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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Vendredi 15 septembre 2006 à 18:31:17
Encore une variation libre sur la cigale & la fourmi...mais encore à côté des règles autorisées!

Malgré l’heure méridienne et le flot des travailleurs allant se restaurer, tout était calme et apaisé. Les piétons cheminaient en devisant tranquillement en longues files ordonnées, se saluant poliment lorsqu’ils croisaient une connaissance. Les automobiles respectaient scrupuleusement les signalisations horizontales ou verticales, s’arrêtant sagement dès qu’un feu tricolore passait à l’orange. Pas de cris, pas de bousculade sur les passages protégés. Aucun papier gras ou journal froissé ne traînaient sur la chaussée ou même dans le caniveau. Le pavé était lisse et propre : au loin s’affairait une équipe de nettoyeurs municipaux, armée de balais, de seaux et accompagnée d’un engin de stérilisation sophistiqué. Ils travaillaient vite, alliant efficacité et discrétion.

C’était une journée comme les autres, sans péripétie particulière. Aucun bruit ne venait rompre cette impression de plénitude et de satisfaction collective. Les vitrines des magasins regorgeaient de marchandises, alignées au cordeau. Comme ce n’était pas la bonne heure, aucun flâneur ne s’arrêtait devant elles pour choisir un cadeau ou une emplette ordinaire.

Il revenait d’un long vol transatlantique. N’ayant pas eu le temps de se changer, il avait conservé son uniforme de commandant de bord. Plus élancé et plus grand que la moyenne des citoyens, il dominait d’une bonne tête la foule qui s’écoulait magiquement silencieuse vers les zones de restauration collective.

Le vol lui avait paru long cette fois-ci. Il avait ressenti un vague ennui alors que jusqu’à présent, la noble mission que lui avait confié sa Reine l’avait toujours comblé d’aise. Il tirait une grande fierté d’oeuvrer pour le bien de la collectivité, à l’instar du plus humble des travailleurs. Mais là, maintenant, le sentiment de vide imminent lui tenaillait le coeur et sans s’en rendre compte, il avait allongé son pas, ce qui lui valait des regards étonnés des citoyens qu’il dépassait.

Il éprouvait la désagréable sensation que toute sa vie ne signifiait plus grand chose. Naître, produire, mourir...mais pourquoi ? Pour qui ? Personne ne l’attendait dans son vaste appartement, situé dans un des immeubles longeant Central Park. Il n’avait jamais admiré la symphonie des saisons qui se peignait sur la toile végétale des grands arbres centenaires, par ailleurs admirablement entretenus. Tout ce qu’il possédait avait une fonction strictement utilitaire et provenait sans exception des Usines Collectives Intégrées. S’il se trompait un jour d’appartement et qu’il entrait dans celui de n’importe lequel de ses voisins, il ne serait pas surpris : il y retrouverait l’exacte réplique du moindre de ses objets et de ses meubles, la même parfaite propreté et la même solitude...

Pris d’une soudaine envie irraisonnée, il décida de traverser le parc pour rentrer plus vite chez lui. Son malaise grandissait. Il jetait souvent des regards autour de lui, comme perdu sur une terre étrangère, ne reconnaissant plus ses repères habituels. Il ne croisait personne : le parc était désert puisque ce n’était pas la bonne heure. La société toute entière était réglée à la minute près, concentrée sur ses buts collectifs, attentive aux souhaits de la Reine, alanguie au coeur de l’Empire State Building.

Il s’engagea dans sur un petit pont enjambant un cours d’eau artificiel. Il crût rêver quand il vit la petit silhouette qui l’attendait juste de l’autre côté. Ce n’était pas possible. Aucun enfant n’était autorisé à sortir des crèches collectives avant d’être en âge de remplir la mission ou la fonction que lui assignerait la Reine. Cette organisation libérait la force productive des travailleurs.

Il n’avait jamais vu d’enfant autrement que sur des bobines. Celui-ci avait une beauté stupéfiante comme étrangère à ce monde. Il penchait doucement la tête sur son épaule, ses frêles antennes frémissaient sous la caresse du vent. Avec un sourire timide, il demanda :

« S’il te plaît, dessine-moi une cigale ! »

Maedhros


  
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