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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Mardi 9 decembre 2008 à 22:43:51
Courrier du coeur




Chère Esméralda,
Je suis une grande admiratrice de ta rubrique ! Tout Marie-Hélène est intéressant, avec ses recettes de cuisine et ses conseils de couture ; on a beau avoir vécu mai 68, la femme est soi-disant devenue l’égale de l’homme, notre corps nous appartient etc..., mais si on ne sait pas tenir une maison, on ne vaut pas grand chose. Ma mère et ma grand-mère m’ont tout appris, et j’ai déjà un trousseau bien garni. Il me reste à broder deux ou trois nappes, chose que les traînées qui se sont montrées sur les barricades ne comprendront jamais, mais quand il s’agira de trouver un mari respectable, nous verrons bien qui avait raison. Je trouve toujours tes remarques très judicieuses, même si les lectrices me semblent pour la plupart un peu nunuches. Je sens bien que tu ronges ton frein, mais il faut vendre, n’est-ce pas ? Pour le coup je suis sûre que tu vas me donner raison. Je ne suis pas comme toutes ces mijaurées dont l’inhibition bien pensante les prédispose à devenir des grenouilles de bénitier, voire, si elles ont un peu d’intelligence, à embrasser une carrière aussi triste que des chaussures à talons plats, comme inspectrice des impôts, dentiste, ou chercheuse à microscope. Je sais reconnaître l’éclat lumineux de l’amour quand il passe à ma portée, et entendre le chant voluptueux des anges qui me guident vers le suave élixir d’un bonheur merveilleux.
J’ai rencontré l’homme de ma vie. Je l’ai parfaitement reconnu. C’est un grand blond aux yeux bleus, comme Robert Redford – ah ce regard dans « Billy le Kid » ! Newman est bien aussi, dommage qu’il soit vieux, mais Redford est tellement... attendrissant ! Il doit habiter mon quartier depuis peu car je le croise tous les jours dans ma rue depuis une semaine. Il a l’air d’avoir la trentaine, ce qui me convient très bien. Je suis sûre qu’il est célibataire, il a toujours l’air un peu perdu, comme un pauvre garçon dont aucune femme ne s’occupe. D’ailleurs, hier, le col de son manteau était à moitié retourné ! Il est d’une timidité maladive. Je le croise depuis une semaine en lui souriant, et il ne m’a pas encore abordée ! Je pense qu’il doit être médecin, car il porte toujours un petit cartable en cuir. Ou banquier peut-être. J’aurais préféré un pilote de ligne, mais on ne peut pas tout avoir. J’aurais aimé, pourtant, me prélasser sous le chaud soleil des tropiques, en écoutant le chant des sauvages... Mais si mon mari a une belle situation, il pourra sûrement m’offrir ces vacances de rêve, pour notre anniversaire de mariage. Après le collier de perles, bien sûr. Ou en même temps ? S’il m’aime vraiment... Ma mère m’a toujours dit qu’une femme qui se respecte devait avoir un collier de perles avant trente ans. Trente ans, cela me semble raisonnable. Je n’en ai que vingt-deux, ça me laisse encore un peu de temps. Donc, ce jeune homme... Il doit être fils unique, ou bien le dernier d’une grande famille, catholique pratiquante, surprotégé par ses grandes soeurs et incapable de se débrouiller seul. Il faudra que je renouvelle sa garde-robe. Ses chemises bleues sont d’un commun ! Et je ne parle pas de cette cravate à pois, on dirait Gilbert Bécaud ! Le costume ça va, il est bien coupé, on sent la famille « vieille France », éducation chez les pères, messe de minuit, bonnes oeuvres et poisson le vendredi. Mais depuis qu’il a quitté ses parents (quelques nobliaux de province, sûrement), le pauvre garçon vit complètement à l’abandon. Il donne ses chemises au pressing et personne ne lui sert plus son orange pressée au petit déjeuner. D’ailleurs il est un peu pâlot, il faudra que je lui fasse une cure de vitamines. Bien sûr je m’arrêterai de travailler après le mariage, pour m’occuper de lui, et je le gronderai gentiment s’il ne met pas de chaussettes en laine pour sortir en hiver. Le mieux ce sera que je les lui prépare la veille, comme ça il ne se trompera pas.
Demain en le croisant je ferai un faux pas et je me raccrocherai à lui pour ne pas tomber, et en même temps je laisserai glisser les livres que j’ai pris à la bibliothèque : « Les Hauts de Hurlevent » et « La perle », deux oeuvres délicieusement romantiques, encore qu’on ne puisse pas classer Steinbeck parmi les romantiques stricto sensu, même si « La perle » est une petite merveille du genre. Bien sûr je rougirai en m’appuyant sur lui, afin qu’il pense que seul le hasard est responsable de notre rencontre. Ma grand-mère me l’a toujours dit : il faut que les hommes aient l’impression d’avoir toujours l’initiative, sinon ils croient que tu n’es pas une vraie jeune fille, et ils ne t’épousent pas. Mais ça n’empêche pas d’être un peu astucieuse...
Et puis nos regards se croiseront et il réalisera qu’il n’attendait que moi. Fiançailles dans trois mois – le coup de foudre, quoi – et mariage dans un an. La grande robe blanche, la longue traîne, et ma cousine Bénédicte comme demoiselle d’honneur. Elle va être verte ! C’est très bien, je n’ai jamais pu la supporter, avec ses airs de sainte-nitouche et tous les garçons avec lesquels elle est allée flirter derrière l’église ! Et même, je suis sûre qu’elle l’a déjà fait ! Mais bon, avec des parents divorcés, n’est-ce pas, et qui se sont tous les deux remariés, à la Mairie, bien sûr. Et sa mère avec un type qui a cinq ans de moins qu’elle, une honte ! Je ne sais pas si on pourra se marier à la Madeleine, ça doit être réservé aux gens de la haute. Mais à Neuilly, comme Johnny et Sylvie, ça serait bien. Et après, Venise, bien entendu.
Souhaite-moi plein de bonheur, chère Esméralda. Je te permets de publier cette lettre, ça donnera peut-être des idées à quelques gourdes qui font tapisserie près du buffet dans les surprises-parties, parce qu’en plus elles ne savent pas danser ! Moi je danse à la perfection, aussi bien le rock que la valse, le tango et le fox-trot. J’ai toujours su que je rencontrerais le grand amour, parce que je suis jolie et que j’ai eu une excellente éducation. L’amour est peut-être un bouquet de violettes, mais c’est aussi une grande gerbe de lys, on ne peut pas offrir ça à n’importe qui. Je sais que l’amour est réservé aux êtres d’exception dont le coeur noble ne s’accommode d’aucune vulgarité. Je sais que sur le chemin de la vie seul l’amour ouvre toutes les portes. Je sais que je n’ai pas besoin de chercher le Bonheur sur mon chemin, car le Bonheur est le chemin.

Catherine


François Levasseur rendit la lettre à Nathalie (alias Esméralda).
« Effectivement, nous n’allons pas la publier. Mais réponds-lui, mets-lui un petit mot gentil sans entrer dans les détails. Après tout c’est une lectrice... »
Nathalie regagna son bureau et relut le texte en écumant de rage.
« Prétentieuse ! ... Hypocrite ! ... Envahissante !... Détestable !! »
Puis un petit sourire se dessina sur ses lèvres. Inutile de donner des perles aux cochons. Mais il n’est jamais interdit de se faire plaisir...
« Chère Catherine,
Pour ma part il me semble que le Tao est un point. Mais je me trompe peut-être... »

Esméralda
Narwa Roquen,je vous parle d'un temps...


  
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Réponses à ce message :
z653z  Ecrire à z653z

2008-12-10 11:33:02 

 point d'interrogationDétails
"le Tao est un point" --- petit scarabée ne comprend pas...
Je vois bien le rapport avec cette phrase : "le Bonheur sur mon chemin, car le Bonheur est le chemin." mais sans plus... et wikipedia ne pas trop aidé pour le coup.

"Après le collier de perles, bien sûr" <--- bien trouvé : j'y ai retrouvé toute l'éducation de mes grand-mères.
Avec le poisson du vendredi, j'aurais ajouté les vêpres. Et je m'attendais à ce qu'elle bave un peu sur les protestants.... peut-être qu'à Paris il y en avait peu en ce temps-là.
Et je ne vois pas pourquoi elle s'emporte autant la Nathalie, je croyais qu'à force de lire le courrier des lectrices de l'époque, on finissait par être blindée.

Beau travail :)

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-12-10 18:08:28 

 Juste pour s'amuser...Détails
Ah, la fascination des colliers de perles. Cet accessoire qui roule et qui brille sur les gorges féminines.

Mais plus sérieusement, je vous invite à consulter cette présentation mathématique. Là, c'est du lourd, du sérieux, avec des inconnues et des boucles fermées.

Il faut simplement suivre ce lien

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-12-10 23:10:34 

 Ah, le Tao...Détails
Le Tao, ou la Voie, Principe de l'Ordre universel et source de vie, est par définition inexprimable, car s'il l'était, il ne serait plus absolu. Certains l'ont comparé à un point, parce qu'à la fois fini et infini...
Les Taoïstes ( comme la plupart des philosophes orientaux, yoghi et autres) adorent les formulations paradoxales voire incompréhensibles, parce que quand tu renonces à comprendre, tu es dans le lâcher prise, tu n'as plus de but, et donc tu peux t'ouvrir. C'est toujours pareil: non-intentionnalité, lâcher prise, ici et maintenant...
Un très bon livre :"Le sens du Tao", ouvrage collectif aux éditions Le Mail. L'essentiel étant, bien entendu, de laisser venir et de ne surtout pas chercher à comprendre...
Narwa Roquen, qui trouve le Tao jubilatoire

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-12-13 20:01:17 

 She knows you know ?Détails
Tu as parfaitement respecté la consigne. L’idée d’utiliser la rubrique d’un magazine, « le courrier des lecteurs » est maligne et malicieuse. La communication épistolaire est sans aucun doute celle qui est la plus révélatrice de la psychologie de son auteur, dans le choix des mots, des expressions, les liens entre les idées. Le courrier des lectrices, en l’occurrence, permet de révéler le caractère de cette Catherine qui rêve sa vie et qui aligne poncif sur poncif, avec une régularité digne d’un métronome suisse !

Tu as replacé l’histoire à la fin des années 60/début des années 70 (la décade 70 = la plus belle des décades) et tu as parsemée la narration de clin d’oeils historiques : chanson, films (Butch cassidy, Les Hauts de Hurlevent , mai 68, la presse féminine...). Je trouve ce procédé très vivant. Il permet de tisser un background crédible et de retrouver les couleurs et les saveurs d’une époque, d’un pays... Si le roman d’Emily Brontë (ah, la chanson de Kate Bush) est d’une noirceur romantique, je n’avais pas le souvenir que le roman de Steinbeck était dans la même veine.

Les paragraphes sont copieux à rassasier un prussien éméché. Ils sont lourds et compacts avec un rythme cataclysmique. C’est une avalanche d’images d’Epinal et de sentences définitives qui séparent toujours le monde en deux parts : elle et les autres. Elle détient forcément la vérité sur toute chose et les autres sont forcément dans l’erreur. Elle imagine sa vie comme les photos qu’elle lèche dans Ici Paris ou Images du Monde. Elle a des attentions de mante religieuse et je plains son futur mari.

Je pense que Catherine, qui a le même prénom que l’héroïne du roman d’E. Brontë, est comme la perle du roman de l’américain : elle va attirer tous les malheurs du monde. Est-ce que son mari trouvera la force de la précipiter dans la mer?

M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-12-30 14:46:27 

 Exercice 50 : Narwa => CommentaireDétails
On hésite entre rigoler franchement et être horrifié par ton texte. Car l’état d’esprit de ton héroïne sonne vrai, horriblement vrai. Je me suis régalée en le lisant.
Excellente idée que ce courrier à un magazine féminin. Dès le début, c’est affreux, affreusement rétrograde et misogyne mais affreusement bien vu. J’espère sincèrement que ce genre de nanas est en train de disparaître, et pareil pour les mecs qui vont avec ! On cerne parfaitement la mentalité de la narratrice, son éducation, sa vision étriquée de la vie et son mépris pour les femmes qui ne pensent pas comme elle. Les petites phrases comme « aussi triste que des chaussures à talons plats » viennent encore ajouter une note de réalisme au discours et une touche de peinture au portrait d’une femme qui n’imagine la vie que derrière les fourneaux, ou apportant ses pantoufles à un mari bien comme il faut. Bien vu les digressions, sur les acteurs de ciné, puis sur la famille du promis, qui délayent un discours déjà bien lourdingue, comme le voulait le thème.
Bien vu aussi, le col retourné de l’homme, qui prouve qu’il n’a pas de femme pour s’occuper de lui. Le pauvre ne sait pas ce qu’il l’attend et quel fauve en chasse a jeté son dévolu sur lui.
Magnifique le « en écoutant le chant des sauvages » qui montre qu’en plus, elle est raciste ! Tout cela est d’un caustique réjouissant. Et puis, on la sent bien réac’, notamment dans le passage sur les divorcés.
Machiavélique le plan d’action pour provoquer la rencontre, même si sa réussite dépendra en grande partie de la personnalité du jeune homme. La narratrice pourrait être amèrement déçue.
Le dernier paragraphe où la narratrice étale sa vanité sans aucune vergogne est également assez croustillant.
Par contre, il me semble que la fin avec Esméralda ne s’imposait pas. La lettre se suffisait à elle-même.

Est', brrrrrr, fait pas chaud cette semaine.

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