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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Mardi 2 juillet 2013 à 22:51:51
Do





Quelque chose de beau doit nous emporter
Quelque chose de fort doit nous faire vibrer...
Michel Berger






Tu es une. Tu es une et multitude. Tu es libre et vagabonde, et nul ne te retient. Tu chantes et tu ruisselles, tu coules et tu t’éthérises, tu t’assombris, tu grondes, tu exploses, et tu retournes avec passion te fondre en toi-même, pour ruisseler et chanter encore...Tu clapotes, tu gazouilles, tu t’élances, tu éclabousses et tu ris, mais tu uses toujours. Tu polis, tu façonnes, tu sculptes, ta patience est sans limite et tu refais le monde selon ton désir. Goutte à goutte ou vague après vague, tu te retrouves toujours et tu ne te perds jamais.



Nous habitions au bord du lac. Je crois que j’ai su nager avant de parler, et même avant de marcher. Tu as toujours été ma plus grande amie, ma joie, mon réconfort, ma complice. Tu m’as abreuvée, tu m’as nourrie, tu m’as portée, tu as joué avec moi, tu m’as lancé des défis, tu m’as rendue forte et courageuse, réfléchie et avisée, tu as satisfait tous mes désirs. T‘en souviens-tu ? La première fois, c’était la fouine qui avait élu domicile au grenier, et qui gâchait nos nuits par ses cavalcades effrénées. Le voisin nous a prêté une cage et j’ai guetté pendant des heures jusqu’à ce que le piège se referme sur elle. Mes parents n’étaient pas là. J’avais quoi, dix ans ? Je ne garde pas de trace, je ne collectionne pas de trophées. Le passé m’importe peu. Seul compte l’instant présent, pourvu qu’il soit bon, pourvu qu’il soit fort.
Je suis allée au bord du lac et j’ai plongé la cage. Que c’était drôle ! La bête se débattait, se cognait au grillage ; quand je la soulevais un peu elle faisait des gerbes d’écume, c’était beau ! Et puis elle s’est endormie, sa petite gueule ouverte pour mieux te respirer, et elle avait l’air heureuse comme la Belle au Bois Dormant. Je ne l’ai raconté à personne, j’ai gardé ce bonheur pour moi. Je n’ai jamais aussi bien dormi que cette nuit-là.
Alors j’ai recommencé, avec tout ce que je pouvais attraper : mulots, écureuils, chats, chiens... Et plus la proie était grosse, plus le spectacle était fascinant, et plus le plaisir était intense.
Mais rapidement, ça ne m’a pas suffi. Tu m’as appris à en vouloir toujours plus.
Et au bonheur que j’escomptais s’ajoutait un frisson supplémentaire : ne pas se faire prendre, pour pouvoir recommencer encore et encore ! Il y avait une fille dans ma classe qui venait à l’école sur un très joli vélo rose. Sa mère passait des heures à tresser ses longs cheveux blonds, elle avait toujours la plus belle robe, le cartable le plus chic. Je ne l’enviais pas du tout. Je préférais courir en jeans et baskets, et les cheveux courts sèchent vite même en hiver. Mais c’était une petite fille modèle, tout droit sortie d’un conte de fées, et je me disais que son corps flottant sur le lac, avec la belle robe tout autour et les chaussures vernies, ça serait une image magnifique... Et puis elle était plutôt frêle, elle parlait plus qu’elle ne courait. J’étais sûre d’avoir le dessus.
La route traversait le bois, et je connaissais tous les raccourcis. Avant qu’elle ne passe, j’eus le temps de nouer une corde autour d’un arbre et de la disposer en travers du chemin; de ma cachette, je la tendis au dernier moment. Et patatras, voilà ma jolie Leslie en larmes, le genou écorché... Et moi qui sors comme par miracle pour lui porter secours ! Elle ne pouvait pas rentrer comme ça, la plaie allait s’infecter. Le lac était tout près, j’avais un mouchoir propre, je l’aiderais à bien se nettoyer. Mais il ne fallait pas laisser son joli vélo tout seul, on ne savait jamais. Je pouvais le porter, si elle voulait...
« Oh merci, merci... Tu es vraiment trop gentille, Dominique !
- On m’appelle Do.
- Ah ? »
Personne ne m’appelle Do. Sauf toi. Les humains ont besoin de noms à rallonge, de périphrases, d’explications. Toi et moi, nous allons à l’essentiel. L’instantané. La liberté. Le plaisir.
C’était trop facile ! Assise sur un rocher, face à la rive, elle me laissait nettoyer sa blessure avec de petits cris d’oiseau. Il me fut facile de la faire basculer, puis de sauter dans le lac pour lui maintenir la tête sous l’onde claire. Ah, ses petites mains qui me chatouillaient ! Ah, ses grands yeux bleus écarquillés comme si elle avait vu le Père Noël ! Et toutes ces petites bulles de champagne, qui sortaient de son nez et de sa bouche, une vraie fête ! Et je riais, je riais, je riais, je n’avais jamais rien connu de si bon, de si drôle, je crois même que j’ai pleuré de rire tellement c’était amusant, tellement c’était fort ! Et mon rêve s’est réalisé : elle a flotté sur le lac, sa jolie robe rose déployée tout autour d’elle, ses petits souliers vernis pointant vers le ciel, et de longues algues vertes se mêlant à ses cheveux blonds, comme autant de rubans délicats...
Jouer la tristesse m’a été difficile. Je n’ai pu empêcher quelques fous-rires, que j’ai su heureusement transformer en crises de sanglots convulsifs. Les nerfs, les nerfs... Tout le monde était bouleversé, comme après un gros orage ou une inondation. C’était prodigieux d’être à la fois dedans et dehors, la cause et le témoin. Epuisant, aussi. Heureusement, je dormais bien.





Me revoilà au bord du lac. Assise sur la grève, je te laisse venir tendrement me lécher les pieds, mes pieds si fatigués par tant de chemin parcouru... Je ronronne doucement dans la satisfaction du bonheur accompli. Tant d’années... Tant de plaisir... J’ai tué dans l’Atlantique, le Pacifique, l’océan Indien. L’Adriatique, la Méditerranée, le Golfe Persique. La mer de Corail, la mer de Tasman, la mer des Célèbes, la mer d’Andaman, la Baltique, la Caspienne... La mer d’Oman, le golfe du Bengale, la mer de Béring, et même la mer de Kara. J’ai tué sous les Tropiques, j’ai tué dans le Grand Nord. Le lac Baïkal, le Léman, l’Erié, le Michigan, le Grand Lac de l’Ours... Le lac de Côme, Saimaa, Constance, Garde, Latcha, Lokka, Alqueva, Neuchâtel, Prespa, Storavan, Trasimène, Derg, Koronia... J’arrive à m’en souvenir si je regarde sur une mappemonde, mais sinon je perds le compte. Les collections, c’est pas mon truc. Et le passé n’est plus.
J’ai une tendresse toute particulière pour les lacs, même si la furie des océans est plus majestueuse. Quand tu te fais lac, tu es mon amie d’enfance, et je retrouve mon innocence légère et mon enthousiasme novateur. Oui, j’ai beaucoup voyagé, pour te retrouver partout, et ça n’a pas été facile. Les fonctionnaires ne partent pas en vacances quand ils veulent, et les trajets sont hors de prix ! Même après avoir hérité de mes parents, je n’ai pas pu faire mieux que cinq ou six escapades par an. J’ai été une bonne fille. Ils n’ont jamais rien su. Quand ils ont commencé à avoir des doutes, je les ai noyés dans le lac. Ils aimaient aller pêcher dans la vieille barque. Je les ai rejoints à la nage. L’apnée, je sais faire. Longtemps. J’ai commencé jeune. Ils n’ont pas souffert. Je ne peux pas dire que j’y ai pris du plaisir. Ils ont toujours été bons avec moi, et je ne voulais pas leur causer du souci. Ils vieillissaient, ils n’avaient que moi, et j’étais souvent au bout du monde. J’ai eu pitié d’eux.
« J’espère que ta vie te rend heureuse », m’avait dit mon père, « et que tu n’as pas quitté le droit chemin.
- J’aimerais tant que tu rencontres un homme qui t’aime », avait ajouté ma mère avec son air habituellement désolé.
Est-ce que je devais leur dire ? Il disait qu’il m’aimait, et je pense qu’il était sincère. Il voulait la grande maison avec moi, les voyages avec moi, les enfants avec moi. Mais il n’aurait jamais pu comprendre. Il était médecin, il voulait sans cesse soigner, guérir, prolonger la vie... Je l’aimais bien, mais je n’avais pas besoin de lui. Et il me collait, sans le vouloir il m’entravait, je devais mentir sans cesse, à la fin c’était trop fatigant. Il ne s’est même pas débattu. Ce n’était vraiment pas drôle. Juste une perte de temps. Dans le Léman, je crois. Ou dans le Garde ? Mes souvenirs s’emmêlent, mais ça m’est bien égal. Une chose dont je suis sûre, c’est que ce n’était pas dans un fleuve. Les fleuves, non. Pourquoi pas dans une baignoire, alors ? Il me faut de l’espace, de l’horizon. Au minimum un lac. Je ne me souviens pas tout, mais je sais que chaque fois, c’était bien. Des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards. Mais le plus drôle, sans conteste, c’est les femmes. C’est moins fort, ça essaie de crier même en profondeur, ça se débat plus longtemps, et ça ne ferme jamais les yeux.
Un à la fois, c’est lassant, tout de même. Il y a bien eu ce couple de tourtereaux, sur la lagune de Venise... Mais même deux, ce n’est pas assez. Je rêve de multitude, de cataclysme, de spectaculaire... Je rêve de te rendre ta liberté, de te voir enfin recouvrir le monde, de te redonner la toute-puissance originelle que les hommes ont voulu te voler. Il n’y aurait plus que toi et le ciel, deux infinis se reflétant l’un dans l’autre. Le ciel est le seul écrin qui convienne à ta beauté. La planète bleue serait enfin complètement bleue. Tu n’as pas besoin des humains, je n’ai besoin des humains. La planète n’en a pas besoin. Ils ne cherchent qu’à la détruire, ou pire encore, à la souiller. Je rêve d’un monde propre, limpide, d’un monde qui coule et qui frémit au souffle du vent, d’un monde liquide et apaisé, sans discours mensongers et sans vaines promesses. Le monde originel, réduit aux deux seuls éléments créateurs : toi, et le ciel. Alors plus rien ne te menacera. Alors l’éternité pourra suivre son cours dans la paix absolue. Parce que cela est bien.


J’ai trouvé. J’aurais aimé le faire ici, mais mon lac natal est trop petit, à peine une grande flaque. Alors que les Dix ! La Grande Dixence, le plus grand barrage d’Europe ! Départ pour la Suisse, réservation dans un hôtel au bord du lac. Le site est prodigieux, vertigineux, édifiant. La montagne à pic autour de cette étendue liquide tout en longueur sur plus de cinq kilomètres... C’est fait pour prendre son élan, pour galoper à tout jamais vers l’infini... Ici, le ciel est tout proche. L’air est pur, frais, vivant. On se croirait aux origines du monde. Tant de beauté vous donne des envies d’absolu. Les humains sont rares, et c’est tant mieux, parce qu’en plus, ils sont Suisses. Je n’aime pas la Suisse. Ordre et délation, tout est pesé, mesuré, conforme. Je vais mettre mon grain de sel dans ton avatar trop doux. Car tu n’as pas de frontière. Quelque soit le nom du sol que tu recouvres, tu restes toi. Alors demain... Demain, ce rendez-vous immuable que nous propose le Temps... Mais demain, tu es le but et la fin et je suis le début et la fin. Demain, je suis l’éternité finale et le dernier commencement...



Tout est prêt. Je souris encore de mon audace et de ma détermination. Je n’avais jamais volé auparavant. Mais les explosifs dont j’avais besoin ne se trouvent pas dans les magasins de farces et attrapes ! C’est fou tout ce qu’on peut apprendre avec une bonne motivation. Je n’avais jamais vu une alarme de près, et pourtant en quelques jours j’ai maîtrisé cette technique absurde, inventée par des besogneux timides pour protéger le bien de plus riches qu’eux – et souvent oisifs... Mon intelligence m’étonne moi-même. Avec de tels moyens, j’aurais pu changer le monde. Rien ne sera gâché. C’est exactement ce que je vais faire.
Ca me plaît bien que ça se passe en Suisse. Ce pays si normal. Neutre. Ni acide ni basique. Ni masculin ni féminin. Une sorte de Terre du Milieu, donc propice à de grands évènements.



Je plonge. L’eau est froide, très froide, à m’en couper le souffle, mais j’ai à ma ceinture de quoi me réchauffer. Tu me caresses de tes mains fluides, tu es avec moi, je n’ai rien à craindre. Le voilà donc, ce vilain barrage qui te garde prisonnière. Comme il est laid ! C’est fête, aujourd’hui, je t’offre un feu d’artifice, en remerciement de tout le bonheur que tu m’as procuré. Viens, mon aimée, viens, viens danser avec moi, montre-leur la Splendeur, montre-leur la Puissance ! Oooooh... Que c’est beau ! J’en frissonne et j’en pleure et je me démultiplie dans chacune de tes gouttelettes libres, dans ce torrent de soleil qui s’élance tel une horde de cavaliers intrépides à la conquête de nouveaux territoires. J’emporte avec moi des tonnes de béton qui semblent légères comme des plumes. Hardi ! Départ à 2300 mètres d’altitude, la gravité est mon amie, la planète est d’accord ! Je dévale les pentes en hurlant de joie. Sous mes pas, les sapins craquent comme des cure-dents, les rochers partent en vacances et jouent à saute-mouton dans mes explosions d’écume. Je recrute au passage quelques ruisselets et cascatelles, et je grandis, je grandis ! Voilà que même le ciel veut jouer avec moi ! Il libère mes trombes célestes dans des roulements de tambour dignes des plus grandes batailles de l’Histoire. Et je m’unis à moi-même pour grandir et grandir encore ! Un village ? Plus de village ! J’emporte tout, toits, cheminées, granges, tracteurs, veaux, vaches, cochons, couvées... Je tourbillonne et je ris, insectes humains qui vouliez me contraindre, retenir mon flux en croyant le dompter, m’asservir comme un mouton pour me voler mon énergie divine ! Vous vouliez me prendre ma lumière pour éclairer vos trous à rats, me spolier de ma force pour faire tourner des machines – fabriquer, produire, posséder... Personne ne me possède !
Une ville, une ville ! Je redouble d’excitation. Maisons de pierre, vous n’êtes que fétus de paille ! Pylônes, ponts, monuments, autocars, limousines, je prends tout ! Ah, vous fuyez devant moi, créatures grotesques et viles ! Courez, courez, grimpez aux arbres, montez sur les toits... Je rentre par la porte, je ressors par les fenêtres, je grimpe aux escaliers, je soulève les ascenseurs, je balaie les maisons de la cave au grenier, c’est trop sale, tout ça, un grand coup de fraîcheur pour le renouveau du monde ! Courez, courez, hurlez, gémissez, vous augmentez encore mon plaisir ! Et mon bon plaisir, c’est de vous reprendre tout ce que je vous ai donné. Allons, de quoi sauriez-vous vous plaindre ? Ne suis-je pas la Source de Vie ? Buvez, buvez, qui me boit aujourd’hui n’aura plus jamais soif !
Un train ! Magnifique ! Je frappe au carreau, toc toc, bonjour monsieur le conducteur, elle se traîne vraiment votre locomotive, une machine à laver vient de vous doubler... Si je vous accélérais un peu ? Ne faites pas cette tête, il n’y a pas le feu ! Oui, le ciel est plein d’éclairs, mais je vous promets qu’ils ne vous feront pas de mal... Vous avez déjà vu une vache courir plus vite qu’un train ? Et même sur le dos ! Grâce à moi, le monde a changé : maintenant c’est vous qui regardez passer les vaches ! Allez, un petit sourire...



Je galope, je galope. Je suis ivre de puissance et de liberté. Enfin les choses redeviennent comme elles auraient toujours dû être : moi, et le ciel.



Je suis une. Je suis une et multitude. Je suis libre et vagabonde, et nul ne me retient. Je chante et je ruisselle, je coule et je m’éthérise, je m’assombris, je gronde, j’explose, et je retourne avec passion me fondre en moi-même, pour ruisseler et chanter encore... Je clapote, je gazouille, je m’élance, j’éclabousse et je ris, mais j’use toujours. Je polis, je façonne, je sculpte, ma patience est sans limite et je refais le monde selon mon désir. Goutte à goutte ou vague après vague, je me retrouve toujours et je ne me perds jamais. Je suis l’éternité bleue, celle par qui tout commence et tout finit. Et cela me plaît.
Narwa Roquen, en retard mais toujours là


  
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