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  WA - Participation exercice n°64 (edit) Voir la page du message Afficher le message parent
De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Mercredi 15 juillet 2009 à 22:35:57
Une histoire curieuse. J'y reviendrai.

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LIESSE WEEK-END


(AMOR VINCIT OMNIA)



ABSENCE



L’ascenseur industriel file vers le haut à pleine vitesse. La cabine tangue franchement et je dois m’agripper à une barre chromée pour ne pas être trop ballotté. Autour de moi, certains autres mineurs ont l’air de morts-vivants surpris par les éclairs stroboscopiques des leds de sécurité. D’autres ont des silhouettes beaucoup plus menaçantes, hérissées d’angles cybernétiques. C’est la dernière rotation, la plus tardive, celle qui flirte toujours avec l’extrême limite. La moins chère aussi. Pendant que nous attendions tout à l’heure, une rumeur grondante enflait sous nos pieds remontant des entrailles de ce monde. Les démons se sont réveillés et ils ont faim. Sentant le sang chaud sous la chair fraîche, ils se sont lancés à nos trousses. Nous serrons tous les fesses même s’ils ne pourront rattraper la nacelle qui accélère toujours. La moindre micro-coupure d’alimentation nous livrerait impuissants à leur insatiable appétit. Notre voyage va durer près d’une heure.

Ceux qui n’ont pu acheter un ticket aller-retour resteront cloîtrés derrière les sas blindés des bunkers. Ils prieront pour que l’épaisseur des murs et du métal contienne les assauts des créatures qui vivent encore plus bas. Deux jours. Ils resteront enfermés deux jours dans les abris de survie. C’est le temps que mettent la lune et le lointain soleil de ce système à défaire leur étrange conjonction. Quarante huit heures terrestres. C’est long je le sais : au début, je suis resté plus souvent qu’à mon tour coincé en bas, faute de fric. Je peux attester que les heures sont bien plus longues que nulle part ailleurs. Surtout quand les vieux, les complets, se mettent à parler des légendes qui circulent au fond des boyaux. Des légendes toujours racontées sotto voce. Des légendes où les démons réussissent à s’infiltrer dans les bunkers. Des légendes faites de silence et de mort, de violence et de chaos derrière des portes hermétiquement closes. Aucun des faits qu’elles rapportent n’a été confirmé. Ni démenti. Les plus jeunes en rigolent en se tapant sur les cuisses avec leurs prothèses de préhension. Ils font aveuglément confiance à notre technologie en buvant à longs traits la pisse d’âne qui coule des fontaines de recyclage. Une bière à boire bien glacée pour éviter de gerber. Mais les plus jeunes ne peuvent savoir. Leur conditionnement est encore trop récent. Ils mettront du temps à récupérer ce qu’ils ont laissé derrière eux. Ils ont une confiance aveugle au sens premier du terme. Ils boivent cette bière sans sourciller. Je ne suis plus très jeune maintenant. J’extrais depuis pas mal de temps le Sang des Etoiles et je ne crois plus à grand-chose. Personne n’a apporté de réponse à cette simple question : pourquoi faut-il encore des hommes pour faire ce que n’importe où ailleurs les machines font bien mieux?

Sur cette planète rien n’est gratuit. J’ai péniblement économisé mes points dans le noir et le froid de la galerie. J’ai sué à plusieurs dizaines de kilomètres sous la croûte verglacée de cette planète. Plus haut, la froide lumière du soleil nain ne parvient pas à estomper l’éclat des étoiles qui parsèment la voûte d’un ciel carmin. J’ai creusé la roche dure et rebelle derrière mon tunnelier aux dents étincelantes pendant près d’un siècle. J’ai ouvert les veines de ce monde plus profond et plus loin que beaucoup. J’ai un rêve secret. Le même rêve partagé par tous les mineurs. Parmi les veines irisées du minerai dont le moindre gramme est payé des fortunes dans les systèmes centraux, je recherche une concrétion anarchique. Une anomalie géologique. Une pierre précieuse. Une pierre si précieuse qu’elle damne le coeur des hommes. Une pierre et je suis riche pour mille ans. Une pierre et tous mes voeux se réalisent. Une pierre et elle m’aimera pour toujours. Une seule pierre. Mais j’ai l’impression de n’être qu’un sinistre petit Poucet qui n’arrive pas à retrouver les cailloux qu’il a semés pour regagner sa maison. Alors je continue à extraire du minerai tout en sachant que cela ne me rendra pas riche. Peut-être un peu plus complet.

Aujourd’hui, c’est moins important. C’est le début du week-end. Chaque seconde qui passe me rapproche un peu plus de la surface. Un peu plus d’elle. Je suis tellement impatient de la revoir qu’il me semble que cette ascension ne se terminera jamais. Elle m’attend. Elle m’attend. Comme d’habitude. Comme chaque fois. Comme chaque fin de semaine où je remonte à la surface. Elle m’attend. Elle seule me donne la force de résister. Elle m’offre tout ce qui me manque. Elle m’apporte de quoi nourrir mes rêves et tenir tout seul au fond des galeries, l’oreille toujours à l’affût du bruit inattendu. Mais cela ne dure que quarante huit heures.

C’est difficile de chasser de sa mémoire les horreurs qui vivent en dessous. Difficile de ne pas penser aux cauchemars qui hantent les lisières. Difficile d’oublier l’angoisse permanente de la panne mécanique quand le trépan saute sur son axe. Difficile de ne pas se rappeler tous ceux qui n’ont pas eu de chance. J’en ai rencontrés quelques uns au détour d’une galerie. Assis contre la paroi ou stoïquement debout, leurs os blanchis, ils tiennent un vulgaire caillou serré entre leurs phalanges translucides. La mort les a obligeamment attendus pendant qu’ils se perdaient au coeur d’une illusion mortifère, parfaitement immobiles sous l’assaut d’une vermine s’insinuant en longues colonnes par tous leurs orifices naturels. Ils me fixaient de leurs orbites creuses et ils riaient la bouche grande ouverte. La vie est une comédie. Une cruelle comédie. Il n’existe aucune statistique. J’ignore même le nombre exact de mineurs qui travaillent dans ce puits et je ne connais aucun mineur des autres puits. Mais la mort rôde et les sirènes hurlent au moins une fois par semaine.

Mais je ne désespère pas, dites-le bien aux autres. J’ai gagné le droit d’être ici. J’ai vendu tout ce que j’avais au consortium intergalactique pour une concession temporaire. J’ai vendu tous mes biens matériels et cela n’a pas suffi à payer plus de la moitié du billet aller. Alors je leur ai vendu une bonne partie de ma vie. En fait toute la partie à venir. Cela a permis d’atteindre l’avant-dernière porte des étoiles. Il ne restait bien moins que l’infini pour parvenir à destination mais ils ne m’avaient pas dit que c’était le saut le plus onéreux. Alors j’ai vendu ce qu’ils voulaient dès le départ.

J’étais quelqu’un de bien. Je prie tous les jours pour que cela soit vrai. J’espère que cette conviction n’est pas le produit d’un addon implanté durant les opérations de bioalésage. J’étais quelqu’un de bien avant. Je me raccroche à cette idée. Elle m’a aimé pour ça. Elle me l’a dit, me l’a souvent répété. Elle l’a prouvé d’une certaine façon en acceptant de venir avec moi. Sans elle, je ne serais pas parti.

Ce soir, j’arrive mon amour...


INNOCENCE



Hiver 38. Planète Terre. Je suis un artiste. Enfin ce qu’il en reste. Je suis au bout du rouleau. Physiquement et mentalement. Je ne progresse plus. Mes crises sont de plus en plus fréquentes. Les pilules de moins en moins efficaces. Je n’arrive plus à retranscrire la moindre émotion originale. J’ai tout lu. Tout vu. Tout entendu. Comme nous tous dans ce foutu univers. Je recherche quelque chose de neuf. J’ai beau bidouiller mes jouets sophistiqués, altérer mes interfaces de cognition, ce que je produis ne me satisfait pas. Quand je crois tenir le début du commencement d’une séquence inédite, cela ne dure que le temps que met mon cerveau surdopé à retrouver l’analogie. La frustration naît aussitôt. J’efface. J’efface. Même si je suis sûr qu’il n’y aurait eu que moi pour reconnaître la diminution déjà utilisée. Cela réveille les fantômes qui me narguent sur mon épaule. Mozart, Stonedhreim, les Beatles, Ang Lee Myato. Ils ricanent tous et se foutent de moi. « Copieur... copieur... copieur... ». Qu’ils aillent se faire foutre, tous autant qu’ils sont !

Comment trouver ce que je ne connais pas ? Les feuilles de partition à peine entamées traînent un peu partout. La note fatidique arrive chaque fois un peu plus vite. Le moment où le démon sur mon épaule me susurre à l’oreille : « je connais cet accord ! Je connais ce glissando ! ».

Je ferme les yeux et je me retrouve sous le Dôme, la plus grande salle de spectacle de ce côté-ci du mur. Un effort et je me rappelle. Mon chant du cygne. Ma dernière représentation.

Le martèlement des fûts étourdissants de puissance et de brutalité. La cadence qui s’emballe sur un rythme infernal. La ligne de basse qui gronde, profonde et tellurique, hargneuse et hypnotique. Les guitares saturées qui hurlent au premier plan, entremêlant à une vitesse effrénée riffs hallucinés et breaks monumentaux. Les choeurs angéliques des claviers et des cordes qui pleurent tout autour, leurs larmes de sang formant des étoiles filantes éclaboussant la blancheur de la scène où évoluent douze fois douze danseurs drapés en blanc et drapés en noir. Ils encadrent une flamme vivante au milieu des fumigènes toxiques et des éclairs pyrotechniques. Tendue vers l’avant, les mains loin du corps, suspendue au-dessus du vide, elle était là sur la scène démesurée, elle, Eurydice, mon amour.

La machine lancée à toute allure, mon Juggernaut, gigantesque et monstrueux, mon tsunami qui devait tout emporter sur son passage. Rien ne se passa comme je l’avais prévu.

Un silence accablant à la fin du spectacle. Un fiasco total. Aucune empathie. Aucune émotion. Les visages sont restés cachés derrière les masques. La pire humiliation pour un artiste. Rien que des masques blancs et impassibles. Quelques applaudissements. Une piètre aumône. Les danseurs et les musiciens m’ont regardé, décontenancés. J’étais assis au premier rang. J’ai su immédiatement que c’était ma dernière représentation. J’aurais voulu disparaître sous terre. Ne pas être là. Pourtant, je me suis levé et j’ai salué. J’aurais dû m’ouvrir les veines mais je suis un lâche.

En rentrant, j’ai bu. Beaucoup. Des alcools mélangés à des excitants. Elle a voulu... elle a voulu me réconforter et je n’ai pas compris. Elle s’est approchée trop près et dans mon délire, j’ai cru voir autre chose. J’ai fait un geste pour me défendre. Trop violent. J’ai tendu les mains. Trop tard. Comme au ralenti, comme dans un brouillard, j’ai vu son corps partir en arrière, en arrière, en arrière. J’ai vu s’élever la cascade inversée des éclats de verre de la table basse qui tournoyaient en tous sens. Chaque éclat renvoyait mon visage grimaçant.

Elle ne m’a pas accusé. Elle m’aime trop. Lâchement, je n’ai pas protesté. Je me suis contenté de la regarder, allongée les yeux fermés, sa poitrine se soulevant au rythme des étranges machines qui s’occupaient d’elle. Quelqu’un est venu me voir. J’ai écouté distraitement. Je n’arrivais pas tout simplement à comprendre ce que me disait le chirurgien. Je l’ai embrassée sur le front une dernière fois.

Comment rechercher ce que l’on ne connaît pas ? Comment retrouver ce qui a été perdu ? J’ai attendu, espérant qu’elle se réveillerait et que tout recommencerait. Il paraît que certains artistes expriment magnifiquement le désespoir et la douleur. Moi, je suis resté hébété devant mon clavier virtuel en pleurant. Pas une note n’est sortie de ma détresse. J’en étais tout simplement incapable. Je contemplais mes mains qui tremblaient et je me prenais la tête. J’ai cru devenir fou plus d’une fois quand je ressortais de l’hôpital sans autre espoir que de revenir le lendemain. J’étais riche. J’étais célèbre. Malgré tout. Mais tout ça était vain et pathétique. Que vaut l’or quand l’amour est absent ? Que valent les honneurs quand le bonheur n’est pas là ? J’ai besoin d’elle auprès de moi. J’ai besoin de sa vie autour de la mienne, de son corps autour du mien, de sa voix sur ma musique, de ses bras et de sa bouche, de sa force et de sa faiblesse, de sa colère et de son désir. J’ai besoin d’elle plus que tout.

Elle est si proche et si loin. Je peux la toucher mais ses yeux restent clos.

Un jour, quelqu’un a frappé à ma porte. J’ai ouvert un canal. Un visage élaboré pour correspondre à l’archétype du vendeur sérieux et professionnel. Il appartenait au Consortium. Il m’a présenté son offre. Leurs programmes de traçage étaient vraiment au point. C’était le bon moment et le bon produit, correspondant à mon désir inavoué. Qui n’a pas entendu parler de la planète Abondance ? La seule planète de l’univers dont les sous-sols regorgent de sang des étoiles, cette source inépuisable d’énergie pour les industries stellaires. Cette source d’énergie qui a supplanté toutes les autres devenues horriblement coûteuses. Le conseiller m’a patiemment expliqué les différentes clauses du contrat. Il savait déjà que j’étais d’accord sinon il ne m’aurait pas contacté. J’étais un client idéal. Il m’offrait une porte de sortie pour fuir cet enfer. Il m’a aussi expliqué pour Eurydice. Elle serait prise en charge par leurs services durant tout le temps de mon engagement. Elle aurait accès aux meilleurs soins et aux meilleures techniques. J’ai coupé la communication juste après qu’il m’ait dit qu’il y avait aussi une autre possibilité pour elle et pour moi.

Le jour suivant, je poussais la porte de leurs bureaux à Paris. J’ai payé le prix et signé sur toutes les pages avec mon paraphe adénisé, la plus haute sécurité juridique. « Cela remplace la plume trempée dans le sang, m’a dit en souriant le juriste assis en face de moi. Et cela nous évite de passer pour les Diables que nous ne sommes évidemment pas ! ». Il n’était pas plus le Diable que je n’étais Faust

Je pars demain. Il ne me reste plus rien. Je laisse tout ici. Tout sauf Eurydice. Je n’ai plus en seul dollastre sur mes comptes. Mes propriétés sont leurs propriétés à présent. Même ma vie leur appartient pour un temps. Je ne possède que ce que j’ai sur le dos et j’ai en poche mon billet. C’est un aller simple. Comme tous ceux qui partiront en même temps que moi. Finalement, j’ai accepté leurs ultimes conditions. Eurydice m’accompagne. D’une certaine façon.

Je m’agrippe à la balustrade du chalet accroché au flanc du Mont Blanc qui repousse le ciel de sa masse imposante et uniformément pierreuse. Sur la plaine, loin en contrebas, j’aperçois les bateaux qui larguent leurs amarres dans le port de Lyon. Leurs immenses voiles solaires se déploient pour accumuler l’énergie. S’éloignant des quais, ils glissent majestueusement vers l’ouest, gagnant progressivement de la vitesse. Il leur faudra avaler beaucoup de kilomètres pour atteindre l’océan. Et encore, il s’agit plutôt de grandes mares reliées les unes aux autres par d’artificiels canaux. J’attends que mon dernier jour Terre s’achève sur cette maudite terrasse en contemplant stérilement les marées immobiles dessinées par les sables atlantiques.


REMINISCENCE.


Les portes de l’ascenseur s’ouvrent et nous sortons de la cabine confinée. Le hall d’accueil du puits 28 est quasi désert en cette heure tardive. Je lève les yeux vers le haut du dôme qui me surplombe de plusieurs centaines de mètres. Quelques annonces sont diffusées sur les panneaux géants qui encadrent l’esplanade. La plupart des commerces ont baissé leurs rideaux. Après quelques saluts, il ne reste bientôt que moi. Derrière un comptoir, un androïde m’observe. Il me connaît. C’est presque devenu mon ami. C’est le superviseur affecté à ce puits. Ses interfaces sont réduites au minimum. Un visage plus ou moins régulier, deux yeux qui lui confèrent un air vaguement asiatique, une bouche sèche et peu mobile et deux bras quasi humains qui garnissent une poitrine métallique. Chauve. A quoi lui serviraient des cheveux ?

« Bonsoir M. Fosse. » me dit-il avec une diction parfaite et androgyne.

« Bonsoir Oratio! » Ce n’est pas son nom mais qu’importe. Il est programmé à répondre aux humains dans la limite de ses compétences. J’ai trouvé Oratio parfait. A travers lui, ne m’adresse-je pas à celui qui est Dieu pour moi? J’aurais besoin de me rendre à la Clinique. »
« Je consulte votre compte M. Fosse » me répond-il en continuant à me regarder.

C’est ça. Vérifie. J’ai bien compté de mon côté. J’ai suffisamment à mon crédit. Ce n’est pas pour le plaisir que je remonte par la dernière rotation. Cela fait douze ans ce soir. Douze putains de longues années. J’ai dû faire attention à la moindre dépense.

Car nous sommes des esclaves volontaires de par notre contrat. Des esclaves puisque notre vie appartient à un tiers. Nous sommes des outils animés, des outils doués d’âme. Je ne peux me plaindre. Le Consortium est scrupuleux sur le respect du contrat. Il me traite bien. J’ai accès à tout ce dont j’ai besoin et qui ferait pâlir d’envie certains travailleurs pauvres qui se croient libres sur bien des mondes. Je ne me rappelle pas non plus le cas d’esclaves qui auraient payé pour le devenir. Je peux me tromper.

«Effectivement M. Fosse! Vous avez atteint aujourd’hui même le nombre de points nécessaires. Félicitations si je puis me permettre. J’ai contacté la clinique. Ils sont bien entendu prêts à vous recevoir. »

« Merci Oratio, c’est toujours un plaisir ! »

Je suis crasseux et fourbu. Tant pis. Plus vite cela sera fini, plus vite je rejoindrai Eurydice. Je prends un tube qui me dépose dans l’aire de prise en charge de la clinique située sous un autre dôme. Depuis mon arrivée, j’y suis venu cinq fois. La dernière fois, c’était il y a exactement douze ans. Je ne reconnais pas l’hôtesse d’accueil, une femme sans âge. Normal, les personnels médicaux ne sont pas prisonniers ici. Elle daigne me sourire. Professionnelle jusqu’au bout des ongles manucurés.

« Bonsoir M. Fosse. Nous avons été avertis de votre visite. Tout est prêt. Vous connaissez la procédure à en juger par votre dossier médical. »

Je me contente de hocher la tête. Sûr que je connais la procédure.

« Vous savez que votre choix sera irréversible ? Vous avez lu attentivement le paragraphe sur les risques inhérents et les incompatibilités particulières ? »
« Je suis prêt je vous dis. Vous voulez que je signe une décharge ? »
Elle est étonnée, presque offusquée.
« C’est inutile. Cela fait partie de votre contrat initial. Je dois vous poser ces questions. Elles sont sur ma fiche !»
Je me calme. Elle n’est pas responsable sauf de me faire perdre du temps.
« Veuillez m’excuser. Je suis fatigué. Et impatient. »
« Bien. Alors je continue. Tout est enregistré et figurera en annexe à votre contrat. Votre décision est conforme aux points 822 et suivants du contrat. Vous avez assez de crédit sur votre compte personnel. Dès que vous franchirez cette porte, là, sur ma gauche, vous ne pourrez revenir en arrière. Avez-vous bien compris ?
« Oui ! » Je fais sobre.
« Votre décision étant réputée irréversible, vous ne pourrez pas attaquer le Consortium sur les conséquences qu’elle aura entraînées. Notamment en ce qui concerne les risques majeurs énumérés ci-après... »
Elle fait une pause.
« Voulez-vous les entendre ? »
« Quoi, les risques ? Non ! » l Elle m’adresse un remerciement muet.
« Tant mieux. Approuvez-vous tout ce que j’ai dit? Si oui, je vais recueillir votre paraphe adénisé. Voilà. C’est fait. Si je peux me permettre, félicitations. Je vois que votre dernière visite était relative au rétablissement des fonctions locomotrices inférieures. »

Une porte s’ouvre, découpant un morceau de néant sur le mur brillamment éclairé. L’hôtesse m’observe. Je me dirige vers l’ouverture. Juste quelques heures de sommeil en moins mais ça vaut la peine. Eurydice m’attendra un peu plus longtemps mais je sais qu’elle sera heureuse. Je ne marque aucune hésitation en m’enfonçant dans l’obscurité.

Quand j’émerge du tube après l’intervention, la lumière insolite où se mêlent les rayons de la lune et du soleil nain, baigne l’esplanade déserte. Il est encore trop tôt. Les blocs récréatifs sont regroupés dans un secteur ouest du dôme 28. Je presse le pas, empruntant une allée bordée de petits arbustes au feuillage persistant. Je longe un parc arboré, habilement agencé afin que toutes les perspectives soient fermées par des artifices végétaux. J’atteins le petit bâtiment qui abrite ma modeste cabine personnelle.

J’ouvre la porte, le coeur battant. Le coeur battant... J’avais oublié cette sensation. Comme chaque fois. Je redeviens ce que j’étais là-bas sur Terre. Peu à peu.

« Eurydice, mon amour, je suis rentré ! »

Je m’assieds sur le minuscule canapé-lit fatigué. Eurydice m'a attendu. Tout près. Je saisis délicatement un petit cube et je le serre sur ma poitrine. Comme d'habitude je vais rester là jusqu'à la fin du week-end. Cette fois-ci Eurydice sera blottie tout contre mon coeur flambant neuf.

M


  
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Réponses à ce message :
3 Exercice 64 : Maedhros => Commentaire - Estellanara (Mer 18 nov 2009 à 14:35)
3 Comm Maedhros - Elemmirë (Mer 22 jul 2009 à 14:52)
3 Commentaire Maedhros, exercice n° 64: attention, spoiler! - Narwa Roquen (Dim 19 jul 2009 à 22:40)
       4 Quelques réponses... - Maedhros (Ven 24 jul 2009 à 12:43)
              5 Pfiououou!!! - Narwa Roquen (Ven 24 jul 2009 à 13:15)


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