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De : Estellanara  Ecrire à Estellanara
Page web : http://estellanara.deviantart.com/
Date : Mardi 13 mars 2018 à 09:27:33
Enfin la fin !! J'ai cru que j'y arriverais pas !!

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Le monstre aux bras de foudre


Erwan sursauta violemment et ouvrit les yeux dans l’obscurité. Il prit plusieurs inspirations hachées. Calmos. Tout allait bien. Il était chez l’automate, dans sa maison pliable. Et le petit dormait dans le lit d’à côté. Une sirène de police résonna dans le lointain. Il se leva brusquement, bondissant de son canapé :
- Merde de merde ! Je suis de retour chez moi !
Son salon était plongé dans le noir. Il y régnait un calme irréel, celui des trois heures du matin, juste après le retour tapageur des fêtards tardifs et juste avant le réveil aux aurores de ses voisins vociférant. Une senteur âcre, faite de moisi et de gaz d’échappement, agressa les narines du guichetier et en chassa les parfums de fleurs et d’herbes de l’autre monde.

OK. Il n’avait pas de chance avec ces disparitions successives. Maintenant, il s’agissait d’être efficace et de repartir fissa avant que le petit ne prenne peur. Certes il était avec la dame automate mais Erwan n’était pas complètement sûr d’avoir confiance en elle. Il lui fallait un cocktail spécial ; et vite. Il alluma la lumière, s’élança vers la cuisine et était déjà à mi-chemin lorsqu’il se figea, un pied en l’air. Ses yeux s’écarquillèrent d’horreur. Il s’en souvenait à présent : la bouteille d’alcool hindou , il l’avait terminée et jetée à la poubelle ! Lentement, en cogitant fortement, il alla se rasseoir dans son canapé défoncé. Quand ses fesses touchèrent les coussins, quelque chose le piqua dans sa poche. Il en extirpa la fiole à souvenir et le pendentif de l’automate. Il voulut les déposer sur la table basse et réalisa qu’elle avait disparu. C’est vrai ; elle avait sombré dans le tapis. Tirant devant lui le guéridon, il y posa avec précautions les objets insolites. Les deux avaient rétréci de moitié mais conservaient leur forme d’origine. Comment avait-elle dit que ça s’appelait, déjà, ce pendentif ? Basculeur de chais pas quoi. C’était peut-être un porte-bonheur. Si c’était le cas, il en aurait l’usage. Passant l’objet autour de son cou, il se leva, attrapa sa veste élimée et quitta l’appartement.

Une aube grisâtre se levait sur la place Wazemmes quand il la traversa, cherchant à retrouver l’épicerie exotique. Où pouvait bien être cette fichue rue ? Du côté de l’église, où des bouches de ventilation crachaient déjà des odeurs grasses de pâtisseries orientales ? Du côté du magasin de laine peut-être ? Erwan erra un long moment avant de se rendre à l’évidence : il n’avait pas la queue d’un indice sur l’emplacement de l’épicerie. Une pluie drue et glacée tombait, collant ses mèches de cheveux sur son crâne dégarni. Des piétons commençaient à apparaître dans le quartier, le regard aussi vif que des zombies à la recherche de cerveaux. Il accosta successivement une jeune cadre chic, un vieux daron en pantoufles et une mère de famille aux bras chargés de paquets. Aucun d’eux ne connaissait le magasin. Vaincu et déprimé, il reprit le métro.

De nouveau affalé dans son canapé, il sentit le découragement le gagner. Il se repassa mentalement toutes les informations dont il disposait tout en tripotant machinalement son porte-bonheur. Le tiot avait basculé dans l’autre monde en tentant d’attraper un machin brillant dans un trou. Mais comment trouver le bon trou ? Sous ses doigts, les anneaux de cuivre coulissaient autour de la petite planète, émettant par moments de légers cliquetis. Il lui fallait un trou avec un machin brillant... Mais le guichetier ne savait même pas dans quel quartier habitait le gamin. Ses doigts continuaient de courir sur le pendentif, en faisant jouer les pièces. Il pouvait peut-être se rappeler le nom de son école...

L’artefact émit un clic et la vision d’Erwan se brouilla brusquement. Les objets de la pièce semblèrent filer vers la droite en laissant des traînées colorées. Le guichetier se figea. Ses mains tremblaient légèrement et les sons de la rue lui parvenaient comme amplifiés. Ces drôles de sensations, comme quand il basculait vers... C’était ça ! Il se leva d’un bond. Un Basculeur de chais pas quoi ! La femme automate lui avait bien dit que cela lui serait utile. Il prit trois secondes pour la remercier avec ferveur avant de concentrer son attention sur le pendentif. Comment ça pouvait bien fonctionner, ce bidule ? Il tourna légèrement l’un des anneaux : les objets du salon continuèrent à se distordre, prenant des formes rondes et vaporeuses. Des odeurs inconnues planaient dans le salon, pailletées et soyeuses. Se laissant guider par ses sensations, le guichetier continua de régler l’artefact. Encore un peu à gauche et ça allait le faire.

Une agréable chaleur envahit sa poitrine ; il pouvait y arriver, ce n’était pas si difficile après tout. Il allait retourner là-bas, battre le monstre et sauver tout le monde. Et en rentrant, il inviterait sa boulangère à sortir avec lui. Et il changerait même peut-être de boulot. Il ferma les yeux, étendit les bras et tourna sur lui-même en souriant béatement. La vie était tellement chouette ! Son pied droit se prit dans le guéridon et il bascula par-dessus. Il battit des bras, cherchant à se rattraper, mais ne réussit qu’à effleurer la télécommande de la télévision avant que son épaule gauche ne cogne violemment contre le meuble. Sa vision s’obscurcit et il tomba dans un gouffre sans fond. Autour de lui, des tâches brillantes se changèrent en traînées lumineuses tandis que sa chute s’accélérait encore et encore, l’entraînant sur des montagnes russes à un rythme effréné. Il ferma fort les yeux et serra les dents. La vache, comme dans Stargate ! Puis, il perdit connaissance.

Il reposait sur une surface moelleuse et tiède et une brise délicatement parfumée le caressait. Il soupira de plaisir. Sa félicité eut été parfaite sans cette douleur qui pulsait dans son bras gauche. Il ouvrit les yeux et contempla le ciel multicolore sous le soleil au zénith et les petits nuages cubiques qui s’y égayaient. Ça changeait agréablement de la drache qu’il venait de prendre dans son monde. Allez ! Assez paressé, le petit l’attendait. Il s’assit sur le sable et chercha à se repérer. Cette dune là-bas lui disait quelque chose. C’était peut-être celle à côté de laquelle l’automate avait déplié sa maison. Il se leva, se secoua pour déloger le sable de sa fourrure et se mit en route.

L’artefact avait étonnamment bien fonctionné. Et son arrivée avait été bien moins brutale qu’avec la boisson hindoue. Machinalement, il tata le pendentif à son cou de la main gauche et ne rencontra qu’une arête arrondie. Il s’arrêta brusquement de marcher. Quelque chose n’allait pas. Il baissa la tête sur sa poitrine sans y voir sa patte. Il déglutit nerveusement et tourna la tête. Nom de dieu ! Mais c’est tout son bras gauche qui avait disparu ! Son corps se terminait au niveau de l’épaule par un brouillard flou. La nausée saisit le guichetier et la tête lui tourna. Luttant contre un évanouissement tout proche, il se palpa. Il ne ressentait aucune douleur et gardait ses perceptions dans le bras disparu mais il ne pouvait pas le toucher de la patte droite. Qu’est-ce que c’était que cette histoire ? Il plia et déplia sa main gauche puis remua le poignet. Il heurta un objet et le tata du bout des doigts : la porte en verre de son meuble de télévision. Perplexe, il dut se rendre à l’évidence : son bras gauche ne l’avait pas suivi, il se trouvait encore à Roubaix.

Il reprit sa marche en fronçant les sourcils. Était-ce le choc de sa chute qui avait perturbé la bascule ? Y aurait-il des effets secondaires ? Descendant la dune, il aperçut le bébé hérisson qui l’attendait en souriant de tout son petit museau. Autour de lui, s’étalaient de larges dessins en coquillages. Erwan lui sourit en retour :
- Je suis revenu !
- Je n’ai presque pas paniqué cette fois-ci, monsieur ! Je t’ai attendu bien sagement.
Sa voix aiguë vibrait de fierté. Tout à coup, ses yeux s’écarquillèrent de frayeur :
- Mais... mais où est ton bras ?!
- Ah, ça, ne t’inquiète pas, tiot. Ça ne fait pas mal. Il est juste resté de l’autre côté par erreur.
- Ah bon... C’est pas de chance...
Erwan jeta un coup d’oeil alentour sans trouver trace de la dame automate ni de la maison pliable.
- Elle est partie il y a un petit moment. Elle a dit que tu n’allais pas tarder. Et elle a laissé ça aussi.
Le hérisson montrait un panier d’osier recouvert d’une nappe à carreaux rouges. Le guichetier fouilla dedans et en sortit des sandwichs emballés dans des papiers huilés et une bouteille de limonade. Il s’assit sur le sable, coinça un sandwich entre ses genoux et déchira l’emballage d’une griffe. Le hérisson s’installa à ses côtés et les deux amis partagèrent le pique-nique en conversant et burent la limonade à la santé de la dame automate.

Un moment après, ils avaient repris le chemin de leur quête et longeaient la mer. Au-dessus d’eux, flottaient par endroits d’énormes bulles d’eau salée qui regagnaient lentement le large et y relâchaient leurs occupants dans un fracas de cataracte. La brise amenait des harmonies ressemblant à des nappes de harpes. Erwan remarqua que la plaine sèche cédait la place à des bouquets d’arbustes et, sans qu’il eut l’impression d’avoir fait plus d’une cinquantaine de mètres, une épaisse forêt sombre borda soudainement la mer. Il sentit le petit frissonner dans sa poche :
- Le monstre est quelque part dans cette forêt.
Le guichetier serra les dents puis prit une grande inspiration :
- Ben, quand faut y aller...

Il gravit la dune et s’engagea avec précautions sous le couvert des arbres. Les frondaisons occultaient la lumière du soleil et plongeaient la futaie dans une ombre verdâtre. On n’entendait plus ni oiseau ni insecte. Un étroit sentier émergeait par endroits de l’herbe-fourrure et le guichetier s’engagea dessus. Il cherchait des points de repère quand un feuillage différent des autres attira son attention. Quittant la piste, il s’en approcha et découvrit un arbre dont le tronc massif et circonvolué s’ornait de trois tiroirs. Les poignées ressemblaient à de gros bourgeons métalliques. Il en saisit une et le tiroir coulissa sans effort, se révélant rempli de fruits en forme de cônes. Haussant les sourcils, Erwan en prit un et le goûta. Pas mauvais ; ça avait un petit goût de massepain. Il en glissa quelques-uns dans sa poche pour un usage ultérieur puis referma soigneusement le tiroir.

A mesure que les deux amis avançaient dans la forêt, la pénombre se refermait sur eux et le sol, d’habitude tiède, semblait de plus en plus froid. Le silence tendu du hérisson ajoutait à l’ambiance sinistre. Erwan, lui aussi, tournait et retournait de sombres pensées. Et si le monstre aux bras de foudre le tuait ? Mourrait-il aussi dans son monde d’origine ? C’est qu’il ne s’était jamais battu, lui (il s’était plusieurs fois fait tabasser sans réagir mais ça ne comptait pas, si ?). Qu’adviendrait-il alors des enfants ? Et si le monstre les avait déjà dévorés ? Ce n’était peut-être même plus la peine. Si ça se trouvait, il prenait des risques pour rien. Mais se dégonfler eût été trahir son ami... Insensiblement, il avait ralenti la marche et son regard fouillait les ombres. Il avisa soudain une lumière entre les arbres et apostropha son compagnon à voix basse :
-Eh, regarde tiot !
Le petit émergea de la poche, ses moustaches s’agitant sur son minuscule museau :
- C’est quoi ?
Le guichetier haussa les épaules et se dirigea prudemment vers la source de lumière. Dans une petite clairière parsemée de rochers se dressait un buisson bas, lourdement chargé de fruits. Ceux-ci pendaient mollement aux branches et émettaient une douce lueur dorée. On pouvait apercevoir un vague mouvement à l’intérieur.

Erwan s’approchait pour jeter un coup d’oeil quand le hérisson demanda :
- Monsieur, ça veut dire quoi, ça ?
Il montrait un morceau de bois peint en blanc, fixé à un piquet au pied d’un rocher. Dessus, était écrit : "COUCHEZ-VOUS !".
- Vindjous !
Erwan plongea dans l’herbe-fourrure, protégeant le petit de son corps. Le Basculeur à son cou s’enfonça durement dans sa poitrine. Le sol commença aussitôt à vibrer et à trembler, d’abord sourdement puis de plus en plus fort. Les branches des arbres s’agitèrent en bruissant. Une pluie de morceaux de bois et de feuilles s’abattit sur le guichetier. Le grondement s’enfla dans un fracas de fin du monde tandis qu’autour de lui le décor se mettait à bouger, se soulevait en se déformant follement. Erwan se sentit glisser, chercha frénétiquement une prise de son unique patte et agrippa le panneau. Un ouragan se leva, balayant la forêt de sa furie hurlante. Le souffle fit ployer les arbres, brisant les troncs les plus fragiles. Une bourrasque souleva Erwan et l’agita comme un bébé agite un hochet. Il résista vaillamment, se raccrochant à son ancre dérisoire. Puis, aussi brusquement que cela avait commencé, tout se calma. Le sol regagna sa place et le vent s’apaisa. Le guichetier retomba à genoux sur l’herbe :
- Tu vas bien, tiot ?
- Ou... oui...

Le petit tremblait de tous ses membres. Erwan le serra contre lui et balaya les alentours des yeux. Tout semblait revenu à la normale à l’exception des fruits lumineux qui se balançaient encore dans tous les sens. L’un d’entre eux se détacha et explosa sur le sol avec un bruit mouillé. Erwan vit une toute petite bonne femme dodue émerger de la pulpe en se massant le coccyx. Sa peau était couleur de charbon et elle portait une paire d’ailes miniatures. Elle poussa un gloussement aigu :
- Hou là là, quelle sute !
Une douzaine de fruits se détachèrent et éclatèrent mollement, libérant à chaque fois une fée grassouillette identique. Un concert de piaillements remplit la clairière :
- Hou là là, quelle sute ! .. quelle sute ! Là là... Quelle sute ! ...sute ! Hou là là...
Le bébé hérisson pouffa. Le guichetier s’avança et demanda à la fée la plus proche :
- Euh... excusez-moi... madame. Vous ne vous êtes pas fait mal ?
- Non, merci de vous en soucier. Vous êtes sarmant pour un orignon.
- Ah non, je ne suis pas un orignon ! Je suis un lolgue !
- Oh pardon !
Et elle s’envola. Aussitôt, toutes les autres fées décollèrent à sa suite et disparurent à travers les frondaisons. Erwan les regarda partir puis poussa un profond soupir. Tout cela l’avait lessivé. Il aurait donné beaucoup pour un bon café et un bain chaud. Il se laissa tomber au sol et s’adossa à un rocher. Le bébé hérisson sauta dans l’herbe, se gratta vigoureusement l’oreille puis fit une moue :
- C’était quoi ça ?
- Les ptites dodues qui volent ?
Le petit gloussa de rire :
- Mais non, le tremblement de terre.
- Ah ! Je me trompe sûrement mais je crois... que la planète a respiré.
- Wow !

Ils se reposèrent un moment et partagèrent les fruits trouvés dans le tiroir. Erwan caressait
machinalement son pendentif :
- Tu crois qu’on arrive bientôt chez le monstre ?
Le petit se recroquevilla légèrement :
- Oui. Le sol là-bas était tout froid, comme ici.
- Alors, on ferait bien d’y aller, histoire d’y être avant que le soir tombe.

Il se remirent vaillamment en route. Chacun tenta d’alimenter la conversation afin de
maintenir l’appréhension à distance mais, très vite, le silence retomba entre eux. Erwan avançait avec précaution, fouillant les ombres du regard. La luminosité avait encore baissé, plongeant la futaie dans une ambiance crépusculaire. Nul cri de bête, nul craquement de branche, nul son qui eut indiqué la présence de la vie ne venait troubler le calme irréel du bois. Le bébé hérisson se pelotonnait dans la poche de son protecteur, agité de temps à autre d’un frisson. Autour d’eux, des arbres étranges firent leur apparition ; un de ci de là tout d’abord, puis de plus en plus nombreux. Leur tronc était gris, leur feuillage bistre, comme si toute couleur les avait quitté. Le guichetier se rappela les paroles de son ami : le monstre dévorait les couleurs. Une goutte de sueur froide perla sur son museau et il sentit la fourrure de son dos se hérisser. Il fallait qu’il trouve un truc pour ne pas paniquer. Il déglutit bruyamment :
- Dis... parle-moi un peu des autres gamins qui sont prisonniers.
- Euh... y en a quatre. Bien sûr, je ne connais pas leurs noms... Il y a une fille plus grande que moi. C’est drôlement bizarre ; elle est devenue une sorte d’oiseau avec de grandes oreilles roses. Après, il y a deux filles plus petites, une en forme de coquillage qui parle et une qui est restée normale, à part qu’elle est bleue. Et puis, il y a aussi un garçon qui...
- Shhh !

Erwan avait mit sa patte sur le museau de son ami. Il lui montra un point en avant. Dans l’obscurité de la forêt, entre les silhouettes décolorées des arbres fantômes, brillait une lueur bleutée. Le guichetier s’accroupit, déposa le bébé hérisson sur le sol et souffla :
- OK... voilà le plan. Moi, je détourne l’attention du monstre et toi, tu libères tes amis. Et ensuite on se barre aussi vite qu’on peut. T’en penses quoi ?
- C’est un super plan, monsieur !
Le petit sautait sur place d’excitation. Erwan sentit son coeur se serrer. Pourvu que tout se passe bien... Pourvue qu’il n’arrive rien au tiot... Il se releva, soudain déterminé :
- J’avance en vue, toi tu te faufiles discrètement. Si on est séparés, on se retrouve sur la plage. On y va !
Il s’engagea dans les fourrés grisâtres, laissant claquer les branches pour signaler son arrivée. La lumière bleutée provenait d’un gros orbe qui flottait à deux mètres du sol. En s’approchant, Erwan vit qu’il s’agissait en fait d’un animal tout rond et lumineux attaché au sol par une longe. Sortant du couvert des arbres, il balaya la clairière du regard. Dans une vaste cage de branches tressées, il apercevait les silhouettes immobiles des enfants. Et non loin de là... la créature.

Erwan sentit ses épaules se contracter douloureusement et la salive se retirer de sa bouche. On ne voyait qu’une masse d’ombre, une zone aveugle, comme un trou dans le tissu du monde. Cette masse ondulait légèrement et émettait un grésillement d’électricité statique. Il sembla au guichetier qu’elle se penchait sur le sol, vers quelque chose qu’il ne pouvait voir. Péniblement, il persuada ses pattes de se décoller du sol froid et avança. Lentement. Sans quitter la chose des yeux. Une douleur lui parvint à travers la peur et il se rendit compte qu’il avait enfoncé ses griffes dans sa paume droite jusqu’au sang. Il prit une profonde inspiration et la relâcha en tremblant. L’ombre continuait sa besogne, courbée en avant. Erwan plissa les yeux pour percer la pénombre. Une petite forme, posée sur le sol... Pourvu que ce ne soit pas... La forme bougea faiblement. Un gosse !
- Non !!
Le cri du guichetier résonna dans le silence surnaturel de la forêt. La créature se redressa avec souplesse, dépliant sa masse ténébreuse. Erwan déglutit bruyamment. Des volutes d’ombre tournoyaient à l’intérieur du corps de la bête, semées de parasites lumineux. Elle était beaucoup plus grosse qu’il n’avait cru et, bien qu’elle n’eut pas d’yeux visibles, il sentait peser sur lui le poids de son regard. Sainte merde, qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir faire contre cette chose ? Pourquoi avait-il accepté de venir ? Mais il fallait qu’il avance ; le petit attendait sa diversion pour ouvrir la cage. Il fit un pas en avant, puis un autre. Son ami avait-il pu contourner la clairière sans se faire voir ? Erwan brûlait d’envie de regarder mais il n’osait détacher les yeux du monstre, de peur que quelque chose d’atroce ne se produise.

A présent, il pouvait voir l’enfant allongée sur le sol sous le monstre. Son apparence humaine semblait totalement décalée dans ce lieu étrange. Sa peau et ses cheveux étaient gris et la couleur avait aussi déserté ses vêtements. Elle ne respirait plus que faiblement. Une branche craqua quelque part et le monstre commença de tourner la tête. Le coeur d’Erwan loupa un battement :
- Oh ! Euh... monstre ! Je...
Sa voix était un croassement lamentable. Que pouvait-il bien lui dire pour attirer son attention ? Que disait-on dans ces cas-là ?
- Lâche cette gamine ! Sinon... euh...
La bête reporta son attention sur lui et glissa dans sa direction. Les dents d’Erwan se mirent à claquer sans qu’il puisse les contrôler. Il fallait qu’il s’enfuie mais il était figé par la terreur. Le monstre se déplaçait en roulant comme un nuage d’orage. Des décharges d’énergie clignotaient dans son obscurité, révélant par moments la silhouette de deux longs bras griffus. Il n’était plus qu’à quelques mètres du guichetier à présent. A cette distance, il dégageait une forte odeur d’ozone et vibrait sourdement.

Erwan se recroquevilla sur lui-même et commença de reculer maladroitement. La créature s’enflait de plus en plus. Des éclairs zébraient son corps à présent et ses serres se tendaient vers le guichetier avec avidité. La vibration avait augmenté jusqu’à résonner dans tous les os d’Erwan. Celui-ci trébucha soudainement et se retrouva par terre. Les yeux exorbités, il fixa le monstre au-dessus de lui. Là, ça y était, il allait mourir. Rejoindre papy et mamie. Finie, la vie de merde, les clients infects et les plats surgelés. Fini tout ça. Il serra les dents et espéra que ça ne ferait pas trop mal.
- Monsieur ! Bats-toi ! Tu vas y arriver !
Le petit hérisson s’égosillait depuis l’orée de la clairière, entouré des autres enfants à présent libérés. Erwan sentit les larmes lui monter aux yeux :
- Sauve-toi tiot ! Vite !
- Pas sans toi ! Tu peux le battre !
Le guichetier reporta son attention sur la créature qui se penchait sur lui. Envahi par la panique, il tâtonna désespérément à la recherche d’une arme. Son bras gauche attrapa un objet plat emballé dans du caoutchouc, sûrement la télécommande de sa télévision. Du droit, il saisit le pendentif de la dame automate et le brandit :
- Arr... arrière ! J’ai un Basculeur de chais pas quoi et je n’hésiterai pas à m’en servir !
Il le défit de son cou et le projeta vers la forme menaçante. Le pendentif traversa les airs, scintillant, traversa la créature en grésillant et roula sur le sol. Erwan laissa échapper un gémissement de frustration et ferma les yeux. Le monstre était tellement proche qu’il pouvait sentir son haleine glacée. Il ferma les poings, serrant sans la voir la télécommande qui se trouvait à un univers de là, anticipant l’attaque. Mais rien ne vint. Il rouvrit précautionneusement les yeux, perplexe.

La bête s’était immobilisée. Ses membres griffus avaient disparu et son corps d’ombre était envahi de parasites lumineux qui tourbillonnaient comme de la neige. Elle recula lentement. Ses bords ondulaient et Erwan comprit sans savoir pourquoi qu’elle avait peur. Mais peur de quoi ? Il n’avait rien fait. A part peut-être... Derrière lui, plusieurs enfants lâchèrent des cris d’encouragement. Erwan promena les doigts de sa main gauche sur les boutons de la télécommande. Il en enfonça un. La créature émit un long son strident, si haut qu’il fit grincer les dents du guichetier et chargea. Erwan vit avec horreur la masse du monstre aux bras de foudre qui fonçait sur lui, emplissant tout son champ de vision. Il écrasa tous les boutons de la télécommande en même temps.

Il y eut un flash de lumière aveuglant puis un clignotement stroboscopique à vous rendre malade puis plus rien. Erwan relâcha sa respiration et se redressa prudemment, contemplant la créature. Elle ne brillait plus d’éclairs et semblait plus tangible. Elle était à présent recouverte d’un motif en forme de damier de toutes les couleurs. Le guichetier haussa un sourcil. Devant ses yeux ahuris, la chose fit un tour sur elle-même et s’éloigna en roulant. Dans son sillage, un brouillard coloré gagna le gazon-fourrure et les arbres, leur redonnant leurs teintes d’origine. Erwan soupira profondément et se laissa tomber sur le dos.



Erwan sortit de la cuisine, les mains pleines de victuailles. A son cou, luisait le Basculeur Subtil d’Hyper-Réalité. Il s’arrêta un instant sur le seuil, contemplant tous les enfants rassemblés sur son canapé et le tapis, occupés à bavarder avec enthousiasme. Son regard s’attarda sur Maxime, ses boucles folles et ses taches de rousseur. Celui-ci se tourna vers lui et lui fit un sourire radieux. Le guichetier sourit à son tour et lança :
- Alors les tiots, qui veut un gâteau hindou ?

Est', ensevelie sous les nouvelles en cours depuis des années.


  
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