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 WA, exercice n°120 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 2 mai 2013 à 22:49:04
Faux semblants, illusions, mensonges, manipulations... Vous allez écrire un texte sur une imposture. Mais, pour corser l'affaire, le narrateur sera un enfant. Rappel: un enfant a plus de deux ans et n'est pas encore pubère (comptez entre 11 et 13 ans pour une fille et entre 13 et 15 pour un garçon).
Il vous faudra donc adapter le vocabulaire de votre narrateur à son âge, de même que ses capacités logiques et physiques. Voilà qui devrait vous occuper au moins quatre semaines, jusqu'au jeudi 30 mai.
Vous avez la liberté du genre et du style, je m'étonne moi-même de ma libéralité...
Je rappelle que tout le monde peut participer à ces exercices, et que toutes les participations seront bienvenues et commentées. Le meilleur moyen de vous apercevoir que ce n'est pas si difficile... c'est encore d'essayer!
Narwa Roquen, rame, rame, rameurs ramez...


  
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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-05-27 21:22:10 

  WA - Participation exercice n°120 (edit)Détails
La consigne est respectée : c'est un gosse qui parle et il y a plusieurs imposteurs...
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QUAND J'TE DESCENDRAI DU CIEL



Une fois, moi et Mickey, on est allé dans les bois, derrière la maison. On les connaît comme notre poche, c'est là qu'on traîne quand on veut pas qu'les parents voient c'qu'on fait. Les grandes plaines, elles vont jusqu'au bout du monde et même si on sait qu'il y a des océans de chaque côté, y a pas à dire, ils sont si loin qu'ils existeraient pas que cela serait pareil. Déjà pour aller à la grande ville, enfin j'pense que quelqu'un comme vous s'marrerait de parler comme ça de Dead River City, faut qu'on passe le pont couvert, la limite du comté, celui qui saute par dessus la rivière qu'a donné son nom à la ville. J'sais pas pourquoi on dit que c'est une rivière morte, moi. Y a de l'eau qui coule, comme dans toutes les rivières. Elle est peut-être plus jaune et elle coule à la flemmarde. Elle donne l'impression qu'y a pas de courant. Mon oeil! Elle est pisseuse pour ça oui, mais faut pas s'baigner n'importe où.

Y a des remous vicieux qui vous tirent vers le fond. On dirait des mains toutes froides qui vous agrippent les chevilles, qu'a dit le nigaud d'cousin de Tom. Un grand venu pour les vacances et qu'a voulu épater les filles. Il a plongé là où l'eau est si immobile qu'on dirait qu'elle dort, avec des longs cheveux verts qui flottent le long d’la berge. Mais nous, on savait tous qu'il fallait pas le faire à c't endroit. J'tais là, avec Mickey, pour sûr. On l'a vu lâcher la corde et faire le malin en l'air avant de plonger la tête la première. Plouf! On l'a vu disparaître sous l'eau. On a vu les bulles crever une à une à la surface. Pis on l'a pas vu remonter. Les filles s'sont arrêtées de glousser un peu après. La rivière, elle bougeait pas d'une oreille. L'eau, on aurait dit qu'elle digérait quequ'chose, vous savez, comme une grosse couleuvre qu'aurait gobé un maousse lézard. Rien qui bougeait à la surface. J'crois qu'on a tous arrêtés de respirer à ce moment-là. Même les nuages dans le ciel. Même les oiseaux dans les arbres. Même les grillons dans l'champ. J'crois que tout l'univers s'est arrêté de tourner. Et puis, la bobine du grand Ant a refait surface, toute rouge, avec de longs cheveux verts qui pendouillaient partout. Ant a ouvert tout grand la bouche et l'a avalé l'air à s'en faire péter l'gosier! Pis il est d'venu tout blanc et il a tricoté avec ses grandes tiges pour r'monter sur la berge. Il tremblait comme s'il avait plongé dans une baignoire pleine de glaçons. Il avait les yeux tout fous, tout ronds. Bon, quand les filles l'ont entouré comme un héros, il a vite r'pris son air d'benêt. Mais j'ai vu dans ses yeux quelqu’chose de vert sombre qui tournait toujours.

C'est plus tard qu'il a parlé à Tom. Il avait senti des mains qui l'touchaient, des mains visqueuses qui l'tiraient lentement vers l'fond. Des mains qui emprisonnaient ses chevilles. Il avait bien cru que sa dernière heure était arrivée. Le remous était plus fort que lui. Le tourbillon, y l’maintenait sous l'eau comme dans une machine à laver. Il avait senti un caillou sous son pied. Il avait donné un grand coup d’talon et il s'était libéré juste à temps.

Avec Mickey, on a été jusqu'à la rivière qui coule en plein milieu de la forêt. On vient pêcher là après la pluie, à l'automne. On y attrape pas mal de p’tits poissons. Mais, il f’sait trop froid ce jour-là. La neige était pas loin, comme avait dit l'oncle Jim, l'autre jour à la maison. Il avait raison. Le ciel était tout blanc, avec des bandes plus sombres au-dessus des collines basses. Mickey voulait me montrer un truc qu'il avait déniché dans l'atelier d'son père. C'tait comme un bout d'tuyau rouge, avec une mèche et tout ça. Mickey croyait m'impressionner mais j'ai bien reconnu un bâton d'dynamite. On l'a mis sous un gros rocher et on a allumé la mèche. On a couru se mettre à l'abri et on s'est regardé en attendant que ça pète, en se bouchant les oreilles avec les doigts! On a compté. Un... deux.... A quinze, il y a eu une grosse explosion, si bruyante que j'ai cru devenir sourd. On a bien rigolé. Y avait plus de rocher, juste un gros trou.

Ouais, c’tait pas malin pour sûr, ben mais nous on est d'la campagne ! On va en classe comme tout l'monde mais on a besoin d'espace. L'espace c'est la liberté qui dit mon p'pa! On a pas besoin d'immeubles dans l'coin. La ferme, y a rien d'mieux et ça nourrit son homme qui dit mon paternel! Une terre bien grasse, un bon tracteur, un pack de bonne bière d'chez nous dans la glacière, le ciel au-dessus de la tête et on est les maîtres du monde! Oklahoma City, la capitale, elle est loin et l'autre, la fédérale, on la veut pas. Parole de mon vieux! Et y s'y connait! Ici, la terre appartient à Dieu qui dit encore mon père! Moi, j'écoute quand il parle à table le soir. On l'écoute tous. On a intérêt! Même M'man dans ces coups de temps là! Z'avez pas vu mon père quand il rouspète contre les taxes et les fédéraux, contre les chinetoques et les démocrates! Il a les veines du cou qui gonflent d'un coup et son visage ressemble à ceux qu'ont donné leur nom à not'pays! lI devient un vrai Homme rouge!

Quoi? Non, c'est tout le contraire! P'pa, il aboie fort mais il nous aime, ça c'est sûr. Ben oui, les coups de ceinture, ça fait mal aux fesses mais il est juste et puis il aime bien nous faire rire aussi! Le dimanche quand on va à l'office, on grimpe à l'arrière du pick-up quand y fait beau. Il met à fond la radio et nous, on hurle les tubes de country. Y a d’la magie dans l'air, dans les branches, dans le ciel. Nous, on est comme sur un tapis volant qui file dans la campagne. Quand l’pasteur nous parle de la terre promise, alors oui, pour sûr, nous on l'a déjà trouvée et on y vit chaque jour que Dieu fait. Faudrait que vous parliez aussi au pasteur. Il est plus très jeune mais il a connu des tas de choses. Des choses bien et des choses moins bien. Il a marié mes parents. Il en a marié des tas par ici. Il connaît toutes nos histoires, tous nos petits secrets, tous les secrets qui sont dans les familles. Pourquoi la Lucy a quitté la ville sans rien dire à personne. Ses parents sont toujours un peu gênés quand le pasteur les fixe assez longtemps.

Ah oui... le fusil ! Par ici, tout l'monde a un fusil. Pour chasser. De la plume plus que du poil mais ça arrive aussi. C'est l'oncle Jim qui m'a offert le mien à mon anniversaire. Une petite carabine mais bien équilibrée et super précise. Bon, à côté d'la carabine Varmint achetée par l'oncle Jim, la mienne elle fait pas le poids! J'suis sûr que vous avez jamais vu une arme comme la sienne! Elle a une visée électronique, une caméra et un ordinateur. Quand l'oncle Jim l'avait déballée, on était scié. On aurait dit une arme de Jango Fett! Quoi, vous ne connaissez pas Jango! Z'êtes pas des fans de Star Wars ou quoi ? Jango Fett, le chasseur de primes, le casque et la cape! En plus, c’tait un fils de fermier, comme moi! Mais bon, dans l'paquet qu'avait déballé d’vant nous l'oncle Jim, en plus de la carabine, y avait aussi un mini Ipad qui se reliait en WIFI à la Varmint! Avec elle, l'oncle Jim a dit qu'il pouvait mettre une balle dans la tête de n'importe quoi à un kilomètre! Faut dire que l'oncle Jim sait d’quoi y parle. Il a fait l'Irak et l'Afghanistan, oui m’sieur, dans les forces spéciales. C'est un chasseur de première bourre! Il a jamais voulu nous dire combien de mecs il avait tués de l'autre côté de la mer. Moi, je parie qu'il en a zigouillé une bonne centaine! Y a qu'à voir la médaille qu'il laisse dormir au fond d'une boîte. Une étoile dorée avec une toute petite étoile en argent au milieu, au bout d'un ruban bleu blanc rouge! Oncle Jim, c'est un héros!

Bon j'y viens, j'y viens... mon anniversaire tombe en octobre. M'man avait fait un gros gâteau au chocolat. Y avait dessus dix bougies. Vous savez, ce genre de bougies qui grésillent et qui s'éteignent pas. M'man, elle m'a dit que c'était pour essayer d'm'empêcher de grandir trop vite! J'ai pas bien compris mais elle m'a embrassé avant de vite couper le gâteau! Mon paternel m'a offert une Playstation d'occasion avec trois jeux. Des jeux de guerre. Flashpoint, Call of Duty bien sûr, et Battlefield.

On est pas riche et j'ai bien vu que les jeux aussi y z'avaient déjà été utilisés! Mais j'ai rien dit. M'man semblait pas très contente mais elle a rien dit du tout. J'avais pas l'âge, mais à la campagne, on est plus dégourdi qu'à la ville, pas vrai? Avec ma fronde, j'avais déjà réglé leur compte à pas mal d'écureuils dans les bois. Et puis, l'oncle Jim m'a tendu un long carton et mon coeur s'est mis à battre très fort dans ma poitrine. J’savais c’qu'y avait à l'intérieur. Une carabine. Une Crickett 22 long riffle, avec la crosse en noyer. Celle que je voulais! Une véritable carabine qui tire de vraies balles. J'étais excité rien qu'à l'idée d'aller m'entraîner sur des boîtes de conserve, à l’aut’bout du champ! Mon père a remercié son frère, l'oncle Jim, et ils ont vidé aussi sec une autre canette de Bud’. Toute la soirée, j'ai gardé la carabine avec moi. Le bois était doux et brillant. Dans l’carton, y avait tout l'attirail pour nettoyer mon fusil. Ce fut vraiment une chouette soirée. Mon frère et mes soeurs sont partis se coucher mais moi, j'ai eu le droit de rester plus longtemps. La nuit était si noire que derrière les carreaux, on voyait pas le bout du chemin!

Quand il resta plus que mes parents, mon oncle et moi, mon père m'a dit qu'il fallait que j'commence à m'entraîner. A cause que le monde dehors changeait, qu'on était entouré d'ennemis et que l'Amérique n'était plus sûre pour ses enfants. Il m'a dit qu'il fallait défendre not' terre même contre les fédéraux qui voulaient faire des lois contre le peuple américain. Il parait qu'ils veulent interdire qu'on achète des armes comme on veut! Vous vous rendez compte? Comme ça, il y a dit mon père, on pourra rien faire quand ils iront plus loin. Non, je ne sais pas ce que cela veut dire en fait! Déjà qu'on a fait des efforts, nous! Non? Ben on a fait de la place quoi! Mon paternel, il dit qu'on a été bien gentil mais qui faut pas exagérer. Il tourne sa casquette devant derrière quand y dit ça! Il dit que chaque année on lui achète les céréales moins cher que l'année précédente et qu'il paye les graines plus cher. Il dit que tout ça c'est la faute aux banques et à Washington, aux accords avec les Européens et les Russes. P'pa y dit qu'il est un vrai patriote mais qu'y a une ligne qui faut pas dépasser. Par chez nous, j'entends tout le monde parler comme ça quand y a pas d'étranger dans l’secteur. On s’tient les coudes. Quand la grange du père de Tom a brûlé l'an dernier, on est tous allés l'aider à en reconstruire une autre. M'man avait fait un énorme gâteau de pâtes et des brioches légères et délicieuses.

Quoi? Ah oui! j'avais oublié. En décembre, j'suis allé dans le hangar où y a le tracteur. P'pa était en train de graisser le moteur et il causait avec son frère, l'oncle Jim. Ils parlaient très fort. Quand ils m'ont vu, ils se sont vite arrêtés mais j'ai bien vu que P'pa était en colère. Il a même frappé le mur avec son poing. L'oncle Jim m'a souri, l'air de dire : "Fais pas attention, c'est une blague!" M'man est venu quand elle a entendu le coup dans le mur. Faut dire que la cuisine est juste de l’aut’côté ! Elle lui a dit : "Pas devant ton fils!". Elle m'a ramené dans la maison. P'pa nous a suivis et l'oncle Jim aussi, mais plus en arrière. Il avait coincé une paille entre ses dents. Sur la véranda, mon père a flanqué un grand coup de pied dans le tricycle et a attendu son frère. Avant que M'man r'ferme la porte, j'ai entendu l'oncle Jim dire à P'pa :"C'est un coup facile, frangin! Tu vas pas me dire que t'en as pas besoin?"

J'suis passé par la fenêtre de ma chambre et j'ai préféré partir vers les bois avec ma carabine. C'était un dimanche. Il avait neigé un peu. Pas beaucoup. Le ciel était sombre au-dessus de la plaine toute givrée. J'ai visé un p'tit renard qui cherchait sa gamelle dans les sillons du champ. J’l'ai mis au bout d'ma lunette et j'ai tiré. Il a filé mais j'ai remarqué qu'il traînait bas d’la patte, comme si voulait pas la poser par terre! Le lendemain, en rentrant de l'école, P'pa était plus là. M'man m'a expliqué qu'il était parti avec l'oncle Jim faire une course dans une ville assez loin. Il fallait qu'il trouve une pièce de rechange pour l'tracteur. Y devait r'venir deux ou trois jours après. Le mardi soir, il a appelé M'man. Il était content. Il avait eu la pièce pour pas cher et il avait promis de rentrer aussi vite que possible. Il m'a parlé après. Il m'a dit que j'étais l'homme de la maison quand il était pas là et qu'il fallait que je veille sur mon frère, mes petites soeurs et surtout ma maman! Je lui ai promis. C'est sûr que c'est comme ça qu’ça marche à la campagne.

Il devait rentrer le mercredi soir. Mais le matin, on a pas pu sortir pour aller à l'école. Pendant la nuit, la neige s'était mise à tomber comme jamais. De gros flocons si rapprochés qu'on aurait dit qu'un rideau blanc n'arrêtait pas de descendre sur la terre. A la télé, ils ont dit que c'était la tempête de neige du siècle. Les routes étaient barrées. Les avions volaient plus. On voyait juste le toit des voitures dans la neige fraîche. P'pa et l'oncle Jim n'ont pas pu passer non plus. P'pa a réussi à avoir M'man juste avant qu’le téléphone y soit aussi coupé. Ils étaient dans un motel quelque part sur l'autoroute avec plein d'autres gens pris dans la tempête. Mais P’pa a dit qu'il avait une surprise pour nous dans le coffre du pick-up. Une grande surprise.

La tempête a duré six jours entiers. Dans la ferme, heureusement qu'on avait de quoi tenir. Les poules pondaient toujours des oeufs et les congélateurs étaient bien remplis. On s'est goinfrés d'omelettes au lard comme jamais. L'électricité a été coupée aussi. Plus d'eau chaude, ça c'était dur, surtout pour les petits mais la cheminée ne manqua pas de bois. Le feu flambait toute la journée et la chaleur se faisait sentir dans toute la pièce. On faisait chauffer l’eau du bain dans des grandes casseroles que M’man suspendait au-dessus des flammes. Sinon, le soir, on se fourrait dans l'lit sous les gros édredons qu'avait sortis M'man. Là-d’sous, il faisait même bon! Et puis la neige avait apporté avec elle un silence tout drôle, épais. Les bruits n’duraient pas longtemps. Comme si l’silence blanc les attrapait au vol comme des mouches! Il y avait aussi des effets bizarres. Les craquements des branches de l'arbre de la cour semblaient venir de très très loin. Et puis, d'autres fois, on avait l'impression que quelqu'un toussait dans la pièce d'à côté et quand on allait voir, y avait personne. La neige nous jouait des tours. J'ai lu des histoires comme ça dans des livres de l'école. Des chasseurs prisonniers dans la tempête, au Canada, dans le Grand Nord ou dans les Rocheuses.

Oui. On aurait pu vivre comme ça des mois entiers, vous savez, comme Robinson Crusoë sauf que c'était pas une île! Mais un matin, quand j'ai regardé l'calendrier dans la cuisine, j'ai soudain vu qu’on était la veille de Noël. Comment j'ai été stupide! Moi qui faisais le fanfaron chaque soir avant de me coucher. Avec ma carabine, j’faisais ma ronde pour vérifier que toutes les portes et toutes les fenêtres étaient bien fermées. Puis j'montais l'escalier comme un véritable Homme Rouge, en faisant le moins de bruit possible. P'pa m'avait confié une mission. J'étais un homme à présent. L'homme de la maison. Jusqu'au moment où M'man venait me faire un bisou dans le lit. J'étais bien content après tout d'être toujours son petit garçon!

M'man a préparé le réveillon et m'a demandé de l'aider. J'ai accroché les guirlandes et j'ai dessiné sur les carreaux, des sapins et des étoiles avec une bombe spéciale. J'suis sorti pour accrocher la grosse couronne de houx en plastique à la porte d'entrée. Dommage qu'y avait pas d'courant, sinon elle aurait brillé de toutes les couleurs et elle aurait pu guider P'pa s'il cherchait son chemin dans le noir. Ensuite, j'ai mis les assiettes et les couverts, et les belles serviettes que M'man a tirées de la commode de sa chambre. Andrew mon p'tit frère a fait du mieux qu'il a pu. Il a léché la grosse cuillère pleine de crème. Les jumelles n'ont pas arrêté de baragouiner dans leur charabia en nous regardant faire, tout en galopant entre nos jambes dans leur Youpala. La journée passa vite avec tous ces préparatifs.

Dehors, la neige arrêtait pas. J'ai pas demandé à M'man si mon père avait des chances de rentrer avant minuit. Même à mon âge, y a des réalités qui s'imposent d'elles-mêmes. Aucune chance. Il lui aurait fallu un traîneau tiré par des rennes volants! C'était la première fois que P'pa n'serait pas avec nous pour le réveillon! Cela m’faisait tout drôle! M'man a compris et en me prenant dans ses bras, elle m'a dit tout bas qu'il fallait faire comme si, pour Andrew et les jumelles. Alors, j'ai fait comme elle disait. M'man a mis la dinde farcie et les marrons dans le four à bois. Elle a battu la crème, le sucre et les oeufs pour le lait de poule. Elle a fait une grosse casserole de fèves vertes et des patates pilées et croustillantes. Elle chantonnait à mi-voix en préparant le gâteau aux fruits, le plum pudding et la mousse au chocolat.

Quand tout a été prêt, on s'est mis à table et elle a dit le bénédicité à la place de P'pa. Puis on a chanté plein de chansons de Noël. On a pas pu écouter les CD bien sûr, mais on a beaucoup ri quand elle nous a mimé la façon dont Miss Marple, sa maîtresse quand elle était petite, celle surnommée Miss Black, faisait la classe. Elle était venue d'un Etat du Nord et elle avait un si fort accent qu'on aurait pu couper du bois avec. Il fallait souvent qu'elle répète plusieurs fois les mots pour être comprise. Et mille autres histoires drôles. Même les jumelles rigolaient en trépignant et en recrachant de la purée mélangée avec des p'tits bouts d'dinde. Les aiguilles de la pendule ont tourné sans que je m'en aperçoive. Dans la cheminée, les flammes grignotaient la dernière bûche. J'avais plus faim. Je m'étais empiffré de dinde et de fèves, de mousse au chocolat et de lait de poule! Alors, je me suis levé pour aller surveiller dehors mais c'était... comment dire...? La nuit était noire et blanche en même temps, comme si la neige s'battait avec l'obscurité, vous voyez? C'est dur à expliquer.

A minuit pile, M'man nous a tous chassés au lit. Mais on pensait tous à P'pa. J'ai fait ma tournée d'inspection, comme disait l'oncle Jim. J'ai bien vérifié toutes les serrures et tous les volets, ma carabine en bandoulière. Une fois mon travail terminé, j’suis monté me coucher. Je connaissais par coeur l'itinéraire et j'ai pas fait de bruit. Je m'suis glissé sous la tonne de plumes de canard qui pesait pas plus lourd qu'une grosse couverture. Je crois que je m'suis endormi assez vite. J'avais envie d'être rendu déjà au matin pour aller voir les cadeaux près de la cheminée. Et de trouver le mien. M'man avait toujours la bonne idée, normal c'est une maman! P'Pa faisait moins attention. C'est marrant, maintenant que j'y pense, P'pa avait l'air d'être aussi gamin que moi les matins d'Noël. Aussi impatient que moi. Il avait l'air très jeune, moins sombre, moins préoccupé, vous voyez! Pas l'air d'un Papa sérieux qui doit protéger sa famille! D'ailleurs, j'ai trouvé une fois en farfouillant dans le placard, une sorte de grande cagoule en drap blanc avec deux trous pour les yeux. J'ai rien dit. P'pa n'aime pas du tout qu'on fouille dans ses affaires. J'ai tout reposé bien proprement.

J’me suis réveillé quand j’ai entendu qu’la serrure d’la porte d’entrée qui s'mettait à couiner. Savez, des p’tits grincements comme si on cherchait à l’ouvrir en douce mais qu’la serrure, elle voulait pas s’laisser faire. Je m’suis levé et j’ai pris ma carabine. J’ai d’abord regardé entre les barreaux de l’escalier. Y avait quelqu’un derrière la porte en train de triturer après la serrure. J’ai pointé mon fusil droit sur la porte. J’commençais à avoir froid comme ça en haut de l’escalier, en pyjama.

Oh, ça a bien duré un p’tit moment. J’voyais la pendule d’où j’me trouvais. Oui, car elle a les aiguilles qui brillent dans la nuit. J’suis pas très fortiche pour lire l’heure avec les aiguilles... ah ouais, comme ça j’veux bien ! Alors la p’tite aiguille, elle était presque arrivée au trois et la grande, elle était pas loin du six, tout en bas du cadran. Et pis d’un coup, la porte s’est ouverte et une grande ombre était là, une ombre terrible et noire au milieu de plein de flocons de neige. J’ai senti un grand souffle glacé qui entrait aussi, comme dans les X-MEN, vous savez, quand Bobby Drake y lutte contre John Allerdyce. La guerre de la glace et du feu. Et bien, moi, j’ai senti comme si Iceberg était dans la maison. Et puis cet homme tout noir, il traînait un gros sac avec lui. Il avait un bonnet tout sombre et de grosses bottes. J'ai remarqué quelque chose aussi. Il boitait d'la jambe droite, comme si elle lui faisait mal, vous voyez? Comme le renard dans le champ! Et puis j’me suis rappelé de c’que disait mon paternel : «Fils, il faut que tu sois l’homme de la maison. Il faut protéger m’man et ton p’tit frère et les jumelles! ». L’coup, il est parti presque tout seul. Un grand « bam » et j’ai senti l'odeur de la poudre juste après. Y a eu un grand cri. Et l’mec tout noir, il s’est comme qui dirait cassé en deux et il est tombé en avant sur le sol. Il bougeait plus. J’ai entendu la voix de M’man derrière moi. J’me suis retourné, tout fier. Elle avait une chandelle dans la main. Elle s’est approchée au bord de l’escalier et elle a r’gardé en bas. C’est là qu’elle s’est mise à crier.... à crier.... à crier... elle arrêtait pas de crier...

J’ai vu quoi ? L’père Noel dans son habit rouge avec plein de rouge aussi tout autour de lui. Du sang. Bien sûr que c’tait du sang. Plein de sang. J’voyais bien avec la bougie, qu'il avait un bonnet rouge et des habits rouges aussi. Non. J’irai pas plus loin. C’pas la peine. J’vous dis que c’est pas la peine... laissez-moi tranquille, laissez-moi tranquille.... J’veux sortir...Mon Dieu, j’ai tué l’Père Noël! Non, j’dirai plus rien... j’répondrai plus aux questions. Où qu’elle est Nancy ? Où qu’elle est l’infirmière? J’veux voir Nancy !

Non, j’suis fatigué. Mais avant que je m’rendorme, dites-moi une chose, vous voulez bien ? Dites-moi, vous savez quand est-ce qu’il rentre, mon père ?

M

Pour voir la carabine qui tire à 1 kilomètre. Edifiant!

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-06-02 23:30:10 

 WA, exercice n°120, participationDétails
Une petite entorse à la consigne, chacun son tour...



Une manière de voir





« Je suis debout sur une chaise de la cuisine. Je me hisse sur la pointe des pieds pour prendre la boîte de chocolat en poudre, sur le haut du bahut. Mais ce n’est pas sa place. D’habitude, elle est sur le plateau du meuble, à portée de main. Et de toute façon quand je me lève le matin, le bol de chocolat chaud est déjà prêt sur la table, avec mes trois tartines beurrées.
« Dépêche-toi ! Tu vas être en retard pour ton premier jour d’école ! »
Le cri de ma mère me fait sursauter, je lâche la boîte, j’essaie de la rattraper, je glisse, je tombe de la chaise tandis qu’une explosion de poudre marron transforme la cuisine en catastrophe post-atomique.
« Quel crétin ! File te doucher, pas de déjeuner ce matin, tant pis pour toi ! »
Je tremble sous la douche. Jamais maman n’a élevé la voix contre moi, ni contre personne, d’ailleurs. Mais jamais non plus elle n’a porté de lunettes de soleil dans l’appartement.
- Vous n’avez jamais pensé qu’elle avait peut-être reçu une mauvaise nouvelle, ce matin-là, ou qu’elle s’était disputée avec votre père ? Et si elle avait voulu seulement vous cacher ses yeux rougis par les larmes ? En cas de choc émotionnel intense, les gens ont parfois des comportements inhabituels, et la colère est une manière de dissimuler son chagrin... Qu’importe ! Vous venez de découvrir la cause de votre peur irraisonnée du vide. Je vous félicite. Nous en resterons là pour aujourd’hui. A la semaine prochaine. »
Je hais cette façon qu’ont les psys de vous congédier brusquement alors qu’on vient de toucher à quelque chose de grave, de vital, d’essentiel. Un souvenir enfoui depuis vingt ans, un évènement en apparence banal mais qui a changé ma vie.
Je pose les billets sur le grand bureau de verre. Je regagne ma voiture tête basse sous la pluie battante. Je m’assieds au volant. Je verrouille les portières. Je suis seul, au calme, en sécurité. La séance, ma séance, n’est pas finie. J’ai encore des choses à me dire. J’éclate en sanglots. Toutes les larmes que je retiens depuis ce matin de mes huit ans ont fini par rompre les digues que j’ai bâties, surélevées et renforcées au fil des ans. Peur du vide. Vertige. Peur de l’avion. Peur d’être en retard. Peur du conflit. Dégoût du chocolat. Des crampes d’estomac le matin au réveil, et impossible de rien avaler.
Et je pleure, je pleure comme un gosse. Ca ferait bien rire les gars du rugby, s’ils voyaient leur copain talonneur, un mètre quatre-vingt quatorze et cent huit kilos, se comporter comme un gros bébé abandonné. Je pleure, et c’est bon. Je garde les yeux fermés. Je sens les souvenirs refluer du fond de leur placard trop sombre. La porte est ouverte. Cette fois, j’y vais.



Maman était la plus gentille des mamans. Je le lui disais pour la fête des mères, avec mes coffrets à bijoux en boîte de camembert, mais c’était vrai. Elle passait son temps à me dévorer de baisers, elle me léchait comme une maman-chatte, et devant les copains ça me gênait terriblement. Surtout quand elle m’appelait « mon bébé ». Mais en même temps c’était bien. Elle était toujours à s’inquiéter pour moi, à imaginer tout ce qui pourrait me faire plaisir, et les tartines beurrées du matin, et la chocolatine au goûter, et le gâteau tous les dimanches... Papa était sympa aussi. Il m’amenait à l’école de rugby le mercredi et le samedi, il me racontait des blagues, il faisait le clown, on allait ensemble aux matches quand Gaillac recevait. Il me disait tout le temps qu’il était fier de moi. J’étais vraiment heureux.


C’est le jour de la rentrée au CE2. J’ai un cartable neuf et une nouvelle boîte de crayons de couleur. Le réveil sonne. Je suis content de retourner à l’école. J’arrive dans la cuisine en me frottant les yeux. Maman ne se précipite pas vers moi pour m’embrasser, alors je vais vers elle. Elle recule. Elle porte des lunettes de soleil.
« Ne traîne pas », me dit-elle sèchement. « Déjeune et va te doucher. »
Ce n’est pas comme d’habitude. Pas de bol fumant, pas de tartines. Pas de bisous. Je suis tellement étonné que je ne dis rien. Je sors le lait et le beurre du frigo. Je n’ai jamais coupé le pain tout seul, et maman m’interdit de toucher à la cuisinière. Elle me fait une blague, elle va venir m’aider...
« Où est papa ? »
Elle me tourne le dos, elle farfouille bruyamment dans le tiroir des couverts. Elle cherche quoi ? En tout cas, elle ne répond pas. Je cherche des yeux la boîte de chocolat. Qu’est-ce qu’elle fait là-haut ? Qu’est-ce qui se passe, ce matin ? Je pousse la chaise près du bahut, je grimpe...
Je me suis cogné la tête et j’ai mal au genou. Je ne comprends pas. Pourquoi elle fait ça ?
C’est la voisine qui m’accompagne à l’école. Un jour de rentrée ! Ca n’est jamais arrivé. En plus, cette femme, je ne l’ai jamais aimée. Elle est grasse, elle a une voix de perroquet, et elle m’appelle « le marmot ». J’ai envie de pleurer et j’ai envie de vomir, et puis j’ai une grosse boule dans le ventre qui me serre très fort.
En classe, je n’écoute rien. Je repense à ce matin. Papa n’était pas là. Maman avait des lunettes de soleil. Je suis tombé. La maîtresse me met à la porte. Je m’assieds contre le mur du couloir, sous les porte-manteaux. Maman était différente. Je suis tombé.
La cloche sonne. Fanny me prend la main, me relève.
« T’es malade ? T’es tout blanc ...
- Je sais pas... »
Elle m’entraîne dans un coin de la cour, on se met par terre. Fanny, c’est mon amie. Pas mon amoureuse, je suis grand, maintenant, j’ai huit ans, y a que les bébés de maternelle qui jouent encore avec les filles. Les filles sont toutes idiotes. Mais pas Fanny. Elle joue aux billes, elle a un train électrique, et elle fait des trucs avec les Lego que même MacGyver ferait pas.
« T’as mal au ventre ?
- Un peu...
- T’es malade, ça se voit. Tu dois couver une gastro, comme le fils de ma concierge. Viens, je vais dire à la maîtresse d’appeler ta mère.
- Non ! »
Je raconte. Elle m’écoute en silence. Elle hoche la tête.
« Ah tu sais... » me répond-elle enfin au moment où la cloche annonce la fin de la récré, « j’ai lu une BD comme ça : des parents avaient été enlevés par des extraterrestres, et ils les avaient remplacés par des sosies... Je serais toi, je ferais attention... »
On court pour rentrer en classe. Des extraterrestres ? Mais des méchants, alors, pas comme E.T. J’ai de plus en plus mal au ventre. J’essaie de m’appliquer et de sourire. Je ne veux pas qu’on appelle ma mère !



Papa était là, au dîner, et il ne portait pas de lunettes de soleil. Peut-être que lui, c’était toujours lui, et alors j’aurais pu lui dire...
« Bonsoir, Gaël. »
La boule me redévore le ventre. Papa, mon vrai papa, il dit « Eh adiou, mon champion ! J’espère que tu n’as rien lâché, aujourd’hui ! »
Pas un rire, pas une plaisanterie, pas un câlin... A table ils parlent des prix qui montent, de la météo, des gens de plus en plus malpolis. Mes parents ne disent du mal que de ces salauds de droite, ils se demandent combien ils peuvent envoyer à la fin du mois aux restos du coeur, ils se fichent du temps, s’il pleut on met les imperméables et on sort quand même... Ils ne se regardent presque pas. Papa ne caresse pas la main de maman, elle ne lui sourit pas, elle ne l’appelle pas « chouchou ». Je me souviens de tout, c’est comme si j’y étais. Quand maman se lève, je m’aperçois qu’elle a maigri d’un coup. Hier elle avait un bon gros ventre rond et elle disait que c’était la petite soeur. Alors j’ai demandé :
« Elle est plus là, la petite soeur ?
- La soeur de qui ? », a répondu papa d’un air distrait en allumant la télé.
J’ai dit que j’allais au lit. Personne ne m’a embrassé, personne n’a proposé de me raconter une histoire. Fanny a raison. Ce sont des extraterrestres. Les deux ! Pas de chance !
Je dois chercher des preuves. Mais pas laisser de trace. Ne pas me faire pincer. Ils me tueraient peut-être.




Le dimanche, c’est poulet-frites, c’est mon plat préféré. Aujourd’hui, c’est le premier dimanche après la rentrée, et sur la table il y a un gratin de chou-fleur surgelé avec du jambon. Maman sait que je déteste le chou. Ca me fait gonfler le ventre, et en plus c’est pas bon. Et même si elle était malheureuse, elle aurait pas oublié.
« Pourquoi il y a pas de frites ?
- Tais-toi et mange. Les enfants n’ont pas le droit de parler à table. »
Première nouvelle ! Je pense à me révolter, mais ils me font peur. Le plat est dégoûtant, même pas chaud. Et pis j’ai pas faim.
Pas de balade l’après-midi, ils restent devant la télé, ils se parlent pas, et bientôt je les entends ronfler. Silencieux comme un Sioux sur le sentier de la guerre, je me glisse dans leur chambre. Le lit n’est pas refait. Ca n’est jamais arrivé ! Même quand maman avait la grippe ! Et sur le chevet de papa, il y a une paire de lunettes de soleil. Mon coeur va exploser ! C’est vrai, c’est vrai ! Mes vrais parents ont disparu. Ils ont été remplacés par un couple d’aliens ! J’ai peur !
Je me cache dans le placard de ma chambre. Que vont-ils faire de moi ? Qu’ont-ils fait à mes parents ? Ma maman, mon papa, je ne les reverrai jamais ? C’est comme s’ils étaient morts... Et je n’ai même pas de petite soeur... Un gros sanglot me bouche la gorge, et puis il éclate. Je pleure, je pleure, je renifle, je pleure... Il faut que je m’arrête, il le faut, ils ne doivent pas savoir qu’ils sont découverts, ils me feraient du mal... Je dois en parler à quelqu’un, une grande personne, j’ai besoin qu’on m’aide. Mais mes parents sont tous les deux sortis de la DDASS, orphelins. Je n’ai pas de grands-parents, pas d’oncle, pas de tante, pas de cousin... Je suis seul au monde et obligé de vivre avec deux monstres qui ne cherchent peut-être qu’à se débarrasser de moi ! Je ne veux pas mourir !
Il faut que j’écrive tout ça, que je tienne un journal. Mais s’ils le trouvent ? Je griffonne des pages et des pages, sur un cahier de brouillon tout neuf. Demain je le donne à Fanny, j’écrirai la suite pendant les récrés. Fanny, c’est la seule personne au monde en qui je puisse avoir confiance. Je lui ai demandé si elle pouvait me prêter la BD sur les extraterrestres.
« Ben... J’ai lu ça en vacances à Royan, c’était un copain de plage qui me l’avait prêté... J’avais trouvé ça marrant, mais les dessins étaient pas terribles. Je me souviens plus de l’auteur... »
Je cherche à la bibliothèque. Rien. J’emprunte quelques bouquins sur les aliens, que je lis le soir en cachette avec une lampe torche sous les draps, mais y a rien qui ressemble. Jusqu’au jour où la bibliothécaire me demande :
« Tu t’intéresses à la science-fiction ? Ce n’est pas très sérieux. J’ai d’excellents romans à te conseiller, pour te cultiver vraiment. »
Elle a les yeux très clairs, cernés par des marques blanches, la trace de lunettes de so... Je déguerpis à toute allure, la bibliothèque, je n’y mettrai plus jamais les pieds. Je me souviens de tout ! Ca se déroule dans ma tête comme un film. Pas plus de trois mots échangés par jour. La bouffe dégueulasse, plus de chocolatine, plus de gâteau, plus de poulet-frites. La voisine qui m’emmène à l’école et au rugby, mais plus de match à Gaillac. Les vacances en colo. Toutes. Mais là au moins, je dors tranquille. Jusqu’au jour où en arrivant au camp je vois l’animateur de mon groupe avec des lunettes de soleil. Ils sont partout !
Ils ont tous les yeux très clairs, presque blancs. Ils ne mangent ni pain, ni pâtes, ni frites. Ils détestent la musique. Ils ne font jamais de sport. Ils ne savent pas nager. Ils méprisent les animaux, la nature leur fait horreur. Ils ne sont bien qu’en ville. Leurs visages sont figés, ils ne sourient presque jamais, ou alors c’est une espèce de grimace forcée. Ils ne pleurent pas. Ils ne ressentent pas la douleur. Leur peau a un goût de caoutchouc. Je le sais parce que l’animateur à lunettes, j’ai fait exprès de me mettre en colère contre lui et je l’ai mordu. Pouah ! Il n’a même pas dit aïe ! J’ai arraché un morceau et ça n’a pas saigné. Bien sûr, il a tout de suite caché la plaie avec son autre main, mais j’ai vu. Le directeur m’a donné des lignes à faire pendant toute une journée. Ca m’a permis de souffler un peu, loin de ce monstre.
Je ne peux en parler à personne, à part Fanny. J’irais bien voir la police, mais ils ne me croiraient pas. Alors je les repère, je l’écris dans mon journal et je fais attention. Le soir, avant de m’endormir, je me répète la liste, pour m’en souvenir même si le journal devait disparaître. Ils sont de plus en plus nombreux. La boulangère, le buraliste, le plombier qui est venu déboucher l’évier. La bibliothécaire. Le facteur. La prof de math de sixième. La femme de ménage qu’on avait pendant l’année de cinquième. J’ai pris des cahiers grand format, Fanny en a un carton plein. Elle ne m’a jamais trahi. Je lui ai dit le minimum, pour ne pas la mettre en danger, mais elle peut lire si elle veut. Plus d’une fois je me suis dit que je serais plus tranquille si j’étais en pension. Mais ça m’embête de quitter Fanny, et puis je ne veux pas arrêter le rugby. A cause des copains, et pour monsieur Vidal. Lui, il n’a jamais cessé de m’encourager. Lui, il garde les vraies valeurs. Ce n’est pas mon père, mais tant qu’il est là, je me dis qu’il y a encore des terriens autour de moi, des gens normaux, loyaux et honnêtes. Pourtant, je suis sûr qu’il me prendrait pour un fou si je lui en parlais, et je veux continuer à jouer. Je suis trop grand, trop gros. Il y a plein de gens qui se moquent de moi. Mais sur le terrain, je n’ai peur de personne et tout le monde me respecte.




Et puis à la fin de la quatrième, Fanny a déménagé. Récupérer le carton, c’était trop dangereux, elle est partie avec à Clermont-Ferrand, la chance ! On s’est écrit pendant un an, et puis elle n’a plus répondu. J’ai arrêté d’écrire, mais le soir j’ai continué à me réciter ma liste. Le facteur, la boulangère et tous les autres. C’est devenu vraiment dur d’être seul avec ce secret. Je ne dors presque plus la nuit, je guette le moindre bruit, je me dis que si je disparaissais personne ne saurait la vérité et je ne manquerais à personne. J’ai du mal à rester éveillé en classe, et mes résultats plongent. C’est comme ça que je me suis retrouvé apprenti en menuiserie, parce que l’atelier que j’ai visité était inondé de lumière et que le patron avait des yeux bien noirs qui ne clignaient jamais. J’ai eu mon CAP, et après il m’a embauché. Un mois après mes dix-huit ans, les gendarmes sont venus à l’atelier m’annoncer que mes parents étaient morts dans un accident de voiture, la voiture avait explosé, il ne restait rien d’eux. J’ai essayé d’avoir l’air triste, mais j’étais vraiment soulagé !
Il y a un truc bizarre qui me revient. A la fin de l’enterrement (le plus beau jour de ma vie !), monsieur Vidal, l’entraîneur, est venu me voir.
« Ca va, petit ?
- Ca va, m’sieu.
- Tu sais, je voulais te dire : ils n’ont jamais été très démonstratifs, mais je suis sûr qu’ils t’aimaient à leur manière.
- Ouaip.
- Ton père travaillait beaucoup, c’est pour ça qu’il n’est jamais venu te voir jouer.
- Si, quand j’étais petit il venait, et il m’emmenait à Gaillac... »
Le vieil homme secoue la tête.
« Tu sais, on s’arrange tous avec nos souvenirs. C’est moi qui vous emmenais à Gaillac, avec Vitrac et Marty, dans la Renault 5, parce que je savais que vos parents l’auraient jamais fait. Mais c’est pas grave. Tu es devenu un type bien, c’est la seule chose qui compte. »
Ca m’a un peu troublé sur le moment. Il a fait un accident vasculaire cérébral un mois après, et j’ai pas pu lui en reparler. Aussi bien, il commençait déjà à perdre la boule, il m’a confondu avec un autre...



Je n’ai rien gardé de leurs meubles, rien qui puisse me rappeler toutes ces années d’angoisse. J’ai loué un petit studio à Gaillac, en me disant que désormais je n’aurais jamais plus peur.
Et pas du tout.
Il y en avait toujours autant. L’employé de la supérette, le marchand de journaux, la fleuriste... Sur mon temps libre, j’ai fabriqué un coffre, que j’ai fermé d’un gros cadenas dont la clé ne me quitte jamais. J’y entasse des cahiers grand format où je note tout, des noms, des adresses, ce que je vois, ce que j’entends. S’ils me découvrent et qu’ils m’assassinent, peut-être que la police trouvera mes notes. A moins qu’ils les fassent disparaître... Ou alors un jour ça va sortir au grand jour, quelqu’un va parler, et je me joindrai à lui, j’aurai toutes les preuves... Mais moi tout seul...
Et puis il y a six mois, j’ai rencontré Emilie. Toute petite, toute fine, des grands yeux noirs et de longs cheveux bruns. J’ai su tout de suite que ça serait elle et pas une autre. Le problème, c’est qu’elle adore les voyages, elle veut visiter le monde. Et moi, l’avion... Alors je suis allé chez le psy.




Je reste silencieux. Je devrais lui dire la vérité. Après tout, il m’a bien aidé. Hier soir, je suis allé sur le pont Saint Michel. Je me suis arrêté au milieu, j’ai regardé le Tarn. Rien ! Pas le moindre battement de coeur, pas le moindre frémissement dans les jambes. Et depuis une semaine, le matin je dévore comme un ogre : des tartines beurre-confiture, des oeufs, du jambon, et deux bols de café ! Je suis guéri ! Mais lui parler de ça... Pour le coup, s’il me prend pour un dingue, il va vouloir me revoir encore, et ça coûte cher ! Je ne sais pas pourquoi, les mots sortent tout seuls.
« Vous croyez qu’on peut modifier ses propres souvenirs ?
- Pourquoi cette question ?
- Oh ça va, docteur, je suis guéri, j’ai plus le vertige, je déjeune le matin, et hier je suis arrivé au boulot avec cinq minutes de retard, cool ! C’est juste comme ça pour dire...
- Eh bien mais... La mémoire est effectivement assez ... subjective. Il peut arriver que des mécanismes de défense névrotiques altèrent la réalité des souvenirs et amènent l’individu à se réinventer un passé conforme à ce qui pour lui représente une sécurité... ou un étayage de sa manie de persécution, les deux sont possibles... Mais ce n’est pas votre cas, n’est-ce pas ? Vous avez eu une enfance heureuse...
- Je vous l’ai déjà dit : une enfance idéale ; des parents super cool, vraiment sympa. A part ce jour où je suis tombé... »
Je persévère dans mon mensonge, et je ne lâche rien. C’est ce que m’a appris mon vrai père. Je suis bien rodé, depuis le temps, et même le psy n’y voit que du feu.
« On se revoit la semaine prochaine ? Ah non, la semaine prochaine je suis en congé. Dans quinze jours ?
- Je vais bien, maintenant. Je suis guéri !
- Je vois ça ! Vous me tenez tête ! Félicitations ! Mais vous savez, quelquefois il y a des rechutes. Une petite dernière pour être sûr... »
Je mets l’argent sur la table. Deux billets d’avion sont posés près du téléphone. Et par-dessus, il y a des lunettes de soleil. Je réalise tout à coup que le cabinet est très peu éclairé, une ambiance soft, fontaine, plantes vertes... Pour la première fois, je regarde ses yeux. Ils sont clairs, presque transparents. Et d’ailleurs, il ne me raccompagne jamais à la porte... Ce gars sait presque tout de moi. Il peut me retrouver quand il veut. Il faut qu’on parte, avec Emilie, tout de suite, loin... Je ne lui dirai rien, mais il faut qu’elle vienne avec moi. J’ai envie de vomir. J’ai trop mangé ce matin. Moins cinq ! Je ne dois pas être en retard au boulot, il faut que je me dépêche...
Narwa Roquen, en retard comme d'habitude...

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-06-04 23:07:10 

 Commentaire Maedhros, exercice n°120Détails
Welcome to America ! Une Amérique profonde, rustre, peuplée de colons qui n’acceptent que l’Homme Blanc, et encore, à condition qu’il soit né dans le même village. Ca bosse, ça gueule, ça boit et ça triche. Pas si différents, après tout, de bien d’autres peuples... Sauf que ces autres peuples passent pour des barbares, et que l’Amérique est pour certains le summum de la civilisation...
Revenons sur la définition de l’imposture (Petit Robert) :
1 . action de tromper par des discours mensongers, de fausses apparences.
2. tromperie d’une personne qui se fait passer pour ce qu’elle n’est pas.
Ici, nous sommes dans le n°1. Ton petit héros côtoie beaucoup de mensonges, et il les avale sans broncher, tant son admiration pour son père et son oncle est aveugle. Et pourtant, le KKK, il doit savoir ce que c’est... Et aussi bien d’ailleurs, il trouve ça sympa... Sans doute n’a-t-il pas envie de remettre en question ses modèles identificatoires...
Quel que soit le bout par lequel on prend cette histoire, on est coincé. Le drame est inéluctable, absurde et inévitable, comme l’a montré l’actualité récente. Le Nouveau Monde...



Bricoles :
- On a tous arrêtés de respirer : arrêté
- On a été bien gentil mais qui faut pas exagérer... y a une ligne qui faut pas dépasser : j’aurais mis « qu’y » au lieu de « qui »
- M’man est venu quand elle a entendu : venue
- Comme si voulait pas la poser : s’il ( ou s’y)
- La journée passa vite : le paragraphe est au passé composé
- La porte s’est ouverte et une grande ombre avança : idem


J’ai bien aimé : « comme si l’silence blanc les attrapait au vol comme des mouches ».
La fin est très juste. Le gamin est dans une confusion totale, et comment en effet ne pas devenir fou, quand on a provoqué une catastrophe en obéissant aux ordres ? Le titre est très bien trouvé. C’est simplement une histoire épouvantable, parce que ce n’est pas de la fiction. La nature humaine est vraiment étrange, capable du meilleur et du pire. Et tu ne manques jamais une occasion pour en souligner les aberrations...
Narwa Roquen, avec le soleil!

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-06-09 12:59:53 

 Body Snatchers!Détails
J'ai trouvé qu'il y avait, dans ce récit, la même couleur de ces films ou séries souvent cultes qui ont trait à l'invasion sournoise et insidieuse d'entités extra-terrestres : le fabuleux film de Don Siegel de 1956 sur l'invasion des profanateurs (abondamment remaké), les envahisseurs, le village des damnés... Ils possèdent d'ailleurs souvent ces mêmes fins stressantes où, si le héros semble être sauvé, il y a toujours un petit détail qui détone et qui sème le doute!

Bien sûr, on peut lire l'histoire sur plusieurs niveaux de lecture, du banal (une simple fêlure psychologique qui devient une fracture dans la personnalité du héros, parfaitement plausible) au sur-naturel, un peu à la Matrix, où le réel n'est pas aussi certain qu'il veut bien apparaître.

Mais on ne peut écarter la manifestation d'une paranoïa aigue qui s'autoalimente au fur et à mesure que le sujet s'enfonce dans la psychose. Les lunettes de soleil ancrent bien le récit dans la confusion des repères (de lunettes!).

J'en ajouterais bien une dernière, mais assez tirée par les cheveux je dois le reconnaître, qui serait l'affrontement entre les urbains et les ruraux. Les premiers ne peuvent vivre désormais que dans la grisaille des villes et sont devenus insensibles et solitaires. Dès lors qu'ils s'aventurent au-delà du périphérique, ils sont obligés de porter des lunettes de soleil pour supporter les vraies couleurs de la vie!

Tu distilles adroitement beaucoup de détails qui peuvent être retenus chaque fois par l'une ou l'autre des théories, sans qu'on puisse définitivement trancher et c'est vraiment un point fort de l'histoire.

Comme tu l'indiques, la consigne est gentiment contournée mais pas totalement. Et puis, imaginer des profanateurs dans le sud-ouest, entre confit et cassoulet, c'est assez réjouissant en soi. Je me demande si Vincent Moscato a les yeux clairs ou si Eric Carrière porte des lunettes...

Mais tu ne croyais pas si bien dire...

M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-06-20 14:12:30 

 Commentaire WA 120 : NarwaDétails
C'est ptêt moi mais je trouve que, sur les derniers textes que j'ai lus, tu renouvelles vachement tes thèmes et tes genres de récits et je trouve ça chouette.
Après lecture, le titre prend plusieurs sens : manière de comprendre l'histoire (réalité ou pas), manière de voir le monde pour l'enfant...
Le détail des lunettes noires interpelle tout de suite.
Bien, l'intro chez le psy pour amener le flashback.
Le point de vue de l'enfant est bien rendu, avec la scène du matin qui passe et repasse dans son esprit, le côté centré sur lui-même et un peu trop gâté (maman sait que j'aime pas le choux).
De petits bémols : à mon avis le gamin ne devrait pas connaitre le mot "sosie". De même, sa réaction "Je ne veux pas mourir !" m'a fait un peu bizarre. A un âge aussi tendre, ne penserait-il pas plutôt qu'on va le dévorer ? A moins que le point de vue du gamin se mélange avec celui de l'homme qu'il est devenu.
Hihi, ça rappelle L'invasion des profanateurs de sépultures (film génial dans lequel il n'y a ni profanation ni sépulture, d'ailleurs) !
Bien vus les petites indices qui situent l'action dans le sud de la France.
Le coup de l'entraineur ainsi que d'autres détails mettent un doute sur la réalité de la situation et c'est bien vu aussi.
Sympa, la fin, avec les manifestations d'angoisse du gars qui reviennent.

Au final, une histoire de SF classique mais extrèmement bien ficelée, dans laquelle le point de vue de l'enfant amène une touche d'originalité.

Trucs et bidules : je trouve plus rien en ce moment...

Est', en pleine lecture

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-06-20 14:16:38 

 Commentaire WA 120 : MaedhrosDétails
Rigolo le titre. Surtout après lecture.
Le style familier est bien rendu et homogène. Ca donne un genre, le narrateur qui s'adresse au lecteur. (Je suis justement en train d'utiliser ce procédé pour le 119.)
Sont agréablement arriérés dans ce coin-là ! Pro-militaristes à fond, famille nombreuse, raciste, bigots... Ta description est d'un réalisme glaçant.
Rhoooooo !! Une citation de Star wars !
J'aime bien le caractère décousu du récit qui donne un côté spontané.
Arf arf arf, ils boivent de la Budweiser ! Le détail pittoresque ! J'adore !
On se demande à qui le gamin parle et où il veut en venir (notamment pour l'histoire de la rivière) mais je commence à me demander si ce ne serait pas à la police.
J'aime bien tes descriptions, avec des métaphores comme les cheveux verts de la rivère, le silence blanc de la neige...
Hum... noël... Vu le titre, je commence à avoir un doute affreux sur le père déguisé en père noël et la carabine du gamin.
Han purée ! L'est du KKK, en plus, le père ?! Vindjous, l'horreur ! Tu vas loin, hihi !
Du coup, s'il a tué son père, le gamin ne devrait-il pas être plus perturbé que ça en racontant le début de son histoire ? Et de ce fait, je comprends les questions orientées du début, sur la violence du père.
Héhé, bien vu la fin ! Et beau respect de la consigne, là, sérieux.

Au final, une histoire surprenante (bien que j'aie vu venir la fin), au ton bien rendu, qui fleure bon le sud des états-unis dans ce qu'il a de plus pittoresque et débectant.

Trucs et bidules : toujours rien

Est', en pleine lecture.

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