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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Mercredi 13 mars 2013 à 22:46:27
La ville dont la reine est une petite fille







L’étranger ouvrit les yeux. Des yeux hagards, soulignés de larges cernes noirs, dans un visage émacié couvert de taches brunes, comme l’était tout son corps, amaigri et osseux.
« Tu veux boire ? »
Elle avait peut-être neuf ans, peut-être dix, guère plus. Elle portait une robe bleue de la soie la plus fine qui soit, et ses cheveux blonds étaient retenus par un diadème d’or serti de saphirs aussi purs que ses yeux.
« Ma reine, il est réveillé, maintenant, il n’est pas séant... »
L’enfant se tourna vers la voix masculine qui émanait du fond de la grande pièce lumineuse.
« C’est moi qui fais les lois, Mérik. Je te sais gré de ta fidélité et de ta sollicitude. Mais cet homme est mon hôte, et je suis seul juge de ce qui sied ou pas. »
Elle souleva d’une main la tête du blessé et approcha la coupe de ses lèvres. L’homme but deux gorgées et se laissa retomber sur l’oreiller moelleux.
« Où suis-je ? Que s’est-il passé ?
- Tu as été blessé devant les remparts de la ville. Une de mes amies m’a prévenue. Je t’ai fait porter ici, et je t’ai soigné. Une étrange maladie obscurcit ta peau, et mon guérisseur n’y a point trouvé de remède, mais ta blessure est presque guérie. Quel est ton nom ?
- On me nomme Lehr, du Confin Est. Je suis venu chercher de l’aide.
- Et tu en as trouvée ! »
L’homme secoua la tête.
« Non... Chez nous, nous sommes tous malades... Mais ce n’est pas contagieux... Enfin, je ne crois pas... Il y a eu d’étranges fumées... Où suis-je ?
- Ne crains rien. Tu es en sécurité. Je ne permettrai pas qu’on te fasse du mal. Depuis la mort de mon père, je suis la reine de ce lieu, telle est la loi.
- Reine ? Majesté, je vous en supplie, je...
- Je m’appelle Noralys. Laisse tomber les « Majesté », c’est barbant. Tu crois que tu peux te lever un peu ? »
L’homme se tourna sur le côté, se dressa sur un coude. Il ferma les yeux un long moment, laissant s’éloigner le tempétueux vertige comme passe le vent furieux sur les plaines arides. Il s’assit au bord du lit, et prenant appui sur l’épaule de la petite fille, il se mit enfin debout. Ses jambes maigres tremblaient et son front le lancinait de mille aiguilles brûlantes, mais il sourit. Elle le soutint vers la grande fenêtre par où le soleil cascadait en flots chaleureux. Il cala ses cuisses contre le rebord, se crispa un peu sur l’épaule de son hôtesse, et son regard rivé au sol se releva enfin. Il respira amplement quand le vertige le reprit un instant. A ses pieds, peut-être cinquante toises en dessous de lui, s’étendait une ville aux toits d’ardoise, aux maisons rapprochées comme des épis de blé semés trop près ; les rues étroites étaient sinueuses, coudées, interminables dans leurs boucles et leurs lacets. Il ne distingua que de rares passants, pas un cheval, pas une charrette. Une immense muraille de pierre blanche ceinturait la ville ronde – ronde ?
Il regardait et regardait encore, bouche bée, ce dédale inextricable de ruelles dont certaines... Etait-ce un effet de la perspective ? Certaines – de nombreuses !- semblaient se finir en cul de sac ! C’était... un labyrinthe, un labyrinthe en spirale qui s’enroulait autour du château, dont il pouvait voir les bâtiments arrondis s’adosser à un mur courbe...
« Bienvenue en Hélix ! », claironna Noralys. C’est mon royaume. Il te plaît ? »




La jeune reine lui banda les yeux.
« Tu as besoin de marcher un peu, le guérisseur l’a dit. Mais pour sortir du château, les passages sont secrets. »
Elle avait ôté son diadème et s’était vêtue simplement d’une jupe grise et d’une tunique blanche, sur lesquelles elle avait jeté une cape noire dont elle avait relevé le capuchon. Il se laissa guider par des escaliers, des couloirs, des escaliers, des couloirs. Il monta et descendit, tourna et retourna. Même s’il avait voulu mémoriser l’itinéraire, il ne l’aurait pas pu. Enfin il sentit le soleil sur son visage, et ses narines humèrent l’odeur de l’herbe de printemps. Noralys ôta le bandeau.
« Nous sommes à l’extérieur du château. Et nous allons maintenant y entrer à nouveau. »
De vastes prairies d’étendaient devant eux, où paissaient des troupeaux de vaches bien propres et bien grasses. Dans un parc clôturé et ombragé une cinquantaine de chevaux broutaient paisiblement. Près de la porte, la seule porte étroite qui traversait l’épaisse muraille, se tenait le marché où il avait été agressé. Ses souvenirs lui faisaient défaut. Qui l’avait frappé, et pourquoi ? Il se souvenait seulement du long chemin poussiéreux qui menait à la citadelle, massive place forte d’une blancheur éclatante, ceinte d’un mur rond et dominée par trois tours à l’est, au sud et au nord. Il était fatigué, il avait soif, tellement soif... Et puis ?
Les deux gardes qui encadraient la porte sourirent d’un air complice quand Noralys dévoila son visage en repoussant un peu son capuchon. Elle mit un doigt sur sa bouche et aucun d’eux ne pipa mot.
« Est-ce bien raisonnable, votre Majesté, de sortir ainsi seule et sans escorte ?
- Je ne suis pas seule, tu es avec moi. Et puis personne ne le saura. Ellianor et Prisk sont des amis. Enfin, leurs filles sont mes amies depuis que je suis toute petite. Ils ne me dénonceront jamais à ce casse pieds de Mérik, mon premier ministre, qui s’imagine qu’il peut me donner des ordres parce que je suis plus jeune que lui !
- Il ne cherche sans doute qu’à vous protéger...
- Et aussi à garder autant de pouvoir qu’il le peut ! Mais je ne suis pas dupe. Le pouvoir est une drogue puissante, qui asservit même les sages, et dont l’excès est toujours mortel.
- Qui vous a appris cela ?
- C’est ma nourrice qui le dit. En fait, mon véritable premier ministre, c’est elle. Mérik n’est là que pour les apparences. Le bon peuple ne trouverait rien à redire à ce que je gouverne seule, mais les riches bourgeois auraient trop peur que je ne lèse leurs sacro-saints intérêts de par ma jeunesse et mon inexpérience. »
Lehr la regarda avec étonnement.
« Pardonnez mon indiscrétion, mais... quel âge avez-vous ?
- Je suis petite pour mon âge, mais j’ai déjà douze ans. La loi stipule qu’on ne peut régner qu’à partir de dix ans, et voilà juste un an que mon père est mort d’un accident de chasse. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit. Mais... ce n’est pas une question d’âge... »
Un éclair flamboyant illumina ses yeux myosotis tandis qu’elle souriait en signe d’apaisement.
« Mon père m’a appris à jouer aux échecs quand j’avais quatre ans. A six ans, je battais tous mes adversaires, les vieux, les jeunes, les sages et les fols, et même le roi mon père. Personne ne m’a jamais vaincue depuis. Je joue bien, et je joue vite. C’est juste une chance que j’ai. Je n’ai pas besoin de réfléchir, je vois l’échiquier dans son ensemble, et les solutions s’imposent à moi comme une évidence. Mon père disait que je tenais ça de ma mère. La pauvre femme est morte avant que je marche, je n’ai jamais su de quoi.
- Mais... Est-ce que tout cela ne vous pèse pas ? Les responsabilités, les intrigues... C’est une lourde charge que de gouverner un royaume, à un âge où le jeu devrait être encore votre principale occupation...
- Gouverner, c’est un jeu comme un autre. C’est très sérieux, un jeu, pour un enfant. Mais parce que c’est un jeu, il n’y a pas de place pour l’ambition ou pour la gloire. Et puis... c’est un tout petit royaume ! Mais assez parlé de moi, je t’ai dit que nous allions visiter Hélix ! »
Elle l’entraîna sur la gauche, et délaissant deux rues sur la droite, continua tout droit.
« C’est mon arrière grand-père qui a fait construire cette ville. Il en a dessiné les plans lui-même. C’était semble-t-il un esprit tortueux et méfiant. Les rues représentent un véritable labyrinthe, avec bon nombre de culs de sac, et il n’existe qu’un seul chemin pour arriver au pied des remparts. Aucun engin de guerre ne peut les traverser, elles sont trop étroites ! Et même si des hommes en armes atteignaient le château, aucune porte n’y donne accès... Depuis sa construction, Hélix n’a été attaquée que deux fois. Et chaque fois, les assaillants ont tous été tués dans les ruelles, bien avant qu’ils ne puissent même apercevoir le mur de la forteresse !
Comme tous les enfants de la ville, j’ai joué pendant des années dans ces rues, et j’en connais chaque pierre. Les yeux fermés, je ne m’y perdrais pas. Mon père savait que je ne courais aucun risque, et que les liens que je nouerais avec les enfants de mon âge m’assureraient de leur fidélité à l’âge adulte. »
Elle rabattit sa capuche et une bande d’enfants dépenaillés et nu-pieds, qui jouaient à se poursuivre avec des cris d’orfraies, se précipitèrent vers elle comme des moineaux vers un sac de grain.
« Noralys ! Noralys !
- Du calme, mes amis ! Bren, est-ce que tu as bien aidé ton père comme je te l’avais demandé ? Et toi, Garon, plus de gros mots ? Est-ce que vous avez tous été sages ?
- Oui, oui ! » hurla la marmaille d’une seule voix.
De ses poches la petite reine tira grand nombre de biscuits, guimauves et caramels qu’elle distribua largement, s’agenouillant pour recevoir en échange une bonne vingtaine de baisers aussi mouillés que gluants.
« Ce sont les frères et les soeurs que je n’aurai jamais. Avec plus d’amitié et moins de jalousie. Qu’est-ce que je te disais ? Ah oui, le labyrinthe. Même si tu ne t’y perds pas, il te faudra faire trois fois le tour de la ville avant d’arriver au rempart. C’est pour cela que notre emblème est l’escargot. C’est un animal pacifique, mais dans sa coquille il est bien protégé...
Comme tu le vois, les rez-de-chaussée des maisons sont parfois occupés par des ateliers d’artisans - boulanger, tailleur, sellier, ébéniste... Les marchands restent en dehors de la ville, sur le marché que nous avons traversé et qui se tient tous les jours. Ces ruelles étroites qui n’en finissent pas... Non, là c’est à gauche... C’est un peu oppressant, non ? Mais bien sûr, c’est intentionnel. Les maisons n’ont qu’une porte. Les fenêtres, trois fois plus hautes que larges, ne sont qu’à l’étage. On peut jeter de l’huile bouillante ou lancer des flèches en restant à l’abri. Toutes les maisons, absolument toutes, sont construites sur le même plan. Pourquoi ? Attends, attends, tu vas le savoir. Tiens, là, regarde en haut. Oui, il y a des ponts qui relient les maisons entre elles. Mais là, juste là... Eh oui, c’est une herse. Il y en a tous les deux cents pas. Des deux côtés on peut la baisser si la rue est envahie. Ce n’est qu’une grille de métal, mais ça ralentit encore l’ennemi.
Tu n’es pas trop fatigué ? Remonte ta capuche, toi aussi, et suis-moi, mais sans un mot : ton accent n’est pas le nôtre, et certains Hélixiens sont aussi méfiants que mon aïeul. »
Sans frapper, elle ouvrit la porte d’une maison. Ils se trouvèrent dans un hall tout en largeur, qui malgré l’absence de fenêtre était éclairé par la lumière du jour. Lehr leva la tête. L’étage était en retrait par rapport au mur de façade, juste limité par une balustrade, et trois passerelles permettaient d’atteindre les fenêtres. Noralys le mena vers la droite sans hésitation. Ils passèrent devant une lourde porte en chêne, renforcée de barres de fer entrecroisées, et s’engagèrent dans un étroit corridor qui faisait le tour de la maison sur trois côtés. A son extrémité, un escalier en colimaçon les fit monter à l’étage. Au bout d’un couloir, une porte, et encore un couloir, un escalier et une porte qu’ils franchirent pour se retrouver sur un de ces petits ponts qui reliaient les maisons entre elles. Nouvelle porte, nouvel escalier, mais cette fois le couloir du rez-de-chaussée s’ouvrait sur l’arrière de la maison. Lehr pénétra à la suite de son guide sur une petite place entièrement fermée par des façades. Deux puits en occupaient le centre, et quelques bancs étaient posés près des maisons. Ici, deux vieillards se réchauffaient au soleil, en échangeant quelques phrases fatiguées ; là, une femme ravaudait des habits en surveillant son enfant qui jouait à ses pieds.
« Il y a des places comme ça pour chaque îlot de maisons, comme si c’était un petit village ; mais les gens circulent librement d’un îlot à l’autre, il n’y a pas de rivalité comme parfois entre hameaux. Ah, viens voir ! Je suis sûre que tu n’as jamais rien vu de pareil ! »
Dans le coin entre deux maisons elle lui montra une fosse fermée par un grillage.
« Sais-tu ce que c’est ?
- L’entrée d’un souterrain ? Un passage secret ? »
Noralys éclata de rire.
« Non ! C’est un conduit pour évacuer les ordures et les déchets. On vide les seaux, on jette les épluchures et les saletés du ménage, un seau d’eau par-dessus, et c’est fini. Mon aïeul a fait creuser des galeries sous la ville, qui emportent les détritus vers une carrière en contrebas. Là, l’eau est filtrée sur une grille très fine, une sorte de grande passoire, et chaque jour cinq hommes récupèrent les déchets et les font brûler.
- Ce doit être très pénible ! Mais néanmoins c’est un travail plus honorable que de mendier pour nourrir sa famille.
- Mais que vas-tu chercher ? Ce travail n’est pas payé. Tous les hommes d’Hélix, riches ou pauvres, se relayent jour après jour. Même mon père y participait. Oh, personne ne lui aurait reproché de s’en dispenser, mais il était juste et généreux envers tout le monde. Bon, je dois dire que... être une fille a des avantages !
- Tout ceci est bien étonnant. Je ne sais pas ce qui me surprend le plus : l’ingéniosité du système, ou... le partage des tâches !
- C’est une petite ville, Lehr. Tout se sait ; celui qui se défilerait ne pourrait pas se cacher longtemps. Et puis, une matinée de travail trois fois par an, ce n’est pas insurmontable. »




Lehr pâlit et vacilla. Tous ces escaliers, ces ponts, ces escaliers, ces ponts...
« Mon pauvre ami, je t’ai épuisé avec mes bêtises ! Assieds-toi un instant. Ca va ? Tu es sûr que ça va ? Tu veux que je fasse quérir le guérisseur ? Nous allons rentrer doucement, d’accord ? »
Lehr se remit debout, mais le malaise le reprit, et il se laissa glisser à terre, le dos contre le mur. Il haletait, il grelottait, une sueur froide lui dégoulinait dans le dos, et la voix de Noralys lui semblait lointaine comme dans un rêve...
« Tu vas te reposer un peu... Il existe un passage secret pour regagner le château, mais je ne peux pas t’y emmener. Seule la famille royale doit connaître son existence. Je vais aller chercher de l’aide. Ne... ne meurs pas, s’il te plaît... Je me ferais gronder... Pense aux tiens, à ta famille... Attends-moi ! »
Lehr sentit ses membres s’alourdir, sa bouche se tordre en un rictus involontaire, puis il sombra dans l’inconscience.


« Il est très mal, votre Majesté. Peut-être s’est-il trop fatigué. Ou bien la maladie qui tache sa peau a provoqué des lésions internes, mais je n’ai jamais vu ce mal auparavant. Ou alors... le coup qu’il a reçu sur la tête... Parfois le blessé semble aller mieux, et quelques jours plus tard... Je ne peux même pas le faire boire, votre Majesté. Il ne sait plus déglutir.
- Très bien, très bien, je conçois que tu ne puisses pas tout savoir. Mais est-ce que quelqu’un...
- Personne en Hélix, ma Reine.
- Mais nous n’allons pas rester là à le regarder mourir ! »
Le guérisseur esquissa un pâle sourire de réconfort, et baissa les yeux. Noralys domina la colère qui montait en elle et ordonna sèchement :
« Va me chercher Korin.
- Le capitaine de la Garde ? Mais je...
- Je ne vais pas te punir, idiot ! Tu as fait ce que tu as pu. Et je suis peut-être la seule responsable de son état. Va me le chercher, vite ! Je veux seulement qu’on trouve quelqu’un qui puisse le sauver ! Cours ! »
Tandis que l’homme se précipitait hors de la pièce, la petite reine s’agenouilla près du moribond dont la respiration ample mais saccadée lui semblait à tout moment prête à s’interrompre.
« Bats-toi, mon ami, je t’en supplie ! J’ai vu mourir ma mère, et c’est le premier souvenir de ma vie... J’ai vu mourir mon père, alors qu’il était dans la force de l’âge... Je hais la mort injuste et cruelle ! Tu venais chercher de l’aide pour les tiens, et je ne t’ai pas écouté, et si tu meurs trop tôt je ne pourrai rien faire pour eux non plus ! Je te promets, je te promets... »




(à suivre.)
Narwa Roquen, tournez manèges


  
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3 Commentaire WA 117 Narwa - Estellanara (Lun 15 avr 2013 à 14:07)
3 Convexe et Concave. - Maedhros (Dim 24 mar 2013 à 19:11)


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