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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Lundi 27 mai 2013 à 21:22:10
La consigne est respectée : c'est un gosse qui parle et il y a plusieurs imposteurs...
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QUAND J'TE DESCENDRAI DU CIEL



Une fois, moi et Mickey, on est allé dans les bois, derrière la maison. On les connaît comme notre poche, c'est là qu'on traîne quand on veut pas qu'les parents voient c'qu'on fait. Les grandes plaines, elles vont jusqu'au bout du monde et même si on sait qu'il y a des océans de chaque côté, y a pas à dire, ils sont si loin qu'ils existeraient pas que cela serait pareil. Déjà pour aller à la grande ville, enfin j'pense que quelqu'un comme vous s'marrerait de parler comme ça de Dead River City, faut qu'on passe le pont couvert, la limite du comté, celui qui saute par dessus la rivière qu'a donné son nom à la ville. J'sais pas pourquoi on dit que c'est une rivière morte, moi. Y a de l'eau qui coule, comme dans toutes les rivières. Elle est peut-être plus jaune et elle coule à la flemmarde. Elle donne l'impression qu'y a pas de courant. Mon oeil! Elle est pisseuse pour ça oui, mais faut pas s'baigner n'importe où.

Y a des remous vicieux qui vous tirent vers le fond. On dirait des mains toutes froides qui vous agrippent les chevilles, qu'a dit le nigaud d'cousin de Tom. Un grand venu pour les vacances et qu'a voulu épater les filles. Il a plongé là où l'eau est si immobile qu'on dirait qu'elle dort, avec des longs cheveux verts qui flottent le long d’la berge. Mais nous, on savait tous qu'il fallait pas le faire à c't endroit. J'tais là, avec Mickey, pour sûr. On l'a vu lâcher la corde et faire le malin en l'air avant de plonger la tête la première. Plouf! On l'a vu disparaître sous l'eau. On a vu les bulles crever une à une à la surface. Pis on l'a pas vu remonter. Les filles s'sont arrêtées de glousser un peu après. La rivière, elle bougeait pas d'une oreille. L'eau, on aurait dit qu'elle digérait quequ'chose, vous savez, comme une grosse couleuvre qu'aurait gobé un maousse lézard. Rien qui bougeait à la surface. J'crois qu'on a tous arrêtés de respirer à ce moment-là. Même les nuages dans le ciel. Même les oiseaux dans les arbres. Même les grillons dans l'champ. J'crois que tout l'univers s'est arrêté de tourner. Et puis, la bobine du grand Ant a refait surface, toute rouge, avec de longs cheveux verts qui pendouillaient partout. Ant a ouvert tout grand la bouche et l'a avalé l'air à s'en faire péter l'gosier! Pis il est d'venu tout blanc et il a tricoté avec ses grandes tiges pour r'monter sur la berge. Il tremblait comme s'il avait plongé dans une baignoire pleine de glaçons. Il avait les yeux tout fous, tout ronds. Bon, quand les filles l'ont entouré comme un héros, il a vite r'pris son air d'benêt. Mais j'ai vu dans ses yeux quelqu’chose de vert sombre qui tournait toujours.

C'est plus tard qu'il a parlé à Tom. Il avait senti des mains qui l'touchaient, des mains visqueuses qui l'tiraient lentement vers l'fond. Des mains qui emprisonnaient ses chevilles. Il avait bien cru que sa dernière heure était arrivée. Le remous était plus fort que lui. Le tourbillon, y l’maintenait sous l'eau comme dans une machine à laver. Il avait senti un caillou sous son pied. Il avait donné un grand coup d’talon et il s'était libéré juste à temps.

Avec Mickey, on a été jusqu'à la rivière qui coule en plein milieu de la forêt. On vient pêcher là après la pluie, à l'automne. On y attrape pas mal de p’tits poissons. Mais, il f’sait trop froid ce jour-là. La neige était pas loin, comme avait dit l'oncle Jim, l'autre jour à la maison. Il avait raison. Le ciel était tout blanc, avec des bandes plus sombres au-dessus des collines basses. Mickey voulait me montrer un truc qu'il avait déniché dans l'atelier d'son père. C'tait comme un bout d'tuyau rouge, avec une mèche et tout ça. Mickey croyait m'impressionner mais j'ai bien reconnu un bâton d'dynamite. On l'a mis sous un gros rocher et on a allumé la mèche. On a couru se mettre à l'abri et on s'est regardé en attendant que ça pète, en se bouchant les oreilles avec les doigts! On a compté. Un... deux.... A quinze, il y a eu une grosse explosion, si bruyante que j'ai cru devenir sourd. On a bien rigolé. Y avait plus de rocher, juste un gros trou.

Ouais, c’tait pas malin pour sûr, ben mais nous on est d'la campagne ! On va en classe comme tout l'monde mais on a besoin d'espace. L'espace c'est la liberté qui dit mon p'pa! On a pas besoin d'immeubles dans l'coin. La ferme, y a rien d'mieux et ça nourrit son homme qui dit mon paternel! Une terre bien grasse, un bon tracteur, un pack de bonne bière d'chez nous dans la glacière, le ciel au-dessus de la tête et on est les maîtres du monde! Oklahoma City, la capitale, elle est loin et l'autre, la fédérale, on la veut pas. Parole de mon vieux! Et y s'y connait! Ici, la terre appartient à Dieu qui dit encore mon père! Moi, j'écoute quand il parle à table le soir. On l'écoute tous. On a intérêt! Même M'man dans ces coups de temps là! Z'avez pas vu mon père quand il rouspète contre les taxes et les fédéraux, contre les chinetoques et les démocrates! Il a les veines du cou qui gonflent d'un coup et son visage ressemble à ceux qu'ont donné leur nom à not'pays! lI devient un vrai Homme rouge!

Quoi? Non, c'est tout le contraire! P'pa, il aboie fort mais il nous aime, ça c'est sûr. Ben oui, les coups de ceinture, ça fait mal aux fesses mais il est juste et puis il aime bien nous faire rire aussi! Le dimanche quand on va à l'office, on grimpe à l'arrière du pick-up quand y fait beau. Il met à fond la radio et nous, on hurle les tubes de country. Y a d’la magie dans l'air, dans les branches, dans le ciel. Nous, on est comme sur un tapis volant qui file dans la campagne. Quand l’pasteur nous parle de la terre promise, alors oui, pour sûr, nous on l'a déjà trouvée et on y vit chaque jour que Dieu fait. Faudrait que vous parliez aussi au pasteur. Il est plus très jeune mais il a connu des tas de choses. Des choses bien et des choses moins bien. Il a marié mes parents. Il en a marié des tas par ici. Il connaît toutes nos histoires, tous nos petits secrets, tous les secrets qui sont dans les familles. Pourquoi la Lucy a quitté la ville sans rien dire à personne. Ses parents sont toujours un peu gênés quand le pasteur les fixe assez longtemps.

Ah oui... le fusil ! Par ici, tout l'monde a un fusil. Pour chasser. De la plume plus que du poil mais ça arrive aussi. C'est l'oncle Jim qui m'a offert le mien à mon anniversaire. Une petite carabine mais bien équilibrée et super précise. Bon, à côté d'la carabine Varmint achetée par l'oncle Jim, la mienne elle fait pas le poids! J'suis sûr que vous avez jamais vu une arme comme la sienne! Elle a une visée électronique, une caméra et un ordinateur. Quand l'oncle Jim l'avait déballée, on était scié. On aurait dit une arme de Jango Fett! Quoi, vous ne connaissez pas Jango! Z'êtes pas des fans de Star Wars ou quoi ? Jango Fett, le chasseur de primes, le casque et la cape! En plus, c’tait un fils de fermier, comme moi! Mais bon, dans l'paquet qu'avait déballé d’vant nous l'oncle Jim, en plus de la carabine, y avait aussi un mini Ipad qui se reliait en WIFI à la Varmint! Avec elle, l'oncle Jim a dit qu'il pouvait mettre une balle dans la tête de n'importe quoi à un kilomètre! Faut dire que l'oncle Jim sait d’quoi y parle. Il a fait l'Irak et l'Afghanistan, oui m’sieur, dans les forces spéciales. C'est un chasseur de première bourre! Il a jamais voulu nous dire combien de mecs il avait tués de l'autre côté de la mer. Moi, je parie qu'il en a zigouillé une bonne centaine! Y a qu'à voir la médaille qu'il laisse dormir au fond d'une boîte. Une étoile dorée avec une toute petite étoile en argent au milieu, au bout d'un ruban bleu blanc rouge! Oncle Jim, c'est un héros!

Bon j'y viens, j'y viens... mon anniversaire tombe en octobre. M'man avait fait un gros gâteau au chocolat. Y avait dessus dix bougies. Vous savez, ce genre de bougies qui grésillent et qui s'éteignent pas. M'man, elle m'a dit que c'était pour essayer d'm'empêcher de grandir trop vite! J'ai pas bien compris mais elle m'a embrassé avant de vite couper le gâteau! Mon paternel m'a offert une Playstation d'occasion avec trois jeux. Des jeux de guerre. Flashpoint, Call of Duty bien sûr, et Battlefield.

On est pas riche et j'ai bien vu que les jeux aussi y z'avaient déjà été utilisés! Mais j'ai rien dit. M'man semblait pas très contente mais elle a rien dit du tout. J'avais pas l'âge, mais à la campagne, on est plus dégourdi qu'à la ville, pas vrai? Avec ma fronde, j'avais déjà réglé leur compte à pas mal d'écureuils dans les bois. Et puis, l'oncle Jim m'a tendu un long carton et mon coeur s'est mis à battre très fort dans ma poitrine. J’savais c’qu'y avait à l'intérieur. Une carabine. Une Crickett 22 long riffle, avec la crosse en noyer. Celle que je voulais! Une véritable carabine qui tire de vraies balles. J'étais excité rien qu'à l'idée d'aller m'entraîner sur des boîtes de conserve, à l’aut’bout du champ! Mon père a remercié son frère, l'oncle Jim, et ils ont vidé aussi sec une autre canette de Bud’. Toute la soirée, j'ai gardé la carabine avec moi. Le bois était doux et brillant. Dans l’carton, y avait tout l'attirail pour nettoyer mon fusil. Ce fut vraiment une chouette soirée. Mon frère et mes soeurs sont partis se coucher mais moi, j'ai eu le droit de rester plus longtemps. La nuit était si noire que derrière les carreaux, on voyait pas le bout du chemin!

Quand il resta plus que mes parents, mon oncle et moi, mon père m'a dit qu'il fallait que j'commence à m'entraîner. A cause que le monde dehors changeait, qu'on était entouré d'ennemis et que l'Amérique n'était plus sûre pour ses enfants. Il m'a dit qu'il fallait défendre not' terre même contre les fédéraux qui voulaient faire des lois contre le peuple américain. Il parait qu'ils veulent interdire qu'on achète des armes comme on veut! Vous vous rendez compte? Comme ça, il y a dit mon père, on pourra rien faire quand ils iront plus loin. Non, je ne sais pas ce que cela veut dire en fait! Déjà qu'on a fait des efforts, nous! Non? Ben on a fait de la place quoi! Mon paternel, il dit qu'on a été bien gentil mais qui faut pas exagérer. Il tourne sa casquette devant derrière quand y dit ça! Il dit que chaque année on lui achète les céréales moins cher que l'année précédente et qu'il paye les graines plus cher. Il dit que tout ça c'est la faute aux banques et à Washington, aux accords avec les Européens et les Russes. P'pa y dit qu'il est un vrai patriote mais qu'y a une ligne qui faut pas dépasser. Par chez nous, j'entends tout le monde parler comme ça quand y a pas d'étranger dans l’secteur. On s’tient les coudes. Quand la grange du père de Tom a brûlé l'an dernier, on est tous allés l'aider à en reconstruire une autre. M'man avait fait un énorme gâteau de pâtes et des brioches légères et délicieuses.

Quoi? Ah oui! j'avais oublié. En décembre, j'suis allé dans le hangar où y a le tracteur. P'pa était en train de graisser le moteur et il causait avec son frère, l'oncle Jim. Ils parlaient très fort. Quand ils m'ont vu, ils se sont vite arrêtés mais j'ai bien vu que P'pa était en colère. Il a même frappé le mur avec son poing. L'oncle Jim m'a souri, l'air de dire : "Fais pas attention, c'est une blague!" M'man est venu quand elle a entendu le coup dans le mur. Faut dire que la cuisine est juste de l’aut’côté ! Elle lui a dit : "Pas devant ton fils!". Elle m'a ramené dans la maison. P'pa nous a suivis et l'oncle Jim aussi, mais plus en arrière. Il avait coincé une paille entre ses dents. Sur la véranda, mon père a flanqué un grand coup de pied dans le tricycle et a attendu son frère. Avant que M'man r'ferme la porte, j'ai entendu l'oncle Jim dire à P'pa :"C'est un coup facile, frangin! Tu vas pas me dire que t'en as pas besoin?"

J'suis passé par la fenêtre de ma chambre et j'ai préféré partir vers les bois avec ma carabine. C'était un dimanche. Il avait neigé un peu. Pas beaucoup. Le ciel était sombre au-dessus de la plaine toute givrée. J'ai visé un p'tit renard qui cherchait sa gamelle dans les sillons du champ. J’l'ai mis au bout d'ma lunette et j'ai tiré. Il a filé mais j'ai remarqué qu'il traînait bas d’la patte, comme si voulait pas la poser par terre! Le lendemain, en rentrant de l'école, P'pa était plus là. M'man m'a expliqué qu'il était parti avec l'oncle Jim faire une course dans une ville assez loin. Il fallait qu'il trouve une pièce de rechange pour l'tracteur. Y devait r'venir deux ou trois jours après. Le mardi soir, il a appelé M'man. Il était content. Il avait eu la pièce pour pas cher et il avait promis de rentrer aussi vite que possible. Il m'a parlé après. Il m'a dit que j'étais l'homme de la maison quand il était pas là et qu'il fallait que je veille sur mon frère, mes petites soeurs et surtout ma maman! Je lui ai promis. C'est sûr que c'est comme ça qu’ça marche à la campagne.

Il devait rentrer le mercredi soir. Mais le matin, on a pas pu sortir pour aller à l'école. Pendant la nuit, la neige s'était mise à tomber comme jamais. De gros flocons si rapprochés qu'on aurait dit qu'un rideau blanc n'arrêtait pas de descendre sur la terre. A la télé, ils ont dit que c'était la tempête de neige du siècle. Les routes étaient barrées. Les avions volaient plus. On voyait juste le toit des voitures dans la neige fraîche. P'pa et l'oncle Jim n'ont pas pu passer non plus. P'pa a réussi à avoir M'man juste avant qu’le téléphone y soit aussi coupé. Ils étaient dans un motel quelque part sur l'autoroute avec plein d'autres gens pris dans la tempête. Mais P’pa a dit qu'il avait une surprise pour nous dans le coffre du pick-up. Une grande surprise.

La tempête a duré six jours entiers. Dans la ferme, heureusement qu'on avait de quoi tenir. Les poules pondaient toujours des oeufs et les congélateurs étaient bien remplis. On s'est goinfrés d'omelettes au lard comme jamais. L'électricité a été coupée aussi. Plus d'eau chaude, ça c'était dur, surtout pour les petits mais la cheminée ne manqua pas de bois. Le feu flambait toute la journée et la chaleur se faisait sentir dans toute la pièce. On faisait chauffer l’eau du bain dans des grandes casseroles que M’man suspendait au-dessus des flammes. Sinon, le soir, on se fourrait dans l'lit sous les gros édredons qu'avait sortis M'man. Là-d’sous, il faisait même bon! Et puis la neige avait apporté avec elle un silence tout drôle, épais. Les bruits n’duraient pas longtemps. Comme si l’silence blanc les attrapait au vol comme des mouches! Il y avait aussi des effets bizarres. Les craquements des branches de l'arbre de la cour semblaient venir de très très loin. Et puis, d'autres fois, on avait l'impression que quelqu'un toussait dans la pièce d'à côté et quand on allait voir, y avait personne. La neige nous jouait des tours. J'ai lu des histoires comme ça dans des livres de l'école. Des chasseurs prisonniers dans la tempête, au Canada, dans le Grand Nord ou dans les Rocheuses.

Oui. On aurait pu vivre comme ça des mois entiers, vous savez, comme Robinson Crusoë sauf que c'était pas une île! Mais un matin, quand j'ai regardé l'calendrier dans la cuisine, j'ai soudain vu qu’on était la veille de Noël. Comment j'ai été stupide! Moi qui faisais le fanfaron chaque soir avant de me coucher. Avec ma carabine, j’faisais ma ronde pour vérifier que toutes les portes et toutes les fenêtres étaient bien fermées. Puis j'montais l'escalier comme un véritable Homme Rouge, en faisant le moins de bruit possible. P'pa m'avait confié une mission. J'étais un homme à présent. L'homme de la maison. Jusqu'au moment où M'man venait me faire un bisou dans le lit. J'étais bien content après tout d'être toujours son petit garçon!

M'man a préparé le réveillon et m'a demandé de l'aider. J'ai accroché les guirlandes et j'ai dessiné sur les carreaux, des sapins et des étoiles avec une bombe spéciale. J'suis sorti pour accrocher la grosse couronne de houx en plastique à la porte d'entrée. Dommage qu'y avait pas d'courant, sinon elle aurait brillé de toutes les couleurs et elle aurait pu guider P'pa s'il cherchait son chemin dans le noir. Ensuite, j'ai mis les assiettes et les couverts, et les belles serviettes que M'man a tirées de la commode de sa chambre. Andrew mon p'tit frère a fait du mieux qu'il a pu. Il a léché la grosse cuillère pleine de crème. Les jumelles n'ont pas arrêté de baragouiner dans leur charabia en nous regardant faire, tout en galopant entre nos jambes dans leur Youpala. La journée passa vite avec tous ces préparatifs.

Dehors, la neige arrêtait pas. J'ai pas demandé à M'man si mon père avait des chances de rentrer avant minuit. Même à mon âge, y a des réalités qui s'imposent d'elles-mêmes. Aucune chance. Il lui aurait fallu un traîneau tiré par des rennes volants! C'était la première fois que P'pa n'serait pas avec nous pour le réveillon! Cela m’faisait tout drôle! M'man a compris et en me prenant dans ses bras, elle m'a dit tout bas qu'il fallait faire comme si, pour Andrew et les jumelles. Alors, j'ai fait comme elle disait. M'man a mis la dinde farcie et les marrons dans le four à bois. Elle a battu la crème, le sucre et les oeufs pour le lait de poule. Elle a fait une grosse casserole de fèves vertes et des patates pilées et croustillantes. Elle chantonnait à mi-voix en préparant le gâteau aux fruits, le plum pudding et la mousse au chocolat.

Quand tout a été prêt, on s'est mis à table et elle a dit le bénédicité à la place de P'pa. Puis on a chanté plein de chansons de Noël. On a pas pu écouter les CD bien sûr, mais on a beaucoup ri quand elle nous a mimé la façon dont Miss Marple, sa maîtresse quand elle était petite, celle surnommée Miss Black, faisait la classe. Elle était venue d'un Etat du Nord et elle avait un si fort accent qu'on aurait pu couper du bois avec. Il fallait souvent qu'elle répète plusieurs fois les mots pour être comprise. Et mille autres histoires drôles. Même les jumelles rigolaient en trépignant et en recrachant de la purée mélangée avec des p'tits bouts d'dinde. Les aiguilles de la pendule ont tourné sans que je m'en aperçoive. Dans la cheminée, les flammes grignotaient la dernière bûche. J'avais plus faim. Je m'étais empiffré de dinde et de fèves, de mousse au chocolat et de lait de poule! Alors, je me suis levé pour aller surveiller dehors mais c'était... comment dire...? La nuit était noire et blanche en même temps, comme si la neige s'battait avec l'obscurité, vous voyez? C'est dur à expliquer.

A minuit pile, M'man nous a tous chassés au lit. Mais on pensait tous à P'pa. J'ai fait ma tournée d'inspection, comme disait l'oncle Jim. J'ai bien vérifié toutes les serrures et tous les volets, ma carabine en bandoulière. Une fois mon travail terminé, j’suis monté me coucher. Je connaissais par coeur l'itinéraire et j'ai pas fait de bruit. Je m'suis glissé sous la tonne de plumes de canard qui pesait pas plus lourd qu'une grosse couverture. Je crois que je m'suis endormi assez vite. J'avais envie d'être rendu déjà au matin pour aller voir les cadeaux près de la cheminée. Et de trouver le mien. M'man avait toujours la bonne idée, normal c'est une maman! P'Pa faisait moins attention. C'est marrant, maintenant que j'y pense, P'pa avait l'air d'être aussi gamin que moi les matins d'Noël. Aussi impatient que moi. Il avait l'air très jeune, moins sombre, moins préoccupé, vous voyez! Pas l'air d'un Papa sérieux qui doit protéger sa famille! D'ailleurs, j'ai trouvé une fois en farfouillant dans le placard, une sorte de grande cagoule en drap blanc avec deux trous pour les yeux. J'ai rien dit. P'pa n'aime pas du tout qu'on fouille dans ses affaires. J'ai tout reposé bien proprement.

J’me suis réveillé quand j’ai entendu qu’la serrure d’la porte d’entrée qui s'mettait à couiner. Savez, des p’tits grincements comme si on cherchait à l’ouvrir en douce mais qu’la serrure, elle voulait pas s’laisser faire. Je m’suis levé et j’ai pris ma carabine. J’ai d’abord regardé entre les barreaux de l’escalier. Y avait quelqu’un derrière la porte en train de triturer après la serrure. J’ai pointé mon fusil droit sur la porte. J’commençais à avoir froid comme ça en haut de l’escalier, en pyjama.

Oh, ça a bien duré un p’tit moment. J’voyais la pendule d’où j’me trouvais. Oui, car elle a les aiguilles qui brillent dans la nuit. J’suis pas très fortiche pour lire l’heure avec les aiguilles... ah ouais, comme ça j’veux bien ! Alors la p’tite aiguille, elle était presque arrivée au trois et la grande, elle était pas loin du six, tout en bas du cadran. Et pis d’un coup, la porte s’est ouverte et une grande ombre était là, une ombre terrible et noire au milieu de plein de flocons de neige. J’ai senti un grand souffle glacé qui entrait aussi, comme dans les X-MEN, vous savez, quand Bobby Drake y lutte contre John Allerdyce. La guerre de la glace et du feu. Et bien, moi, j’ai senti comme si Iceberg était dans la maison. Et puis cet homme tout noir, il traînait un gros sac avec lui. Il avait un bonnet tout sombre et de grosses bottes. J'ai remarqué quelque chose aussi. Il boitait d'la jambe droite, comme si elle lui faisait mal, vous voyez? Comme le renard dans le champ! Et puis j’me suis rappelé de c’que disait mon paternel : «Fils, il faut que tu sois l’homme de la maison. Il faut protéger m’man et ton p’tit frère et les jumelles! ». L’coup, il est parti presque tout seul. Un grand « bam » et j’ai senti l'odeur de la poudre juste après. Y a eu un grand cri. Et l’mec tout noir, il s’est comme qui dirait cassé en deux et il est tombé en avant sur le sol. Il bougeait plus. J’ai entendu la voix de M’man derrière moi. J’me suis retourné, tout fier. Elle avait une chandelle dans la main. Elle s’est approchée au bord de l’escalier et elle a r’gardé en bas. C’est là qu’elle s’est mise à crier.... à crier.... à crier... elle arrêtait pas de crier...

J’ai vu quoi ? L’père Noel dans son habit rouge avec plein de rouge aussi tout autour de lui. Du sang. Bien sûr que c’tait du sang. Plein de sang. J’voyais bien avec la bougie, qu'il avait un bonnet rouge et des habits rouges aussi. Non. J’irai pas plus loin. C’pas la peine. J’vous dis que c’est pas la peine... laissez-moi tranquille, laissez-moi tranquille.... J’veux sortir...Mon Dieu, j’ai tué l’Père Noël! Non, j’dirai plus rien... j’répondrai plus aux questions. Où qu’elle est Nancy ? Où qu’elle est l’infirmière? J’veux voir Nancy !

Non, j’suis fatigué. Mais avant que je m’rendorme, dites-moi une chose, vous voulez bien ? Dites-moi, vous savez quand est-ce qu’il rentre, mon père ?

M

Pour voir la carabine qui tire à 1 kilomètre. Edifiant!


  
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