréhensions en empathie. Mon premier choc fut d'apprendre que la fille g_o_t_hique qui nous accompagnait s'appelait Estelle. Son premier choc vu de se voir nue dans son lit, avec moi à ses cotés, me mordant le poing. Le vieux se prénommait Richard, il venait d'une famille très ancienne où la sorcellerie était une tradition. Le fou, Marc, était pour un instant délivré de sa paranoïa. Ici, il ne craignait rien, sinon de comprendre ce qui lui arrivait.
Et les liens se tissaient, ou pour mieux dire, se dévoilaient. Estelle, l'actuelle, était la fameuse femme de ménage peu consciencieuse de Richard. Elle avait remplacé une amie un jour, bien avant le drame, et le vieux ne la croisait jamais, ils ne s'étaient jamais vus. Elle faisait son ménage le plus vite possible pour se plonger corps et âme dans les notes du vieil homme, celles-là même qu'il avait prise pour se venger de moi.
Plus lointain, je vis la mère de Marc, une femme amoureuse de moi, chez qui je m'étais épanché, lui disant que je ne pouvais l'aimer car j'avais violé. J'avais planté le germe de la psychose bien involontairement. Qui croirait que la folie est contagieuse ? Encore plus lointain, Marc encore, petit, se faisant dire par une femme, la femme de Richard, aigrie, que les hommes sont de deux races, les absents et les violeurs. Un engrais pour le germe, pour exister, il serait donc un violeur, l'idée ne le quitterait jamais. Estelle était la fille d'une femme que j'avais aimée, sans jamais oser lui parler, de peur de la blesser. Sa soeur, une amie étudiante de Marc, avait lutté contre le projet de supermarché pour que l'on préserve le Parc, avant d’y mourir, elle aussi. Tous ces gens, je les avais croisés de mon vivant. Je leur avais parlé, les avait bousculés sans m'excuser, sans les voir. En cet instant de grâce, le passé et le présent se mêlaient pour ne faire plus qu'un. Je vis le fou se réveiller, ce matin, après sa première nuit de véritable sommeil, décidé à en finir, je vis Estelle, l'ancienne, danser non loin de moi, je vis Richard, jeune homme, annoncer à sa femme qu'il passerait outre toutes ses peurs, qu'il voulait une fille et qu'il assumerai quoiqu'il se passe. Tant de fils nous reliaient, il n'y avait plus, ni jugement, ni peine, ni passion. Je vis Estelle, l’actuelle, se réveiller, ce matin, sûre que le violeur serait où tout avait commencé, à l’ancien Parc, parce que cette nuit, elle avait pu l'atteindre. Je vécus les années de recherche de Richard, le pouvoir considérable qu’il avait acquis, jusqu'à cet instant, où il avait tout donné pour nous lier. C’était égoïste, il voulait comprendre, lui, mais chacun d’entre nous se voyait désormais à sa place exacte.
Dire que je n'avais rien vu, rien compris. Je me sentais à la fois béni et misérable. Soudain, le cercle fut plus grand, les morts nous rejoignirent, la soeur, la fille, la femme, et nous étions pardonnés, et le cercle grandis encore, nous nous fondions dans le monde et percevions tous les liens qui unissaient toutes choses, des milliers, des millions de fils invisibles nous étaient révélés, reliant le monde à lui-même, nos vie aux autres, les autres à nous.... Puis ce fut trop.
Au pied du supermarché, nous nous regardions, hébétés et émerveillés. Richard et Marc mourraient, mais nous avions connu l'éternité, et la mort n'est rien face à cela. La Paix les emmena en quelques instants...
Tandis que le soleil emplissait le ciel, dans ce temps encore suspendu, ma dernière hôte me prit délicatement la main, s'approcha de moi et déposa un baiser d'une douceur infinie sur mes lèvres. Je comprenais, elle aussi, et cet instant avait un nom, Paradis.

Je ne l'ai jamais revue, mais depuis ce jour, je suis guéri.

--
Onirian, clavierteur.


  
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3 Commentaire Onirian, exercice n°19 - Narwa Roquen (Mer 19 aou 2009 à 22:35)
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