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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Dimanche 21 aout 2011 à 12:00:29
5 – LA VOIX DU LUDUAN


Le lendemain, une effervescence s’était emparée du Palais. Du bois de santal se consumait dans les brûle-parfums. Les fumerolles s’élevaient en dansant des bouches grimaçantes des dragons de pierre. De nombreux soldats étaient au garde-à-vous sur la vaste esplanade qui s’étend devant le palais de l’Harmonie Suprême. Un flot de grands dignitaires, princes ou émissaires des lointaines provinces et de hauts fonctionnaires impériaux se pressait sur les larges marches conduisant au majestueux édifice qui symbolisait la puissance de l’Empire. Douze colonnes pourpres, sveltes et élégantes, semblaient soutenir sans effort, sur le front du bâtiment, la vaste voûte du double toit recouvert de tuiles dorées luisant sous l’ardeur du nouveau soleil. Les plus imposants dragons de la Cité Interdite veillaient, impassibles, sur les horizons lointains. Leurs pouvoirs, malheureusement, ne furent suffisants ni pour repousser les assauts des armées étrangères et défendre l’Empire Céleste, ni pour préserver la vie de leur fils. Et, claquant au vent, flottait une multitude de drapeaux et d’étendards multicolores.

Je remarquai, regroupés dans un coin, les représentants des puissantes légations, les diplomates étrangers qui assistaient aussi au cérémonial impérial. Si aucun d’eux ne m’était familier, ils arboraient toujours ce même visage encadré de favoris broussailleux, ces mêmes vêtements qui leur conféraient des allures guindées, cette distance arrogante du civilisé qui jette un regard amusé et vaguement ennuyé, sur le barbare. Ils étaient suivis d’un petit détachement militaire dont les sobres uniformes faisaient bien pâle figure à côté des éclatantes vestes blanches, aux larges coutures sombres, des archers de la Garde Impériale ou des tuniques jaunes et bleues des fiers lanciers qui portaient leur lance, pointe en bas, dans le dos.

Je me glissai comme une ombre entre les rangs des invités qui gravissaient lentement les trois niveaux menant au parvis où se dressait le Palais du Trône d’Or. Je parvins sans difficulté à pénétrer dans le palais où battait le coeur désormais fatigué de l’Empire, un palais peuplé de milliers de Dragons. Quel que soit l’endroit où portaient mes regards, ils m’épiaient en silence. Ils étaient en effet partout. Ils se lovaient dans les caissons ornant le plafond soutenu par la forêt pétrifiée de quarante huit colonnes rondes et hautes de dix mètres. Ils se contorsionnaient autour des six colonnes d’or qui encadraient le trône. Pourtant, je ne sentais en eux aucune hostilité.

Je m’approchai du trône, placé exactement au centre du palais, lui-même situé au centre symbolique de l’Empire du Milieu, c'est-à-dire au centre spirituel de l’Univers. Je dus encore franchir le double rideau formé par les conseillers les plus intimes, les grands serviteurs les plus fidèles et les courtisans les plus en vue du moment, alignés en demi-cercle et tenus à distance respectueuse par une ligne impavide d’eunuques impériaux. L’estrade supportant le trône d’or était encore déserte. De grands voiles avaient été tendus dans le fond, bouchant la perspective. Sur la droite se tenaient, immobiles, les prêtres en habits de grande cérémonie. L’atmosphère était alourdie de vapeurs d’encens qui se mélangeaient aux parfums du bois de santal.

Je me retrouvai bientôt non loin d’un Luduan qui gardait, comme son frère, le trône impérial. Pouvant discerner le vrai du faux, il dissuadait les comploteurs et les dissimulateurs de mentir à l’Empereur. C’était un Diseur de Vérité. Sa tête de lion, altière et puissante, était surmontée d’une corne. Il avait un poitrail large et imposant, son dos était recouvert d’écailles polies et, au bout de ses lourdes pattes, ses griffes étaient dénudées. Il émanait de lui une étrange sensation de vie que seul l’art d’un exceptionnel artiste avait réussi à insuffler à la pierre. Aussi je ne m’étonnai pas lorsque la tête de l’animal fabuleux se tourna vers moi :

« Je te vois bien que ta présence soit ténue et légère, comme le mirage d’une oasis au creux du désert. C’est également pour cette raison que tu peux entendre ma voix ! »

« Ô noble Luduan, je suis le pauvre jouet d’une funeste malédiction. J’erre entre les mondes. Je ne suis qu’une goutte de pluie qui glisse le long de la feuille. Oui, j’entends ta voix ! Qu’attends-tu de moi ? »

La formidable bête gronda sourdement en secouant sa crinière de pierre. Puis elle attacha ses regards aux miens, drainant magnétiquement mon attention.

« Guan Bei, l’Ordre de l’Univers est troublé. Les rênes de l’Empire sont entre des mains qui ne se conforment plus à la Voie de la Vertu. Elles n’ont de cesse de contrarier l’Ordre naturel. Tu sais ce que cela signifie ? »

Je respirai lentement. Le Luduan lit clairement dans les pensées des hommes. Il est inutile de chercher à le tromper. Autour de nous, sous le dôme céleste, l’attente se prolongeait sans que je puisse discerner si elle était tout à fait naturelle.

« Noble Luduan, il est dit que si le Maître de l’Empire se détourne du Tao, alors il ne remplit plus le mandat du Ciel et en conséquence, il doit être destitué ! »

« C’est tout à fait juste ! Et comment peut-on s’apercevoir que la voie qu’il emprunte n’est plus la bonne ? »

« La Nature s’ébroue et se manifeste violemment. Les ouragans dévastent les plaines, les rivières débordent de leurs lits, la terre tremble et s’ouvre avec fracas, les montagnes s’écroulent soudainement, emportant tout sur leur passage, l’Empire est en proie aux invasions ! »

« Tu dis encore vrai. L’Empire n’écoute plus les préceptes du Ciel et s’égare à suivre des chemins profanes et irrévérencieux ! Aussi suis-je mandaté par les Cinq Souverains Célestes pour te révéler un pan de l’avenir. Accompliras-tu leur commandement ? »

« Qu’il en soit ainsi ! » Je baissai le front en signe de soumission.

A cet instant, un brouhaha s’éleva derrière les voiles. D’abord apparut la Cour Impériale, lente procession d’épouses et concubines, d’eunuques du premier cercle, d’officiers de haut rang, dont les uniformes s’inspiraient manifestement des coupes européennes. Au premier rang, assise dans une chaise à porteurs, je reconnus la Sorcière. Son teint était livide et maladif mais son regard brillait intensément, trahissant une profonde jubilation. A côté d’elle, sur un autre palanquin tendu de pourpre, le jeune enfant que j’avais croisé la veille, tripotait un jouet de bois, vêtu d’une splendide robe de dragon particulièrement chatoyante, d’un jaune rutilant. Il paraissait engoncé dans cette étoffe pesante et rigide qui l’emprisonnait comme une armure de métal. Son vieux précepteur lui murmurait à l’oreille mais je vis bien que l’enfant avait les larmes aux yeux.
Des prêtres fermaient le cortège, tenant à bout de bras des encensoirs d’argent et des clochettes sacrées. Le Luduan se tourna à nouveau vers moi.

« Le Ciel ne peut accepter que l’Empire s’écarte ainsi de la Voie de la Vertu ! L’Impératrice Cixi joue avec une entité dangereuse et perverse qui lui a accordé quelque pouvoir pour mieux l’abuser et l’amener à poursuivre les desseins infernaux ! Cixi croit la soumettre à sa volonté mais au contraire, elle n’est qu’une poupée de chiffons débile entre ses griffes.

« Quelle est cette entité, ô noble Luduan ? »

« C’est un spectre ! Il est très ancien et immensément redoutable, fruit pourri d’une âme dégénérée, si monstrueuse que le Dieu des Enfers lui-même ne réussit à la dompter! Cixi, dans sa folle soif de pouvoir, l’a imprudemment invoqué quand elle n’était qu’une jeune concubine ambitieuse parmi d’autres. Le spectre a diligemment obéi à ses ordres dans un premier temps. Il lui fut facile de corrompre un eunuque impérial pour ouvrir à Cixi le chemin du lit de l’empereur Xianfeng. Ce n’était que le début. Le spectre la servit fidèlement tout le temps que dura son ascension vers le firmament du pouvoir. Aujourd’hui, l’Empire est au bord de l’abîme et le spectre boursouflé pousse Cixi à commettre un crime odieux! Un crime contre son propre sang. Elle va attenter à la vie du fils de sa propre soeur. Elle va assassiner l’Empereur Guangxu ! »

Mon Maître ! Il était à sa merci, prisonnier du Palais des Vagues de Jade.

« Cela va se passer au coeur de la prochaine nuit. Celle-ci sera noire et profonde car la Lune indignée détournera sa face de la Terre! Le moment sera propice aux oeuvres maléfiques. Tu te rendras au Palais où est retenu l’Empereur. Ne t’y présente que lorsque la dernière clarté du crépuscule sera sur le point de s’éteindre. Ni plus tôt, ni plus tard. Il y aura une ombre qui t’attendra sur le perron du palais. Une ombre que tu devras affronter et vaincre pour accéder à la pièce dans laquelle l’Empereur attendra son diner. Tu devras alors le convaincre de ne pas toucher une seule miette de son repas ! Il est empoisonné ! As-tu compris ? »

« Oui, noble Luduan ! Je ferai selon vos ordres !»

« La tâche sera ardue. Ne perds jamais espoir. Si tu réussis, la malédiction sera levée par la grâce des Augustes. Leur pouvoir est bien plus grand que celui des démons et des spectres ! Si tu réussis, ton ombre te sera rendue ainsi que celle qui dort sous les eaux noires et glacées! »

Sur ces derniers mots, la bête fabuleuse retrouva son immobilité primitive. L’éclat singulier qui l’habitait se dissipa doucement. Mon coeur bondit allègrement dans ma poitrine. La promesse du Luduan avait fait naître un fol espoir! Revoir Perle !

La cérémonie d’intronisation de l’enfant-empereur s’achevait. Je surpris des mines interloquées autour de moi mais les fronts se courbaient servilement sous le regard pénétrant de l’Impératrice Douairière. Guangxu était déchu. L’empereur Xuantong, âgé d’un peu moins de trois ans, entamait son règne. Cixi faisait et défaisait les Maîtres de l’Empire, pour le meilleur et pour le pire.

Je quittai la salle avant qu’elle ne se vide complètement, en caressant l’écharpe de soie rouge qui venait de ma bien-aimée. La journée serait longue mais je connaissais un endroit où les heures comptaient moins qu’ailleurs. Près d’un puits de marbre blanc.

M
(à suivre)


  
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