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De : Netra  Ecrire ΰ Netra
Page web : http://terredelune.eu
Date : Jeudi 21 mai 2020 ΰ 16:17:26
Coucou les geeeeens

Voilà j'avais dit que je vous offrirai des textes, alors...

C'est pas de la SFFF.

Mais c'est joli quand même. Et je crois que celui-là Est' tu l'as pas. Enfin je crois mais pas sûr. Peut-être. Bref.

Bonne lecture.


Des
étoiles
dans la peau



Pour mes parents,
Alain-Michel & Marie-Christine.

Je voulais écrire une histoire que vous pourriez lire, une comme vous les aimez : sans oreilles pointues, sans autres mondes magiques aux règles inconnues, sans personnages bleus aux noms imprononçables, sans vaisseaux spatiaux, et même sans vampires.
Une histoire sans pas de côté, qui se passe dans notre monde.



I


Je saute sur le quai de la gare et j'ai à peine eu le temps de m'accroupir que je reçois quinze kilos de gamin lancé à toute allure dans les bras.
Bien sûr, je finis sur le cul, le kilt en vrac, mon filleul hilare poussant des « Parrain ! Parrain ! Parrain ! » surexcités dans mes oreilles, une paire de petites mains patassant joyeusement sur mon visage et dans mes cheveux.
— Salut, fillot.
— Je suis conteeeeeeent ! Dis, tu restes, cette fois ?
— Aussi longtemps que je peux, promis.
— Non ! Tu restes pour toujours !
Ah, l'absolu de l'enfance, j'vous dis pas...
— Un coup de main, Em ? demande une voix au-dessus de ma tête.
— Merci, Loïc, ça va le faire.
Je ramasse mon filleul d'une main et je me relève en m'appuyant sur mon sac pour saluer mon beau-frère et embrasser ma nièce, Alanna, qui darde sur son frère cadet des yeux jaloux. Forcément, elle aimerait que son oncle soit aussi un peu pour elle, de temps en temps. Du coup, je tends mon sac à Loïc.
— Finalement, je vais plutôt porter la princesse, si t'y vois pas d'inconvénient.
— Sûr que non.
Je me retrouve donc avec une blondinette de sept ans sur mon bras droit et un petit brun de cinq ans sur le gauche, tous deux pendus à mon cou comme si leur vie en dépendait.
— June a posé son après-midi, elle sera là au déjeuner.
— Oh, cool ! Je m'attendais pas à c'qu'elle décroche du boulot avant ce soir...
— Je crois que toi et les enfants êtes les seuls pour qui elle décroche du cabinet à l'improviste.
— Et toi ?
— Ah non, pour moi, elle prévoit de décrocher, fanfaronne-t-il en m'ouvrant la portière de la voiture pour que j'y dépose les enfants.
C'est une chance que la gare de Saint-Malo ne soit pas très grande : je commençais à fatiguer, moi ! Je ne suis pas franchement du genre armoire à glace, avec mon mètre soixante-cinq et mes cinquante kilos mouillé, et ma nièce et mon filleul ne sont plus exactement des bébés. Si je veux continuer à jouer les arbres à mini-Le Gall, j'ai intérêt à reprendre la muscu.
Ce que j'ai très envie de faire, si je peux.
Loïc et moi bouclons les ceintures des enfants, je balance mon sac dans le coffre, et quelques instants plus tard, la voiture roule dans le centre-ville malouin, le plus beau de Bretagne mais pas le moins dynamique, vers Saint Lunaire et la maison des Le Gall.
— T'as encore maigri, m'annonce mon beau-frère en profitant du ronronnement du moteur pour que les enfants n'entendent pas.
— C'était pas calculé, t'sais.
— Ok, c'était pas super fin, comme approche. Je crois que je voulais juste te dire qu'on s'inquiète pour toi, June et moi.
— T'en fais pas, j'avais capté.
— Je dois repartir en mission bientôt, mais... J'envisage d'annuler. Entre les tests d'Hervé qui approchent et tout ce... enfin, tout ce qui s'est passé pour toi, c'est peut-être pas tellement le bon moment.
Loïc est océanographe. Il part une ou deux fois par an pour des missions de deux à trois mois sur toutes les mers du monde, étudie les populations d'animaux marins, tout le fatras scientifique habituel. Dans ces moments-là, toute la famille se relaie pour aider June avec les enfants : entre les grands-parents, le frère et la soeur de Loïc, et moi, tout finit toujours par bien se passer. Le reste du temps, Loïc le partage entre père au foyer et chargé de conférence sur la biodiversité marine. Mais le priver de ses voyages, c'est le priver d'une part de lui-même.
— Hervé s'en sortira très bien, et moi aussi, Loïc. De toute façon, c'est pas comme s'il y avait de bons ou de mauvais résultats à ce genre de trucs, pour Hervé, et pour moi... J'sais que j'en ai pas l'air, mais je suis adulte, en vrai.
Il me jette un coup d’oeil, je vois bien qu'il cherche une boutade. Ce ne serait pas très dur à faire. Avec mon look de demi-portion d’Écossais, mon catogan en vrac et mes tatouages tribaux, je ressemble plus à un ado avec un bouc qu'à un quasi-trentenaire. Sans compter que je ne tiens guère la comparaison avec lui, son mètre quatre-vingt-six, sa coupe rase et ses premières rides. Sur le papier, on a trois ans d'écart. À nous regarder... on nous en donnerait au moins dix ou douze.
Le crissement des pneus sur le gravier annonce le retour des conversations audibles pour de jeunes oreilles. Genre, le menu du déjeuner. Alanna, toute heureuse, a réussi à négocier des frites en l'honneur de mon arrivée. Ce qui signifie steak-frites pour elle et son père, et fish & chips pour June, Hervé et moi. On voit qui a récupéré les goûts gallois, chez les Le Gall.
Loïc s'occupe donc d'allumer la friteuse pendant que je pose mon sac dans la chambre d'amis. Hervé, lui, court me chercher son dernier dessin.
— Papa m'a emmené voir les phoques en bateau et j'ai dessiné tout comme t'avais dit !
Je contemple d'un air absorbé l’oeuvre de mon filleul, un A4 presque complètement recouvert de crayon de couleur. Des ovales marrons, avec des yeux-billes et trois moustaches de chaque côté, reposent sur un dôme gris entouré de deux bleus différents, un clair pour le ciel, un foncé pour la mer. Il dessine vraiment bien. Trop bien, en un sens, pour un enfant de cinq ans. June et Loïc disent qu'il tient de moi. Nos parents ont peur qu'ils aient raison. Et peut-être que moi aussi, un peu. Ou peut-être que si je suis là pour lui, que je l'aide à ouvrir les bonnes portes aux bons moments et à avoir confiance en lui, ça changera un peu quelque chose. En tout cas, personne ne lui souhaite de... finir comme moi.
— Tu montres comment je fais des vagues ? C'est dur, les vagues.
— Sûr. Tiens, regarde, il faut faire le même mouvement que l'eau avec ton crayon...
Sur le parquet de la chambre d'amis, j'improvise l'une de ces leçons de dessin qu'il aime tant. Il s'applique, la langue tirée sur le côté, à reproduire les arcs de cercle bleus qui donnent l'illusion d'un mouvement.
Soudain, deux bras font irruption autour de mes épaules, et un baiser sonore retentit sur mon crâne.
— Hi, bro !
— Hey, sis.
Je me retourne pour serrer ma soeur jumelle dans mes bras. June et moi nous ressemblons assez, physiquement : poids plume, taille dans la moyenne basse, yeux noisettes, cheveux auburn, taches de son autour du nez. Quand nous étions plus jeunes, elle adorait prétendre que j'étais « sa version mec, » invoquant un droit d'aînesse de trois heures quarante pour que je ne puisse pas revendiquer l'inverse.
Aujourd'hui, elle porte des lunettes d'écaille et une alliance, moi un bouc et des tatouages. Plus trop moyen de nous confondre, de dos comme de face. Pourtant, nous sommes restés très proches. La preuve, je suis là...
— Comment tu vas ? demande-t-elle.
J'élude la question d'une moue dubitative. Pour le moment, il y a les enfants, le jour, le déjeuner presque prêt. On verra comment je vais plus tard, et je ne mentirai pas à coups de banalités devant elle.
— Et toi ?
— Oh, ça va. Le cabinet est tranquille, je n'ai pas de garde avant un mois, et j'ai réussi à faire entendre à Monsieur Delorme que sa vue ne se soignerait pas avec des médicaments. Il devrait me ficher la paix pendant au moins quinze jours, cette fois.
Je souris, et je pose mon front sur son épaule. June est comme ça. Rien ne semble jamais perturber sa vie de jeune femme moderne, partagée entre son cabinet de médecin généraliste, son océanographe de mari, son adorable progéniture, sa large tribu d'amis en tous genres et son loisir préféré, le char à voile. Oh, sa vie n'a pas toujours été facile, et ceux qui la connaissent vraiment bien savent qu'il y a des sujets à ne pas aborder, des souvenirs à ne pas évoquer... mais je sais bien que quand les gens nous comparent, ils se demandent toujours à quel moment j'ai merdé.
Si j'avais la réponse, je la leur donnerais bien volontiers.
— À taaaable ! claironne Alanna depuis le rez-de-chaussée.
Hervé s'arrache à ses phoques, et nous descendons tous les trois rejoindre le père et la fille, guidés par l'odeur de friture.

L'après-midi, les enfants sont aux anges. C'est les vacances d'avril, et pour de jeunes bretons, il fait bien assez beau et chaud pour aller se baigner. Mais pour les touristes, il est encore trop tôt : la plage habituellement très fréquentée de Saint Lunaire est presque déserte. Seuls quelques retraités y croisent, comme des tortues de mer errant dans les coraux. En plus tristounet.
Hervé, ses bouées Vaiana autour des bras, me travaille au corps pour que j'accepte d'aller dans les vagues avec lui. J'hésite.
Ce n'est pas que je n'aime pas l'eau, au contraire. J'adore tellement nager que je suis capable d'aller piquer une tête en plein hiver. Mais affronter le short de bain, c'est risquer de montrer à June (et un peu à Loïc aussi) à quel point les derniers mois ont été difficiles. Sept kilos en moins quand on est déjà pas bien épais à la base, ça se voit. Et avec l'incident de l'autre jour...
— T'es malade ?
— Hein ?
Le regard suspicieux de ma jumelle vaut un discours. Je n'ai jamais refusé d'aller me baigner avec qui que ce soit, encore moins mon mini-filleul adoré. Autant pour ma couverture, je suis grillé quoi qu'il arrive. Je suppose que j'ai plus qu'à en profiter... J'enfile donc mon maillot sous mon kilt et quand je retire mes vêtements, je peux sentir les sourcils de June se froncer dans mon dos, et pour une fois, ce n'est pas à cause de mes tatouages. J'esquive en provoquant Hervé à la course jusqu'aux vagues. Il détale aussitôt, et je suis — je fuis — loin des questions inquisitrices.
Là, au milieu des gerbes d'eau salée, des rires d'Alanna et d'Hervé, des rochers polis et des amas de varech, pour un moment, j'oublie. Je ris. Je vis.
Et puis on verra bien.


II


Il faut attendre le dîner pour que la question fatidique tombe, comme un pavé au milieu de la purée de carottes-panais. Alanna en est l'autrice, bien sûr. Hervé est encore trop jeune pour avoir prêté attention à ce « détail »...
— Dis, Em, il est où Raph ?
June et Loïc échangent des regards alarmés. J'ai habitué ma soeur à des réactions plutôt... humides, en cas de coup dur. Pourtant, face aux enfants, je suis calme, presque détaché.
— Raph ne viendra plus, chérie.
— Pourquoi ?
— Parce qu'il ne m'aime plus, et qu'il ne veut plus me voir, et que vous êtes ma famille.
— Pourquoi il t'aime plus ? Il est bête ?
Merci, Hervé.
— Non, fillot. C'est juste comme ça.
— Il est bête quand même, approuve Alanna, la fourchette brandie comme le marteau d'un juge. C'est dommage, il faisait bien les hamburgers.
Sur cet argument tout à fait imparable, les deux jeunes Le Gall retournent à leur purée de carottes, et leurs parents s'empressent d'aborder un sujet bien plus intéressant : le programme du lendemain, et l'accrobranche promise à Alanna contre un bulletin impeccable. Il y a un parcours Baby pour les moins de sept ans, et je me porte volontaire pour y aller avec Hervé et laisser la fille et ses parents expérimenter pour la première fois le parcours Kid. Ma nièce m'adresse un sourire ravi. Loïc, lui, est moins à l'aise. Je mets deux bonnes minutes à me rappeler qu'il a le vertige. June, elle, rit sous cape.
Je les regarde, tous les quatre, cette jolie famille ouverte et joyeuse, et je me demande, moi aussi, à quel moment j'ai merdé.


III


Le dîner est passé, les enfants sont couchés. Hervé a réclamé deux histoires, Alanna l'a traité de bébé, mais elle a demandé à avoir sa bonne nuit en deuxième. J'avais oublié à quel point ce genre de choses compte, à cet âge. De gagner les deux minutes de la bonne nuit en deuxième, de choisir ses peluches de la nuit, de vérifier chaque placard au cas où il y resterait un monstre. J'ai l'impression que c'était hier, que June et moi, fraîchement débarqués de notre pays de Galles natal, découvrions la France et, pour la première fois, dormions dans des chambres séparées. Nous avions l'âge d'Alanna, et pendant six mois, nous avons alterné entre son lit et le mien, une nuit sur deux, parce que la grande maison inconnue de ce grand pays inconnu ne pouvait pas être complètement vide de monstres des placards.
Une fois les lumières de l'étage éteintes, Loïc a annoncé qu'il allait « finir de travailler. » Une façon polie de nous laisser, June et moi, entre jumeaux. J'adore mon beau-frère, mais c'est vrai qu'il y a des choses qui ne passent qu'entre moi et ma soeur.
Elle me traîne dehors, sous l'auvent, et nous sert un rhum arrangé. Celui-là, il vient de la réserve de Loïc, et sans doute avec sa bénédiction... Nous trinquons sans mot dire. Le ciel est vide de nuages, et le soir tombe doucement. On voit déjà Vénus.
Un silence attentif s'installe entre nous. Je sais que c'est à moi d'amorcer la discussion, mais c'est un tel sac de noeuds que je ne sais pas par où commencer. À la troisième gorgée de rhum, June pose sa main sur mon bras. Un petit réconfort, léger mais solide, comme j'en ai attendu depuis des semaines.
Je note que le rhum s'agite dans mon verre. C'est ma main qui tremble.
Et merde.
L'instant d'après je suis en train de chialer, le visage dans mes genoux, les bras de ma soeur autour de mes épaules. Combien de temps ça dure ? Je ne sais pas non plus. June me parle, je ne comprends pas ce qu'elle dit, mais c'est apaisant. Ça contraste avec le violent bordel qui règne dans mon crâne, toutes ces pensées qui s'entrechoquent, ces émotions en guerre ouverte : culpabilité, regrets, tristesse, souvenirs terribles ou délicieux, et la colère, cette colère dont je ne sais même plus si elle est contre moi, contre lui, contre le monde entier ou contre rien du tout...
À un moment, ça se calme comme c'est venu. Les mots de June reprennent du sens.
— Je suis là, p'tit frère. Ça va aller. Ça va aller.
Ça ne va pas du tout, et je vois pas comment ça va pouvoir aller. Mais j'ai envie de la croire quand même. C'est June, après tout. Celle de nous deux qui fait toujours les choses bien. Qui a toujours raison. Alors j'ai envie de la croire, parce que si je la crois pas, il ne restera rien.
Je me mouche dans ma manche. C'est dégueulasse, mais j'arrivais plus à respirer. June soupire, m'attrape une boîte de mouchoirs. Après en avoir détrempé trois ou quatre, je finis par être à nouveau capable de parler.
— Désolé.
— Oh, c'est sûr, je suis super contrariée. Je trouve ça tout à fait anormal que mon petit frère craque pour si peu. Tout le monde devrait se remettre facilement de se faire jeter du jour au lendemain par son mec, au bout de huit ans de relation, sans explication, et de se faire virer par-dessus le marché. Ta réaction est tout à fait infondée, et je ne t'ai pas du tout à moitié harcelé toute la semaine pour que tu viennes parce que j'avais peur pour toi si tu restais tout seul. Donc oui, surtout, sois désolé, Em.
Je souris en m'essuyant les yeux.
— J't'adore, sis.
— Oui, je sais. J'attends toujours que tu ériges un autel en mon honneur, d'ailleurs.
Je lui réponds d'un reniflement retentissant, et je laisse tomber ma tête contre son épaule.
— Je sais même plus par où commencer...
— Par les bleus ?
— C'est juste une connerie, les bleus.
— Est-ce qu'il t'a frappé ? Parce que je te jure que...
— June. Je suis peut-être un poids plume, mais je suis toujours deuxième dan d'aikido. S'il avait essayé, je lui aurai probablement cassé le bras par réflexe. Non, je me suis juste vautré dans l'escalier du salon... J'avais bossé pendant un peu trop longtemps.
— Tu nous refais le coup de je bosse comme un taré quitte à y laisser ma santé ?
— Ça me fait du bien, ok ? Et puis c'était un challenge. Ça faisait des mois qu'on était dessus avec Audrey. J'ai bossé en trois fois, six heures d'affilée, un dos entier en couleurs avec des dégradés. Je crois que c'est le plus beau tatouage que j'aie jamais fait. Et puisque je vais devoir partir... Je voulais le finir. Tu comprends ?
— Sincèrement, non. Ça fait partie des choses que je ne comprendrai sans doute jamais, Em, mais si c'est important pour toi, ça me suffit. Ça me suffit tant que tu ne te blesses pas.
— C'est des bleus. Et un peu de fatigue. Je vais bien. Enfin, non, je ne vais pas bien, mais c'est pas à cause des bleus. C'est à cause de tout le reste.
— Il t'a vraiment viré du salon ?
— Quand je l'ai viré de chez moi, ouais. Je lui ai donné une semaine. Il m'a donné deux jours. J'imagine que ça résume assez bien notre relation... de toute façon, ça faisait trois ans que ça partait en vrille.
— Non. Ça faisait trois ans qu'il était abusif, Emrys. Appelle les choses par leur nom, tu veux ?
— C'est pas si facile, tu sais...
Et là, tout sort, d'un coup, comme ça sans prévenir. Je me mets à parler, à parler, à parler, de tout ce qui s'est passé ces derniers mois. Quand j'ai commencé à ouvrir les yeux. C'est énorme, maintenant que j'en parle. Tous les sujets qu'il refusait d'aborder, y compris ceux qui touchaient à l'essentiel. Les comptes toujours biaisés entre nous. Sa façon de toujours tout me reprocher, que tout soit toujours de ma faute, à cause de mes soucis, de mon anorexie qui « le faisait angoisser »... Comment tout finissait toujours par être à propos de lui, et comment j'étais toujours la source de tous les problèmes. Les fois où on est allés ensemble chez le psy, pour qu'il en ressorte en m'expliquant à quel point c'était dur pour lui de vivre avec « quelqu'un comme moi. » Toutes mes tentatives de communication, chaque fois un peu plus vaines. La culpabilité, la honte, les disputes, et un jour, la douche froide. Ces cinq mots dans ma face, le matin au petit dej, comme s'ils n'avaient pas d'importance.
Je ne t'aime plus.
J'en ai laissé tomber mon mug préféré, celui en forme de Tardis. Encore une chose qu'il m'aura prise.
— Tout le monde s'était aperçu que ça n'allait plus entre vous, mais je ne pensais pas que c'était à ce point.
— J'm'en doute. Je suis toujours le dernier au courant, tu te rappelles ? Ma neuroatypie, j'étais le seul de la famille pas au courant jusqu'à mon diagnostic, l'année dernière. Mon anorexie, c'est Aline qui a alerté le médecin scolaire. Ma bisexualité ? Il a fallu que Cedric me fasse réaliser, mais toi tu étais au courant depuis des mois. Ah, non, attends. Papa et Maman ont su après, pour une fois. Quand j'ai bien dû leur annoncer que ma « copine »...
Je me tais tout net. Raph était mon premier copain officiel. Avant, j'avais peur. C'était des coups d'un soir, des galoches dans les chiottes des boîtes de nuit, du rien, du vent. Les « affaires sérieuses » étaient avec des filles, toujours. J'avais trop peur de voir la désapprobation dans les yeux de mes parents, dans ceux de mes tantes, de mes grands-parents. C'est pour Raph que j'ai osé l'affronter. Pour lui que j'ai appelé mon propre parrain, Cedric, et qu'il a débarqué de Cardiff uniquement pour montrer que j'avais du soutien au sein de la famille. Ced' et June ont passé des jours entiers à argumenter avec mes parents pendant que Raph et moi essayions seulement de prouver à chaque instant que notre amour était réel. D'accord, se rouler des pelles toutes les vingt secondes et se tenir la main à la moindre occasion n'était pas forcément la façon la plus subtile de le faire, mais... Mais je ne savais pas comment faire autrement, et j'avais un peu les hormones en ébullition. Pendant cinq ans, on a filé le parfait amour. Et puis son père est revenu dans sa vie quelques mois, reparti aussi sec, et tout a commencé à partir en vrille. Ça a été lent, très lent. Si lent que je n'ai rien vu venir. Comme la grenouille dans la marmite d'eau qu'on chauffe tout doucement, elle ne s'aperçoit du piège que quand elle ne peut plus sauter. Dans mon cas, la marmite, c'était le salon de tatouages. Nous l'avons acheté ensemble, mais comme je n'étais pas encore diplômé, il a obtenu la propriété et l'autorisation seul, et il m'a employé le lendemain de mes résultats. Mes parents étaient furieux. Ils auraient préféré que je continue dans la peinture, ou mieux, que je reprenne mes études de droit et que je fasse « un vrai boulot sérieux » comme, au hasard, juriste, notaire, greffier. Avocat. Ils ne savent pas l'enfer que j'ai vécu à la fac. Je préfère qu'ils n'en sachent jamais rien.
Un mouchoir heurte doucement ma joue. J'ai recommencé à pleurer quelque part dans mon monologue intérieur, et June a décidé de ne pas me laisser massacrer ma deuxième manche. Le vent s'est levé, et colle impitoyablement des mèches de cheveux sur mon visage humide.
J'ai l'impression d'être une épave. Quelque part, je voudrais bien couler définitivement.
— Il est déjà parti de chez toi ?
— Non... Je lui ai dit que je voulais qu'il soit parti quand je rentrerai. Sinon, je le mettrai à la porte. C'est mon appart', après tout. Même si je vais être obligé de déménager, j'imagine. Carhaix est trop petite pour un autre salon.
— Ced' voulait venir.
— J'lui ai demandé de pas le faire. Ça aurait changé quoi, à part qu'il aurait eu des ennuis ? Tu sais comment il est...
Cedric, mon parrain et l'oncle préféré de June, est notre seul oncle maternel. Il est éducateur à Cardiff, et surtout, plusieurs fois champion de freefight de l'UK. Bien sûr, c'est le type le plus adorable de la galaxie, tant qu'on touche pas à ses gosses. Et ses gosses incluent sa progéniture, mais aussi ses neveux et nièces, avec un petit côté particulièrement surprotecteur — faut bien l'admettre — epour son filleul.
— Et les parents ?
— J'ai pas envie de les emmerder encore avec mes conneries. Sérieusement, sis. Tu crois pas qu'ils ont eu honte de moi assez longtemps comme ça ? Je suis tout ce qu'ils désapprouvent et je ne l'ai même pas fait exprès !
— Hein ?
— J'aurais préféré être comme toi, tu sais. Mais chaque fois que j'ai essayé, j'ai eu l'impression que j'allais mourir, que j'allais devenir quelqu'un d'autre que moi... Je me regardais jouer un rôle et un jour ou l'autre, je craquais, j'avais besoin de respirer à nouveau et je foutais tout en l'air. Je sais qu'ils croient que je n'ai fait ça que pour m'opposer à eux, pour me distinguer de toi ou n'importe quoi d'autre mais c'est pas ça, c'est pas vrai, je suis juste comme ça... L'année que j'ai passée à travailler dans un cabinet de juriste, j'ai fini sous antidépresseurs. La fac de droit, je me suis fait harceler toute l'année. Et j'ai pas fait exprès de tomber amoureux de Raph ! Et le dessin... Si j'arrête de dessiner, c'est comme si j'arrêtais de respirer, et ça fait mal, Junie, physiquement mal. Si je pouvais être normal, bosser dans un bureau de neuf à six, fonder une famille, vivre une vie tranquille, je l'aurais fait, je te jure que je l'aurais fait ! J'y arrive pas, c'est tout, j'y arrive pas et j'ai tellement l'impression que c'est ce que tout le monde attend de moi, et que je suis tellement la honte de cette famille que ce que je sais, et voudrais, et pourrais vraiment faire... j'ai peur de le faire parce que si j'échoue, je serai encore plus minable. Encore plus raté.
J'avale une trop grosse gorgée de rhum. Je m'étouffe avec, je tousse comme un asthmatique, l'alcool me brûle l’oesophage et les poumons. Manquait plus que ça.
— J'ai même pas osé les appeler. Ils savent pas encore. Enfin, pas si personne n'a vendu la mèche par erreur.
— Ils savent, Em. Je me doutais que tu n'y arriverais pas, alors je l'ai fait pour toi. Et si tu veux mon avis, tu devrais leur reparler. Vous devriez vous parler.
— On n'a jamais su. C'est avec toi qu'ils parlent.
— Oui. Ils parlent pour me dire qu'ils sont fiers de mon frère, qu'il a du talent même s'ils ne comprennent pas ce qu'il fait et qu'ils détestent toujours les tatouages, ils sont capables de reconnaître que tu dessines incroyablement bien. Ils me disent que tu leur manques, qu'ils aimeraient te revoir. Bon, ils ont toujours un peu de mal avec ta bisexualité, mais plus avec ton talent. Ni avec tes choix de vie. Ils aimeraient t'aider, aussi. Ils ont changé, Em. Tu les as fait changer. Maman est toujours très centrée sur ses propres problèmes et Papa est toujours... bon, Papa, mais ils t'aiment et je crois qu'ils sont prêts à t'accepter comme tu es.
— Surtout si je leur ramène une fille avec un boulot sérieux.
— Arrête avec ça ! Tu crois que c'était facile pour eux ? Pour moi, coincée entre les deux ? Ils n'ont pas le monopole de l'entêtement, je te signale !
— Ok. Désolé.
— T'as juste peur que ça parte en engueulade, hein ?
— Ouais.
— T'inquiète, ça risque pas. Donnez-vous une chance, d'un côté comme de l'autre. Ça devient ennuyeux pour moi d'être prise entre deux feux.
Je hoche la tête, elle vide son rhum et bâille. Junie n'a jamais été un oiseau de nuit. C'était mon rôle à moi, bien sûr.
— Je t'adore, petit frère, mais je tombe, là. On peut reprendre cette discussion demain ? Ça va aller pour toi ?
— Ouais. Je vais finir mon verre et rentrer aussi, de toute façon.
Elle m'embrasse sur le front, je la serre contre moi. Bientôt, la porte se referme et le silence de la nuit s'installe, à peine troublé par les vagues, plus bas sur la grève. Il fait assez bon, le vent tiède décolle patiemment les cheveux collés sur mon visage. Je bois une gorgée de rhum solitaire.
Et je me remets à pleurer, en essayant de ne pas renifler trop fort pour ne pas troubler la paix nocturne qui m'enveloppe.
Soudain, de petits pas sous l'auvent me font tourner la tête. Hervé est là, dans son pyjama goélands, son doudou à la main, dardant sur moi deux grands yeux parfaitement réveillés.
— Parrain.
J'ai à peine le temps de me redresser que pouf ! j'ai un filleul lové entre mes jambes, une main curieuse sur ma joue humide.
— Tu pleures ?
Ne pas mentir sur une chose aussi évidente. Surtout quand on renifle dans un mouchoir.
— Ouais.
— Pourquoi tu pleures ? T'es triste ?
— Nan, j'ai pris de la poudre d'étoile dans les yeux, et ça pique.
— De la poudre de laquelle, d'étoile ?
Je le retourne face à la mer, pour qu'il voit le ciel au lieu de mon T-shirt, et je lui montre ma préférée : Sirius, l'étoile principale du Grand Chien. La plus brillante de toutes. Et accessoirement, l'une de celles que je lui ai apprises en novembre, la dernière fois que je suis venu.
— Celle-là. Tu te rappelles de son nom ?
— Le Chien !
— Très bien !
— Pourquoi il t'a mis de la poudre d'étoile dans tes yeux, le Chien ?
— Pour me faire voir la réalité. Tu vois, il y a quelqu'un qui m'avait mit des gouttes de brume dans les yeux, un jour, pendant que je dormais. Du coup, après, je ne voyais plus bien, mais je ne le savais pas. Je me cognais dans les meubles de ma maison et je croyais que c'était parce que j'étais juste maladroit. Et ça me rendait malheureux, mais le quelqu'un qui m'avait mis les gouttes dans les yeux disait que ce n'était pas grave, que de toute façon il serait là pour m'aider.
— Mais il avait qu'à enlever les gouttes !
— Oui, mais il avait peur que s'il les enlevait, je le voie comme il était vraiment... Parce que tu vois, tant que je voyais flou, il pouvait me faire croire qu'il était beau, et gentil.
— Et il était comment en vrai ?
— En vrai, il était juste triste. Et me voir triste, et me persuader qu'il était beau et gentil, ça l'aidait à se sentir moins seul. Mais il était trop occupé à se détester lui-même pour penser à s'aimer, ou à m'aimer moi, et quand j'ai commencé à essuyer mes yeux et à lui demander pourquoi il ne me disait pas toujours la vérité, il a compris que les gouttes de brumes étaient en train de s'en aller et il a préféré partir.
— Il est bête. Moi je t'aime, Parrain.
Et sans crier gare, il s'endort. Dans mes bras, sous les étoiles, au creux du vent. Une bouffée d'amour et de gratitude pour ce petit garçon si plein de confiance, d'évidence, de tendresse, me submerge et je le serre doucement contre moi. Et puis, je ramasse le doudou, le filleul, et je remonte les deux dans leur petit lit avant de m'écrouler dans la chambre d'amis.
Là, j'entreprends de détremper mon oreiller au lieu des mouchoirs avant de sombrer à mon tour au royaume de Morphée.


IV


Quand je descends du train à l'autre bout de la ligne, pas de cris joyeux, pas de petit garçon pour me sauter dans les bras. Rien que Brest, le crachin frisquet d'avril, les gens qui se pressent, le béton au lieu de la pierre, le goudron au lieu des pavés. Sur mon épaule, mon sac pèse une tonne. Je récupère mon scooter sur le parking, et la bruine m'accompagne jusqu'à Carhaix.
Ma main tremble alors que je bataille avec la clé de mon appart'. Normalement, Gwenael et Mikaela étaient avec lui à son départ, pour qu'il ne casse rien de plus que ce qu'il a déjà défoncé quand je lui ai demandé de partir. J'appréhende quand même. Je sais que si ses affaires ne sont plus là, et qu'il aura pris la moitié de nos meubles en commun, il reste sa trace là-dedans. Des souvenirs partout, les meilleurs ensevelis sous les pires, les derniers, ceux qui ont tout détruit. J'aurais dû demander à quelqu'un de m'accompagner... Quitte à passer encore pour le faible, le sentimental. L'artiste, pour les bienveillants. Le pédé pour les autres.
L'appart est à moitié vide et complètement froid. Les volets sont baissés. Le ménage, par contre, est fait. Probablement un coup de Gwen et Mika. Je vois mal Raph m'accorder un coup de balais avant de partir. Il participait déjà à peine au ménage quand il était là... J'erre dans le salon, où manque la moitié des DVDs, la moitié des CDs, les deux fauteuils qui faisaient face au canapé, Une bonne partie des coussins. Parce que c'est douloureux, je passe à la chambre. Le lit, heureusement, c'était le mien. Mais l'armoire était à lui, et toutes mes fringues sont entassées dans un carton contre la bibliothèque au tiers vide.
Je me laisse tomber à plat dos sur le lit. Ma main vadrouille à la recherche de mon smartphone, je le connecte aux enceintes bluetooth et je balance du Matmatah à fond. Pour la première fois, Lambé an dro ne m'arrache pas un sourire. Soit je fais quelque chose, là, maintenant, soit je sombre et je déprime. Et je déteste déprimer.
Alors je me lève, je vais dans mon atelier, et je branche mon matériel de tatouage. Une ou deux recherches internet plus tard, je commence à recouvrir mon épaule gauche, celle qui portait son nom, d'encre bleue sombre. L'aiguille me pique la peau, la douleur me réveille, Stan s'éclate dans son micro, et alors que les larmes me montent aux yeux, et que s'efface le symbole d'un amour mort sous l'ébauche d'un ciel nocturne, je vais de l'aiguille à l'écran de mon ordi, du dessin sur mon bras à la photo que j'ai choisie. Je perds plus que jamais la notion du temps. À un moment, Soldat Louis succède à Matmatah, Denez Prigent à Soldat Louis, et toute ma playlist « BZH stuff » y passe à petit feu, et la nuit — la vraie nuit — avec. Le soleil pointe son nez sur les Monts d'Arrée quand je pose les dernières pointes d'encre sur un dessin qui me prend à présent tout le bras. J'ai très bien réussi mon effet 3D, on dirait que ma peau se brise pour laisser voir l'intérieur de moi... et l'intérieur de moi, c'est un ciel plein d'étoiles. On y voit Orion et le Grand Chien, et la Voie Lactée par une nuit sans lune. C'est beau. C'est vraiment beau. C'est moi qui ai fait ça ? J'ai presque du mal à réaliser. Et j'ai sommeil d'un coup. Juste le temps de soigner mon bras, de l'emballer soigneusement, d'abandonner mes vêtements sur le sol de ma chambre et je m'écroule dans mon pieu.
Le lendemain, mon bras brûle et Falling Away from Me me vrille les tympans. Note à moi-même, penser à changer de sonnerie de portable : Korn c'est cool, mais pas après une nuit blanche. Je checke le numéro. Stan. C'est safe. Je décroche.
— Ouais ?
— Salut, mec ! C'est quoi ce manque d'enthousiasme ?
Stan est une pile électrique sans bouton off. Pas sûr que j'aurais dû décrocher, finalement.
— Je me suis fait plaquer y'a 15 jours et virer dans la foulée, Stan.
— J'ai su ça par Gwenael, ouais, tu comptes chialer longtemps ? Parce que j'ai un plan d'enfer pour te remonter le moral !
Pourquoi je suis ami avec ce gars, déjà ?
— Ah.
— Mondial du tatouage à Londres, la semaine prochaine. Je tiens un stand, il me manque quelqu'un : Coralie vient de partir en congé mater en avance et c'est elle qui assurait les 3D. Tous frais payés, rémunéré à la presta, et si tu veux que je décale le billet et que je te paye une nuit de plus pour aller geeker quai 9 3/4, je te l'offre avec plaisir. Et si t'en as pas encore marre de moi, je viens avec toi.
J'hésite. J'en ai envie, d'un côté, de l'autre... C'est une ville pleine de monde, de bruit, de tous ces trucs qui me rendent moitié claustro, moitié agoraphobe. Pas pour rien que j'habite Carhaix et pas Brest ou Rennes ! Bien sûr, Stan est un pot de colle, insistant, bruyant et affectueux, généreux comme personne, et survivre à son énergie débordante pendant tout le Mondial va être quelque chose d'épique. On est amis depuis le lycée et on a fait l'école de tatouage ensemble, mais je ne l'ai pas vu depuis quatre ou cinq ans : la vie, l'âge adulte, le fait que Raph n'aimait pas voyager, ça suffit souvent. Et puis, après tout, qu'est-ce qui me retient, sinon de vieilles peurs que j'ai envie d'abandonner ?
— Ok. J'en suis.
— Tu gères ! T'es le meilleur pote de la galaxie intersidérale !
— Bah écoute, si je suis un amant de merde, faut bien que je sois bon à quelque chose, non ?
— Em. T'es pas un amant de merde. C'est Raph qui a du mal à vivre avec de vrais humains. Il était déjà comme ça à l'école, rappelle-toi. Et quoi qu'en aient dit nos professeurs parce qu'il sortait d'Art Déco et pas toi, t'as toujours eu dix fois son talent. Si j'étais gay, je te demanderais en mariage, alors arrête de t'autoflageller, t'as pas besoin de ça pour attirer l'attention. Tu vas trouver un gars ou une fille dès que t'en auras envie. Et je veux la photo.
— La photo de quoi ?
— Ton nouveau tatouage.
— Hein ? Comment tu sais que je me suis fait un nouveau tatouage ? Je l'ai à peine fini !
— Facile, tu te fais toujours un nouveau tatouage quand un truc important se passe dans ta vie. Alors, il est où ?
Je m'entends lui donner les détails de mon ciel étoilé.
— Em, écoute-moi bien. Au Mondial, je t'interdis de porter des manches. Un truc pareil, il faut que tout le monde le voit.
— Je sais pas si...
— Moi, je sais, alors ta gueule et prévois des marcels. J't'attends jeudi prochain, quatorze heures, gare de Rennes. Je gère le matos, ramène ton book et ta belle gueule. Allez, je te laisse, je dois aller chercher Willow. Bye !


V


Le jeudi suivant, je suis gare de Rennes à quatorze heures pétantes, mon sac sur le dos et ma veste en jean couvrant scrupuleusement mes bras.
— Tu fais chier, me dit Stan en me tendant mes billets.
— Mon sac est plein de hauts sans manches, mais c'est à peine cicatrisé. T'auras l'exclu ce soir, à l'hôtel. J'ai pas envie que ça pèle pendant tout le Mondial.
— Ça se défend.
Pendant l'essentiel du trajet, Stan blablate sur son salon, Coralie qui part en congés, la demande croissante grâce à sa réputation qui s'installe. Pourquoi il aimerait passer à temps partiel, à cause de sa fille, Willow. Meriem et lui sont fans de Buffy, j'espère que s'ils ont un fils ils l'appelleront pas Spike, ou pire, Angel !
Je l'écoute d'une oreille. Je sais que c'est sa façon à lui d'aider, de m'empêcher de penser à ce qu'est ma vie à moi en ce moment. Le voyage passe plutôt vite, l'Eurostar est rapide, on arrive à l'hôtel vers vingt heures. Le temps de poser nos sacs dans nos chambres et trente minutes plus tard, on dîne dans un pub. Aucun fish & chips au monde n'égale un vrai fish & chips de vrai pub (désolé, Loïc.) J'ingurgite le tout avec une bière sous l’oeil approbateur de Stan. Il fait partie de ceux qui savent, pour l'anorexie. Curieusement, je n'ai pas eu de problèmes depuis que Raph m'a quitté. Quand j'étais avec lui, ça arrivait régulièrement : soudain, la nourriture me dégoûtait, et je ne pouvais plus avaler une bouchée sans avoir envie de la vomir. Ça va bientôt faire un mois qu'on n'est plus ensemble, et j'ai pas fait une seule crise. À dire vrai, j'ai même commencé à reprendre mes kilos perdus. En rentrant, je retourne à la salle de muscu, c'est juré.
Stan est impatient de voir mon tatouage, et je prends un malin plaisir à le faire attendre. De retour à l'hôtel, je lui fais signe de me suivre dans ma chambre.
— J'te jure, t'es le seul homo dont j'accepte de rentrer dans la chambre, me taquine-t-il.
— J'suis pas homo, j'suis bi, et je ne drague qu'avec le consentement de la personne.
— C'est ça, maintenant, mooooontre !
J'enlève lentement ma veste en jean, puis ma chemise, puis je roule la manche de mon T-shirt pour dévoiler mon bras gauche. Stan est bouche bée.
— Oh putain, Emrys... T'avais déjà fait fort avec Audrey, mais là...
Je souris, et pour la première fois depuis longtemps, je me sens fier. La tête de mon ami vaut tout l'or du monde.
— Faut que tu participes au concours.
— Ils sont pas ouverts qu'aux tatouages réalisés sur le salon ?
— À Paris, si, mais pas ici, il y a des prix pour les tatouages réalisés dans l'année. J'irai t'inscrire demain. Y'a pas moyen. Ce truc, c'est du délire.
Je ne suis pas super chaud, mais Stan me travaille au corps — au sens figuré — jusqu'à ce que j'accepte. Le lendemain, donc, je me retrouve au concours du tatouage de l'année, catégorie grands tatouages couleur, scruté par un jury qui me met mal à l'aise. Derrière eux, une foule de curieux se presse. Les autres participants ont tous des tatouages magnifiques, et autrement plus originaux qu'une foutue constellation. J'ai aucune chance, à mon avis. Je veux dire, le mien est beau aussi mais à part l'effet 3D, il est assez... classique ? En plus, Stan n'est pas là, il gère le stand. Je me sens seul, un peu paumé, un peu flippé. Trop de monde, trop de bruit, trop de regards sur moi. Soudain, alors que mes yeux errent sur le public intéressé, mon sang se glace.
Raph est là.
J'aimerais être dans un film, envoyer un signal de détresse à un superhéros. Supergirl. The Flash. Captain America. N'importe qui qui puisse venir me tirer de cette situation abominable où mon ex me mate comme une bête de foire alors que je vais perdre un concours dans mon propre métier. J'ai un noeud monstrueux à l'estomac, je suis pas sûr que je pourrai remanger quoi que ce soit un jour. Si je survis.
L'une des jurés reste un temps particulièrement long à admirer mon bras. Elle sourit, finit par lever la tête et passer de mon bras à mes yeux.
— C'est Orion ?
— Oui. Orion et le Grand Chien.
Elle tique à mon accent.
— Vous êtes Gallois.
Je hoche la tête. Elle passe au suivant.
À ma grande surprise, je finis deuxième. Je reste abasourdi un bon moment à l'annonce des résultats, ignorant le cri victorieux du premier et les regards noirs du troisième et des autres. Le jury explique que mes dégradés de bleus et la précision de la 3D ont été décisifs dans leur décision.
— On dirait que vous avez ces étoiles dans la peau, explique la juré de tout à l'heure, visiblement émue. Ce ciel, c'est l'intérieur de vous... et le fait que ce soit votre propre réalisation a contribué, car l'angle de vue devait être nettement plus compliqué.
Je remercie beaucoup, j'hésite entre exploser de joie et disparaître pour échapper aux regards. Entre temps, Raph a disparu. Cedric, lui, est arrivé et il me serre dans ses bras sans rien dire, mais reste un long moment à lire le panneau annonçant les résultats. Cedric n'est ni très grand, ni très large. Il a l'air d'un gars tout ce qu'il y a de plus normal, avec son catogan poivre et sel et sa belle gueule. C'est un piège. Sur un ring, je l'ai vu démonter des types deux fois plus grands que lui. Cedric, l'eau qui dort. Ne surtout pas lui dire que Raph est là. Finalement, il me raccompagne sur mon stand, où Stan trépigne et me félicite à grand renforts de gesticulations et d'exclamations. Mon parrain a dégainé son téléphone et reste pendant dix minutes en grande conversation avec quelqu'un.
— C'est géré, me dit-il sitôt raccroché. Je reste avec vous deux le temps du Mondial.
Mon coeur fait un bond de joie.
— Vrai ? Peg' est d'accord ?
— Dès qu'elle a su que tu avais gagné, elle a approuvé l'idée de fêter ça dignement. Mon filleul ne finit pas deuxième d'un concours de tatouage mondial tous les deux jours !
Il gagne un câlin groupé de Stan et moi. Il me serre encore dans ses bras et quelque chose alors me semble étrange. C'est un peu trop long, un peu trop puissant, pour que je ne sente pas l'inquiétude sous-jacente dans son geste. Lui aussi, il a dû se faire du mouron pour moi. Je vais me charger de lui montrer que tout va bien.
Le soir, pour le coup, on fête ça. Restaurant, puis pub avec de la musique live. J'enchaîne un peu trop de mojitos pour mon gabarit, mais je sais que Cedric veille au grain. En sortant, je titube un peu, et Stan aussi. Mon parrain est le seul à être parfaitement net, mais nous rentrons à pied, il n'y a que deux blocs jusqu'à l'hôtel, rien d'impossible quand on est pompette. Stan a l'alcool expansif. Comme s'il ne l'était déjà pas assez en temps normal...
— Place à Emrys l'Étoilé, Prince du Tatouage 3D ! clame-t-il dans la petite rue où nous prenons un raccourci.
— Ta gueule, Stan, supplie-je en le poussant pour qu'il avance plus vite.
C'est à ce moment-là qu'il se prend la batte en plein ventre.
Trois secondes plus tard, on est cernés. Ils sont sept ou huit, presque tous avec des battes de base-ball. Stan est hors-jeu direct. Cedric et moi sommes encore debout pour le moment, mais ça sent pas bon du tout : ce sont des skinhead.
— Appelle les flics, m'ordonne Ced.
Il leur fait face.
— Qu'est-ce que vous nous voulez ?
— Dégage, le vieux, on s'en fout de toi. C'est l'autre pédale qui nous intéresse.
— Il n'est pas homo, il est bi, apprenez à faire la différence. Et c'est mon filleul. Qu'est-ce que vous lui voulez ?
— Lui apprendre la vie. Un pédé n'a pas à voler la place d'un vrai mec, surtout avec des putains d'étoiles à la con.
— Parce que selon vous, sept hommes armés contre trois désarmés dont un qui ne sait pas se battre, c'est faire preuve de virilité ? Woo. J'admire votre courage.
Mes mains tremblent sur mon portable, mais j'arrive à appeler le numéro d'urgence et à donner notre position avant qu'un des skin ne me grille. Il amorce un coup de batte pour défoncer mon smartphone. Pas de bol, celui qui ne sait pas se battre, c'est Stan. Pas moi. Je bloque son bras et je l'envoie valdinguer.
Tout part en vrille à ce moment-là. Je perds Cedric de vue, j'ai trop à faire avec les trois enragés que j'ai sur moi. J'en esquive un, tords le poignet du deuxième, balaye les jambes du troisième mais je n'ose pas les blesser sérieusement. Ils se relèvent, je recommence, je finis par briser le bras de l'un d'eux. J'entends deux autres hurlements de douleur, et ce n'est pas ceux de Cedric. Mais on n'est pas dans Matrix, et j'ai vraiment trop bu. Un coup de batte m'atteint par derrière, pleine tête, et c'est le trou noir.


VI


Je me réveille à l'hôpital, couvert de fils et de câbles et de bordel. Une main serre la mienne, et c'est celle de ma soeur.
— Junie.
— Em !
Malgré mon cerveau embrouillé, j'entends un tel soulagement dans sa voix que ça m'en fait mal. Pourquoi je suis toujours la source des soucis et des emmerdes ? Et surtout, surtout...
— Cedric ?
— Il s'en tire avec un bras cassé et un coquard. Les flics sont arrivés trois-quatre minutes après que tu sois tombé.
— Stan ?
— Il a un énorme bleu sur le ventre et jure à qui veut l'entendre qu'il ne boira plus jamais autant. Et qu'il a du bol que le fait qu'il soit juif ne soit pas écrit sur sa figure.
J'ai trop mal aux côtes pour continuer à poser des questions, alors je me contente de poser les dix mille autres questions avec les yeux.
— C'est toi qui est le plus salement amoché. Commotion cérébrale, bras tordu, quatre côtes cassées, et une hémorragie interne qui aurait été vraiment grave si les secours avaient tardé. Tu es resté inconscient vingt-quatre heures, assez pour que Cedric prévienne les parents. Ils sont avec lui, pour le moment. Meriem est là aussi, Coralie garde Willow. Les gars qui vous ont attaqués étaient connus de la police pour plusieurs passages à tabac de personnes de couleurs ou d'homosexuels, et pour leur adhésion à un groupuscule d'extrême-droite. Ils ont eu tort de s'en prendre à vous deux, ceci dit, parce que Ced en a envoyé trois à l'hôpital, et toi, un.
Je me crispe. Pas envie d'en croiser un dans un couloir.
— Ils sont hospitalisés à l'autre bout de la ville. Par contre, Stan a craché le morceau au Mondial du Tatouage où vous étiez, car apparemment plusieurs personnes demandaient après toi... Bravo pour le prix, au passage. Bref, les journalistes sont au courant, et tu en as trois à ta porte, plus un flic, qui n'attendent que l'accord du médecin pour entrer. L'une des jurés est même venue te rendre visite, et...
Elle grimace. Quelque chose qu'elle n'approuve pas est arrivé. Je veux dire, quelque chose de plus que son jumeau se faisant tabasser par des néo-nazis.
— Raph est venu. Deux fois. Papa et Maman lui ont interdit de te voir tant que tu n'aurais pas donné ton accord.
Ah oui, c'est une nouvelle ! Je n'en reviens pas. Pourquoi ? Il me déteste ! Oh, et puis après tout... Je m'en fiche. Ma famille a traversé la Manche en quelques heures juste pour être avec moi à mon réveil. Et ça compte à mes yeux. June, je m'en serais douté, mais Papa et Maman ? Je les ai tellement déçus, je leur ai causé tellement de problèmes, de soucis... Je me demande pourquoi ils veulent encore ajouter celui-là à la liste.
J'ai dû penser tout haut, ou alors c'est notre superconnexion de jumeaux, car June demande :
— Tu veux que j'aille les chercher ?
Je hoche la tête. Je suis tellement fatigué ! June m'embrasse sur le front et quitte la pièce. J'entends les journalistes lui tomber dessus. Pendant cinq minutes, c'est le vide, le vide absolu et vertigineux dans ma tête. Même la douleur ne compte plus vraiment. Il faut que la porte se referme pour que je cligne des yeux et reprenne mes esprits.
Ma mère et mon père sont là. June aussi. Je souris. Ça brûle, je dois avoir un coquard sur la joue. Il y a ce moment bizarre où personne ne dit rien, où tout le monde se regarde, où on est tous mal à l'aise. Et puis Maman fond en larmes, et moi avec. June tient deux secondes de plus, Papa au moins cinq, et puis c'est fichu, on pleure tous. Mes parents s'assoient sur les chaises à mon chevet, June sur le bord du lit, et on pleure, parce que je crois qu'on sait pas trop quoi faire d'autre, parce qu'il n'y a rien à dire, ou beaucoup trop, parce qu'on sait que c'est fini, et pas fini du tout en même temps.
Finalement, c'est moi qui lâche, entre deux sanglots qui me défoncent les côtes :
— Pardon. Pardon, j'suis désolé...
— Emrys, regarde-moi, m'ordonne mon père.
J'obéis, et il prend doucement ma tête dans ses mains. Il esquive soigneusement les bleus, merci, P'pa.
— Je suis fier de toi. Je suis très fier de toi. Tu as du talent, tu as du courage, tu as de la volonté, et même si je ne peux pas comprendre ta passion, ton travail ou tes choix de vie, je te soutiendrai toujours et je n'aurai jamais honte de toi. Jamais.
Cette fois, c'est mort, j'arrive plus à parler du tout. June me lance un regard triomphant. T'as gagné, frangine. On est réconciliés. Enfin.
Je tourne les yeux vers la porte. Cedric est là, en pyjama d'hôpital, le bras en écharpe. Il lève le pouce. Je me remets à pleurer. J'ai l'impression que je vais exploser.


VII


Le soir, de retour à l'hôtel et avec plusieurs instructions strictes, je vérifie mes messages. Mon twitter a deux cents nouveaux abonnés, et des messages de soutien envahissent mon mur facebook. Il y en a sans doute quelques-uns de haine dans le lot, mais je suis trop fatigué pour tout lire de toute façon. Un texto attire mon attention.
Raph.
J'hésite. Puis, je me dis que si j'ai survécu à une bande d'apprenti-SS, je peux bien survivre à mon ex aussi. J'ouvre le texto.
Bravo pr le prix. Dsl pour les néonazes, lâché le morceau ss faire gaffe. Pensais pas qu'ils feraient ça. Voulais te le dire en face, ms ta mère a pas voulu.
Oh, ça explique un ou deux détails. Je sais que c'est une invitation, qu'il voudrait qu'on parle, probablement pour me dire qu'il ne voulait vraiment pas, etc, etc, et combien c'est pas sa faute. C'est jamais sa faute, même quand il déballe ma vie privée à des mecs qui pourraient potentiellement vouloir me tuer pour ça. Je retrouve tout, dans ce texto, tout ce qui a fait que notre relation était devenue invivable. L'inattention, le refus des responsabilités, l'incapacité à communiquer. Et je m'aperçois, d'un coup, que j'en ai fini avec ça. Fini avec lui, fini avec les non-dits, les mini-injustices, l'irrespect et les emmerdes. Pendant quelques secondes, je me demande si je réponds. Finalement, je lui accorde cinq mots et c'est ma conclusion à moi, ma réponse à cinq autres mots, balancés à un petit déjeuner qui m'avait coûté mon mug Tardis :
Tkt. C'est fini. Bye.


VIII


Je saute hors de ma voiture et cette fois, quand mon filleul s'écrase dans mes bras, je le soulève aussitôt pour le faire tourner autour de moi. La seconde d'après, ma nièce serre ma taille et June serre le tout, moi, Hervé, Alanna. Trois mois ont passé depuis le Mondial. En y retournant le dernier jour, j'y avais été accueilli par des hordes de drapeaux arc-en-ciel et les jurés, les organisateurs et les journaux ont tous tapé de grands discours sur la tolérance, l'art, et le reste. Autant pour ma timidité... Et mon anonymat. Depuis, presque tout dans ma vie a changé.
J'ai quitté Carhaix pour Melesse, et je bosse à Rennes, dans le salon de Stan, dont la vitrine exhibe fièrement mon deuxième prix comme une ultime garantie de qualité. J'ai acheté une voiture, et je suis chez les Le Gall presque tous les week-ends. Loïc est en mer, quelque part dans l'océan Atlantique, à recenser des orques. J'aide June avec les enfants pendant qu'il n'est pas là. Gwen et Mika ont un peu râlé de me voir partir, mais quand je leur ai promis qu'ils pourraient squatter ma maison et ma bagnole pendant toutes les Transmusicales, ils ont fini par admettre que les compensations valaient le coup. Oh, et j'ai changé de sonnerie. Thalos a remplacé Korn, et mon téléphone ne m'agresse plus chaque fois que quelqu'un essaie de m'appeler. Je suis toujours célibataire, mais c'est par choix : j'attends de trouver quelqu'un avec qui je me sente vraiment bien. D'ici là, la juré du concours de tatouage, qui s'appelle Esther, est devenue une sex-friend d'outre-Manche. En fait de manche... j'ai pris l'habitude de rouler la gauche de mes T-shirts, et les regards inquisiteurs sur mon plus beau tatouage ne me dérangent plus. Papa et Maman nous rejoignent demain, et même eux ne détournent plus les yeux de lui. Ils ont encore du mal avec tous les autres, mais celui-ci est spécial.
— C'est toi qui fait les galettes ce soir, Parrain ! décide mon filleul en retrouvant le plancher des vaches.
— Ok, fillot, ça me va, mais je veux voir ton dernier dessin.
Il court me chercher sa dernière oeuvre d'art. Des orques, bien entendu, plutôt reconnaissables malgré une anatomie très personnelle.
Le soir, j'ai l'autorisation exceptionnelle de retarder l'heure du coucher de mon filleul et d'aller avec lui regarder les étoiles sur la plage. Le ciel d'été a remplacé celui d'hiver, les constellations ont changé. Hervé cherche en vain son Chien céleste, demande des explications.
— Il reviendra en octobre. Là, il est parti chasser au pays des étoiles.
— Alors tu m'emmènes au pays des étoiles ! On va voir le Chien !
— Je peux pas, fillot, y'a que les étoiles qui peuvent aller au pays des étoiles.
Il boude un peu, demande les bras. Je l'emmène un peu plus près de la mer, là où les vagues lèchent mes pieds nus. Le vent joue avec mes cheveux, mon kilt. Refroidit le bout du nez d'Hervé, qui se réfugie dans mon cou.
— Dis, Parrain... Le pays des étoiles, c'est dedans toi ?
— Hein ?
— Ben oui ! Le Chien il a disparu du ciel et maintenant il est dedans toi, raisonne-t-il en passant la main sur mon tatouage. Donc, le pays des étoiles, c'est dedans toi ?
Ok, Em, panique pas : tu vas trouver une réponse poétique à la question existentielle de ton filleul...
— C'est dedans moi et dedans toi aussi. Et dedans Maman, et Papa, et Alanna, et Papy et Mamie. C'est dedans tout le monde. C'est juste que moi, y'a un petit trou, alors on les voit.
— Le pays des étoiles c'est dedans les gens ? C'est pour ça qu'on peut pas y aller ?
— Oui.
— Mais alors y'a plein de pays différents pour les étoiles !
— Non, Hervé, y'en a qu'un seul. Parce que dedans les gens, ça mène toujours au même endroit.
Il se désincruste de mon cou et me regarde, fasciné, pendant que je cherche une logique — même vague — à cette envolée métaphysique improvisée.
— En vrai, tu sais... on a tous des étoiles dans la peau.
Netra, arc-en ciel en camaïeu de bleus


  
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