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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Jeudi 10 juillet 2014 à 08:52:59
Voici ma dernière livraison avant les vacances! Bonne lecture!

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DANS LE LABYRINTHE


La bande-son.

Le plafonnier est éteint. Il n’a pas réussi à chasser la nuit qui est à la fois au-dehors et dans la petite chambre. Il a vite renoncé. Il est étendu, tout habillé, sur le couvre-lit et fixe le plafond en essayant de tuer le temps. Le vieux Nokia, qu’il a mis à charger, est inerte sur la petite table de nuit. Sous l’oreiller, il a glissé son revolver. Au fond d’une poche intérieure de la veste pendue au porte-manteau, gît un insigne doré.

Son arme ne lui est d’aucun secours contre les ombres qui veillent dans l’obscurité. S’il ferme les yeux, ils seront encore là. Eux, les fantômes familiers qui l’escortent depuis cette maudite nuit, là-bas, dans l’Est, près de la rivière. Des fantômes qui bougent très lentement, comme ces serpents paresseux de Louisiane. Ils ne s’en prennent jamais à lui. Ils se contentent de chasser son sommeil, lui accordant juste quelques brèves somnolences chaotiques.

Son nom ? Appelons-le McGuire. C’est un nom d’emprunt. Il n’a plus rien à lui à présent. Pas même un nom propre. Cela sera donc l’agent McGuire. Il n’aura pas de prénom, non plus. C’est un homme entre deux âges. Sa carrure fut autrefois athlétique. Ses cheveux poivre et sel sont coiffés en une brosse très courte, à la façon qui était en vogue dans les années cinquante du siècle dernier. Ses yeux sont bleus, comme la mélancolie qui ne les quitte plus. C’est un agent spécial. Est-il en mission ? Il en a tous les attributs. Un détail détone pourtant. Une bouteille de rhum, encore enveloppée dans son sac de papier, trône, à moitié vide, sur la commode.

La chambre appartient à un petit motel anonyme de la zone industrielle, qui offre un confort très relatif. Mais les prix ne sont pas élevés. Il a garé sa Buick juste en face de la fenêtre de sa chambre. Il a payé cash deux nuits d’avance, en montrant sa plaque à l’employé derrière le comptoir, avant de signer le registre. Cela impressionne toujours et cela évite les questions. Il ne veut laisser aucune trace trop évidente. Personne, au Bureau, ne pourra remonter facilement jusqu’à lui. Il a acheté une carte SIM prépayée et un téléphone d’occasion avant de quitter New-York. Il a veillé à garder la tête baissée pour que la caméra ne puisse saisir son visage. Ces dispositions ne sont pas vraiment infaillibles mais elles lui octroient un certain répit. Il fera avec.

Pour le Bureau, il est théoriquement en congé de longue durée, accordé sur décision expresse du Directeur adjoint après le fiasco de l’opération près de la rivière. Il a vu une psy. C’est la procédure habituelle en pareil cas. Stress post-traumatique, a-t-elle rapidement diagnostiqué. Il souffre d’un trouble causé par ce qu’il a vécu là-bas et qui a provoqué chez lui un sentiment de détresse névrotique aigu. D’où ses cauchemars dans lesquels il revit en boucle ce qui s’est passé dans le hangar à bateaux. D’où ses efforts surhumains pour éviter tout ce qui pourrait lui rappeler cette scène d’horreur. D’où ce foutu sentiment d’impuissance qui ne le quitte plus désormais. D’où cette difficulté persistante à trouver le sommeil. Il n’a rien dit sur les fantômes qui hantent ses nuits et sur le rhum dans lequel il se noie régulièrement.

Il est venu dans ce trou perdu sur une intuition. C’est une façon de remettre les compteurs à zéro. Une sorte de rachat. Il n’a rien dit à ses collègues car on l’aurait définitivement enfermé. Cela tient trop de la magie noire. Des signes épars s’assemblent chaque nuit jusqu’à tresser une couronne de feu dans son esprit enfiévré. Quand il n’a plus réussi à repousser l’inéluctable, il a décidé d’agir.

Il a punaisé sur le mur de la chambre des tas d’articles de journaux et des polaroids de visages en gros plan. Certains ont les yeux ouverts, d’autres les paupières closes. Certains arborent des maquillages dévastés, d’autres des profils de prédateurs. Il a regroupé coupures et photos en amas stellaires autour des clichés des scènes de crime, composant un bouquet de fleurs malsaines. Avec un gros feutre noir, il a tracé des lignes rageuses entre les portraits, les lieux et les coupures de presse. Il a plaqué des points d’interrogation sur des visages inquiétants. Tout autour, des symboles ésotériques côtoient des esquisses encore plus bizarres. L’ensemble forme sur le mur une sorte d’immense galaxie spiralée qui rayonne autour d’un noyau central. Une photographie où, sur une plage ensoleillée, une jeune fille sourit à l’objectif. Pour quiconque autre que lui, cela serait un grand n’importe quoi. A ses yeux, c’est la représentation parfaite du septième cercle de l’Enfer, l’endroit où vit la Bête. L’antre du Minotaure. Un peu à l’écart, il a scotché une courte lettre manuscrite. Certains mots sont soulignés en rouge, d’autres sont simplement entourés.

La nuit s’écoule lentement. Il est impatient. Demain, tout s’achèvera. Demain, c’est à dire dans quelques heures. Près de l’eau, encore. C’est une évidence. Il ne peut en aller autrement. Sur la carte qu’il a achetée, la rivière n’est qu’à quelques kilomètres de la ville, derrière les collines. Demain soir, à la même heure, il s’endormira pour la première fois depuis six mois. Ou bien, il sera mort. Les deux options sont réconfortantes, dans un certain sens.

McGuire est certain que le Minotaure sera ponctuel à ce rendez-vous. McGuire refuse d’imaginer qu’il pourrait s’en tirer comme, jadis, le tueur du Zodiaque. Non. Il a percé à jour son stratagème. Il n’a plus peur. Enfin, presque plus. Il ne veut plus voir de front juvénile souillé par les cinq lettres sanglantes que le démon creuse avec ses griffes. Non, il n’y aura plus d’autre fille assassinée pour assouvir ses désirs abjects.

A cet instant, les images décousues du hangar à bateaux assaillent sa mémoire comme une nuée de corbeaux affamés. Il ne doit pas succomber. Il le sait mais il va perdre, comme d’habitude. Entre les planches pourries de l’entrepôt abandonné, un corps pâle se découpe dans le faisceau de sa torche. Eteins-là. Bordel, éteins-là ! Mais le passé ne peut pas être réécrit. Il s’approche à petits pas. Les renforts ne sont pas loin, il a vu les phares et entendu les sirènes. Inutile de prendre de risque. Il maudit sa malchance. Il l’avait presque coincé ! Il s’en est fallu d’une poignée de minutes. Pour la fille, il est visiblement trop tard ! Il s’approche encore. Il s’attend à reconnaître Jenna ou Sonia, ou n’importe laquelle des jeunes prostituées qui aguichent le client sur le quai au-dessus de la rivière. Le clapotis régulier de l’eau contre les pilotis est un bruit apaisant. L’air embaume les parfums de la nuit. Il fait presque doux. Il est tout près à présent.

McGuire se réveille en sursaut, reprenant difficilement sa respiration. Il est trempé de sueur. Le cauchemar est toujours là, comme la blessure qui fait saigner son coeur. Cette blessure n’existe pas, lui a pourtant affirmé la psy.

Il est presque trois heures du matin. Il se lève lentement. La bouteille ambrée réclame son attention. Il boit une longue rasade de rhum pour que la chaleur au fond de son ventre le ramène à la réalité. Il glisse le Glock modèle 22 dans son holster. Sa main tremble légèrement. Il l’immobilise avec l’autre, tout en s’appuyant au montant du lit. Le Minotaure n’attendra pas. Avant d’éteindre la lumière, il se penche vers la lettre sur le mur, qu'il prend le temps de lire encore une fois.

« A mon papa,

Bientôt je serai au ciel, là où m’attend maman. C’est ce que tu me disais pour me consoler, quand j’étais petite, non ? Demain, je veux que tu retiennes tes larmes. Et que tu me fasses la promesse de ne pas changer à cause de moi, de ce qui m’arrive ! Finalement, j’ai vécu de merveilleuses années. Grâce à toi, j’ai connu le meilleur de ce monde, même si tu n’as pas toujours été très présent. Heureusement, les moments que nous avons réussi à partager ont compté double, non, triple, quadruple... Il n’y pas d’injustice à dénoncer, personne à blâmer, c’est juste la vie, Papa ! Je ne suis pas triste de ce qui m’arrive, je suis juste triste d’être séparée de toi ! La seule chose qui m’importe maintenant, c’est que tu gardes dans ton portefeuille cette photo que tu as prise l’an dernier, à Miami, celle où je te souris de tout mon coeur, la plus belle que tu as jamais prise de moi ! Ma vie, enfin, ce qu’il en reste, se résume à cette chambre d’hôpital aseptisée et à tes visites que j’attends toujours avec impatience et sans jamais trop y croire. Ne penses surtout pas que je me lamente sur mon sort ou que j’en veuille à Dieu pour cette saloperie qui me bouffe à l’intérieur ! Oublie ça, veux-tu ? Peut-être que mes idées sont confuses, à cause des drogues qu’ils me donnent à haute dose. Quand tu liras cette lettre, à côté de moi, imagine que je suis juste endormie, comme la Belle au bois dormant, juste pour maintenir un peu plus longtemps l’illusion. Rassure-toi, où que je sois, je veillerai toujours sur toi. Si tu trébuches, je serai là pour te donner la force de te relever et de continuer à avancer. Ton job a été toute ta vie et même nous, maman et moi je veux dire, nous avons dû composer avec ! Une enquête après l’autre, tu pourchassais ton démon, et le temps passait sans que tu ne t’en rendes compte. Vraiment, j’ai essayé de comprendre, tu peux me croire ! Y a-t-il... »

La lettre se termine ainsi, inachevée.

Il l’avait retrouvée par terre en arrivant à l'hôpital, tard, après son service. La forme blafarde qui paraissait endormie sur le lit était une étrangère. Non, sa fille avait été ravie par le Minotaure, comme les autres avant elle. Alors, il s’était lancé à la poursuite du monstre, corps et âme, ne comptant ni ses heures, ni sa peine. Il avait suivi ses traces jusqu’à la rivière. Dans le hangar à bateaux, il s’était approché du corps qui flottait à la surface de l’eau trouble. Jusqu’à distinguer le visage blême, boursouflé, aux yeux morts. Aux traits pourtant si familiers. C’est à ce moment qu’il avait commencé de hurler...

A la fin de sa lecture, il détache avec douceur la lettre du mur, ainsi que la photo où elle lui sourit à jamais. Au centre de la galaxie qui se déploie sur le papier peint, il y a à présent un trou noir.

En sortant, McGuire referme la porte de la chambre avec sa main gantée. Il jette un bref regard vers le bureau de réception, désert et silencieux. L’employé étendu derrière le comptoir est invisible. McGuire s’installe au volant de sa vieille Buick. Les étoiles dans le ciel semblent lui indiquer le chemin de son rendez-vous. C’est un bon présage. Il met le contact et, phares éteints, s’engage lentement sur la route des collines. Il accélère et le bruit du moteur couvre les gémissements sourds qui s’élèvent du coffre.

Il est dans le labyrinthe.


M


  
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       4 Edition - Fladnag (Mar 12 aou 2014 à 23:56)
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