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 WA, exercice n°117 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 7 fevrier 2013 à 23:02:04
Un jour Orson Scott Card dessina machinalement sur du papier pelure un fleuve, des maisons, des murailles, des portes... Puis il nomma les lieux, les temples, les portes, en y cherchant une cohérence, ce qui lui fit imaginer le passé de la ville qu'il avait inventée. Petit à petit, des personnages s'imposèrent, et l'intrigue suivit. Cela devint un roman ("Espoir-du cerf".
Cet auteur est unique, mais ça ne nous empêche pas de jouer! Vous allez donc dans un premier temps dessiner une ville. Puis vous la décrirez, ce qui sera l'objet de cette WA. Vous pouvez faire intervenir des personnages pour nous servir de guides, vous pouvez raconter l'histoire des lieux, mais pas l'intrigue, qui fera l'objet de la suite. Le piège: décrire et encore et encore... ce qui lasserait le lecteur. Il s'agit de poser le décor, sans rien dévoiler de vos desseins futurs... qui ne sont peut-être encore que de vagues sentiments... Mais le lecteur n'a pas besoin de le savoir. Chaque chose en son temps.
Je vous aurais bien accordé trois semaines... Mais quelque chose me dit que cela ne fera qu'entretenir le retard qui se perpétue d'une WA sur l'autre. Alors, je vais appliquer le principe de réalité et nous offrir royalement quatre semaines pour tenter de retomber sur nos pattes... de chat, bien sûr. Cela nous amène au jeudi 7 mars, qui sera la Mi-carême ... et la sainte Félicité, tout un programme...
N'oubliez pas de vous amuser! Nul besoin d'être Michel-Ange pour tracer quelques droites, quelques courbes et quelques petits carrés noirs. Laissez voyager votre imagination, vous n'avez aucune contrainte de genre, pas de doc à chercher, laissez venir à vous les petites idées...
Narwa Roquen, crayon, gomme, papier... Non, pierre, puits et ciseaux c'est autre chose!


  
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Réponses à ce message :
z653z  Ecrire à z653z

2013-02-16 15:47:54 

 pierre-feuille-ciseauxDétails
voir la page wikipedia dédiée :)
Ce message prouve que je passe de temps en temps ici ;)
Encore une idée originale c'est épatant.

Ce message a été lu 5854 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-03-13 22:46:27 

 WA n°117, participationDétails
La ville dont la reine est une petite fille







L’étranger ouvrit les yeux. Des yeux hagards, soulignés de larges cernes noirs, dans un visage émacié couvert de taches brunes, comme l’était tout son corps, amaigri et osseux.
« Tu veux boire ? »
Elle avait peut-être neuf ans, peut-être dix, guère plus. Elle portait une robe bleue de la soie la plus fine qui soit, et ses cheveux blonds étaient retenus par un diadème d’or serti de saphirs aussi purs que ses yeux.
« Ma reine, il est réveillé, maintenant, il n’est pas séant... »
L’enfant se tourna vers la voix masculine qui émanait du fond de la grande pièce lumineuse.
« C’est moi qui fais les lois, Mérik. Je te sais gré de ta fidélité et de ta sollicitude. Mais cet homme est mon hôte, et je suis seul juge de ce qui sied ou pas. »
Elle souleva d’une main la tête du blessé et approcha la coupe de ses lèvres. L’homme but deux gorgées et se laissa retomber sur l’oreiller moelleux.
« Où suis-je ? Que s’est-il passé ?
- Tu as été blessé devant les remparts de la ville. Une de mes amies m’a prévenue. Je t’ai fait porter ici, et je t’ai soigné. Une étrange maladie obscurcit ta peau, et mon guérisseur n’y a point trouvé de remède, mais ta blessure est presque guérie. Quel est ton nom ?
- On me nomme Lehr, du Confin Est. Je suis venu chercher de l’aide.
- Et tu en as trouvée ! »
L’homme secoua la tête.
« Non... Chez nous, nous sommes tous malades... Mais ce n’est pas contagieux... Enfin, je ne crois pas... Il y a eu d’étranges fumées... Où suis-je ?
- Ne crains rien. Tu es en sécurité. Je ne permettrai pas qu’on te fasse du mal. Depuis la mort de mon père, je suis la reine de ce lieu, telle est la loi.
- Reine ? Majesté, je vous en supplie, je...
- Je m’appelle Noralys. Laisse tomber les « Majesté », c’est barbant. Tu crois que tu peux te lever un peu ? »
L’homme se tourna sur le côté, se dressa sur un coude. Il ferma les yeux un long moment, laissant s’éloigner le tempétueux vertige comme passe le vent furieux sur les plaines arides. Il s’assit au bord du lit, et prenant appui sur l’épaule de la petite fille, il se mit enfin debout. Ses jambes maigres tremblaient et son front le lancinait de mille aiguilles brûlantes, mais il sourit. Elle le soutint vers la grande fenêtre par où le soleil cascadait en flots chaleureux. Il cala ses cuisses contre le rebord, se crispa un peu sur l’épaule de son hôtesse, et son regard rivé au sol se releva enfin. Il respira amplement quand le vertige le reprit un instant. A ses pieds, peut-être cinquante toises en dessous de lui, s’étendait une ville aux toits d’ardoise, aux maisons rapprochées comme des épis de blé semés trop près ; les rues étroites étaient sinueuses, coudées, interminables dans leurs boucles et leurs lacets. Il ne distingua que de rares passants, pas un cheval, pas une charrette. Une immense muraille de pierre blanche ceinturait la ville ronde – ronde ?
Il regardait et regardait encore, bouche bée, ce dédale inextricable de ruelles dont certaines... Etait-ce un effet de la perspective ? Certaines – de nombreuses !- semblaient se finir en cul de sac ! C’était... un labyrinthe, un labyrinthe en spirale qui s’enroulait autour du château, dont il pouvait voir les bâtiments arrondis s’adosser à un mur courbe...
« Bienvenue en Hélix ! », claironna Noralys. C’est mon royaume. Il te plaît ? »




La jeune reine lui banda les yeux.
« Tu as besoin de marcher un peu, le guérisseur l’a dit. Mais pour sortir du château, les passages sont secrets. »
Elle avait ôté son diadème et s’était vêtue simplement d’une jupe grise et d’une tunique blanche, sur lesquelles elle avait jeté une cape noire dont elle avait relevé le capuchon. Il se laissa guider par des escaliers, des couloirs, des escaliers, des couloirs. Il monta et descendit, tourna et retourna. Même s’il avait voulu mémoriser l’itinéraire, il ne l’aurait pas pu. Enfin il sentit le soleil sur son visage, et ses narines humèrent l’odeur de l’herbe de printemps. Noralys ôta le bandeau.
« Nous sommes à l’extérieur du château. Et nous allons maintenant y entrer à nouveau. »
De vastes prairies d’étendaient devant eux, où paissaient des troupeaux de vaches bien propres et bien grasses. Dans un parc clôturé et ombragé une cinquantaine de chevaux broutaient paisiblement. Près de la porte, la seule porte étroite qui traversait l’épaisse muraille, se tenait le marché où il avait été agressé. Ses souvenirs lui faisaient défaut. Qui l’avait frappé, et pourquoi ? Il se souvenait seulement du long chemin poussiéreux qui menait à la citadelle, massive place forte d’une blancheur éclatante, ceinte d’un mur rond et dominée par trois tours à l’est, au sud et au nord. Il était fatigué, il avait soif, tellement soif... Et puis ?
Les deux gardes qui encadraient la porte sourirent d’un air complice quand Noralys dévoila son visage en repoussant un peu son capuchon. Elle mit un doigt sur sa bouche et aucun d’eux ne pipa mot.
« Est-ce bien raisonnable, votre Majesté, de sortir ainsi seule et sans escorte ?
- Je ne suis pas seule, tu es avec moi. Et puis personne ne le saura. Ellianor et Prisk sont des amis. Enfin, leurs filles sont mes amies depuis que je suis toute petite. Ils ne me dénonceront jamais à ce casse pieds de Mérik, mon premier ministre, qui s’imagine qu’il peut me donner des ordres parce que je suis plus jeune que lui !
- Il ne cherche sans doute qu’à vous protéger...
- Et aussi à garder autant de pouvoir qu’il le peut ! Mais je ne suis pas dupe. Le pouvoir est une drogue puissante, qui asservit même les sages, et dont l’excès est toujours mortel.
- Qui vous a appris cela ?
- C’est ma nourrice qui le dit. En fait, mon véritable premier ministre, c’est elle. Mérik n’est là que pour les apparences. Le bon peuple ne trouverait rien à redire à ce que je gouverne seule, mais les riches bourgeois auraient trop peur que je ne lèse leurs sacro-saints intérêts de par ma jeunesse et mon inexpérience. »
Lehr la regarda avec étonnement.
« Pardonnez mon indiscrétion, mais... quel âge avez-vous ?
- Je suis petite pour mon âge, mais j’ai déjà douze ans. La loi stipule qu’on ne peut régner qu’à partir de dix ans, et voilà juste un an que mon père est mort d’un accident de chasse. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit. Mais... ce n’est pas une question d’âge... »
Un éclair flamboyant illumina ses yeux myosotis tandis qu’elle souriait en signe d’apaisement.
« Mon père m’a appris à jouer aux échecs quand j’avais quatre ans. A six ans, je battais tous mes adversaires, les vieux, les jeunes, les sages et les fols, et même le roi mon père. Personne ne m’a jamais vaincue depuis. Je joue bien, et je joue vite. C’est juste une chance que j’ai. Je n’ai pas besoin de réfléchir, je vois l’échiquier dans son ensemble, et les solutions s’imposent à moi comme une évidence. Mon père disait que je tenais ça de ma mère. La pauvre femme est morte avant que je marche, je n’ai jamais su de quoi.
- Mais... Est-ce que tout cela ne vous pèse pas ? Les responsabilités, les intrigues... C’est une lourde charge que de gouverner un royaume, à un âge où le jeu devrait être encore votre principale occupation...
- Gouverner, c’est un jeu comme un autre. C’est très sérieux, un jeu, pour un enfant. Mais parce que c’est un jeu, il n’y a pas de place pour l’ambition ou pour la gloire. Et puis... c’est un tout petit royaume ! Mais assez parlé de moi, je t’ai dit que nous allions visiter Hélix ! »
Elle l’entraîna sur la gauche, et délaissant deux rues sur la droite, continua tout droit.
« C’est mon arrière grand-père qui a fait construire cette ville. Il en a dessiné les plans lui-même. C’était semble-t-il un esprit tortueux et méfiant. Les rues représentent un véritable labyrinthe, avec bon nombre de culs de sac, et il n’existe qu’un seul chemin pour arriver au pied des remparts. Aucun engin de guerre ne peut les traverser, elles sont trop étroites ! Et même si des hommes en armes atteignaient le château, aucune porte n’y donne accès... Depuis sa construction, Hélix n’a été attaquée que deux fois. Et chaque fois, les assaillants ont tous été tués dans les ruelles, bien avant qu’ils ne puissent même apercevoir le mur de la forteresse !
Comme tous les enfants de la ville, j’ai joué pendant des années dans ces rues, et j’en connais chaque pierre. Les yeux fermés, je ne m’y perdrais pas. Mon père savait que je ne courais aucun risque, et que les liens que je nouerais avec les enfants de mon âge m’assureraient de leur fidélité à l’âge adulte. »
Elle rabattit sa capuche et une bande d’enfants dépenaillés et nu-pieds, qui jouaient à se poursuivre avec des cris d’orfraies, se précipitèrent vers elle comme des moineaux vers un sac de grain.
« Noralys ! Noralys !
- Du calme, mes amis ! Bren, est-ce que tu as bien aidé ton père comme je te l’avais demandé ? Et toi, Garon, plus de gros mots ? Est-ce que vous avez tous été sages ?
- Oui, oui ! » hurla la marmaille d’une seule voix.
De ses poches la petite reine tira grand nombre de biscuits, guimauves et caramels qu’elle distribua largement, s’agenouillant pour recevoir en échange une bonne vingtaine de baisers aussi mouillés que gluants.
« Ce sont les frères et les soeurs que je n’aurai jamais. Avec plus d’amitié et moins de jalousie. Qu’est-ce que je te disais ? Ah oui, le labyrinthe. Même si tu ne t’y perds pas, il te faudra faire trois fois le tour de la ville avant d’arriver au rempart. C’est pour cela que notre emblème est l’escargot. C’est un animal pacifique, mais dans sa coquille il est bien protégé...
Comme tu le vois, les rez-de-chaussée des maisons sont parfois occupés par des ateliers d’artisans - boulanger, tailleur, sellier, ébéniste... Les marchands restent en dehors de la ville, sur le marché que nous avons traversé et qui se tient tous les jours. Ces ruelles étroites qui n’en finissent pas... Non, là c’est à gauche... C’est un peu oppressant, non ? Mais bien sûr, c’est intentionnel. Les maisons n’ont qu’une porte. Les fenêtres, trois fois plus hautes que larges, ne sont qu’à l’étage. On peut jeter de l’huile bouillante ou lancer des flèches en restant à l’abri. Toutes les maisons, absolument toutes, sont construites sur le même plan. Pourquoi ? Attends, attends, tu vas le savoir. Tiens, là, regarde en haut. Oui, il y a des ponts qui relient les maisons entre elles. Mais là, juste là... Eh oui, c’est une herse. Il y en a tous les deux cents pas. Des deux côtés on peut la baisser si la rue est envahie. Ce n’est qu’une grille de métal, mais ça ralentit encore l’ennemi.
Tu n’es pas trop fatigué ? Remonte ta capuche, toi aussi, et suis-moi, mais sans un mot : ton accent n’est pas le nôtre, et certains Hélixiens sont aussi méfiants que mon aïeul. »
Sans frapper, elle ouvrit la porte d’une maison. Ils se trouvèrent dans un hall tout en largeur, qui malgré l’absence de fenêtre était éclairé par la lumière du jour. Lehr leva la tête. L’étage était en retrait par rapport au mur de façade, juste limité par une balustrade, et trois passerelles permettaient d’atteindre les fenêtres. Noralys le mena vers la droite sans hésitation. Ils passèrent devant une lourde porte en chêne, renforcée de barres de fer entrecroisées, et s’engagèrent dans un étroit corridor qui faisait le tour de la maison sur trois côtés. A son extrémité, un escalier en colimaçon les fit monter à l’étage. Au bout d’un couloir, une porte, et encore un couloir, un escalier et une porte qu’ils franchirent pour se retrouver sur un de ces petits ponts qui reliaient les maisons entre elles. Nouvelle porte, nouvel escalier, mais cette fois le couloir du rez-de-chaussée s’ouvrait sur l’arrière de la maison. Lehr pénétra à la suite de son guide sur une petite place entièrement fermée par des façades. Deux puits en occupaient le centre, et quelques bancs étaient posés près des maisons. Ici, deux vieillards se réchauffaient au soleil, en échangeant quelques phrases fatiguées ; là, une femme ravaudait des habits en surveillant son enfant qui jouait à ses pieds.
« Il y a des places comme ça pour chaque îlot de maisons, comme si c’était un petit village ; mais les gens circulent librement d’un îlot à l’autre, il n’y a pas de rivalité comme parfois entre hameaux. Ah, viens voir ! Je suis sûre que tu n’as jamais rien vu de pareil ! »
Dans le coin entre deux maisons elle lui montra une fosse fermée par un grillage.
« Sais-tu ce que c’est ?
- L’entrée d’un souterrain ? Un passage secret ? »
Noralys éclata de rire.
« Non ! C’est un conduit pour évacuer les ordures et les déchets. On vide les seaux, on jette les épluchures et les saletés du ménage, un seau d’eau par-dessus, et c’est fini. Mon aïeul a fait creuser des galeries sous la ville, qui emportent les détritus vers une carrière en contrebas. Là, l’eau est filtrée sur une grille très fine, une sorte de grande passoire, et chaque jour cinq hommes récupèrent les déchets et les font brûler.
- Ce doit être très pénible ! Mais néanmoins c’est un travail plus honorable que de mendier pour nourrir sa famille.
- Mais que vas-tu chercher ? Ce travail n’est pas payé. Tous les hommes d’Hélix, riches ou pauvres, se relayent jour après jour. Même mon père y participait. Oh, personne ne lui aurait reproché de s’en dispenser, mais il était juste et généreux envers tout le monde. Bon, je dois dire que... être une fille a des avantages !
- Tout ceci est bien étonnant. Je ne sais pas ce qui me surprend le plus : l’ingéniosité du système, ou... le partage des tâches !
- C’est une petite ville, Lehr. Tout se sait ; celui qui se défilerait ne pourrait pas se cacher longtemps. Et puis, une matinée de travail trois fois par an, ce n’est pas insurmontable. »




Lehr pâlit et vacilla. Tous ces escaliers, ces ponts, ces escaliers, ces ponts...
« Mon pauvre ami, je t’ai épuisé avec mes bêtises ! Assieds-toi un instant. Ca va ? Tu es sûr que ça va ? Tu veux que je fasse quérir le guérisseur ? Nous allons rentrer doucement, d’accord ? »
Lehr se remit debout, mais le malaise le reprit, et il se laissa glisser à terre, le dos contre le mur. Il haletait, il grelottait, une sueur froide lui dégoulinait dans le dos, et la voix de Noralys lui semblait lointaine comme dans un rêve...
« Tu vas te reposer un peu... Il existe un passage secret pour regagner le château, mais je ne peux pas t’y emmener. Seule la famille royale doit connaître son existence. Je vais aller chercher de l’aide. Ne... ne meurs pas, s’il te plaît... Je me ferais gronder... Pense aux tiens, à ta famille... Attends-moi ! »
Lehr sentit ses membres s’alourdir, sa bouche se tordre en un rictus involontaire, puis il sombra dans l’inconscience.


« Il est très mal, votre Majesté. Peut-être s’est-il trop fatigué. Ou bien la maladie qui tache sa peau a provoqué des lésions internes, mais je n’ai jamais vu ce mal auparavant. Ou alors... le coup qu’il a reçu sur la tête... Parfois le blessé semble aller mieux, et quelques jours plus tard... Je ne peux même pas le faire boire, votre Majesté. Il ne sait plus déglutir.
- Très bien, très bien, je conçois que tu ne puisses pas tout savoir. Mais est-ce que quelqu’un...
- Personne en Hélix, ma Reine.
- Mais nous n’allons pas rester là à le regarder mourir ! »
Le guérisseur esquissa un pâle sourire de réconfort, et baissa les yeux. Noralys domina la colère qui montait en elle et ordonna sèchement :
« Va me chercher Korin.
- Le capitaine de la Garde ? Mais je...
- Je ne vais pas te punir, idiot ! Tu as fait ce que tu as pu. Et je suis peut-être la seule responsable de son état. Va me le chercher, vite ! Je veux seulement qu’on trouve quelqu’un qui puisse le sauver ! Cours ! »
Tandis que l’homme se précipitait hors de la pièce, la petite reine s’agenouilla près du moribond dont la respiration ample mais saccadée lui semblait à tout moment prête à s’interrompre.
« Bats-toi, mon ami, je t’en supplie ! J’ai vu mourir ma mère, et c’est le premier souvenir de ma vie... J’ai vu mourir mon père, alors qu’il était dans la force de l’âge... Je hais la mort injuste et cruelle ! Tu venais chercher de l’aide pour les tiens, et je ne t’ai pas écouté, et si tu meurs trop tôt je ne pourrai rien faire pour eux non plus ! Je te promets, je te promets... »




(à suivre.)
Narwa Roquen, tournez manèges

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-03-16 18:26:03 

  WA - Participation exercice n°117Détails
En retard... mais encore vivant!

LE LIT DE LA DEESSE


Cui non risere parentes, nec deus hunc mensa, dea nec dignata cubili est (*)



La Ville se dresse au confluent de deux grands fleuves qui, depuis les cimes enneigées des montagnes du Nord, paressent en larges lacets scintillants sous un ciel d’azur. Le premier prend sa source sous un glacier immaculé et ses eaux sont aussi claires qu'une neige fraîchement tombée. Le second jaillit d'un gouffre ténébreux et ses eaux sont aussi sombres qu'une nuit sans lune. En aval de leur jonction, les deux puissants fleuves tardent à se marier avant de se répandre dans le riche delta limoneux qui étire ses doigts filandreux vers la mer turquoise.

La Ville est un anneau resplendissant qui brille au doigt de la Déesse, dit le proverbe. Cela est vrai. Une déesse dort dans ces eaux puissantes et profondes. Si l’on se penche au-dessus d’un pont en particulier, à une certaine heure du jour, quand des nuages plombés filtre une lumière tamisée et oblique, il est possible de distinguer, parmi les milliers de poissons d’argent qui fusent sous la surface, les fils moirés de son ondoyante chevelure marine et les reflets laiteux des perles de son diadème. Mais vous aurez beau fixer vos regards avec la dernière insistance jusqu’à ce que vos yeux rougis s’embuent de larmes, les traits symétriques de son altier visage demeureront insaisissables. Si près et si loin à la fois. N'est-ce pas révélateur de la condition humaine?

On raconte que des sujets trop sensibles ont basculé dans le fleuve, comme hypnotisés par l'appel muet et invisible lancé depuis les flots en perpétuel changement. Ils ont sombré et le courant nonchalant qui s'est refermé sur eux ne les a jamais rendus. On les a appelés les Amants Inconsolables de la Déesse. Leurs familles éplorées et couvertes de cendres ont jeté du haut du pont des couronnes de fleurs pour apaiser la divinité mais rien n’y a fait. Leurs prières sont restées vaines. Les eaux noires et blanches qui peinent à se mélanger ont coulé et coulent encore sans rien laisser paraître. On raconte que la Déesse se lèvera un jour. Et ce jour béni entre tous, les murs de la Ville s'écrouleront et tous seront à nouveau libres.

La Ville. Son histoire est riche et mystérieuse.

Mille ans auparavant, un peuple fier et intrépide, accouru des hauts plateaux, s’était présenté sous ses murs, attiré par sa splendeur et ses richesses. C’était un peuple de conquérants indomptables, aimant par-dessus tout ses petits chevaux bruns, vifs et endurants et il était jaloux de sa liberté. C'étaient des nomades qui allaient où les vents les poussaient. Ils étaient féroces et impitoyables au combat. Aucune armée jusque là n'avait réussi à contenir leur assaut. Ils laissaient derrière eux des ruines fumantes et emmenaient de longues files d'esclaves qu'ils vendaient ensuite sur les marchés à bestiaux. Au sommet des remparts, derrière les créneaux, les mercenaires qui composaient la garnison de la Ville étaient réputés pour leur professionnalisme et leurs généraux étaient avisés et prudents. Les murailles qui ceignaient la cité étaient hautes et entretenues, les nombreux greniers et silos regorgeaient de grains et de farine, et les puits d'eau claire et fraîche ne manquaient pas. Un siège aurait été longtemps incertain et pourtant, avant même que la première flèche enflammée ne soit décochée, avant même que les échelles de corde et les béliers d'airain n'entrent en action, les lourds battants bardés de fer de la Porte des Horizons tournèrent sur leurs gonds, s'écartant sans bruit devant les légions barbares.

Un souffle tiède et parfumé enveloppa les milliers de guerriers nomades comme une caresse soyeuse, leur ôtant toute velléité de violence et diluant leur soif de mise à sac. Au contraire, à la suite de leurs chefs, ils s'engouffrèrent en silence sous la double herse du grand pont-levis jusqu’au dernier cavalier de l'arrière-garde. La Porte aux couleuvres d’argent se referma dans un soupir après que la dernière carriole tirée par des buffles des steppes eût pénétré dans la cité. La plaine immense s'était vidée et, hormis les traces laissées par les sabots et les roues innombrables, il semblait qu'il en avait toujours été ainsi. Nul n'entendit jamais plus parler du peuple de conquérants. La Ville s'assoupit à nouveau, tel un serpent lové au soleil, immobile et digérant sa proie.

Le temps s'écoula et d'autres envahisseurs tentèrent à leur tour de s'emparer des trésors qu'on disait à peine cachés sous les dômes rutilants des temples d'or. Ils disparurent de la même façon et la Ville continua de se dresser au confluent des deux fleuves. Plus le temps passait, plus la légende grandissait. La Ville était habitée par des démons et ceux qui y pénétraient avec des intentions belliqueuses, s'évanouissaient corps et biens, victimes d'un terrible sort. Leurs âmes et leurs yeux arrachés, ils erraient sans fin à la recherche de ce qu'ils avaient perdu, ombres peuplant les ombres. Peu à peu les routes d'invasion évitèrent la Ville puis les convois de caravanes espacèrent aussi leurs étapes. Bientôt, seuls les aventuriers et les fous osèrent s'approcher des murailles d'albâtre qui s'élèvent au-dessus des eaux noires et des murailles de fer martelé qui surplombent les eaux blanches.

La Ville toute entière est circonscrite dans un triangle équilatéral dont la pointe méridionale se reflète dans le confluent où les deux fleuves se rejoignent en larges remous. Selon la légende, cette Ville fut bâtie par trois frères. Trois rois. Les Triarques. Chacun a apposé sa signature indélébile.

Le premier roi était un Musicien.

Bien sûr, il construisit la Salle de Concert, monument élégant en forme de rotonde, érigé dans l'un des quartiers ouest. Les rangées concentriques de gradins tendus de velours cramoisi encerclent une scène superbement dépouillée. Ses proportions idéales modèlent une acoustique exceptionnelle qui permet à chaque auditeur, quelle que soit sa place, d'entendre distinctement le battement d'ailes d'un papillon au-dessus de la scène. Qu'il y ait dix ou bien dix mille mélomanes, qu'il y ait un soliste ou un orchestre de deux cents musiciens, le son jaillit avec la même précision et la même force. Aucune réverbération intempestive n'altère la pureté des notes jouées. La substance intrinsèque de la musique est magnifiée au plus haut degré, transportant les mélomanes dans les sphères éthérées de l'écoute absolue.

Alors oui, bien sûr, la Salle de Concert est le grand oeuvre du Roi, la représentation éternelle de sa passion pour une conception radicale de la Musique. Il n'a pas hésité à empoisonner les architectes qui, sous sa férule, ont dessiné les plans de ce monument. Il a emmuré vivants derrière les parois latérales et sous la scène, les centaines d'ouvriers ayant servi sous ses ordres. Les cris déchirants éructés par des bouches sans langue ont imprégné durant de longues semaines les matières inanimées, bois précieux et marbre, leur conférant à la longue une tessiture émotionnelle toute particulière, favorisant une profondeur et une qualité de son à nulle autre pareilles. On raconte que certaines partitions évocatrices font naître des sentiments si intenses qu'il en devient presque douloureux et difficile d'y renoncer. Après chaque représentation, il n'est pas rare de trouver un auditeur prostré sur les gradins, son esprit ayant été incapable de réintégrer son corps. On peut lire sur son visage figé une incroyable expression de ravissement extatique. Certains n'en reviennent jamais totalement. Ils végètent dans les parcs qui jouxtent la Rotonde et vivent de la charité des musiciens qui déposent une partie de leur cachet dans des urnes spéciales.

Mais le Roi Musicien a conçu bien d'autres merveilles. Quand les vents soufflent sur la Ville, s'enroulant entre les flèches des églises et des minarets, s'élève une autre musique. Une musique qui ne doit rien aux portées de solfège traditionnelles. Les formes et les matières des bâtiments, les espaces et les pleins, ont été assemblés afin de produire mille sonorités, aériennes ou telluriques, qui enchantent les promeneurs. Sans cesse renouvelées, elles sont toujours en parfaite harmonie. Chaque vent possède une teinte et un style parfaitement identifiables. Le vent du Nord est froid et tranchant, vif et puissant. Il porte en lui des vibratos de cordes et de cuivres aux accents glacés et brillants. Le Vent du Sud est léger et parfumé, doux et baguenaudier. Il raconte une toute autre histoire, émaillée d'accords flûtés et de discrets tintements de cloches marines distantes. Même les trilles des oiseaux venus de la mer se marient sans fausse note avec les Vents qui balaient les façades et les toits de la Cité. Ils prennent appui dans les feuillages des arbres de différentes espèces et de différentes hauteurs, plantés le long des larges avenues ou en bosquets dans les parcs verdoyants. Ils rebondissent à la surface étale des bassins et s'engouffrent sous les arcades alignées qui encadrent les places aux formes géométriques.

Il existe bien d'autres musiques. Certaines sont chantées par les eaux vives qui baignent les canaux et les douves de la Cité. Une cascade artificielle tisse une symphonie champêtre. Une fontaine moussue récite un long poème musical. Des jeux d'eau au-dessus d'un bassin font retentir des fugues enlevées qui glissent en mille reflets scintillants. Toute la Ville n'est qu'une table d'harmonie où une musique sacrée et sublime naît à la moindre vibration. Même les pas des promeneurs ou les martèlements des sabots impriment à la mélodie environnante une cadence qui en souligne les contrastes. On raconte que nul ne peut se prétendre vraiment musicien s'il n'a pas, un jour dans sa vie, flâné dans les rues et ruelles de la Ville et s'il ne s'est pas assis dans les gradins de bois précieux. On raconte aussi que tous ceux qui ont tenté l'expérience sont revenus définitivement changés. Ils ne disent rien sur ce qu'ils ont entendu. Ils se contentent de ranger leurs instruments dans leurs étuis et oublient la musique.

Le Roi Musicien a depuis longtemps disparu.

Il existe une crypte profonde et secrète creusée sous la forteresse qui domine la Ville sur le piton méridional. Sur un autel de marbre blanc, aux lignes simples et fluides, sont posés trois reliquaires, écrins de nacre et de vermeil, fermés par des sceaux en or massif. L'un d'eux contient le coeur encore battant du Roi Musicien.

Le deuxième roi était un Peintre.

Il avait arpenté sans relâche la terre pour compléter les pigments de sa palette. Il voulait que ses pinceaux et ses couteaux puissent exprimer toute l'intensité d'une passion qui le dévorait. Il voulait rivaliser avec la Nature. Il voulait que ses couleurs et ses lumières fassent pâlir toutes les autres. Il voulait créer une Nature sublimée et miraculeuse. Il désirait tant de choses que parfois, submergé par les émotions qui l'étreignaient, il était pris de violents tremblements incontrôlables. Il se battait avec lui-même, impuissant à traduire sur la toile tendue devant lui ce qu'il ressentait. Alors, comme pris de démence, il brûlait tous ses dessins, toutes ses aquarelles et s'enfuyait jusqu'au bout de la terre parce qu'il y avait là-bas, il en était certain, une réponse à ce qu'il cherchait. Il revenait des mois plus tard avec dans ses bagues, la terre rare ou les cristaux qui lui permettaient d'obtenir la teinte à laquelle il avait rêvé. Il voulait peindre un unique tableau. Un tableau qui concentrerait l'ensemble de la Peinture. Une toile pour tout dire et se taire ensuite.

Un jour, il acheva son oeuvre et la dévoila aux yeux émerveillés de ses frères. Ce jour-là, la Ville Idéale n'était encore qu'un rêve à peine ébauché, un projet en gestation. Mais l'évidence de la révélation s'imposa à tous. Ce tableau, non cette fresque gigantesque et hors normes serait l'une des merveilles de la Ville qu'ils édifiraient. Alors ils bâtirent en son centre un musée spacieux, doté de hauts murs blanchis à la chaux. Les salles d'exposition étaient vastes et solennelles, étudiées pour composer un itinéraire qui conduisait peu à peu à la salle haute, la plus majestueuse. Celle-ci était immense, éclairée par d'étroites baies qui descendaient jusqu'au sol carrelé, comme les branchies d'un poisson de pierre.

Là, sur le mur immaculé, le Roi Peintre exposa sa toile. C'était sa place naturelle. On avait l'impression de contempler à travers une brèche de l'espace, un autre monde à peine distant, situé juste de l'autre côté du mur. C'était si vivant qu'on s'attendait à tout instant à voir s'animer les personnages et les créatures disséminés sur la toile. Plus on s'en approchait, plus on s'apercevait d'une multitude de détails jusque là invisibles. Il semblait qu'il n'y avait aucune limite, comme si la précision de l'examen révélait au fur et à mesure des dimensions supplémentaires. Le Roi Peintre soupira et un sourire éclaira son visage. Il recula d'un pas, puis de deux, puis de trois et à chaque fois, il hochait la tête avec satisfaction. Il avait réussi. Au-delà de toutes ses espérances. Il avait créé un monde et ce monde était infiniment beau et infiniment complexe. Il dit également à ses frères que quelque part sur la toile, il avait caché son Amour. Mais nul n'a jamais découvert son visage.

Le musée comprenait des dizaines de salles pouvant accueillir des centaines de toiles. Aucun loyer n'était réclamé aux artistes qui voulaient être exposés. Seul un jury composé de pairs impartiaux vérifiait qu'une qualité minimale était bien présente et attribuait bourses et prix aux oeuvres les plus remarquables. La renommée du Musée dépassa bientôt les limites du Royaume des Trois Couronnes et les artistes se pressèrent pour figurer aux côtés de la Fresque du Roi Peintre.

Inexplicablement, quelques mois après que tous les emplacements aient été attribués, toutes les toiles virent leurs couleurs s'affadir, se ternir, devenir grisâtres. Les plus beaux paysages s'enténébraient, lugubres et sinistres, vestiges de deuil et de misère. Les plus beaux portraits s'enlaidissaient, les regards se voilaient, les traits se creusaient et les bouches grimaçaient tandis qu'un acide blanchâtre rongeait les tons chairs comme une lèpre galopante. Seule la Fresque royale triomphait sans égale. Il semblait que ses propres couleurs se renforçaient du déclin des autres, éclatant en myriades de teintes nouvelles. Une rumeur enfla dans les rues et les avenues, dans les palais et les temples, les auberges et les caravansérails. Elle monta peu à peu jusqu'à la citadelle, jusque dans la plus haute tour de la forteresse où, dans la salle des Trois Trônes, siégeaient les triarques lorsqu'ils n'étaient pas occupés à étendre et embellir la Cité. Un vampire hantait le Musée. Il se repaissait d'un sang particulier. Il buvait les couleurs des tableaux et aspirait leur substance. Un vampire hantait le musée. Personne n'osa cependant porter d'accusation publique. Mais le Musée se vida peu à peu, les artistes se détournèrent de lui, préférant d'autres lieux moins prestigieux.

Le Roi fut cruellement meurtri de la désaffection qui frappa le Musée. Mais il ne dit rien. Il se jeta éperdument, aux côtés de ses frères, dans l'édification de la Ville et jura qu'il se rachèterait au centuple. Toutefois il ne put jamais se résoudre à décrocher sa fresque qui était aussi toute sa vie. Alors il façonna les toits et les rues, les parcs et les jardins, les canaux et les bassins pour qu'une autre fresque, dix mille fois plus grande, voie le jour. Il choisit avec soin les matériaux et leurs teintes pour composer des motifs brillants et surprenants. Ainsi, à chaque détour de la moindre ruelle, selon le temps et la saison, tous les objets urbains, l'angle d'une tourelle, la déclivité d'un toit, le feuillage parfaitement taillé d'un arbre, révélaient au promeneur un tableau vivant qui obéissait aux canons intangibles de la composition picturale.

On avait l'impression de s'enfoncer dans une nature morte aux proportions délirantes où chaque détail se transformait insensiblement pour s'insérer harmonieusement dans un autre tableau qui naissait sans aucune transition apparente. L'âme charmée par tant de beauté ne savait pas où porter ses regards émerveillés. Quelle que soit la perspective ou l'angle de vue, de la plus haute terrasse des jardins suspendus, du banc caché sous la tonnelle ombragée, de la gondole oscillant sur les canaux aménagés entre les façades des palais septentrionaux, il y avait toujours cette sensation magique et déroutante d'évoluer au sein d'une toile de maître. C'était l'art du Roi. Parfois, quand la saison s'y prêtait, quand la lumière jouait ses tours, il suffisait de cligner des paupières pour entr'apercevoir à certains endroits choisis, les lignes galbées d'un visage féminin, à la beauté éclatante et bienveillante, aux yeux rieurs et aimants, aux lèvres pleines et admirables. Beaucoup ont argué qu'il s'agissait du visage de la Déesse. Peut-être. Moi, je pense qu'il s'agissait de celle qu'a aimée le Roi. Celle qui se cachait dans les plis secrets de la Fresque.

Si un homme avait pu s'accrocher aux épaules des ailes de plumes pour s'envoler dans les airs, planer comme un aigle au firmament, alors il aurait pu contempler du haut des cieux la réplique exacte de la Fresque du Musée, dans ses moindres détails. Bien sûr, ce rêve nous est inaccessible mais n'est-il pas enivrant d'imaginer être ainsi suspendu tout là-haut, au-dessus d'un autre monde et ne plus vraiment savoir auquel on appartient? Attendre que la cire s'amollisse sous le feu ardent du soleil et ne pas redouter la chute. Parce que la chute n'est pas une fin en soi, parce que la chute n'est qu'un passage, un passage vers un autre monde. Peut-être est-ce la clé laissée par le Roi?

Le Roi Peintre a depuis longtemps disparu.

Son coeur repose dans le reliquaire de nacre et de vermeil, sur l'autel de marbre blanc, dans la crypte creusée dans la montagne. Il bat toujours.

Le dernier roi était un Voleur.

Il était le plus jeune des trois rois. Le plus frêle sans doute mais le plus séduisant. Il était beau. Il avait un regard de braise, un sourire éclatant et une chevelure de bronze pâle. Il aimait les femmes, surtout les courtisanes et celles-ci le lui rendaient bien. Et même si elles pleuraient amèrement quand il les quittait, elles n'ont jamais pu lui en vouloir. Mais par-dessus tout il aimait ce qui brillait. L'or et les pierres précieuses, la soie et les épices rares. Intrépide et rusé, il devint rapidement le chef d'une bande de gredins de haut vol et se mit à écumer sans vergogne les royaumes côtiers, dérobant les trésors et les vertus les mieux gardés. Il amassa une fabuleuse fortune et répondit à l'appel de ses frères lorsqu'ils conçurent leur ambitieux projet.

Il se mêla peu aux décisions et ne réclama en retour qu'une seule chose. Il voulut qu'une partie de la Ville soit affectée au commerce et aux affaires. Il avait connu de nombreuses cités et chacune possédait un quartier dont il se souvenait parfaitement. Il dressa un plan qu'il soumit à ses frères. Pour les convaincre, il leur dit que cela deviendrait le poumon économique de la Ville, l'endroit où s'échangeraient toutes les denrées et tous les articles convergeant de tous les horizons. Il leur représenta tous les avantages qu'offrirait la construction du plus grand Bazar du monde connu. Il assurerait des rentrées financières importantes et régulières en attirant vendeurs et acheteurs en grand nombre.

Le Roi Voleur avait une voix de velours et des paroles de miel. Ses arguments, qui avaient toutes les apparences de la raison, convainquirent sans difficulté ses frères éblouis qui acceptèrent à l'unanimité sa proposition. Quand l'or brille, même au loin, il est rare de rester longtemps indifférent.

Le Bazar devint réalité et il fut une ville dans la ville. Il possédait ses portes intérieures qui ouvraient sur de longues ruelles rectilignes, plongées dans une douce obscurité par des tentures multicolores qui cachaient le ciel. Les ateliers et les échoppes étaient regroupés selon la nature de leur activité. Les potiers étaient placés dans le même secteur que les sculpteurs, les armuriers côtoyaient les forgerons, les céréaliers n'étaient pas loin des vendeurs d'épices. Il y avait également des silos et des hangars où étaient entreposées toutes les marchandises imaginables amenées par des norias de chameaux qui faisaient halte dans les caravansérails situés au coeur même du Bazar.

Il y avait des cris et des rires, des couleurs à profusion, des parfums entêtants qui flottaient dans l'air et qui changeaient à chaque pas. Les étals débordaient de fruits exotiques dont les parfums flattaient agréablement les papilles. Aux crocs des mazeliers étaient suspendues des carcasses de bêtes inconnues. Juste à côté, des dizaines de poulets rôtissaient au-dessus de foyers qui jamais ne s'éteignaient. Des montagnes coniques de porc ou de mouton tournaient sur des broches verticales et étincelantes. Des pains tout chauds s'empilaient en hautes pyramides, prêts à accueillir des tranches de viandes succulentes et dégoulinantes de graisse pour quelques piécettes de bronze. Dans une autre ruelle, des marchands exposaient sur des tréteaux leurs rouleaux de lin ou de soie, de velours ou de coton aux mille teintes chatoyantes. Non loin, des odeurs acres et écoeurantes s'élevaient des puits où les pièces de tissu étaient plongées dans les bains de teinture. Des enfants rieurs, aux visages peinturlurés à demi-cachés par des foulards, apostrophaient les passants, armés de piquets de bois avec lesquels ils manipulaient tissus et teintures. Ils suspendaient les draps de coton fraîchement sortis des bains, à des cordes tirées entre les murs de la ruelle. Il fallait éviter d'être éclaboussé par la teinture qui dégorgeait et le sol lui-même disparaissait sous de grandes flaques de toutes les couleurs.

Le Bazar était une créature vivante qui ne dormait jamais. La nuit venue, d'autres marchands ouvraient leurs commerces et d'autres marchandises étaient proposées, des marchandises moins licites ou plus confidentielles. Certaines s'échangeaient en toute discrétion, d'autres, presque nues, prenaient des poses lascives sur des estrades de fortune, couvées par des regards concupiscents. Des voix rauques et essoufflées, féminines ou masculines, surenchérissaient avec nervosité pour obtenir la plus belle esclave à la peau bistre ou le jeune mâle aux muscles avantageux.

Le guet évitait soigneusement les ruelles borgnes où une faune éphémère se livrait à toutes sortes de trafics. Le Roi Voleur prélevait une taxe modique et équitable sur toutes les transactions, qu'elles soient diurnes ou nocturnes, légales ou illégales. Il avait élevé ses anciens associés au rang de Seigneurs du Bazar et leur avait confié la charge d'un secteur d'activité. Il avait aussi recruté des comptables religieux qui tenaient consciencieusement les livres de comptes à l'entrée des salles souterraines où était entreposé le Trésor Royal. La Ville s'enrichissait et le Roi Voleur au moins aussi vite.

Le Bazar avait une particularité étonnante. Bien qu'il soit d'une taille respectable, moins de deux heures suffisaient à le traverser à partir de l'une de ses huit portes, en suivant les rues qui convergeaient en ligne droite vers la place centrale. Là s'élevait un arc de triomphe qui abritait entre ses pieds, une fontaine rafraîchissante entourée d'un large bassin où évoluaient des carpes Koi. Cette place était le seul endroit du Bazar à ciel ouvert. Des rues partaient des ruelles plus étroites et plus sombres qui s'enfonçaient dans des territoires moins repérés. Des dizaines de minuscules boutiques s'y pressaient les unes contre les autres. Il fallait oser les explorer pour y dénicher l'article insolite, le philtre d'amour rendant irrésistible, l'épice rare qui rehaussait le plat de semoule traditionnel ou les bijoux vendus au rabais par leurs malheureux propriétaires. Il était également loisible de recruter des mercenaires ou bien un tueur à gages. Ce genre de prestations était naturellement excessivement cher mais le prix assurait une relative confidentialité. Ces ruelles tortueuses paraissaient interminables et, à bien y réfléchir, il semblait impossible qu'elles puissent être contenues dans le périmètre apparent du Bazar. C'était comme si les distances y respectaient une échelle différente. Si l'on n'y prenait garde, la journée tout entière pouvait passer avant d'avoir pu atteindre l'extrémité de la ruelle. Bien sûr, il était impossible de se perdre car le plan avait été si astucieusement conçu qu'à tout moment, il était facile de rejoindre l'une des huit rues radiales et se retrouver sur le bon chemin.

Le Roi Voleur avait aménagé sous le Bazar ses propres quartiers, un réseau dense et mystérieux de souterrains gardés par des sicaires incorruptibles qui veillaient sur les trésors amassés. Ils étaient également les instruments silencieux, diligents et définitifs des jugements rendus par le Grand Tribunal du Bazar présidé par le Roi Voleur en personne. Il avait obtenu de ses frères le droit d'exercer la haute et la basse justice dans le Bazar. La légende voulait aussi que dans la salle la plus profonde du Bazar d'en dessous, le Roi Voleur conservait une merveille. Ce trésor était bien plus précieux que les mille coffres débordant de pièces d'or. Il était bien plus précieux que les mille coffres ruisselant de diamants gros comme des oeufs de caille et de gemmes fabuleuses. Et il était bien plus précieux que les tapis de soie sauvage, aux motifs géométriques ou floraux, tissés par les Derniers Anges des Steppes, roulés en vrac dans une salle basse et voutée. Certains prétendaient qu'il s'agissait d'une femme mais beaucoup en doutaient. Le Roi Voleur désirait toutes les femmes. Ses conquêtes étaient aussi nombreuses que les perles de la plus belle eau qui ornaient le grand collier d'or passé autour de son cou. Non, ce n'était pas une femme. Certains avaient imprudemment évoqué un cercueil de verre, après avoir trop ingurgité de bière ou d'alcool d'orge. Ils n'étaient jamais ressortis du Bazar. Ou peut-être en étaient-ils ressortis mais personne ne les avait reconnus. Tout se recyclait dans le Bazar. Tout pouvait changer de forme. Il s'y écoulait tellement de marchandises curieuses, comme des abat-jours en peau humaine, de magnifiques sculptures en ivoire naturel ou des chapelets de saucisses appétissantes bradées à des prix dérisoires.

Le Roi Voleur a depuis longtemps disparu.

Son coeur repose dans le reliquaire de nacre et de vermeil, sur l'autel de marbre blanc, dans la crypte creusée dans la montagne. Il bat toujours.

Cependant ils étaient quatre frères.

Trois devinrent rois et la postérité retint leurs noms et leurs exploits. Le quatrième, le cadet, n'eut aucune statue élevée à son image sur le parvis du Temple Royal, au bout de l'Esplanade des Dieux. Non. Il fut séparé de ses frères très tôt et grandit à l'écart dans une aile retirée du Palais, confié aux bons soins d'un précepteur aveugle et d'une nourrice sévère et intransigeante. Quand ses crises le laissaient tranquille, il rêvait devant la fenêtre de la tour où il était confiné. Il contemplait les nuages qui dérivaient dans le ciel et ses pensées s'attachaient à eux. Il devenait nuage et quand il le pensait très fort, des images se formaient dans son esprit. Il voyait la campagne défiler sous lui et il en pouvait distinguer chaque détail. Les champs alignés comme les cases d'un damier, le lit bleu de la rivière, le moulin qui tendait ses ailes dans le vent et les charrettes qui circulaient lentement sur la grand route. Quand le vent était propice, il flottait au-dessus du palais royal et paternel et de la tour qui se dressait à l'extrémité de l'aile ouest. Il distinguait l'ogive de la fenêtre et même la silhouette menue qui se tenait derrière. Mais une crise survenait alors invariablement et ses cris épouvantables effrayaient les domestiques.

Il grandit en solitaire et il n'aima pas ses semblables. Il se plongea dans l'étude des épais grimoires poussiéreux qui encombraient les rayonnages d'une cave aménagée sous la salle d'étude et que tout le monde semblait avoir oubliée. Il avait découvert par hasard le passage secret et la nuit, quand tous dormaient, il se glissait sans bruit derrière la tenture représentant un illustre chevalier et tournait l'anse gauche d'une lourde torchère posée au sol. Une trappe invisible béait sur un escalier en colimaçon qui accédait à la cave. Des alambics et des cornues s'entassaient sur plusieurs paillasses. Des bocaux de verre enfermaient, plongées dans du formol, de petites créatures aux formes surprenantes. C'était l'antre d'un magicien. Le jeune prince possédait le Don et il n'eut aucune difficulté à déchiffrer le savoir qui dormait dans les recueils. Il apprit des formules magiques de plus en plus puissantes, ouvrit des portes donnant accès à des mondes parallèles où il s'entretint avec des entités surnaturelles, après avoir pris soin de se tenir au centre du pentacle de protection.

Mais la folie qui l'habitait et qui ne l'avait jamais quitté finit par lui faire commettre l'irréparable. Une nuit, alors qu'il atteignait ses seize printemps, il essaya de convoquer un familier, une créature hideuse et sournoise. Il savait comment se protéger mais une crise imprévisible l'empêcha de prononcer le rituel complètement. Une partie de son âme demeura exposée et vulnérable. Le démon découvrit ce point faible et s'y logea. Le jeune prince couva dès lors le mal en son sein.

Sous son influence, ses pensées devinrent délétères et mauvaises. Il faisait à ses parents et à ses frères bonne figure durant les rares occasions où il les voyait mais son coeur s'emplit d'amertume et de désir insatisfait. L'année suivante, il récita une formule tirée d'un recueil de magie noire qui terrassa sa nourrice dans son lit. On la découvrit au matin, le visage tordu de douleur et la langue boursouflée et violacée. Il ne montra aucune pitié envers son précepteur qui était pourtant un homme bon et doux. Il murmura à son oreille une incantation de désorientation. Le malheureux se retrouva sans s'en rendre compte tout en haut du grand escalier d'honneur. Croyant être ailleurs et le sol se dérobant sous son pied, il trébucha sur la première marche et se rompit la nuque avant d'avoir atteint la dernière.

Quand ses frères s'attelèrent à bâtir la Ville de leurs rêves, il fit en sorte de rester à la lisière de leurs pensées, suffisamment loin pour ne pas éveiller leurs soupçons. Il était taciturne et d'humeur sombre. Ses crises s'étaient espacées mais c'était l’oeuvre de son démon intérieur. Il avait changé de maître et ne le savait pas. Il contrariait les plans de ses trois frères. Des accidents de chantier interrompaient les travaux, des obstacles imprévus s'opposaient à leur bonne exécution, bêtes et hommes contractaient d'étranges maladies que ne parvenaient pas à soigner les guérisseurs royaux. Il jubilait sous cape de la déconfiture de ses frères. L'impunité dont il jouissait le poussa à s'enhardir jusqu'à ce qu'il soit percé à jour par le Roi Voleur qui révéla son sinistre manège. Ses frères s'emparèrent alors de lui et l'emprisonnèrent dans un oubliette creusée profondément sous le promontoire où ils érigèrent leur forteresse. Ils lui coupèrent la langue et lui passèrent devant les yeux la lame d'une épée chauffée à blanc. De lourdes chaînes fixées à des anneaux de métal sertis dans la muraille entouraient ses chevilles, ses poignets et son cou. D'une étroite lucarne bien trop haute pour être atteinte, tombait une pauvre lumière.

Ils purent alors bâtir la Ville idéale qui allait éclipser par son rayonnement et ses monuments, sa puissance et ses lumières toutes les autres cités du monde connu. Et pour un moment, cela fut vrai. La Ville fut un prodigieux phare qui brilla loin et intensément, attirant dans sa gloire les plus grands artistes, les plus nobles familles, les penseurs les plus pénétrants et les plus grands génies de leur temps. Mais cette période fastueuse prit fin quand la pourriture qui montait des profondeurs submergea la beauté et la grâce.

Le Prince s'était échappé même si son corps se ratatinait toujours dans la cave obscure et humide. Son esprit avait quitté son corps et s'était répandu peu à peu dans toute la Ville. Corrompue jusque dans ses fondations, elle se transforma en une entité démoniaque au fur et à mesure que l'esprit pervers du Prince gagnait en pouvoir. Le ver était dans le fruit et les trois Rois, assis sur leurs trônes, n'avaient rien remarqué. Pourtant la déliquescence rongeait leur ouvrage. Aucun des joyaux qui ornaient la Ville, la salle de concert, le musée ou le Bazar, ne fut épargné par le mal pernicieux qui s'étendait durant la nuit.

Puis le Prince porta le coup de grâce. Par une nuit brumeuse et sans lune, les Triarques furent assassinés par des ombres cornues qui se détachèrent en silence des murs de leurs chambres. Leurs coeurs furent arrachés à leurs poitrines encore pantelantes et portés à l'Horreur qui vivait enchaînée sous la forteresse. Elle avait perdu toute apparence humaine, transformée en une créature blanchâtre et obèse, une larve gigantesque à l'aspect gélatineux. Seules les chaînes et les anneaux, travaillés par des maîtres forgerons dans les plus nobles métaux, rappelaient celui qui avait été un homme. Sa volonté imposa à ses sombres serviteurs d'enfermer les coeurs dans les reliquaires de nacre et de vermeil. Il proféra alors la plus vile incantation tirée des pages les plus noires du Nécronomicon. Les coeurs battraient aussi longtemps que la Ville se dresserait au confluent des deux fleuves. La dernière syllabe tout juste prononcée, le démon fut libéré et le Prince mourut.

La Ville était née et ses trois coeurs palpitaient à l'unisson. Le Monstre était né et le Démon riait et dansait au sommet de la plus haute tour de la forteresse. Il était libre désormais. Il y avait tant de choses à faire, tant de vies qui grouillaient au-dessous de lui qu'il connut un moment d'ivresse exaltante. Les humains étaient si faibles et si crédules. Il y avait tant d'âmes à aliéner et à corrompre. Il lui suffisait d'attendre et de donner juste une toute petite impulsion. La nature humaine ferait le reste pour son plus grand plaisir. Il se pencha au-dessus des remparts et plongea ses regards dans les eaux noires et blanches. Sa vision était bien plus perçante que celle des simples mortels. Il vit bien sûr la Déesse qui dormait sous les eaux. Elle était très belle mais la beauté importait peu à un Démon. Il disparut dans un éclair de soufre et son rire résonna longuement après son départ.

La Ville attendait. Elle avait tout son temps à présent.

M


(*) L'enfant à qui ses parents n'ont pas souri n'est digne ni de la table d'un dieu, ni du lit d'une déesse (Virgile).

(maintenant je vais pouvoir découvrir la suite!!)

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-03-19 23:30:46 

 Commentaire Maedhros, exercice n°117Détails
Comm Maedhros, ex n°117


Hou là ! C’est du lourd ! Embarquement immédiat, porte n°117, à destination de la Ville Innominée. Elle n’a pas de nom, mais elle a une histoire qui plairait bien aux frères Grimm. Mais revue à la sauce Maedhros, avec l’ombre du mal qui plane sur les ponts et les jardins, mal triomphant comme il se doit jusqu’à rendre cette ville merveilleuse complètement ensorcelée...
Mention spéciale pour le paragraphe sur les chansons des vents. Encore que la partie sur le Bazar, qui n’est pas sans évoquer Ankh-Morpork, ne manque pas de brio. Mais je pourrais en dire autant de la ville conçue comme un tableau géant par un roi-peintre...


Bricoles :
- La dernière carriole tirée par des buffles des steppes eut : eût
- ...s’il n’a pas, un jour dans sa vie, flaner dans les rues : flané
- Il revenait des mois plus tard avec dans ses bagues : blagues ?
- La teinte à laquelle il avait rêvée : rêvé, ou bien qu’il avait rêvée, mais le mieux serait : dont il avait rêvé
- Il était le plus jeune des sept frères (le roi voleur) ; un peu plus loin, c’est le prince malade qui est le dernier des quatre
- Qui acceptèrent à l’unanimité : pour 2 personnes...
- Ce genre de prestations était naturellement : prestation
- Il était facile de rejoindre l’une des huit rues radiales et se retrouver son chemin : et de retrouver
- Mille coffres ruisselant de diamants gros comme des oeufs de cailles et de gemmes fabuleuses : d’une part, oeufs de caille ; d’autre part, il me semble qu’intervertir les termes, en mettant les gemmes d’abord, faciliterait la lecture
- Des abat-jours : il paraîtrait qu’on l’admet maintenant, mais si on reste classique, c’est invariable
- Ses cris épouvantables effrayait les domestiques : effrayaient
- Il apprit les formules magiques de plus en plus puissantes : des formules
- Où ils s’érigèrent leur forteresse : où ils érigèrent
- Les plus grands génies de leurs temps : ou de leur temps ? J’hésite...


D’abord, un grand coup de chapeau pour ta productivité. Tu as dû mettre un sacré coup de collier, et à part quelques fautes de frappe, ça ne retentit pas du tout sur la qualité de l’écrit, qui coule toujours prolixe et riche, avec mille détails passionnants, et une consigne parfaitement respectée.
N’oublie pas de nous reparler de l’amour caché du roi peintre, du trésor caché du roi voleur... Et le roi musicien, il n’a pas de secret ?
Je suis sûre qu’il nous tarde à tous de lire la suite, maintenant que l’envoûtant décor est magistralement planté...
Narwa Roquen, emballée!

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-03-23 09:34:35 

 Blague à part...Détails
... "bagues", est un mot de vieux français à l'origine du mot "bagage", et qui possède la même racine que le mot anglais "bag" (paquet, sac).

Pour le reste, c'est vrai que j'étais à la rue, ce qui m'a contraint à faire des heures sup (à nouveau fiscalisées) pour terminer l'exercice.

Pour l'instant, je n'ai qu'une très vague idée de la façon dont je vais insérer une suite dans ce contexte!
Mais je ne lâche pas l'affaire!


M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-03-24 19:11:52 

 Convexe et Concave.Détails
La ville labyrinthe, la ville spirale, étend ses ruelles comme un ouvrage défensif autour du château où règne une petite reine, maîtresse comme il se doit des échiquiers. Dans ce jeu, il y a des tours, des rois, des reines et des fous, beaucoup de pièces ou de personnages qu'on retrouve dans Hélix! Des questions à peine formulées virevoltent tout autour : qui est cet homme cherchant de l'aide? Quel est le danger qui rôde et que sont ses fumées étranges? Pourquoi le Roi a-t-il été assassiné? La Ville Labyrinthe cacherait-elle quelque Minotaure au milieu du Dédale? Y aura-t-il un roque improbable qui protégera la petite reine?

La description d'Hélix, la ville spirale, est très bien rendue. Les ruelles fortifiées, les passages secrets, on partage la désorientation du compagnon de la petite reine. En fermant les yeux, j'ai eu l'impression de contempler une de ces lithographies d'ESCHER, notamment "Concave et Convexe", ces figures qui défient la raison en jouant avec les perspectives.

Pour regarder, c'est ici!

C'est une histoire intrigante grâce à un début ex abrupto. La consigne est bien respectée, la petite reine reprend le rôle de Virgile (je savais bien qu'il y avait un lien entre nos textes!) pour guider l'étranger à travers le dédale de la cité. Il n'y a pas de route droite bien entendu, rien que des lignes courbes et des impasses.

Au rayon des bricoles :
- "Ils ne me dénonceront jamais à ce casse pieds..."' : casse-pieds.

PS : Pour ceux qui ne sont pas rebutés par des ouvrages imposants, je recommande vivement la lecture de "GÔDEL - ESCHER - BACH, les brins d'une guirlande éternelle", écrit par Douglas HOFSTADTER qui est une plongée bluffante et vertigineuse dans les connections qui peuvent être révélées entre des domaines apparemment éloignés. Cet énorme pavé a obtenu en 1979 le prix Pulitzer.

Pour regarder, c'est ici (bis)!

M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-04-15 14:06:36 

 Commentaire WA 117 MaedhrosDétails
C'est reparti pour les commentaires !

Que voilà un titre intriguant ! Et une étrange citation dont j'ai du mal à comprendre le sens.
Le style est soigné, un poil chargé en ajectifs par endroits. Ca crée une impression de baroque.
Le mélange entre description géographique et légendes est intéressant et donne de l'authenticité.
Jolie, la métaphore filée de la ville vivante, ici de la ville-serpent.
Le passage au présent pour les passages descriptifs m'a un peu heurtée à certains endroits.
"comme les branchies d'un poisson de pierre" : jolie métaphore organique.
La construction du texte m'a un peu destabilisée. Je me demande s'il ne faudrait pas annoncer d'entrée de jeu qu'il y a quatre frères. Ou au moins que le royaume se nomme "les trois couronnes". Car là, les informations viennent au fur et à mesure, un peu en désordre, je trouve. Je n'ai compris que tardivement que les trois rois avaient régné ensemble. Au départ, tout laissait penser qu'ils s'étaient banalement succédés. J'avais noté la mention du mot triarque mais sans percuter.
"dérobant les trésors et les vertus les mieux gardés" : joli ça !
Amusante l'association entre le vol et le commerce, que tu fais au travers du personnage du roi voleur.
Intéressante comparaison des prostituées à des marchandises.
L'apparition soudaine de ce narrateur qui dit "moi" m'a drôlement choquée ! Sans compter qu'il n'est plus mentionné après. Et qu'on se demande comment il peut en savoir autant, notamment pour le laboratoire secret du quatrième frère...
Je n'ai pas compris la nature des crises du quatrième frère. Est-ce pour cela qu'il a été isolé ?
N'y a-t-il pas une contradiction entre le fait que la cité soit dite maléfique au début du texte et que seuls les fous et les téméraires s'y aventurent et le fait qu'elle semble accueillir un nombre important de caravanes commerciales ? A moins que ce ne soit à des époques différentes et que je n'aie pas suivi ?
Le Nécronomicon ? Tiens donc ! (^-^)
J'ai, comme toujours dans tes textes, découvert quelques mots.
Je trouve un peu dommage que la déesse, qui fait le titre et semble très importante au début, soit eclipsée dans la suite.
Au final, un texte fleuve, au style baroque et fleuri, agréable à lire quoique long pour une description.

Trucs et bidules :
"les mercenaires qui composaient la garnison de la Ville étaient réputés pour leur professionnalisme" : le choix du mot me parait étrange, un peu trop moderne. J'aurais plutôt mis "pour leur sérieux".
"Après chaque représentation, il n'est pas rare de trouver un auditeur" : "chaque" suggère que ça se produit systématiquement, tandis que "il n'est pas rare" dit que ça se produit parfois. Les deux entrent en contradiction, à mon avis.
"des ruelles plus étroites et plus sombres qui s'enfonçaient dans des territoires moins repérés" curieux, cet emploi de "repéré", à mon oreille.
"La légende voulait aussi que dans la salle la plus profonde du Bazar d'en dessous, le Roi Voleur conservait une merveille." la concordance des temps sur conserver me choque.

Est', bien contente.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-04-15 14:07:49 

 Commentaire WA 117 NarwaDétails
L'est dépaysant, ce thème !
Le fait que la cité est un labyrinthe est habilement amené, dans la description par les yeux du blessé.
Tu vas dire que je chipote mais le blessé ne devrait-il pas s'agenouiller ou du moins se pencher pour que la reine, qui doit être petite, lui bande les yeux ?
Je n'ai pas compris le passage où elle change de tenue. S'est-elle absentée ? S'est-elle changée dans la même pièce que le blessé ??
Je n'ai pas compris non plus comment de vastes prairies peuvent prendre place au sein même de la ville. A moins que les deux ne soient totalement sorti de la ville ?? Ce n'est pas clair pour moi.
Si le blessé a vu le mur rond de l'extèrieur de la ville, pourquoi s'étonne-t-il de sa rondeur quand il le voit par la fenêtre ?
Ca m'a étonné que la petite ne soit pas triste en mentionnant son père récemment décédé.
"C’est très sérieux, un jeu, pour un enfant." : joli ! Et très vrai.
Original, le procédé qui consiste à faire sentir les questions du blessé sans interrompre le discours de la reine.
Ta ville est d'une conception particulièrement astucieuse.
Au final, c'est un texte bien sympathique. La présentation de la ville par sa reine est bien amenée. Ainsi que le futur scénario.

Trucs et bidules :
"Et tu en as trouvée !" y aurait pas un e en trop ? .

Est', dont l'orthographe se barre en sucette

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-07-17 10:25:00 

 WA 117 ; participationDétails
Une petite récréation entre deux textes plus exigeants, pratiquement une utopie, pratiquement un premier jet, un thème qui m’est cher et un gros flirt avec le hors sujet, comme une fois sur deux.



Toutes les filles sont des princesses





La jeune femme jeta un bref coup d’oeil derrière elle et accéléra encore. Ils étaient toujours là. Les mêmes types que tout à l’heure, le grand baraqué et le petit à tête de fouine. Surtout, ne pas courir. Elle prit plusieurs tournants, espérant les semer. Ses talons aiguilles claquaient sèchement sur le trottoir et la brise estivale soulevait l’ourlet de sa jupe. Son sac à main battait son flanc gauche au rythme de sa marche. Nerveuse, elle lissa ses cheveux en arrière et tira sur le col de son corsage de satin rouge pour mieux couvrir sa gorge. N’y avait-il donc aucun café dans ce quartier ? Aucun magasin ouvert où se réfugier ? Elle continua d’avancer, se préoccupant surtout d’aller vite et de ne pas se tordre une cheville avec ses escarpins. Peut-être n’en avaient-ils pas après elle ? Peut-être se rendaient-ils simplement quelque part ? Fragile espoir. Elle les avait bien vus lorgner son décolleté, un sourire salace aux lèvres. A mesure qu’elle avançait, le quartier était de plus en plus désert. Son pouls battait dans ses tempes et son coeur bondissait dans sa poitrine comme un lapin affolé. Surtout, ne pas se retourner.

Un ricanement grave s’éleva derrière elle, dangereusement proche. La jeune femme laissa échapper un couinement de frayeur. Cédant à la panique, elle se mit à courir et s’engagea dans une ruelle. Une impasse ! Se retournant dans un froufrou de satin, elle tenta de rejoindre l’artère principale mais les deux hommes lui barraient la route. Elle recula lentement, sans les perdre de vue, cherchant désespérément un moyen de s’échapper, une porte, une échelle, n’importe quoi. Il n’y avait rien. Elle prit la parole :
- Si c’est mon sac que vous voulez, je vous le donne...
Elle avait essayé de prendre un ton ferme mais ses mots ressemblaient au piaulement d’une souris apeurée. Les deux hommes éclatèrent d’un rire mauvais. Le plus grand dit d’une voix de basse :
- Tu sais très bien ce qu’on veut, poulette. Quand on nous cherche on nous trouve, nous les mecs !
Il s’avança en roulant des mécaniques. Ses cheveux étaient gras, sa barbe hirsute et il empestait la sueur. La jeune femme recula jusqu’à toucher le mur de briques froides. Quand avait-elle « cherché » qui que ce fut ? Il y avait erreur. Elle jeta des regards frénétiques à gauche et à droite, ses mèches blondes lui fouettant le visage. Elle était fichue. Ils ne l’écouteraient pas et elle n’était pas assez costaude pour se battre. Dieu, pourquoi était-elle née femme ? Le type lui saisit le poignet et le tordit. Ses doigts étaient durs et rugueux comme du bois. De l’autre main, il lui malaxa les fesses. Elle se mit à hurler.


Le film s’arrêta et l’image resta figée sur la main du malotru et le cri silencieux de sa victime. La lumière revint dans la pièce mais l’auditoire resta plongé dans un silence inconfortable, les yeux prisonniers de l’écran, comme on regarde un accident de la route. Une jeune femme s’avança sur la scène et fit une moue :
- Dégoutant, n’est-ce pas ?
Elle était petite et potelée, vêtue d’un short de toile, de sandales brillantes et d’une ample tunique blanche brodée de fleurs. Ce qui se remarquait le plus chez elle était ses cheveux, d’une étonnante couleur de lilas, qui tombaient en longues boucles souples jusqu’à sa taille. Elle reprit en souriant :
- Je suis Olympe et je serai votre guide pour cette journée, mesdames.
Elle balaya l’écran de la main :
- Je sais que, vous aussi, vous avez connu ce genre de situation, que vous avez eu peur, que vous avez souffert, que vous avez été frustrées, tristes, en colère, à cause des hommes. Tout ça, c’est fini. Bienvenue sur la planète Aldébaran !

Sur ces mots, le sol et les murs courbes de la pièce bourdonnèrent et devinrent brusquement transparents, révélant l’obscurité étoilée du cosmos et la planète toute proche, un orbe éclatant de couleurs, aux continents tirant sur le pourpre, aux mers de turquoise, nimbé de nuées cotonneuses. Deux petites lunes étaient visibles, une argentée et l’autre plus sombre. Les visiteuses lâchèrent en choeur un soupir de ravissement et se penchèrent pour mieux voir. Olympe les laissa un long moment profiter du spectacle puis :
- Elle est merveilleuse, n’est-ce pas ? Le Sapho 18 est maintenant sur sa trajectoire d’approche et j’aimerais que nous mettions à profit le temps de la descente pour nous présenter. Veux-tu commencer ?
La désignée s’arracha à regret à la contemplation du paysage et déclara d’une voix vibrante :
- Je m’appelle Letie, je suis astro-physicienne et je viens de la Terre. Oh, je suis si heureuse d’être ici !
Elle souriait de toutes ses dents et sautillait dans son fauteuil. L’excitation faisait trembler son corps rond comme une brioche, ses cuisses dodues et son énorme poitrine. La guide fit signe à la deuxième femme, une noire, très grande et sculpturale, qui se tenait raide en fronçant légèrement les sourcils :
- Je suis June, je suis avocate et je viens d’Altaïr IV. J’espère que cette journée sera instructive.
La suivante à se présenter fut une arakienne au visage couvert de plaques chitineuses, qui croisait haut les jambes sous une mini-jupe de plastique :
- Kkreth'sch, journaliste au Météore. Je ne suis pas une future migrante. Je viens vérifier si tout ce qu’on raconte sur les sorcières aux cheveux mauves est vrai ou pas.
Elle avait dit cela sur un ton goguenard et ses petites mandibules crissaient désagréablement.
- Quelle que soit la raison qui t’amène sur Aldébaran, tu es la bienvenue, ma soeur, rétorqua Olympe d’une voix douce.
Se présentèrent ensuite Dionée et sa fille adolescente Luo, deux saturniennes discrètes à la figure ronde et aux yeux bridés et Erlinn, une vénérable habitante de la planète Nab, aux fines antennes bleues et vêtue d’une robe arc-en-ciel.

Cependant, le vaisseau avait traversé l’atmosphère et planait maintenant au-dessus d’une ville, toute de pierre blanche, de jardins, de dômes argentés et d’allées bordées d’arbres. La guide ouvrit les bras :
- J’ai l’immense fierté de vous présenter Freya, la capitale de la planète, l’un des joyaux de notre civilisation.
L’appareil se stabilisa à basse altitude, à l’aplomb d’un immense parc dans lequel on pouvait apercevoir des groupes de gens aux vêtements chamarrés, principalement des femmes, paressant sur l’herbe ou marchant dans les allées fleuries. Les pelouses bien entretenues étaient d’un vert tendre tandis que le feuillage des arbres tirait sur le prune. Même à cette distance, les visiteuses ne manquèrent pas de remarquer que pratiquement toutes les promeneuses arboraient la chevelure mauve caractéristique des aldébaranes. Olympe reprit :
- Je vais commencer par un rapide historique de la ville, et par extension de notre colonie. N’hésitez pas à m’interrompre pour me poser toute question qui vous viendrait à l’esprit. Tout commence en 2063, sur la Terre. Les femmes ont obtenu de haute lutte le droit de travailler, de voter, d’avorter, de divorcer, de se marier entre elles...
L’image sur le grand écran changea pour montrer des féministes aux seins nus, les cheveux décorés de fleurs.
- Mais on ne nous accorde toujours aucune reconnaissance, aucune égalité. Nos salaires restent inférieurs à ceux des hommes, nos corps sont considérés comme des produits marketing et nous ne grapillons que des miettes de pouvoir politique. La société ne reconnait toujours pas à une femme le droit d’être vieille, laide ou de ne pas avoir d’enfant. Et la violence des hommes nous menace à chaque coin de rue et jusque chez nous.
Les chiffres des sévices conjugaux dans la Confédération Terrienne entre 2050 et 2062 s’affichèrent. La jeune femme poursuivit :
- Février 2063, une des dates les plus sanglantes de notre histoire. Le mouvement phallocrate islamo-catholique VPT attaque la communauté féminine de San Francisco. Les cent quarante-deux résidentes, âgées de douze à soixante-seize ans, sont violées et massacrées. Les femmes du monde entier sont sous le choc.

La voix d’Olympe tremblait légèrement. Des photos défilèrent : unes de grands journaux montrant des carrelages tâchés de sang, défilés de femmes vêtues de noir, portant des pancartes. Dionée avait couvert les yeux de sa fille. Letie renifla bruyamment et essuya une larme de sa main boudinée.
- Un mouvement de protestation se développe, d’abord sur Internet puis dans la rue, et gagne la planète entière. Les femmes revendiquent l’égalité et la sécurité. Rapidement, des affrontements éclatent quand les forces de l’ordre, majoritairement constituées d’hommes, veulent interdire les manifestations pacifiques, puis les dispersent dans le sang. Le mouvement se radicalise avec l’initiative No sex for you : les femmes se refusent à leurs oppresseurs. Certaines régions de la Confédération basculent dans la guerre civile hommes/femmes.
Des extraits vidéo silencieux se succédaient, montrant des banlieues réduites à des tas de décombres, des militantes menottées, aux visages marqués d’ecchymoses, des hommes politiques aux visages déformés par la colère, levant les poings.
- A cette époque, la colonisation du système solaire est déjà bien avancée et celle des systèmes plus lointains débute. La planète R480 vient d’être découverte près de l’étoile Aldébaran et l’envoi des premiers colons s’organise. Louise Leblanc, plus connue sous le pseudonyme de Cyclamen, la porte-parole des féministes de la région européenne, lance une idée sur Internet : et si R480 devenait un havre pour les femmes qui en ont assez des hommes ? C’est le raz de marée dans les médias. Le serveur qui reçoit les candidatures pour la future colonie tombe sous l’afflux de demandes. Aout 2063, le président de la Confédération Terrienne, Brian N’Guyen, cède et officialise la décision du conseil : R480 sera une colonie féminine. Louise Leblanc participe à la sélection des premiers colons, pour la plupart des scientifiques, des artistes et des intellectuelles. Elle assure que le vaisseau, rebaptisé Sapho, fera autant de voyages que nécessaire pour emmener toutes celles qui le veulent.

L’écran montra une quinquagénaire aux boucles rousses, agitant un datadisque devant une foule de femmes en liesse. Puis apparut un gigantesque vaisseau spatial chromé, orné de banderoles roses. Les visiteuses observaient, fascinées. Olympe avait retrouvé le sourire :
- Douze décembre 2063, le Sapho se pose sur R480 et la ville de Freya est fondée. La suite ressemble à un conte de fées : la vie s’organise sur la planète, très accueillante, tandis que le Sapho amène toujours plus de migrantes.
Des paysages se succédèrent, plages de sable gris perle bordées de plantes ressemblant à d’énormes ananas, jungles épaisses aux arbres pourpres et aux lianes couvertes de fleurs, formations cristallines géantes, vastes prairies portant les premières cultures vivrières, camps de tentes multicolores, peuplés de femmes joyeuses. L’auditoire observait calmement la présentation, à l’exception de l’arakienne qui s’agitait sur son fauteuil en tapotant son enregistreur.
- Louise Leblanc est élue première présidente de la colonie. 2077, le Sapho est retiré du service et transformé en station spatiale scientifique. Soixante-sept pour cent des terriennes ont alors rejoint R480, que l’on nomme à présent simplement Aldébaran. L’immigration devient réservée à des profils sélectionnés et la politique de réduction démographique entre en vigueur...
L’arakienne l’interrompit :
- Le symbole de votre colonie est un cyclamen et votre drapeau est pourpre. Cela a-t-il un rapport avec Leblanc ?
- Absolument. Le Conseil Féminin a fait ces choix à la mort de notre première présidente, afin de lui rendre hommage. Puis-je continuer ? 2081, la parthéno-conception est mise au point et les premières natives voient le jour.
L’image montra des bébés potelés et hilares, évoluant nus sur des tapis, certains pâles et piquetés de taches de rousseur, d’autres bruns comme des caramels. Erlinn, la vieille nabienne, gloussa de plaisir en les voyant et June lui jeta un regard sévère. Kkreth'sch leva une pince et intervint de nouveau :
- Vous gardez jalousement le secret de votre reproduction. Aurons-nous la possibilité de visiter un centre de conception ?
- Si vous le souhaitez.
- Et pourrai-je filmer à l’intérieur ?
Son ton était acide, comme si elle s’attendait à une réponse négative. Olympe inclina la tête :
- Bien sûr. Nous attachons une très grande importance à la liberté de la presse et nous sommes fières de notre procédé reproductif cent pour cent féminin. Mais, bien évidemment, nous ne vous dévoilerons pas les aspects techniques.
- Est-il exact que vous pratiquez l’eugénisme en vue de développer des pouvoirs psy ?
- Nous opérons une sélection sur les embryons afin d’écarter ceux qui présentent des maladies ou des anomalies. Cela nous a permis d’enrayer la décadence génétique qui affligeait l’espèce humaine. Mais nous ne sélectionnons pas les génitrices et nous n’arrangeons pas les couples. Il est vrai que des particularités sont apparues au hasard des mutations et que nous nous efforçons de les fixer.
- Des « particularités » comme des pouvoirs paranormaux ?
L’ironie de l’arakienne était mordante. La guide éclata de rire :
- Paranormaux ? Le paranormal n’est qu’un phénomène que la science n’a pas encore expliqué ! Mais en effet, certaines natives ont des perceptions extra-sensorielles ou des capacités télépathiques.
- Vous êtes donc bien des sorcières comme certains le prétendent.
La journaliste toisait son interlocutrice d’une façon provocante, espérant de toute évidence la déstabiliser. L’aldébarane ne s’était pas départie de son calme. Elle acquiesça gravement :
- Les sorcières étaient des femmes qui aidaient leur prochain par leur connaissance des plantes et qui ont été injustement martyrisées du fait de leur sexe. Ceux qui nous appellent ainsi nous font un grand honneur.
Kkreth'sch grinça doucement et se rencogna dans son fauteuil tandis que la guide poursuivait son exposé :
- 2104, la puce Testostop permet au premier homme de fouler la planète. 2126, Aldébaran établit des relations amicales avec la délégation de la planète K’wii, puis avec celle de la planète Arakia. Les femelles de ces deux espèces sont autorisées à émigrer chez nous. Tout cela nous amène au présent : 2162, Aldébaran compte désormais six cent millions d’habitantes, de treize espèces différentes. Notre influence s’étend dans tout le quadrant extérieur.
La présentation s’arrêta sur un poster où treize femelles aux apparences variées, de toutes tailles, formes et couleurs, se tenaient la main en souriant. Olympe conclut :
- Et l’année prochaine, aura lieu le centenaire de la colonie, ce qui promet une fête comme on n’en a jamais vue !
Letie se mit à applaudir, bientôt rejointe par Erlinn et la frêle Luo. Kkreth'sch lâcha un sifflement méprisant. Ses paupières rigides claquèrent sèchement sur ses yeux à facettes. La guide passa gracieusement la main dans ses cheveux mauves. Ses yeux pétillaient de bonheur :
- J’attire votre attention sur ce léger miroitement que vous pouvez deviner en altitude. Il s’agit du bouclier qui protège la cité. Il fait partie d’un vaste système de sécurité planétaire qui nous garantit contre les dangers de l’extérieur. Notre bulle va maintenant se séparer du vaisseau-mère et nous allons visiter la ville. Vous êtes toutes ici pour des raisons variées. Certaines d’entre vous souhaitent postuler pour notre programme d’immigration choisie. D’autres sont des réfugiées politiques. (elle fit un petit signe de tête aux deux saturniennes) Et d’autres viennent simplement satisfaire leur curiosité, qu’elle soit professionnelle ou non.
Elle émit un petit rire en direction de l’arakienne qui agitait fébrilement les pinces au-dessus de son enregistreur.
- Chacune trouvera réponse à ses questions. Allons-y !
La salle se mit à vibrer sourdement puis tressauta. Pendant un instant, les occupantes eurent une curieuse sensation d’apesanteur tandis qu’à l’extérieur, sur les côtés et au-dessous, passaient de petits engins ronds qui venaient, comme le leur, de se séparer du vaisseau interstellaire. Fascinée, la jeune fille saturnienne collait son visage au sol transparent.

La bulle se rapprocha un peu plus du sol et l’écran vidéo zooma sur un groupe qui, en bas, profitait du soleil. L’agrandissement permettait de juger des profondes différences entre la végétation locale et celle de la Terre. Ce qui, de loin, semblait une pelouse était en fait un tapis de petits bulbes mous, et les arbres, au lieu de feuilles, portaient de gros pompons de fibres douces, comme des boules de ouate. Le groupe comptait quatre femmes aux chevelures allant du mauve pâle au violet intense, ornées de tresses et de perles, et une télérite ressemblant à une méduse pailletée, qui jouait d’un instrument à cordes. Toutes souriaient et semblaient parfaitement épanouies. Leurs vêtements, gaiement colorés, rappelaient ceux des hippies du vingtième siècle. Letie s’étrangla quand la caméra passa sur un mâle centaurien au torse nu. Olympe la rassura :
- Tous les mâles de la planète sont « certifiés ». Le tatouage lumineux sur son front prouve que son taux d’hormones est bien sous le contrôle de la puce Testostop.
- Mais ce système est-il vraiment fiable à cent pour cent ?
Letie avait demandé cela d’une voix apeurée et elle lorgnait l’écran comme si l’image de l’homme allait lui sauter dessus.
- Absolument, ma belle. Les mâles pucés sont rigoureusement civilisés et sans danger pour nous. La puce supprime leur tendance biologique à la violence et normalise leur libido. C’est une avancée scientifique majeure pour l’humanité et les quelques autres espèces présentant ce problème de testostérone. A terme, je pense que tous les hommes intelligents en seront équipés, y compris ceux qui ne vivent pas sur Aldébaran. Après soixante mille ans à être des boules de poils agressives, les hommes sont enfin devenus fréquentables !
Elle éclata de rire et Letie et Erlinn se joignirent à son hilarité. June, la belle noire, demanda d’un ton dubitatif :
- Ça n’aurait pas été plus simple d’interdire purement et simplement les hommes ?
- Le Conseil Féminin a jugé que ce n’était pas dans notre intérêt de nous couper de l’autre moitié de l’espèce. Et, après tout, nous ne nous sommes pas éloignées d’eux par haine, mais parce qu’ils nous empêchaient de vivre librement et sereinement. Les hommes ne sont pas complètement responsables de leur mauvais comportement. Beaucoup sont vraiment méchants mais d’autres sont juste impuissants à dominer leurs hormones par la raison. Ces hormones les poussent à être violents, focalisent leur esprit en permanence sur le sexe et les empêchent de nous percevoir autrement que comme des objets de plaisir. Libérés de cette influence délétère par la puce, ils peuvent enfin se consacrer à des activités plus enrichissantes que rivaliser de vitesse sur l’autoroute ou comparer la taille de leur pénis !
Elle se remit à rire puis se contrôla et reprit, légèrement essoufflée :
- Je pense sincèrement que leur présence est nécessaire à notre épanouissement. Mais leur nombre est strictement contrôlé par des quotas. Ils sont cinq pour cent à Freya et au maximum quatre pour cent dans les villes plus petites. Leurs opinions et leur sensibilité artistique différentes sont une richesse pour notre société. Les hommes ont donc un rôle consultatif dans nos instances dirigeantes.
June haussa les sourcils :
- Je suis impressionnée par votre tolérance. Surtout après tous ces siècles d’oppression machiste.
Olympe lui fit un petit salut de remerciement :
- Nous acceptons également les neutres des espèces extra-terrestres, après de strictes expertises scientifiques, et les transsexuels. Nous prenons toutes les précautions nécessaires pour ne pas risquer de perdre cette liberté si chèrement acquise.

Un silence méditatif ponctua cette déclaration. La bulle s’éloigna du parc, prit de l’altitude et survola la ville. Freya s’étendait à perte de vue dans toutes les directions, extrêmement vaste mais peu dense. Les habitations étaient entourées de luxuriants jardins dans lesquels on apercevait des animaux en liberté, immenses volatiles multicolores ou herbivores rondouillards, et des cours d’eau coulaient librement, enjambés de ponts graciles. Le ciel tirant sur le vert semblait vierge de toute pollution et, dans les larges avenues bordées d’arbres, on ne voyait aucun embouteillage. Des éclats de chrome, un peu partout, révélaient des robots affairés à toutes sortes de tâches. La plantureuse Letie observait le paysage avec un sourire extatique tandis que la journaliste arakienne filmait sans discontinuer. La vieille nabienne se régalait elle aussi du paisible spectacle, ses antennes ondulant doucement, tandis que les deux saturniennes demeuraient murées dans leur silence. Erlinn demanda d’une voix douce :
- Quelles sont ces grosses sphères métalliques que l’on voit dans les jardins ?
- Des piscines privatives dans lesquelles nous aimons nous détendre en couple. La moitié supérieure peut s’ouvrir ou demeurer close pour plus d’intimité.
La bulle se stabilisa au-dessus d’une grande pyramide de pierre blanche, entourée de deux autres plus petites. Des bannières pourpres ondulaient dans la brise. Des femmes vêtues de toutes les couleurs s’affairaient dans les allées. Olympe montra les bâtiments tour à tour du doigt :
- Voici le siège de nos instances politiques : la pyramide Veil où travaille le Conseil Féminin, la pyramide De Gouges où se trouve le Conseil Scientifique et la pyramide Michel pour le Conseil aux Affaires Annexes. Notre présidente actuelle est Viviana Talarek. Elle est assistée par un super-ordinateur que nous nommons Les trois soeurs. La politique de notre planète est résolument de gauche. Elle privilégie l’égalité et la solidarité. Les gens sont plus importants que l’argent ; pas comme sur notre bonne vieille Terre.
Elle fit un clin d’oeil espiègle à Letie qui gloussa.
- Notre politique privilégie également l’éducation et la prévention, plutôt que la répression. Nous n’avons quasiment aucun accident de la route et nous ne possédons qu’une seule prison pour toute la planète. Mais c’est bien naturel puisque la violence et les crimes sont principalement le fait des hommes. Notre économie est bien encadrée et nous avons appris des erreurs terriennes : la spéculation est interdite. Comme nous favorisons la recherche scientifique, nous exportons des produits d’un très haut niveau technologique qui ont fait notre fortune. Vous avez sans doute déjà essayé un Canapé-brume, une Simu-salle ou un vêtement en tissu Aqua. L’émulation et le partage sont nos valeurs. La compétition est chez nous remplacée par l’entraide. Nous nous assistons les unes les autres dans la vie de tous les jours, afin que nulle ne reste seule ou dans la détresse. Notre devise n’est pas qu’une décoration gravée sur un fronton.
- Liberté, égalité, sororité, murmura Erlinn, pensive.

Kkreth'sch leva une pince et demanda :
- L’écologie semble également au coeur de vos préoccupations.
- Tout à fait, darling.
L’arakienne tiqua fortement à l’énoncé du surnom mais elle ne répliqua pas. Olympe continuait :
- Nous nous efforçons de vivre en harmonie avec la nature, notre mère. Aldébaran a une flore et une faune merveilleuses et nous voulons à tout prix éviter de les détruire. Nous ne pratiquons aucune terra-formation et nous n’avons amené quasiment aucun organisme terrien afin de ne pas altérer les éco-systèmes. C’est à nous de nous adapter à notre nouvel environnement, pas à lui à se plier à notre joug. Nous privilégions les énergies renouvelables et non polluantes, chaque maison possède des panneaux solaires et une mini-éolienne, nous décourageons la possession de véhicules individuels, nous recyclons tout, nous consommons peu, nous mangeons local... Et en premier lieu, nous contrôlons la démographie. L’immigration ne se fait que sur dossier et nous avons pour objectif d’abaisser notre nombre à deux cent millions d’ici un siècle. La nature aussi est plus importante que l’argent, pour nous.
- Cette planète est un véritable paradis ! s’exclama Letie en joignant les mains.
Kkreth'sch claqua des mandibules et lâcha avec mépris :
- Pollution et modernité vont ensemble. Ne pas polluer, c’est se condamner à une vie de bouseux, éclairé à la bougie, à brouter des salades vertes.
Olympe lui fit un large sourire :
- Si nous avons le temps, je vous ferai goûter des plats aldébarans végétariens.
Kkreth'sch émit une stridulation exaspérée et se remit à manipuler son enregistreur.

Le vaisseau vira et s’éloigna des pyramides blanches. Il survola un immense lac scintillant, en périphérie de la ville.
- Le lac Nyota. Sur ses rives, a lieu notre plus grand festival annuel, consacré à la musique et à la danse.
L’écran zooma sur la plage, où de nombreuses femmes aux cheveux violets se baignaient, la plupart complètement nues. La jeune Luo les regardait avec des yeux ronds, sans rien dire. Olympe s’approcha et posa une main fine sur son épaule :
- Sur Aldébaran ma cocotte, on peut se mettre à l’aise sans craindre de parole ou de geste déplacé. Les rares hommes présents sont « certifiés » fréquentables.
La jeune fille continua d’observer les baigneuses et un immense espoir illuminait son petit visage triste. La guide expliqua :
- Nous sommes entre nous ici. Je sais que cela peut paraitre difficile à imaginer pour les filles de l’extérieur mais ici, on accepte son corps et il n’y pas que le physique qui compte. Nous valorisons la vraie beauté, celle du coeur et de l’esprit. Personne ne va vous critiquer parce que vous êtes grosses ou que vous avez de petits seins. Et si vous vous maquillez, c’est pour vous-même et pas pour attirer une miette d’attention de la part des machos du coin.
Elle soupira et son visage exprimait une immense ferveur :
- Ici, on ne connait pas le harcèlement sexuel. Il n’y a pas de phallocrates pour nous obliger à coller à des canons esthétiques ridicules et contre nature. Pas d’opération chirurgicale pour ressembler à une poupée-mannequin, pas d’anorexie.
June sembla réfléchir un long moment à cette déclaration. Les yeux de Letie brillaient de plus en plus à chaque nouvelle information et Erlinn hochait la tête en silence. En bas, les aldébaranes jouaient au ballon dans les embruns ou pique-niquaient sur la plage de sable gris. Certaines, à l’écart, les yeux dans le vague, évoluaient sans doute dans le réseau virtuel. Sous un bosquet, une fête s’improvisait et des femmes de tous âges dansaient et frappaient dans leurs mains.

La bulle reprit de l’altitude et revint vers le centre de Freya. Elle survola un ensemble de pavillons munis d’immenses baies vitrées. Olympe commentait :
- Voici la bibliothèque Keller, où nous conservons les oeuvres littéraires non dématérialisées, le conservatoire Marianis, où on peut apprendre toutes sortes d’arts, le musée Chanel, dédié à la haute-couture, le musée Sand...
Des navettes rutilantes, glissant sur des rails magnétiques, déversaient des groupes de visiteuses avides de culture, certaines tenant des enfants par la main. L’écran du vaisseau montrait des oeuvres d’art aldébaranes, élégantes sculptures de verre pourpre, peintures virtuelles en quatre dimensions, chorégraphies complexes effectuées en apesanteur, vêtements multicolores brodés de fleurs et de perles.
- L’art et la créativité sous toutes leurs formes sont encouragés dans notre société. Freya compte de nombreux théâtres, ludodromes, cinémas, restaurants et narcions. Bien sûr, toutes nos oeuvres passent haut la main le test de Bechdel !
Elle fit un clin d’oeil à son public puis leur montra des laboratoires de recherche, l’un d’entre eux équipé d’un impressionnant télescope. Les scientifiques y étudiaient des sources d’énergie non-polluantes, des robots propres à décharger la population des tâches pénibles, des traitements pour diminuer les signes du vieillissement... Freya comptait aussi des bâtiments dédiés aux activités physiques, salles de gymnastique, instituts de massage et pistes de course. La petite Luo désigna des coureuses et bredouilla quelque chose, d’une voix si basse qu’elle en était inintelligible. Olympe se pencha sur elle, lui balayant les épaules de ses boucles lilas. La jeune fille lui répéta sa question à l’oreille.
- Ca petite soeur, c’est une de nos traditions. Celles d’entre nous qui cherchent l’amour accrochent ce voile rose dans leur chevelure. Tu pourras en avoir un dans quelques années si tu as envie.
Erlinn leva une main parcheminée :
- Depuis que nous survolons la ville, je n’ai pas vu d’églises...
- En effet. Nous avons rejeté les religions, qui, pour la plupart prônent l’asservissement des femmes. Aussi, tu ne trouveras aucun temple, de quelque confession que ce soit sur la planète. Certaines d’entre nous pratiquent encore le paganisme terrien mais dans un cadre strictement privé. Nous sommes une civilisation de la raison et de la science. La religion ne peut y avoir une place, comme...
- En somme, vous êtes parfaites ?

Kkreth'sch l’avait interrompue et ses élytres atrophiées crissaient dans son dos. Son ton était acide :
- Tout est merveilleux ici, paix, harmonie, bla bla bla... Pas de violence, pas de pollution, pas de poils. Toutes les filles sont des princesses ; elle chie des arcs en ciel et pètent des paillettes !
Olympe cligna plusieurs fois des yeux, interloquée par l’agressivité soudaine de l’arakienne :
- Eh bien... nous faisons de notre mieux pour que chacune s’épanouisse et ait la meilleure vie possible...
- Il y a forcément une face sombre à ce monde et c’est ça qui m’intéresse. Pas ce que vous montrez depuis toute à l’heure et qui n’est que dentelle et rose bonbon. Parlez-nous plutôt des coulisses. Parlez-nous des inadaptées.
- Mais que voulez-vous savoir ?
- Les hommes ne vous manquent pas ? Vous n’êtes pas frustrées ? Les sex toys, même bien conçus, ils ne remplacent pas un mec !
Letie émit un « oh » outré et June foudroya la journaliste du regard. Olympe haussa un sourcil puis, sans se démonter :
- Une grande majorité d’aldébaranes sont lesbiennes. C’est un choix nettement plus logique que l’hétérosexualité. Je ne vous surprendrai pas en vous disant qu’il vaut mieux être une femme pour savoir comment combler une autre femme. Et ainsi, pas de dominance malsaine, pas de déséquilibre dans les besoins, source de conflit au sein des couples. Pas besoin de contraception toxique. Ce choix est d’autant plus normal que la sexualité est dé-corrélée de la reproduction depuis longtemps. Vous nous trouverez très libérées d’un point de vue sexualité. Nous pratiquons l’amour libre, les rapports en groupe... Oh que non, nous ne sommes sûrement pas frustrées.
Elle souriait largement et ses joues s’étaient colorées d’un rose tendre. Kkreth'sch siffla de dépit puis contre-attaqua :
- Si votre société c’est si géniale que ça, pourquoi n’en faites-vous pas la publicité ? Pourquoi n’y a-t-il pas de tourisme sur votre planète ? Pourquoi vous voit-on si peu sur les autres mondes ? Pourquoi les visites comme celles-ci s’effectuent-elles au compte-goutte ?
- Comme je vous l’ai dit, nous voulons diminuer la population afin de préserver la nature. Nous ne pouvons malheureusement pas accueillir toutes celles qui veulent nous rejoindre. Nous cultivons donc une certaine discrétion. Mais le Conseil Féminin prépare la fondation d’une seconde colonie.

L’arakienne digéra un moment cette révélation. Cela lui ferait au moins un scoop à ramener. Olympe la fixait avec calme, les bras croisés sur sa poitrine, l’air aimable. Se redressant brusquement, la journaliste lança :
- Cette diminution de la population doit entrainer des drames, j’imagine ? Celles qui veulent des enfants ne peuvent pas en avoir !
- Au contraire ! Chaque couple a le droit d’avoir une fille. Elle est conçue à partir d’un ovule de l’une des mères et d’une cellule souche de l’autre, artificiellement différenciée en cellule mobile. L’embryon, obligatoirement femelle, est implanté dans l’utérus de l’une des mères ou confié à une cuve gestationnelle, au choix de la famille. Ici, la pression pour « pondre » n’existe pas. Seules celles qui en ont réellement envie enfantent.
L’écran de projection montra de gracieuses petites filles aux cheveux pourpres prenant le thé dans des dinettes ou enfilant des perles irisées.
- N’avoir qu’un enfant permet de lui consacrer toute l’attention nécessaire et de bien l’élever. Nos filles grandissent dans nos valeurs : pas de violence, valorisation de la bonté et de la communication. Ici, les jeux d’enfants n’ont pas de sexe. Les petites peuvent jouer aux vaisseaux spatiaux et à bricoler si elles le souhaitent. Nous avons bien évidemment fait disparaitre ces clivages rétrogrades qui limitaient les enfants filles à des rôles de bonniche ou d’infirmière. Mais nous ne leur donnons pas de jouets en forme d’armes car la guerre n’a rien d’amusant. Libres de leurs jeux, elles ne restreignent pas leurs choix professionnels et prennent ensuite librement leur place et leurs responsabilités dans la société.
Kkreth'sch se rassit, visiblement contrariée. Olympe la regarda s’agiter. Après plusieurs minutes d’un silence tendu, elle reprit la visite.

La bulle s’approcha d’un grand parc arboré, dans lequel émergeaient de petites maisons. Des silhouettes en robes blanches parcouraient les allées.
- Notre visite s’achève avec la Maison de la Sérénité, un des piliers de notre société. Il s’agit d’un établissement de santé mentale qui bénéficie des dernières avancées de notre science.
Les yeux à facettes de Kkreth'sch se braquèrent sur la guide, avides :
- A voir la taille de l’établissement, il doit y avoir pas mal de dingues chez vous !
- Allons, ma soeur, oubliez vos lieux communs ineptes ! Il n’y a pas besoin d’être « dingue » pour prendre soin de son équilibre mental ou admettre qu’on a besoin d’aide.
- Et vlan !
C’était Letie, qui fit un petit signe du tranchant de la main à la journaliste. Celle-ci se renfrogna et fit mine de tapoter son enregistreur. Olympe continua :
- Dans la Maison de la Sérénité, on peut trouver une écoute, des conseils. On apprend à mieux communiquer. On cultive l’empathie et le développement personnel. Les nouvelles arrivantes suivent également une cure de plusieurs mois pour se défaire de leurs modes de pensée biaisés. Quand on a grandi dans un monde de phallocrates où les femmes ont juste le droit d’être belles et de se taire, d’être des mères ou des objets sexuels, de faire leurs deux journées de travail par jour sans se plaindre... Quand on a grandi dans un monde où une femme ne peut pas être présidente, où elle est forcément la potiche débile du film... Quand on a grandi dans un monde pareil, on a forcément des idées déformées et un terrible complexe d’infériorité. Il faut du temps et de l’aide pour s’en défaire. Du temps pour se convaincre que ne pas vouloir d’enfant ne fait pas de nous une femme incomplète. Du temps pour oser haïr les mâles. Du temps pour les pardonner. Du temps pour les oublier et devenir libre.
Letie et June manifestèrent leur assentiment. La grande noire hocha plusieurs fois la tête :
- Je suis venue ici avec des à priori mais vous m’avez convaincue. Je vais déposer un dossier d’immigration à mon retour.
- Je vous souhaite de tout coeur d’être sélectionnée. Le violet s’accordera à merveille avec votre jolie peau ! Oh ! Mais j’ai oublié d’en parler !
L’écran montra deux photos comparatives de la même jeune femme, blonde à gauche et les cheveux lavande à droite. La guide ramena sa chevelure sur le devant de son corps :
- Nos cheveux particuliers sont obtenus par une injection génique chez les nouvelles arrivantes et une altération phénotypique chez les natives. Bien sûr, ce n’est pas obligatoire mais la plupart d’entre nous choisissent d’arborer ce signe d’appartenance.
L’arakienne grinça des mandibules et demanda sèchement :
- Et pour les espèces qui n’ont pas de cheveux ?
- Allons donc, seriez-vous en train d’envisager de nous rejoindre ? Voulez-vous devenir une « princesse », vous aussi ?
Olympe éclata de rire et les autres occupantes du vaisseau se joignirent à elle. Erlinn leva les mains, paumes vers le haut, solennelle :
- Ainsi s’achève le règne tyrannique des mâles. Enfin.
Olympe acquiesça avec un sourire radieux :
- Enfin et à jamais.


Est', féministe impénitente.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-07-30 20:01:05 

 Lucie... je suis ta mère!Détails
La scène d’ouverture est bien rythmée et le pitch très film noir très bien rendu. Beaucoup de petites bêtes agiles : fouine, lapin, souris....

On bascule ensuite dans un récit de pure science-fiction, à bord d’un engin spatial dont le nom évocateur esquisse déjà l’angle narratif retenu. La capitale est ainsi baptisée en l’honneur d’une déesse de l’Amour et de la Fertilité, accentuant le côté Lemnossien du récit.

Bien vu le mémo historique avec un réquisitoire contre le machisme de la société, même en l’an de grâce 2063 et l’alliance des manichéens religieux (VPT ? = Voile Pour Toutes?). Holà, c’est la guerre des sexes avec l’arme atomique «rengainée» par les femmes! Cyclamen, pour beauté et jalousie ?

Tiens, tu utilises le mot « colon » qui, par malchance, ne possède pas de féminin ! Pionnières, peut-être?

La description de la planète est furieusement flower power et on imagine un décor très psychédélique ! Un terme comme je les aime mais la parthéno-conception ne serait-elle pas une parthénogenèse thélytoque ?

Bien vu la puce Testostop et la certification des mâles. Fichtre, la jeune virago chargée de la com’ a une conception très réductrice des hommes même s’il semble qu’à petite dose, ils demeurent acceptables. Donc à consommer avec modération !.

Tu persistes très justement dans les références aux personnages féminins célèbres (jusqu’à en perdre la tête!). L’ordinateur a-t-il été baptisé en l’honneur des Nornes ou des Parque? Par contre, je ne sais pas si la notion de « gauche » prévaudra jusqu’en ces temps sapphiques ! Tu décris plutôt une utopie basée sur les qualités intrinsèques de la plus belle conquête de l’homme depuis le cheval (joke bien sûr)!

Je trouve qu’il y a une contradiction entre les buts avoués de cette société se réclamant de gauche et éprise d’écologie et la fortune qu'elle a amassée grâce aux exportations! Ah, la Sororité, la fraternité féminine!

Ai-je bien noté une référence à un personnage de Star Trek dans le nom du lac? Et cela continue allègrement : Keller, Sand, Chanel... Pour un télescope, c’est plutôt un observatoire non ?

Tu décris donc une société hautement homosexuelle, versant féminin, plutôt utopiste, qui règle définitivement son compte à la société d’origine, basée sur la testostérone et les poils! Grâce à la chargée de communication, qui en vante chaque mérite, tu parviens habilement à présenter toutes les facettes de ce monde idyllique : organisation sociale, politique, économique, ludique, scientifique artistique, etc... Cela me rappelle certains bouquins de SF des années d’or qui abordaient des civilisations utopistes (Silverberg en particulier mais pas que lui)!

Le style est fluide, les descriptions fouillées et jamais répétitives. Tu utilises aussi à bon escient la présence d’un élément antagoniste (l’arakienne), en quelque sorte l’avocat du diable, qui permet de rompre le discours univoque.

In fine, tu as respecté la consigne qui demandait la description d’une ville, même si tu l’as insérée dans un cadre beaucoup plus vaste. Tu as planté royalement le décor, reste à découvrir l’histoire qui va s’y dérouler.

Au rayon des bricoles :
" ... et nous ne grapillons que des miettes de pouvoir politique" : nous ne grappillons...
"...Narcions ": ?

M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-07-31 10:39:02 

 Merci pour ta lecture !Détails
Arf arf arf, bien vu pour VPT !! C'est bien ça ! Tu m'épates !
Oh, je ne me suis pas particulièrement penchée sur la symbolique du cyclamen. Je l'ai pris pour sa couleur, surtout.
Non, je ne voyais pas la parthéno-conception comme une parthénogenèse thélytoque mais c'aurait pu.
C'est bien aux Parques que je pensais pour mon ordinateur !
J'avoue que pour la gauche, je ne voulais pas m'enquiquiner à chercher de nouveaux concepts politiques, hihi !
Pour les sous des exportations, c'est que, même si on est une hippie végétarienne, faut bien importer ce qu'on n'a pas en local et payer les boucliers de la planète !
Arf, oui, le lac est bien une référence à une charmante responsable des communications de Star trek ! Décidément, on ne peut rien te cacher ! (^-^) Je trouve le personnage d'Uhura important à bien des égards. Femme à une époque où on n'en voyait pas beaucoup à la télé, noire de plus. Et le premier baiser blanc/noir de l'histoire de la télé par dessus le marché !
Dans ce monde, un narcion est un endroit où on consomme des drogues légales et notamment des narcotiques.

Est', c'est à Canary bay, hou hou...

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-07-31 20:23:40 

 j'ai aussi un souvenir ému...Détails
D'une autre actrice afro-américaine jouant dans une série US : Gail Fischer, qui était la sémillante secrétaire de Mannix, le détective beau gosse!

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-08-06 22:37:24 

 Commentaire Estellanara, exercice n°117Détails
A travers la description de cette ville, c’est tout un monde structuré et cohérent que tu dépeins. La visite guidée est classique ( mention spéciale pour cette « bulle » transparente ; le sol transparent, moi ça me donnerait le vertige !), mais outre le descriptif des lieux et des habitants, elle te permet de présenter une civilisation d’un genre très particulier. L’opposition de la journaliste ( tous tes noms propres sont une histoire dans l’histoire, mais Kkreth’sch ! j’adore !), pimente le dialogue et le fait rebondir. Tout est fouillé, jusqu’au moindre détail, rien n’est laissé au hasard, société, ressources, écologie, technologie... sans compter l’historique qui sert de préambule à la présentation, et qui est introduit par un documentaire destiné à frapper les esprits. Cette guide est la reine de la com’ !
Tu es vraiment allée au bout de ton idée, et je suis curieuse de lire l’intrigue qui se déroulera dans ce contexte particulièrement léché.


Bricoles :
- « cherché » qui que ce fut : fût
- Dégoutant : dégoûtant
- Paraitre : paraître
- Grapillons : grappillons
- tâches de sang : taches !
- Militantes... aux visages marqués : au visage marqué ; idem pour les hommes politiques, quoique la répétition soit sûrement évitable
- Hippies du 20° siècle, politique de gauche : ce sont des références terriennes, or l’auditoire vient de planètes diverses
- Une vie de bouseux, éclairé à la bougie, à brouter des salades : la construction est limite ; tu pourrais ajouter un adjectif du genre « condamné » ( à brouter)
- Elle chie des arcs en ciel et pètent : elles chient
- Toute à l’heure : tout
- Si votre société c’est si géniale : « c’ » en trop
- Des silhouettes en robes blanches : en robe blanche
- Du temps pour les pardonner : leur pardonner

Deux choses m’ont interpellée : le changement de ton de la guide au fur et à mesure qu’on se rapproche de la planète : d’abord très civile et courtoise, elle se permet ensuite des apostrophes plus familières : « darling », puis « ma cocotte » .
« Je pense sincèrement que leur présence est nécessaire à notre épanouissement » : cette phrase dénote franchement dans le contexte !


Le titre est merveilleusement bien trouvé pour cette caricature d’un monde parfait où l’on n’a gommé qu’un détail insignifiant : le mâle. Tu dépeins une civilisation de Barbies préadolescentes, narcissiques, toutes formatées sur le même modèle ( bien vu le passage obligé des nouvelles arrivantes par la « Maison de la Sérénité », pour « libérer » leur mode de pensée, ce qui évoque malgré tout certaines techniques de « rééducation » utilisées dans des pays certes « de gauche », mais furieusement totalitaires...) ; comme toutes les gamines, elles sont avides de conformité, d’appartenance à un groupe et de codes vestimentaires et capillaires ; L’homme est banni ou chimiquement castré, afin que la sexualité des résidentes reste confiné au stade du miroir, et ne se confronte jamais à la Différence, le risque de la rencontre avec l’Autre étant la base de la sexualité adulte. A ce titre, le plaidoyer pour l’homosexualité est édifiant.
Une telle société me fait frémir ! Mais ta fiction est extrêmement talentueuse, et je suis sûre que tous les Faëriens l’auront lue avec un immense plaisir !
Narwa Roquen, impressionnée!

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-08-23 11:37:27 

 Merci pour ta lecture !Détails
Effectivement, j'ai cherché à pousser le concept dans ses derniers retranchements !
Merci pour les bricoles, j'en ai corrigé la plupart.
Concernant le ton de la guide, c'est voulu. Les aldébaranes sont très familières entres elles et la guide a simplement du mal à se tenir à un mode plus formel.
Ah tiens... Si mon texte laisse à penser que mes nanas sont formatées, il y a quelque chose à corriger d'urgence dans mon texte car, au contraire, cette civilisation est censée permettre aux femmes de s'épanouir quel que soit leur physique et leur style, le seul trait physique qu'elles ont en commun étant les cheveux mauves.
Narcissiques ? Ah bon, pourquoi ? Encore une fois, je suis étonnée par ce que tu vois dans mon texte sans que je l'y ai mis. Faudrait que je teste sur d'autres lecteurs.
Euh... je ne trouve pas que la sexualité homosexuelle soit "confinée" où que ce soit ! Et cet Autre dont tu parles peut fort bien être du même sexe.
Mon paragraphe ne se voulait pas un "plaidoyer" pour l'homosexualité mais plutôt un argumentaire. Il y a peut-être quelque chose à corriger là aussi si c'est perçu ainsi...
Bah moi cette société ne me fait pas frémir puisqu'au final, mes nanas sont libres et plutôt heureuses et épanouies. C'est pratiquement une vraie utopie, dans mon esprit.

Est', hop hop !

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