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Néant

La nuit était tombée plus tôt que d’habitude à Rivendell. Les ruelles de la cité étaient vides de bruit et de présence, la Lune illuminait de ses rayons fantomatiques les toits des maisons. L’enseigne de la Taverne d’Erimen grinçait, balancée d’avant en arrière par la brise fraîche qui courait.
« La nuit est froide, chuchota Dendel, ça n’est pas normal...
_ Tais-toi ! l’interrompit Gébor. »
Le silence pesant retomba tandis que l’étrange compagnie continuait sa marche silencieuse à travers les ruelles.
Chevauchant le premier, Gébor, enveloppé dans son manteau blanc, derrière lui Dendel, Arrimë et Lolath, trois cavaliers émérites qui portaient sur eux les affaires d’un long mois de voyage. Un mois passé sur les routes et les chemins de campagne d’Aubérome, le Royaume Elfique, ils avaient affronté le froid des montagnes des Oréades, la chaleur des ruisseaux des Naïades, traversé Hyades et Hamadryades, les forêts des esprits, franchit les marais boueux de Bën-i-Daldaf et enfin ils étaient arrivé au but de leur quête : Rivendell, ce village perdu dans les Contrées Rocheuses.
L’enseigne de la Taverne grinçait toujours.
« C’est là. » dit Gébor.
Ils descendirent de leurs montures et les attachèrent à la barrière de bois. Dendel frappa à la porte de l’auberge. Un petit Elfe joufflu aux yeux de fouine vint leur ouvrir.
« Je suis Erimen, que voulez-vous ?
_ Je suis Gébor. »
La porte s’ouvrit en grand et les quatre compagnons entrèrent. L’intérieur de la Taverne était plongé dans une semi pénombre. Sur les murs, les ombres des quelques clients se reflétaient, démesurément grandes. Les flammes des torches accrochées au mur vacillèrent.
« Installez-vous, leur dit Erimen en indiquant une table située à l’écart, j’arrive... »
Il s’écarta quelques minutes qui parurent à Dendel une éternité. Puis il revint, apportant avec lui quatre lourdes chopes de Tarné, la boisson des Elfes.
« Alors, vous n’avez pas changé d’avis, dit-il à Gébor, une nuance d’inquiétude dans la voix.
_ Non, je suis plus que jamais décidé, si nous y trouvons ce qu’il est dit...
_ Dans les Quatre Livres de Celn, je sais, le coupa le tavernier, mais les Livres de Celn ne rapportent que des légendes...
_ La Cité Disparue en était-elle une ? l’interrompit vivement Gébor.
_ Non, mais la Mine...
_ Alors nous as-tu trouvé un guide pour y aller ?
_ Et bien...
_ Oui ou non ?
_ J’ai trouvé le meilleur qui soit, mais hé !
_ Hé ! quoi ?
_ Vous le verrez bien vous même demain lorsque vous partirez. »
Erimen se leva et acheva là la conversation, gêné. Il y eut un silence entre les quatre compagnons, l’esprit occupé au lendemain et au guide...

Le soleil déversait ses rayons par la fenêtre de la chambre lorsque Erimen vint réveiller les voyageurs. La route vers la Mine était longue.
Les chevaux harnachés et les bagages fixés, ils étaient prêts à partir.
« Où est-il ton guide Erimen ? demanda Gébor.
_ Là. » Répondit l’autre en désignant l’animal qui fixait les Elfes de ses grands yeux noirs.
La surprise cloua bouche bée les cavaliers.
« Il vous suffit de le suivre et vous arriverez à la Mine. » dit le tavernier.
Aucun ne répondit, sous le coup de la surprise et de la méfiance, mais pourtant ils suivirent la créature lorsqu’elle se mit en route.
Elle avait la carrure d’un grand chien aux longues pattes et deux oreilles noires en forme de croissant de lune. Le reste de son pelage était blanc comme neige. Sa longue queue noire s’enroulait et se déroulait suivant sa démarche chaloupée.

Sans dire un mot ils traversèrent des champs de blondes plantes, croisèrent sur leur route les plus improbables animaux qu’ils n’avaient jamais vus dans leur région. Au bout de quelques heures les champs s’arrêtèrent. Devant eux s’ouvrait une gigantesque forêt, impénétrable océan de verdure. Ils marquèrent un arrêt.
« Je ne savais pas qu’il y avait une forêt ici, murmura Dendel.
_ C’est le bois des Dolves. Précisa Gébor.
_ Le bois des Dolves...les mystérieuses créatures dont parlent les livres de Celn...Comment sais-tu cela ?
_ Je ne sais pas, quelqu’un me l’a dit, répondit Gébor soudain troublé.
_ Peut-être allons nous en voir, des Dolves... »
Ils s’engouffrèrent dans le bois. Longtemps ils suivirent le guide, ayant l’impression de tourner en rond.
« Il a l’air de savoir où il va. » chuchota Lolath.

Les Elfes ne croisèrent personne, pourtant nombre de fois ils eurent le sentiment d’être suivis, observés, comme si dans chaque fourrés se cachait un Dolve ou une autre créature. Les feuilles bougeaient imperceptiblement, comme portée par une brise inexistante...
Une nouvelle fois Gébor eut l’impression d’entendre une voix dans sa tête qui lui disait qu’ils y étaient presque. Car ils approchaient. Encore quelques mètres et ils sortirent du bois presque sans s’en apercevoir.
« Je ne suis pas mécontent de quitter cet endroit, dit Dendel, j’avais l’impression d’être épié. »
Gébor approuva d’un signe de tête, dans le murmure des feuilles il avait entendue une menace muette. Mais ils approchaient et il ne ferait pas demi-tour.
La nuit était tombée, froide et profonde. La Lune était en croissant, d’un rayonnement étrangement fort.
C’est alors que dans la nuit s’éleva une haute muraille de pierre dont les arrêtes acérées transperçaient le ciel.
« La Mine... » murmura Gébor.

Quelques mètres à peine et ils s’arrêtaient devant l’entrée de la mine, un trou creusé dans la pierre en guise de porte, qui s’ouvrait sur les profondeurs noires de la Terre.
Gébor alluma une torche et éclaira l’entrée.
« Enfin nous y sommes...soupira Dendel, ce n’était donc pas une légende.
_ Les Livres de Celn avaient raison. » ajouta Gébor.
Silence...
« Allons-y ! » dit-il d’un ton décidé. Mais au fond de lui il sentit une voix qui lui demandait si vraiment il voulait y aller. Une ultime mise en garde.
Dendel vit Gébor s’engager dans la pénombre, suivi de Lolath et Arrimë. Il était le dernier et il hésita un instant. « Je me demande si nous ne faisons pas un pas de trop » pensa t-il. Un sentiment de malaise et de peur comme il n’en avait jamais ressentit l’envahit, tandis que le froid de la nuit le transperçait tel une lame. Il regarda le guide. Ses yeux noirs reflétaient la Lune et l’espace d’une seconde il crut y lire un avertissement. Une fraction de seconde et il entra lui aussi dans la mine. « Le sort en ai jeté » dit une voix muette.

Il faisait froid aussi dans la Mine. La torche de Gébor éclairait les murs de pierres. Ils se trouvaient dans une gigantesque cavité. De là partait un boyau plongé dans le noir qu’ils empruntèrent. Le long des parois coulaient de minces filets d’eau. Chacun de leur pas résonnait en écho, comme un cri qui se répétait à l’infini. Le boyau aboutissait à une salle beaucoup plus petite que la précédente, éclairée par des torches accrochées au mur.
Au centre de la pièce ronde, sur un socle de glaise, était posé un livre. Gébor indiqua à Dendel de le prendre. Avec une sorte d’appréhension, celui-ci obéit. Le vieux manuscrit était lourd et poussiéreux, relié de cuir. Il l’ouvrit.
« Il est marqué Cirt Tyl i Celn...déchiffra Dendel, le Cinquième Livre de Celn en vieil Elfe...
_ Mais il n’y a que quatre Livres ! cria Gébor surpris. Que dit-il ?
_ Il parle de la Mine... »
L’Elfe tourna la page et lut :

« La Mine date du commencement du Monde. Alors qu’il n’y avait que quelques Elfes sur les Terres d’Aubérome certains partirent vers le Sud, d’autre vers le Nord et les derniers vers l’Est. Quelques uns des pères de la civilisation osèrent aller à l’Ouest, bravant les Montagnes, les Forêts et les Marais. Beaucoup y restèrent, mais lorsqu’ils arrivèrent à la Montagne Rocheuse, ils décidèrent d’y construire leur cité. Elle pris pour nom Ewhana, la ville de roche. En creusant le sol ils découvrirent un minerai bien plus précieux que tout ceux qu’ils connaissaient : ils l’appelèrent Orichalque. Ainsi au fil des siècles la cité devint mine. Mais le jour du Réveil du Dragon (livre 1 chap. dernier) le Royaume des Démons prit possession de la Mine. Ils reprirent le territoire qu’ils avait dû quitter pour laisser la place aux Pères Elfes. Depuis ce temps la cité d’Ewhana est devenue la Mine des Damnés et nul n’ose y pénétrer. Car pour le faire il faut suivre le Guide, il apparaît comme une créature noire et blanche aux oreilles telles des croissants et a la taille d’un grand chien. Il mène les voyageurs jusqu'à la Mine, là il leur laisse le choix d’entrer où de faire demi-tour...
_ Ca suffit ! cria Gébor en arrachant rageusement le livre des mains de Dendel. Les Livres de Celn ne raconte que des légendes ! le guide nous a conduit jusqu’ici et nous cherchons l’Orichalque ! N’oublions pas notre but !
_ Mais il n’y a rien ici... »
Comme prit de folie Gébor chercha partout la moindre trace de minerai ou encore d’ouverture.
« La Mine a du être murée...murmura Dendel.
_ Il ne faut pas croire ces histoires ! hurla Gébor.
_ En vieil Elfe, Orichalque se traduit comme Trésor, mais...
_ Mais quoi ?
_ L’auteur des livres, Celn, était un Elfe du Nord...
_ Et alors ?
_ Ne parlant pas la même langue que ceux de l’Ouest, il a put mal comprendre...
_ Où veut tu en venir ? demanda Gébor à Dendel.
_ Qu’il a put confondre Orichalque et Oritalquë qui signifie Néant...
_ Tu veux dire qu’il n’y a rien ici ? »
Dendel ne répondit pas. Les quatre Elfes se regardèrent et retournèrent dans la grande salle.
« Sortons. indiqua Lolath.
_ Ceux qui entrent ici ne peuvent en sortir » dit une voix.
Ils se retournèrent le guide les observait, et ses yeux brillaient dans la pénombre.
« Puisque vous êtes venu chercher le Néant, vous aurez l’éternité pour le trouver ! »
Sa voix empli la Mine qui résonna en écho, une brume noire se forma autour d’eux
« La Mine des Damnés...chuchota Dendel, je comprend maintenant... »
Il comprit aussi que la folie de Gébor les avaient menés à leur propre perte. Lui qui l’avait suivi partout regrettait, ils n’auraient pas dû suivre une légende.

Le livre de Celn qu’il tenait encore à la main s’ouvrit à la dernière page, tracé de la main de l’auteur, quelques lignes pressées : « Un bruit sourd comme le tonnerre et ça va être l’entrée au Royaume des Damnés, conduit par le Guide, un démon où... ».

Il y eut un coup de tonnerre.

Epilogue :

Tout d’abord, rendons à César ce qui est à César, en l’occurrence à Celn. En effet l’auteur des Cinq Livres n’avait commis aucune erreur. Il s’agissait bien du mot Orichalque. Ce qui induit Dendel en erreur c’est que ce mot est en fait l’assemblage de deux mots : Ori (trésor) et chalque (qui disparaît). Ainsi les Anciens Elfes pour une plus grande facilité avaient assemblés les deux mots, ce qui forme donc Orichalque. La rumeur du trésor des Mines s’est répandue, et comme toute rumeur s’est déformée. Ainsi les Elfes du Nord, du Sud et de l’Est ne comprenant pas la langue de ceux de l’Ouest ont cru qu’Orichalque signifiait trésor. Au fil des ans et des évènements, c’est cette traduction qui est restée lors de la disparition des Elfes de l’Ouest. Mais c’est la signification première du mot qui explique pourquoi Gébor ne trouve rien dans la Mine...

Le Guide....

© Edhel



Publication : Concours "Mine de rien" (Novembre 2002)
Dernière modification : 07 novembre 2006


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