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 WA 158 : participation : chapitre 2 Voir la page du message Afficher le message parent
De : Estellanara  Ecrire à Estellanara
Page web : http://estellanara.deviantart.com/
Date : Samedi 24 avril 2021 à 21:36:33
Les trois jours qui suivirent, Albertus étudia assidûment le rituel. Il couvrit d’innombrables parchemins de schémas magiques et répéta à maintes reprises les vers de l’enchantement. Il ne s’interrompait que pour prendre en hâte une frugale collation lorsque la faim l’y obligeait. Il perdit le compte des heures, laissant son échoppe close le jour et la nuit poursuivant tard son labeur, à la lueur des chandelles. Une volonté nouvelle l’animait, secouant la torpeur, focalisant ses énergies déclinantes, comblant le vide du désespoir. Le troisième jour, le mage manda le fils du tailleur, son voisin, et l’envoya en mission dans la ville basse. Il attendit avec fébrilité la tombée du jour, guettant à sa fenêtre les derniers rougeoiements du couchant. Lorsque le moment fut venu, il noua grossièrement sa chevelure, lissa sa robe usée, dont le tissu avait été rouge il y a bien longtemps, saisit sa besace et se mit en route.

Il descendit en boitillant l’escalier de la tour, s’agrippant à la main courante de corde, prenant garde de ne pas trébucher sur les marches irrégulières. Ses rhumatismes ralentissaient sa progression et cela l’irritait. Le vieil homme frappa à la porte de son voisin et le fils du tailleur lui désigna un vieux chien noir ramassé l’après-midi même dans une ruelle des bas quartiers, attaché à un des pieds de la table. L’animal, une bête sale et miteuse, si maigre qu’on lui voyait les côtes, avait suivi le jeune homme contre la promesse de quelques os. A présent, de la graisse de poulet plein les babines, le chien savourait sans le savoir le dernier repas du condamné. Le mage attendit qu’il ait fini et lui tendit un morceau de sucre. Puis, il prit l’extrémité de la laisse et le corniaud, que la prodigalité du vieil humain lui rendait sympathique, l’accompagna en jappant gaiement.

L’air nocturne était lourd sur la place déserte et vibrait du bourdonnement des mouches. La chaleur avait accéléré la putréfaction des suppliciés et l’odeur nauséabonde prit Albertus à la gorge. Il tira un mouchoir de ses robes et se couvrit le nez et la bouche du mieux qu’il pût. Il s’empressa d’une potence à l’autre, observant le sol de terre battue dans la clarté tremblante des torches. Les images de son rêve se superposaient à la réalité et le sentiment de solitude glacée lui revenait par vagues. Au fil de son inspection, il devenait de plus en plus anxieux ; la capricieuse mandragore ne se manifestait que rarement... Enfin, au pied du quatrième gibet, il décela une légère lueur. Il se pencha, le coeur battant, et découvrit une minuscule touffe de feuilles phosphorescentes. Le vieux chien se mit à gronder sourdement et le mage dût attacher la laisse au mât du pendu. Le bâtard geignit quelques instants puis se consacra à essayer de gober les mouches qui le harcelaient.

Albertus examina le sol de terre, imbibé par les fluides putrides du mort qui se balançait au-dessus. Laborieusement, il s’agenouilla près de la petite plante luisante, qu’il caressa tendrement. Ses mains tremblaient d’excitation. Il jeta un regard alentour pour vérifier qu’il était seul, déposa sa besace et en extirpa un stylet d’acier. Au loin, le crieur lança : « Il est onze heures et tout va bien... » mais seul un faible écho lui répondit.

Le mage creusait la terre humide. Un rhizome était apparu à la base des feuilles et on devinait maintenant une petite tête, aux traits indistincts et ridés. Deux minuscules yeux jaunes, en forme de fentes, s’ouvrirent, fixèrent un instant l’humain, puis se refermèrent.

Albertus dégagea le plus gros de la racine avant de sortir un poignard d’argent de ses affaires. L’arme était gravée de runes sur toute sa longueur. Le métal enchanté restait d’un froid mortel malgré la chaleur étouffante. Le vieux mage se releva en ahanant. Utilisant le poignard pour creuser d’étroits sillons, il entreprit de tracer autour du gibet un triple cercle magique. Nerveux, il se parlait à lui-même, se répétant les étapes du rituel. A l'intérieur du cercle, il dessina une étoile et dans chacune de ses branches, il mit un glyphe en disant une courte formule sifflante. Entièrement absorbé par sa tâche, il suait à grosses gouttes. Une fois le dernier cercle refermé, il alla détacher le chien qui, la truffe en l'air, humait avec délice les relents de charogne. Le vieil homme lia avec précautions la laisse à la précieuse racine. Les petites feuilles eurent un léger tressaillement.

Le mage ramassa son sac et traversa la place à pas pressés. Il s'arrêta à l'angle d'une rue et observa toutes les maisons en fronçant les sourcils. Partout, les volets étaient clos. Fouillant dans une des bourses de cuir qui pendaient à sa ceinture, il sortit un morceau de cire d'abeille. Frémissant d'impatience, il le pétrit rapidement et l'utilisa pour se boucher hermétiquement les oreilles. Alors, il porta deux doigts à sa bouche et siffla du plus fort qu’il put. Sur la place, mû par un réflexe conditionné vieux de plusieurs millénaires, le corniaud dressa les oreilles et sauta sur ses pattes. Il franchit le cercle magique et s’élança vers le mage. La laisse le retint et il tira d’un coup sec pour se libérer, déracinant la mandragore et l'entraînant avec lui. A peine la racine magique eut-elle quitté le sol que le chien eut un violent spasme et s'écroula sur le sol.

Albertus s'approcha prudemment. Il observait le chien, agité des derniers soubresauts de l'agonie, la gueule s'ouvrant en jappements silencieux. Du sang coulait de ses yeux et de ses oreilles, poissant sa fourrure sombre. La mandragore, arrachée à son substrat, avait poussé son cri mortel. Le vieux mage retira ses bouchons de cire et s’agenouilla près du vieil animal, posant la main sur sa tête pour l’apaiser jusqu’à ce qu’il cessât de bouger. Comme il se relevait lentement, le vieil homme eut un regard désolé pour le corps du bâtard ; c’était une victime nécessaire.

Il se pencha alors sur la plante enchantée, toujours liée à l’extrémité de la laisse, et la contempla avec attendrissement. Elle ressemblait à un tubercule ramifié, brun, un peu tordu, à peine une ébauche de forme humaine. L’écorce épaisse et ridée était à demi couverte de terre et des radicelles blanches dépassaient aux extrémités. Albertus ramassa doucement la petite racine, l’enveloppa avec amour dans une couverture et l’emporta. Quand il rentra chez lui cette nuit-là, il n’était plus seul.

Est', y a quelqu’un ?


  
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Réponses à ce message :
4 Voui voui - Netra (Mer 16 jun 2021 à 22:58)
4 Oui il y a quelqu'un - z653z (Sam 5 jun 2021 à 19:06)


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