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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 9 mai 2013 à 22:58:54
Portrait de fille dans le noir




La réalité c’est ce qui refuse de disparaître
quand on a cessé d’y croire.
Ph. K. Dick




Il est plus facile de déplacer un fleuve que de changer son caractère.
La grenouille au fond d’un puits ne sait rien de la haute mer.
La porte la mieux fermée est celle qu’on peut laisser ouverte.
Il est difficile...

« Miaou ! »
Je sursaute. C’est le chat. Il est déjà 19 heures, et il n’est toujours pas rentré. J’ai laissé la porte ouverte, je l’attends en lisant « Sagesse chinoise ». Il vient de miauler. Où est-il ? J’ai posé la journée de demain pour l’emmener chez le vétérinaire, je dois le faire vacciner. Je me suis résolue à contrecoeur à sa castration, pensant que cela le calmerait, mais l’animal continue de vivre comme avant, plus souvent dehors que dedans. Je dors la fenêtre ouverte pour qu’il puisse rentrer quand il veut, et je claque des dents sous ma couette en attendant le bon plaisir de Son Altesse... qui ne manque jamais de dormir tout le jour sur la pile de linge fraîchement repassé où il dépose une auréole sombre de longs poils noirs agrémentée de quelques puces, malgré les spots et les sprays dont je l’inonde...
Il a miaulé ! Où est-il ? Que fait-il ?
Je sors sur le pas de la porte.
« Lao ?
- Miaouou ! »
Mon coeur s’affole. Ce miaulement est très inquiétant. S’est-il coincé la patte dans le grillage ? S’est-il fait agresser par un chien errant ? S’est-il battu en duel ?
« Lao, je t’en prie, réponds ! »
Il est peut-être trop épuisé pour émettre le moindre son... Il faut que je le retrouve ! Je fais le tour de la maison, en pantoufles, et l’herbe mouillée me trempe les pieds, je vais sûrement m’enrhumer... Soudain je m’aperçois que la porte de la cave est restée ouverte. Il est là, j’en suis sûre, il est là, peut-être mis à mal par une armée de rats sanguinaires... Je lui interdis de manger des souris, cela ferait régresser son karma. Mais s’il était la victime innocente de bestioles stupides et affamées... N’écoutant que mon coeur, je m’engouffre dans l’escalier raide et étroit en m’accrochant à la rampe. Ce n’est qu’une fois en bas que je me souviens d’avoir enlevé le fusible de l’éclairage parce qu’il y avait un court-circuit qui faisait sauter le disjoncteur. C’était il y a deux ou trois mois, et j’ai encore oublié d’appeler l’électricien... Qu’importe ! Les yeux des chats brillent dans le noir, c’est bien connu.
J’avance. Je me cogne le pied dans un objet dur que j’explore à tâtons. Ah, c’est le coffre en bois de ma grand-mère. Je croyais l’avoir rangé au fond à gauche... Mais quand j’ai cherché l’original de mon diplôme, pour mon entretien d’embauche, j’étais pressée, j’ai déplacé pas mal de choses... Bon, c’était l’année dernière, c’est fou ce que le temps passe vite... Et puis une cave, zut, ça n’a pas besoin d’être bien rangé...Oui, sauf quand on cherche quelque chose, ou quelqu’un...
Je cligne des yeux pour mieux voir, mais il n’y a pas de fenêtre et il fait un noir d’encre. Et s’il avait fermé les yeux ?
« Lao, Lao... »
Le sol est en terre battue, c’est dégoûtant, mais si je lui marche dessus... Et je ne veux pas que les rats lui fassent du mal, c’est plein de maladies ces bêtes-là, et si en soignant le chat j’étais contaminée...Je suis allergique à la pénicilline, mon médecin le sait mais je ne l’ai écrit nulle part, et si je tombe sur son remplaçant... Ah non ! Déjà que j’ai eu la varicelle en CM2, et que ça m’a fait rater la sortie au Futuroscope !
J’avance à quatre pattes sur une surface humide et froide qui me colle aux mains. Mon jeans va être bon pour la machine à laver. Zut, c’est le jeans neuf, il va falloir le laver à la main. En rentrant, je me doucherai à la Bétadine et je ferai un gargarisme de thym.
« Lao, Lao... »
Un coup violent à la tempe m’envoie rouler au sol et une grêle de livres me dégouline dessus. Aïe ! J’ai percuté l’étagère où j’ai rangé les policiers que j’ai déjà lus. Quand on connaît la fin, ce n’est pas la peine de les relire. Je porte la main à ma tête. Un liquide poisseux et tiède souille mes doigts. Du sang ! Il faut que je remonte, il faut que je me désinfecte, je dois faire le rappel du tétanos l’année prochaine, est-ce que je suis encore suffisamment protégée ?
Je me lève. Piétinant les feuillets qui jonchent le sol, je marche comme une somnambule, les mains en avant, vers l’infime lueur qui sera mon salut. Je gravis l’escalier en soufflant, je suis sûrement en train de me vider de mon sang, mais je n’ose plus toucher à la plaie avec mes mains sales. Arrivée en pleine lumière, tout me semble flou. Plaie du crâne, troubles de la vision... Aurais-je un traumatisme crânien grave ? Je dois appeler le 15 ! Machinalement je porte la main à mon nez pour remonter mes lunettes. Mes lunettes ! Je ne les ai plus. Elles ont dû tomber dans la cave. Ca ne va pas m’aider à retrouver le chat !
Je désinfecte la plaie qui ne saigne plus. J’enfile une grosse veste car je claque des dents, je suis en état de choc. Vite vite, une petite verveine avec du miel pour reprendre des forces et j’y retourne. Je lis juste un nouveau proverbe pour me donner du courage et j’y vais.
Il est difficile d’attraper un chat noir...
« Miaou ! »
Je bondis sur mes pieds, je saisis au passage ma lampe électrique et je me précipite à la cave. Clic. Re-clic. Et pas de lumière. Je ne m’en sers jamais, de cette lampe. Les piles se sont déchargées. Et comme je n’utilise jamais de piles, je n’en ai pas en stock.
« Lao, mon mignon, viens voir maman... »
Ce chat ne miaule que quand ça l’arrange. Et moi je meurs de chaud avec cette veste ! Mais où la poser ? Je ne vais pas remonter pour ça. Donc je continue à dégouliner de sueur en suivant d’une main hésitante le mur de droite, comme si j’étais dans un labyrinthe. Je tâte le sol du bout du pied à chaque pas pour ne pas risquer d’écraser le chat. Oh ! Quelque chose de mou ! C’est lui, j’en suis sûre, je l’ai trouvé ! Je m’accroupis, je tends la main vers ma boule de poils préférée, mon splendide, magnifique et adorable chat... Aaah ! Le contact est humide, gluant et visqueux. Une nuée d’insectes, dérangés à l’improviste, se venge par une attaque en formation serrée. Je n’ose imaginer dans quelle charogne putride j’ai mis les doigts... Si je n’avais pas le nez bouché par mon rhume des foins, j’aurais pu la sentir ! Mais trop c’est trop. Tant pis, je renonce, je remonte, je me douche, j’annulerai le véto, j’irai travailler... Je repars vers la lumière du jour d’un pas décidé. Crac. Sur quoi ai-je marché ? Je me baisse. Mes lunettes. Enfin, ce qu’il en reste. Un verre cassé, la monture tordue. Je vais devoir utiliser ma journée pour aller chez l’opticien.
Je me douche voluptueusement, je me lave les cheveux, la vie est merveilleuse. Deux doigts de porto, et ma «Sagesse chinoise ». Je suis calme et détendue.
Il est difficile d’attraper un chat noir dans une pièce sombre...
Je ferme les yeux, savourant ce moment de béatitude. Et puis la lumière jaillit dans mon esprit, avec une évidence phosphorescente. Un chat noir, bien sûr ! Mais un chat blanc ?
Je me jette sur le placard, en extrais les deux kilos de farine qui ont glissé derrière la pile de casseroles – casseroles par terre, assiette cassée, paquet de riz renversé, rangerai plus tard – et triomphante je m’engouffre à nouveau dans les entrailles de la terre où j’épands à tous vents, du geste auguste du semeur, la poudre miraculeuse qui va mettre un terme heureux à ce problème agaçant. Et je ris, je ris, une euphorie bienfaisante me gagne, je vais réussir, je vais réussir... Atchoum ! Atchoum ! Une salve d’éternuements incoercibles me fait monter les larmes aux yeux, suivie par une quinte de toux à m’en déchirer les poumons. Haletante, suffocante, je bas en retraite au pas de course... et je rate la première marche de l’escalier. Une douleur fulgurante traverse ma cheville droite, me contraignant à m’asseoir, dans l’ombre et la poussière, les yeux brûlants, la gorge en feu et le nez dégoulinant de morve comme le dernier des vagabonds. En me recroquevillant sur moi-même, sidérée par l’intense douleur, j’ai baissé la tête et mes cheveux encore mouillés sont venus recouvrir mon visage. Je les relève d’une main et... berk ! Des ficelles collantes, des spaghettis mal cuits, des vers de terre glacés... J’ai la tête pleine de farine !
Marche après marche, en ne posant que le talon, je sanglote à gros bouillons en me hissant à la rampe que je sens vibrer sous mes efforts. Je suis presque arrivée en haut quand celle-ci cède sous mon poids, et je roule et je boule en hurlant jusqu’au sol humide et dur où j’atterris cul par-dessus tête, dans le craquement sinistre de mon joli peignoir de bain blanc brodé de roses rouges, tandis que mes pantoufles s’envolent quelque part dans le ciel noir. Immobile, terrassée, je recense mes douleurs. La cheville droite. Le poignet gauche. Le front. La hanche gauche. Le genou droit. L’épaule gauche. Je ne veux pas mourir ici ! Il faut que je rentre chez moi, il le faut...
Je me traîne comme une limace pitoyable dans cet escalier de malheur. Je n’ose me mettre debout de peur de perdre à nouveau l’équilibre. Alors je rampe, déchirant de plus belle le peignoir, souffrant le martyre à chaque appui et secouant la tête comme une forcenée pour chasser mes cheveux qui s’obstinent à venir se coller sur mon visage. Quand enfin j’atteins le seuil salvateur, je marque une pause soulagée. La maison n’est plus qu’à quelques mètres. Ding-dong ! C’est le carillon du jardin. Il est suivi par le grincement du portillon qui s’ouvre, et une voix de femme s’écrie : « Mademoiselle Leblanc ! Vous êtes là ? C’est le comité « Jolis jardins ». Vous avez été sélectionnée, je vous avais dit que nous passerions dimanche après-midi... »
Je lève le nez. J’aperçois dans le brouillard de ma myopie deux silhouettes minces, presque jumelles, veste courte et cintrée, jupe plissée sombre, mocassins plats... Je ne distingue pas leur expression, mais elles se figent à ma vue, reculent, tournent les talons et disparaissent en laissant le portillon ouvert, sans ménager cependant leurs commentaires.
« Mais quelle horreur !
- Oui... Pauvre femme... Ah, les méfaits de l’alcoolisme... »
Moi qui souhaitais m’intégrer dans la vie sociale du village, je n’ai plus qu’à déménager encore une fois...
Retour à la douche qui se termine par un jet d’eau glacée, Arnica, Bétadine, pansements, bandages... Ma cheville a triplé de volume et j’ai l’oeil gauche à moitié fermé par le gonflement de l’arcade sourcilière. J’ai retrouvé mes vielles lunettes d’il y a trois ans, qui ne me sont pas vraiment utiles. Le chat est couché sur le livre ouvert. Je tends la main pour le caresser, et il s’enfuit aussitôt par la porte ouverte.
Il est difficile d’attraper un chat noir dans une pièce sombre, surtout quand il n’y est pas.
En claudicant, je vais jeter cette saleté de bouquin stupide à la poubelle. De toute façon, j’ai toujours détesté les chinois.
Narwa Roquen, qui se traîne comme une vieille sorcière


  
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Réponses à ce message :
3 Commentaire WA 119 : Narwa - Estellanara (Mar 11 jun 2013 à 14:11)
3 Commentaire Roquen - Elemmirë (Sam 1 jun 2013 à 17:00)
3 chat victime innocente ? - z653z (Mar 21 mai 2013 à 13:30)
3 La nuit, tous les chats... - Maedhros (Sam 18 mai 2013 à 15:59)


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