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De : Estellanara  Ecrire à Estellanara
Page web : http://estellanara.deviantart.com/
Date : Dimanche 17 janvier 2021 à 19:14:53
Après quelques mois à guetter le retour du site, la partie 3 !


21 septembre 2123 : 07h35

En chemin vers le temple, tu envoies un rapide rapport à ta cliente pour lui faire part de la piste. Ton but n’est qu’à deux kilomètres ; tu n’a pas repris le métro. Dans les rues, la température de l’air a déjà monté d’un cran et la foule est plus dense. Les véhicules automatiques passent sans discontinuer sur la chaussée et dans les airs. Les travailleurs se hâtent. Le martèlement rythmique du métro, les klaxons et les annonces publicitaires se mêlent dans la cacophonie de la ville qui s’éveille.

Tu franchis l’enceinte du temple, du béton moulé pour imiter la pierre, et tu marches sous les arbres. Tu jettes un coup d’oeil de droite et de gauche. Personne en vue, tu en profites pour t’arrêter au bassin de purification. Tu retires tes gants, tu prends la louche de bambou et tu laisses couler l’eau fraîche sur tes mains. Tu n’as pas prié depuis ton enfance mais tu aimes ces rituels apaisants.

En descendant l’allée qui mène au Pavillon, tu laisses la sérénité du lieu te gagner. Une brise légère souffle qui bruisse dans les frondaisons, fait tomber sur la mousse épaisse des averses d’aiguilles de pin. Tu as coupé ton filtre olfactif en entrant et activé une alarme de mouvement. Tu te déplaces dans un parfait silence, en prenant garde de ne faire craquer aucune branche, crisser aucun gravier.

Tu inspectes méticuleusement chaque arbre, chaque rocher, chaque touffe de plante, en te demandant où tu te cacherais si tu étais un petit dragon. Le bâtiment de bois du Pavillon apparaît au milieu des feuillages dans toute sa simplicité gracieuse. Ici, la clameur de la ville est comme étouffée, la course quotidienne contre le temps, suspendue. Tu soupires et tu gonfles tes poumons des agréables parfums verts : cela faisait longtemps que tu n’étais pas venue.

Tu longes le jardin zen qui expose au soleil ses vagues de sable bien régulières, puis les larges rochers moussus sur lesquels cavalent de petits crabes rouges. Attentive au moindre son, tu traverses le bois de conifères. Leurs branches noueuses se courbent gracieusement au dessus de l’étang, comme pour caresser l’eau. Soudain, ton alarme détecte deux objets. Tu te tends et ta main se porte à ta ceinture mais ce ne sont que des passereaux qui s’envolent.

Tu reprends tes recherches. Le dragon tient de l’oiseau : il doit apprécier les points d’observation élevés. Tu montes lentement le petit chemin à flanc de montagne en t’appuyant sur le garde-fou de bambou. Tes côtes te lancent douloureusement à chaque inspiration. La vue se déroule sous tes yeux à mesure que tu grimpes et, comme toujours, tu es saisie par le contraste entre le parc du temple et les buildings qui le cernent. Parvenue au sommet, tu inspectes la paroi rocheuse, sur laquelle ruissellent de petits filets d’eau.

Soudain, tu le vois. Pour un oeil ordinaire, cela ressemble à un amas de branches anodin, accroché à quelques mètres au dessus du chemin. Tu sautes souplement la rambarde et tu gravis la pente abrupte. Il s’agit bien d’un nid grossier fait de bois et de mousse douillette. Sur le bord, une petite plume verte. Où peut bien être son occupant ? Tu ne touches rien; inutile de laisser ton odeur. Mais tu déposes à proximité une minuscule caméra reliée au Réseau.

21 septembre 2123 : 10h35

Le petit dragon n’est pas réapparu. Depuis deux heures, tu sillonnes méthodiquement le quartier du temple pour retrouver sa trace. Tu contrôles un à un les endroits où il y a des arbres mais la plupart, dans les jardins des riches, sont protégés par des champs de force étanches. Tu marches sur un trottoir incrusté de grandes flèches lumineuses colorées. Tu sais qu’elles mènent à des bars à hôtesses ou à des clubs de strip-tease. Tu es sur le qui-vive, encore plus que d’habitude. Tu ignores quelle sorte de requin convoite ta prime. Chacun de ces hommes en costume que tu croises pourrait être un ennemi. La chaleur est écrasante et l’air est comme un épais sirop que tu peines à déglutir. Sous ton crâne, la migraine bat comme un tambour taiko.

Tu empruntes un ascenseur afin de gagner la partie haute de la rue, des galeries suspendues aux façades des buildings, reliées entre elles par des passerelles de verre. Ici, la ville prend d’assaut les verticales, avec des commerces et des bureaux à chaque étage. Tu longes la galerie. Sur ta gauche, s’alignent des boutiques de mode, sur ta droite des salons de thé chics. Partout, des publicités scintillantes se croisent, se superposent, s’entremêlent, certaines sur des panneaux de métal, d’autres, virtuelles, flottant dans les airs, étalant leurs slogans. Affirmez-vous avec une arme Google, discrète et de bon goût. Découvrez les organes de remplacement Karada : le vrai raffinement, c’est le naturel. Tu continues de longer la galerie ; ton but n’est plus très loin. Tu dépasses un groupe de jeunes gens élégants en fourrures synthétiques et talons aiguilles de plexiglas, accoudés à la rambarde, qui sirotent des granités. L’une d’eux fait la démonstration aux autres de ses prothèses configuratives en changeant à la volée la couleur de ses cheveux puis la taille de ses seins. Comme tu t’éloignes, tu les entends tous glousser de joie. Tu soupires. Comment les femmes peuvent-elles espérer être prises au sérieux quand tout ce qui les intéresse est leur apparence ?

Enfin, tu arrives au square, un modeste carré de verdure enclos au milieu des buildings. Tu entends le bruissement des feuilles qu’agite la brise surchauffée et tu scrutes les hautes ramures. Hélas, en t’approchant, tu constates qu’il ne s’agit que d’une projection holographique multi-sensorielle. Les arbres sont trop lisses, l’herbe trop verte, les fleurs trop blanches. La réalité n’est pas si parfaite ; c’est d’ailleurs pour cela que tu la préfères. Amère, tu passes la main à travers un lys illusoire puis tu rebrousses chemin.

21 septembre 2123 : 11h00

Tu viens de visiter le dernier coin de verdure du quartier lorsqu’un petit tintement de ton Interface te signale l’arrivée d’un message. Le visage souriant de Shizuka apparaît dans ton champ virtuel :
— Hey, ma puce ! Regarde un peu qui te facilite le travail !
Une image du Réseau s’affiche, manifestement un selfie, sur laquelle un jeune homme aux cheveux vaguement rosâtres pose fièrement avec le petit dragon, qu’il tient par le cou. Il commente : « Mater moi cette salopperie ! Y avé pas sa avant à Kyoto, surment la faute à ces enfoirés d’Envoyé ! »

Tu jubiles :
— Je le tiens. Je t’adore.
Shizuka sourit, radieuse ; ce n’est pas si souvent que tu lui fais des déclarations. Elle explique :
— J’avais laissé des programmes renifleurs un peu partout avec l’image du petit trésor.
— Nous partagerons la prime ; tu as fait plus sur ce run que moi.
— Un bon curry m’aurait suffi. Par contre, impossible pour le moment de remonter jusqu’à l’adresse du type. Les mécanismes de protection du Réseau sont puissants...
— Ne t’inquiètes pas, j’ai une assez bonne idée de l’endroit où le trouver. Merci mille fois.

Un moment plus tard, tu attends patiemment dans le hall de l’immense building de la corporation Lusion, le géant de la drogue légale. Tu as expliqué à l’hôte d’accueil que tu attendais quelqu'un et il n’a pas posé de questions. Il t’a dit que tu pouvais rester aussi longtemps que tu le souhaitais. Cette amabilité et le tatouage de la puce Testostop qui brille sur son front juste au dessous de son étoile de cuivre lui ont valu un de tes rares sourires. Tu en profites pour te reposer ; tu es encore diminuée suite au combat. Tu t’es installée dans un confortable canapé de velours, entre deux plantes vertes. La salle d’attente ressemble à celle d’un cabinet d’avocats, propre et bien éclairée, avec des tableaux représentant des bouquets de fleurs. Un vernis de respectabilité dont tu connais trop bien la finesse.

La climatisation souffle un agréable courant d’air frais et tu parcours distraitement via ton implant les dernières annonces de primes. Les clients défilent sans interruption dans le hall, seuls, en couple ou entre amis, pleins d’une gaîté tapageuse ou au contraire abattus et mal à l’aise, jeunes souvent mais pas toujours. Tu sais déjà que ta cible ira au septième étage, celui de la Shia, le célèbre bonheur en pilule. Ce sont ses cheveux qui l’ont trahi. Roses au bout. Cela fait toujours ça chez les consommateurs qui prennent régulièrement de fortes doses. C’est le seul effet secondaire de cette substance soit disant miraculeuse qui a très rapidement remplacé antidépresseurs et anxiolytiques. Sa fabrication est le secret le mieux gardé de l’univers.

Le voilà. Il traverse le hall avec l’assurance de celui qui possède le bâtiment et salue l’hôte d’accueil en l’appelant par son prénom. Tu attends une minute avant de lui emboîter le pas. La voix féminine synthétique de l’ascenseur égraine les noms des drogues tandis que tu montes. Le septième étage est tapissé de moquette soyeuse, baigné d’une lumière tamisée rose. Les petites cellules des clients alignent leurs numéros de chaque côté, avec chacune son boîtier de paiement et son horloge. Tu parcours le couloir, cherchant la bonne horloge. Tu jettes un coup d’oeil de chaque côté avant de te glisser à l’intérieur.

La pièce est minuscule et très sombre, capitonnée du sol au plafond, meublée uniquement d’un fauteuil. Ton objectif y est avachi, les yeux clos, un sourire béat aux lèvres. Il n’a même pas prêté attention au cliquètement de la porte. Quand tu refermes, une chape de silence tombe sur la petite cellule. L’isolation sonore est si parfaite que tu peux entendre la respiration de l’homme. Tu t’approches de lui et tes pieds s’enfoncent dans le rembourrage du sol :
— Pardonnez-moi de vous déranger, monsieur. Je souhaiterais vous poser quelques questions.
Il a sursauté et ouvert les yeux à ton premier mot. Il te fixe quelques instants avec étonnement puis rejette la tête en arrière et se remet à sourire bêtement. Tu fronces les sourcils : cela ne va pas être évident de l’atteindre à travers le brouillard de la drogue. Tu avances jusqu’à le surplomber :
— Monsieur, je vous demande quelques minutes de votre temps. Ouvrez les yeux, je vous prie.
Ton ton est sec, ta voix assez forte. Tu as besoin de son attention. Il geint :
— Ferme-la... tu n’existes pas. Ah...si moelleux...
— Je peux vous assurer que je suis bien là.
Il s’esclaffe mollement et son corps maigre tressaute sous les vêtements trop grands :
— Toutes mes hallus disent ça, ma jolie... (Il fait un geste vague de la main.) Allez, sois gentille et disparais.
— Je ne partirai pas avant d’avoir des réponses à mes questions.
Il se renfonce dans le fauteuil et commence à fredonner. L’irritation te gagne rapidement. Tu te penches et tu le saisis par le col. De près, il dégage une légère odeur rance.
— Je vous prie de m’écouter !
— Va-t-en, illusion. Tu m’ennuies...
— Je ne suis pas une illusion. Je suis réelle. (Tu le secoues.)
— Le réel... il n’existe plus... plus depuis longtemps... Dissous, dissous dans la drogue. Disparu... tout virtuel... des putes virtuelles, des vacances en holo, des potes artificiels... disparue la vie de merde... plus de problèmes... plus rien...
Il glousse de rire puis dodeline de la tête en souriant aux anges. Une bulle de bave se forme au coin de sa bouche. Tu plisses le nez de dégoût. Faut-il être lâche pour fuir les difficultés en se ravalant ainsi au rang de loque bavante. Tu le secoues de nouveau, plus énergiquement :
— Revenez à vous, juste un moment !
— Nan... je ne veux pas. Laisse-moi tranquille. Je suis bien ici.

Tu le gifles du revers de la main. Le son résonne comme un coup de feu dans le silence de la pièce. Il gémit et marmonne quelque chose d’inintelligible. Tu le gifles de nouveau, plus fort. Il te fixe, confus et hoquette :
— Ça fait mal... Pourquoi... Pas réel...
— Cela fera encore plus mal dans un instant si vous ne répondez pas à mes questions. Où est le dragon ?
— Hein... le... le dragon ?
Ses yeux roulent dans tous les sens. Sa conscience lutte faiblement pour émerger des limbes de la Shia.
— Le Simulacre que vous avez trouvé aujourd’hui. Vert et jaune, soixante centimètres de long.
— Oui... la ptite saleté... il m’a mordu... (Il pouffe de rire.) Pas grave... rien n’est grave.
— Où est-il ?
— C’est si bon... Plus rien à... rien du tout.
Tu le gifles de nouveau, durement. Il laisse échapper un gémissement et une larme roule sur sa joue. Impassible, tu répètes :
— Où est le dragon ?
— C’est pour le vendre... tu sais, au marché chinois... Ils bouffent n’importe quoi.
— Quoi !? (Tu resserres la main sur sa gorge et tu t’approches, menaçante.) Dans votre intérêt, monsieur, j’espère qu’il est encore en votre possession.

21 septembre 2123 : 13h20

Tu pousses la porte de l’appartement du type aux cheveux roses. Son adresse et le code de sa porte t’ont coûté la modique somme de soixante dix mille zeni, cinq fois le tarif du marché chinois. Une offre qu’il a été trop heureux d’accepter. L’habitation est exiguë, une pièce unique chichement meublée d’une paillasse, d’un boitier Tridi vétuste et d’une table basse encombrée de barquettes de nouilles vides. Le propriétaire des lieux t’a indiqué où trouver l’animal : un carton dans un placard. Tu t’accroupis devant la porte coulissante et tu tires la large boîte, grossièrement percée de quelques trous d’aération. Des grattements à l’intérieur te signalent la présence de son occupant.

Le petit dragon se terre tout au fond, prostré, ses grands yeux dilatés par la terreur. Tu l’observes un instant en silence, le coeur serré. Sans prévenir, il se détend et te saute au visage, toutes griffes dehors. Tu pares son attaque de ta main gantée et il détale dans la pièce. La pauvre bête est affolée. Tu te lèves très lentement, sans geste brusque et tu avances jusqu’à environ trois mètres de l’animal. Puis, toujours avec précautions, tu t’assois en tailleur sur le sol. Le dragon s’est enroulé en haut d’un lampadaire. Il ne te quitte pas du regard. Sa crinière de plumes est toute hérissée et tu peux entendre sa respiration sifflante tandis qu’il te montre ses minuscules crocs. Tu évalues la situation : il est rapide et l’attraper par la force te répugne.

Tu retires tes gants puis tu sors de ta ceinture une barre énergétique aux noix et tu l’émiettes dans ta main, bien en évidence. Le dragon s’agite sur son lampadaire. Son corps frétille et ses narines se dilatent d’envie. Il émet un petit cri pitoyable ; comme tu le pensais, il est affamé. Tu jettes un petit morceau à proximité de lui. Il hésite. Ses griffes se crispent en crissant sur la barre de métal et il tend le cou, avide. La faim va-t-elle l’emporter sur la prudence ? Le dragon se déroule lentement, sans cesser de te surveiller, et se tend prudemment vers la nourriture. D’un bond, il s’en saisit et retourne au lampadaire. Tu entends les noix craquer sous ses mâchoires tandis qu’il les engloutit. Tu souris. Tu exhibes un autre morceau, un peu plus gros, et tu le jettes un peu plus près de toi.

Une demi-heure plus tard, le biscuit n’est plus qu’à une longueur de bras. La tête du dragon oscille avec circonspection comme il rampe doucement sur le tatami. Centimètre après centimètre, il s’avance vers la friandise de sa démarche sinueuse. Sa crinière est encore à demi hérissée par la peur. Il s’empare de la nourriture puis recule de nouveau. Tu murmures :
— C’est bien, Dragon-san... Là... Ne crains rien.
Tu sors une nouvelle barre de ta ceinture et tu la casses en deux. Tu tends l’un des morceaux à bout de bras. Le petit dragon vous fixe alternativement, la friandise et toi. Il ondule précautionneusement, s’arrête un instant puis, prélève le biscuit entre tes doigts du bout des lèvres.
— Gentil... Je ne vais pas te faire de mal.

Tu allonges lentement la main vers sa tête. Il te regarde faire du coin de l’oeil tout en mangeant avec gourmandise. Tu effleures ses plumes douces. Son long corps se crispe brièvement puis se détend de nouveau. Tu caresses sa crinière, sa peau sous laquelle tu sens rouler des muscles fermes. Il émet un léger roucoulement.
— C’est ça... C’est bien.
Tu continues de caresser le dragon qui a fermé les yeux. Même si tu rencontres régulièrement des Simulacres, c’est la première fois que tu en touches un. Son corps est tiède et tu sens battre doucement son coeur, artificiel et pourtant de chair. Tes doigts accrochent des irrégularités sur sa peau. Tu te penches pour mieux voir. Il y a des accrocs dans la mosaïque parfaite de ses écailles, comme des coupures mal cicatrisées. Tu fronces les sourcils.

Le dragon est à présent enroulé autour de ta taille et sa petite tête repose sur ta cuisse. Tu lisses doucement les plumes de son cou tandis qu’il sommeille paisiblement. Pour la cinquième fois consécutive, tu relis le contrat. Une fois de plus, tu achèves ta lecture et ton regard se perd dans le vide.

21 septembre 2123 : 22h30

Tu te tiens de nouveau dans le hall de la grande maison des Deyama. Le majordome a signalé ton arrivée à la maîtresse des lieux et il patiente en face de toi en silence, bien droit dans sa livrée noire. Ton regard passe rapidement d’un objet à l’autre, vase laqué, cadre doré à l’or fin, sculpture difforme mais du dernier chic. Tu bascules ton poids sur ta jambe gauche, puis de nouveau sur la droite. Tu es nerveuse. Agacée, tu contrôles ta respiration pour regagner ton contrôle.

L’ascenseur tinte sur ta gauche et Deyama-san traverse le hall à une allure aussi rapide que le lui permet son élégant kimono moiré. Dans ses cheveux relevés en un chignon impeccable sont piquées des fleurs de soie. Tu t’inclines et elle te rend ton salut.
— Très estimée cliente, le run est accompli. (Tu lèves vers elle la boite de carton que tu portes.) Voici l’objet de notre accord, conformément au contrat et dans les délais requis.

Deyama-san se penche, le buste raide, et écarte légèrement les rabats. Le dragon apparaît dans la lumière des lustres. De sa crinière verte et jaune, dépasse la plume coupée. La femme t’adresse un imperceptible sourire :
— Vous vous êtes montrée digne de votre réputation.
— Je n’ai fait que mon humble travail.
Deyama-san fait un signe sec de la main. La surface inégale du carton glisse entre tes doigts tandis que le majordome te l’enlève et l’emporte. Tu le suis des yeux tandis qu’il disparaît dans le couloir. Ta cliente reprend :
— Je recommanderai vos services.
— C’est trop d’honneur.
Tu t’inclines de nouveau profondément.

Lorsque tu rentres à ton appartement, le calme nocturne s’est étendu sur la ville. Tu as fait un détour par Teramachi mais pour une fois la marche n’a pas réussi à te calmer. Tu es en proie à un doute lancinant. As-tu pris la bonne décision ? Y en a-t-il seulement une lorsqu’il faut choisir entre la loi et le bien ? En attendant l’ascenseur, tu pianotes fébrilement sur le mur de marbre ; tu sens que tu ne dormiras pas la nuit prochaine. Une fois montée dans la cabine, tu fais les cent pas dans l’espace réduit. Tu as tourné et retourné la situation dans ton esprit jusqu’au vertige. Les diodes des étages s’allument à tour de rôle, lentement, si lentement. Le sang qui te bat dans les tempes résonne comme un tambour.

La porte de l’appartement scanne tes ondes cérébrales puis coulisse en silence. Tu retires tes chaussures et tu prends pied sur le tatami. Déboulant du salon, le petit dragon contourne le chat Replik toujours figé, s’enroule autour de ta jambe puis se love autour de ton cou. Tu flattes sa crinière de plumes et il roucoule de plaisir. Tu t’avances jusqu’à la baie vitrée et tu contemples machinalement le panorama de la ville illuminée. Hayashi-san a fait un travail remarquable en un temps record. Deyama-san n’a pas vu la différence. « Ramener un petit dragon vert et jaune. » disait le contrat. Techniquement, tu l’as rempli. Techniquement. Y avait-il un moyen de concilier le respect du règlement et l’éthique ? Un moyen que tu n’as pas su voir ?

— J’ai menti pour toi, Dragon-san...
Comme en réponse, le petit animal colle sa tête tiède contre ta joue.

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