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Sans fin... jamais

La forêt était ancienne. Si ancienne que c'était d'elle que venaient les premières légendes. Dans des temps reculés elle s'étendait à perte de vue : des arbres, des plantes, des vies, la forêt était un sanctuaire protégé. Les hommes n'osaient alors pénétrer son coeur. Ils n'y entraient qu'à la lisière et avec respect. En son sein, les esprits vivaient sereins, dans l'ignorance parfaite d'un monde plus vaste au-delà de ses frontières. Les fées des fleurs, les dryades des arbres, les devas des champignons et des fougères, les nymphes des rivières, des milliers vivaient là et dansaient la danse de la création. Ils créaient des formes et des couleurs, des senteurs et des saveurs, ils dessinaient des symboles précis au coeur des fleurs et des reflets changeants sur l'eau, des feuilles au découpage magnifiquement équilibré et des mélanges de couleurs délicats. Ils créaient sans volonté propre, juste parce que c'était tout ce qu'ils savaient faire, ils créaient et recréaient éléments et végétaux tout en respectant les animaux de la forêt. Ils faisaient pousser de parfaits brins d'herbe en sachant qu'ils seraient mangés par la biche ou le lapin. Ils savaient que les animaux devenus trop vieux ou trop malades les leur rendraient quand ils mourraient et offriraient leur force vitale à la terre.
Les esprits étaient souvent fascinés par les bêtes, eux dont l'existence était liée au végétal s'émerveillaient du pépiement joyeux des oiseaux et des écailles scintillante des poissons dans la lumière du soleil. Le temps s'écoulait lentement et les esprits jouaient, dansaient, créaient. Souvent ils riaient, fous de bonheur d'avoir réalisé un équilibre aussi parfait et magnifique. Le coeur de la forêt vivait paisiblement au rythme de la terre. Endormi en hiver, il se réveillait et s'épanouissait au printemps. Pour ses habitants le temps n'existait pas, car tout recommençait toujours. Ils s'occupaient des premières pousses dans leurs bourgeons avec autant d'amour qu'ils préparaient le sommeil des vieux arbres.
Tous ces êtres joyeux ne prenaient garde aux humains que quand ceux-ci déposaient pour eux une offrande sacrée en échange des plantes ou des arbres qu'ils coupaient. Dans ces échanges aussi, l'équilibre était respecté et jamais la forêt n'imaginait que cela puisse changer.

Ce furent les sylphes qui parlèrent les premiers : " Nous avons beaucoup voyagé et nous sommes venus vous dire que le monde est en train de changer, murmuraient les esprits des vents, partout les homme se multiplient et deviennent plus forts. Ils bâtissent des merveilles de pierre et de bois. Les animaux sont devenus leurs alliés et les aident dans leur tâche. Nous ne savons pas ce qu'ils désirent accomplir, mais ses villages seront bientôt plus vastes que votre forêt. "
Les devas et les nymphes avaient écouté avec curiosité, puis avaient repris leur tâche, ne sachant faire autre chose que rendre la forêt toujours plus belle. Mais bientôt les hommes s'aventurèrent avec plus d'audace sur leur domaine et beaucoup décidèrent de rompre l'ancienne alliance. Certains continuèrent d'apporter leurs offrandes mais la plupart jugèrent que ce n'était plus nécessaire : Ils avaient besoin de trop d'arbres et trop de plantes et trop de terre.
Les esprits s'en étonnèrent et attendirent avec plus d'impatience les récits des vents. Ils parlaient de l'oeuvre de l'homme et de ses gigantesques créations. Un jour, un jeune elfe aux grands yeux qui s'occupait de déplier les minuscules pousses parfaites et délicates sur la branche d'un arbuste demanda timidement : " L'oeuvre de l'homme est-elle plus belle que la nôtre ? ". Ce fut le vent du Sud qui répondit, celui qui avait parcouru la plus grande distance : " Les hommes ne s'intéressent pas à votre travail. Ils ne leur jettent pas un regard, sauf pour se demander comment il pourrait servir le leur. " Le petit elfe insista bravement : " Mais...n'admirent-ils pas la majesté des grands arbres et le parfum de nos fleurs ? "
Le sylphe, ému, se fit plus doux : " Hélas, petit frère, les hommes ne les voient plus. Il ont maintenant de nouveaux rêves de gloire, et ils se croient les seuls créateurs en ce monde. Ils oublient de prêter attention à ce qui n'est pas eux. "
Des murmures parcoururent la forêt ce jour-là et les suivants. Mais les esprits poursuivirent leur travail et ne pouvaient oublier la joie qu'il leur procurait. Ils étaient l'essence même des bois et les histoires d'hommes leur paraissaient bien lointaines. Les elfes, les fées, les nymphes et les dryades dansèrent encore pendant bien longtemps. Mais il finirent par se rendre compte que leur forêt diminuait. Les souches d'arbres coupés se faisaient plus nombreuses et le coeur des esprits découvrit la tristesse. Leurs minutieuses créations étaient vulgairement piétinées et arrachées, et les hommes se rapprochaient du coeur de la forêt.

Les vents et les eaux disaient maintenant que le monde avait changé, que l'homme en était devenu le maître et qu'il imposait désormais ses lois. Ils racontaient que tout était différent, que seuls quelques coins reculés de la planète restaient vierges d'installations humaines. Mais surtout ils dirent que l'homme détruisait ce qui restait de l 'ancien monde. Les esprits des rivières, épuisés, abandonnaient leurs cours d'eau asséchés ou trop malades. Les vents soufflaient violemment dans les arbres, faisant résonner leurs mots dans toute la forêt : " Nous craignons pour vous, vos arbres, pour vos plantes et pour vos animaux. Nous sommes venus vous demander de créer, créez plus, et préservez l'équilibre. "
Les petits êtres de la forêt ignoraient la peur mais ils suivirent le conseil et travaillèrent de tout leur coeur, ils souriaient encore de la beauté qu'ils créaient. Ils ne connaissaient pas le monde extérieur dont parlaient les vents et les rivières, mais malgré leurs efforts, ils l'entendirent s'approcher. Le vacarme des hommes ne ressemblaient à rien de ce qu'ils avaient connu jusqu'alors, et il encercla bientôt la forêt. Les animaux fuyaient et disparaissaient et les arbres tombaient toujours. Les esprits épuisés ne parvenaient pas à restaurer l'équilibre, la destruction submergeait la création, et ils durent s'arrêter. Ils se rassemblèrent tous ensemble, des centaines de petits êtres aux yeux immenses et interrogateurs. Ils se taisaient, serrés les uns contre les autres, et ils écoutaient le vacarme assourdissant des machines humaines se rapprocher. Ils entendaient la dernière plainte des arbres qu'on abattait et le gémissement des plantes arrachées. Devant la fin imminente de leur monde, ils jetèrent un dernier regard autour d'eux, adressant un adieu silencieux aux dernières fleurs et aux arbres, puis leurs yeux se fermèrent et un frémissement parcourut ce qui restait de la forêt. Les esprits qui l'avaient faite vivre abandonnaient leur forme physique. Ignorant le conflit et la lutte ils se retiraient doucement. Ils glissèrent sans bruit dans le sein de la Terre, leur mère, ils glissèrent à travers la roche et les nappes d'eau, plus prés de son centre, là où ils pourraient avoir chaud et attendre. Ils n'avaient plus les moyens de créer en surface. Ils sentaient que leur domaine n'existait déjà plus et ils n'avaient donc plus aucun rôle à jouer.

Là où il y avait eu cet univers, riche de vie et de diversité, les hommes bâtirent leur ville. Une merveille de verre et de métal aux formes fantastiques qui illuminait la nuit de mille couleurs. L'homme savait construire des choses fascinantes, et dans ses villes, il y avait, comme dans les bois, des milliers de vies, toutes différentes. Toutes avaient oublié la splendeur qui se tenait là autrefois.
Seuls les sylphes se souvenaient, et le murmure des vents rappelait la joie qui y avait régné. Ils entendaient encore résonner l'écho de l'ancienne forêt.
Longtemps les esprits de la terre dormirent en son sein. Pendant ce temps les hommes devenaient de plus en plus puissants. Ils avaient appris à gouverner la nature et à la dominer totalement. Dans leurs immenses palais de verre, ils n'en avaient plus besoin, ils étaient même devenus capable de créer la vie et de modifier les saisons.

Et puis un jour quelque chose arriva. Cela commença par un grondement sourd. Puis une lumière blanche ébranla le monde. Un souffle surpuissant désintégra les grandes tours et en quelques secondes, l'univers des hommes bascula. D'immenses feux s'allumèrent ici et là. Les sylphes, maîtres des vents reçurent l'impulsion de souffler, souffler de plus en plus fort, de plus en plus vite jusqu'à ce que d'énormes nuages recouvrent les ruines fumantes. Puis la pluie tomba. Le vent, la pluie, le feu se déchaînèrent en une tempête aussi violente que celles qui avaient contribué à la création de la Terre. Sylphes, salamandres et nymphes avaient rarement connu un tel paroxysme. A demi conscients, ils obéissaient à une force qu'ils ne reconnaissaient pas. Au plus fort de la tempête, la terre se mit à trembler. A des centaines d'endroits de la planète, elle s'ouvrait en deux ou se transformait en de gigantesques torrents de boue qui emportaient tout ce qui avait déjà été détruit sur leur passage. La fureur des éléments dura longtemps, balayant constructions et êtres vivants, faisant déborder les océans et s'écrouler les montagnes.
Et puis ce fut le silence. Quand les vents retombèrent et que la pluie se calma, un premier soleil se leva sur un monde vierge. Les esprits blottis prés du centre de la terre sortirent alors de leur torpeur. Au dessus, le vacarme assourdissant des hommes avait cessé. Le silence les appelait vers la surface.
Seul le soupir des vents faisait frémir l'eau et la terre meuble. Les esprits s'étirèrent au soleil, respiraient la fraîcheur de l'air pur et regardaient autour d'eux avec curiosité. Là où s'était tenue l'ancienne forêt, il n'y avait plus rien. De l'ancien monde, rien n'avait subsisté, pas même des ruines. Sous le ciel bleu, on ne voyait que de la terre à perte de vue, interrompue par les lacs et les rochers des montagnes. Les petits êtres créateurs se rassemblèrent à nouveau, ils ne semblaient éprouver ni tristesse ni regret, juste une joie profonde. Certains commençaient déjà à se balancer doucement, bercés par le rythme de la vie qui résonnait en eux. Rapidement le mouvement se fit plus précis et plus ample, et les esprits ne tardèrent pas à être à nouveau perdus dans la danse de la création. Ils imaginaient de nouveaux arbres, des plantes, des fleurs, ils mélangeaient des couleurs et rêvaient de senteurs. Dans leur esprit surgissaient des visions de forêts immenses aux arbres qui étiraient leurs branches jusqu'au ciel, et qui abriteraient des milliers de vies.
Un murmure de joie et d'anticipation parcourut la terre molle. Bientôt les premières pousses apparurent, et des chants d'oiseaux s'élevèrent.

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© Chrysane



Publication : Concours "Aube sauvage" (Septembre 2002)
Dernière modification : 07 novembre 2006


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