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 WA, exercice n°159 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 9 novembre 2017 à 23:27:05
On ne va pas se laisser démoraliser par les nuits trop longues et le sommeil trop court, par les jours trop courts et les journées trop longues, par les pinaillages incessants des administrations et autres sociétés pas savantes qui nous donnent le choix entre devenir des zombies ou se battre pied à pied pour des détails stupides - mais juste pour le principe, parce qu'on est vivants, et qu'on est debout.
Le jour, la nuit... Hé bien, justement.
L'action de cette WA doit tenir en un jour et une nuit. J'aurais bien dit 24 h, mais ça dépend de la planète où se situera votre histoire, et vous en avez le libre choix. Je n'ai pas le temps d'écrire en ce moment, ni hélas celui de commenter, mais je ne vous oublie pas et ça devrait aller mieux en février.
D'ici là tenez bon face à la morosité, aux vents contraires et aux pluies glacées. Donnez toujours le meilleur de vous-mêmes... et si possible par écrit!
Vous avez, en théorie, jusqu'au vendredi 8 décembre ( et pourquoi pas un vendredi?), date à laquelle, si tout va bien, je vous en pondrai une autre.
Merci à tous pour votre patience, et j'adore les minous!
Narwa Roquen, qui s'accroche


  
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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2020-05-24 14:42:00 

 WA 159 : participation 1/3Détails
Un cyberpunk croisé avec un film noir. Commencé il y a plus d'un an, fini mais pas encore entièrement relu.


Midnight K






« Robot : machine de métal ou de plastique, dotée d’une programmation lui permettant d’accomplir des tâches simples. Exemple : le robot ménager a fini de nettoyer la cuisine.
Intelligence artificielle ou IA : programme informatique complexe reproduisant l’intelligence humaine, capable d’apprendre par lui-même et de prendre des décisions. Exemple : j’ai beaucoup aimé le concerto composé par l’IA de l’université.
Simulacre : IA dans un corps de chair artificiel, généralement de forme humaine. Exemple : tu as vu comme le Simulacre du voisin est mignon ?»

Encyclopédie bionique amusante, Hideto Calvin, 2091



20 septembre 2123 : 19h10

Ta lame se pose délicatement sur sa gorge et une goutte écarlate perle et roule sur sa peau. Il laisse échapper un couinement. Le combat n’a duré que quelques secondes. Il t’a sous-estimée, naturellement. Une femme, petite, pas de gros flingue apparent : aucun danger. Il s’est trompé.

Les ombres de la ruelle s’allongent lentement tandis que, un à un, les néons des échoppes s’allument en grésillant. Quelque part, on a mis du poisson à griller. Ta main ne tremble pas ; tu as fait cela des centaines de fois. Il tente de se débattre mais ta prise est solide et il ne réussit qu’à se couper un peu plus profondément sur ton poignard. Un filet de sang vient imbiber le col de son sweat-shirt fluo. Il te porte un violent coup de coude. Le métal noir de ton armure s’éclaire de minuscules lumières en absorbant l’essentiel du choc. Tu annonces d’une voix posée :
— Je vous prie d’accepter votre défaite avec calme et dignité. Une résistance de votre part me contraindrait à vous amputer d’un membre.
Tu sens son corps s’immobiliser et sa respiration se bloquer. Il bredouille sa reddition.

20 septembre 2123 : 19h45

Un petit tintement à ton oreille t’annonce que la récompense pour ton run a été déposée sur ton compte par les commanditaires. La somme a été versée rapidement : tu apprécies leur efficacité. Tu actives la visio et le nombre s’affiche dans ton champ virtuel. Quarante mille zeni seulement pour un braqueur d’épiceries. Ce n’est pas une grosse prise mais il a été facile à attraper.

Tu marches à travers un quartier populaire de ataKyoto, la partie moderne de la mégalopole japonaise. Dans le ciel sombre, des véhicules en auto-pilote se croisent à vive allure en clignotant. Autour de toi, la foule s’écoule, te frôlant sans jamais te toucher vraiment. Silhouettes vêtues de résilles fluo et de combinaisons de silicone, cheveux turquoise, orange, émeraude, visages ornés de tatouages lumineux que tu aperçois sans les regarder. Tu aimes cette sensation de te laisser porter par le courant, immergée dans le bourdonnement des conversations, entourée d’une masse de chair en mouvement, une petite partie d’un immense organisme, comme une cellule dérivant dans la circulation sanguine.

Les lumières de la ville déchirent la nuit de tous leurs néons, la teintent de pourpre. Partout des flèches chatoyantes, des messages clignotant, de mignons personnages souriant. Publicités pour la Shia le bonheur en pilule, pour Renouveau le dernier service de TechNoir qui promet la jeunesse aux vieillards et la richesse aux miséreux... Tu fronces les sourcils en te demandant de quoi il peut s’agir. Venant de cette corporation à la réputation sulfureuse, tout est possible. Sur l’hologramme, leur PDG sourit de toutes ses dents. Sa coupe de cheveux met en valeur l’étoile de platine à son front. Il est actuellement accusé d’avoir truqué l’élection du sénat planétaire mais cela le préoccupe manifestement moins que de rendre les gens un peu plus accros à ses produits. Tu sais que son flegme est justifié : la justice n’atteint jamais les riches.

Tu passes devant l’entrée en forme d’arche d’une des nombreuses galeries marchandes qui s’enfoncent profondément dans le pâté de maisons. Reliées les unes aux autres, elles forment un dédale de boutiques où l’on peut, dit-on, marcher pendant des jours sans revoir le ciel. Tu t’arrêtes un instant pour acheter une barquette de criquets au caramel. Assise sur un banc, tu observes le flot des véhicules automatiques en dégustant les insectes croustillants. Un petit groupe d’enfants menés par des robots-nounous passe dans la rue et tu ne peux t’empêcher de les suivre des yeux. Depuis que la moitié des femmes a quitté la planète pour la colonie Aldébaran cinquante ans auparavant, les enfants sont rares. Et les problèmes de stérilité liés à la pollution n’ont rien arrangé. Tu te remets en route. La marche te détend. Tu en as toujours besoin après la tension de la traque. Tu ne réfléchis plus, tu enfiles les rues au hasard, tes pensées flottant dans une sorte d’hypnose. Ton coeur bat au rythme de Kyoto, dont les parfums de cuisine, d’ozone et de sueur te parviennent malgré le filtre olfactif. Cette ville t’appartient comme tu lui appartiens.

Un peu plus loin, trois hommes tentent d’attirer ton attention. Leurs regards effrontés glissent sur ta silhouette athlétique moulée dans une armure de synthénium. Peut-être se disent-ils que, maquillée, tes cheveux noirs tombant sur tes épaules plutôt qu’étroitement serrés dans ce chignon sévère, tu serais belle. Peut-être tes yeux bridés leur paraissent-ils exotiques. L’un d’entre eux te parle en américain ; tu feins de ne pas comprendre. Il tend la main pour te toucher comme tu le dépasses mais tu l’esquives avec aisance. Ils te suivent. Trois de plus qui n’ont rien appris. Tu n’es pas inquiète. Ils ont beau faire chacun une tête de plus que toi, tu sais que tu pourras les maîtriser tous sans difficulté si cela devient nécessaire. Tu invoques la ville et laisses la foule t’entourer, t’absorber, te dérobant à tes poursuivants.

Une heure après tu fais la queue devant une échoppe de gyoza. Le tenancier, un vieil homme aux longues moustaches soyeuses, manie les baguettes avec adresse, prélevant les raviolis qui dorent dans les poêles. La chaleur fait onduler l’air déjà surchauffé de la ville. Des éclats de voix te tirent de ta rêverie : un homme coiffé de dreadlocks bleues tente de doubler dans la file une jeune femme qui proteste de manière sonore. Tu observes la scène avec désapprobation. Ce genre d’individus égoïstes et irrespectueux du règlement est la cause de la déliquescence du monde. Ils consomment au lieu d’apprécier, s’abrutissent au lieu de s’ouvrir, salissent ce qui est beau.

L’altercation s’envenime tandis que la femme refuse de céder. L’homme lève le bras sur elle. Un éclair d’argent, un sifflement : un shuriken se fiche dans son poignet. Le grugeur pousse un glapissement de douleur et arrache l’étoile de métal de sa chair, libérant une gerbe de sang. Il rugit de colère et ses yeux fous scrutent la foule autour de lui. Les baguettes rapides du tenancier se sont immobilisées, les clients inquiets retiennent leur souffle. Tes yeux noirs se plantent dans ceux du fauteur de trouble. Tu tiens un deuxième shuriken bien en évidence, un léger sourire plane sur tes lèvres :
— Je n’ai pas pour habitude de tuer les gens gratuitement mais, pour quelqu'un comme vous, je peux faire une exception. Vous serez bien aimable de reprendre votre place dans la file.

20 septembre 2123 : 21h55

Tu descends du métro et tu parcours les rues sombres, quasiment désertes. Cette partie de la ville est dépourvue de boutiques, d’holos chatoyants pour illuminer la nuit. Les rares personnes que tu croises se dissimulent sous des capuches malgré la chaleur moite. Au loin, un chat lâche un cri mélancolique. Ton filtre te préserve des relents de bitume et d’ordures mais tu les imagines tout de même. Le son mat de gouttes s’écrasant sur les toits de tôle et une averse démarre. Tu tends un instant ton visage à la pluie tiède puis tu reprends ta route. La façade déjà délabrée de l’immeuble de ta mère a souffert lors du dernier typhon : un morceau de la corniche s’est effondré et l’ampoule du réverbère agonise en clignotant. Tu observes les dégâts. Depuis que les Envoyés, ces êtres étranges venus de l’espace, ont commencé la restauration de l’écosystème, les typhons se sont faits moins fréquents et moins dévastateurs. La gangue de pollution qui enserre la planète est encore bien présente mais la vie renaît déjà par endroits. Tu soupires en pensant aux terroristes qui les combattent, pour la seule raison qu’ils ne connaissent pas leurs motivations réelles. Imbéciles. Une main tendue est une main tendue, fût-elle à trois doigts.

Tu montes rapidement le colimaçon extérieur de l’immeuble, dont la rampe rouillée se délite à ton contact. Soudain, une voix éclate dans la nuit, grave et coléreuse. Avant d’y avoir pensé, tu cours dans l’escalier. Un goût amer emplit ta bouche et de sombres souvenirs émergent des recoins de ta mémoire.

Tu ouvres à la volée la porte du studio et t’engouffres dans l’étroit couloir encombré. Tant pis pour les chaussures. L’adrénaline se déverse dans tes veines à la pensée qu’on ait pu toucher ta mère. Quelqu’un va peut-être mourir ce soir, finalement. Dans la pièce, elle recule contre l’armoire, protégeant d’un bras son visage sur lequel s’épanouit une fleur violacée. Il la surplombe. Tu le jauges en une fraction de seconde. La mâchoire carrée, des bijoux clinquant, une chemise ouverte sur un torse velu. Le genre à aimer le golden ball et les bagnoles qui font du bruit. Tu avances droit sur lui, sans un mot. Il a juste le temps de commencer à tourner la tête et ton poing ganté lui défonce la mâchoire. Les os craquent, trois dents jaillissent de sa bouche dans un filet de sang et de salive. Il s’effondre, à demi sonné. Ta mère pousse un cri perçant et se cache les yeux.

Tu enjambes l’homme avant de le saisir par le col. Il te fixe sans comprendre, hébété, trop abruti pour avoir peur. Un calme glacé t’a envahi, comme du mercure dans tes veines. Il tente de se dégager. Pauvre larve pathétique. Il n’a pas encore compris qu’il est devenu la proie. Tu frappes de nouveau, une fois, deux fois et son sourcil explose sous l’impact. Il hurle, cette fois et balbutie des supplications, rendues inintelligibles par ses dents brisées. Tu pourrais l’achever mais il n’en vaut pas la peine. Tu le laisses retomber et tu t’accroupis au dessus de lui. Son visage est une ruine sanguinolente.
— Je vous prie de m’écouter attentivement. Hochez si vous comprenez ce que je dis. Bien. Vous ne reviendrez jamais plus dans cet appartement. Vous ne vous approcherez jamais plus de ma mère. Si vous le faites, je vous traquerai et je vous tuerai. Hochez si vous êtes d’accord. Bien. A présent, partez, je vous prie.

Tu te lèves et tu t’écartes de lui. Il se redresse avec difficulté puis titube vers la sortie, sans cesser de te fixer, les yeux écarquillés de terreur. Te désintéressant de lui, tu t’agenouilles aux côtés de ta mère. Elle s’est affaissée dans le coin de la minuscule pièce, sur le tatami usé, les yeux clos, les bras serrés autour de son corps. Tu retires tes gants et tu effleures sa joue pâle et humide. Ton index se porte machinalement à ta bouche ; cela fait bien longtemps que tu as oublié le goût des larmes. Elle ouvre les yeux :
— Kaede-chan... Tu ne l’as pas... Où est-il ?
— Il ne reviendra plus, mère.

Tu la fais lever et tu la conduis dans la salle de bain exiguë. Tu désinfectes sa pommette et la couvre délicatement d’un synthéderme. Elle te fixe et finit par murmurer :
— Il avait l’air gentil... je t’assure.
— Autant que mon père ?
Ton ton est dur, l’ironie, acide. Elle soupire puis se tourne vers le miroir et rajuste les mèches de cheveux qui dissimulent son étoile de fer. Dehors, la pluie a redoublé et gifle les vitres. Tu reprends, sur un ton plus doux :
— Désolée pour les chaussures.
— Ça ne fait rien.

Elle retourne dans la pièce principale et ramasse la boite en carton que tu as lâchée dans le feu du combat. Le délicieux parfum de friture et de gingembre des gyoza se répand dans la pièce. Tu déposes discrètement une plaque de crédit dans le couloir et tu ouvres la porte.
— Tu ne restes pas les manger avec moi, Kaede-chan ?
— J’ai un rendez-vous.
— As-tu trouvé des informations sur ta soeur?
— Toujours pas. A bientôt, mère.

Tu sors sous la pluie battante. Tu descends l’escalier, enfiles les rues sales. Megumi. Pour la millième fois, tu te demandes si tu aurais pu éviter ce qui s’est passé. Si tu aurais pu mieux la protéger. Où peut-elle être ? Est-elle seulement encore en vie ? L’eau ruisselle sur ton visage. Ne plus penser à ça, laisser la pluie laver le chagrin et les doutes...

20 septembre 2123 : 22h35

Tu laisses couler l’eau longtemps. Chaude, très chaude. Les yeux fermés, tu respires profondément. Le souvenir éclate à la surface de ta conscience. Un bassin naturel, l’odeur du souffre, l’eau si brûlante que ta peau virait à l’écarlate. Les longues heures paisibles passées à refaire le monde avec ta soeur. C’est si loin. Presque une autre vie.

Tu sors de la douche et tu traverses la chambre spacieuse jusqu’au dressing. En pyjama, tu prépares le repas, mécaniquement, sans faim ni envie. Tu t’assois à la table basse avec ton plateau et tu tires le câble d’alimentation. Tu soulèves ta veste de pyjama pour découvrir le port métallique à ton flanc dans lequel tu branches la prise. Tes organes artificiels ont besoin d’un repas, eux aussi.

Le chat vient se frotter contre toi et il se love à tes côtés. Tu caresses sa fourrure, douce comme de la soie. Son ronronnement paraît étrangement sonore dans le silence de l’appartement. Il résonne sur les étagères impeccablement rangées, sur les murs ornés d’estampes anciennes, sur le boîtier Narcos haute définition flambant neuf, sur ton matériel d’entraînement. Par la grande baie vitrée, on aperçoit la haute silhouette de la tour de Kyoto. Tu la contemples un moment. Sa soucoupe illuminée ressemble étrangement aux vaisseaux spatiaux des Envoyés. Ta main s’attarde sur le chat, lissant ses oreilles veloutées, glissant le long de ses lignes fluides. Le parfum âcre du thé vert te rappelle soudain que tu dois manger. Tu avales rapidement le riz et l’omelette et tu revêts ton armure. Des faisceaux de points scintillant t’indiquent qu’elle est chargée. Le métal flexible s’ajuste automatiquement à ton corps, à peine plus épais qu’une combinaison. Tu passes une veste de kimono par dessus ; inutile d’alarmer les bourgeois.

Avant de quitter l’appartement, tu débranches le chat. Le logo Replik apparaît un instant dans ses yeux robotiques tandis qu’il passe en veille. Tu traverses à pas rapides le hall de marbre de la résidence et tu actives d’une pensée tes filtres olfactifs. Tu as rendez-vous avec ton contact dans un bar branché du nom de Strange Pleasures. Ce n’est qu’à quelques stations de métro. Quelques minutes plus tard, tu contemples la façade du bar qui annonce clairement la couleur : lasers aux couleurs criardes perçant la nuit, enseigne géante dont les lettres sont formées de corps nus enlacés. Le vigile scanne l’étoile d’argent à ton front puis se rapproche de toi et te flaire. Ses pupilles fendues et l’implantation particulière de ses cheveux trahissent des greffes génomiques animales. Il détecte une de tes lames et tu le récompenses d’une somme rondelette pour pouvoir la conserver. Ce poignard d’acier sert de diversion pour tes autres jouets, tous en neutrinium.

Tu pénètres dans le bar. Le bruit, la chaleur et le monde t’assaillent aussitôt. Ici, la sensation de baigner dans la foule cesse d’être plaisante pour devenir invasive. Les gens te touchent, te fixent, t’interpellent. Une femme à la peau sombre, vêtue d’un bikini rose pailleté, tente de te saisir par la taille, un homme en bustier lacé te tend des pilules de syntonie que tu déclines d’un geste sec. Tu parcours un couloir et débouche dans l’espace principal, une vaste salle ronde, entourée d’une mezzanine. Au centre, une foule de gens à trois quart nus se vautre sur un gigantesque coussin lamé or, masse incongrue de bras et de jambes entremêlés. Beaucoup boivent des cocktails, certains fument des narcotiques dont les vapeurs de diverses couleurs s’élèvent en spiralant vers le plafond, certain encore sont engagés dans des étreintes charnelles. Tu fronces les sourcils en te félicitant que le filtre te préserve de l’odeur lourde des corps nus et de l’alcool.

Ton implant cortical a scanné le lieu et repéré ton contact, à deux salles de là. Tu contournes le hall en fendant la foule. Tu esquives une main qui se tend vers tes fesses, contournes un robot-serveur, repousses sans ménagement un homme aux prothèses de bras grotesquement volumineuses. La chaleur, les jeux de lumières hypnotiques et les nappes de fantasmusique t’assaillent, te montent à la tête. Tu cherches à avancer plus vite pour échapper au chaos ambiant mais tu es comme engluée dans la marée humaine. Des éclats de rire, des gémissements, des froissements de latex résonnent tout autour de toi. Des poissons holographiques tourbillonnent dans ton champ de vision, une fourrure frôle ton visage, quelque chose s’accroche un instant à tes cheveux. Tu serres les dents et ta main se porte par réflexe à ta ceinture et à tes armes.

Tu entres dans une nouvelle salle où des sphères lumineuses jaune d’or flottent un peu partout. Tu dépasses un mutant aux mains griffues difformes, un adolescent à trois yeux, à la taille ridiculement mince modifiée par chirurgie. La nausée te gagne, tes muscles se crispent. Une des sphères dorées explosent à côté de toi dans un nuage de paillettes et une brume de liquide. Un homme vêtu d’un extravagant manteau de plumes te tend un verre que tu refuses sans t’arrêter. Des godemichets chromés aux formes baroques passent de mains en mains. Tu sens un courant d’air sur ta nuque et tu fais volte-face, le poignard à la main. L’homme t’a saisie par ta veste de soie. Il te sourit stupidement au travers du brouillard de la drogue. Une partie de son crâne est en plexi transparent et laisse voir des lueurs arc-en-ciel. Sa main se tend vers toi. Ta lame se pose sur sa braguette :
— Si vous me touchez, monsieur, il vous faudra une prothèse de plus.

Un moment plus tard, tu te laisses tomber, hors d’haleine, dans un canapé de plastique. Sur la table basse, de nombreuses fioles de saké vides alignent leurs cols de faïence. Le contact est un gaijin à la peau ocre, aux cheveux pourpres coiffés en crête. A côté de lui est assise une pâle jeune fille. Tu les salues d’une inclination de la tête. Il te tend la main avec enthousiasme :
— Je suis Ron McKay et voici mon amie Syl. Midnight K, c’est un grand honneur pour moi de vous rencontrer !
Tu gardes les bras croisés. Ton visage est dur, tendu. Tu as hâte d’en finir pour pouvoir quitter ce lieu. Il se racle la gorge et continue :
— Je... j’ai vu vos états de service. Remarquable. J’admire votre puissance de travail.
— J’ai connu la pauvreté autrefois. Cela n’arrivera plus.
— Oui, bien sûr, l’argent gouverne le monde, n’est-ce pas ?
Il éclate d’un rire nerveux et touche machinalement l’étoile d’or sur son front.

A côté de lui, sa partenaire te fixe sans ciller. Tu lui rends son regard tandis que le contact débite des banalités sur le capitalisme et les méga-corporations. Son visage calme, quelque chose d’imperceptible dans son attitude... une Simulacre. Une IA dans un corps de chair artificiel. Même s’ils sont biologiquement identiques aux humains, tu les repères toujours. Le t-shirt qu’elle porte le confirme, avec son logo en forme de pomme. La fameuse pomme de Nimbéa. Tu gardes un souvenir très précis du discours de Nimbéa Calvin pour le droit des Simulacres à être reconnus vivants et libres. Comment reconnaît-on une pomme ? Si cela ressemble à une pomme, a le goût d’une pomme, son parfum, son ADN... si rien ne permet de l’en distinguer, alors n’en est-ce pas une ? Comment reconnaît-on la vie ? La célèbre neuro-généticienne t’a beaucoup inspirée quand tu étais petite. Tu sauvegardais tous les articles de presse qui parlaient d’elle. Et son histoire d’amour controversée avec son garde du corps synthétique faisait rêver ta soeur. Tu dis doucement :
— J’aime bien votre t-shirt.
La fille te sourit. Un sourire chaleureux. Elle a bien compris que ton approbation va au delà du motif en forme de fruit. Un instant, tu te sens reliée à elle. Elle est une conscience virtuelle dans un corps de chair. Tu es un être de chair dont la conscience et les organes sont améliorés par des implants cybernétiques. Améliorés à quel point ? N’es-tu pas toi aussi un peu virtuelle ?

Le contact a fini son monologue et attend que tu t’intéresses à lui, l’air gêné. Tu te tournes vers lui en silence. Il s’éclaircit la gorge :
— Au sujet du run... Il s’agit de retrouver un objet qui a été...
— Donnez-moi l’adresse, je vous prie ; cela suffira.
L’homme sursaute puis lisse sa crête de cheveux pourpres. Il sort de sa poche un petit cristal. Tu le glisses dans le mini lecteur à ta ceinture.
— Le client a précisé que...
— C’est urgent. J’ai compris. Je m’en vais à présent. Passez une bonne soirée.
Tu te lèves et tu t’inclines légèrement. La Simulacre te sourit.

Est', au bout de sa vie mais presque au bout de son texte.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2020-06-10 21:52:27 

 WA 159 : participation 2/3Détails
21 septembre 2123 : 00h15

Le métro aérien t’a déposée à l’entrée de furuKyoto, la vieille ville. Ici, pas de buildings de cinquante étages comme dans le reste de la mégalopole, pas de flot bruyant de véhicules volants, pas d’enseignes criardes. Ici, c’est le domaine privé des ultra-riches. Luxe, calme et volupté. Tu longes le quai vers la sortie tandis que, à gauche de ton champs de vision, défilent en virtuel les dernières primes offertes. Deux cent mille zeni pour l’agresseur d’une jeune fille, juste le genre de personnes que tu aimes chasser : tu archives l’annonce pour plus tard.

Au barrage de police, tu présentes le data-cristal afin que l’officier puisse vérifier ton laisser-passer puis tu franchis le portique. Comme toujours, le fait de passer la barrière qui enserre la vieille ville te donne l’impression d’entrer dans un autre monde. Tu parcours les rues calmes bordées de maisons anciennes en bois, parfaitement préservées par des générations de privilégiés. Le long des balcons s’alignent des bonsaïs dans leurs pots de faïence. Entre les toits de tuiles s’élancent les tiges de bronze des capteurs solaires en forme d’énormes fleurs, aux pétales refermés pour la nuit. Par endroits, tu traverses un nuage de brouillard qui laisse sur tes joues une agréable fraicheur humide. Tu croises un couple vêtu d’élégant kimonos et vous échangez un discret salut de la tête. Tu vérifies l’heure ; être en retard est exclu.

La maison de ton client n’est plus très loin ; tu peux apercevoir dans le ciel sombre les miroitements du champ de force qui isole son jardin. Tu expires avec mépris. Certains riches protègent ainsi leur précieux oxygène. Pas question de le partager avec la plèbe. Cette mentalité te dégoûte mais tu ne peux t’empêcher de penser que, sans la barrière de furuKyoto, les précieuses maisons anciennes auraient toutes disparu.

Tu sonnes à l’imposant portail de bois renforcé de métal et réponds aux questions d’un concierge excessivement procédurier. Il finit avec réticence par t’admettre à l’intérieur et tu pénètres d’un même pas l’enceinte et le champ de force. Le jardin est immense, planté d’une forêt sur ta gauche, creusé d’un bassin sur ta droite. L’allée est bordée d’érables au feuillage artistement taillé et de lions en pierre stylisés à l’orientale. Au bout, les toits de la demeure, recourbés comme ceux d’une pagode, se découpent contre le ciel nocturne. Ton oeil exercé de professionnelle fouille le moindre recoin à la recherche d’informations. Tu notes la présence de quelques caméras et de deux vigiles qui font une ronde, des robots. Pas de signes apparents d’effraction. A mesure que tu t’approches de la maison, te parvient de plus en plus clairement la musique délicate d’un koto.

Sous le porche, t’attend un serviteur en livrée noire :
— Midnight K-san, je vous souhaite la bienvenue. Deyama-san vous recevra au premier étage. Veuillez me suivre, je vous prie.
— Merci.
Tu déposes tes chaussures dans le casier puis tu suis l’homme sans cesser ton inspection des lieux. L’intérieur de la maison est un improbable mélange de modernité et de tradition, de simplicité et de luxe ostentatoire. Les cloisons en papier avoisinent les consoles de contrôle informatique, une vitrine exposant des sabres anciens est encadrée de luxuriantes plantes extra-terrestres au feuillage pourpre, le sol uni noir s’illumine de minuscules éclats sous tes pas. Le majordome se retourne régulièrement, en apparence pour vérifier que tu ne te perds pas mais en réalité sans doute pour s’assurer que tu ne dérobes rien. Comme tu passes devant une grande pièce généreusement garnie en canapés de velours, une jeune fille en sort, portant un plateau. Fine mais avec une poitrine plantureuse, de longs cheveux soyeux, d’immenses yeux d’eau claire, elle porte un costume de soubrette, courte jupe noire à froufrous et tablier blanc de dentelle. Une Simulacre. Probablement une esclave sexuelle. Soudain, tu as hâte de quitter ce lieu.

Le majordome et toi montez un volumineux escalier et longez un interminable couloir avant de franchir une cloison coulissante. Si tu en juges par la présence des jouets éparpillés en grand nombre sur le sol, la pièce doit être une chambre d’enfant mais ses proportions font d’avantage penser à une salle de bal. Au centre, t’attend la propriétaire des lieux, une femme d’âge mûr, très droite dans son tailleur de soie. A son front scintille une étoile d’or. Tu t’inclines assez bas et elle te rend ton salut.
— Deyama-san, je suis honorée de vous rencontrer. Je suis Midnight K.
— Midnight K-san, je vous remercie d’avoir pris sur votre temps pour venir jusque ici.
— C’est moi qui vous remercie d’avoir fait appel à mes modestes services. (Tu t’inclines de nouveau) Je m’en remets à vous.
— Voici l’endroit où était conservé le bien que l’on m’a volé.
Elle va droit au but ; tu apprécies. Elle te désigne une petite cage dorée, en forme de sphère, suspendue au plafond par une chainette. Ses sourcils se froncent au dessus de son regard sévère comme si la cage vide lui jetait au visage l’inefficacité du système de sécurité. Elle reprend :
— Il est question d’un dragon domestique, un Simulacre. Nous avons constaté sa disparition ce matin à neuf heures. Je veux savoir comment cela a pu arriver. Le cristal que voici contient des holos de la chose ainsi que sa référence digitale. Je précise qu’il s’agit d’un modèle unique, fabriqué sur mesure pour nous par un généticien.
— Je vous remercie.

En un quart de seconde, tes implants corticaux ont consulté le cristal et enregistré les données. Les holos du dragon défilent dans ton champ virtuel. Soixante centimètres de long, le nez rond, de grands yeux, une crinière de plumes colorées, une touffe de plumes au bout de la queue. Il semble avoir été créé à partir d’un oiseau exotique et d’une couleuvre, afin de restituer la forme serpentine des dragons orientaux. Il y a aussi un peu de furet pour ses petites pattes griffues et ses crocs, sans doute. A l’ère des greffes génomiques, sans être communes, des chimères telles que celle-ci ne sont pas rares. Sur l’holo le plus récent, tu notes que l’une des plus grandes plumes de sa crinière est coupée. Le contrat est laconique : ramener un petit dragon vert et jaune. La prime : deux millions et demi de zeni. Une somme extravagante. Suffisante pour ajouter à ton matériel de traque quelques gadgets technologiques.

Le regard de Deyama-san se perd un instant dans le vague et elle fronce de nouveau les sourcils :
— Une affaire urgente requiert mon attention. Mon majordome se tiendra à votre disposition durant votre enquête chez moi. J’attends des résultats rapides. Mon fils est... (Elle hésite un instant.) ...contrarié depuis que son jouet a disparu.
— J’ai compris.
— Le coupable est forcément un professionnel pour avoir pu pénétrer dans furuKyoto et avoir contourné notre système de sécurité. Je veux sa tête. On ne vole pas impunément un Deyama.
Elle a prononcé la dernière phrase avec une emphase dramatique qui manque te faire sourire.
— J’en prends note.
— Une dernière chose : je ne tiens pas à ce que la connaissance de ce vol malencontreux sorte de ces murs. Naturellement, je peux compter sur votre discrétion ?
— Naturellement.

Sur ce, elle s’incline rapidement et quitte la pièce à pas vifs. Tu la regardes partir avec une moue avant de reporter ton attention sur la chambre. Un parfum de bonbon s’accroche aux coussins qui gisent un peu partout. Ta main glisse sur la cage froide. La minuscule cage. Un malheureux esclave de plus dans cette maison sinistre. Tu dois te mettre au travail ; tu n’es pas payée pour évaluer la taille de l’ego de ta cliente, discuter ses choix éducatifs ou questionner son éthique.

Un peu moins d’une heure après, tu as appris deux choses. Tout d’abord, le système de sécurité de Deyama-san est à peu près aussi efficace qu’une armure en papier de riz et tu n’auras pas de questions à te poser sur le sort du voleur et de sa tête. Tu te diriges vers la maison et apostrophes le majordome :
— Voici les premières conclusions de mon enquête. Je vous prie de les enregistrer pour votre employeuse. Deyama-san, très honorée cliente, le dragon n’a pas été volé. Il s’est enfui par ses propres moyens en rongeant les barreaux de sa cage, comme l’indiquent les marques sur le métal. Il est ensuite sorti par la fenêtre que votre fils laisse souvent entrouverte et est descendu le long de la gouttière. La marque de ses griffes y figure nettement. Il a traversé le jardin sans être enregistré par vos caméras trop espacées. Les gardes robots l’ont vu mais ne l’ont pas arrêté car leur programmation est trop limitée pour permettre la prise d’initiative. Il a ensuite traversé votre champ de force qui par défaut laisse passer les animaux de petite taille comme les chats ou les oiseaux. A présent, il peut être n’importe où dans Kyoto mais je le trouverai. Mes précédents commentaires vous indiquent les points à renforcer dans votre système de sécurité si vous voulez qu’il soit utile. Recevez tout mon respect.

21 septembre 2123 : 01h40

Il t’a attendue à la sortie de la vieille ville. Tu réfléchissais à une stratégie de recherche du dragon quand il est passé à l’action. Tu as esquivé instinctivement, sans même comprendre ce que tu faisais, ton corps plus rapide que ton esprit. Tu roules au sol pendant que la décharge de laser frappe le mur en grésillant doucement. Tu te relèves à demi et tu évalues la situation en une fraction de seconde : ton adversaire est un runner, lourdement armé, sur le trottoir d’en face. La rue est pleine de monde et il cherche un nouvel angle de tir : il faut l’éloigner. Tu te baisses et tu fonces. Ton implant t’indique une impasse à deux rues d’ici ; ça fera l’affaire.

Dans la ruelle, tu te mets à couvert derrière un distributeur de boissons et tu lances :
— Que me voulez-vous ?
— A ton avis ? (Sa voix est rauque et il parle japonais avec un fort accent.)
— Veuillez me pardonner mais j’ai mieux à faire que de jouer aux devinettes.
Au son de sa voix, il se trouve à une dizaine de mètres. Tu as aperçu un fusil Cobra 200 ; quelle vulgarité. Tu observes l’impasse sombre en le faisant parler ; tu sais très bien ce qu’il veut. Des bennes s’entassent vers le fond. Sur le mur le plus proche, au dessus de toi s’accroche un escalier de secours en ferraille. Plus haut encore, des câbles électriques s’entrcroisent. Tout autour ronronnent des boîtiers de climatisation.
— Si j’étais toi, je ferais pas la maligne, ma ptite chatte. Laisse tomber le contrat et y aura pas de sang. Tu vas me donner gentiment les infos et te tirer.
— Je suis désolée mais c’est impossible.
— Tu veux jouer les dures ? OK, ça me dérange pas, je me servirai sur ton cadavre.

Tu t’élances sur sa dernière syllabe. Tes lames de neutrinium glissent de tes manches tandis que tu le charges. Dix mètres, une infime contraction de son bras et tu dévies ta course, évitant le tir de laser. Cinq mètres, il va tirer de nouveau, tu te jettes au sol, tu roules sur le bitume humide, le tir te passe au dessus avec un sifflement. Deux mètres, tu détends tes jambes, ta lame fend l’air et tranche le canon de son fusil. Il cherche à te saisir de sa main libre comme tu voltes, sans y parvenir. Le bout de métal rebondit sur le sol avec un bruit mat. Vous vous faites face, lui la bouche tordue d’un rictus carnassier, toi en garde, concentrée, tes lames croisées devant ton visage. Il n’est pas très grand mais puissamment musclé, moulé dans une armure de synthéplast dissimulée sous un blouson. Son crâne rasé est orné du kanji de la mort. Il jette violemment le fusil devenu inutile. Sa main se dirige vers sa ceinture et l’autre flingue mais il hésite. Votre proximité annule l’avantage des armes à feux.

Avec un cri, il se rue sur toi. Ses poings s’abattent tels des massues mais tu n’es déjà plus là. Tu tournes autour de lui, gracieuse. Tes lames frappent avec la précision de la foudre, ébréchant son armure, ouvrant une large entaille écarlate sur sa cuisse. Il rugit et s’empare de son flingue. Tu sautes, ton pied fouette l’air, envoie voler l’arme. Il se jette sur toi, enchaînant crochets du droit et du gauche. Il est rapide et la force de ses coups est redoutable : il ne doit pas te toucher. Tu te fends vivement pour éviter son poing et tu lui ouvres la joue. Une nuée de gouttelettes rouges t’asperge. Il fond sur toi, insensible à ses blessures, essaie de t’agripper. Tu l’esquives et lui décoches un brusque coup de pied en plein visage. Il jure :
— Espèce de garce ! Je vais adorer te découper !

Ce type rustre et grossier commence à vraiment t’agacer. Il fonce de nouveau, essaie de faucher tes jambes. Tu t’écartes d’un bond souple. Le combat se poursuit, il attaque encore et encore, tu te dérobes avec agilité. Tu perds la notion du temps, toute entière à la fureur du duel. Tu n’entends plus la rumeur de la ville, seulement le sang qui bat dans tes tempes. Tu ne ressens pas la fatigue, juste une concentration extrême, fruit de ton entraînement rigoureux. Les wakizashi sont les extensions de tes bras, tu es toi-même une lame tranchante, mortelle.

Tu lui portes une botte violente au bras gauche mais ton arme ricoche durement : une prothèse. Tu es déstabilisée un instant et il se rue sur toi en portant une grêle de coups. L’un d’entre eux trouve sa cible et te projette brutalement au sol. L’impact, quoique amorti par ton armure, t’a coupé le souffle et envoyé voler une de tes lames. Tu recules vers le mur en te relevant. Il souffle comme un boeuf et son visage est un masque sauvage. Tu fais volte face, prends ton élan en quelques foulées, bondis et accroches l’escalier de secours, sur lequel tu te juches. Ta main se porte à ta ceinture et plusieurs shuriken fendent l’air en sifflant vers ton adversaire. Il les pare de son bras cybernétique.

Il se jette en direction de son flingue, par terre à quelques mètres. Tu t’élances de ton perchoir et atterris sur son dos. Tu t’agrippes à lui d’une main et de l’autre, tu le lardes de ta lame. Il rugit de douleur. Son armure a cédé. Le sang gicle, tiède sur ton visage. Enragé, il rue, cherche à t’arracher. Tu tiens bon. Tu es une lionne cherchant la carotide d’un buffle. Il se propulse contre le mur, t’écrasant de tout son poids. Ta tête heurte le béton. Sonnée, tu lâches prise. Ses bras musculeux t’encerclent, compriment ta cage thoracique. Il halète :
— Je te tiens, sale petite pute jaune ! Je vais te crever et je violerai ton cadavre !
Il serre. Ton armure s’illumine en absorbant la pression mais la charge est trop intense. Tu entends tes côtes craquer et le goût du sang emplit ta bouche. Tu sens son haleine chaude sur ta nuque. Tu suffoques. Des papillons noirs envahissent ta vision. Il faut que tu te libères sinon tu vas mourir.

Tu lui décoches un fulgurant coup de talon entre les jambes. Il pousse un glapissement et s’effondre, desserrant son étreinte. Tu te tortilles, rampes sur l’asphalte. Tes cuisses se nouent autour de son cou. Serrer. Fort. En finir avec ce monstre. Avant qu’il ne te tue. Il se débat, s’arc-boute. Ne pas lâcher. Serrer encore. Son visage est écarlate. Serrer. Tuer cette bête immonde. Il s’amollit et retombe. Tout ton corps te fait mal. Tendu au maximum. Tes dents grincent sous la pression. Ne pas lâcher. Tuer ce porc avant qu’il ne te tue. Toi ou une autre fille. Il ne bouge plus à présent. Le calme est retombé sur l’impasse.

Soudain alarmée, tu le libères. Tu vérifies qu’il respire encore. Tu te traines loin de lui et tu reprends ton souffle, douloureusement. Tes côtes brisées s’enfoncent dans ta chair à chaque inspiration. Sans ton armure, tes poumons auraient explosé. Au bout de l’impasse, un passant jette un coup d’oeil à la scène et décide qu’il est plus sûr de ne pas s’en mêler. Tu te relèves avec précautions et vas récupérer ta seconde lame, tes shuriken et l’arme de l’homme. Tu le toises avec dégoût. Si tu l’achevais, la société s’en porterait mieux mais tes principes t’interdisent de tuer même un excrément tel que lui. Tu te détournes et regagnes lentement la rue principale. La souffrance irradie dans ta poitrine et la tête te tourne mais tu ne dois rien en montrer. Ici, les charognards guettent à tous moments. Rapidement, tu adresses un message à la police : il y a une ordure à enlever à cette adresse.

21 septembre 2123 : 05h00

Tu es rentrée chez toi. Tu as lavé le sang séché qui collait tes cheveux et injecté un antalgique et un sérum de régénération dans ton flanc. Tu as nettoyé soigneusement tes lames et tu as jeté le flingue du type au recyclage. Puis, tu as dormi quelques heures.

Un jour pâle se lève lorsque tu émerges. Il filtre par le store de la chambre, jetant des ombres géométriques. Tu traverses l’appartement pieds nus. Tu te sens vaguement nauséeuse et la tête te lance. Cela faisait longtemps que tu n’avais pas pris une telle correction. Tu soupires ; tu aurais dû te douter qu’une prime aussi extravagante attiserait des convoitises. Dans ton métier, une telle étourderie peut être fatale ; la douleur de tes côtes est une leçon à retenir.

Rapidement, tu fais réchauffer des brocolis et du saumon, dont les parfums salés se répandent dans la pièce. Agenouillée à la table basse, tu avales le poisson croustillant en songeant à ta mission. Quelque part, un petit dragon solitaire erre dans une ville inconnue. Dangereuse. Ton regard tombe sur le chat Replik qui est resté figé dans l’entrée, là où il s’est mis en veille. Sans lui, ton appartement a le silence et l’immobilité d’un tombeau. Mais tu n’as pas eu envie de l’allumer aujourd’hui. Tu as besoin d’un peu de réconfort pour lécher tes plaies et sa programmation limitée de robot ne peut te le fournir. D’une impulsion mentale, tu envoies un message via le Réseau.

Trente minutes après, tu as rejoint le quartier de Higashiyama. Le jour blême a affadi les néons chatoyants de la nuit et la ville te paraît si terne, avec ses immeubles de verre et d’acier, dont le sommet se perd dans une brume de pollution bleutée. Il fait frais pour le moment mais tu sens dans l’air la fournaise à venir. Tu patientes sur le trottoir avec une foule disciplinée, attendant que les lumières ne vous autorisent à traverser la route. Tu tiens sous ton bras une boite élégamment décorée de dorures et d’un ruban. Tes yeux patrouillent les gens : tu ne tiens pas à être surprise une seconde fois. Le fleuve des véhicules s’interrompt enfin et c’est celui des hommes qui se déverse.

Tu avances à pas rapides. Ton temps est précieux. Devant toi, les têtes métalliques et les larges épaules de deux cybercops dépassent de la foule. Leurs corps massifs de cyborgs sillonnent les rues, tous senseurs aux aguets. Lorsque tu les rejoins, ils se sont arrêtés devant une maison close à la devanture ornée de lanternes en papier rouge. Tu ralentis nettement la marche et ton corps se tend. Les cybercops sont notoirement brutaux et les filles sont des proies faciles. L’un des policiers a retiré son casque et sa tête humaine paraît ridiculement petite sur son monstrueux torse de métal. Il discute avec une prostituée exclusivement vêtue d’un bikini et d’escarpins rouges. Des boucles noires de la demoiselle émergent deux soyeuses oreilles rousses, dont le mouvement nerveux dissipe tout doute sur leur authenticité. Une mutante. En quelques années, ces greffes animales sont devenues très à la mode. Tu scrutes un instant la scène. Le visage de la fille est plutôt détendu, le ton du flic est jovial. Autour d’eux, les autres prostituées ont repris l’étalage de leurs charmes pour attirer les passants. Pas d’incident à l’horizon : tu détournes le regard et poursuis ta route.

Quelques instants plus tard, tu sonnes à la porte d’un appartement au quarante-cinquième étage d’une tour. Le verrou électronique cliquette et tu entres dans un couloir exigu encombré de piles de boites. Tu déposes tes chaussures et fais quelques mètres, pivotant de côté pour franchir un passage particulièrement étroit. Des voix résonnent dans la pièce du fond : tu t’arrêtes, tu ne veux pas déranger :
— ...reconnaissant d’avoir pensé à donner mon nom, Shizuka-san.
— C’est bien naturel, Hayashi-san. Vous êtes le professionnel le plus qualifié que je connaisse dans ce domaine.
— Vous êtes trop aimable. Je vous remercie de m’avoir reçu.
— C’est moi qui vous remercie de vous être déplacé. Passez une agréable journée.

La silhouette dégingandée de Hayashi-san apparaît à l’autre bout du couloir et tu recules pour lui céder la place ; passer à deux de front est inenvisageable. Il te salue d’un signe de tête :
— Midnight-san, comment allez-vous ?
— Hayashi-san, je vais bien, je vous remercie
— Votre chat fonctionne toujours correctement, j’espère ?
— Oui, il est parfait, tout à fait comme je le souhaitais. Merci de vous en enquérir.
— Si jamais vous vouliez une modification de sa programmation ou de son apparence, n’hésitez pas à me contacter. C’est l’affaire d’un instant. Je me tiens à votre disposition.
— Je n’y manquerai pas. Je vous remercie de votre bonté.
Vous vous saluez de nouveau puis il sort. Tu reprends ta progression au milieu des boites et tu débouches dans une petite pièce à la luminosité tamisée, tout aussi encombrée que le couloir.

Shizuka t’attend en souriant, debout au milieu de la profusion de son désordre comme un phare isolé en pleine mer. Comme à son habitude, elle est vêtue simplement d’un kimono de coton. De son épaisse chevelure brune, pointent les deux petites cornes qu’elle s’est fait greffer pour ressembler à un oni. Elle te serre sur sa poitrine rebondie, entre ses bras moelleux. Tu lui rends maladroitement son étreinte avant de t’écarter.
— K-chan, ça faisait au moins deux semaines ! Tu es sur un run en ce moment ? Je commençais à me faire du mouron. Et tu ne viens jamais sur le Réseau.
— Pardonne-moi ; j’étais très occupée. Tiens, c’est pour toi.
Tu lui tends la boite à dorures.
— Oh merci ! Qu’est-ce que c’est ? Ah, des taiyaki, mes préférés ! Et de chez Hanzo Deluxe. Tu as dû les payer cher. Tu es trop gentille. Mais dis-moi, tu as mauvaise mine. Tu as pris un mauvais coup ?
— Ce n’est rien.
— Oh ma chérie, montre-moi. Tu as mal ?
— Non, pas trop. Ce n’est pas grand chose. J’ai été négligente.

Tu lui résumes l’altercation avec l’autre runner tandis qu’elle sert deux tasses de thé. Elle t’écoute en silence, le visage plissé par l’inquiétude. Tu conclus en mentionnant le petit dragon.
— Tu fais un métier si dangereux. J’aimerais tant... Mais nous en avons déjà parlé. Tiens. Assieds-toi, je t’en prie.
Tu prends la tasse puis tu regardes autour de toi, à la recherche d’un espace vide. Les deux chaises sont ensevelies sous un fouillis de vêtements et de matériel électronique. La table elle aussi est couverte d’objets divers : bols de porcelaine, bibelots et même un corps cyber à demi démonté. Tu finis par t’asseoir au sol, sur un gros coussin de satin douillet, entre des boites et un plateau de fruits. Shizuka reprend sa place habituelle à la console. Devant elle, plusieurs claviers et un écheveau de câbles commandent un mur intégralement couvert d’écrans holographiques virtuels. Elle contrôle rapidement les images avant de se tourner de nouveau vers toi :
— Tu ne devineras jamais ce que j’ai trouvé cette semaine. Un nouvel enregistrement de mon Baal d’amour ! Et en état nickel en plus !

Elle est excitée comme une midinette. Le niveau dans sa tasse de thé oscille dangereusement au grès de ses trépidations. Elle exhibe fièrement un petit disque irisé, percé d’un trou en son centre. Baal Nehemoth est son chanteur préféré, un rocker du siècle dernier. Shizuka t’a montré une fois l’album où elle garde des coupures de presse papier très anciennes de son groupe fétiche. Tu as pas mal froncé les sourcils devant ce play-boy moulé dans un pantalon de latex rouge, sa crinière blonde saupoudrée de paillettes, le nez barré de scarifications en relief. Elle reprend avec jubilation :
— Tu te rends compte, il date de 2037 ! Tout un nouveau concert et il y a même un morceau que je ne connaissais pas ! Quelle classe.
— Je suis contente pour toi. Cela faisait un moment que tu n’avais rien trouvé de neuf.
— C’est vrai ; cela devient de plus en plus difficile. C’est triste de se dire que beaucoup de musiques, de récits, de films ont été perdus faute d’une volonté de conservation. Mais je les retrouverai !

Tu observes ton amie en souriant. Shizuka est la grande archiviste du Réseau, la reine des trouvailles. Et elle se passionne plus spécialement pour la seconde moitié du vingt et unième siècle. Tu ajoutes :
— Ce support est original.
— Oui, ils appelaient ça un mini CD. C’était bien avant les narcions ou même les holos et à l’époque, ils...
Tout en conversant, vous dégustez les gaufres en forme de poisson, fourrées au haricot rouge. La douceur de la pâte sucrée et le gai bavardage de ton amie te font oublier tes douleurs.

Shizuka repose soudain sa tasse et retrousse les manches de son yukata :
— Au boulot ! Tu n’es pas venue ici pour m’écouter papoter.
— Tu sais bien que j’aime parler avec toi.
— Evidemment, K-chan. Mais le travail passe avant tout. Cela ne va pas être facile de retrouver ton dragon. Il peut se glisser dans des tas d’endroits non surveillés. Et personne ne remarque quelque chose d’aussi petit.
Tout en parlant, elle a attrapé deux câbles colorés et les a branchés sur le côté de son cou, sous ses cheveux. Tu lui donnes le cristal de Deyama-san.
— Je vais commencer par éplucher les publications sur le Réseau et les caméras de la ville sur les dernières vingt-quatre heures. N’hésite pas à t’occuper en attendant.

Ses yeux se voilent tandis qu’elle s’immerge dans le virtuel. Tu la regardes faire, fascinée. Qu’elle puisse ainsi trier et traiter ces énormes masses de données, ce flot d’information si dense, même si ses implants spécialisés l’y aident, est pour toi de la véritable magie. Cela fait des années qu’elle exerce cette magie pour essayer de retrouver ta soeur. Tu sais que si quelqu'un dans le monde a une chance de trouver une piste, c’est Shizuka. Tu t’accoudes sur le gros coussin et tes jambes repliées s’enfoncent dans l’épaisse moquette qui tapisse le sol. Dans un coin de la pièce, un brûleur dispense un agréable parfum d’encens. Tes yeux glissent sur le désordre chamarré, les étagères débordant de cristaux de données et de vieux livres en papier, la luxuriance des plantes qui pendent du plafond, les poupées articulées, aux courbes arrogantes, qui emplissent la vitrine. Ton appartement paraît bien vide à côté. Peut-être devrais-tu l’égayer de quelques bibelots. Tu te laisses bercer par le chatoiement des consoles et les images holographiques qui changent sans cesse à un rythme hypnotique, par la mélopée discrète des bips informatiques. Tout ici est doux, calme et moelleux, comme ton amie...

Tu sursautes et te réveilles brutalement. Shizuka est penchée sur toi, l’air soucieuse :
— Ma chérie, tu as l’air épuisée. Tu ne crois pas que tu devrais dormir quelques heures ? Ce run peut attendre.
Tu te relèves et tu réprimes une grimace. Tes côtes te lancent atrocement.
— Impossible. J’ai promis des résultats rapides à ma cliente. Je suis confuse de te donner du souci.
Shizuka soupire puis :
— J’ai trouvé le petit trésor.
— Où ça ?
— Au Pavillon d’argent.

Tu te lèves pour observer l’image holographique sur une des consoles. Une rue nocturne, illuminée d’enseignes au néon multicolores et une enceinte de béton, derrière laquelle on devine la silhouette sombre d’arbres. Le Pavillon d’argent, ou Ginkaku-ji, est le seul temple de la ville à avoir été préservé après l'Expurgation de 2106, qui a vu l’abolition de toutes les religions. Il a été conservé comme témoignage du passé. Shizuka agrandit l’image et la fait légèrement pivoter. A l’entrée du temple, en bas d’une lanterne de pierre, on aperçoit le bout d’une queue garnie de plumes. Tu souries :
— Tu es la meilleure. Je te suis infiniment reconnaissante.
Ses joues rosissent tandis qu’elle apprécie le compliment puis :
— Mais on ne peut pas le suivre ; il n’y a pas de caméras dans le temple.
— Qu’importe. Tu m’as donné le bout du fil. Il ne me reste qu’à le suivre.

Est', qui va y arriver un jour. Sans doute.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2020-06-27 19:57:56 

 Partir chasser le dragon… (pour les connaisseurs !)Détails
Les 2 premières parties d’une longue histoire qui baigne dans un univers ultra-technologique qui fleure bon Blade Runner et Alita (ce film a été, à mon avis, sous-évalué à sa sortie).

Ah, le côté très manga de la société nippone iconique et la sophistication galopante, faite de gadgets et de créatures hybrides qui se tiennent entre l’homme et la machine. La « runner » possède certaines caractéristiques empruntées à Deckard et à Alita.

Tu décris très minutieusement les différentes scènes et on voit que tu maîtrises les codes très stéréotypés de la société nippone. Quelquefois, certaines descriptions m’ont paru un peu plus longues que nécessaires et affaiblissent le rythme de l’histoire. Mais vu que j’ai le même défaut....

Les personnages sont bien campés et on suit sans déplaisir les aventures de cette détective customisée. Le titre de l’histoire « Midnight K » est bien trouvé même si je n’en aurais pas baptisé l’héroïne. A-t-il un sens caché ?

Je pense que la densité de l’intrigue de l’histoire, la chasse d’un petit dragonneau fugueur, qui fait très manga, devra être un peu plus renforcée dans le(s) épisode(s) car elle a tendance à se diluer après avoir été présentée. Tu tiens à ton monde. Tu tiens à le décrire avec tant de détails qu’il occupe du coup beaucoup de place. Tu as sans doute déjà pensé à rééquilibrer la balance.

J’attends donc la suite avec une certaine impatience.

Au rayon des bricoles :
- des messages clignotant, de mignons personnages souriant : clignotants, souriants.
- au loin, un chat lâche un cri mélancolique : un chat miaule, non ?
- La mâchoire carrée, des bijoux clinquant : clinquants.
- de gens à trois quart : des gens aux trois quarts.
- à gauche de ton champs de vision : champ de vision...
- un couple vêtu d’élégant kimonos : d’élégants kimonos...
- Le jardin est immense, planté d’une forêt : bigre, ça doit être un sacré jardin, de la taille d’un parc au minimum...
- Ton oeil exercé de professionnelle : tautologie, non ?
- tablier blanc de dentelle : tablier blanc en dentelle ou tablier de dentelle blanche
- Le majordome et toi montez un volumineux escalier et longez : lourd, je trouve.
- Plus haut encore, des câbles électriques s’entrcroisent : s’entrecroisent...
- Tes yeux patrouillent les gens : scrutent...
- Elle est excitée comme une midinette : je trouve l’expression un peu anachronique dans ce récit.
- sa tasse de thé oscille dangereusement au grès : au gré...

M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2021-01-17 19:14:53 

 WA 159 : participation 3/3Détails
Après quelques mois à guetter le retour du site, la partie 3 !


21 septembre 2123 : 07h35

En chemin vers le temple, tu envoies un rapide rapport à ta cliente pour lui faire part de la piste. Ton but n’est qu’à deux kilomètres ; tu n’a pas repris le métro. Dans les rues, la température de l’air a déjà monté d’un cran et la foule est plus dense. Les véhicules automatiques passent sans discontinuer sur la chaussée et dans les airs. Les travailleurs se hâtent. Le martèlement rythmique du métro, les klaxons et les annonces publicitaires se mêlent dans la cacophonie de la ville qui s’éveille.

Tu franchis l’enceinte du temple, du béton moulé pour imiter la pierre, et tu marches sous les arbres. Tu jettes un coup d’oeil de droite et de gauche. Personne en vue, tu en profites pour t’arrêter au bassin de purification. Tu retires tes gants, tu prends la louche de bambou et tu laisses couler l’eau fraîche sur tes mains. Tu n’as pas prié depuis ton enfance mais tu aimes ces rituels apaisants.

En descendant l’allée qui mène au Pavillon, tu laisses la sérénité du lieu te gagner. Une brise légère souffle qui bruisse dans les frondaisons, fait tomber sur la mousse épaisse des averses d’aiguilles de pin. Tu as coupé ton filtre olfactif en entrant et activé une alarme de mouvement. Tu te déplaces dans un parfait silence, en prenant garde de ne faire craquer aucune branche, crisser aucun gravier.

Tu inspectes méticuleusement chaque arbre, chaque rocher, chaque touffe de plante, en te demandant où tu te cacherais si tu étais un petit dragon. Le bâtiment de bois du Pavillon apparaît au milieu des feuillages dans toute sa simplicité gracieuse. Ici, la clameur de la ville est comme étouffée, la course quotidienne contre le temps, suspendue. Tu soupires et tu gonfles tes poumons des agréables parfums verts : cela faisait longtemps que tu n’étais pas venue.

Tu longes le jardin zen qui expose au soleil ses vagues de sable bien régulières, puis les larges rochers moussus sur lesquels cavalent de petits crabes rouges. Attentive au moindre son, tu traverses le bois de conifères. Leurs branches noueuses se courbent gracieusement au dessus de l’étang, comme pour caresser l’eau. Soudain, ton alarme détecte deux objets. Tu te tends et ta main se porte à ta ceinture mais ce ne sont que des passereaux qui s’envolent.

Tu reprends tes recherches. Le dragon tient de l’oiseau : il doit apprécier les points d’observation élevés. Tu montes lentement le petit chemin à flanc de montagne en t’appuyant sur le garde-fou de bambou. Tes côtes te lancent douloureusement à chaque inspiration. La vue se déroule sous tes yeux à mesure que tu grimpes et, comme toujours, tu es saisie par le contraste entre le parc du temple et les buildings qui le cernent. Parvenue au sommet, tu inspectes la paroi rocheuse, sur laquelle ruissellent de petits filets d’eau.

Soudain, tu le vois. Pour un oeil ordinaire, cela ressemble à un amas de branches anodin, accroché à quelques mètres au dessus du chemin. Tu sautes souplement la rambarde et tu gravis la pente abrupte. Il s’agit bien d’un nid grossier fait de bois et de mousse douillette. Sur le bord, une petite plume verte. Où peut bien être son occupant ? Tu ne touches rien; inutile de laisser ton odeur. Mais tu déposes à proximité une minuscule caméra reliée au Réseau.

21 septembre 2123 : 10h35

Le petit dragon n’est pas réapparu. Depuis deux heures, tu sillonnes méthodiquement le quartier du temple pour retrouver sa trace. Tu contrôles un à un les endroits où il y a des arbres mais la plupart, dans les jardins des riches, sont protégés par des champs de force étanches. Tu marches sur un trottoir incrusté de grandes flèches lumineuses colorées. Tu sais qu’elles mènent à des bars à hôtesses ou à des clubs de strip-tease. Tu es sur le qui-vive, encore plus que d’habitude. Tu ignores quelle sorte de requin convoite ta prime. Chacun de ces hommes en costume que tu croises pourrait être un ennemi. La chaleur est écrasante et l’air est comme un épais sirop que tu peines à déglutir. Sous ton crâne, la migraine bat comme un tambour taiko.

Tu empruntes un ascenseur afin de gagner la partie haute de la rue, des galeries suspendues aux façades des buildings, reliées entre elles par des passerelles de verre. Ici, la ville prend d’assaut les verticales, avec des commerces et des bureaux à chaque étage. Tu longes la galerie. Sur ta gauche, s’alignent des boutiques de mode, sur ta droite des salons de thé chics. Partout, des publicités scintillantes se croisent, se superposent, s’entremêlent, certaines sur des panneaux de métal, d’autres, virtuelles, flottant dans les airs, étalant leurs slogans. Affirmez-vous avec une arme Google, discrète et de bon goût. Découvrez les organes de remplacement Karada : le vrai raffinement, c’est le naturel. Tu continues de longer la galerie ; ton but n’est plus très loin. Tu dépasses un groupe de jeunes gens élégants en fourrures synthétiques et talons aiguilles de plexiglas, accoudés à la rambarde, qui sirotent des granités. L’une d’eux fait la démonstration aux autres de ses prothèses configuratives en changeant à la volée la couleur de ses cheveux puis la taille de ses seins. Comme tu t’éloignes, tu les entends tous glousser de joie. Tu soupires. Comment les femmes peuvent-elles espérer être prises au sérieux quand tout ce qui les intéresse est leur apparence ?

Enfin, tu arrives au square, un modeste carré de verdure enclos au milieu des buildings. Tu entends le bruissement des feuilles qu’agite la brise surchauffée et tu scrutes les hautes ramures. Hélas, en t’approchant, tu constates qu’il ne s’agit que d’une projection holographique multi-sensorielle. Les arbres sont trop lisses, l’herbe trop verte, les fleurs trop blanches. La réalité n’est pas si parfaite ; c’est d’ailleurs pour cela que tu la préfères. Amère, tu passes la main à travers un lys illusoire puis tu rebrousses chemin.

21 septembre 2123 : 11h00

Tu viens de visiter le dernier coin de verdure du quartier lorsqu’un petit tintement de ton Interface te signale l’arrivée d’un message. Le visage souriant de Shizuka apparaît dans ton champ virtuel :
— Hey, ma puce ! Regarde un peu qui te facilite le travail !
Une image du Réseau s’affiche, manifestement un selfie, sur laquelle un jeune homme aux cheveux vaguement rosâtres pose fièrement avec le petit dragon, qu’il tient par le cou. Il commente : « Mater moi cette salopperie ! Y avé pas sa avant à Kyoto, surment la faute à ces enfoirés d’Envoyé ! »

Tu jubiles :
— Je le tiens. Je t’adore.
Shizuka sourit, radieuse ; ce n’est pas si souvent que tu lui fais des déclarations. Elle explique :
— J’avais laissé des programmes renifleurs un peu partout avec l’image du petit trésor.
— Nous partagerons la prime ; tu as fait plus sur ce run que moi.
— Un bon curry m’aurait suffi. Par contre, impossible pour le moment de remonter jusqu’à l’adresse du type. Les mécanismes de protection du Réseau sont puissants...
— Ne t’inquiètes pas, j’ai une assez bonne idée de l’endroit où le trouver. Merci mille fois.

Un moment plus tard, tu attends patiemment dans le hall de l’immense building de la corporation Lusion, le géant de la drogue légale. Tu as expliqué à l’hôte d’accueil que tu attendais quelqu'un et il n’a pas posé de questions. Il t’a dit que tu pouvais rester aussi longtemps que tu le souhaitais. Cette amabilité et le tatouage de la puce Testostop qui brille sur son front juste au dessous de son étoile de cuivre lui ont valu un de tes rares sourires. Tu en profites pour te reposer ; tu es encore diminuée suite au combat. Tu t’es installée dans un confortable canapé de velours, entre deux plantes vertes. La salle d’attente ressemble à celle d’un cabinet d’avocats, propre et bien éclairée, avec des tableaux représentant des bouquets de fleurs. Un vernis de respectabilité dont tu connais trop bien la finesse.

La climatisation souffle un agréable courant d’air frais et tu parcours distraitement via ton implant les dernières annonces de primes. Les clients défilent sans interruption dans le hall, seuls, en couple ou entre amis, pleins d’une gaîté tapageuse ou au contraire abattus et mal à l’aise, jeunes souvent mais pas toujours. Tu sais déjà que ta cible ira au septième étage, celui de la Shia, le célèbre bonheur en pilule. Ce sont ses cheveux qui l’ont trahi. Roses au bout. Cela fait toujours ça chez les consommateurs qui prennent régulièrement de fortes doses. C’est le seul effet secondaire de cette substance soit disant miraculeuse qui a très rapidement remplacé antidépresseurs et anxiolytiques. Sa fabrication est le secret le mieux gardé de l’univers.

Le voilà. Il traverse le hall avec l’assurance de celui qui possède le bâtiment et salue l’hôte d’accueil en l’appelant par son prénom. Tu attends une minute avant de lui emboîter le pas. La voix féminine synthétique de l’ascenseur égraine les noms des drogues tandis que tu montes. Le septième étage est tapissé de moquette soyeuse, baigné d’une lumière tamisée rose. Les petites cellules des clients alignent leurs numéros de chaque côté, avec chacune son boîtier de paiement et son horloge. Tu parcours le couloir, cherchant la bonne horloge. Tu jettes un coup d’oeil de chaque côté avant de te glisser à l’intérieur.

La pièce est minuscule et très sombre, capitonnée du sol au plafond, meublée uniquement d’un fauteuil. Ton objectif y est avachi, les yeux clos, un sourire béat aux lèvres. Il n’a même pas prêté attention au cliquètement de la porte. Quand tu refermes, une chape de silence tombe sur la petite cellule. L’isolation sonore est si parfaite que tu peux entendre la respiration de l’homme. Tu t’approches de lui et tes pieds s’enfoncent dans le rembourrage du sol :
— Pardonnez-moi de vous déranger, monsieur. Je souhaiterais vous poser quelques questions.
Il a sursauté et ouvert les yeux à ton premier mot. Il te fixe quelques instants avec étonnement puis rejette la tête en arrière et se remet à sourire bêtement. Tu fronces les sourcils : cela ne va pas être évident de l’atteindre à travers le brouillard de la drogue. Tu avances jusqu’à le surplomber :
— Monsieur, je vous demande quelques minutes de votre temps. Ouvrez les yeux, je vous prie.
Ton ton est sec, ta voix assez forte. Tu as besoin de son attention. Il geint :
— Ferme-la... tu n’existes pas. Ah...si moelleux...
— Je peux vous assurer que je suis bien là.
Il s’esclaffe mollement et son corps maigre tressaute sous les vêtements trop grands :
— Toutes mes hallus disent ça, ma jolie... (Il fait un geste vague de la main.) Allez, sois gentille et disparais.
— Je ne partirai pas avant d’avoir des réponses à mes questions.
Il se renfonce dans le fauteuil et commence à fredonner. L’irritation te gagne rapidement. Tu te penches et tu le saisis par le col. De près, il dégage une légère odeur rance.
— Je vous prie de m’écouter !
— Va-t-en, illusion. Tu m’ennuies...
— Je ne suis pas une illusion. Je suis réelle. (Tu le secoues.)
— Le réel... il n’existe plus... plus depuis longtemps... Dissous, dissous dans la drogue. Disparu... tout virtuel... des putes virtuelles, des vacances en holo, des potes artificiels... disparue la vie de merde... plus de problèmes... plus rien...
Il glousse de rire puis dodeline de la tête en souriant aux anges. Une bulle de bave se forme au coin de sa bouche. Tu plisses le nez de dégoût. Faut-il être lâche pour fuir les difficultés en se ravalant ainsi au rang de loque bavante. Tu le secoues de nouveau, plus énergiquement :
— Revenez à vous, juste un moment !
— Nan... je ne veux pas. Laisse-moi tranquille. Je suis bien ici.

Tu le gifles du revers de la main. Le son résonne comme un coup de feu dans le silence de la pièce. Il gémit et marmonne quelque chose d’inintelligible. Tu le gifles de nouveau, plus fort. Il te fixe, confus et hoquette :
— Ça fait mal... Pourquoi... Pas réel...
— Cela fera encore plus mal dans un instant si vous ne répondez pas à mes questions. Où est le dragon ?
— Hein... le... le dragon ?
Ses yeux roulent dans tous les sens. Sa conscience lutte faiblement pour émerger des limbes de la Shia.
— Le Simulacre que vous avez trouvé aujourd’hui. Vert et jaune, soixante centimètres de long.
— Oui... la ptite saleté... il m’a mordu... (Il pouffe de rire.) Pas grave... rien n’est grave.
— Où est-il ?
— C’est si bon... Plus rien à... rien du tout.
Tu le gifles de nouveau, durement. Il laisse échapper un gémissement et une larme roule sur sa joue. Impassible, tu répètes :
— Où est le dragon ?
— C’est pour le vendre... tu sais, au marché chinois... Ils bouffent n’importe quoi.
— Quoi !? (Tu resserres la main sur sa gorge et tu t’approches, menaçante.) Dans votre intérêt, monsieur, j’espère qu’il est encore en votre possession.

21 septembre 2123 : 13h20

Tu pousses la porte de l’appartement du type aux cheveux roses. Son adresse et le code de sa porte t’ont coûté la modique somme de soixante dix mille zeni, cinq fois le tarif du marché chinois. Une offre qu’il a été trop heureux d’accepter. L’habitation est exiguë, une pièce unique chichement meublée d’une paillasse, d’un boitier Tridi vétuste et d’une table basse encombrée de barquettes de nouilles vides. Le propriétaire des lieux t’a indiqué où trouver l’animal : un carton dans un placard. Tu t’accroupis devant la porte coulissante et tu tires la large boîte, grossièrement percée de quelques trous d’aération. Des grattements à l’intérieur te signalent la présence de son occupant.

Le petit dragon se terre tout au fond, prostré, ses grands yeux dilatés par la terreur. Tu l’observes un instant en silence, le coeur serré. Sans prévenir, il se détend et te saute au visage, toutes griffes dehors. Tu pares son attaque de ta main gantée et il détale dans la pièce. La pauvre bête est affolée. Tu te lèves très lentement, sans geste brusque et tu avances jusqu’à environ trois mètres de l’animal. Puis, toujours avec précautions, tu t’assois en tailleur sur le sol. Le dragon s’est enroulé en haut d’un lampadaire. Il ne te quitte pas du regard. Sa crinière de plumes est toute hérissée et tu peux entendre sa respiration sifflante tandis qu’il te montre ses minuscules crocs. Tu évalues la situation : il est rapide et l’attraper par la force te répugne.

Tu retires tes gants puis tu sors de ta ceinture une barre énergétique aux noix et tu l’émiettes dans ta main, bien en évidence. Le dragon s’agite sur son lampadaire. Son corps frétille et ses narines se dilatent d’envie. Il émet un petit cri pitoyable ; comme tu le pensais, il est affamé. Tu jettes un petit morceau à proximité de lui. Il hésite. Ses griffes se crispent en crissant sur la barre de métal et il tend le cou, avide. La faim va-t-elle l’emporter sur la prudence ? Le dragon se déroule lentement, sans cesser de te surveiller, et se tend prudemment vers la nourriture. D’un bond, il s’en saisit et retourne au lampadaire. Tu entends les noix craquer sous ses mâchoires tandis qu’il les engloutit. Tu souris. Tu exhibes un autre morceau, un peu plus gros, et tu le jettes un peu plus près de toi.

Une demi-heure plus tard, le biscuit n’est plus qu’à une longueur de bras. La tête du dragon oscille avec circonspection comme il rampe doucement sur le tatami. Centimètre après centimètre, il s’avance vers la friandise de sa démarche sinueuse. Sa crinière est encore à demi hérissée par la peur. Il s’empare de la nourriture puis recule de nouveau. Tu murmures :
— C’est bien, Dragon-san... Là... Ne crains rien.
Tu sors une nouvelle barre de ta ceinture et tu la casses en deux. Tu tends l’un des morceaux à bout de bras. Le petit dragon vous fixe alternativement, la friandise et toi. Il ondule précautionneusement, s’arrête un instant puis, prélève le biscuit entre tes doigts du bout des lèvres.
— Gentil... Je ne vais pas te faire de mal.

Tu allonges lentement la main vers sa tête. Il te regarde faire du coin de l’oeil tout en mangeant avec gourmandise. Tu effleures ses plumes douces. Son long corps se crispe brièvement puis se détend de nouveau. Tu caresses sa crinière, sa peau sous laquelle tu sens rouler des muscles fermes. Il émet un léger roucoulement.
— C’est ça... C’est bien.
Tu continues de caresser le dragon qui a fermé les yeux. Même si tu rencontres régulièrement des Simulacres, c’est la première fois que tu en touches un. Son corps est tiède et tu sens battre doucement son coeur, artificiel et pourtant de chair. Tes doigts accrochent des irrégularités sur sa peau. Tu te penches pour mieux voir. Il y a des accrocs dans la mosaïque parfaite de ses écailles, comme des coupures mal cicatrisées. Tu fronces les sourcils.

Le dragon est à présent enroulé autour de ta taille et sa petite tête repose sur ta cuisse. Tu lisses doucement les plumes de son cou tandis qu’il sommeille paisiblement. Pour la cinquième fois consécutive, tu relis le contrat. Une fois de plus, tu achèves ta lecture et ton regard se perd dans le vide.

21 septembre 2123 : 22h30

Tu te tiens de nouveau dans le hall de la grande maison des Deyama. Le majordome a signalé ton arrivée à la maîtresse des lieux et il patiente en face de toi en silence, bien droit dans sa livrée noire. Ton regard passe rapidement d’un objet à l’autre, vase laqué, cadre doré à l’or fin, sculpture difforme mais du dernier chic. Tu bascules ton poids sur ta jambe gauche, puis de nouveau sur la droite. Tu es nerveuse. Agacée, tu contrôles ta respiration pour regagner ton contrôle.

L’ascenseur tinte sur ta gauche et Deyama-san traverse le hall à une allure aussi rapide que le lui permet son élégant kimono moiré. Dans ses cheveux relevés en un chignon impeccable sont piquées des fleurs de soie. Tu t’inclines et elle te rend ton salut.
— Très estimée cliente, le run est accompli. (Tu lèves vers elle la boite de carton que tu portes.) Voici l’objet de notre accord, conformément au contrat et dans les délais requis.

Deyama-san se penche, le buste raide, et écarte légèrement les rabats. Le dragon apparaît dans la lumière des lustres. De sa crinière verte et jaune, dépasse la plume coupée. La femme t’adresse un imperceptible sourire :
— Vous vous êtes montrée digne de votre réputation.
— Je n’ai fait que mon humble travail.
Deyama-san fait un signe sec de la main. La surface inégale du carton glisse entre tes doigts tandis que le majordome te l’enlève et l’emporte. Tu le suis des yeux tandis qu’il disparaît dans le couloir. Ta cliente reprend :
— Je recommanderai vos services.
— C’est trop d’honneur.
Tu t’inclines de nouveau profondément.

Lorsque tu rentres à ton appartement, le calme nocturne s’est étendu sur la ville. Tu as fait un détour par Teramachi mais pour une fois la marche n’a pas réussi à te calmer. Tu es en proie à un doute lancinant. As-tu pris la bonne décision ? Y en a-t-il seulement une lorsqu’il faut choisir entre la loi et le bien ? En attendant l’ascenseur, tu pianotes fébrilement sur le mur de marbre ; tu sens que tu ne dormiras pas la nuit prochaine. Une fois montée dans la cabine, tu fais les cent pas dans l’espace réduit. Tu as tourné et retourné la situation dans ton esprit jusqu’au vertige. Les diodes des étages s’allument à tour de rôle, lentement, si lentement. Le sang qui te bat dans les tempes résonne comme un tambour.

La porte de l’appartement scanne tes ondes cérébrales puis coulisse en silence. Tu retires tes chaussures et tu prends pied sur le tatami. Déboulant du salon, le petit dragon contourne le chat Replik toujours figé, s’enroule autour de ta jambe puis se love autour de ton cou. Tu flattes sa crinière de plumes et il roucoule de plaisir. Tu t’avances jusqu’à la baie vitrée et tu contemples machinalement le panorama de la ville illuminée. Hayashi-san a fait un travail remarquable en un temps record. Deyama-san n’a pas vu la différence. « Ramener un petit dragon vert et jaune. » disait le contrat. Techniquement, tu l’as rempli. Techniquement. Y avait-il un moyen de concilier le respect du règlement et l’éthique ? Un moyen que tu n’as pas su voir ?

— J’ai menti pour toi, Dragon-san...
Comme en réponse, le petit animal colle sa tête tiède contre ta joue.

Est', trop contente de l'avoir postée !

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2021-01-17 19:17:03 

 Merci pour ta lecture !! Détails
Comme le faerium est remonté, je peux enfin poster la troisième partie !
Mes principales influences sont effectivement Blade runner mais aussi Neuromancer et le jeu de rôle Shadowrun.
Pour Alita, j'ai détesté le film mais c'est sans doute parce que j'ai beaucoup aimé le manga dont il est tiré et qu'il saccage en grande partie, à mon humble avis.
Je suis passionnée par la culture japonaise et j'adore la décrire. J'espère que je ne la caricature pas ou que je ne suis pas à côté de la plaque. J'ai utilisé pour certaines descriptions des souvenirs de mon voyage là-bas.
Le nom de l'héroïne est une référence à un manga de Terasawa (l'auteur de Cobra), Midnight eye.
Oui, je sais que j'ai un problème de rythme... Et oui, j'adore mon monde. Ça fait un moment que je me balade dedans et j'adore le compléter. Mais oui, je m'attarde sans doute trop à le décrire. Je l'ai déjà utilisé pour ces nouvelles :
- Toutes les filles sont des princesses (WA 117)
- Hybris (concours)
- Le soulier de cristal (WA 145)
- Je te l'ai pourtant dit deux fois, Lex... (WA 35)
Merci pour les bricoles ! Malheureusement, c'est trop tard pour éditer les deux premiers tiers...

Est', à l'attaque !

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