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La Fée Morgan

Chapitre Troisième
Un frère

En ce matin de Beltaine (1), Morgan courait aussi vite que ses jambes le lui permettaient dans le couloir. Elle se jeta entre les jambes d’un garde, fonça pour dévaler l’escalier dans lequel elle bouscula une servante, jaillit dans la grand’ salle comme une pierre de fronde et fila aux écuries. Une longue litanie de jurons des plus évocateurs la suivait de près. La plupart des habitants de Tintagel riaient sous cape en voyant le roi Uther, en chemise de corps, poursuivre la petite héritière de leur forteresse. Pas un jour ne passait qu’elle ne lui jouât un mauvais tour, chipant tantôt son épée et l’accrochant, nul ne savait comment, au-dessus de la porte, tantôt sa cape que l’on retrouvait à couvrir un vieil âne dans l’écurie. Parfois, elle ouvrait la fenêtre de la chambre en pleine tempête ou rapportait une demi-fourmilière dans le lit où il dormait avec Ygern. Tous ceux qui vivaient à Tintagel se disaient qu’un jour, Uther cesserait de jurer et la frapperait. Ce dont ils ne répondaient pas, c’était de la réaction d’Ygern, car toute enceinte qu’elle était, la reine ne se laissait jamais faire par personne.

Depuis neuf mois que Gerlois, son premier époux, était mort, Ygern avait incroyablement changé. Trois mois durant, elle n’avait pas desserré les dents, pas même pour sa fille qui devenait complètement sauvage et refusait de se nourrir plusieurs jours durant. Et puis, la Dame de Tintagel s’était subitement souvenue qu’elle était mère. Elle avait épousé le père de son enfant à venir et lui avait laissé sa chance de lui rendre son sourire. Au début, elle n’avait pensé qu’à cet enfant qui croissait en son ventre et à qui elle devait donner un avenir, et devenir le cadet sans héritage d’une maison puissante, mais déchue des grâces du roi n’avait rien de ce qu’une mère peut souhaiter pour ses enfants. Et puis, les semaines passant, à mesure qu’Uther lui faisait la cour et la couvrait d’attentions, elle s’était laissée séduire par ce roi qui avait, pour elle, mené une armée au combat. Il avait réussi à la rendre amoureuse et elle lui cédait en tout point, sauf un.

Morgan.

La fillette et le roi se haïssaient avec une force qui n’avait d’égale que l’amour qu’ils portaient à Ygern. La guerre ouverte entre eux datait de leur première rencontre, lorsqu’Uther avait tenté de se faire passer pour Gerlois et que Morgan s’était interposée.

Ce jour-là, la petite avait réussi un tour particulièrement désagréable, puisqu’elle avait répandu du poil à gratter sur tous les vêtements du roi, et que celui-ci avait été contraint de remettre sa chemise de nuit pour ne pas s’arracher la peau du dos à force de démangeaisons. Morgan se cacha dans la stalle de son poney, mais Uther eut vite fait de l’y débusquer. Elle se trouva donc acculée, face à un géant qui ne comptait pas lui faire de cadeau.
– Cette fois, tu vas voir, espèce de petite peste ! beugla-t-il en levant la main.
– Arrière, Dragon ! Tu n’as pas le droit de me toucher ! glapit l’enfant en se dressant devant lui.

Les palefreniers ne comprirent pas tout de suite d’où venait le cri de douleur qui ébranla les écuries, avant de découvrir leur roi plié en deux, la main plaquée sur son ventre.
– Rah, petite saleté ! Qu’est-ce que tu m’as fait ?
– J’ai voulu que ta main soit brûlée, et elle l’a été. Je veux ta mort, Dragon, et je l’aurai, rassure-toi. Je ne sais pas quand, mais je l’aurai.
– Morgan ! Uther !

Ygern marchait vers eux aussi vite que le lui permettait son ventre. La fillette se cacha à demi dans les jambes de son poney, certaine que la fureur de sa mère durerait. Uther ne bougea pas, occupé qu’il était à se masser la main.
– Cesserez-vous un jour cette querelle absurde, tous les deux ? Morgan, viens ici tout de suite ! Tu rentres avec moi et tu resteras dans la chambre toute la journée. Quant à toi, Uther, ne t’avise pas de lever à nouveau la main sur elle. Elle est ma fille, et tu n’as aucun droit sur elle !

L’enfant se glissa, penaude, jusque dans la robe maternelle et s’accrocha aux premiers plis que ses mains rencontrèrent. Le tissu en était fin et doux, une robe légère de printemps qui sentait encore l’alun et la myrtille qui l’avaient teinte peu auparavant. Elle y plongea son visage et s’y sentit bien. Mais sa mère l’attrapa par le bras et la traîna presque à l’intérieur de la salle commune et jusque dans la chambre, dont elle ferma violemment la porte avant de s’asseoir dans son fauteuil de broderie, près de la fenêtre. Elle avait lâché Morgan presque aussitôt, et la petite fut fort décontenancée en s’apercevant qu’Ygern pleurait. Elle prit son mouchoir et alla à elle pour le lui tendre.
– Pourquoi tiens-tu tant à me rendre malheureuse, Morgan ?
– Mais je ne veux pas te rendre malheureuse !
– Alors cesse de toujours chercher querelle à Uther !
– Mais il t’a trompé et il a fait tuer Papa !
– Et ? Ton père est mort, mort et brûlé (2) ! C’est Uther qui est là, et c’est lui qui assurera un avenir à ton frère ou à ta soeur à venir ! Toi, tu auras Tintagel, mais lui, elle, sans son père, n’aura rien.
– Ce n’est pas Uther qui lui donnera un avenir, Maman. C’est Marzhin, il me l’a dit.
– Morgan, regarde-moi.
La fillette leva les yeux vers sa mère en posant délicatement ses mains sur le ventre rond, pour que son petit frère (car elle savait que c’était un garçon, bien qu’elle n’eût aucun moyen d’expliquer pourquoi elle le savait) puisse prendre part à la conversation.
– J’ai besoin d’Uther, tu comprends ? Comme tu as besoin de moi.
– Tu n’es plus une petite fille, Maman.
– C’est vrai, mais on a toujours besoin de quelqu’un qui vous aime. Tu comprendras, quand ton temps sera venu.
– Je ne t’aime pas assez ?
– Si, bien sûr, mais l’amour d’Uther est différent. Tu verras, toi aussi un jour tu auras besoin de quelqu’un pour t’aimer.
– Non. Le jour où je n’aurai plus besoin de toi, je n’aurai plus besoin de personne.
– Morgan, Morgan... Est-ce là tout l’espoir de la vie que j’aie réussi à te donner ?
– C’est seulement le peu d’espoir que j’aie réussi à conserver.
– Tu ne parles pas comme une enfant.
– Ni toi, ni Uther, ni Marzhin ne m’avez laissé le loisir d’être une enfant. Et moi, je voudrais être un corbeau, pour m’envoler avec Branig.
– Tu as six ans, Morgan, tu...

Soudain, Ygern changea d’expression. Ses traits se crispèrent, ses incisives mordirent si fort sa lèvre inférieure qu’une perle de sang en coula, ses yeux se vitrifièrent. Sa peau, si pâle d’ordinaire, vira au gris.
– Maman ?

Morgan ne comprit pas ce qui se passa alors. Sa mère hurla, comme happée par la douleur, et s’affaissa contre le dossier du fauteuil à l’instant où deux jeunes lavandières accouraient dans la pièce, les bras chargés de linge propre. L’une d’elle lâcha aussitôt son ballot de tissu et se précipita pour soutenir sa dame tandis que l’autre appelait la sage-femme à grands cris. La fillette demeura là, tétanisée par les hurlements de sa mère, incapable de bouger, si interdite qu’elle ne réagit pas tout de suite lorsqu’Uther arriva, la jeta hors de la chambre et referma la porte sur la sorcière, Ygern et lui-même. Elle entendait comme en rêve la vieille rouspéter après le roi, l’injurier de n’être pas demeuré dehors, mais il tint si bon qu’elle jugea préférable de s’occuper de la mère avant de tenter quoi que ce soit contre le père. Puis, il n’y eut plus que les cris d’Ygern et Morgan s’enfuit, les mains sur les oreilles, se réfugier dans la stalle chaude de son poney. Elle y demeura prostrée des heures, refusant d’émettre le moindre bruit, de verser la moindre larme. Comme le soleil déclinait, Branig, quittant son nid, se percha sur son épaule et entreprit de lui picorer la main.

– Arrête ça, Branig, tu fais mal !
Mais le corbeau continua, et l’enfant eut bientôt le dos de la main en sang. Elle s’emporta et ôta la paume de son oreille pour chasser l’oiseau, qui esquiva le revers de bras qu’elle lui destinait. Alors, elle entendit. Sa mère ne criait pas. Elle appelait. Elle l’appelait elle, par son nom. Morgan se leva, traversa aussi vite que ses jambes le pouvaient la cour de terre battue et grimpa à la chambre. Elle poussa résolument le battant et pénétra dans la pièce.
– Que lui fais-tu, vieille sorcière ? grondait Uther.
– J’essaie de la sauver, voilà ce que je fais ! Le bébé se présente mal, je ne suis pas certaine qu’elle...
SORTEZ !
La sage-femme et le roi se retournèrent de concert et découvrirent la fillette, crottée dans sa courte tunique de chanvre noire, le port altier et le bras tendu vers la porte.
– Ma mère m’appelle, sortez.
La vieille la considéra un instant, puis sourit.
– Tu as raison, petite Bansidh. Si quelqu’un peut faire quelque chose, c’est toi.
Elle alla à la porte, et ses bottes de cuir grinçaient curieusement sur le parquet.
– Uther-roi, si vous aimez votre épouse, sortez avec moi.
– Vous la laisserez mourir ?
La sage-femme haussa les épaules, et sortit. Uther, la poursuivit en pestant et en la menaçant de tous les maux si elle ne revenait pas. L’enfant se jeta sur la porte et la barra avant de se précipiter vers le lit. Ygern n’avait plus la force que de gémir. Son ventre nu se convulsait horriblement et les draps et le parquet de la chambre étaient gorgés de sang. Sans chercher à comprendre ce qu’elle faisait, Morgan posa ses mains de part et d’autre du nombril de sa mère et ouvrit la bouche.

AAAAAAAAAAAaaaaaaaaaooooooOOOOOOOOOOOOOMMMMmmmmm... (3)
Elle laissait un chant sortir seul de sa gorge nouée, et elle ne savait pas d’où il venait, mais elle sentait Ygern et son enfant se détendre. Elle sentait une contraction se faire, se préparer doucement, elle sentait sa mère prête à comprimer ses muscles pour pousser le bébé, elle sentait son petit frère bouillir de vie dans le sein de sa mère.

– OOOOOOOOOmmmmmmmMMMMaaaaaaaaaAAAAAAAA...
Elle ne respirait plus, elle devenait canal, et le chant comme un fleuve passait par elle et elle voyait l’infini, elle le devinait au-delà des étoiles et les voiles des nuages et du vent se déchiraient, elle était entraînée, happée, broyée par un Univers qui s’étendait devant elle comme un Océan plus immense que tous les océans. Un serpent immense en sortit, un serpent à collerette d’émeraude et de saphir, et il était enchaîné et tiré hors de l’eau, et elle hurlait comme si c’était d’elle qu’on l’arrachait (4).

– MMMMmmmmmmAAAAAAAAAAAaaaaaaaaOOOOOoooMMMMMMoooo...
Ses mains glissèrent jusqu’entre les jambes de sa mère. Une main minuscule, écartée comme pour chercher un appui, émergeait du vagin dilaté. Elle la prit, la tira très doucement, sans cesser de chanter.

– AAAAAAAAAAAAAaaaaaaaMMMMMMMMMoooooooOOOOOOOOOOO...
Elle était devenue l’eau. Elle flottait dans l’Univers, elle était l’eau et le feu, la brume, le vent, l’air immobile, la terre et la poussière (5). Elle était le Néant, et elle était la Vie.

– AAAAAAaaaaaaaaoooooooooOOOOOOOOOMMMMMMMMMMMMM...
Du sang ruisselait de ses mains. L’enfant sortait lentement, sûrement, elle l’attendait, ses bras étaient là pour l’accueillir. Elle ne savait pas quand la ceinture de sa tunique s’était défaite, mais son torse était nu, trempé de sueur et de sang.

– MMMMMMMMoooooooooOAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA...
Elle sentait son coeur battre et une profusion confuse de souvenirs affluer en elle et la serrer à s’étouffer. Goutte de pluie, souffle de vent. Elle avait été pommier autrefois.

– AAAAAAAAMMMMmmmmmmmmmmmmmmmm...
Elle se tut. Elle prit le bébé qui piailla et le serra sur son coeur, dans ses bras épuisés. Elle était couverte de sang, ses longs cheveux noirs dégouttaient des larmes rouges et sa peau blanche barrée de trainées écarlates offrait un spectacle inquiétant, voire réellement effrayant. Mais le nouveau-né, mains minuscules plaquées sur sa peau, frottait contre elle son petit visage.
– Qu’est-ce que tu cherches, petit ourson ? demanda-t-elle.
– Ourson ? murmura sa mère. Peux-tu me le donner, le petit ourson ?

La fillette alla à Ygern et lui posa le nourrisson sur la poitrine.
Arthur (6). Tel sera son nom : Arthur. C’est toi qui l’a choisi, Morgan.
L’enfant sourit, se traîna jusqu’à la porte qu’elle libéra à grand peine, et s’écroula dans l’ombre du battant qui s’ouvrait sur Marzhin.

***

Elle ne savait pas combien de temps elle avait dormi, mais il faisait encore nuit et les feux de Beltaine étaient allumés dans la cour. Elle se redressa et frotta son tibia endolori. Elle ne se souvenait pas s’être cognée à la jambe, mais un bleu magnifique attestait du contraire. Elle senti sous ses doigts les draps doux à force d’usure de son lit. Comment était-elle arrivé là ? Elle haussa les épaules presque aussitôt. Sa mère dormait dans la grande couche. Uther manquait : il devait présider à Beltaine. Elle se leva, chercha à tâtons ses chausses et ne les trouva pas. Elle se souvint alors qu’elle les avait maculés de sang durant la naissance de son petit frère. Elle se glissa jusqu’à son petit coffre et y saisit une courte tunique de chanvre et ses chausses de rechange, enfila le tout et demeura pieds nus sur le parquet chaud. Elle repoussa son épaisse chevelure noire derrière ses épaules et contempla la chambre plongée dans la pénombre.

Soudain, elle grimaça. Où était son petit frère ? Elle ne le vit pas aux côtés de sa mère. Puis elle se souvint. Marzhin. Marzhin était venu. Elle se précipita hors de la pièce, dévala l’escalier en manquant de tomber plusieurs fois, jaillit dans la cour et la traversa sans prendre garde aux danseurs nus et peints qui se cambraient et se contorsionnaient autour des feux. Elle pénétra à peine plus calmement dans la stalle de son poney. La tendre bête tourna vers elle sa grosse tête douce, libérant un rayon de lumière qui toucha une silhouette assise dans la paille.

– Je t’attendais. Tu as bien dormi ?
– Taliesin !
La fillette se jeta dans les bras du barde sans plus réfléchir. Il la serra contre lui sans rien dire, le regard fixé dans le vague.
– Taliesin, où est mon frère ?
– Marzhin l’emmène en lieu sûr. Uther a beaucoup d’ennemis. Beaucoup trop pour que tu puisses protéger seule ton petit frère.
– Mais je ne lui ai pas dit adieu !
– Et bien, rien ne t’en empêche. Tu as un poney, et Marzhin est à pied. Tu n’auras pas de mal à le rattraper.

Il n’avait pas fermé la bouche que le poney était détaché et Morgan sur son dos. Elle l’élança hors de la stalle et en quelques instants il galopait entre les feux, puis sur la route. Elle entendit bien Uther jurer, mais très vite il n’y eut plus que la cadence régulière des sabots sur la terre. Elle enfouit son visage dans la crinière noire, et se laissa porter.

Bientôt, le poney s’arrêta de lui-même. Elle leva les yeux. Marzhin se tenait devant elle. Il portait dans ses bras un berceau d’osier.
– Laisse-moi lui dire au revoir.
– Je m’en doutais. Je n’aurais jamais dû laisser Taliesin venir avec moi. Mais, enfin, celui qui commandera aux pas de Taliesin commandera aussi au souffle du vent et à la course des étoiles. Viens, mais ne crois pas trouver de soulagement dans cet adieu.
– Je ne cherche pas de soulagement, répliqua l’enfant en prenant le berceau dans ses bras.
Elle se pencha et regarda son frère. Quelqu’un l’avait nettoyé et il dormait paisiblement, inconscient de l’attention qu’il cristallisait.
– Qu’as-tu dit à Maman ?
– Rien. Et tu n’aurais rien dû savoir non plus. C’eût été moins cruel.
– Marzhin ?
– Quoi ?
– Emmène-moi.
– Pas encore.
– Taliesin a dit que toi seul pouvait m’apprendre ce que je veux savoir, alors emmène-moi et enseigne-moi.
– Que veux-tu savoir ?
– Tout.
– Et si je refuse ?
– Je parle.
– Pour dire quoi ?
– Qu’Arthur Pendragon n’est pas un enfant mort-né. Que tu as enlevé l’enfant royal pour le porter chez Athor de Galles.
– Comment sais-tu cela ?

Cette fois, Marzhin fut troublé. Qui était cette enfant ? Il n’avait révélé qu’à Ninian où il comptait cacher l’enfant.
– C’est une pensée qui occupe beaucoup ton esprit. Tu as peur de t’être trompé.
– Tu... Je...
– Marzhin fils de l’Oiseau troublé par une fillette, fredonna une voix dans son dos, quel beau conte je pourrais chanter là !
– Taliesin, tu m’énerves, parfois.

Le barde sourit et ses yeux bleus rirent. Morgan leva les yeux vers les deux hommes. Ils étaient aussi différents que le rossignol du corbeau. Marzhin, grave, campé dans sa haute stature digne d’un jeune chêne, brun de cheveux, sombre de peau, vêtu d’une tenue de voyage sale et râpée, armé de son seul long bâton de marche tordu et noueux, semblait dominer Taliesin, plus petit et plus mince, blond, pâle, souriant, mais dont les yeux d’un bleu lumineux malgré l’obscurité brillaient d’un éclat sans fond, et à la ceinture duquel pendait l’épée fine des bardes. Sa harpe était sanglée sur son dos, vaguement emballée dans une écharpe bleu roi.
– C’est bon, lâcha Marzhin en s’agenouillant devant Morgan.

Ainsi, ils avaient la même taille, et leurs regards se rencontrèrent pour la première fois. Le fils de l’Oiseau plongea dans les grandes pupilles noires de l’enfant.
– Pour ton septième anniversaire, je viendrai, je te prendrai avec moi et t’enseignerai tout ce que je sais sans restriction, et Ninian fera de même, et Taliesin s’il le veut bien. D’ici là, tu ne diras rien de ce que tu sais de ton frère. Si on te déclare qu’il est mort à la naissance, tu ne répondras pas, pour ne pas mentir. Tu resteras à Tintagel jusqu’au prochain solstice d’hiver, au jour et à l’heure de ta naissance tu te tiendras prête, je serai là et je t’emmènerai sans délai. Voici ce que je te jure cette nuit de Beltaine, Morgan de Tintagel.

Le visage de Morgan s’assombrit.
– De cette nuit à mon prochain anniversaire, je ne dirai rien de ce que je sais de mon frère, et qui me déclarera quoique ce soit à son sujet, je me tairai pour ne pas mentir. Je resterai à Tintagel jusqu’au prochain solstice d’hiver, au jour et à l’heure de ma naissance je sera prête, tu viendras et tu me prendras avec toi pour m’enseigner tout ce que tu sais, sans restriction, et Ninian avec toi, et Taliesin qui m’a déjà fait cette promesse. Voici ce que je te jure cette nuit de Beltaine, Marzhin fils de l’Oiseau.
– Bien. Rends-moi Arthur, à présent. Il est plus que temps de me remettre en marche.
– J’ai une dernière question.
– Pose.
– Pourquoi ne pas m’emmener ce soir ?
– Pour que tu aies le temps d’apprendre ta première leçon.

Ce disant, Marzhin se releva, emportant le bébé avec lui, et reprit sa marche. Taliesin s’accroupit pour embrasser Morgan sur le front. Elle n’avait pas reçu de baiser depuis la mort de son père, et ne fût si surprise qu’elle y porta la main, comme pour retenir la sensation.
– Taliesin, qu’est-ce que ma première leçon ?
– La patience.

Il se dressa et la salua d’un geste de main avant de suivre Marzhin. Morgan, perplexe, remonta sur son poney et rentra à Tintagel, retenant dans ses yeux des larmes de douleur.

N.d.A.

(1) : Beltaine est la fête celte du feu, qui se déroule dans la nuit du 30 avril au 1er mai. Dans la mythologie celtique, les grands rois et grandes reines naissent cette nuit-là, et les héros y sont conçus, comme on le verra plus tard. Cette fête du feu se déroule autour de sept foyers dans chaque domaine, et le huitième feu, le Grand Feu, est allumé par les druides dans leur plus grand sanctuaire, dont l’emplacement n’a toujours pas été déterminé avec certitude.
(2) : Les Celtes brûlaient leurs morts ou les jetaient à la Mer. La coutume de l’enterrement ne viendra que vers le VIIème siècle, avec l’arrivée du clergé (mais pas des chrétiens, déjà de plus en plus présents et populaires grâce aux ermites tels que Saint Ronan)
(3) : Dans la cosmogonie celtique, le monde a émergé du chaos par un chant composé de trois sons, A, O et M. ça va plaire aux fans de Tolkien !!! La résonnance du premier chant du monde animerai encore toute création, et lorsque son écho cessera le temps de la destruction viendra. Y’en a peut-être à qui ça rappelle les religions orientales, c’est tout à fait normal : les Celtes les plus anciens venaient de l’ouest des monts Oural (je ferai un dossier spécial là-dessus !)
(4) : Premier enfant de la Déesse-Mer (et déesse mère), le Grand Serpent de Mer fut tiré hors des eaux par le dieu Lug et ses deux boeufs, car il refusait de quitter le sein maternel, et c’est son départ qui permit l’émergence de la terre ferme.
(5) : Les Celtes divisent le monde en sept éléments, et non quatre ou cinq, et pour eux, le septième les regroupe tous : le septième est la poussière, la farine d’air qui constitue le monde. C’est bizarre, ça ressemble à la théorie des atomes, mais ça date d’avant Périclès...
(6) : Arth en gallois, arzh en breton, l’ours est pour les Celtes l’animal guerrier de référence, l’animal associé à la caste des guerriers. Arthur, le Grand Ours, est donc le guerrier des guerrier, le roi des rois.

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© Netra



Publication : 07 décembre 2009
Dernière modification : 07 décembre 2009


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Netra
1. La frontière  
2. Colère  
3. Un frère  




3 Commentaires :

Netra Ecrire à Netra 
le 25-04-2010 à 15h42
Merci ^^
Merci Est (et re-merci Narwa) pour ce comm' ^^
J'ai presque fini le chapitre 4 mais comme je l'ai dit dans le Faerium, je travaille dur sur un projet d'écriture plutôt long, donc je ne pense pas l'avoir fini avant juillet, ce chapitre 4 mais... vous l'aurez ^^
Estellanara Ecrire à Estellanara 
le 19-04-2010 à 15h33
Excellent !
Aussi passionant que le début si ce n'est plus. Effectivement, quelques maladresses mais vu l'intéret du sujet et la qualité de l'ensemble, je te pardonne tout pour avoir la suite !
Narwa Roquen Ecrire à Narwa Roquen 
le 10-01-2010 à 23h35
Passionnant!
Indiscutablement, c’est dans cette saga que tu es le plus à l’aise. On te sent parfaitement chez toi dans ce Monde. Les personnages sont bien campés, leurs relations sont décrites avec finesse. Tu réussis bien à mêler chez ton héroïne le côté enfantin et le côté hypermature, hors normes, de la fée en devenir. L’intrigue semble couler de source, avec un rythme agréable, ralentissement, progression,...

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