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 WA participation (en retard, grrr) 1/3 Voir la page du message Afficher le message parent
De : Estellanara  Ecrire à Estellanara
Page web : http://estellanara.deviantart.com/
Date : Samedi 9 decembre 2006 à 13:44:17
Je réclame l'indulgence du jury : ceci fut écrit dans la précipitation la plus totale et même un début de panique sur la fin...

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Un quartier plutôt huppé de Seine Saint Denis, minuit moins huit.

Une brise se leva et les nuages effilochés laissèrent apparaître les formes rebondies de la pleine lune. La clarté soudaine découpa les silhouettes fantomatiques d’immeubles bourgeois vétustes bordant des rues désertes. Ca et là, se dressaient des arbres décharnés, à l’écorce attaquée par les gaz d’échappement, aux racines asphyxiées par le bitume. Un vieux clochard, effondré contre le mur de la gare de RER, dormait emmitouflé dans une couverture élimée. L’air sec charriait une odeur de rouille et de frites refroidies.

Le vent souleva un tourbillon de feuilles mortes et les chassa sous le pont de chemin de fer, agitant au passage les affiches vantant des sites web de charme. Le souffle glacial poursuivit sa route dans les rues étroites, faisant le tour d’un panneau stop tagué, puis s’engouffra dans le couloir d’un immeuble. L’antique porte heurta violemment le mur et un carreau de verre jaune se brisa avec un son de cloche.

Même quartier, une maison qui a connu des jours meilleurs, minuit moins cinq.

Le couloir débouchait sur une cour intérieure cernée de murs lépreux. Le tourbillon automnal vint y mourir dans un dernier sifflement et les feuilles rouges formèrent une tâche de couleur incongrue sur la grisaille ambiante. Le sol de la cour était de ciment nu, zébré de fissures et moucheté des reliquats d’un carrelage verdâtre. De temps à autres, un lambeau de crépis moisi ou une plaque de mousse tombée d’une gouttière venaient s’y ajouter. Au deuxième étage, un peu de lumière filtrait entre les rideaux jaunis. Du troisième, résonnait le battement assourdi d’une musique électronique.

Un ancien bac à fleur, dans la cour de la maison, minuit moins une.

Dans un coin de la cour, derrière une pile de tôles ondulées, reposait un grand bac qui avait du contenir des fleurs, au temps où l’immeuble était une élégante maison de famille et non encore un HLM, éclaté en studios exiguës. Sur la terre décrépite ne poussaient plus désormais que des mégots noircis. Un insecte ovale, aux ailes brunâtres, y courait en zigzag, reconnaissant les environs de ses antennes minces, s’arrêtant un instant pour sonder un détritus puis recommençant sa ronde.

Un second cafard escalada le bac puis un troisième. Les deux insectes se croisèrent sur l’humus et se palpèrent un instant avant de reprendre leur route. Des colonnes de cancrelats noirs, bruns et ocres envahissaient à présent le bac dans un fourmillement de pattes, un crissement d’ailes, une sarabande de pièces buccales. Ils trottinaient dans le plus grand désordre, se grimpant les uns sur les autres, recouvrant la terre de leur pullulement. Quand le bac fut empli de la marée luisante et grouillante, l’un des insectes émit une stridulation syncopée et se dressa sur son abdomen :
- Amis cafards, ziitzz, bienvenus à notre assemblée générale !

Le martèlement enthousiaste de milliers de pattes répondit à cette déclaration. On amena une boite de thon rouillée et le crieur se jucha dessus afin que tous l’entendent. Il reprit de sa voix suraiguë, entrecoupée du sifflement de ses mandibules :

- Veuillez je vous prie accueillir la délégation des honorables représentants du rez-de-chaussée, krikri : Callypso, Carlos et Cassius !

Les trois élus s’avancèrent et la foule leur fit une haie d’honneur. Ils étaient grands, très sombres de chitine, et lançaient des « Salam alei kum » à la ronde avec jovialité. Ils représentaient les blattes résidentes du kebab en bas de l’immeuble. On amena des capsules de bières multicolores sur lesquelles ils prirent place. Puis, le crieur lança :

- Veuillez je vous prie, sreeeee, accueillir la délégation des honorables représentants du local à poubelles : Carmen, Carl et Cassandre !

Les cafards s’avancèrent à leur tour sous les applaudissements. Ils allaient à petite allure car ils étaient tous trois ridiculement obèses. Les plaques de leurs carapaces étaient distendues et leurs six pattes ployaient sous le poids de leur énorme abdomen. L’un d’entre eux grignotait négligemment une épluchure de clémentine.

Vinrent ensuite les délégués du premier étage, Casimir, Casper et Carolina. Ceux-là étaient mal en point car ils habitaient avec une famille nombreuse. Les bambins de leurs hôtes humains avaient trouvé amusant de leur arracher quelques pattes et antennes et l’un d’eux s’aidait d’une patte de bois en allumette pour marcher.

Les représentants du deuxième étage, Cathy, Camelia et Caius, les suivaient. L’étage était le domicile d’une vieille dame guindée, d’une propreté maniaque. Les trois cafards avaient développé des maladies de peau suite à l’excès de produits d’entretien et les teintes exotiques que prenaient leurs allergies étaient un sujet d’étonnement renouvelé pour leurs confrères.

Enfin, fermant le cortège, venaient les élus du troisième, Casey, Calvin et Callista. Ils résidaient chez un ingénieur informaticien et, bien qu’on ne comprit pas toujours ce qu’ils disaient, ils étaient fort populaires grâce à leurs gadgets. Ce soir-là, chacun d’eux portait une LED et ils avaient fière allure dans le chatoiement pourpre.
Tous les représentants du peuple blatte prirent place en demi-cercle face à la foule et quand les applaudissements déchaînés finirent par décroître, le crieur reprit sa harangue :

- Amis cafards, nous sommes ici pour débattre d’une question d’une importance capitale pour l’avenir de notre race, kkk.

Sur ce, il marqua une pause dramatique pour s’assurer de l’attention de l’auditoire. La foule était si captivée qu’on pouvait entendre le bourdonnement lointain du périphérique parisien. Il reprit :

- Depuis longtemps, nous cohabitions pacifiquement avec les humains, shrrr, dont nous pensions qu'ils étaient nos frères. En effet, ils nous nourrissaient et nous hébergeaient gracieusement, ziiitzritt. Ils semblaient partager les trois valeurs cafard : Surpopulation, Saleté, Satisfaction. Bien sûr, ils témoignaient par moments d’un sens de l’humour, akakk, douteux... Le crieur adressa un signe de tête aux éclopés du premier étage qui lui rendirent son salut. Mais dans l’ensemble, l’humain a toujours été le meilleur ami du cafard. Jusqu’à la semaine dernière...

L’orateur marqua de nouveau un temps d’arrêt et l’assistance frémit à l’évocation des horreurs des derniers jours. Un bébé blatte commença à pleurer et ses cinquante sept frères et soeurs éclatèrent à leur tour en sanglots étouffés.

- Oui, amis, frrron, ces jours ont été des jours noirs. Une nouvelle humaine est arrivée dans l’immeuble et a semé derrière elle dévastation et carnage, kriii.
Avec un engin aspirant pervers, elle a délogé tous les habitants de l’immeuble en détruisant leurs foyers : araignées, rats, cloportes. Beaucoup sont morts, ashrr ; les autres se sont enfuis. Puis, elle a répandu des produits chimiques sur le sol et jusque dans les poubelles. Nos sources de nourriture ont été polluées. Plusieurs des nôtres, kriikk ont péri ou sont grièvement blessés.
Cette créature diabolique en blouse verte a même tendu des pièges à nos frères, shreee. Elle a déposé d’appétissantes offrandes dans les coins mais ceux qui en ont mangé ont succombé au poison dans de terribles souffrances.

Un silence lugubre planait sur l’auditoire, encore sous le choc. De mémoire de cafard, on ne se rappelait nul événement aussi affreux. Le crieur continua sa harangue d’une voix forte :

- Il est évident à présent que l’espèce humaine s’est retournée contre nous, zrrtrtt, et veut notre perte. Nous ne pouvons croire à un incident isolé puisque cela s’est reproduit chaque matin, frrron.
Aussi, voici la question dont nous débattrons : faut-il déclarer la guerre aux humains ?
Deux orateurs ont été désignés par le conseil de l’immeuble, akakk, pour vous présenter les arguments antagonistes, rrrt. Callista du troisième étage parlera pour la guerre et Carl du local à poubelles parlera pour la paix.

Le crieur descendit de la boîte de thon et les deux orateurs y grimpèrent à leur tour.

... à suivre.


  
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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2006-12-09 13:48:22 

 WA participation 2/3Détails
Après une rapide partie de papier-caillou-ciseaux pour décider qui parlerait le premier, Carl recula d’un pas. Sa collègue parcourut du regard la foule attentive. Callista était une femelle cafard des plus séduisantes. Ses antennes articulées étaient longues et minces comme des fouets, ses quatre ailes d’une transparence de cristal. Elle dégageait une envoûtante senteur de rance. Elle prit la parole d’une voix vibrante :

- Mes frères et soeurs, nous vivons une tragédie !! Les humains, kreee, ont trahi notre confiance et nous ont blessés dans notre propre chair !

Oui, oui, scanda l’assistance ; et certains se tordaient les pattes de désespoir.

- Ils nous ont traités comme des nuisibles alors que nous accomplissons une oeuvre de santé publique en détruisant les déchets, frrrronrr. Qui est donc le plus nuisible ? Le cancrelat qui élimine les détritus ou l’humain qui les a produit ??

L’humain, l’humain, fredonna la foule, indignée par tant d’injustice.

- Pire que ça, shriii, les hommes nous ont traités comme des objets, nous déniant le droit de vivre ! Nous devons regagner le respect qui nous est du, kkk, par la force s’il le faut ! A bas la discrimination !!

Un déchaînement d’applaudissements suivit cette déclaration. Les auditeurs entrechoquaient leurs cerques abdominales pour marquer d’encore plus bruyante façon leur approbation. Callista se lissa gracieusement les antennes et reprit :

- Les produits chimiques ont corrompu nos sources alimentaires, rrritt. Il faut switcher ASAP sur le mode offensif avant que le black-out ressources n’impacte tous les users.

Un silence perplexe tomba tandis que l’assistance ouvrait de grands yeux. L’oratrice fit la moue :

- Pardon...
Comment allons-nous subsister les mois à venir ? Comment nourrirons-nous nos jeunes, zzitzz ? Que leur dirons-nous quand ils tendront vers nous leurs petites pattes avides ? Quand leurs ventres crieront famine ? Quand leurs petits yeux humides se lèveront vers nous ?

Toutes les mamans cafards essuyèrent une larme et tous les papas cafards leur mirent une patte sur l’épaule pour les réconforter en reniflant discrètement.

- Oui, mes frères et soeurs, shreee, c’est de notre survie qu’il s’agit ! Il faut lutter, sous peine de disparaître ! L’affrontement est notre seule solution. N’attendons pas que nos réserves s’épuisent pour réagir, akakkk ! Si cette situation continue ne serait-ce que quelques jours, nous courons à la catastrophe.
Et nous savons que l’ennemi n’a pas utilisé tout son potentiel de mort. Oui, nous savons de source sûre que les humains possèdent des armes de destruction massive !!

Un murmure d’horreur parcourut l’assemblée. Callista se lissa de nouveau les antennes avant de reprendre d’une voix altérée par l’émotion :

- Ils ont des gaz... des poudres terribles... des poisons encore plus violents que ceux dont nous avons fait l’expérience, shrikkk. Nos espions les ont vus dans la chambre de l’humaine à la blouse verte, srress. Les créateurs de ces armes ignobles poussent le vice jusqu’à représenter des cafards morts sur les emballages ! Contre cette barbarie, la guerre est la seule solution !!

La guerre, la guerre reprit la foule en choeur. Un peu partout, des poings griffus se levaient et on entendait claquer des mandibules. Des opposants à la confrontation se manifestaient également et chacun tentait bruyamment de convaincre son voisin. Le crieur dut appeler au calme en frappant un tesson de bouteille avec une vis. Le brouhaha s’apaisa progressivement et Callista reprit d’une voix douce :

- Enfin, kkk, je vous demande d’accueillir notre ami Carmelo.

Celui-ci s’avança péniblement. Il faisait peine à voir avec ses appendices tordus et rongés par les produits chimiques, sa chitine à demi corrodée. Il utilisait une armature métallique de bouchon de champagne comme déambulateur et dégageait une vague odeur de brûlé. Sur son passage, les blattes tendaient leurs antennes et l’effleuraient avec délicatesse pour lui manifester leur compassion. On hissa le pauvre bougre sur l’estrade tandis que l’oratrice continuait :

- Carmelo est l’un des survivants des atrocités de la semaine dernière. Il se promenait, frrr, dans le couloir lors de la première vague d’eau de javel. Raconte-nous ce qui s’est passé, Carmelo.

- Ben... je me baladais tranquille sur le carrelage, kriiikr... Je cherchais un truc à manger, normal quoi. Au loin, akakk, je voyais une grande forme verte avec un chiffon noué sur la tête et qui faisait des trucs et des machins. Et là, y a eu comme un nuage toxique. Ca puait, je pouvais à peine respirer ! Un peu comme au deuxième étage quand la vieille humaine fait le ménage mais pire, srisrii. J’ai entendu un roulement de tonnerre, je me suis retourné pour voir d’où ça venait et c’est là que je l’ai vue...

L’auditoire retint son souffle, attendant la suite avec anxiété, même si beaucoup connaissaient déjà l’histoire.

- Une énorme vague qui me fonçait dessus ! Un raz de marée de mousse puante ! J’ai pas pu l’éviter... J’ai été balayé, frofrro. L’eau chaude est rentrée dans mes trachées et le truc toxique a commencé à bouffer ma carapace. Ca me faisait un mal de chien, fshhh, et je pouvais plus respirer. J’ai appelé au secours et je suis tombé dans les pommes. Quand je me suis réveillé, dzziiit, je savais pas où j’étais. Je pouvais à peine bouger tellement j’avais mal. C’était horrible... Alors, j’ai rampé et j’émettais des phéromone de détresse... Pis, deux potes m’ont trouvé et me vlà...

- Tous n’ont pas eu cette chance, enchaîna Callista d’une voix étouffée en essuyant ses larmes. Beaucoup d’entre nous ont péri, riiirt. Dans cette assistance, nombreux sont ceux qui pleurent un frère, kreee, un ami, un enfant... Et ceux qui ont survécu sont aujourd’hui mutilés...
Mes frères et soeurs, je vous le dis : plus jamais ça ! Vengeance !!!

Oui, oui, répondit la foule avec ferveur, vengeance pour nos frères ! Mort aux humains !
Callista se retira en saluant sous les applaudissements déchaînés. Les cancrelats bondissaient sur place et des invectives guerrières fusaient du peuple en délire. Le bac à fleurs tout entier vibrait de la frénésie des insectes. Le crieur remonta sur la boîte de thon et réclama à grand peine le silence :

- Amis, nous venons d’entendre Callista, zrrizt, honorable représentante du troisième étage. Avant d’écouter son contradicteur, nous allons faire une petite pause car tout le monde doit avoir faim. Un buffet, kkk, et quelques rafraîchissements sont à votre disposition dans le coin du bac, shreee. La séance est levée pour un quart d’heure.

Oubliant instantanément toute velléité belliqueuse, les cafards se ruèrent avec un vorace enthousiasme vers le buffet. Des mets particulièrement appétissants avaient été disposés : moisi de pizza, épluchures de pommes de terre, marc de café et papiers gras. Les auditeurs se servirent du lait tourné et trinquèrent à l’avenir, quel qu’il soit, et à la démocratie. Des discussions passionnées s’engagèrent sur les derniers évènements. Même si l’oratrice avait été extrêmement convaincante, la majorité du public attendait la suite pour se faire une opinion définitive.

A peine leur portion engloutie, les bébés étaient partis jouer et ils couraient joyeusement en tous sens en poussant des cris perçants. Ils se poursuivaient, se chamaillaient, se roulaient par terre et sautillaient partout. Certains montaient sur l’estrade et faisaient semblant de discourir, déclenchant l’hilarité de leurs camarades. Quand l’entracte prit fin, les parents cafards eurent un peu de mal à les discipliner et durent administrer aux plus récalcitrants une tape sur chacune de leurs six pattes. Le crieur reprit son poste.

... à suivre.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2006-12-09 13:52:02 

 WA participation 3/3Détails
- Amis, veuillez je vous prie accueillir, ziitzzz, l’honorable représentant du local à poubelles.

Carl s’avança, son énorme ventre se balançant sur ses petites pattes. Sa carapace jaunâtre était constellée de tâches de ketchup. Il dut s’y reprendre à trois fois pour monter sur la boîte de thon et atterrit peu gracieusement sur le flanc, tout essoufflé. Après deux minutes de récupération, il prit la parole d’une voix calme :
- Chers compatriotes, la guerre n’est une solution à rien.
La guerre ruine, abîme, détruit, tue, estropie. Elle ne résout rien, kkk. Depuis la nuit des temps, le peuple cafard est pacifique. Il prône la non-violence, rirrrt, et l’harmonie. Devons-nous à présent renier nos convictions ?

Un silence pensif était tombé sur l’assistance. Chacun semblait peser le pour et le contre.

- La guerre est bonne pour les espèces dotées d’un intellect peu développé, gouvernées par leurs instincts primaires, shreeshree. Tous les animaux qui réfléchissent l’ont abandonnée depuis longtemps. Succomber ainsi à une pulsion de violence, rrtrt, serait nous avilir, nous rabaisser au rang de barbares. Je crois que nous valons mieux que ça, akakk. Trouvons une solution constructive et rationnelle !

Des applaudissements enthousiastes saluèrent cette déclaration. Nous valons mieux que ça, répétaient les auditeurs en se rengorgeant. Carl mit à profit l’interruption pour sortir un croûton rassis de sous son aile et l’engloutir. Il reprit posément :

- La raison nous incite également à examiner avec attention la situation, sresss. Ne prenons pas de décision inconsidérée, kkk, que nous pourrions regretter par la suite. Enquêtons au préalable et analysons les faits, shriii.
Voyons, que savons-nous des humains ? Ce sont des animaux charmants, aussi désordonnés, sales et prolifiques qu’il convient de l’être, shhhsh. La plupart d’entre eux se comportent avec nous de la plus aimable manière en mettant à notre disposition tout ce qu’il nous faut, krikriii : des lieux sombres et humides, de la chaleur et surtout, beaucoup de nourriture !

A ces mots, on entendit plusieurs estomacs gargouiller et il y eut des éclats de rire.

- Nous vivons avec les humains depuis qu’ils existent, frrron. Nos légendes racontent les ripailles de mammouth grillé, rrittt, à l’époque des cavernes et les festins de cuissot de cerf au temps des châteaux forts.

Les cancrelats du dernier rang lorgnèrent discrètement le buffet pour voir s’il ne restait rien à manger tandis que l’orateur continuait :

- Nous connaissons les humains, kreee, et nous avons appris à les apprécier. Ils sont comme nous. Je refuse de croire, kkk, qu’ils se soient du jour au lendemain ligués pour nous détruire. Rien ne prouve que cette humaine en blouse verte n’aie pas agit seule. Pour étayer mes dires, shrrr, je prie Camille de bien vouloir venir témoigner, zzzitz.

Carl fit signe de s’approcher à la jeune blatte. Celle-ci était fort intimidée et se recroquevillait sur elle-même comme si elle essayait de disparaître sous ses propres ailes. C’était une minuscule femelle brune, à l’abdomen délicat et aux mouvements gracieux. Elle monta sur la boite de thon, se retourna et resta un instant tétanisée par le spectacle de la foule. Carl lui entoura les épaules d’une patte et reprit :

- Comme vous le savez tous, frrroro, Camille fait partie de la brigade d’intervention secrète. Cette semaine, krikrii, elle a été chargée par le conseil des élus d’observer les faits et gestes de la nouvelle humaine. Dis-nous ce que tu as découvert, Camille.

- Euh... l’...l’...l’ennemi n’est pas comme les... les autres... les autres humains, ashrrr. Il n’y a pas de lit dans... dans sa chambre. Ni de four. Ni de frigo. Juste des bou... bou... bouteilles de produits toxiques, kkk, et des chiffons. Et ça ne sent pas la nourri...nourriture comme dans les autres chambres mais juste le chimique. Et l’ennemi arrive le matin, zitzittt, et elle re... repart le soir. Elle n’habite pas dans l’immeuble.

L’assistance mit un moment à assimiler ces révélations et leurs implications. La rumeur enfla progressivement tandis que chacun faisait part de ses supputations à ses voisins qui répondaient par les leurs. Quand tous les yeux se retournèrent vers lui, Carl rangea la moitié de frite qu’il mâchonnait sous sa carapace. Il reprit avec assurance :

- Jugez-en vous-même, sreee, cette humaine est différente. Nos locataires n’ont sans doute rien à voir avec elle, akkak. Il ne serait pas juste qu’ils payent pour des crimes qu’elle a seule commis.

Il se retourna vers l’espionne pour la remercier et celle-ci prit congés avec précipitation pour disparaître dans la foule. Carl prit un air sérieux et poursuivit :

- Je veux maintenant attirer votre attention, shriii, chers compatriotes, sur un point important. Même s’il s’avérait que la guerre soit justifiée, fshhh, nous ne sortirions pas indemnes d’un tel conflit. Les humains sont très puissants et les pertes seraient lourdes, rttrt.
Considérons qu’un cafard, shriik, pèse en moyenne deux grammes et demi et un humain soixante quinze kilos, sresss, considérons également qu’un humain peut générer quelques six cent watts, rttrt, pour attaquer et un cafard un cinquième de watt, considérons enfin qu’il y a douze humains et onze mille deux cent vingt huit cafards dans l’immeuble, zitzitt. Si l’on rapporte la masse réciproque, kkk, des deux espèces à la puissance développée, on démontre facilement qu’il faudrait que nous soyons plus de cent cinquante mille pour avoir une chance.

Le public était totalement absorbé par le calcul et les systèmes nerveux chauffaient sous l’effort. Avec un peu d’imagination, on eut bientôt vu de la vapeur s’élever du bac à fleurs dans l’air nocturne. Carl asséna l’incontestable vérité :

- Il est mathématiquement impossible, shreee, de battre les humains.
Certes, nous sommes courageux, dynamiques et inventifs. Mais toutes ces qualités, rrrtt, ne feront pas le poids. Ce n’est pas la lâcheté mais bien le réalisme qui doit nous pousser à chercher une alternative. Au lieu d’opter pour une escalade de la violence, privilégions la négociation, shriik. Et si cela ne marche pas, nous prendrons le maquis le temps de revoir notre stratégie. Chers compatriotes, donnons une chance à la paix.

Un tonnerre d’applaudissements rendit hommage à cette noble déclaration. A cet instant, chacun était fier d’appartenir à une race aussi avisée et réfléchie. L’assistance se leva pour saluer l’orateur et on entendit résonner quelques « hourra pour la paix ». Carl se laissa glisser en bas de l’estrade, atterrit lourdement sur le dos et rejoignit les autres élus.

Pendant les minutes qui suivirent, l’auditoire examina pensivement les options et on discuta ferme dans les rangs. D’aucun voulaient laver leur honneur dans le sang ; on leur répondait qu’il n’y avait nul honneur dans la violence. Quelques uns souhaitaient tenter leur chance contre les humains, d’autres non. D’aucun préconisaient de ne pas faire des jeunes des orphelins ; on leur répondait qu’il valait mieux être orphelin que morts de faim. Finalement, le crieur reprit sa place et s’adressa une fois encore au peuple des insectes :

- Amis cafards, vous avez à présent entendu les arguments des deux courants de pensée, ashrshrr. Nous allons procéder au vote. Que ceux qui sont pour la guerre lèvent la patte !

Les cancrelats votèrent dans un joyeux désordre, le crieur opérant le décompte des voix. On dut s’y reprendre à plusieurs fois car, dans leur enthousiasme, certains avaient levé plusieurs pattes. Finalement, on se rendit compte qu’en additionnant les pour et les contre, on n’aboutissait pas au total des votants. En effet, les plus indécis avaient jugé pertinent de voter pour les deux options à la fois. Le résultat était tout de même sans équivoque : autant de voix des deux côtés.

Après proclamation des chiffres, une confusion indescriptible s’empara de la foule. Chacun tentait furieusement de convaincre son voisin, à grand renfort de phéromones argumentatives et de frôlements d’antennes empathiques. Le conseil des élus cherchait également une solution équitable à l’indécision générale. Finalement, le crieur remonta sur sa boîte et annonça :

- Amis cafards, dans sa grande sagesse, le conseil a choisi d’opter pour un compromis, rrritt : éliminer uniquement l’humaine à la blouse verte. Que ceux qui sont pour lèvent la patte !

Cette proposition recueillit l’unanimité. Après avoir passé quelques instants à louer le conseil et à se féliciter de l’avoir élu, tous les auditeurs se mirent à soumettre des façons de tuer l’ennemi :

- Enduisons l’escalier d’huile à frites avant son passage, shriii !
- Mettons un steack cru dans sa poche et lâchons le pittbull du voisin !
- Branchons son engin aspirant sur la ligne à très haute tension, akakk !
- Dévissons les charnières des fenêtres pour le jour où elle fait les carreaux du troisième !
- Empoisonnons son sandwich avec de la poudre anti-cafards !
- ...

Quand le soleil se leva sur la banlieue parisienne, que le ronflement des voitures et le grincements des rideaux de fer qu’on lève envahirent à nouveau les rues, l’inspiration homicide des cafards n’avait toujours pas décru...


Merci à John Payson pour son film Joe’s apartment, sans qui ce texte n’eut pas existé.

Est', FDEER.

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2006-12-09 14:07:07 

 Clap clap clap!Détails
Moi aussi, je frappe mes pattes l'une contre l'autre pour témoigner de ma satisfaction :)
D'abord, chapeau pour l'univers original et drôlement bien décrit; ensuite, les argumentations des deux parties sont très convaincantes, bien différenciées, travaillées. Moi, j'aime beaucoup!
Je trouve juste qu'il manque un 4/3 (mais peut-être l'auront-nous dans le prochain exercice?) : alors, guerre ou pas guerre???

Elemm', espantée

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2006-12-09 14:21:33 

 Beuh !!! J'avais pas fini de le publier !Détails
Je viens de mettre le dernier paragraphe !!! J'avais pas eu le temps de le relire ! Retournes-y, ça devrait te paraitre plus complet ! Merci pour les compliments, heureuse que tu aimes !!! (^_^)

Est', à la bourre.

Ce message a été lu 6462 fois
Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2006-12-09 14:27:57 

 MdrrrDétails
Ha ha ha, moi je suis une LGV :p

Et du coup, c'est encore mieux avec la fin ^^
Merci pour ce bon moment!

Ce message a été lu 6774 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2006-12-09 14:32:39 

 Excellent !!!Détails
Tu lis plus vite que ton ombre !
Merci à toi de me lire !!! Lecteurs, je vous aime !

Est', enthousiaste.

Ce message a été lu 6975 fois
Fladnag  Ecrire à Fladnag

2006-12-10 09:05:00 

 WA 6 - Commentaire EstellanaraDétails
Très bon texte super original (je ne sais pas combien de temps tu aurais voulu y passer encore, mais il me parait tres bien abouti ;o)

J'ai bien aimé l'argumentation scientifique du cafard du local a poubelle, je ne m'y attendais pas... pour une fois que la science est au service de la paix ;o)

Ce message a été lu 6503 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2006-12-11 19:20:03 

 commentaire Estellanara, ex n°6Détails
Ravie de t'accueillir à nouveau dans la WA!
J'ai bien aimé les deux argumentations, la femelle faisant cas d'être traitée comme un objet ( très juste), et se préoccupant des enfants ( normal), le mâle, au demeurant fort habile, beaucoup plus abstrait et scientifique ( j'ai adoré sa démonstration!).
Au total un texte excellent qui valait bien qu'on l'attende un peu, et que j'applaudis à mon tour.
Ceci dit, entre nous, et sans vouloir en rien diminuer ton mérite, je persiste à dire que la WA est une série d'exercices...pas forcément longs, pas forcément structurés comme une nouvelle de Concours...
L'impression globale que j'ai en lisant tes trois textes c'est que tu serais plus à l'aise dans un roman. J'ai le sentiment que tu as du mal à renoncer à tout dire; or dans une nouvelle, seul l'essentiel doit apparaître, sous peine d'affaiblir le texte, contrairement au roman, où tout est une question de souffle... et tu n'en manques pas! Ne te vexe pas de ma remarque, c'est très bien, ce que tu fais. Mais penses-y ...
A qui peut donner beaucoup...

Ce message a été lu 6247 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2006-12-12 18:05:20 

 Mirci !Détails
C'est justement là mon problème : je ne sais pas faire court. J'ai un problème avec l'esprit de synthèse. Toute idée se met à vivre sous mon crâne et se multiplie joueysement jusqu'à ce que le texte fasse plein de pages...
Par exemple, les cafards, j'en avais comme qui dirait plein la tête tout le temps. Je marchais tranquille dans la rue et boum ! j'avais une idée pour eux. Alors, je la rajoutais. Même maintenant, les cafards chantent et dansent dans mon esprit et je me dis "mince, j'aurais pu rajouter ça".
Tu vois, même pour le premier exercice avec la phrase "je le frappai de plusieurs coups de couteau", je n'avais pas pu renoncer à en faire un truc complet. Et du coups, j'avais dépassé le nombre de lignes.

Plus à l'aise dans un roman ? Pfouyouyou ! Déjà que je mets des années à écrire une nouvelle et que la plupart restent inachevées car ayant trop trainé, que serait-ce si j'écrivais un roman ?! J'ai essayé autrefois mais ça prenait des proportions démentes et j'écris avec une lenteur desespérante. Il s'agissait d'un roman de vampires, un peu sentimental, un peu dans l'espace. Il s'est écoulé plusieurs années entre le début et la moitié et du coup, mon style avait totalement changé. J'avais changé également de mentalité et je trouvais le début tartignole. Je l'ai laissé tomber.

Si j'écrivais plus vite, je m'y remettrais peut-être mais il me semble que je dois d'abord maîtriser des formats relativement courts. C'est plus facile. Cela dit, je suis tout à fait d'accord avec toi sur le fait que je n'accepte pas de ne pas tout dire. Quand j'écris un personnage qui me plait, j'aime le mettre en valeur et lui donner l'occasion de s'exprimer.
Certes, en délayant trop, on affadit. C'est pour cela que je limite les dialogues et les descriptions. J'en écris d'avantage puis je résume.
Je ne me vexe nullement et j'approuve des deux nageoires mais je préfère continuer à m'exercer sur des formats modérés en attendant de trouver un jour peut-être un vrai rythme.

Est', qui espère vous avoir fait changer d'avis sur les cafards.

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Onirian  Ecrire à Onirian

2008-09-18 17:58:02 

 WA-Commentaire 6 - EstellanaraDétails
Le tout début m'a un peu rebuté, le "zoom" un peu façon cinéma ne me parle pas vraiment.
Par contre, une fois que le dialogue commence réelement, on est plongé dedans. L'idée de base est franchement originale, et j'apprécie particulièrement les "ashrshrr", "shriii" et autres "kkk". Ca donne un rythme au texte completement différent et fort à propos.
Quelques pointes d'humours parsemés un peu partout allègent le tout.

Bref, j'applaudi, notamment pour l'originalité et le coté décalé !

--
Onirian, cafard n'a homme.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-09-20 16:51:39 

 Merci, kkk!Détails
C'est un des WA que j'ai eu le plus de plaisir à écrire !

Est', que la Force soit avec chacun de nous !

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