Version HTML ?

Messages FaeriumForum
 Ajouter un message Retour au forum 
 Rechercher un message Statistiques 
 Derniers messages Login :  S'inscrire !Aide du forum 
 Afficher l'arborescence Mot de passe : Administration
Commentaires
    Se souvenir de moi
Admin Forum 
 Derniers commentaires Admin Commentaires 

 WA, exercice n°125 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 31 octobre 2013 à 22:48:07
On se dit bien qu’on devrait faire un peu d’exercice pour s’entretenir, mais avec les exigences du quotidien...Alors pour une fois, un peu de technique nous fera beaucoup de bien. Vous allez écrire un texte dans le genre de votre choix, avec le narrateur de votre choix, et le style de votre choix. Mais...
Nous allons travailler les conjugaisons : je voudrais voir apparaître dans votre texte le présent, le passé composé, le futur, le futur antérieur ( je t’aime ; j’ai été stupide, mais un jour je partirai, et avant j’aurai préparé mes bagages), mais aussi l’imparfait, le plus-que-parfait, le conditionnel présent (futur du passé et le conditionnel passé (équivalent du futur antérieur) et bien entendu, l’indispensable passé simple ( je t’aimais ; j’avais été stupide, mais un jour je partirais, et avant j’aurais préparé mes bagages. En attendant, je décidai d’aller faire des courses). Je vous dispense du conditionnel pur ( si j’osais, je lui demanderais), pour ne pas tout mélanger, mais je ne serais pas contre quelque subjonctif( je l’aime, bien qu’il soit indifférent, je l’aimais, bien qu’il fût indifférent).
Vous avez deux possibilités : un texte au présent avec un flash back au passé, ou un texte au passé avec un focus au présent. Mais non, je ne parle pas chinois ! C’est au contraire du bon français bien de chez nous ! Inutile de préciser que la concordance des temps sera au coeur du problème...
Je vous rappelle la différence entre imparfait et passé simple : le passé simple est propre au récit : je décidai, je fis, j’eus l’impression, alors que l’imparfait est réservé aux verbes d’état, ceux qui désignent une action qui dure : je demeurais, je restais...


Prise de tête ? Allons, vous en avez vu d’autres ! Et puis, si vous êtes en peine, priez Saint Bled et Sainte Bescherelle, qui ne manqueront pas d’accourir à votre secours ! Sachant que tous les auteurs, même les plus chevronnés, seront em... berlificotés dans les affres de la consigne, c’est l’occasion rêvée pour vous qui n’avez jamais osé de vous lancer dans l’aventure ! La WA n’existe que par ses auteurs...
Vous avez quatre semaines, jusqu’au jeudi 28 novembre. Tous mes voeux vous accompagnent !
Narwa Roquen, je chante, je chantais, je chanterai...


  
Ce message a été lu 8259 fois

Smileys dans les messages :
 
Réponses à ce message :
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-12-01 19:49:12 

 WA - Participation exercice n°125Détails
LES PLUS QUE PARFAITS



Une chanson qui a bercé ma jeunesse. Elle est juste parfaite!!

I


Laissez-moi vous décrire l’endroit qui est mon monde.

La plaine sous le rempart est vide, à perte de vue. La terre est retournée, alignant d’interminables sillons qui forment une composition surréaliste de fractales qui semblent prendre vie si le regard s’attarde trop longtemps. La terre est à la fois grasse et stérile, aucune végétation ne rompt la morne uniformité. Jusqu’à l’horizon, c’est un spectacle de splendide désolation.

Le rempart est en béton armé revêtu d’épaisses plaques de duracier, aussi lisses que le verre et aussi dures que le diamant. Un chemin de ronde est juché à plus de soixante mètres au-dessus du sol, protégé par un garde-corps translucide. Son utilité est toute relative, les satellites géostationnaires positionnés en orbite basse assurent l’essentiel de la défense du Mur. Ils sont suffisamment nombreux pour permettre une redondance quatre, c'est-à-dire qu’en cas de panne ou de destruction d’un satellite, trois autres peuvent prendre la relève sans diminuer la fiabilité du dispositif orbital.

De l’autre côté du rempart, une large bande de gazon synthétique s’étale entre deux rangées de clôtures grillagées. Leur hauteur parait ridicule par rapport à celle de l’enceinte principale.

Au-delà des grillages, des batteries automatiques sont à demi enterrées, agencées en quinconces réguliers, espacées les unes des autres de plusieurs centaines de mètres. Seul le sommet arrondi de leurs dômes rotatifs dépasse du sol. Les multitubes à très haute cadence de tir demeurent invisibles, prêts à jaillir pour déchaîner un enfer de plomb sur les intrus.

Ces fortifications courent sur une frontière longue de plusieurs milliers de kilomètres, des rivages de l’Arctique aux bords de la Méditerranée. C’est la plus formidable édification humaine, visible depuis l’espace, surclassant de loin la chétive muraille de Chine, ou plutôt ce qu’il en reste. Quelques ingénieurs facétieux du consortium franco-allemand chargé de sa construction l’avaient malicieusement baptisée Maginot Cube. Ce surnom a fait florès et, à présent, il figure sur toutes les cartes d’état-major.

Tout est hautement automatisé, faisant appel aux technologies les plus récentes en matière de cybernétique, d’imagerie numérique et de systèmes d’armes. Il le faut bien, l’Europe ne compte plus que quelques millions de vieillards chenus tandis qu’au-delà du mur, une nuée sans nombre de migrants poussés, comme des sauterelles, par la faim et le manque d’espace, grossit chaque jour aux abords de la zone démilitarisée, cherchant à passer coûte que coûte la frontière. Beaucoup viennent dans ce coin paumé où Dieu a perdu ses savates parce qu’il y a une Porte.

C’est là que je vis.

Moi, je m’appelle Clovis. Je suis un Phalangiste et j’appartiens au rempart. Je n’ai pas de parents et pourtant je ne suis pas orphelin. J’ai de nombreux frères qui tous me ressemblent, trait pour trait. Vous avez compris, je n’ai pas été conçu dans une matrice humaine. Aucune mère ne m’a tenu sur son sein après que j’eus poussé mon premier cri. Non. Quand j’ai ouvert les yeux, je n’ai pas pleuré, je n’ai pas eu peur. J’ai gardé le silence. Comme mes frères. J’ai été créé dans le nid creusé sous la cathédrale Notre Dame, à Paris. Un dédale de galeries aux parois métalliques qui s’enfoncent loin sous le lit de la Seine. Un univers martial et impitoyable. Je suis né pour défendre le Mur.

Appelez-moi Clovis mais ne vous fiez pas à moi car je n’éprouve aucun sentiment. Ni pour ceux qui vivent au-dehors, au-delà de l’enceinte. Ni pour ceux qui vivent à l’intérieur.

Quand je me réveille, seules les machines sont mes amies. Les machines qui hachent, déchiquètent, transpercent, explosent, calcinent, vitrifient, éventrent. Ces machines là, je les comprends. C’est amplement suffisant. Je m’appelle Clovis et je ne suis pas tout à fait identique à mes frères qui dorment avec moi dans les salles de confinement.

Il parait que mon nom a été celui d’un roi, dans l’ancien temps. Seul le hasard a présidé à ce choix. J’ai lu que ce roi avait fracassé le crâne d’un de ses hommes pour le punir d’un affront antérieur. Ne vous méprenez pas. Je m’appelle Clovis mais, si l’occasion se présentait, je saisirais ma hache et je briserais le vase, dût-il appartenir au Pontife lui-même. J’ai passé tous les tests, j’ai réussi toutes les évaluations, j’ai été major de ma promotion. Mon profil est sommital en matière de loyauté, de dévouement et de sens du sacrifice. Pourtant, je cache en moi quelque chose qu’ils n’ont pas su deviner. Le concept le plus approchant que vous pourriez comprendre est sans doute celui de «conscience ». Je pense donc je suis. Mais cette forme de conscience est un fardeau qui m’a conduit ici. Ceux qui se battent pour le Mur ne peuvent pas s’embarrasser d’une conscience.

Je m’appelle Clovis. Les êtres comme moi ne peuvent rien ressentir. Nous ne sommes pas tout à fait humains, nous, les clones de défense, les Phalangistes. Notre raison d’être se résume à défendre le périmètre du Mur et quelques fois à remplir de basses besognes sexuelles. Elles sont moins chères que les prestataires privés importés d’autres contrées.

Je n’ai pas de bosse dans le dos, non. Je ne boite pas, je ne suis pas borgne et ma dentition est parfaite. En fait, je mesure plus de deux mètres, j’ai une carrure athlétique et mes abdominaux sont aussi durs que possible. Mes créateurs n’ont pas osé rogner ce qui fait de moi l’image sublimée de la masculinité, la pièce inutile de la panoplie de combat, ce qui pend entre les jambes. Non. Mais le vase, si admirable soit-il, est vide. Vide et stérile.

Je ne sais pas pourquoi je suis différent. Un gène régressif qui s’est activé pour une raison inconnue ; une singularité qui rappelle que la Vie n’est pas une science exacte ; les séquelles insoupçonnées d’une action terroriste des Anges de la Pureté ou d’un autre des groupuscules extrémistes qui militent contre le régime de Bruxelles ; l’inattention coupable d’un laborantin amoureux ou l’oscillation électrique infinitésimale non décelée qui a biaisé les contrôles post-production... Il y a tellement d’explications possibles. Est-ce que d’autres comme moi éprouvent aussi des sentiments ? Je n’en sais rien. Je n’ai jamais vraiment désiré le savoir.

Mon cas est spécial. D’ordinaire, les Phalangistes qui dysfonctionnent sont simplement recyclés. Une réforme technique. Un actif qui change de nature dans un bilan, une dépréciation comptable du stock. Une ligne de code finissant par 0 au lieu de 1, guère plus. Mais moi, j’ai eu droit aux honneurs d’un débat passionné entre experts juridiques, philosophiques et religieux, une bande de vieillards alertes et tavelés. Qu’étais-je ou qui étais-je? Un bien ou une personne ? Quels étaient les droits qui m’étaient attachés ? Fallait-il me juger pour haute trahison ou me jeter dans la décharge des pièces défectueuses ? La Cour Européenne des Droits de l’Homme a eu le dernier mot. Ecce Uomo, a-t-elle tranché, dans un jargon plus juridique! Mais je ne suis pas un homme qui répand autour de lui l'heureuse conscience de la vie. Non. Je suis un homme qui, comme un bon bimoteur de combat, répand la terreur et les maux atroces (*). Telle est ma nature.

Un juge a été commis. Un procureur a requis contre moi. Un avocat m’a défendu. Un jury a délibéré. La sentence a été prononcée. Bien entendu, j’ai été condamné à la peine capitale. Pouvait-il en aller autrement ? Je ne crois pas que mes frères se soient intéressés le moins du monde à mon cas.

Demain, avant l’aube, ils placeront des électrodes sur mes tempes et ils basculeront un interrupteur. Demain, je connaitrai une mort singulière, car pour nous, les Phalangistes, le destin réserve deux sortes de fin. Il y a d’abord la terminaison, l’achèvement normal de notre existence, au bout du contrat d’exploitation standard. Quarante cinq années révolues, terme où notre valeur nette comptable devient nulle. C’est une fin génétiquement programmée, sans souffrance et sans bruit. Un sommeil qui s’éternise, un réveil qui ne vient pas. Le drap se transforme en linceul que les services de maintenance débarrassent en silence lors des corvées matinales. Il y a aussi la mort en mission. C’est une fin glorieuse, pleine de fureur et de testostérone, avec un goût de cuivre dans la bouche. Une mort rare et précieuse. Elle est synonyme de postérité, immortalisée par une ligne gravée en lettres d’or sur le parement inférieur du Mur. Un nom, une date, la Communauté reconnaissante.

J’ai eu le droit d’exprimer ma dernière volonté, moi qui n’en ai jamais eu. J’ai simplement demandé à me confesser. Pour honorer une promesse. C’est la raison de votre présence cette nuit. Ils ont été étonnés. Pas vous, à ce que j’ai remarqué.

II


C’était un jour d’Ouverture. L’ouverture de la Porte, je veux dire. Je faisais partie de l’équipe Alpha assignée à la Porte MOLD-48.

Cette porte est située aux abords de Sanatauca, une modeste bourgade du raion de Soroca, à l’est de la Moldavie. Comment décrire cet endroit ? Un champ de foire où s’agglutinent les roulottes et les tentes des colporteurs et des forains attirés par le business et les magouilles ; deux poignées de rues commerçantes aux enseignes défraichies ; des dizaines de hangars, longs et bas, longeant une immense gare de triage encombrée de piles de conteneurs ; un coeur d’immeubles staliniens décrépis abritant les consulats, la représentation de l’ONU, les administrations communautaires et leurs familles ; sur une petite éminence, au milieu d’un jardin qui se prend pour une jungle, l’Hôtel Fédéral, dont la façade noircie par les fumées et les pluies acides pleure un faisceau de drapeaux aux couleurs fanées ; des faubourgs boueux et misérables qui se transforment en coupe-gorges dès que l’éclairage public est coupé. Un peu à l’écart, une immense aire de rétention, encerclée de barbelés et de miradors, est éclairée nuit et jour par une myriade de projecteurs de fort diamètre, divisée en zones correspondant à la destination finale de leurs occupants.

Là, des milliers de pauvres hères patientent jusqu’à ce que les redoutés fonctionnaires de l’Accueil, sanglés dans leurs uniformes noirs, n’arborant aucun insigne distinctif, aux manières cliniques et indifférentes, décident sans appel de leur sort.

Selon le sens de leur décision, les fonctionnaires apposent, à l’aide d’un pistolet à la bouche évasée, un cachet biochimique, indélébile et infalsifiable, à la base du cou de l’immigrant, attestant de son statut. Accepté ou refoulé. L’encre s’infiltre sous le derme jusqu’à envahir le système lymphatique et coloniser les ganglions. Aucun moyen de l’éradiquer ou de le masquer. Il ne s’efface qu’à la mort de son porteur. Une traçabilité infaillible, lisible à plusieurs kilomètres à l’aide d’équipements adaptés.

A quelque distance des barbelés, il y a une grande et lourde bâtisse qui a dû être une ancienne église orthodoxe, surchargée qu’elle est de dômes et de tours dont les couleurs, autrefois sans doute vives comme des glaces italiennes, sont à présent presque totalement effacées. Là, les ministres de nombreux cultes exercent bénévolement une activité oecuménique, essayant d’apporter un peu de charité et de chaleur humaine à leurs frères parqués derrière les barbelés. Ces hommes de bonne volonté ont peu de moyens, leurs ressources provenant uniquement des subsides versés par des organismes non gouvernementaux.

Enfin un régiment de l’Armée Communautaire y stationne pour garantir la pax europaea. Son quartier ressemble plutôt à un complexe touristique cinq étoiles, avec piscine chauffée sous les balcons et jacuzzi à tous les étages. Ces militaires sont là pour la frime. Ils sont tous fils de bonnes familles. Ils tuent le temps à monter des plans cul avec les filles esseulées des consulats ou avec celles qui vendent leurs services sous les lumières rouges. Et, quand le sexe ne suffit plus, ils organisent des parties de chasse illicites. Le gibier n’a pas beaucoup de chance. La nuit n’offre aucun refuge contre les équipements de vision nocturne et les caméras thermiques.

Ce régiment ne sert pas à grand-chose certes, mais le fait d’avoir servi deux ans sous les drapeaux bleus frappés des étoiles d’or fait bonne impression sur les curriculum vitae. Ils nous toisent de haut quand nous rentrons de patrouille au crépuscule. Leurs uniformes sont toujours impeccablement repassés, avec le nombre réglementaire de plis, et leurs bottes brillent en toutes circonstances. Les Phalangistes s’écartent respectueusement sur leur passage, réflexe pavlovien enraciné en nous depuis le plus jeune âge. J’ai eu du mal à imiter mes frères. Dociles et serviles pour les citoyens communautaires, nous défendons leur territoire, leur espace vital, au mépris de notre propre existence.

Je les ai longtemps observés, ces guerriers de pacotille, ces vétérans des guerres virtuelles, ces adolescents querelleurs. Comme mes frères je suis impitoyable, bien plus que vous ne pouvez l’imaginer, je le confesse. Mais est-ce notre faute ? Est-ce ma faute ? En ce qui me concerne, sans doute. Je suis à mi-chemin entre la bête et l’homme. Je n’ai donc aucune excuse. Ni d’un côté, ni de l’autre.

Ce matin-là, la Porte était ouverte, comme le prévoyaient les Accords de Genève. Une longue file d’immigrants s’allongeait sur le ruban de béton qui se perdait sous la lisière des arbres distants, après avoir franchi le pont enjambant le Dniestr, le fleuve séparant la Communauté Européenne du Royaume Byzantin d’Ukraine où régnaient le chaos et la guerre civile depuis que les troupes russes avaient déposé l’ancien gouvernement issu des urnes.

C’est alors que je la vis.

Une silhouette gracile, élancée, fragile. Quelque chose en elle attira mon intérêt. Quoi ? Je ne saurais dire. Elle était peut-être arrivée au bon moment. Une heureuse conjonction. Un châle de tissu couvrait sa tête et ses épaules. Ses vêtements avaient blanchi sous la poussière de ce pénible automne sec et chaud. Je ne peux pas dire que je voyais beaucoup d’elle mais c’était plus fort que moi, je ne la perdis pas de vue pendant qu’elle avançait vers la Porte, cheminant à coté d’une petite carriole tirée par une mule étique. Un singe minuscule s’agrippait à une ridelle et roulait de tous côtés des yeux curieux et malins. Comme si elle avait senti mon regard insistant braqué sur elle, elle leva les yeux vers moi.

Elle avait ce genre de visage qu’on n’oublie pas. C’est comme lorsque vous regardez le soleil. Vous avez beau fermer les paupières, il est toujours là, incrusté, plus brillant que jamais. Son visage me fit cette impression. Un ovale parfait, de hautes pommettes, des yeux en amande, une bouche aux lèvres pleines. Elle avait cette beauté troublante et suave des princesses égyptiennes ou des idoles assyriennes. Je ne vis pas la fatigue qui creusait ses traits, ni la crasse qui collait ses cheveux. Non. Ces détails étaient incongrus, futiles et superficiels. Elle m’apparut comme la déesse dans le sommeil du héros antique. A cet instant, elle me sourit fugitivement. Je ne vous mens pas. Elle me sourit et mon coeur battit plus vite, pour la première fois de ma vie.


Un clone de défense n’éprouve aucun sentiment. C’est la loi inscrite dans ses gènes. Pourtant moi, la parfaite machine de chair et de sang, en cet instant, je tombai amoureux. Des émotions inédites échauffèrent mes sens. Une veine palpita au creux de mon cou. Après que cette marée intérieure eut reflué, je restai désemparé. Comment faire ? J’avais lu beaucoup de livres. J’aurais pu disserter des pages entières sur les affres de l’amour. Cliniquement. Mais rien ne m’avait préparé à ce que je ressentis alors. Et surtout, je restai frappé de stupeur par la question qui fulgura dans mon esprit. Comment pourrait-elle m’aimer en retour et répondre à ce besoin qui était le mien ?

Alors que la confusion me submergeait, j’entendis une voix derrière moi. Une voix grave et rocailleuse. Une voix reconnaissable entre toutes. Celle du Roi Soleil, le commandant du troisième bataillon du Régiment Communautaire, un Apollon au casque d’or et au regard bleu azur, un Français au charme ravageur et à la morgue insupportable. Il arborait toujours à son doigt une lourde chevalière dont jamais il ne se séparait. Les mots qu’il prononça sotto-voce, sans faire plus attention à moi qu’à son chien, furent autant de coups de poignard qui transpercèrent mon coeur.

«Putain, cette houri finira dans mon lit ou je ne suis pas digne du nom que je porte ! » murmura Arnaud de la Tour de Perse.


III


Je l’ai cherchée, désespérant de ne jamais la revoir. Peu de temps s’était en fait écoulé mais le temps est différent quand il vous manque l’objet de vos désirs. J’ai consulté les fichiers du centre de rétention. Un jeu d’enfant quand on vous croit inoffensif et incapable d’agir de votre propre volonté. Il suffit de composer un masque d’indifférence souveraine et toutes les portes s’ouvrent devant vous. Demanderiez-vous à votre chien pourquoi il attend devant le coffre-fort de la chambre? Cela ne vous viendrait pas à l’esprit. Normal, les Phalangistes sont ce qui se rapproche le plus de l’animal domestique. Ainsi, j’ai pu pénétrer dans les bâtiments de l’Accueil. Les uniformes noirs ont sans doute pensé que j’obéissais à des ordres émanant d’une autorité légale. Ils ne me demandèrent rien. Mais elle ne figurait pas dans leurs bases de données.

L’ironie de l’histoire, c’est que je la retrouvai en exécutant réellement l'ordre d’un Superviseur, une sorte de marshal commercial, qui m’avait envoyé sur le champ de foire pour y dresser un procès-verbal dans le cadre d’un banal litige entre deux forains. Mon inconnue n’était pas une candidate à l’immigration. Non, elle était venue gagner quelques euros à la foire où elle avait installé un petit stand de chiromancie et de divination. Elle avait dressé une tente chamarrée où pendaient mille et un symboles occultes. Des étoiles, des lunes d’argent, pleines ou en quartiers, des têtes de morts en plastique et des osselets en faux ivoire, des pentacles, des runes et une foule d’autres symboles censés être magiques.

Elle attirait les hommes en jouant habilement de ses formes souples et gracieuses. En quelques claquements de doigts au-dessus de sa tête, elle leur promettait de dévoiler ce que l’avenir leur réservait. Sexe, argent ou pouvoir. A ces démons-là, aucun homme ne résiste très longtemps. Elle captivait l’attention des femmes d’un regard pénétrant. Elle connaissait la réponse à la question qu’elles se posent toutes, à un moment ou à un autre. M’aimera-t-il ? M’aime-t-il encore ? M’aimera-t-il toujours ? Pendant ce temps, juché sur son épaule, le petit singe effectuait moult galipettes et régalait la galerie de ses grimaces. Elle semblait être connue par les autres forains qui lui souriaient en passant, lui souhaitaient bonne fortune.

C’est ainsi que je connus enfin son nom. Elle s’appelait Argimpasa. J’ai vérifié son visa d’entrée. La fiche indiquait qu’elle était née à Nemyriv, une obscure ville ukrainienne. Elle avait vingt ans. J’en avais presque le double. Ralentissant mon pas, je la bus des yeux.

Elle était à la fois timide et provocante, insolente et charmeuse. Elle avait peigné ses longues boucles de feu sombre où, quand elle esquissait un pas de danse sauvage, le soleil rasant arrachait des reflets rougeoyants. Elle avait lavé son visage et un maquillage sophistiqué accentuait le mystère insondable de ses prunelles émeraude. Les hommes tournaient invariablement la tête quand ils passaient devant elle. J’ai vu des femmes houspiller vertement leur compagnon qui tardait à détacher ses regards de cette ensorceleuse. Elle, elle me vit sans me voir. Qui remarque un Phalangiste ? Qui remarque un chien qui trotte dans la poussière ?

Mais ma tâche ne pouvait attendre. A regret, je rebroussai chemin. Ne plus la voir fut une déchirure. Elle habita mes pensées tout au long du chemin. Je crois que je n’ai jamais autant ressemblé à mes frères que ce soir-là. Machinal et lointain. Rien ne m’importait sinon préserver son image dans ma mémoire. J’ai fait mon rapport. Le Superviseur me congédia d’un aboiement sec. Je retournai au baraquement.

Le sort réserve cependant bien des surprises quand les Dieux conspirent à notre perte, en riant de la pusillanimité des pauvres mortels que nous sommes !

Un peu plus tard dans la soirée, une émeute se déclencha après que les Accueillants eurent refusé un visa de regroupement familial prioritaire à plusieurs familles érythréennes, bien qu’appartenant à l’ethnie tigréenne - des chrétiens orthodoxes - en raison d’une évolution récente des textes réglementaires encadrant la politique d’immigration de la Communauté européenne. Les hommes s’étaient énervés et s’en étaient d’abord pris au mobilier administratif. Une réaction inappropriée d’un fonctionnaire trop zélé avait envenimé la situation. Le mouvement d’humeur s’était alors propagé à toutes les files d’attente. Le service d’ordre habituel s’était vite retrouvé débordé quand deux à trois cents personnes voulurent en découdre avec les représentants d’une Europe injuste. Ce genre d’évènement n’est pas si rare que ça, même si les médias les passent sous silence.

Ma section n’étant pas en faction sur le rempart, elle fut dépêchée, avec d’autres, pour rétablir l’ordre et le calme. Cela fait partie du boulot. Nous avons revêtu notre équipement anti-émeute et, au pas de course, nous avons rejoint la zone des troubles. L’arrivée d’une compagnie de Phalangistes, soit près de cent vingt clones, est toujours impressionnante. Nous avons été créés pour assurer la sécurité. Nos cottes de kevlar ressemblent à des armures médiévales annelées. Elles resplendissent d’un éclat d’argent mat, comme si un feu couvait sous un nuage de plomb. A notre ceinture pend le bâton de guerre, capable d’assommer ou de broyer et, s’il le faut, de frapper à distance ou de réduire en cendres. Nous nous sommes lentement déployés sur toute la largeur de la voie. Devant nous, à quelques centaines de mètres, les manifestants formaient une masse compacte et imposante. Ils brandissaient des planches, des morceaux de mobilier urbain, tout ce qui leur était tombé sous la main. Des poubelles brûlaient ainsi que quelques véhicules garés au mauvais endroit. Un bus de ville était renversé au milieu de la chaussée, sur lequel quelques énergumènes particulièrement excités, nous invitaient par geste, à les rejoindre. Un véhicule de commandement militaire s’arrêta juste derrière moi. L’officier de permanence et un autre personnage, un civil, en descendirent.

Dans mon oreillette, j’entendis enfin les consignes :

« A tous les chefs de section, ordre de les repousser vers le nord-ouest. D’autres unités ont été pré-positionnées pour éviter qu’ils ne s’égayent dans toutes les directions. A six cents mètres, il y a une place assez large où le dispositif principal a été mis en place. J’injecte le scénario de base. Trois... deux... top. »

La sensation familière de picotement m’envahit pendant que le transfert de données s’achevait. Le scénario était devenu un souvenir aussi précis qu’une leçon apprise par coeur. J’en connaissais tous les détails, les tactiques utilisées, les points de ralliement, les échelles de temps, la topographie et même le visage des principaux meneurs. C’était en fait bien plus qu’un souvenir. C’était réel et grisant.

Sans qu’aucun signal n’ait été donné, nous fîmes un pas en avant. Puis un autre. Derrière nous, une ligne de lourds véhicules s’ébranla, balayant la chaussée de leurs herses métalliques qui arrachaient des hurlements au bitume. A mi-chemin, nous dégainâmes nos bâtons.

Une volée d’objets hétéroclites s’abattit à quelques mètres de nous. Nous enclenchâmes nos champs péricorporels qui s’éveillèrent en crépitant. Juste à cet instant, une pierre ricocha à trois centimètres de mon visage. Je ne ressentis rien. Des jets d’eau à haute pression, passant par-dessus nos têtes, giflèrent violemment les premiers rangs des émeutiers, les déséquilibrant et les dispersant comme des quilles. Ils ne voulurent pas comprendre. Les opérations de maintien de l’ordre sont pour nous des jeux d’enfants. Mais la foule qui grondait s’obstina.

Alors nous arrivâmes au contact. Je maniai mon bâton comme un gourdin et je défonçai les cages thoraciques, je cassai les mâchoires, je brisai les tibias et les genoux de ceux qui ne décampaient pas, tous ceux qui osaient m’affronter. Je suis un Phalangiste. J’ai été créé pour ça. C’est ce que je fais de mieux. J’en tire une jouissance toute particulière. En l’espace de quelques minutes à peine, la colère de la foule s’était transformée en panique. Les manifestants fuyaient devant nous pour tenter d’échapper à nos coups. Le travail était bien fait. Nous, nous continuâmes de progresser de ce pas lent qui nous caractérise.

J’ai grimpé sur le bus vandalisé. Ils étaient une bonne douzaine à m’y attendre encore, de grands gaillards aux yeux fous, armés de barres de fer et de manches de pioche. J’ai balancé mon bâton et la danse a commencé. Une horloge intérieure a lancé un compte à rebours. La réalité s’est décomposée en scènes successives qui me raccrochaient encore à ce qui m’entourait. Ils n’eurent aucune chance. J’ai déboité une épaule en tordant un bras au-delà du possible pendant que ma botte plombée percutait la face d’un excité qui tomba à la renverse. Je crois qu’en cet instant, aucune partie de mon anatomie n’était en contact avec la carcasse du bus. Ils ne s’attendaient pas à ce que j’emploie des coups interdits, des coups portés pour tuer, des coups qui défigurent, des coups qui émasculent, des prises qui étranglent en un instant... L’horloge s’est arrêtée, j‘étais maître du bus renversé. Deux minutes s’étaient écoulées. Quelques corps étaient étendus autour de moi, immobiles à jamais. D’autres avaient chuté sur la chaussée mais ceux-là ne se relèveraient pas non plus. J’ai essuyé mon bâton et mes mains du sang et des autres matières qui les maculaient. J’ai sauté sur le bitume et j’ai rejoint mes frères.

Peut-être avez-vous déjà assisté à une scène comme celle-ci ? Des dizaines de jumeaux qui frappent en cadence et en silence, avançant d’un même pas lent et irrésistible. Même si ce genre de reportage ne passe pas dans les médias sans être sévèrement retouché.

Une heure après, l’opération était pratiquement achevée. Les derniers émeutiers étaient jetés de force dans des camions alignés le long de l’avenue bordant la place. Déjà des équipes d’agents municipaux s’affairaient à désencombrer les rues. Il n’était pas encore minuit. Une Jeep de commandement déboula à toute allure, faisant crisser ses pneus en négociant dangereusement le virage, alors que je m’escrimais à refermer le hayon arrière d’un transport de troupes. Pourquoi ai-je tourné la tête? Pourquoi a-t-il fallu que le faisceau de lumière du lampadaire frappât la vitre de la Jeep sous cet angle-là? Qui peut le dire ? Mais je vis s’y encadrer le visage d’une femme. Dans le regard émeraude se lisait la terreur pure. Puis ce visage disparut, happé en arrière par une main impitoyable. A cette main brillait une grosse chevalière.

IV


Je courus comme courent les Phalangistes. Comme courent les chiens. J’ai modifié ma respiration et abaissé le rythme de mes pulsations cardiaques. Je peux franchir de grandes distances à une allure très élevée. Bien qu’ayant perdu la Jeep de vue, je me doutais de sa destination. Il existait des raccourcis qui me feraient gagner un temps précieux.

La caserne ressemblait plus à une résidence de tourisme qu’à un quartier réglementaire. La garde en était confiée naturellement aux Phalangistes. Je m’approchai des deux sentinelles postées de part et d’autre du portail d’entrée.

« Je porte un message pour le Commandant de la Tour de Perse ! » dis-je d’un ton neutre et assuré.

Elles ne posèrent aucune question. La barrière fut levée et je pénétrai dans la caserne. Au bout d’une allée, les quartiers du 3ème bataillon formaient un fer à cheval autour d’une piscine qui jetait un éclat bleuté dans l’obscurité. Au dernier étage, à l’extrémité du bâtiment, l’appartement du commandant était éclairé et deux silhouettes se découpaient sur les rideaux tirés. Elles soutenaient une troisième forme, plus menue. Argimpasa. Je me suis précipité, avalant les escaliers quatre à quatre. En quelques secondes, je débouchai dans le couloir menant à la porte de l’officier français. A ce moment, celle-ci s’ouvrit et j’eus à peine le temps de me jeter dans un réduit technique d’où je vis un lieutenant hilare et aviné présenter ses respects au Roi Soleil pour prendre congé de lui.

« Je ne vous souhaite pas une bonne nuit, mon commandant. Je ne doute pas qu’elle sera plus que bonne, vous avez déniché là un joli petit lot. Et encore merci pour le Four Roses» dit-il en exhibant une bouteille de Bourbon.

Une marchandise de contrebande, les relations commerciales entre la Communauté Européenne et les Etats-Unis d’Amérique étaient glaciales depuis l’annexion du Mexique par les troupes américaines, sous le couvert opportuniste de la lutte contre les cartels de la drogue, dix ans auparavant. Le Bourbon, le Coca-Cola et les Mc Donald’s avaient été portés sur la liste des produits sous embargo. Comme dans toute prohibition, des filières parallèles approvisionnaient toujours celui qui pouvait payer ou celui qui avait des relations.

Le lieutenant passa en titubant devant moi et disparut dans l’escalier au bout du couloir. La porte du commandant s’était refermée. Je m’en approchai sans bruit. Verrouillée. J’ouvris doucement une baie donnant sur le jardin. Je me glissai au-dehors, prenant appui du bout des pieds sur l’étroite corniche qui courait le long de la façade de l’immeuble. La tache bleutée de la piscine miroitait sous moi. Je fis quelques mètres et me retrouvai sur le balcon du Roi Soleil. La porte fenêtre était grande ouverte et le rideau voletait dans le vent nocturne. Je jetai un bref coup d’oeil dans le salon. Personne. La moquette épaisse fut une précieuse alliée. Je parvins ainsi jusqu’à la porte de la chambre. Celle-ci était fermée mais un mince rai de lumière filtrait par dessous. Je collai mon oreille contre le bois et j’entendis alors un gémissement étouffé. D’un coup d’épaule, je fis sauter la porte hors de ses gonds et en un bond, j’étais devant un grand lit où je découvris une scène pitoyable.

Argimpasa était allongée sur le lit, ses vêtements défaits et ses mains attachées. Elle roulait des yeux effrayés, essayant d’échapper à l’étreinte du Roi Soleil qui l’écrasait de tout son poids, cherchant à mordre ses lèvres. Ses grosses paluches tentaient malhabilement de la déshabiller complètement tout en pétrissant ses seins dénudés. Le Roi Soleil soufflait lourdement, le désir concupiscent étalant ses couleurs malsaines sur son visage écarlate.

Il se redressa quand la porte explosa et l’incompréhension se peignit sur ses traits. Il ne comprenait pas la situation. Un Phalangiste ne peut pas faire ça. C’est hors de la logique et contre sa nature. Il me lança d’une voix pâteuse :

« Qu’est-ce que c’est ce bordel ? Qu’est-ce que tu fous là, toi ? » Il plaquait toujours une main sur la gorge d’Argimpasa.

« Lâchez-là, Commandant ! » répondis-je en avançant d’un pas.

Visiblement, le Roi Soleil essayait toujours de trouver un sens à ce qui dépassait son entendement. Il secouait la tête pour s’éclaircir les idées. Il avait beaucoup bu. Il transpirait et je notai le gonflement des petits vaisseaux sanguins dans ses yeux. Il était manifestement ivre mais il n’en était pas moins dangereux. La bouteille est souvent la maîtresse complaisante du militaire. Le Roi Soleil me fixait toujours sans relier ma présence avec ce qu’il se préparait à commettre. Je lui laissai encore une chance :

« Ecartez-vous d’elle, Commandant. Elle ne veut pas, vous voyez bien, elle ne veut pas. C’est un viol, Commandant, un viol puni par la loi et votre statut d’officier et votre famille, si puissante soit-elle, ne pourront pas vous aider. Vous croupirez dans les bas-fonds d’une forteresse sibérienne. C’est ce que vous voulez, Commandant ? »

Mes paroles eurent l’effet contraire à celui que je recherchais. Il poussa une série de jurons et il flanqua une gifle retentissante à la femme qui blêmissait sous la poigne qui l’étranglait. Il la frappa une nouvelle fois, de toutes ses forces, avec la main ornée de sa chevalière. Et encore une fois. Argimpasa hoqueta et ses yeux se révulsèrent quand elle perdit connaissance.

« C’est quoi ce cirque ? répéta-t-il. T’es un foutu clone et tu fais ce que je te dis de faire. Alors, je ne sais pas pourquoi tu déblatères ainsi mais... je... heu... t’ordonne de te mettre à disposition de l’officier de permanence, en attendant... heu... qu’on t’envoie au recyclage. T’as un défaut... heu.... Quasimodo, t’as un défaut de conception. Alors barre-toi ! Je vais faire ce que je veux de cette garce et après, je la refilerai à mes hommes. Aux vrais hommes ! Ce que tu n’es pas et ne seras jamais ! »

Il éructait, trouvant difficilement ses mots. Il s’échauffait, et il n’arrivait pas à déboutonner la sécurité de l’étui de son révolver. Il voulait faire trop de choses à la fois.

Il allait la frapper à nouveau. Ma main stoppa son geste sans effort. L’incrédulité remplaça l’incompréhension sur sa face rougeaude. La situation lui échappait totalement. Je lui tordis le bras et il poussa un vague grognement. L’alcool anesthésiait la douleur. Il aurait dû crier bien plus fort. Sans m’en rendre compte, je l’empoignai à bras le corps et je le repoussai loin de la jeune femme inconsciente, étendue sur le lit. Je n’avais pas vraiment retenu ma force. Il fut littéralement soulevé du sol et projeté contre le mur opposé qu’il heurta violemment. Sa nuque craqua sinistrement quand il retomba au sol, la tête la première. Je ne pensais pas... je ne voulais pas attenter ainsi à son existence. Cela n’avait duré qu’une poignée de secondes. Le silence s’était reformé. Aucune alarme ne se déclencha. Personne ne vint tambouriner à la porte d’entrée. Pas d’appel pressant. La nuit se poursuivait comme si rien ne s’était passé.

J’ai patienté quelques minutes. Aucune manifestation ne vint troubler la quiétude retrouvée de la chambre à coucher. Argimpasa était toujours évanouie, de vilaines ecchymoses meurtrissaient ses pommettes et un filet de sang perlait sous ses narines. Je l’ai prise dans mes bras. Elle était si légère. J’avais étreint d’autres femmes, celles qui avaient loué mes services pour des fonctions non expressément prévues par le cahier des charges initial. C’était à Paris. A Copenhague. A Berlin. A Rome aussi. Mais ce soir-là, c’était autrement différent. Elle m’importait. Je nourrissais pour elle ce que vous qualifieriez de sentiments. J’étais... amoureux. Un état parfaitement incongru pour un clone. Un autre monde. Vous voyez, même aujourd’hui, alors que l’histoire est écrite et qu’il est impossible d’en changer le moindre détail, je n’arrive toujours pas à verbaliser directement ce que je ressentais pour elle. Non, ce n’est pas exact. Ce que je ressens toujours pour elle.

J’ai réfléchi. Le monde et ses lois allaient se dresser contre moi. Un clone de défense, un Phalangiste, avait tué un officier des forces communautaires. C’était inédit. Un crime monstrueux. Même si, techniquement, il s’agissait d’un accident. Mon destin m’était indifférent mais je devais faire en sorte de la protéger. Elle constituait un témoin gênant. Un témoin qui pourrait flétrir la réputation d’une Maison influente du Parlement de Strasbourg. Le comte de la Tour de Perse comptait parmi les dignitaires de premier plan de l’oligarchie communautaire. Qu’était-elle ? Une bohémienne ukrainienne qui disait la bonne aventure sur un champ de foire. Il leur serait facile d’effacer toute trace de l’autorisation de séjour qui lui avait été accordée. Il leur serait alors très simple de faire disparaître discrètement un immigré illégal. Pas de charter de retour. Ils ne la renverraient pas d’où elle venait. Trop risqué. Les Européens préfèrent des situations nettes et stables. Comme le Rempart.

Je l’ai enveloppée dans le couvre-lit et, avec mille précautions, je suis ressorti sans encombre de la caserne. La lune décroissait dans le ciel. L’aube était encore assez loin. J’ai marché près d’une heure. J’ai atteint enfin les faubourgs. Devant moi, il semblait qu’une aube très localisée s’était déjà levée. Une lumière blafarde et peu naturelle. Le centre de rétention était proche. J'ai bifurqué sur la gauche. Sous le porche d’une grande bâtisse, à moitié plongée dans l’ombre, brillait une lampe toute simple. L’Eglise des Enfants Perdus. J’y trouverais de l’aide. Il le fallait. Là résidait mon seul espoir. Espoir, encore un mot inhabituel dans la bouche d’un clone. Un clone n’a pas d’espoir, un clone remplit une fonction. Mais moi, j’espérais changer les lois naturelles. Rappelez-vous, je suis un clone qui s’est réveillé trop tôt.

V


J’ai déposé délicatement Argimpasa sur le sol devant la porte d’entrée de l’église. J’ai donné doucement quelques coups discrets contre le chambranle de bois et j’allais m’esquiver pour ne pas répondre à des questions embarrassantes. Les religieux feraient d’eux-mêmes tous les rapprochements quand les médias diffuseraient leurs premiers bulletins matinaux. J’étais déjà au bas des marches quand une voix m’arrêta dans mon élan.

« Pourquoi disparaissez-vous ainsi, mon frère ? »

Il y avait quelqu’un, immobile de l’autre côté de la véranda et invisible dans l’ombre. Un moine s’approcha lentement et entra dans la lumière tremblotante. Il était presque aussi grand que moi. Il portait une soutane sombre et sa tête disparaissait sous la capuche qu’il avait abaissée. Je reconnus son ordre au tau qui se balançait sur sa poitrine et à la barbe qu’il portait courte. C’était un Franciscain, plus précisément un frère Capucin.

« Je voulais vous confier cette... femme. Elle a vécu une épreuve cruelle. Vous pouvez en voir les stigmates sur sa figure. Il faut qu’elle bénéficie de votre protection. Elle court un grand danger. Elle risque sa vie si vous ne faites rien ! »

Je ne sais pas pourquoi je lui ai dit ça. Un besoin irrépressible de partager un fardeau. Un besoin impérieux de parler enfin sans utiliser le jargon des Phalangistes. Un sorte de catharsis après toutes ces années à brider ma véritable nature, à me fondre dans le collectif anonyme de mes frères, à enfouir profondément en moi c e que je suis vraiment. Il avait fallu cet extraordinaire enchaînement de circonstances pour que les vannes libèrent enfin le torrent d’eaux libres. Et puis j’avais lu les textes sacrés de nombreuses croyances. Inconsciemment, j’avais dû me convaincre qu’il y avait forcément un fond de vérité dans toutes ces belles paroles. Sans doute.

Il ne dit rien sur l’instant, laissant mes paroles se dissiper peu à peu dans l’air frais de l’aube qui s’approchait. Il croisa ses mains devant lui et m’observa attentivement. Je pouvais sentir son regard plonger en moi, essayant de démêler le vrai du faux. Au bout d’interminables secondes, il soupira longuement :

« C’est très dangereux. Je veux dire, ce que vous avez fait, mon frère ! »

Comment pouvait-il m’appeler son frère, alors qu’il ne pouvait pas ne pas voir à qui il s’adressait ! Il a dû lire mon scepticisme sur mon visage.

« Je sais bien qui vous êtes, mon frère ! Vous êtes un clone de défense, un Phalangiste, capable d’obéir à tous les ordres donnés par vos chefs. Oui, je sais exactement qui vous êtes, mon frère ! »

« Et cela ne vous offusque pas ? »

« Tu es une brebis égarée du grand troupeau que conduit le berger, mon frère. Tu es fait de chair et de sang, comme tous les autres hommes, comme moi. Je ne juge pas. Mon ordre a toujours été du côté des plus pauvres, des plus déshérités, des plus ostracisés ! Mais, vois-tu, ces paroles ne peuvent toucher que celui qui est prêt à les entendre! Tes frères ne les comprendraient pas. Toi, en venant ici, en accomplissant cet acte de grâce, tu prouves que tu es plus près de Dieu que bon nombre de citoyens soi-disant respectables de cette contrée. Alors, c’est une grande joie pour moi de t’appeler mon frère, car cela signifie qu’il y a encore de l’espoir dans les ténèbres qui s’étendent de plus en plus! »

Je ne répondis pas, trop bouleversé par cette reconnaissance librement offerte. Je détournai le regard, alerté par la jeune femme qui semblait recouvrer ses esprits.

« Elle a failli être violée par un officier supérieur de la caserne. Je l’ai secourue in extremis mais ses jours sont comptés si elle tombe entre les pattes de la police militaire. Pouvez-vous faire ça ? Je veux dire, la cacher quelques jours, quelques semaines et puis lui faire retraverser la Porte ? »

Il a hoché la tête. Je me doutais bien que l’Eglise des Enfants Perdus possédait des moyens discrets d’intervention. Cela transparaissait dans les rapports de plusieurs missions d’inspection enquêtant sur des disparitions inexpliqués de fugitifs recherchés. Aucune preuve ne permettait d’étayer ces allusions mais il fallait savoir lire entre les lignes pour se rendre compte de la fureur des rédacteurs qui soupçonnaient des filières parfaitement organisées. L’Eglise des Enfants Perdus était visiblement très pauvre. Je pense qu’elle ressemble à un iceberg. On n’en voit que la partie qui flotte au-dessus de l’eau. C’est une toute petite partie de ce qu’elle est, à mon avis.

Je m’agenouillai près d’Argimpasa qui ouvrait des yeux hésitants. Je lui souris en prenant ses mains dans les miennes. J’étais tellement heureux. Elle était vivante et c’était tout ce qui importait. Tout pouvait m’arriver pourvu qu’elle soit saine et sauve.

Mais elle arrondit sa bouche, se préparant à hurler. Une peur primale envahit à nouveau ses beaux yeux émeraude. Je lui plaquai la main sur la bouche. Elle se débattit en tendant ses bras vers le Capucin. Je lui faisais horreur. Pourquoi ? Ne m’avait-elle pas souri, là-bas sur le rempart ? Je compris bien trop tard. Elle ne m’avait pas souri. Non, elle avait souri à lui. Au Roi Soleil. Quelle ironie ! Le sang cogna fort contre mes tempes. Argimpasa se débattait de plus en plus et je serrai d’autant plus fort. Elle ne m’aimait pas. Elle voyait en moi le clone, la machine humaine. Elle ne m’aimait pas. Elle ne m’aimerait jamais !

Je sentis une main sur mon épaule. Le Capucin dit doucement à mon oreille :

« Mon frère, libère-là, j’en prendrai grand soin, je te le promets. Elle ne sait pas. Elle ne comprend pas. Tu lui fais mal. Tu ne veux pas lui faire de mal, n’est-ce pas ? Tu n’es pas comme eux, rappelle-toi. Tu n’es pas comme eux, même s’ils ont écrit leurs routines dans ton ADN. Tu es bien plus que ça. Bien plus que la somme d’expériences de laboratoire. Mon frère, libère-là. Regarde, elle se calme. Elle ne criera pas, n’est-ce pas ?

Argimpasa acquiesça en le fixant éperdument, lui, pas moi. Je retirai la main de sa bouche et elle se réfugia dans les bras du moine. Il lui caressa les cheveux et me dit :

« Je lui expliquerai, je lui dirai le rôle que tu as joué. Elle te remerciera, à sa façon. Pars à présent, regarde, l’aube se prépare. Je ne peux vous sauver tous les deux. Ils vont te rechercher en priorité. Tu apparais sur tous les enregistrements. As-tu compris ce que j’essaie de te dire ? Tu as une petite chance d’éviter l’oblitération immédiate. Ils voudront en savoir plus sur toi. Ta nature est différente. Tu resteras en vie plus longtemps. Comprends-tu ? »

Il disait vrai, je dus le reconnaître. Il ne me restait plus qu’une seule option. J’allais la tenter. Il m’arrêta à nouveau :

« Attends-moi, je vais la confier à d’autres frères à l’intérieur et je reviens. J’en ai pour une minute ! »

Ils s’engouffrèrent dans l’église et il tint parole. Il revint rapidement.

« Je ne voulais pas te laisser partir avant de te donner une accolade fraternelle. J’espère que la chaleur d’un seul compensera la rigueur de tous les autres ! »

Il m’étreignit longuement et avant que nous nous écartions l’un de l’autre, il murmura : « Tu n’es pas le seul, mon frère. Et je suis ton frère bien plus que tu ne le crois ! »

Il retroussa la manche de soutane et là, dans la saignée du coude, il y a avait, presque effacée par le temps, une série de caractères, comme celle qui est tatouée sur tous les clones dès leur sortie des Moules.

« Je m’appelle à présent Lazare ! Souviens-toi de moi quand tu seras loin d’ici. Souviens-toi de moi et espère. Le monde peut changer. Vois, il peut réellement changer ! »

Je fus abasourdi par cette révélation. Frère Lazare était un clone, comme moi. Alors, il y en avait d’autres qui s'étaient réveillés prématurément. D’autres qui vivaient sous un déguisement. Aussi, quand les enquêteurs fédéraux, escortés par des clones de la Sécurité d’Etat, plus impressionnants, plus grands, dotés de redoutables pouvoirs de destruction, vinrent m’arrêter au crépuscule de la journée qui venait de commencer, je ne me débattis pas. Ils m’entrainèrent vers l’Ouest où ils me jetèrent dans un cachot d’une forteresse de La Haye.

Voilà, vous connaissez mon histoire. Ma triste histoire. Je voulais un confesseur Franciscain pour qu’il me donne une dernière accolade fraternelle et pour que mon histoire ne soit pas perdue à jamais. Non, s’il vous plaît, ne retroussez pas votre manche, j’ai compris. J’ai compris bien avant que vous n’y pensiez.


M

(*) Henri MICHAUX. " Ecce homo " (Exorcismes)

Ce message a été lu 6015 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-12-03 23:14:39 

 WA, exercice n°125, participationDétails
Le coffret



Je me souviens très bien de la première fois que je l’ai vu : c’était le 12 octobre. La mère Mangin venait de me donner mon préavis parce que je lui avais dit une connerie du genre « ça va, lâchez-moi ». Alors pour le coup, elle m’avait lâché, trop contente ! La saison n’avait pas été bonne, et les touristes se faisaient de plus en plus rares, même le week-end. Dégraisser, pour elle, c’était l’aubaine. L’hiver, à Narbonne, c’est le désert. J’étais sorti en terrasse pour m’en griller une, il fallait que je me calme ou je lui en aurais collé deux. Pointer à l’ANPE, ça ne me disait rien, il allait falloir que je trouve autre chose fissa ; au pire, je pourrais tenter ma chance dans une station de ski, Portet, les Angles ou Formiguères. Sauf que je déteste le froid et la neige...
Il avançait à petits pas sur le front de mer en s’appuyant sur sa canne. Un petit vieux d’au moins quatre-vingts ans, avec le nez en l’air et un sourire de gosse. Sur le banc, juste en face du restaurant, il y avait une nana, pas un canon, une fille ordinaire avec une mini-jupe en jeans et des collants noirs. Elle pleurait à gros sanglots en serrant son Kleenex contre sa bouche, sans doute pour ne pas crier. Elle avait dû se faire larguer ou je ne sais pas, mais elle se fichait pas mal qu’on la voit comme ça. Le vieux s’est assis à côté d’elle, avec son sourire béat, et il a engagé la conversation. J’ai surveillé. S’il l’avait emmerdée, j’y serais allé. J’aime pas les vieux cochons, et la meuf elle avait déjà assez de galère. Il a ouvert un petit coffret tout en longueur et il lui a montré le contenu. J’ai failli bondir, si c’était du porno je trouvais ça vraiment dégueulasse. Mais, alors que j’écrasais ma clope et m’apprêtais à traverser la rue, j’ai vu la fille sourire à travers ses larmes. Ils se sont parlé encore un peu, et puis elle l’a embrassé sur les deux joues et elle est partie ; elle ne pleurait plus, elle regardait le ciel, elle regardait la mer, et son pas était léger.
J’ai pas compris grand-chose mais j’avais rien à redire. Je suis rentré bosser, la journée était pas finie.



Bien sûr que j’y ai pas repensé. Il s’était rien passé. Et j’avais assez de mes propres merdes. J’ai quitté le restaurant, le chèque en poche. Sûrement le dernier avant longtemps. Je m’en souviens, il était quinze heures. Le petit soleil pâle faisait de son mieux, mais le Cers soufflait comme un taré, et il faisait froid. Côté mer, ça moutonnait et ça ronflait et ça se fracassait sur la plage déserte avec une rage évidente. Je n’ai jamais compris cette violence des éléments. Le vent qui s’acharne à arracher les tuiles et à abattre les arbres. Le gel qui pétrifie et assassine. La tempête qui noie les marins. A quoi ça sert ? Qu’est-ce que ça veut prouver ? Qu’on est tout petits et impuissants ? Ca, merci, trente ans et chômeur, je le sais déjà. Je suis un con, je ne sais rien faire, je suis pas fichu de garder un boulot, et j’ai même pas une belle gueule. Mes parents viticulteurs tirent le diable par la queue depuis toujours. Je vais surtout pas leur dire. Ma mère se ferait du mouron, mon père froncerait son front ridé par le soleil et me proposerait de travailler avec lui. Mais j’ai jamais aimé marcher dans la terre. Et puis il a mon frère pour l’aider, le petit merdeux toujours d’accord avec papa, lèche-cul ! Il n’a pas besoin de moi. Il n’a jamais apprécié que je dise ce que je pense, et que je fasse ce qui me semble bon. Quant à l’Aînée, la sainte nitouche, la Catho du Secours, elle me ferait la morale avant de me faire la charité ; elle me reprocherait mes clopes, mon célibat, mes mauvaises notes à l’école et tout le reste. Elle est confite dans ses bondieuseries, tricote des écharpes pour ses pauvres ( seulement s’ils sont blancs, hein, les autres n’ont qu’à rentrer chez eux), elle n’a jamais été jeune, et probablement jamais joui. Ah, mais elle a procréé, elle ! Cinq marmots, tous enfants de choeur, qui mangent du poisson le vendredi, font carême pendant quarante jours, vont demander pardon à confesse pour avoir rêvé d’une tablette de chocolat, et caftent sans remords quand Ali ou Mamadou dessinent une bite sur le tableau noir...
Donc je marchais, le chèque en poche, et ça ne me plaisait pas. Mais retourner m’enfermer dans mon studio ça m’étouffait déjà. Et aller me soûler la gueule ne me disait rien non plus. Pas d’argent à gaspiller.
Longer cette mer déchaînée en grelottant dans ma veste légère, c’était juste un défi. Même pas peur. Même pas froid. Je suis un homme libre. Je me battrai. Un jour, il y aura de la moquette épaisse, du champagne et une Porsche. Ouais, parce que j’aurai acheté une Porsche, cash. On m’appellera monsieur et on m’écoutera parler. Je confierai ma petite merveille au voiturier, avec un joli pourboire, et j’allumerai mes cigares avec un billet de 100. Ouais bon, 50 ça suffit. Mais je serai tellement riche que même 100 ça serait pas un drame. J’aurai des pompes sur mesure, des pulls en cashmere et une villa tellement grande qu’il me faudra trois femmes de ménage. Et un majordome, anglais, bien entendu. James, mon parapluie. J’aurai un parapluie. Un para...
Cette seule idée me déclencha un fou rire qui me tordit en deux, me fit mal au ventre, me fit pleurer un peu et me réchauffa beaucoup. Je ne savais peut-être rien faire, mais au moins j’avais de l’humour. C’est alors que je le revis.
Le même bonhomme, toujours aussi vieux, avec sa canne et son petit coffret, assis en plein vent sur le front de mer, et souriant comme un gamin devant un gâteau au chocolat. Il était en grande conversation avec un clodo, une de ces loques humaines que je chasse quand ils viennent faire la manche en terrasse. Je frissonnai, et je croisai les doigts. Si je ne pouvais plus payer mon loyer... Ce qui me frappa, c’est que l’homme avait des étoiles dans les yeux, comme s’il avait gagné le gros lot d’ Euro Millions. Il regardait le contenu du coffret, et il avait l’air heureux. C’était un coffret rectangulaire, en bois, d’un marron tirant sur le rouge. J’ai jamais rien compris aux couleurs. Ni aux bois. Quand j’arrivai à sa hauteur, le vieil homme, celui qui tenait le coffret, leva les yeux vers moi et me sourit. Je détournai les yeux. Je n’avais rien à lui dire.



La troisième fois, j’essayais de me vendre dans tous les bars et restaurants de la ville. Je venais d’essuyer un énième refus quand je le vis marchant devant moi, les jambes raides et le nez au ciel. Pourquoi je décidai de le suivre, je n’en sais rien. Mais je le suivis, ralentissant mon pas, faisant semblant de m’intéresser aux vitrines des magasins pour perdre du temps quand j’avais marché trop vite, sans le lâcher des yeux. C’était idiot. Déjà trois cafés où j’aurais pu essayer... Mais c’était plus fort que moi. Il traversa le jardin Saint Paul et je lui emboitai le pas. Au détour d’une allée, il y avait un crétin d’ado long sur pattes, la barbe naissante et la gueule farcie de boutons qui cognait sur un pauvre moineau qui n’avait peut-être pas dix ans ; le gosse mettait juste un bras devant lui pour se protéger le visage, sans moufter, sans se défendre. Les coups, il devait avoir l’habitude.
J’aurais juré qu’il allait chasser le voyou à grands coups de canne et parler au petit. Au lieu de ça, il tira le grand par la manche et sans cesser de sourire alors qu’un bras vengeur était tout près de le casser en deux, il ouvrit son coffret et murmura d’une voix douce :
« Viens donc t’asseoir un peu avec moi, mon garçon. Je suis un peu fatigué. »
Le petit détala, le grand baissa le nez et suivit le vieillard. Je fis mine de relacer ma chaussure, puis j’allumai une cigarette pour me donner une contenance, et je m’assis non loin d’eux en regardant le ciel. Mais j’écoutais... et j’épiais du coin de l’oeil. Le garçon regardait le sol, puis le coffret. Puis le vieil homme, puis le coffret, et puis plus rien que le coffret. L’aïeul parlait à voix basse ! J’enrageais de n’entendre que des mots épars, au gré du vent tourbillonnant qui soulevait les feuilles mortes et me jetait de la poussière au visage.
« ... pas un méchant garçon... L’espoir est une lumière... route... confiance... avenir... »
Le vieil homme lui serra le bras amicalement, referma le coffret et s’en alla. L’ado se leva, mal assuré sur ses grandes jambes. Une cannette traînait par terre. Il la ramassa, la déposa dans la poubelle la plus proche. Puis je le vis aborder une vieille femme chargée de lourds paquets, et les porter à sa place en souriant.
C’était une histoire de fous. « L’espoir est une lumière », on faisait pas mieux comme cliché à la con. Et puis un ado c’est impressionnable, ça se laisse avoir facilement. Le vieux était un beau parleur, voilà tout.
Et puis tout ça c’était pas mes oignons, moi il fallait juste que je trouve du boulot.



La semaine d’après, je me suis enfin décidé à rouler jusqu’à Carcassonne pour tenter ma chance. Pas par l’autoroute, hein, le temps c’est de l’argent, mais si j’avais du temps en trop, j’avais de moins en moins d’argent.
Et qui je vois là, au bord de la route, le pouce en l’air, avec son coffret sous le bras?
« Vous allez où ?
- A Carcassonne.
- OK. Montez. »
Il s’installe en souriant, me remercie. S’il avait été un chat, je l’aurais entendu ronronner. J’éteins la radio, en plein Toulouse /Clermont.
« Vous avez suivi le match ?
- Le match ?
- Au Stadium. On reçoit Clermont. C’est une bonne équipe, propre, régulière... avec les trois C ! Le petit Parra est formidable, et si Mac Allister n’est pas dans un bon jour... »
Je rallume la radio. Ca m’évitera la conversation. Il ne me fera pas son baratin, et même s’il essaie, j’aurai démarré sur le rugby bien avant qu’il ne s’aperçoive que je n’en veux pas. Je ne sais pas pourquoi je suis énervé. Non, pas énervé. Nerveux. Stressé. Par un vieillard à la con avec sa connerie de coffret et ses conneries de laïus pour les faibles et les opprimés... OK, et les agresseurs aussi. Mais ado.
Voilà, c’est bon, on est arrivés et Toulouse est en train de gagner, juste une pénalité de plus... et le drop !
« Ouais ! », hurle le vieux, qui me fait sursauter.
« Vous aimez le rugby ?
- J’aime bien. Il y a de braves gens, qui ont encore des valeurs. Pas vous ?
- Si si... »
On entre dans Carcassonne.
« Je vous dépose où ?
- Je vais à la Cité. J’ai rendez-vous avec un ami. Mais je peux marcher. »
Je regarde sa canne.
« Non, ça va, j’y vais aussi. »
Je me gare sur le parking. En arrivant au pied des remparts, il y a un mec en jeans et blouson qui hurle en touchant la pierre.
« Look ! Touch ! Amazing ! It’s true ! »
Ses trois amis le rejoignent, l’une des filles sort son appareil photo, ils s’extasient.
« Oui, c’est du vrai, ce n’est pas du carton, on n’est pas à Hollywood ! Les premiers remparts ont été construits au III° siècle par les Wisig_o_t_hs, sur des ruines gallo-romaines, la deuxième ligne au XIII°. La Cité compte 42 tours, une cathédrale, un château...
- Fantastic ! »
Le gars m’abreuve d’un discours torrentiel en pur texan, avec un accent à couper au couteau de chasse et la moitié des mots dévorés comme des T-bones. Ca me rappelle Judy, ma copine du collège, américaine pur jus, une drôle de nana, vive comme une alouette et piquante comme un hérisson, qui mouchait régulièrement la prof d’anglais avec un grand sourire enjôleur. Tout le monde l’admirait, mais c’était ma copine. Du coup je cartonnais en anglais, et ça sauvait ma moyenne. Je n’aurais jamais imaginé que j’étais doué pour les langues, mais Judy prenait un air très sérieux pour me dire que c’était normal puisque, comme elle, j’étais bilingue depuis toujours.
« Je ne suis pas bilingue ! Je parle patois !
- Et alors ? L’occitan, c’est une langue ! »
Je l’adorais quand elle me regardait comme ça, quand elle sortait les griffes pour me défendre... C’était la première fois que j’avais l’impression de valoir quelque chose. Je n’ai pas repensé à elle depuis bien longtemps. Quand elle est repartie aux USA, j’ai vraiment été malheureux. Paumé. Et après, l’école, c’était plus ça.




J’arrive quand même à me débarrasser des touristes et avec le vieux on monte dans la petite rue bordée des deux côtés par des boutiques de souvenirs.
« Je vous offre un café ?
- C’est bon, vous dérangez pas...
- Oh, une bière, si vous voulez. »
Une bière. Après tout... Le souvenir de Judy m’a collé le bourdon.
Il ne fait pas trop froid, il y a même un peu de soleil. On s’installe en terrasse. Ca me fait drôle de me faire servir. La fille est pas rapide, elle se trompe dans les commandes...
« Vous feriez mieux, n’est-ce pas ? »
J’ai pensé tout haut, ou quoi ?
« Je vous ai vu souvent, en passant devant le restaurant. Mais je ne savais pas que vous parliez si bien l’anglais. Vous pourriez être guide touristique, ou interprète... »
Son regard se pose sur ma main gauche, qui est ouverte sur la table puisque je suis, comme d’habitude, assis de travers sur ma chaise et appuyé sur le coude.
« Vous jouez de la guitare ? »
Il rit, et avale une gorgée de bière.
« Non, je ne suis pas devin. Les ongles longs à la main droite, et les cals sur le bout des doigts à gauche... Je me trompe ?
- OK, je gratte un peu.
- Donc vous savez faire beaucoup de choses ! »
Je hausse les épaules.
« Je suis chômeur.
- Aujourd’hui. »
J’allume une cigarette.
« Il y a quoi dans votre coffret ? »
Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. Ca doit être la bière, j’ai baissé ma garde. Le vieux esquisse un sourire gêné, presque contrarié.
« Oh, rien. Ca ne vous plairait pas. C’est juste un dessin, fait par un de mes amis.
- Je peux le voir ?
- Je vous l’ai dit... vous n’aimerez pas... »
Je sens la colère qui monte.
« Mais enfin, vous le montrez à tout le monde ! Pourquoi pas à moi ? Qu’est-ce que j’ai de moins que les autres ?
- Rien de moins », murmure-t-il en ouvrant le coffret vers moi. « Vous avez plutôt plus. »



C’est une miniature toute en longueur. La première chose que je vois, dans un ciel bleu marine constellé d’étoiles, c’est une énorme boule de lumière jaune – une comète, en fait, avec une queue, qui court de gauche à droite, tellement vite que son bout devient flou. Les étoiles entourées d’un léger halo suggèrent qu’il fait froid. D’ailleurs le sol est couvert de neige. C’est l’hiver. Au centre, occupant presque tout le dessin, se tient une citadelle fortifiée, presque aussi blanche que la neige, hormis les ombres légères que la lumière intense dessine. Ce château-là n’a rien d’agressif, il est tout en douceur, tout en rondeurs, on le dirait sorti d’un conte de fées. Trois tours au toit bleu turquoise en émergent. Celle de droite est ronde, avec une flèche effilée. Près d’elle, un dôme surmonté d’une petite tour carrée au toit pointu donne un côté exotique. On n’a pas de ça chez nous ! La dernière tour est carrée, et séparée du dôme par un bâtiment rectangulaire. L’asymétrie est plaisante, je ne sais pas pourquoi, ça donne l’idée que tout ça s’est construit petit à petit, naturellement, sans contrainte. Sur le chemin enneigé qui monte vers la ville, sur la droite, avance une petite caravane de chameaux. Trois chameaux. Trois hommes, vêtus de rouge et de bleu, escortés de serviteurs à pied, qui portent des sacs sur l’épaule. La porte n’est plus qu’à quelques mètres. Guidés par l’étrange comète qui éclaire comme en plein jour, ils sont presque arrivés. Ce sont les rois-mages, j’en suis sûr, même si je suis pas trop doué en religion. Je ne me souviens plus de leurs noms, et je m’en fiche. Ce sont des voyageurs qui ont atteint leur but. Ils n’ont plus d’impatience, ils n’ont plus de fatigue. Ils baignent dans la joie d’une lumière pure. Je crois que c’est une aquarelle. C’est à la fois précis et flou. C’est peint avec une délicatesse presque féminine, ça se veut gentil, ça se veut tendre. Même la nuit profonde n’est pas noire, elle est juste bleue comme un océan. On entend le silence tranquille de la neige sur la nuit, et la paix dans le coeur de ces hommes partis du bout du monde pour suivre une chimère lumineuse. Dieu et moi on s’est jamais trop parlé. Mais tiens, ça doit être bien d’y croire, si c’est comme sur le dessin. Poser ses valises, faire confiance à un Etre de Bonté et ne plus jamais avoir peur. Etrange magie de cette miniature ! On a envie de sourire, de traverser le papier, de crier : « Attendez-moi ! Je viens avec vous ! Moi aussi je suis fatigué, moi aussi j’ai beaucoup voyagé, moi aussi je veux arriver quelque part et me réjouir avec vous ! »
On ne peut pas rester au dehors. L’image vous prend et vous garde, en même temps qu’elle se donne tout entière. Quand on l’a vue une fois, on l’emporte partout avec soi. Je suis sûr qu’à mon dernier jour elle sera toujours présente à ma mémoire.
Je n’ai plus de colère, et je n’ai pas envie de me moquer. Mon sourire fait écho à celui du vieux. Il ne dit rien. Il sait que ça n’est pas nécessaire. Il sait qu’il peut refermer le coffret.
Il se lève, me touche le bras.
« Bonne route, mon ami. »
Un instant perdu dans mon rêve, je me retourne pour lui dire que je peux le ramener à Narbonne, mais il a disparu. Il n’y a qu’une chope sur la table, et la monnaie sur le ticket de caisse. J’attrape la serveuse, je lui demande si elle a déjà débarrassé l’autre verre, celui de mon ami. Elle me regarde comme une grosse vache.
« Quel ami ? Je vous ai servi une bière. »
Elle est vraiment stupide !
Il faut que je le retrouve. Je me fraye un chemin parmi les badauds, marchant d’abord, courant ensuite, mais je ne le trouve pas. C’est impossible ! Il marche à petits pas, en s’appuyant sur une canne...
Sur le haut de la Cité, je bouscule une serveuse devant sa terrasse. Le café gicle sur mon blouson. Je m’excuse, elle s’excuse. Ses yeux sont d’un vert intense.
« Hé bé, je vous ai repeint ! Venez donc vous laver un peu, ou votre femme va vous faire une scène... »
J’ai encore du mal à parler, je suis toujours à Bethléem sur un chemin neigeux qui mène à une blanche citadelle. Je la suis. Ca s’appelle « L’Ostal ». Elle me mène derrière le comptoir et humecte un coin de torchon.
« Votre commande... »
Elle hoche la tête, relance le perco, tandis que je frotte les taches.
Le patron, juste à côté, est au téléphone.
« Tu es sûr que tu peux pas ? Mais non, je te dis que Jean-Louis m’a laissé tomber ! Eh non, ça peut pas attendre un mois ! Les gens viennent pour ça ! Et tu aurais pas un copain qui chantonnerait un peu avec une gratte ? J’ai pas besoin de Jimi Hendrix ni de la Callas ! Juste un gars qui saurait trois ou quatre accords et un peu de Brassens... »
Ca fait tilt à mon oreille.
« Excusez-moi... Je vous ai entendu... »
Dans l’arrière-salle, me voilà en train d’accorder un instrument miteux qui a sûrement fait trois guerres, tandis que la moustache du patron frémit d’impatience.
« En ce temps-là je vivais dans la lune
Les plaisirs d’ici-bas m’étaient tous défendus... »
Le patron sourit.
« Brave Margot ?
- Margoton la jeune bergère trouvant dans l’herbe un petit chat...
- La chasse aux papillons ?
- Un bon petit diable à la fleur de l’âge... »
Je récite, je récite. Presque une heure.
« Tu commences demain. Le dimanche c’est payé double. Repos le lundi, on ferme. »
La jolie blonde entrouvre ses lèvres de framboises mûres.
« Il y a des chambres en haut, si tu veux, au moins pour commencer. Et on mange tous ensemble. Mon père il est pas bavard, mais quand il dit, il fait. »




Le soir est tombé sur Carcassonne. Je n’ai pas retrouvé le vieux. Mais j’ai comme l’impression de voir une immense lumière dans le ciel, qui me remplit de joie. Je n’ai pas besoin de radio pour le retour. J’entends le crissement des pas dans la neige, je vois des flocons qui tourbillonnent... Eh, c’est pour de vrai ! Rien, juste quelques flocons qui fondent en touchant le sol. Dans la lueur des phares, chacun d’eux est une petite boule de lumière qui danse joyeusement. Tiens, je crois que je vais me mettre à aimer la neige.
Et pourquoi pas?
Narwa Roquen, je chante soir et matin...

Ce message a été lu 5644 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-12-10 23:37:04 

 Commentaire Maedhros, exercice n°125Détails
Tout commence par un Mur ; l’hiver viendrait-il ? Et sur ce Mur un soldat, qui lui aussi protège ses maîtres des infâmes créatures de l’au-delà du Mur. Mais la ressemblance s’arrête là. Ici les monstres sont à l’intérieur, et au dehors il n’y a que de pauvres gens.
J’ai adoré, comme si souvent, l’aspect géopolitique à la fois imaginatif et cohérent. Je suis restée scotchée, comme si souvent, par ton vocabulaire en matière de structures et techniques version SF. Mention spéciale pour les 2 paragraphes « je ne sais pas pourquoi je suis différent », et le suivant « mon cas est spécial », qui fait écho au débat actuel sur le statut juridique des animaux. Dans le cas présent la question est encore plus poignante puisque, même s’ils sont traités comme des animaux, les clones humanoïdes ont parfois des comportements humains, donc ... imparfaits... Ce qui soulève les grandes questions auxquelles nos descendants auront peut-être à répondre un jour : qu’est-ce que l’humanité ? Quelles sont ses limites ? Et j’y aurais bien ajouté : quel est son sens ?
Voilà de quoi passer de longues nuits d’hiver à refaire le monde autour d’un feu de bois...


Bricoles :
- Deux rangées de clôtures grillagées : clôture grillagée
- Accents circonflexes : paraît ( x2), connaîtrai, défraîchies
- C’est amplement suffisamment : suffisant
- Quelques fois : quelquefois
- Je ne boîte pas : une boîte, boiter
- Un goût du cuivre : le goût du, ou un goût de...
- Elle m’a souri et mon coeur battit plus vite : concordance des temps
- Cela ne vous viendrait pas l’esprit : à
- Un ordre d’un Superviseur : l’ordre
- Symboles sensés être magiques : censés
- Lui souriaient, lui souhaitait : souhaitaient
- Des jets d’eau... gifla : giflèrent
- Qu’est-ce que c’est de bordel : ce
- J’atteignis enfin les faubourgs : tu as commencé le paragraphe, comme le précédent, au passé composé. Donc « j’ai atteint » et « j’ai bifurqué »
- Cela signifie qu’il y encore a : inversion



L’intrigue est délicieusement romantique. Quelques grammes de douceur dans un monde de brutes... Un amour impossible et oblatif sur fond de cruauté et d’injustice... La trouvaille des Capucins vaut son pesant d’or. Elle transforme une histoire froide et violente en message d’espoir et d’humanité...
Je trouve ce texte très shakespearien. Quand le rideau tombe, le silence qui suit c’est encore du Maedhros... Clap clap clap !
Narwa Roquen, toujours fan!

Ce message a été lu 5776 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2014-05-29 17:28:43 

 Car CanzoneDétails
Ah ! Carcassonne, je m’y suis arrêté à plusieurs reprises pour me rendre à Bordeaux ou à Marseille quand je traversais le piémont. Je crois même m’être assis à la terrasse d’un restaurant dont le nom fait écho à celui du récit. Si la ville est assez quelconque, la cité est un lieu assez magique, si l’on fait abstraction des flots de touristes qui achètent des épées en plastique. Il y a une atmosphère bien particulière qui se dégage des chemins de ronde et des vieilles pierres qui s’élèvent majestueusement au-dessus de la plaine. C’est une île au milieu de la plaine.

Même en la croisant à toute vitesse sur l’autoroute, les regards sont comme attirés par les contours, à la fois lourds et aériens, de la citadelle.
Je pense, même si je ne l’ai jamais vécu, qu’il doit exister une heure singulière, quand le dernier lampion s’est éteint, quand les touristes rêvent en quadrichromie, quand le silence des siècles réinvestit les lieux, durant laquelle tout devient possible. Durant un très court instant, en étant attentif et extrêmement discret, on pourrait peut-être discerner les silhouettes fantomatiques de grands seigneurs, accompagnés de leurs gentes dames, entourés de leurs suites, surveillant fièrement le Levant du haut des remparts. Ils attendent stoïquement les premières lueurs de l’aube qui viendront les disperser peu à peu jusqu’à la nuit suivante. Pas n’importe quelle nuit. Une nuit propice où, dans le ciel d’Orient vierge de tout nuage, une poignée d’étoiles, brillant d’un éclat insolite, indique un chemin oublié.

Bon, je me laisse emporter par la magie du lieu. Il faut revenir à l’histoire. L’histoire d’un objet, puisque tel était l’objet de cette WA.

C’est un voyage spirituel auquel tu nous invites. Forcément, le côté religieux habille astucieusement le récit mais la fin explique tout. Le secret réside à l’intérieur. Il s’agit d’un voyage intime qui réconcilie, au sens liturgique du terme, l’âme avec elle-même. Le vieil homme en est le vecteur, un ange en quelque sorte, l’aquarelle le catalyseur. Le principal protagoniste semble le seul capable de voir le vieil homme qui dispense un rayon d’espoir à ceux qui errent dans leurs ténèbres. Il leur révèle le chemin en ouvrant le coffret. L’allégorie du coffret et du dessin qu’il emporte dans ses flancs est bien décrite. Chacun peut croiser ce vieux bonhomme qui les ramène sur le bon chemin, simplement en ne restant pas sourd à sa voix intérieure.

Comme à ton habitude, tu mets en exergue le côté lumineux des hommes, qui méritent tous la rédemption. Tu décris habilement la vie ordinaire d’un homme ordinaire, avec ses démissions, ses échecs, doutes, ses fêlures et ses regrets qui enterrent ce qu’il y de bien et de bon en lui, les promesses qui n’ont pas écloses. Et puis le voyage spirituel se double d’un véritable voyage, de Narbonne à Carcassonne. J’ai bien aimé l’instant rugby, les trois C notamment (suivez Google), l’intermède américain et le QCM sur la chanson française. Et bien sûr, au bout du chemin, il va y avoir une rencontre spéciale. A cet instant, la citadelle de Carcassonne prend des allures de Jérusalem occitane!

La description de l’aquarelle est un morceau choisi, particulièrement visuel et prégnant. C’est pourtant assez compliqué de décrire un dessin, une aquarelle, mais tu t’en sors avec les honneurs du jury. Le thème est universellement connu mais c’est vivant et poétique, avec des images délicates et paisibles (au sens d’apporter la paix). Du beau travail.

Au rayon des bricoles, j’ai toujours du mal conjuguer le verbe au pluriel lorsque le sujet est ce « on » passe-partout! Mais je me soigne !

M
(qui s’attelle à son retard dans les commentaires!)

Ce message a été lu 5769 fois


Forum basé sur le Dalai Forum v1.03. Modifié et adapté par Fladnag


Page générée en 712 ms - 476 connectés dont 2 robots
2000-2024 © Cercledefaeries