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Ronde

« Un, deux, trois, nous irons au bois... »

L’étudiant s’arrêta et leva les yeux de son livre. Sur l’une des fraîches pelouses du jardin du Luxembourg, trois fillettes d’une ressemblance frappante dansaient sagement la ronde en chantant. Toutes trois étaient blondes, et leur chevelure coiffée en anglaises légères était retenue par des rubans rose pâle assortis à leur teint clair. Elles portaient la même courte robe blanche de soie et de satin pleine de froufrous, de volants, de petits plis charmants, et la même paire de petits souliers noirs vernis, impeccables d’où émergeaient, dissimulant leurs frêles chevilles, les mêmes socquettes immaculées.
Et leurs trois jolies bouches identiques, aux mignonnes lèvres rosées, chantaient en choeur l’enfantine ritournelle.
Tiens, pensa le jeune homme, des triplées ! Voilà qui est peu commun !
Il ferma son livre entre son pouce et son majeur, gardant la page avec l’index, et croisa les bras sur sa poitrine pour les observer plus à son aise.

« ...Quatre, cinq, six, cueillir des cerises... »

Après un long moment d’observation, l’étudiant parvint à les différencier, à quelques infimes détails dans l’éclat pur de leurs yeux bleus.
La première avait un regard calme et posé, attentif et doux.
La deuxième était plus décidée, plus vive, et dure.
La troisième enfin rêvait, éthérée, secrète mais point timide, et son regard traversait les gens comme s’ils n’existaient pas.
Bien qu’il ne lui sembla pas avoir bougé, la distance qui le séparait des fillettes s’était considérablement amenuisée. Il n’y prit pas garde, pas plus qu’au jour qui baissait comme les derniers rayons du soleil disparaissaient derrière les immeubles gris pâle du quartier latin.
Petit, songeait-il, je chantais aussi cette chanson. C’est un jeu si commun des enfants !

« ... Sept, huit, neuf, dans un panier neuf... »

A présent, le jeune homme se trouvait au centre de la ronde les trois petites tournaient joyeusement autour de lui. Il ne les avait pourtant pas vues se lâcher les mains pour refermer le cercle sur lui, pas plus qu’il ne s’était aperçu que son livre était tombé à terre et ses bras le long de son corps. Il ne sut plus bientôt si elles avaient repris sans fin leur ritournelle, ou si au contraire elles ne l’avaient pas encore achevé une seule fois, ni si elles avaient fait autour de lui un tour ou bien cent.
    Elles tournaient, elles chantaient,
        Vite.
            De plus en plus vite.
    Elles le regardaient.
        La première de ses yeux doux,
            La deuxième de ses yeux durs,
                La troisième, de ses yeux qui le traversaient,
    Comme s'il n’existait plus.
Et leurs yeux ne sont plus bleus, mais noirs et ronds comme ceux des chouettes.
Dans sa poitrine, le coeur de l’étudiant bat la chamade, au rythme effréné de la danse des fillettes.
    Son coeur bat.
        Vite.
            De plus en plus vite.
    Elles tournent, elles chantent,
        Vite.
            De plus en plus vite et
    Elles le regardent,
        La première de ses yeux doux,
            La seconde de ses yeux durs,
                La troisième, de ses yeux qui le traversent,
    Comme s'il n’existait plus.

« ...Dix, onze, douze, elles seront toutes rouges ! »

(Le Petit Parisien, lundi 16 novembre 1878, rubrique des faits-divers.)
Un étudiant de la Sorbonne fait une crise cardiaque dans les jardins du Luxembourg.
Vendredi dernier au matin a été découvert dans le jardin du Luxembourg le corps de M. Arthur Hugo, 21 ans, étudiant à la Sorbonne. Il empruntait, d’après les habitués des lieux, cette allée tous les soirs pour regagner son appartement du quartier latin. Le médecin chargé de l’examen du cadavre a conclu à une crise cardiaque, survenue dans la nuit du 12 au 13 aux alentours de minuit. La police a conclu à un accident de santé du jeune homme.

La vieille herboriste contempla la photo du beau jeune homme dont les mèches brunes collaient au front pâle, allongé sur la pelouse comme s'il dormait, puis repoussa le journal dans un coin du comptoir, gratifia le gros chat noir qui ronronnait sur ses genoux d’une caresse et fit pivoter sa chaise vers le fond du magasin. Elle soupira.
Sur le perchoir qui pendait à la lucarne ouverte, trois effraies blanches la regardaient.
    La première de ses yeux doux,
        La seconde de ses yeux durs,
            La troisième, de ses yeux qui vous traversent,
    Comme si vous n’existiez plus.



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© Netra



Publication : 12 août 2006
Dernière modification : 07 novembre 2006


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3 Commentaires :

Netra Ecrire à Netra 
le 19-08-2006 à 11h31
Ben, pour les deux conclu, c'était volontaire : je voulais imiter un peu le stylez assez néantique de certains "journalistes à chiens écrasés" de l'époque... Pour les triades irlandaises, c'est tout à fait le principe.
Shadow Fae Ecrire à Shadow Fae 
le 18-08-2006 à 13h54
Triades étranges
Salut ^^

J'ai bien aimé l'ambiance de ton texte et ta façon de raconter.
Je l'ai ressenti comme un début d'histoire en le lisant. Comme si y'avait plus de choses à savoir sur ces fillettes par la suite.
Sinon, ça m'a fait penser aux triades de la mythologie irlandaise.
Et pour les deux "conclus" ça se corrige très vite ;-)
Estellanara Ecrire à Estellanara 
le 16-08-2006 à 11h58
A développer
Cette courte nouvelle fantastique laisse une impression d’inachevé. Elle ne commence ni ne finit vraiment. Elle est simplement prétexte à mettre en scène des fillettes d’une inquiétante innocence, thème récurrent dans la littérature fantastique (lire notamment La mort vivante de Wul). Le style est un peu maladroit, avec quelques répétitions (deux occurrences de « a conclu » dans l’article de journ...

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