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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 2 octobre 2008 à 19:41:23
Finalement je me suis rendue compte en l'écrivant que ce genre de texte ne convient pas du tout aux points-virgules! Maedhros s'en est sorti par une géniale pirouette... mais personne ne danse aussi bien que Maedhros!

A.A.



Après tous ces jours de pluie, ce soleil radieux me donnait la bienvenue dans ma nouvelle vie. Le fond de l’air était frais, bien sûr, mais je marchais maintenant dans la lumière, vers l’arrêt de bus. Mélanie ne pouvait pas venir me chercher mais ce soir je serais à la maison, chez moi, et ma merveilleuse Amandine sauterait sur mes genoux en criant « Papa ! Papa ! »
Je ne me retournai pas. La clinique, la cure, c’était du passé. La petite psychologue blonde qui s’était occupée de moi m’avait dit :
« Vous êtes quelqu’un de bien. »
J’avais trente-deux ans, et ma vie commençait enfin.


L’appartement était vide. Elle m’avait laissé le lit, une commode, la table de la cuisine et deux chaises. Dans la chambre d’Amandine, il ne restait plus que la moquette. Son mot était par terre, dans l’entrée. Ecrit calmement. Ne me donnait pas d’explications, mais je pouvais comprendre. Même si elle avait tort. Je haussai les épaules. J’étais fort. Elle se rendrait compte que j’avais changé. Je laissai un message sur son portable. Je voulais voir ma fille le samedi suivant. C’était mon droit.

Le soir même j’avais repris le travail. C’était agréable de croiser les collègues dans le vestiaire, d’enfiler la bonne vieille blouse blanche, de faire à nouveau partie de l’équipe.
« La prestigieuse équipe des soignants », avait dit la psychologue, mademoiselle Rey.
« Je ne suis que brancardier, vous savez...
- Mais dans une équipe, cher monsieur, chaque membre est important... »
Gros coup de barre vers deux heures du matin. En deux mois, j’avais perdu le rythme. Normal. Vincent avait amené une salade de riz aux crevettes et aux champignons. C’était comme avant, les petits plaisirs pour raccourcir un peu la nuit. Vincent, la soixantaine bedonnante, toujours de bonne humeur... Un brave gars. Il m’avait manqué, mais je ne m’en étais pas rendu compte.
Je n’avais pas faim.
Il me tend un verre de rouge. Je souris.
« Je bois plus, mon gars. C’est fini.
- Tu déconnes !
- Non, sérieux. Je suis guéri.
- Attends, t’étais pas malade... »
Je hoche la tête pour couper court et je reprends du café. Je suis fort. C’est facile.


Je me suis réveillé à quatorze heures. Courbatures. Pas pensé à regarder sur le planning si je travaille samedi. Pas de réponse de Mélanie sur mon portable. J’ai envoyé un SMS : « Rappelle-moi ». Elle ne m’a même pas dit où elle était. C’est idiot de me laisser tomber maintenant. Mais je suis fort.
Frigo vide. Fatigué. Douche rapide, quelques courses au Casino, du café. Des cigarettes. Ca, j’ai le droit.
Pas de télévision. Les larmes me montent aux yeux. Je m’assieds dans la chambre de la petite. J’adorais jouer avec elle sur sa moquette rose bonbon. La dînette, la marchande, et puis l’histoire du soir, l’histoire de papa... Je m’allonge, je regarde le plafond, j’entends son rire clair, ma source, mon arc-en-ciel. Le soir tombe, beaucoup trop vite. Merde, je vais être en retard... et j’ai cramé la moquette...


« Pardon de vous déranger, madame Le Brun, voilà... Y aurait pas une place dans l’équipe de jour ? »
La surveillante me regarde par-dessus ses lunettes. Elle me fait froid dans le dos.
« Ma... femme m’a quitté et... l’après-midi c’est tellement long... Si j’étais au travail... Après la nuit je dors, ça passe plus vite...
- Vous rentrez de maladie, hein, alors vous êtes mal placé pour demander des privilèges. Vous nous avez mis dans un sacré pétrin, vous vous en rendez compte ? L’équipe de jour est au complet, et même s’il y avait une place, elle ne serait pas pour vous. »
Je prends ça en pleine poire. J’aurais dû m’y attendre. C’est une peau de vache. Elle croit me casser mais elle se trompe. Je suis fort.


Seize heures. J’ai lavé mon linge à la main, préparé le casse-croûte pour cette nuit, passé le balai dans la cuisine. Demain j’irai acheter un aspirateur. Ca sera un peu juste mais la paie tombe dans quinze jours. Je vais aller faire un tour dans le quartier, ça me fera du bien.
Manque de bol il se met à pleuvoir. Par habitude je pousse la porte du Café des Sports. Jean-Claude me fait un grand sourire.
« Où t’étais passé ?
- J’étais en maladie.
- Ca a l’air d’aller, dis donc !
- Ca va, ça va...
- Allez, c’est ma tournée ! A ta santé ! »
Il me verse une pression blonde comme l’or, avec une mousse onctueuse et fraîche comme la peau d’Amandine. J’hésite un instant. Ca m’embête de vexer le gars, il a toujours été sympa. Et puis la bière... Cette petite amertume si familière, si amicale... Je suis guéri, je suis fort, je ne risque rien.
La tête me tourne quand je sors dans la rue. J’éclate de rire. Une vraie gonzesse ! Un demi et je suis bourré ! C’est trop bien, d’être guéri.


En sortant du boulot, j’ai acheté un pack de bière. C’est tellement bon ! Du coup j’ai fait le ménage en grand, j’ai mis la radio à fond, la forme ! Il ne restait qu’une canette au moment de partir, et tout à coup l’angoisse, la fatigue, j’ai oublié de dormir... Je l’ai finie vite fait, ça m’a donné le courage d’aller bosser, ça tournait un peu mais le temps d’arriver ça serait passé, ni vu ni connu.
J’ai refusé de boire avec le casse-croûte de deux heures. Mais Vincent avait laissé la bouteille sur la table. Juste une gorgée à trois heures, impression bizarre, ça arrache un peu, et puis ça réchauffe... J’ai l’impression d’être un ado à sa première féria ; je redécouvre tout, c’est cool... A quatre heures, je passais par là... et à six heures, quand j’ai entendu le Samu arriver, ça allait être encore radio et compagnie, peut-être même scanner...


En m’organisant ça devrait pas me coûter trop cher. La bière c’est bon mais c’est pas donné. Le rouge, rien qu’un peu avant de me coucher, et puis au repas, et juste avant de partir... Je pourrais en amener au boulot, sinon à force Vincent va s’apercevoir que je pique le sien, et il va croire que j’ai replongé. Alors que là c’est pas pareil. Y a pas de mal à se faire du bien. Et puis je pense moins à Amandine. Pas de nouvelles. J’ai reçu une convocation de la clinique, « dans le cadre de votre suivi... ». La barbe. Je n’ai rien à leur dire. C’est ma vie.


Une bouteille par jour c’est pas grand chose. Parfois ça m’écoeure un peu mais ça dure pas. Il faut pas que j’augmente. Mais j’aime pas l’eau. Pourtant l’eau c’est sain, ça lave les cellules... Et si je mettais du pastis ? Juste un peu... Non, le pastis sans alcool, c’est presque aussi cher et en plus c’est dégueulasse... Et puis le pastis, c’est les vacances, comme ça je serai en vacances toute l’année...


Mais trop dilué c’est pas terrible. Juste un vrai pastis, quoi, c’est bon pour la digestion, c’est des plantes. Avec une cigarette, c’est divin. De toute façon, j’ai des kilos à perdre. Je peux très bien manger que des pâtes, et puis l’alcool ça fait pisser, ça va m’aider pour le régime.
Il faut juste que je change de supérette de temps en temps. Hier la caissière m’a dit :
« C’est vous qui buvez tout ça ? »
Ca faisait deux jours de suite que j’achetais deux bouteilles. J’ai dit que c’était pour offrir.


Je suis parti à la bourre, j’ai oublié la bouteille à la maison, et Vincent est de repos. Mehdi, lui, il boit pas. Ca va me faire du bien, une nuit sans rien. De toute façon je suis guéri, je me fais juste un peu plaisir, mais je n’en ai plus besoin. Au boulot j’assure, les infirmières des Urgences m’aiment bien parce que je rigole avec les malades, ça les met à l’aise.
Trois heures du matin. Je suis en nage. J’ai le coeur qui cogne, je tremble comme un vieux. Je dois couver la grippe. Demain je me mets en maladie. Il faudrait que je trouve quelque chose à boire. Juste un peu. C’est pour combattre les microbes.
Je fouille dans les placards des salles de repos, la nôtre, celle des Urgences, celle de la Radio. Rien. Je vais pas y arriver. C’est pas grand chose, merde, c’est juste pour tenir jusqu’à huit heures.
La salle de pansement est vide. Sur la paillasse, le flacon d’alcool à 70°. C’est juste un peu plus fort que la vodka. Un petit haricot propre, de l’eau du robinet, une rasade d’alcool... C’est ignoble ! Ca a un goût de médicament... J’ai envie de vomir... Mais ça va aller, je suis fort, je contrôle. Ca fait du bien.
Deux pastis coup sur coup en rentrant. Ca, c’est la vie ! Pourquoi je devrais me priver ? J’ai plus de femme, plus de fille... Je vais pas rester à pleurer dans mon coin. Je suis quelqu’un de bien, elle l’a dit, l’autre. Et je suis fort. Mélanie va revenir, c’est sûr. Elle a dû aller voir sa mère, c’est ça. L’a jamais eu d’santé, c’t’pauv femme... J’ai sommeil...


Mal au ventre. Je me vide. J’ai dû choper la gastro. J’ai la tête qui tourne, je transpire, je vais tomber dans les pommes... La fenêtre, en grand. On se caille, mais ça va mieux. Je vais pas aller bosser ce soir, demain j’irai chez le toubib. Chouette, je suis en vacances ! Et qui dit vacances... Mon pastis termine sa course dans la cuvette des toilettes. Dommage. Je vais manger un peu de pain. Voilà. Celui-là a l’air de tenir. L’autre était trop dilué, c’est tout. Je regarde la bouteille, sur la table de la cuisine, et la bouteille me regarde.
« T’es un bon garçon, tu sais. T’as pas inventé l’eau tiède mais t’es un bon garçon. »
Je sursaute. C’est ce que disait maman. Avant cette saloperie de cancer.
« Maman... tu es partie trop tôt ! Je t’aimais tellement... »
Je chiale un peu sur la table de la cuisine, et sa main se pose sur ma tête, comme avant.
« Mon pauvre petit... Tout ça c’est ma faute... Mais il fallait que je quitte ton père, il était trop dur... et il me trompait... C’était pas facile de t’élever toute seule... J’ai pas été gaie tous les jours... Il y avait les médicaments, bien sûr, pour m’aider à tenir... Karine, ta tante, disait que je te gâtais trop, mais qu’est-ce qu’elle en savait, elle a jamais eu de gosse ! Ah j’en ai réparé, de tes conneries... Mais je ne voulais pas qu’on te fasse de mal... Tu étais mon tout petit, mon pauvre tout petit... Tellement patient quand tu étais bébé, tellement sage...»


J’ai réussi à me traîner jusqu’à la salle d’attente du toubib. Je n’ai rien avalé ce matin. Trop mal au coeur. Sacrée gastro que j’ai attrapée !
Il me fait allonger sur sa table, me palpe le ventre. Je saute au plafond. Ca fait mal !
« Vous buvez beaucoup ?
- Il y a quelques années, oui, un peu... Mais là non, presque rien...
- Je vais vous faire hospitaliser.
- Pour une gastro ?
- Ce n’est pas une gastro. Je pense que vous faites une pancréatite aiguë.
- Et c’est grave ?
- Oui. »
Il me fout les jetons, ce gars. C’est un sadique, ou quoi ? On parle pas comme ça aux gens !
« Je peux rentrer chez moi prendre quelques affaires ? »



J’y vais dans dix minutes. Ils vont encore m’empêcher de boire, ces salauds. Tous des brutes. Ils ne comprennent rien à rien. C’est ma vie, après tout. Je vais pas laisser cette bouteille entamée, ça serait du gâchis. Et puis l’hospitalisation c’est une sacrée corvée. Heureusement il m’envoie dans une clinique, j’aurais pas aimé aller à l’hosto, voir les collègues dans cet état, non merci. J’ai mal au ventre. Je suis fatigué. Il a dit que j’avais la jaunisse. Sûrement une saleté de virus. Un petit coup d’antibio et dans trois jours je suis dehors. Faudra éviter les graisses, mais ça ne me gêne pas. Je suis fatigué... Allez, juste encore un peu, je dors cinq minutes et j’y vais.
« Mais oui, mon petit, repose-toi... Ils sont tous tellement méchants avec toi... Sois sage deux minutes, tu veux bien, après je ferai le repas. Il faut que je m’allonge un peu d’abord... Il y a des bonbons dans le buffet, va, fais-toi plaisir... »
Narwa Roquen, qui mettra des points-virgules la prochaine fois!


  
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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-10-04 15:15:15 

 Undercover.Détails
Un texte sombre et désespéré qui décrit la lente spirale, la longue descente d’un homme qui a cru un instant émerger d’un long cauchemar. On ignore ce qu’elle fut avant, mais après la cure de désintoxication, sa vie a pris des allures de toboggan dans lequel il n’a pu se raccrocher à rien. Sa femme et sa petite fille sont parties, elles avaient sans doute leurs raisons. Vivre aux côtés d’un alcoolique est un enfer quotidien.

Seul son vieil ennemi intime restait encore là. Alors il remplace le vide autour par un plein dedans. Il combat le froid des autres par le feu qui le dévore de l’intérieur. Il oppose à la blancheur de cet univers hospitalier les couleurs exubérantes de l’alcool. Il brise les murs du silence qui l’emprisonnent par ces états euphoriques qui le font se sentir vivre au milieu des autres. Sans se rendre compte qu’il s’enfonce peu à peu, échappant à toute réalité ou prise de conscience.

Tu décris la dégringolade inexorable par palier (par degré ?). Petite démission après petite démission, prétexte après prétexte, résignation après résignation, le retour au point zéro... les apparences lâchent enfin et il se vide, comme se vide un évier plein de whisky.

La description de la déchéance est clinique et quasi-organique avec ce refus de regarder en face la dégradation de son état, la déliquescence de sa volonté, l’impuissance des structures chargées de l’aider. On va sans doute soigner sa pancréatite mais il a la maladie du chromosome 51, la pathologie du gène 27 et il fera peut-être une fois encore le yo-yo mais le bouchon ne refera pas surface la prochaine fois.... Comme bien d’autres...

Je ne ferai aucune observation sur la consigne mais cette histoire se finit aussi en point virgule. Elle n’est pas achevée. Un texte à fleur de peau, une observation quasi-professionnelle des mobiles et des conséquences. Well done... un texte comme je les aime.

M

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z653z  Ecrire à z653z

2008-10-07 16:32:26 

 Que dire de plus....Détails
....
Ah si, je pense que les points virgules sont plus faciles à insérer dans un texte où les phrases sont longues. Ton texte est fait de phrases courtes. Cela donne l'impression que ton alcoolique agit plus selon des sensations que selon des réflexions.
Sinon, c'était bien :)

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-12-11 16:28:00 

 Exercice 45 : Narwa => CommentaireDétails
Génial le titre. J’y suis revenue après une première lecture car je n’avais pas compris au départ.
Ce texte est incroyablement fort et incroyablement dur aussi.
La descente aux enfers de ton héros, progressive mais implacable, est parfaitement décrite, depuis la désertion de sa femme avec leur enfant jusqu’à la noyade finale au fond d’une bouteille de pastis. Et la première personne donne une proximité terrifiante. On est dans les pensées de ce type et c’est pas beau à voir.
La phrase « je suis fort » vient rythmer le récit fort judicieusement.
Les émotions sont bien rendues avec l’abandon, le vide de ton héros, sa solitude. Ses illusions, aussi, les mensonges innombrables qu’il se fait à lui-même, les excuses qu’il s’invente : « c’est bon pour la digestion, c’est des plantes », « Je dois couver la grippe. », « Il y a quelques années, oui, un peu... Mais là non, presque rien... ».
Tout cela est d’un réalisme effrayant. Horrible aussi la réaction des proches qui nient le problème « Attends, t’étais pas malade... » ou poussent carrément à boire « Il me tend un verre de rouge. ».
Ton héros touche le fond de sa déchéance avec l’absorption d’alcool à 90 pour pallier les effets du manque.
Tout sonne juste, comme la description de la première bière, avec les mots qui reflètent l’émerveillement, le langage qui fiche le camp avec l’ébriété « c’t’pauv femme », le delirium et son cortège d’hallucinations. Tu as fait des recherches pour ce texte ?
J’ai trouvé bizarre la transition de temps au début, entre passé et présent. Pourquoi pas le présent dès le début ?
Franchement, ça prend aux tripes jusqu’à la fin et encore une fois, je ne vois pas où est la distanciation que tu prônes. Note bien que ça ne me pose pas de problème qu’il n’y en ait pas. Ce n’est qu’une fiction. On y rentre, on en sort.
Un texte puissant en tous cas.

Est', en pleine lecture.

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