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 WA-Exercice 131 - Abécédaire Voir la page du message Afficher le message parent
De : Onirian  Ecrire à Onirian
Page web : http://oneira.net
Date : Mercredi 2 juillet 2014 à 10:04:00
Les Yeux Mescals


Un concert d'applaudissement me sort de ma torpeur. J’entrouvre péniblement les yeux tandis que ma tête reprend sa lutte éternelle contre la gravité. La salle de concert ressemble à une cave miteuse aux murs lépreux et mon public... dix ou quinze yeux mescals qui plongent dans des mondes intérieurs. Les applaudissement cessent : le métro est passé.
Ma respiration est difficile, le monde tangue, le bateau n'est pas stable. Alors ma pieuvre de main attrape une bouteille d'alcool pirate pour lui faire larguer les amarres dans mon gosier. Je manque de m'étouffer, balayé par une vague éthylique venue par tribord arrière.

Le rire triste d'un marin d'infortune me donne envie de pleurer. Voilà pour l'amer. Je lance mes tentacules à la recherche du paradis. L'océan se retire déjà, trop vite, toujours trop. Il y a une petite fenêtre face à moi, un rectangle blanc au sommet d'un mur laid comme le cancer, elle donne sur un trottoir.
Nous sous-vivons sous terre, nous, les Yeux Caves.
Mes doigts trouvent la clef, un petit cylindre de verre que j'aurai du jeter mille fois et qui aura ma peau, et la ramène jusqu'à moi. J'observe les petites graduations, avec les petits chiffres, ça fait comme une échelle. Peut-être que si j'arrivais à attraper le premier barreau je pourrais grimper jusqu'à la lumière ?
L'idée est fascinante, je superpose les petites graduations et le rectangle de vie. Et ... !

Les Yeux Mescals m'ignorent, pourtant, je viens de trouver la lumière, la lumière, la lumière !
L'air se raréfie, mais ce n'est pas important, ce n'est pas l'important. Il faut d'abord remplir l'échelle, comment décoller sinon ? Il faut, il faut.
Mes doigts tremblent trop sous l'excitation, trois fois le tube d'une transparence douteuse et aux éclats mortifères d'ocre séchés m'échappe des mains, alors, cette fois encore, je laisse le Capitaine Fléo, ce bon vieux Capitaine Fléo, prendre les commandes pour retrouver les gestes.
Plus de concert, plus d'océan, mais une plage blanche, oh oui, blanche ! Une plage bien rangée dans des petits sachets, tout petits, tout blanc. L'ordre c'est important, à vos ordres Capitaine Fléo ! Oh Capitaine, mon Capitaine ! Tous sous le pont ! Protégez la cargaison ! Les Yeux ne doivent pas marcher sur notre plage-bande, oui mon Capitaine. Des applaudissements de métropole nous saluent mon Capitaine ! Chantons mes amis ! Armez les canons ! Pique en avant ! Une quinte de toux, je crache du sang. Un poulpe glaireux aux fils de soie prend le large. Mais le Capitaine Fléo n'en a cure, non, pas de cure, alors il tire !
Et il tire.
Et il tire...

Est-ce que ma respiration est plus facile ? C'est Dieu vous savez. Oui Dieu, Dieu enfin. C'est à cause de Lui, tout ça... Tout ça. Et tous les Yeux Mescals, quand ils sont capables d'autre chose que le manque et la peur, et même quand ils manquent et ont peur, sont d'accord avec ça. Quand on grimpe dans le train aux rails blancs, ce train éthylique et fumigène, alors Dieu, Dieu enfin, se mets à exister. On passe d'un monde infiniment triste, habité seulement par cette solitude d'orphelin, un monde d'un ennui lacrymal en phase terminale, à un monde de lumière, ou Dieu, Dieu enfin, peut exister. Et alors, qu'importe la chute, s'Il est là pour nous prendre la main. Petit, relève-toi, n'aie pas peur, tu n'es plus seul, je suis là.
Je regarde mes mains osseuses, mes pieds nus, décharnés, noirs, mon t-shirt sale, mon froc troué, le sol dur. Et il y a les odeurs de pisse, de sang, de gerbe, et ces murs ravagés, comme si les Yeux dégueulait leurs relents putrides plutôt que simplement se contenter de regarder. Ce ne sont vraiment les remparts d'une prison, plutôt des barrières pour protéger les autres de la honte de nous voir, nous, nous, les Yeux Mescals. Je hais cette lucidité. Lucidité...
Lumière... Je cherchais quelque chose non ? Oui, il y avait quelque chose, quelque chose de très important, très important, qu'est-ce que c'était ? Ce n'est pas le carmin buriné qui s'échappe de mes lèvres, ce n'est pas... Oh, des applaudissements ! Merci ! Merci à tous ! Le voyage va reprendre mes amis, oh oui, il va reprendre, mais je dois... Un truc de lumière...
L'échelle ! Oh oui, oui, l'échelle ! L'échelle ! Je vais gravir l'échelle ! Les petits barreaux, tout petits ! Je prends mon échelle et je la mets devant la lumière. L'échelle tremble, mais je me concentre de toute mes forces, je l'accroche à la lumière, je dois être précis. Je dois la gravir ! Là, je ne tremble plus.
Mais je suis trop grand. Comment, comment, comment ?
On devine encore les petits chiffres à demi effacés à côté des barreaux, c'est peut être un code ? Le Capitaine Fléo est parti hanter d'autres Yeux, sous d'autres noms, le chant m’appelle, l'océan, je veux gravir, je veux. Des petits chiffres, et des lettres. Oui, oui, des mots, il me faut des mots pour monter là-haut ! Et il faut les dire dans l'ordre bien sûr, lettre par lettre, et ne pas trébucher. Je vais les dire, les dire.
Applaudissement, Absurde, amphétamine, ascension, le voyage commence.
Barreau, oui, j'ai gravi le premier, le premier bateau vers la lumière, et les Yeux Mescals n'y voient rien, n'y croient pas, restent à quai.
Cannabis, cocaïne, cri, crève, carreau.
Détritus, décharné, déjanté, défait, détruit, désolé mon amie.
Errer, erreur, comment j'en suis arrivé là ?
Faible, et fort aussi, je suis faible, mais cette ascension, je vais la réussir, et je vais laisser les Yeux en bas, et le Capitaine Fléo, mon poto que j'hais, et les murs maudits de cette cave, et le sol dur, et le sol dur.
Guerre, on est tous perdant dans cette guerre, guerre, guère de vainqueur, gare, gare.
Haine, Hauteur, je crache encore ce sang pauvre, l'effort est surhumain, je faibli, c'est si haut, si haut, mais le tombeau de lumière m'attend.
Infernal, les enfers, l'enfer, l'enfermé, l'ivre, libre.
Joie, parce que les barreaux, je m'y accroche, et j'y accroche tous mes mots, comme un testament, je vais voler, je vais rejoindre Dieu, Dieu enfin, quitte à le créer moi-même s'Il ne veux pas de moi.
Kaléidoscope, les Yeux Mescals sortent de leur torpeur, et ils me regardent, et je me vois par eux, et je les vois par eux, Kaléidoscope, les plus lucides, ou les plus avides, en veulent à ce qui me reste de plage, le Capitaine Fléo me vengera, il n'oublie personne, il est caché dans les petits sachets, il ne perd jamais.
Lumière, lumière, lumière, lumière, lumière, lumière.
Merveille, je pleure, Mescal, je pleure.
Nuée, les Yeux, certains se rapprochent, ils savent, nous savons toujours, je ne sais pas pourquoi, mais nous savons toujours, avant même que ça se produise, nous savons, j'ai su, et je sais.
Oui. Oui. La seule prière qui vaille encore la peine : oui.
Prix, Dieu, Dieu enfin, que Ton prix est élevé, je n'ai plus la force de regretter, à peine celle de gravir ces barreaux avant que les Yeux ne m'aient rattrapés ou que le Capitaine Fléo reparte à l'abordage, partir avant de perdre encore.
Qui, qui se souviendra de moi, moi qui ait troqué mon nom, mon nom contre un titre de Capitaine ?
Rien, rien, rien, rien, RIEN, Rien, Rien, et peut-être moins encore.
Seul, sang, souillé, il y a celui que je crache, rouge terne d'une vie en demi-teinte, blanc de rêves effilochés, noir de bile, et celui de mes ancêtres, que je hais tous pour m'avoir fait exister.
Terminus, il n'y a plus de barreaux, les autres ce sont effacés à l'usage, mon bon vieux tube distillateur de petite mort, de maladie, mais je sais, je sais et je n'ai plus besoin de voir les petits barreaux pour les gravir, alors je continue, avec mes tripes.
Unique, universel, la première fois, la toute première, quand la seringue a piqué mon bras et que Dieu, Dieu enfin, s'est mis à exister, et cette lumière, j'espère que Tu m'attends là haut, Tu me manque tellement, tellement, à en pleurer, à en hurler, à m'en arracher les entrailles.
Violence, ma vie, mes veines.
Wendy, mon seul regret, mes dernières larmes pures.
X-ième, un parmi tant d'autres et pourtant si seul, pourquoi si seul ?
Yeux Mescals, qui me regardent encore, je crois qu'ils m'envient.
Zen, tous les barreaux, mêmes les invisibles ont été escaladés, ce n'est pas une victoire, juste une paix.

Et alors, depuis la lumière, je me retourne une dernière fois, et je vois mon corps trop maigre avec ses yeux mescals injectés de sang, avec ses cheveux filasses et poussiéreux, avec sa crasse noire, avec ses hématomes qui forment comme une carte de mes veines, et ma main flasque et décharnée qui est retombée et la seringue qui a roulé au milieu des déchets. Les Yeux Mescals ont déjà volé ma fortune, les deux doses qui me restaient, mais ils ne pleureront pas ma fin. Une rivière carmin coule tranquillement de mon nez et mes intestins se sont vidés. Il y a presque quelque chose de beau dans ce spectacle du pire.

Mais surtout, surtout, je regarde une dernière fois les Yeux Mescals qui restent entre eux, seuls à s'en percer les veines, et dans cette cave aux murs lépreux, au sol dur et au cadavre frais, moi je sais. Je sais.

Ils cherchent tous Dieu. Et moi, je l'ai trouvé.
Enfin.


--
Onirian, chercheur.


  
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Réponses à ce message :
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2014-07-19 17:38:26 

 L’enfer et des corpsDétails
C’est la balade d’un junkie, la dernière virée avant le grand plongeon... mais est-ce un plongeon du haut de la planche tendue par-dessus le bastingage ? Voici un texte halluciné comme le dernier trip de cet homme qui cherche une planche de salut, l’étroit chemin de la rédemption.

La litanie qui égrène les lettres de l’alphabet (au passage, consigne respectée au-delà de la limite, puisque tu n’as écarté aucune lettre !) est obsédante, hypnotique, aussi désenchantée que cet appel à Dieu qui passe par le point de non retour !

Parmi les nombreuses images et expressions décalées qui parsèment le récit, quelques unes sont remarquables :
- "une vague éthylique venue par tribord arrière".
- "Nous sous-vivons..."
- "Tous sous le pont ! Protégez la cargaison"
- "plage-bande",
- "applaudissements de métropole" ( ???)
- "il est caché dans les petits sachets",
- "seuls à s'en percer les veines",

Au rayon des bricoles :
- Un concert d'applaudissement : s
- Les applaudissement cessent : s
- que j'aurai du : j’aurais
- aux éclats mortifères d'ocre séchés : ocre séché (à mon avis !)
- tout blanc : s
- Dieu enfin, se mets à exister : se met
- on est tous perdant : perdants
- l'effort est surhumain, je faibli : faiblis
- même s'Il ne veux pas de moi : veut
- Terminus, il n'y a plus de barreaux, les autres ce : les autres se sont
- Tu me manque : manques

Il faut lire le texte en écoutant ad libitem la chanson de Hubert-Félix Thiéfaine, « les dingues et les paumés », car elle colle idéalement aux mots qui dansent au rythme d’une ritournelle ivre.

Les dingues et les paumés

Un texte particulièrement sombre et triste qui dessine une drôle de spirale infernale où le fond du fond devient finalement la seule issue pour accéder à la lumière !

Bien joué!

M

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Onirian  Ecrire à Onirian

2014-07-21 11:04:03 

 Par la porteDétails
Tu ne crois pas si bien dire en parlant des Dingues et des Paumés. L'expression "des yeux mescals" vient en effet de cette chanson et j'ai écrit tout le début du texte en écoutant cette chanson en boucle.
Mais pour que la playlist soit complète, il faut également rajouter
This is the end des Doors. Toute la relecture s'est faite sur cette chanson là.

Et pour préciser : Les applaudissements de métropole, ce n'est rien d'autre que le son du métro, qui passe régulièrement.

--
Onirian, Doors & Thiefaine dans les oreilles.

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2014-08-31 22:26:00 

 Commentaire Onirian, exercice n°132Détails
C’est un texte dur, violent, qui donne à voir une situation horrifiante de réalisme. Le langage est paradoxalement métaphorique, calembouresque et décalé, s’accordant aux voyages mentaux du toxicomane. Le contraste entre les deux fait toute la valeur de ce récit, et qui plus est les effets de style permettent au lecteur de s’accrocher à la forme pour ne pas sombrer dans le fond. Par ailleurs c’est truffé de clins d’oeil littéraires ou cinématographiques ; chaque mot compte, chaque phrase est à apprécier lentement, dans sa saveur et dans ses arômes. La lecture reste éprouvante, mais pas insupportable.


Bricoles :
- Un concert d’applaudissement : applaudissements ( 2 fois)
- Que j’aurai du jeter : j’aurais dû
- Eclats mortifères d’ocre séchés : ocres séchés ou ocre séché
- Tout petits, tout blanc : blancs
- Dieu... se mets à exister : se met
- Comme si les Yeux dégueulait : dégueulaient
- Ce ne sont vraiment les remparts d’une prison : vraiment pas
- On est tous perdant : perdants
- Je faibli : je faiblis
- Avant que les Yeux ne m’aient rattrapés : rattrapé
- Moi qui ait troqué mon nom : qui ai
- Les autres ce sont effacés : se
- Tu me manque tellement : manques


Tu as bien respecté la consigne, quoique parfois de manière tangentielle, en juxtaposant des mots, débouchant parfois sur des phrases et parfois non, et non des phrases « tout venant » commençant par une lettre donnée. Mais je pinaille ! Dans le texte c’est bien amené et ça s’intègre parfaitement.
On ne sort pas indemne de cette lecture, preuve que tu as bien fait ton travail. Le ton du narrateur, apparemment détaché de son propre sort ( ce qui est cohérent avec son état), est effectivement beaucoup plus efficace que son auto-apitoiement. Encore un poète qui disparaît... Et un auteur qui se confirme. Félicitations !
Narwa Roquen, le retour

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