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 WA 158 : participation : chapitre 1 Voir la page du message Afficher le message parent
De : Estellanara  Ecrire à Estellanara
Page web : http://estellanara.deviantart.com/
Date : Dimanche 17 janvier 2021 à 19:26:56
Je traine ce texte depuis 2005... mais je le finirai un jour !

La poupée-dragon




1-


L’odeur des pendus était fétide. Mais la fournaise de la nuit d’été sous la mansarde était telle que le mage ne pouvait fermer la fenêtre. Parfois, une faible brise agitait un instant le rideau, avant que la chaleur chargée de miasmes ne retombe sur la pièce comme un couvercle. L’air était un sirop épais, malsain, oppressant.

Albertus ne parvenait pas à trouver le sommeil. Il se tournait et se retournait, repoussant les draps, puis les reprenant en frissonnant. Des images de son passé défilaient sous son crâne telle une cohorte de fantômes morbides, ne lui laissant nul répit. Le mage était de plus en plus souvent la proie des insomnies. Ouvrant les yeux dans l’obscurité, il passa la main sur son visage moite et essaya durant quelques minutes de penser à autre chose puis, vaincu, se résolut à se lever.

En tâtonnant, il saisit sa robe rêche et trouée et la passa sur sa culotte de lin. Puis, il chaussa ses lorgnons. Il se leva précautionneusement, dépliant ses membres rouillés, et ses articulations émirent de sinistres craquements. La fatigue lui embrumait l’esprit et il eut un vertige fugace. Vacillant, il s’appuya au rebord de la fenêtre et, écartant le rideau, aspira l’air nocturne. Il eut aussitôt une quinte de toux. Essoufflé, il s’assit sur les moellons de pierre fraîche et laissa traîner son regard en contrebas.

Au pied de la vieille tour, s’étendait la ville endormie, plongée dans une silencieuse atonie. Le vieil homme contempla les toits enténébrés dont les silhouettes biscornues se détachaient sur le ciel piqueté d’étoiles. Au loin, un chat esseulé poussa un miaulement mélancolique. A deux rues de là, des torches fuligineuses encadraient la place du château. Plusieurs potences étaient dressées et des pendus se balançaient mollement dans la brise tiède. Albertus tressaillit en entendant grincer les cordes. Le roi ne se refusait jamais le plaisir d’une exécution publique. Surtout s’il s’agissait de déserteurs.

Le mage se détourna de la fenêtre en soupirant et battit le briquet pour allumer une lampe. Ébloui, il plissa les yeux. La clarté se déversa dans la chambre vétuste et poussiéreuse, sur les tentures décrépites, les bibliothèques branlantes débordant de parchemins, les étagères chargées de pots, de fioles et de cornues. Dans un bocal cacheté à la cire, se devinait une face grimaçante. Le plus grand désordre régnait partout : vêtements épars sur le sol, chaises encombrées de livres et même les reliefs d’un repas livrés à une moisissure entreprenante.

Albertus traversa la pièce à pas lents. Le vieillard se tenait voûté. Ses yeux délavés, que nulle lumière n’habitait plus, fixaient le vide. Son corps semblait usé, tant par les ans que par les vicissitudes de l’existence. Il était maigre, aussi sec qu’une branche que le moindre souffle de vent peut briser. Ses robes défraîchies, d’un bleu passé, accentuaient encore l’impression de délabrement qui se dégageait de sa personne. Il préleva un lourd grimoire relié de cuir sur un pupitre et gagna son bureau. Il fit craquer ses phalanges déformées par l’arthrose, et commença de rassembler les ingrédients d’une potion soporifique. Le silence lui pesa soudain et il se mit à chantonner un air triste. Les vers narraient l’amour impossible d’un guerrier saint pour une dame noble. Le mage mit à chauffer un petit chaudron d’eau sur un réchaud à huile. Il y versa plusieurs poudres et ajouta une mesure de miel pour adoucir sa gorge sèche. Une odeur épicée s’éleva de la mixture, masquant un peu l’odeur des charognes suspendues en bas.

Albertus se renversa dans son fauteuil. Il ôta ses lorgnons et passa la main dans ses cheveux hirsutes puis dans sa longue barbe blanche. Son esprit reprit son errance dans les dédales obscurs du souvenir. Plongé dans ses pensées, il remuait distraitement sa potion et le murmure doux et régulier de l’eau bouillante le berçait. Il se revoyait un demi-siècle auparavant, jeune mage ambitieux sortant de l’université de sorcellerie, tout fringant dans ses robes neuves. Il se revoyait travaillant à son échoppe, passant ses journées en studieuses études et ses nuits en expériences mystiques.. Toutes ces belles années de jeunesse dépensées en labeur acharné... Il n’avait pas d’amis à cette époque et nul amour pour tenir sa main. Mais seul lui importait le pouvoir. Maîtriser plus de sorts, se procurer plus de livres rares, percer les arcanes de la magie. Quelle consécration que de devenir mage pour un fils de fermiers miséreux ! Il aurait pu alors arrêter sa course folle et vivre enfin le moment présent. Mais il y avait toujours plus urgent à faire que de prendre le temps.

Le regard du vieil homme passait sur les livres sans les regarder. La vie l’avait emporté dans un tourbillon de travail et d’habitudes vaines. Mais cela ne l’avait guère inquiété : il avait bien le temps ! Se trouver une compagne ? Il le ferait l’année prochaine, sans faute, quand il aurait maîtrisé ce nouveau grimoire. Ou l’année d’après peut-être, après ce lointain voyage en quête de composantes magiques. Il avait repoussé le bonheur à plus tard, sans cesse, jusqu’à ce que sa santé se soit envolée avec ses jeunes années. Que de temps perdu... Son ambition avait occulté le plus important. Ses parents étaient morts, ainsi que son frère. Il se retrouvait seul. Il avait désormais ce pouvoir tant convoité mais était trop vieux pour en user. Et pire que tout, ces connaissances chèrement acquises disparaîtraient avec lui puisqu’il n’avait pas d’héritier. Tout cela aurait donc été vain. Que de nuits solitaires passées en amers regrets !

Le mage regarda ses mains, fripées et tâchées par l’âge. Il était trop tard à présent. Il mourrait seul. Et il ne se trouverait personne pour le regretter. Et comme en écho à ce constat, les cordes des pendus grincèrent dans l’air nocturne. Le vieil homme versa sa potion et la but lentement. Quand il s’étendit sur la couche de paille, quelques instants seulement s’écoulèrent avant qu’il ne sombre dans l’inconscience.

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Les rayons du soleil caressent le visage d’Albertus tandis qu’il traverse de verdoyantes prairies, couvertes de fleurs parfumées. Il avance d’un bon pas, plein d’entrain. Il marche sur un sentier de terre battue, au milieu des champs de maïs mûr à point. Ses souliers frappent le sol gaillardement et, pour la première fois depuis longtemps, il se sent merveilleusement bien. Son souffle est régulier, son dos bien droit ne le lance plus, ses muscles lui répondent avec vigueur. Il contemple le ciel d’azur, écoute le chant des oiseaux et sourit.

Il est dans un village de pierre et de chaume à présent. Les champs ont disparu. Le mage s’avance entre les maisons en regardant autour de lui. Il se sent un peu fatigué et aimerait demander à quelqu'un la faveur d’un gobelet d’eau. Mais il n’y a pas âme qui vive. Il ralentit l’allure. Ses genoux se sont fait un peu plus raides. Le vent s’est levé et une pluie fine tombe sur le hameau. Un tourbillon charrie en sifflant des feuilles jaunes et pourpres. Albertus erre de ruelle en ruelle dans le jour finissant. Aux fenêtres des maisons, il aperçoit des ombres. Il appelle mais nul ne lui répond. Il s’approche mais il n’y a plus personne. Il contourne une charrette à bras, pleine de légumes, abandonnée sur une place grossièrement pavée. Une angoisse inexplicable grandit dans le coeur du mage. Un claquement sec. Il sursaute ; mais ce n’est que la porte d’une ferme qui bat sur ses gonds.

La nuit est tombée sans qu’il s’en aperçoive. Le village a soudainement fait place à une ville. Le vieil homme s’arrête, un peu désorienté. Il s’assoit un instant sur une marche pour soulager ses articulations douloureuses. Son dos voûté le lance et il a froid. La neige tombe à gros flocons entre les hauts bâtiments sombres et les perrons sont luisants de glace. Albertus resserre sur lui les pans de ses robes. Il se remet en marche péniblement. Le silence autour de lui est oppressant. Il ne sait pas où il va mais une force inconnue le pousse en avant. Il cherche quelque chose sans savoir quoi.

La silhouette imposante et vaguement inquiétante du château apparaît. Masse obscure, hérissée de pointes, comme un monstre tapi derrière les maisons. Albertus reconnaît la vieille tour où il vit puis le groupe de gibets dressés sur le parvis royal. La bise le mord cruellement et il se hâte en boitillant à travers la place déserte. A la périphérie de son champ de vision, il perçoit un mouvement. Sur l’épaule d’un pendu, un corbeau s’est perché ; il pique de son bec les yeux du cadavre. Coulant de l’orbite, une humeur visqueuse forme une tâche sombre. Le mage tressaille à ce sinistre spectacle. Son regard suit avec horreur le liquide épais qui descend le long des vêtements de toile, glisse sur la jambe nue et blême et tombe goutte à goutte.

Soudain, il la voit. Image d’une incongruité parfaite : une petite fille est assise dans la neige au pied du gibet. Elle est nue mais ne semble pas souffrir du froid. Sa peau est brune comme du pain d’épice. Sa chair lisse et satinée semble luire doucement dans la pénombre. Albertus écarquille les yeux. Emerveillé, il détaille l’enfant miraculeuse. Elle a encore les traits rebondis du nourrisson, des joues rondes, un nez camus, une petite bouche rieuse. Sous la lumière diffuse des torches, ses yeux jettent un éclat orangé. Le vieil homme est totalement fasciné par cette apparition. Il s’est immobilisé et sa respiration reste suspendue. Il fixe sans y croire la chevelure de l’enfant. Les boucles luxuriantes sont d’un vert intense, irréel. La fillette irradie, seul objet coloré au milieu de la nuit blafarde. Elle se tourne lentement. Le coeur du vieillard se met à battre tandis qu’elle lui tend une petite main potelée. Il tend la sienne en retour et se noie dans les immenses yeux d’ambre.

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Le mage se réveilla en sursaut et se dressa dans son lit. Il sentait encore sur sa peau le frisson glacé de la neige bien que le soleil estival pénétrât à flots dans la chambre. Dans son esprit, planait le sourire de l’enfant du songe. Il se leva vivement, ignorant ses douleurs, et se mit à marcher de long en large. Comme il passait à côté du bureau, son regard tomba sur le grimoire. Le vent avait tourné les pages et, en lieu et place de la potion de sommeil de la veille, une image représentait une silhouette difforme, à la peau brune et ridée, aux membres prolongés de fines racines, à la tête coiffée d’une touffe de feuilles. Le texte, écrit en caractères g_o_t_hiques à longs jambages commençait ainsi :

Mandragore. Celui qui désire cueillir la poupée-dragon, celui-là devra l’aller chercher au pied d’un gibet...

Les yeux du mage s’agrandirent de stupéfaction et ses doigts se tendirent avidement vers le livre.

Est' "Il finit ce qu'il commence ?"


  
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Réponses à ce message :
3 WA 158 : participation : chapitre 2 - Estellanara (Sam 24 avr 2021 à 21:36)
       4 Voui voui - Netra (Mer 16 jun 2021 à 22:58)
       4 Oui il y a quelqu'un - z653z (Sam 5 jun 2021 à 19:06)


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