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 WA, exercice n°116 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 17 janvier 2013 à 22:27:50
"Un Lannister paie toujours ses dettes". Ce leitmotiv se retrouve à presque tous les chapitres du "Trône de fer". Cela donne au lecteur un sentiment de familiarité avec l'histoire, et renforce son attachement à cette famille dont les membres sont pourtant loin d'être des saints!
A vous de jouer! Vous introduirez un leitmotiv dans votre histoire, mais qui ne sera pas une obsession, du genre "je vais le tuer". Juste une petite ritournelle pour qu'on s'attache à votre personnage principal. Et parce qu'une consigne ne vient jamais seule, vous vous attacherez particulièrement à décrire les habits de vos personnages.
Quoi, c'est beaucoup? Je vous laisse libre du genre, libre de l'intrigue, libre des personnages... Mais pas de la date limite, fixée au jeudi 7 février... plus les quelques jours de retard dont je suis la première à profiter... D'ici là, n'oubliez pas de faire sauter des crêpes en tenant dans votre main une pièce en or... ou quelques billets, pour vous assurer une année opulente. Ce n'est pas l'essentiel, je vous le concède, mais on écrit mieux le ventre plein et sans le fracas des huissiers qui cognent à la porte...
Narwa Roquen,sucre, Nutella, confiture, Chantilly... quoi, nature, vraiment?


  
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Réponses à ce message :
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-02-11 20:48:31 

  WA - Participation exercice n°116Détails
Etant très en retard, j'ai décidé de livrer dès à présent la 1ère partie de l'exercice. La seconde ne devrait pas trop tarder.

---------------------
DANS LES YEUX D'UNE MERE


La bande-son...

Depuis leur départ, ils n'avaient pas jeté un seul regard en arrière. Trop de visages familiers, ceux d'amis proches ou de parents du même sang, se seraient imprimés à vif dans leurs souvenirs. Trop de visages disparus dans la tempête.

D'abord ils avaient suivi, pour rompre l'encerclement des légions du Roi Sorcier, une sente escarpée qui serpentait, presque invisible, le long de la falaise où s'enracinait le Mur. Puis ils avaient escaladé une vertigineuse cheminée de pierre pour rejoindre le haut plateau. Ils avaient lutté contre le vent qui s'entortillait sournoisement dans les plis de leurs vêtements pour tenter de les précipiter dans le vide. Les arbres leur avaient ensuite offert un maigre couvert pour dissimuler aux yeux ennemis leur fuite. Longtemps ils entendirent derrière eux, montant de l'obscurité qui ensevelissait déjà le fond de la vallée, le fracas métallique des armes qui s'entrechoquaient, les vociférations des hordes noires et les chants graves et poignants de leurs camarades. Puis insensiblement, les aboiements et les hurlements des serviteurs du Roi Démon avaient fini par tout recouvrir. La dernière complainte des Fauconniers s'était éteinte sur une ultime note cristalline qui s'éleva, pure et triste, dans le ciel nocturne où la Lune effrayée ne se montra point.

Quand le silence se reforma, tous, hommes et demi-dieu, tous avaient les yeux baignés de larmes. Ils n'avaient échangé aucune parole. Ils s'étaient contentés de serrer plus fermement encore leurs armes et avaient repris leur course éperdue.

Le Phante les avait conduits sûrement, ne semblant jamais rechercher son chemin. Il calquait sa course sur les étoiles qui brillaient dans la nuit. Complices, elles leur murmuraient qu'ils étaient toujours dans la bonne direction. La mousse sur le tronc des arbres aux feuillages persistants leur avait confirmé aussi qu'ils ne déviaient pas de leur but. Ils ralliaient le nord. Durant cette première nuit, ils ne s'étaient accordés aucun répit, le moindre temps perdu pouvant compromettre la réussite de leur expédition. Les séides du Roi Noir étaient sur leurs talons et tout le pays environnant était infesté de leurs avant-coureurs.

Le jour suivant, Ils avaient livré de courtes mais brutales escarmouches contre de petites troupes adverses. La surprise bien sûr joua en leur faveur. Mais pas seulement. Une rage froide animait leurs bras et une exaltation surnaturelle étrécissait leurs pupilles. Alors qu'ils n'étaient guère plus que les doigts d'une main, ils avaient surgi, devant leurs ennemis sidérés, comme nés du néant. Ils avaient paru aussi imprévisibles et mortels que les démons qui peuplent le monde souterrain; aussi irrésistibles et impitoyables que les Chasseurs Blancs qui hantent les tempêtes de neige; aussi invulnérables et terribles que les Anciens Dieux sur le chemin de la guerre. Ils ne firent aucun quartier. Ils n'accordèrent aucune miséricorde. Ils ne donnèrent pas de coup de grâce pour abréger les souffrances de ceux qui étaient tombés sous leurs coups. Tout sentiment de cette nature avait déserté leurs coeurs et leurs raisons. Ils ne vivaient que par la violence et pour la vengeance. La terre but goulûment les ruisseaux éphémères charriant le sang impur de leurs victimes expiatoires. Les charognards se chargèrent des cadavres et des agonisants délaissés par les guerriers.

L’aube du deuxième jour les surprit pendant qu'ils longeaient d’un pas rapide la ligne de crête d’un épaulement qui descendait, en larges degrés, vers les plaines immenses marquant la fin des contreforts montagneux. Ils s'éloignaient des cimes élevées entre lesquelles tant des leurs avaient péri. Sur l'horizon, une couronne de lourds nuages tentait de s’opposer au lever du soleil triomphant. Mais ses étincelants javelots transperçaient sans peine les masses cotonneuses, les transformant en longues écharpes aux teintes violacées. Dans la lumière profonde de l’aurore, l’air était si limpide que chaque détail du paysage ressortait distinctement et les couleurs semblaient avoir été déposées en touches délicates par le pinceau immatériel de quelque artiste céleste. Le spectacle de cette nature immaculée était cependant gâché par l’impression de tristesse infinie qui se dégageait des bannières en lambeaux ensanglantant la face rayonnante de l’astre du jour.

Vak, le Phante, marqua un arrêt au bord de l'abîme, forçant ses compagnons à l’imiter. Il se tourna vers l’orient où le Polémarque se préparait à affronter son Destin. Il n’y avait rien qu’ils puissent faire pour l’aider, sinon boire à nouveau le breuvage amer de la défaite. Autour de lui, les champions épuisés s’accroupirent, profitant de cet instant de repos inattendu. Si l’eau claire d’un torrent de montagne avait étanché leur soif, leurs estomacs n'avaient pas eu leur compte. Alors cette halte surprise était une bénédiction.

Le Phante les avait entraînés sans ménager leurs peines. La fatigue creusait leurs traits et malgré tout leur courage et leur endurance, leurs poumons étaient en feu et leurs coeurs battaient la chamade. Jusque là l’adrénaline avait inondé leurs veines, masquant les signes précurseurs du délitement de leurs forces. Attacher ses pas à ceux d’un demi-Dieu était exaltant mais ils avaient largement puisé dans leurs dernières réserves. Ils écrivaient l’Histoire, leur avait dit le Duc avant de les laisser partir. Leur Duc. Ces simples mots résonnaient encore à leurs oreilles.

Vak semblait perdu dans une sombre méditation. Son visage baignait dans la lumière dorée du nouveau soleil. Sa haute stature dégageait une force immense, à peine contenue, qui pouvait se réveiller à tout instant. Ses traits étaient d'une telle perfection que l'absence des organes de la vue n'était en rien choquante. L'oeil tatoué entre les sourcils, marque symbolisant à la fois liberté et infamie, rehaussait en revanche le caractère hiératique et noble. Pas un tressaillement n'étirait ses muscles, pas la moindre transpiration ne perlait sur sa tempe. Il fallait réellement faire un effort pour ne pas voir que s'élevait en cet endroit une extraordinaire statue née sous le ciseau envoûté d'un merveilleux sculpteur et qui ne demandait qu'à s'éveiller à la vie.

Lugnimius se força à réprimer sa respiration haletante. Il cherchait de l'air pour emplir ses poumons. Il n'aurait jamais cru qu'il pourrait suivre le train d'enfer imposé par le Phante. Il côtoyait d'illustres champions dont tous vantaient les exploits là-bas... Mais il se rappela aigrement la réalité. Il n'existait plus rien là-bas. Rien que la désolation et l'esclavage. Et lui, qu''était-il donc? Un simple archer. Un excellent archer peut-être mais il n'arrivait pas à la cheville de ceux qui étaient rassemblés autour de lui.

Il y avait tout d'abord Acturius, le plus valeureux d'entre tous, adossé à un arbre. Il était l'un des quatre Protecteurs de l'Aire en exercice. Ce titre prestigieux était accordé aux chefs des quatre cohortes composant la garde personnelle du Duc. Les Protecteurs n’étaient pas désignés en fonction du nombre de quartiers qu'arborait leur blason ou grâce à la faveur injustifiée du haut Seigneur. Ils étaient sélectionnés parce qu’ils disposaient d’abord de toutes les aptitudes et techniques indispensables au combattant. Mais cela ne suffisait pas. Ils devaient ensuite présenter des qualités morales et personnelles particulièrement élevées et un charisme affirmé. Je vous envie Acturius, avait confié à voix basse le Roi des Fleurs au Duc, et je tenterais bien de m’attacher ses services si je n’avais qu’une chance sur un million qu’il accepte! Acturius était vêtu d'un tabard bleu et blanc, maculé de boue et de sang, par-dessus un haubert annulaire qui présentait les stigmates de nombreux coups. Il s'était débarrassé de son heaume à crinière et son grand bouclier gisait à ses pieds. Il avait le regard dans le vague, ses mains reposant sur la garde de son épée fichée dans le sol.

Non loin de lui, les frères Englaevius avaient oublié leurs querelles, se contentant de demeurer assis dos à dos sur un rocher. C'étaient des jumeaux. Ils se ressemblaient comme deux gouttes d'eau à un détail près. L'un était blond comme les blés, l'autre avait les cheveux aussi sombres que les ailes d'un corbeau. Mais leurs yeux étaient d’un vert si lumineux qu'il affadissait l’éclat des émeraudes serties sur la tiare de la Déesse Sylvestre dans son temple consacré. Ils étaient tellement indisciplinés et rebelles à toute autorité qu'ils devaient leur statut dans l'ost ducale, au-delà de leurs exceptionnelles qualités, à leur mère, qui se trouvait être également la soeur cadette du Duc. S'ils se disputaient continuellement pour un rien, ils étaient inséparables au combat, marchant côte à côte, la gémellité leur assurant une symbiose particulièrement efficace dans les corps à corps.

L'archer sourit quand son regard se posa sur la grande carcasse de Hangus, l'imposant guerrier qui reprenait difficilement son souffle en ahanant bruyamment. Hangus était une force de la nature de plus de six pieds et presque aussi large que haut. L’unique arme de ce véritable colosse était un impressionnant marteau qu'il maniait à deux mains en larges moulinets. Ce marteau pesait un tel poids qu'ils étaient peu à réussir à le soulever, sans parler de l'armer correctement comme les règles de son art l'exigeaient. Mais quand Hangus s'en saisissait, il dansait alors un ballet mortel et les rangs des ennemis s'ouvraient comme par enchantement devant lui. Hangus était surnommé le Fléau du Faucon et de nombreuses légendes couraient sur son compte. Sa trogne rougeaude était sans grande beauté mais n'était pas dépourvue d'une certaine noblesse. Il nouait ses cheveux rouges en deux longues tresses qui descendaient sur son torse, à l'ancienne mode. Il portait un grand tablier de cuir tanné par-dessus ses mailles, à la manière des forgerons et une épaisse pièce de même matière était fixée sur son épaule pour recevoir le long manche en bois durci du marteau. Lent à réfléchir et peu loquace, Hangus laissait souvent parler les autres sans intervenir. Il était là parce qu'il avait suivi un ami. Son seul véritable ami. Car Hangus avait un secret. Il prisait par dessus tout la musique. Son âme, que beaucoup croyaient vile et grossière à l'image de son corps, s'élevait alors sans effort vers des sphères éthérées où elle resplendissait, plus brillante que l'Etoile du Matin.

Son ami avait les yeux fermés, semblant écouter une voix intérieure. Une sorte de grâce embellissait son visage qui irradiait une maîtrise de soi incomparable. Il ne paraissait pas plus fatigué que Vak, sa poitrine se soulevant à peine. Il était assis en tailleur dans l'herbe scintillant de rosée, une longue épée posée sur ses jambes croisées. Il paraissait jeune. Il semblait que la douceur de l'adolescence n'avait pas fui depuis très longtemps ses traits. Rien n’était moins vrai. De nombreux printemps étaient passés depuis sa naissance dans une petite maison forestière du duché. Lui préférait compter les automnes car les printemps lui rappelaient de trop mauvais souvenirs. Ce genre de souvenirs que l'on tente de noyer dans le vin noir, verre après verre, sans jamais y parvenir tout à fait, comme dans ces cauchemars sans fin, parce que l'oubli n'est pas un bien bon marché. Il s'appelait Tomas et sa vie comptait peu à ses yeux. Quelque chose en lui était mort et froid.

Il était un redoutable bretteur, un maître d'escrime à la fois admiré et craint. Il triomphait dans tous les concours où s'affrontaient les Champions, qu'ils soient au Duc ou au Roi des Fleurs. Ses bottes irrésistibles et ses gardes hermétiques étaient étudiées et copiées mais il en inventait toujours de nouvelles qui plongeaient ses adversaires dans la perplexité et les réduisaient à l’impuissance. Ses détracteurs murmuraient qu'un étrange abandon l'habitait durant les assauts, comme s'il se désintéressait de ce qui pourrait lui arriver, qu'il s'en moquait prodigieusement, devenant presque une machine sans âme. Une machine à tuer.

D'un bout à l'autre de l'année, il s'habillait aux couleurs fanées de l'automne. Les ocres, les roux et les verts sombres se mêlaient sur ses vêtements en un camaïeu déconcertant. Sur le champ de bataille, les ennemis les plus irréductibles reculaient quand il se dressait devant eux. Peut-être était-ce dû à ce regard vide où aucune émotion ne filtrait jamais. Peut-être était-ce dû au caractère méthodique et inéluctable de ses attaques qu'aucune parade ne semblait être en mesure d'enrayer. Oui, sans doute. Mais personne n'a jamais osé avouer ce qu'il a vu durant un bref instant. Ceux qui le pourraient sont ceux qui ont tourné les talons pour échapper au sort funeste qui leur tendait les bras. Mais ceux-là seront empêchés par la honte qui pèsera sur leurs cordes vocales pour le reste de leur vie. Les autres, trop fous ou trop ignorants pour tourner casaque, sont tombés morts à ses pieds. Aucun n'en a réchappé. Qui ajouterait le ridicule à la couardise en racontant à ses camarades qu'il avait vu... oui... qu'il avait vu marcher aux côtés de cet adversaire invincible, une grande ombre vêtue d'un long drap obscur ? Une ombre immense dont la simple vue glaçait les sangs. Une ombre qui ricanait en vous regardant droit dans les yeux.

Mais Tomas n'était pas simplement un escrimeur hors pair. Il possédait un tout autre talent. Il portait, attachée à son épaule par un cordon de soie tressée, une petite lyre à six cordes. C'était là son bien le plus précieux. Le bois en était si patiné qu'il brillait comme un miroir. L'instrument n'était pas le sien. En pleurant, il l'avait reçu d'autres mains mais il y tenait plus qu'à sa propre vie. Il avait appris à en jouer tout seul, dans le clos le plus secret d'une ancienne et impénétrable forêt. Il avait tout sacrifié pour en maîtriser tous les secrets. Il lui consacra plusieurs saisons, vivant comme un ermite dans une hutte sans confort. Ce sont les oiseaux qui lui apprirent qu’il avait terminé son apprentissage. Le jour où les rossignols mêlèrent toute la suave tristesse de leurs chants à la mélancolie inconsolable de Tomas. Revenu parmi les siens, il ne montra pas volontiers son talent de musicien. Rares furent ceux qui entendirent les mélodies empreintes d'une beauté froide et désespérée qu'il tissait inlassablement sur les cordes de sa lyre. Mais ceux-là ne les oublièrent jamais. Hangus fut l'un d'eux. Il se rapprocha de Tomas et bien qu'ils n'eussent rien en commun, une amitié naquit entre eux et un lien se forgea peu à peu pour devenir inaltérable.

Ainsi, ils étaient sept compagnons. Sept était un chiffre parfait.

Vak se retourna enfin.

"A partir de ce point, nous allons suivre une voie tracée à l'écart des routes des hommes. C’est une voie secrète et dangereuse. Vous pouvez encore décider de ne pas me suivre et rejoindre le Polémarque, là-bas, dans la Plaine des Fleurs. Il aura besoin de tous les bras disponibles! Si vous partez dès maintenant, vous aurez une chance d'être dans la ligne quand le Roi Sorcier lancera son assaut! Mais si vous me suivez, vous sortirez du temps des Hommes pendant plusieurs semaines!"

Les Fauconniers se consultèrent du regard et restèrent silencieux. Naturellement, Acturius se détacha du tronc d’arbre contre lequel il était adossé et s'avança vers Vak. Les autres n’émirent aucune objection. Aucune protestation. La voix du Protecteur s'éleva ferme et claire :

"Je parle au nom de mes compagnons. Nous avons fait une promesse à notre Duc. Nous allons honorer cette promesse. Nous allons vous accompagner, Seigneur, puisqu'il nous l'a demandé. La bataille du Polémarque n'est pas la nôtre. Il y aura d’autres batailles en d’autres lieux. Nos bras, en plus ou en moins, ne compteront pas pour celle qui se prépare dans la Plaine des Fleurs. Ordonnez et nous obéirons!"

Tomas pinça les cordes de sa lyre et deux accords légers tintèrent comme pour souligner les propos du Protecteur.

"C'est votre choix!" conclut Vak. "Etes-vous prêts à reprendre la course?"

Personne ne contredit ces propos.

"Alors, suivez-moi"

A partir de là, les jours succédèrent aux jours. Quand le risque d’être repéré eût suffisamment diminué, Lugnimius partit chasser. Il ramenait invariablement sur son épaule quand un cuissot de daim, quand quelques lièvres dodus ou quand des petits mammifères qui n’avaient pas détalé assez vite pour échapper à ses flèches. Il rattrapait ensuite la compagnie qui continuait sa progression vers le nord. Quand la nuit tombait, ils établissaient leur camp et essayaient de ne pas trop penser à leur sort en regardant la viande succulente rôtir doucement au-dessus d’un bon feu. Mais quand les étoiles s’allumaient au-dessus de leurs têtes, quand l’heure grise et bleue menaçait d’engloutir leurs pensées dans la nostalgie des jours anciens, Tomas jouait pour eux. Sa musique était apaisante et rafraîchissante comme un baume sur une plaie à vif. Une paix se répandait en eux et ils trouvaient plus facilement le court sommeil que leur autorisait le Phante.

Au bout du huitième jour, les couleurs devinrent plus diffuses et la lumière comme estompée, plus fade et plus froide. Les paysages changeaient subtilement. Lorsque Lugnimius tentait de regarder au loin, il était pris d’une sorte de vertige qui l’obligeait rapidement à détourner le regard. S’il persistait, une sensation désagréable de nausée emplissait sa gorge. L’impression était dérangeante. Pourtant rien ne semblait extraordinairement différent. Les arbres restaient des arbres. Les nuages, le soleil, les étoiles, tout était à sa place. Mais il ne pouvait s’empêcher de penser que cela n’était pas tout à fait pareil, sans jamais parvenir à l’expliquer. Les autres humains de la compagnie avaient ressenti les mêmes effets et en parlaient à voix basse, dans le dos du Phante qui poursuivait sa route imperturbablement.

Ils avaient pourtant tous noté de minuscules détails. Une diffraction incongrue de la lumière, comme si elle était tamisée par quelque cristal. Les étoiles qui clignotaient soudain sur un rythme étrange, presque à l’unisson. Des arbres qui dansaient mystérieusement sur l’horizon, apparaissant et disparaissant en séquences rapides. Des ombres fugitives qui passaient, insaisissables, à la périphérie de leur champ de vision, dans le coin extrême de leur pupille. Et bien d’autres manifestations à la fois étranges et insignifiantes. Mais tous ces phénomènes ne duraient pas suffisamment longtemps pour qu’ils puissent être décrits ou partagés.

(à suivre...)

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-02-18 23:00:07 

 WA n° 116, participationDétails
Bouquet de toutebonne...





« Bouquet de toutebonne
Chassera les dragonnes
Trois brins de romarin
Contre les importuns
Poussière d’argent
Venin de serpent
Queue de têtard
Morceau de lard
Gypse, riz brun, améthyste
Protègent ma maison et ceux qui y habitent »


Ainsi chantonnait Véra en faisant le tour de sa maison, comme tous les matins, pour y disposer le sort de protection. Le printemps était enfin arrivé. La neige fondue ruisselait du toit, et le tip tap des gouttelettes battait la mesure joyeuse de son refrain rituel. De grandes plaques vertes émaillaient la blancheur du jardin, et les jonquilles étincelaient dans l’amicale tiédeur du soleil. Véra soupira d’aise.
Le pire est passé. Nous avons traversé le rude hiver, et nous allons vers les beaux jours. Il reste du bois, j’ai encore des pommes de terre, du lard et de la viande séchée, et bientôt les poules vont se remettre à pondre...
« Tu es le plus jeune, tu ne peux pas !
- Non, c’est toi, l’aîné, qui ne doit pas !
- Alors moi, tout va bien, je suis libre de le faire... »
Les garçons se disputaient encore. Elle entra dans la maison, et les trouva qui discutaient avec acharnement devant la cheminée, leurs bols de lait encore fumants abandonnés sur la table.
« Eh bien ? Vous ne déjeunez pas, ce matin ? Pourquoi donc ai-je trait la vache avant l’aube ? J’aurais pu rester au lit... »
Alexandre baissa les yeux, engloutit le contenu du bol en quelques gorgées pressées et lança :
« Tu as raison, mère. Je ne voudrais pas être en retard. Maître Léon m’a confié la fabrication d’une commode pour la comtesse Danirovna. »
Fiodor, son frère puiné, regarda la table avec accablement.
« Je suis vraiment désolé, mère... Je n’ai pas faim. Maître Sergheï doit m’attendre, lui aussi. Nous avons une grosse commande pour des coupes de cristal... Je mangerai mieux ce soir. »
Dimitri s’attabla, se coupa une large tranche de pain bis qu’il tartina généreusement de fromage de chèvre.
« Et toi, mon fils, tu n’es pas pressé ?
- Si, si... Mais les écoliers peuvent attendre. Ils sont au chaud près du poêle... Et Nicolaï doit leur faire un cours d’orthographe avant ma leçon de musique. Comment pourrais-je donner le meilleur de ma balalaïka si mon estomac crie famine ?
- Et dis-moi : cette dispute ? »
Sur le visage insouciant du jeune homme presque encore imberbe passa un nuage d’inquiétude qu’il s’efforça de masquer par un éclat de rire.
« Oh, rien... Nous nous disputons toujours, mais tu sais bien que nous nous aimons ! »
Elle le regarda s’éloigner sur le chemin, son instrument sur l’épaule. Dimitri, le fantaisiste. Alexandre, le responsable. Fiodor, l’affectueux.
Je vous aime tous les trois, mes petits poussins. Aussi différents et aussi précieux, chacun à votre manière.




Le hasard voulut qu’une femme du village vînt lui acheter quelques plantes.
« Ma chère, votre serre est vraiment magnifique! Malgré l’hiver que nous avons passé – quel froid, quel froid ! – vos plantes sont restées florissantes ! Je voudrais un peu de votre sauge, celle-là, la toutebonne, c’est bien ça ? Et de la camomille... du romarin... et si vous aviez un peu de mélisse... Du thym, peut-être ? Ah! Oh ! Quel parfum ! Mais ce n’est pas de la rhubarbe que je vois là ? Mon mari est allé pêcher hier. Un bon kilo d’oeufs de poisson... Marché conclu ? »



Improviser un repas de fête sans raison particulière, Véra le faisait souvent. Elle passa plusieurs heures à faire frire des blinis bien dorés ; ils étaient trois, mais ils mangeaient comme six ! Cependant elle ne pouvait empêcher les battements de son coeur de lui répéter que c’était ce soir ou jamais. Elle remonta de la cave un petit tonneau de bière, et deux pots de confiture de mûres. Avant le retour des garçons, elle prit le temps de se recoiffer, nouant ses tresses brunes en un chignon compliqué, agrémenté d’une fleur de magnolia. Sur la jupe noire à larges pans qui dansait sur ses pas, elle noua un tablier blanc bordé d’un liséré de roses rouges. Du fond de l’armoire elle tira son chemisier blanc à larges manches, froncées aux poignets, dont le col s’ornait de fines dentelles. Par-dessus, elle enfila le gilet rouge sans manches que lui avait offert sa grand-mère Nadia pour ses vingt ans, magnifique pièce brodée de fleurs multicolores sur laquelle la vieille femme avait usé ses doigts et ses yeux pendant plus d’une année. Aux pieds, bien sûr, ses bottes fourrées de peau de mouton. Evidemment rouges. Sa mère lui avait appris que les bottes des femmes doivent toujours être rouges. Et que tant qu’on avait les pieds bien au chaud, même si la neige tombait dru, on ne pouvait pas tomber malade.




Ils étaient là, tous les trois, dévorant à belles dents et plaisantant de tout, entrechoquant leurs verres comme avant, comme toujours... Avant, c’était du lait. Maintenant, c’était de la bière. Mais c’était toujours ses enfants, ses garçons chéris...
Dimitri accorda son instrument, et ils se mirent à chanter, tous les quatre, un couplet chacun et à l’unisson sur le refrain. Ah les bonnes vieilles ballades du petit père Youri, il n’y avait rien de tel pour chasser l’hiver et se sentir heureux, tous ensemble...
« Mère... », commença gravement Alexandre. « Je voudrais partir. Je voudrais connaître d’autres artisans, d’autres techniques. Maître Léon a un ami à Norilev, et un autre à Meredine. Alors, comme tu as dit que papa serait là avant l’été...
- Mère... Maître Sergheï m’a dit qu’à Diaghilia, il y a des souffleurs de verre dont l’habileté est incomparable. Et je me disais... Tu es bien sûre que papa va rentrer, n’est-ce pas ? C’est bien ce que t’a dit le colporteur ? Parce que l’idée de te laisser seule me brise le coeur !
- Mais oui ! Il va enfin revenir. Ne t’inquiète pas pour moi, ce sera merveilleux.
- Mère... Il paraît qu’au-delà des mers ils connaissent des chansons aussi douces que la brise d’été... et je me languis de les chanter à mon tour...Je regrette de ne pas revoir père... mais ça te laissera le temps de profiter de lui...
- Sans ta bénédiction je ne partirai pas, ben sûr.
- Je ne voudrais pas te faire de peine !
- Tu ne vas pas t ‘ennuyer, sans nous ? »
Elle les regarda tous les trois, visages tendus aux mêmes yeux exaltés par l’aventure à venir. Elle réprima son soupir et leur sourit.
« Bien, bien, je suis vraiment fière de vous. Partez donc, allez chercher votre destin où il sera.
« Mais nous reviendrons !
- On reviendra !
- Je reviendrai ! »


Il est des nuits plus courtes que d’autres où l’oreiller se couvre d’une inquiète rosée. Mais quand les garçons s’assirent pour le petit déjeuner, Véra arborait un sourire fier. Un savant maquillage, aussi discret qu’efficace, avait gommé les cernes sous ses yeux et les rides sur son front. Et puis sans doute avaient-ils autre chose en tête qui les emportait déjà, bien trop de projets et de rêves pour remarquer le souci ou l’angoisse de celle qui appartenait désormais à leur passé.
Véra étala sur la table des provisions pour la route, et remit à chacun trois pièces d’or.
« Tu es sûre que tu vas y arriver sans nous ? », s’enquit Alexandre.
- Je vais pouvoir dormir tous les jours jusqu’à l’aube !
- Tu vas me manquer, maman », susurra Fiodor.
- Je te ramènerai plain de nouvelles chansons », promit Dimitri.
Et puis ils avaient tourné à l’angle du chemin et la maison était vide. Véra s’assit près du feu, fatiguée, vieillie de cent ans. Elle avait dû s’enrhumer dans la nuit, elle reniflait sans cesse. Et ses yeux brûlaient... Le chat Igor sauta sur ses genoux. Les flammes de l’âtre dansaient joyeusement, indifférentes à ce monde tranquille qui venait de s’écrouler, si tôt, si vite... Mais ils étaient loin, maintenant, elle pouvait laisser couler ses larmes, personne ne les verrait, et le chat saurait se taire.
« Pourquoi tu ne leur a pas dit ?
- Pas dit quoi ?
- Que tu leur donnais toutes tes économies, sans rien garder pour toi. Que le colporteur ne t’a jamais porté de nouvelles de ton mari. Que sans doute il ne reviendra jamais. Que leur départ te brise le coeur.
- Pour quoi faire ? Pour avoir à mes pieds une meute de toutous obéissants qui gâcheraient leur vie à me regarder vieillir, alors que le monde leur appartient ? Pour les enchaîner dans un esclavage de tendresse, alors que leur virilité exige d’eux qu’ils partent au loin mener d’autres combats ? Ai-je le droit de les castrer pour mon propre confort ? Par toutes les malédictions maléfiques et toutes les bénédictions bénéfiques, jamais ! »
Véra se frotta les yeux une dernière fois.
Ah, si j’avais eu une fille... Mais allons, il est tard, et j’ai des choses à faire.
« Bouquet de toutebonne
Chassera les dragonnes
Trois brins de romarin
Contre les... »
Elle s’interrompit. Dans la lumière pâle du matin elle vit - à n’en pas douter, elle en était sûre – trois ombres noires courir sur le chemin, trois ombres dangereuses et malfaisantes pourchassant des proies qu’elles savaient désarmées...
Elle jeta à terre la sauge et le romarin, le riz, l’améthyste, le lard et toutes les protections. Bravement, elle cria vers l’horizon.
« Ainsi, vous me fuyez ? Une vieille femme seule vous fait peur ? Lâches démons que vous êtes ! Voyez, j’ai ôté tous les sortilèges, car moi, je ne vous crains pas ! Vous aimeriez bien entrer dans la maison, n’est-ce pas ? Il fait si bon au coin du feu... Il y a du miel sur l’étagère, et la jatte de crème est encore presque pleine... »
Dans un tourbillon glacé, les trois ombres réapparurent. Méfiantes, elles tinrent conciliabule devant la barrière du jardin.
« Tu crois cette vieille folle ?
- Elle est seule, elle ne fera jamais le poids !
- Il reste de la crème !
- Et si c’était un piège ?
- Elle a jeté les protections, regarde, regarde !
- C’est une sorcière, menteuse et retorse et cruelle... et puissante !
- Mais elle a de la crème, de la crème, tu comprends, Néria ?
- Et qu’est-ce que tu vas faire avec de la crème ? On ne peut pas la manger !
- La crème c’est blanc, et c’est doux... C’est comme un nuage humide. Je pourrais plonger mes mains dedans et m’en verser sur la tête... et ça serait bon...
- Hiii ! Ca pourrait être amusant ! On en mettrait partout... Et puis, une fois à l’intérieur, on pourrait faire du mal...
- Et si la crème est ensorcelée ?
- Allons, Noria, tu es déjà morte ! Que peut-il t’arriver de pire ? »





« Véruschka ! Petite mère ! Attends ! »
Véra se retourna, son panier en osier se balançant à son bras. Une jeune fille, dont les tresses blondes s’échappaient de la toque blanche en peau de lapin, courait vers elle, ses bottes frappant la neige d’une belle cadence, bien forte, bien régulière... elle ne reconnut pas tout de suite le visage, mais les bottes étaient rouges, et elle sourit.
« Vassilissa, ma toute belle ! Quel bonheur de te rencontrer ! Comment vas-tu, ma colombe ? Ce doit être bien dur pour toi depuis que ta grand-mère nous a quittés. »
Les joues étaient plus que roses dans le froid vif de décembre, mais le front délicieusement pâle. Vassilissa reprit son souffle avant de serrer affectueusement Véra dans ses bras.
« As-tu des nouvelles des garçons ? Voilà bientôt huit mois qu’ils sont partis...
- Huit mois... Déjà ? Tu es sûre ? Ah, sans doute... Non, Alexandre n’a pas écrit. Ou bien sa lettre n’est pas arrivée. Et c’est pareil pour Fiodor et Dimitri. Mais tu sais, je ne suis pas inquiète : ils sont forts et prudents. Et puis ne dit-on pas que les mauvaises nouvelles arrivent toujours trop vite ? »
La jeune fille fronça les sourcils.
« Véruschka, la neige est tombée sur tes beaux cheveux noirs... Ne me cache rien. Je pourrais être ta fille ! Ton front est plissé de soucis, et tes yeux sont cernés. Je pourrais t’aider, petite mère, maintenant je ne suis plus responsable que de moi-même.
- Tu es toujours aussi délicieuse, mon enfant. Mais je vais bien. Le temps passe, voilà tout. Il te rajeunit, et il me vieillit.
- Pourtant le bruit court qu’il se passe de drôles de choses chez toi. Tu ne reçois plus personne, tu viens vendre tes plantes au marché. Et l’autre jour, moi aussi, j’ai entendu des bruits étranges en passant devant ta maison. »
Véra détourna le regard.
« Tout va bien, te dis-je.
- Ta maison est grande, et moi j’ai du temps de reste. Je pourrais venir demain t’aider un peu...
- Par les Saintes Icônes ! Non, non... Je ... Je te rendrai visite la semaine prochaine. Tu couds toujours aussi bien ? J’ai fait un accroc à une de mes jupes, je te l’apporterai. Va en paix, ma fille, va... A bientôt, à bientôt... »
Véra n’avait jamais su mentir. Et Vassilissa n’était point stupide. Dès le lendemain elle prit le chemin de la petite maison à l’orée du bois. Avant même de frapper à la porte, elle remarqua avec un pincement de coeur que les protections n’étaient pas en place. Pas la moindre feuille de sauge, pas le plus petit brin de romarin...
« Bouquet de toutebonne
Chassera les dragonnes
Trois brins de romarin
Contre les importuns
Poussière d’argent... »
Elle se souvenait de la chanson de Véra, pour l’avoir entendue souvent quand elle venait passer quelques jours chez elle, pendant les vacances. Cela reposait un peu sa grand-mère qui l’élevait seule depuis la mort de ses parents. Et puis, après une nuit passée devant la cheminée de la grande pièce, elle avait toute une journée pour jouer avec Alexandre... Véra lui avait appris à se coiffer, à nouer un bandeau dans ses cheveux, à faire frire les blinis et confectionner les zakouskis. Véra chantait tout le temps et Dimitri essayait de l’accompagner en faisant gémir sa balalaïka de manière si horrible que Véra disait :
« Eh bien, nous n’aurons rien à craindre des loups et des ours, ce soir... A moins qu’ils ne soient sourds ! »
Elle s’apprêtait à frapper à la porte de bois peinte en bleu, quand son regard fut attiré par... comme une sensation de vide... Elle n’était pas venue depuis plus d’un an, mais elle connaissait la maison par coeur. Il manquait quelque chose ! Son coeur bondit dans sa poitrine : la serre ! La serre de Véra, son trésor le plus précieux ! Ce n’était pas possible... Et d’ailleurs cela n’était pas, puisqu’elle continuait à vendre ses plantes sur le marché. Mais alors... Hésitante, elle s’approcha pourtant, tendit la main... Et le bois était là, le verre était là, la serre était là. Invisible, mais présente. Qu’importe la raison, cela ramena le sourire sur ses lèvres. La serre était là, tout allait bien.
Elle frappa enfin à l’huis, une fois, deux fois, trois fois, sans réponse. Alors, faisant fi de tous les principes de sa bonne éducation et n’écoutant que la voix de son coeur, elle entra.
Et s’arrêta pétrifiée sur le seuil.
On aurait dit que la maison avait été mise à sac par une armée de malandrins. Le feu était éteint, les fauteuils renversés, déchirés, éventrés. La grande table de chêne était couverte de grandes flaques jaunâtres parsemées de moisissures. Le sol était jonché de vaisselle brisée, et de... et de... Elle se pinça le nez avant d’aller plus avant, tant l’odeur était insupportable. Et puis, parmi les débris d’assiettes et de verres, elle distingua des pommes de terre pourries, des monticules de farine, des bouteilles d’huile fracassées, et des... cadavres de rats ? Comment cela était-il possible ? Elle fut prise d’une nausée intense et dans une quinte de toux elle battit en retraite dans le jardin. Elle resta là un bon moment, essayant de reprendre son souffle, horrifiée, interloquée.
« Vassi... » Devant elle, à l’entrée de la serre invisible, se tenait Véra, les cheveux en broussaille, le visage bouffi, enveloppée dans une couverture trouée.
« Viens, ne reste pas là... »
A l’intérieur de la serre, entre les rangées de pots, il y avait un matelas à même le sol, où Véra la fit asseoir, tandis que sur un tout petit poêle elle mettait à chauffer le samovar.
« Je ne voulais pas que tu voies ça... Ne sois pas trop sévère avec moi... Je croyais que j’arriverais à les contrôler... »
Pendant que le thé brûlant ramenait un peu de couleur sur ses traits défaits, Véra raconta.
« Je voulais seulement protéger mes enfants... Au début, elles jouaient surtout avec la crème, je nettoyais... Puis elles ont commencé à casser, à éventrer, à dégrader... Elles éteignaient toujours le feu, ça leur fait peur. Un jour elles ont attiré une bande de rats... J’ai pris la fourche, j’en ai tué quelques uns, et elles riaient, elles riaient... Dès le début j’ai pu protéger la serre, c’est mon bien le plus précieux, et c’est mon gagne pain. Mais maintenir ce sort d’invisibilité m’épuise... Je me suis installée là... J’ai un peu froid, mais je peux me reposer. »
Véra fondit en larmes, et c’était une peine que de voir ce visage toujours si serein et si bien soigné se tordre sous les vagues des sanglots.
« Je ne sais plus quoi faire... »
Vassilissa lui prit la main.
« Tu vas venir chez moi, te réchauffer, te reposer, manger quelques repas chauds et reprendre des forces. Elles ont peur du feu ? Nous trouverons le moyen de les détruire. Tu ne peux pas continuer à te battre seule. A nous deux, nous y arriverons. Il ne faut pas qu’à leur retour les garçons trouvent la maison dans cet état.
- Oui... Tu as raison... Il ne faut pas... Mais je suis si fatiguée... »



Il ne fallut à Véra que quelques jours pour retrouver un peu de vigueur. Elle était mince mais de constitution robuste, et la présence de Vassilissa la réconfortait mieux que toutes les potions lénifiantes n’auraient pu le faire. Les deux femmes échafaudèrent leur plan : attirer les démones au-dehors, les asperger d’alcool et y mettre le feu. C’était simple à dire. Mais aucune des deux ne voulut inquiéter l’autre en émettant un doute sur la réussite de ce projet, chacune gardant dans son coeur et dans son âme la multitude des « et si » qui pouvaient tout faire capoter.
Bravement, au jour dit, elles revinrent à la maison près de la forêt, Véra portant une torche enflammée et Vassilissa un panier chargé de bouteilles d’eau de vie. La maison semblait silencieuse ; elles s’approchèrent de la porte qui était restée ouverte, et à leur grande surprise, elles entendirent distinctement une voix qui racontait :
« ... Et alors, après avoir vaincu le dragon du treizième royaume, le prince Igor décida de visiter le quatorzième. Une longue route poussiéreuse serpentait parmi des rochers acérés comme des rasoirs, et le soleil était brûlant comme un souffle de dragon. Il arriva enfin à un embranchement. A sa gauche s’étendait un désert de sable rouge... »
Les yeux de Véra se mirent à briller.
«C’est Igor ! Viens, nous pouvons entrer ! C’est Igor !
- Igor... le chat ?
- Bien sûr, qui d’autre ? »
Un spectacle inouï les attendait dans la grande pièce. Assises à même sol au milieu des détritus, les trois démones, écarquillant les petites fentes jaunes de leurs yeux, étaient aussi immobiles que si elles dormaient profondément. Devant elles, sur le bahut, Igor le chat ne les quittait pas des yeux en continuant à raconter son histoire.
« Il décida de se diriger vers la forêt qui s’étendait à sa droite – ah, te voilà enfin ! Les aventures du prince Igor commencent à me faire friser les moustaches ! – en pensant qu’il serait bien d’abreuver son pauvre cheval fatigué – j’espère que tu as eu enfin une idée intelligente pour te débarrasser de ces morveuses ! – et comme il arrivait à l’orée de la forêt...
- Est-ce tu peux faire en sorte qu’elles te suivent dehors ?
- ... il entendit une voix qui semblait provenir du plus profond du feuillage, et qui disait « viens, viens, je vais te raconter une belle histoire... »
Le chat bondit vers la porte et se retourna.
« Viens, viens, je vais te raconter...
- Une belle histoire... », murmura une des démones en se levant. Et les deux autres répétèrent en choeur :
- « Une belle histoire...
- Alors le prince Igor, qui ne connaissait pas la peur... »
Le chat sortit à reculons, parce que c’était un chat qui avait d’innombrables talents, et derrière lui s’avancèrent les trois démones à la queue leu leu. Vite, vite, Vassilissa les aspergea d’eau de vie et Véra les embrasa d’un large geste tournoyant. Elles explosèrent dans un tourbillon de fumée noire en poussant un cri unique, intense et déchirant. Véra porta la main à son coeur. Il était trop à l’étroit dans sa poitrine, il cognait, cognait, comme s’il avait voulu sortir pour s’envoler tel un rossignol en cage. Mais c’était la joie, bien sûr, le bonheur d’être enfin libérée... Qui aurait pu s’apitoyer même un instant sur ces créatures malfaisantes ?
« Nous serons enfin tranquilles », soupira Igor en souriant. « Enfin... quand vous aurez rangé un peu...
- Mais dis-moi », demanda Véra, « tu ne te serais pas nommé Kot Baïoun, dans une de tes nombreuses vies ?
- Un joli nom, ma foi... Mais Igor n’est pas mal non plus... »


Il ne leur fallut pas moins de trois fois six brouettes pour évacuer tous les détritus. Récurer les sols, les murs, nettoyer et cirer les meubles, réparer tout ce qui avait été cassé, tout cela leur prit plusieurs mois. L’hiver, entretemps, touchait à sa fin. Vassilissa couchait dans la chambre d’Alexandre, pour s’épargner les trajets quotidiens. Et puis parfois Véra l’inquiétait. Elle s’essoufflait beaucoup trop vite pour une femme de son âge, elle pâlissait sans raison par moments, elle restait muette devant son assiette de bortch, incapable d’avaler une bouchée...
C’est parce que les garçons lui manquent. Quand ils seront revenus, elle recouvrera la santé.
« Demain c’est la Pâque », déclara Véra un matin. « Est-ce que tu veux bien m’aider à faire une belle pashka ? On ne sait jamais... Peut-être que nous aurons des invités... »
Alors pendant des heures elles travaillèrent le fromage blanc avec les oeufs, le sucre, le lait, la vanille ; puis elles ajoutèrent les amandes effilées, les raisins secs et les fruits confits, et enfin versèrent la préparation dans le moule en forme de pyramide.
« Je n’en peux plus ! », déclara Véra en bâillant. « Mais nous avons bien travaillé.
- Va te coucher, petite mère. Je range un peu, je balaie, et j’irai dormir aussi.
- Tout cela peut attendre demain, ma fille. J’ai peut-être seulement rêvé que demain serait jour de joie...
- Mais si tu as raison, alors que rien ne gâche la fête ! »


Le jour se leva, limpide et clair, un vrai matin de résurrection. En tremblant un peu, Véra revêtit la longue jupe noire, sur laquelle elle noua une ceinture. Elle ne s’était pas rendu compte qu’elle avait tant maigri. Le chemisier blanc, le gilet rouge... C’était ridicule, mais... Elle mit un peu de poudre rouge sur ses joues pâles, un peu de cette crème secrète qui effaçait les rides autour de ses yeux, et puis le fard sur les cils, et puis le rouge à lèvres...
« Maman ! »
Elle manqua de s’évanouir. En remerciant les Saintes Icônes elle dévala l’escalier, se précipita dehors... Dimitri était là, recouvert d’une longue cape brune élimée et poussiéreuse. Le nez au vent, il semblait écouter les bruits avec attention, les yeux grands ouverts perdus dans le vague. Sa main était posée sur l’épaule de son compagnon de voyage, un homme immense, blond aux yeux bleus, qui souriait timidement comme un enfant innocent. Véra se jeta dans les bras de son fils, l’embrassant à l’étouffer, murmurant des mots éperdus « mon petit mon poussin mon ange mon trésor... » Dimitri se mit à rire.
« Maman... Maman ! Arrête ! Je suis là, je ne partirai plus... Laisse-moi te présenter Mikhaïl : il est mes yeux et mon courage, et sans lui je ne serais pas là. Ne t’offusque pas s’il ne te répond pas, il est muet. Mais c’est l’homme le plus doux et le plus sage du monde, et quand tu entendras sa musique...
- Tes yeux ? Mais que t’est-il arrivé ?
- Je te raconterai... Mais sois sans crainte : je suis heureux ! Tout est clair maintenant pour moi, je vois beaucoup mieux qu’avant les choses vraiment importantes... »
Véra prépara du thé, et Vassilissa ajouta du bois dans la cheminée.
« Maman... Mikhaïl te demande si... enfin... Est-ce que tu accepterais qu’il vive avec nous ? Il ne voudrait surtout pas que cela te dérange... »
Véra s’approcha du géant qui, assis aux pieds de Dimitri, formait des signes avec ses doigts que Dimitri lisait de sa main gauche.
« Mikhaïl, si mon fils t’aime, je t’aime aussi, et ma maison est ta maison. Mais il faudra que tu m’apprennes aussi à lire dans tes doigts, afin que nous puissions parler tous les deux. »
L’homme sourit et inclina la tête. Il prit la main de Véra et lentement dessina dans sa paume un arc de cercle comme un sourire.
« Tu... veux dire merci, c’est ça ? »
Mikhaïl applaudit.
« Hé, maman, tu es douée ! J’espère que vous n’allez pas trop parler dans mon dos, tous les deux... »



L’odeur du gigot d’agneau commençait à envahir la maison quand se fit entendre le bruit d’une carriole sur le chemin.
« Je crois que tu as encore de la visite », annonça Igor sans ouvrir une paupière. Il était couché sur le tapis devant le feu et n’avait pas l’intention de céder sa place.
Véra n’en croyait pas ses yeux : tenant les guides de deux chevaux blancs comme neige qui tiraient une charrette presque grande comme une maison, Fiodor souriait de toutes ses dents, magnifique dans une grande pelisse de fourrure beige, ouverte sur une chemise immaculée et un pantalon rouge de la soie la plus fine qu’on eût pu imaginer. Il sauta à terre et la fit tournoyer dans ses bras jusqu’à lui donner le tournis.
« Maman, je t’aime tant ! Mais je n’ai pas perdu mon temps, tu sais ! Je suis commerçant, maintenant. Je vais exporter nos produits, et importer des épices d’Inde, des soieries, des bijoux. J’ai un contrat avec un noble de là-bas, un maharadjah, un homme riche qui m’a accueilli comme un fils. Je vais faire fortune, maman ! Mais le plus beau de tous les trésors... je te l’ai ramené. Viens, ma douce colombe... Maman, je te présente Anathi... »
Une toute jeune fille descendit gracieusement de la charrette, vêtue du sari traditionnel en lumineuse soie jaune, protégée du froid par une cape longue de soyeuse fourrure noire. Son teint était mat, ses cheveux d’un noir de jais étaient retenus en un chignon savant, et de longues boucles d’oreille en argent dansaient à chacun de ses mouvements. Entre les sourcils, elle avait dessiné un étrange point rouge. La jeune fille s’inclina devant Véra, les mains jointes.
« Est-ce qu’elle n’est pas magnifique ? Ses parents nous ont mariés, mais j’espère bien célébrer notre mariage ici aussi, avec ta bénédiction, bien sûr. Maman... Tu es toute pâle... Je t’épuise avec mes discours ! Viens, rentrons. »
Véra s’appuya au bras de son fils. Que d’émotions en une journée ! Elle fit un clin d’oeil à Vassilissa. Elles avaient eu raison de se donner du mal, c’était vraiment jour de fête !
Pourtant, pendant le repas ponctué de rires et de chansons, le regard de Véra s’égarait parfois dans les flammes de l’âtre. Elle portait la main à son coeur, puis prenait sur elle pour sourire à nouveau.
« Il va revenir, petite mère », lui glissa Vassilissa en l’aidant à débarrasser la table.
- Pauvre enfant, tu l’attends autant que moi ! Oui, j’espère vraiment qu’il va revenir. J’ai prié si longtemps... et je prierai encore ! »




Alors que le printemps aurait dû battre son plein, une vague de froid aussi terrible qu’inattendue submergea le pays. La neige se remit à tomber, comme au plus fort de l’hiver. Les trois garçons coupaient du bois tous les jours, en riant et en chantant, mais Véra se sentait de plus en plus oppressée.
« Nous n’aurons pas de fruits cet été », se lamentait-elle. Mais dans son coeur grandissait le souci pour son fils aîné et il n’était pas de nuit où elle ne se réveillât, en sueur et en larmes, émergeant du même cauchemar : Alexandre était couché dans un fossé, recouvert de neige, et il n’avait même plus la force d’appeler au secours...
« Mère, tu ne devrais pas veiller si tard... Tes travaux d’aiguille peuvent attendre demain. Tu as les mains glacées... »
Dimitri s’était agenouillé près d’elle, et il avait posé la tête sur ses genoux, comme il faisait quand il était enfant.
« Je suis si inquiète », confessa-t-elle enfin. « Je rêve de ton frère toutes les nuits... Et il... Je me fais des idées, bien sûr... Mais j’ai si peur... »
Alors le jeune homme fit une chose étrange : il posa ses mains sur le front de sa mère en disant :
« Donne-moi ton rêve. Il m’est déjà arrivé de voir... certaines choses... Va te coucher. Demain, je te dirai. »



« Fiodor, debout ! Attelle ta charrette, vite ! Je sais où est Alexandre, et il est en danger. Allez ! »
Fiodor faillit protester, mais le visage déterminé de son frère et l’air résolu de Mikhaïl, à la clarté de la lampe qu’il tenait, lui ôtèrent l’envie de discuter.
La neige tombait de plus belle, et Mikhaïl marchait devant la charrette, sa lampe à la main. On ne voyait plus le chemin, le vent hurlait sa colère et les flocons tourbillonnants brûlaient le visage des trois hommes.
« Mais enfin », explosa Fiodor, « tu peux me dire ce qui t’a pris ? Nous voilà en pleine nuit, dans une tempête de neige, au mépris de tout bon sens... Tu veux nous faire geler tous les trois ?
- Je sais ce que je fais. Je suis aveugle, mais je ne suis pas fou. Là... arrête-toi. Mikhaïl, s’il te plaît... »
Le compagnon dévoué aida Dimitri à mettre pied à terre, et celui-ci lui posa la main sur l’épaule. Fiodor cligna des yeux, éberlué. Mikhaïl tenait la lampe, et c’était l’aveugle qui le guidait ! Dimitri s’accroupit près d’un monticule de neige sur le bord de la route, et il se mit à creuser comme un fou.
« Fiodor, viens nous aider, viens ! »
Et il était là, roulé en boule, inconscient, les mains dans les poches d’un pauvre manteau troué de partout...
« Il respire encore ! Fiodor, les couvertures ! Mikhaïl, aide-moi à le porter ! »
Ils l’installèrent à l’arrière, sous la toile. Dimitri lui massa les bras, les épaules et le torse. Mikhaïl le déchaussa de ses bottes trouées et, soulevant sa tunique, plaqua les pieds glacés contre son ventre.
« Fiodor ! Demi-tour ! Il faut rentrer aussi vite que possible !
- Pas de souci », cria Fiodor. « C’est un bon cheval, il saura nous ramener ! »
Et c’est ainsi qu’une charrette folle s’engouffra dans la nuit, défiant le vent et la tempête, portant un homme qui aurait dû mourir et trois autres qui étaient unis par la volonté de le sauver.
La petite maison à l’orée du bois ressemblait à une ruche en effervescence. Anathi ranimait le feu, Vassilissa préparait du thé sucré au miel sur le poêle, Véra, les yeux bouffis, grelottant sous son châle noir, regardait la maisonnée s’agiter autour de la vie vacillante de son fils aîné...
« Pourquoi a-t-il les poings serrés ? Pourquoi n’ouvre-t-il pas les doigts ?
- Patience, mère, il va se réchauffer, il va revenir à lui...
- Alexandre ! Aliocha, mon petit, nous sommes tous là, tu es à la maison... Je t’en supplie, mon poussin, reviens ! »
Dans un soupir, l’homme frissonna et ouvrit enfin les mains. Trois pièces d’or roulèrent sur le tapis. Alexandre s’éveilla et murmura d’une voix faible :
« Mère... Pardon... La route était si longue... Je me suis arrêté... Je n’ai pas fait fortune... J’ai vu tellement de choses horribles... Des enfants qui mouraient de faim... La guerre, la famine, la désolation... La cruauté des hommes... Je ne voulais pas te décevoir...
- Calme-toi, mon enfant. Tu auras tout le temps de parler plus tard. Je suis si heureuse que tu sois revenu ! Ta seule présence est le plus beau présent que tu pouvais me faire... Bois, maintenant, il faut que tu te réchauffes. »
Vassilissa se pencha sur lui, approchant de ses lèvres brûlées par le froid un bol de thé parfumé qui lui rappela l’époque où il n’avait jamais ni froid ni faim. Il croisa le regard de la jeune fille qui se mit à rougir.
« Vassi... C’est toi que j’ai cherchée au bout du monde, et tu étais là... Est-ce tu parviendras jamais à aimer un homme aussi bête ?
- Je voudrais seulement pouvoir aimer un homme vivant, et en bonne santé ! Bois, s’il te plaît, et ne doute jamais de moi. »
C’est le moment que choisit le chat Igor pour descendre du bahut et venir se lover, en ronronnant, sur le ventre d’Alexandre.
« Moi aussi je suis content de te revoir. Des trois, tu n’as jamais été le pire. »
Le visage de Dimitri s’éclaira.
« Ses pieds se réchauffent ! Le sang s’est remis à circuler ! Regarde, mère, il reprend des couleurs !
- Louées soient les Saintes Icônes ! Et merci à vous tous qui l’avez sauvé !
- Et moi », dit le chat, « pas le moindre compliment, pas la moindre gratitude ? »
Anathi se leva et lui ramena une soucoupe de crème, que le chat lécha avec gourmandise sans quitter sa place.
« Vous avez vu ? Elle comprend de mieux en mieux notre langue ! », s’extasia Fiodor.
« C’était une très bonne idée de l’amener ici », conclut le chat en se léchant les moustaches, ce qui ne manqua pas de provoquer l’hilarité générale.






Le jour se levait à peine. Véra, en soupirant, quitta son lit. Ils étaient tous là, il fallait remettre en place au plus vite tous les sorts de protection. Elle descendit l’escalier en titubant et en s’accrochant à la rampe, et ouvrit la porte.
« Bouquet de toutebonne
Chassera les dragonnes
Trois brins de romarin
Contre les importuns
Poussière d’argent
Venin de serpent
Queue de têtard
Morceau de lard... »
Vassilissa faisait le tour de la maison, et près d’elle Anathi lui tendait au fur et à mesure les ingrédients précieux, en répétant à mi-voix les mots du sortilège pour mieux les mémoriser. Allons, la relève était assurée. La maison avait de nouvelles protectrices, et cela la rassura. Elle s’affaira dans la cuisine. Elle n’avait plus de sujet d’inquiétude, mais son corps s’était usé prématurément dans cette dernière année, et elle savait que le temps lui était compté. Pourtant, il fallait célébrer deux mariages, et elle aurait bien aimé voir naître quelques petits enfants... La veille au soir, les garçons avaient parlé de leur projet d’agrandir la maison, et Alexandre, qui semblait s’être endormi sur le tapis de laine après avoir avalé trois tasses de thé, avait rouvert les yeux pour dire :
« Je ferai les charpentes.. »
Puis il avait soupiré de bonheur et s’était mis à ronfler paisiblement. Vassilissa était restée près de lui toute la nuit, et tout était bien.
Igor s’enroula autour de ses jambes en ronronnant. Non sans mal, elle s’assit sur le sol et le prit sur ses genoux pour le caresser.
« Je te dois beaucoup », murmura-t-elle les yeux humides.
- N’en parlons plus », répondit le chat en se léchant furieusement une patte. « Nous sommes amis, c’est tout naturel.
- Quand je passerai... Tu seras là, n’est-ce pas ?
- Nous serons tous là. Mais l’heure n’est pas encore venue, petite mère. Il reste encore du temps dans ton sablier. Le bonheur est le remède à bien des maux, et il me semble bien savoir que tu n’en manqueras pas... »
Narwa Roquen,à la ramasse...

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-02-20 20:00:12 

 WA - Participation exercice n°116 part IIDétails
Hélas, il y aura 3 parties...
Mille pardons Narwa!
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"Vous ressentez les effets du Passage!" leur dit laconiquement le Phante quand ils se retrouvèrent autour du feu alors que la nuit était déjà bien avancée. "Le Passage est une sorte de route. Une route qui n'a pas été tracée pour les humains et qui n'a pas été construite par les humains. Je pourrais vous expliquer sa nature profonde mais cela serait au-delà de votre entendement. Sachez qu'elle nous mènera aux Confins car elle dotée de propriétés singulières. C'est une ligne parfaitement droite dans un monde sphérique!"

Vak interrompit son explication devant l'expression interloquée qui se peignit sur les visages des Fauconniers. Il sourit mais pas de leur ignorance.

"Les Confins ont été séparés du reste du monde quand les Artisans Célestes réprimèrent la révolte des Seigneurs E’Einvaes. Les Artisans les bannirent sur un territoire à jamais inaccessible aux hommes, les Confins. Pareillement, ils rendirent celui des hommes inhospitalier pour leurs serviteurs indociles. Plus encore, ils érigèrent une frontière infranchissable et semée de pièges. Mais mes ancêtres connaissaient nombre de secrets. N'avaient-ils pas façonné ce monde sous la houlette des Artisans? Le Passage en est un. C'est une route qui n'existe nulle part et qui pourtant est partout. Elle relie les Confins à tout point de votre monde, aussi éloigné soit-il. Nous y sommes engagés depuis avant-hier mais ses manifestations se renforcent progressivement. Vos sens seront souvent désorientés car sur cette voie, il n'y a pas que les distances qui sont différentes. Nous atteindrons la Frontière demain!"

"Mais je n'ai vu aucune borne, aucun jalon qui matérialiserait cette... ce Passage!" protesta Acturius.

"Vos yeux traduisent la portion de la réalité à laquelle ils ont accès, lui répondit Vak. Mais en fait, ils vous rendent aveugles à tout ce qui est en dehors des limites étroites de leur pauvre sensibilité. Ma perception est bien plus large bien que je sois aveugle, selon votre conception des choses. Si vous pouviez réellement voir le Passage, il vous apparaîtrait comme un extraordinaire flux lumineux dans lequel nous sommes également des éléments de lumière. Mais cela aussi vous dépasse!"

"Pourtant, s'exclama Lugnimius, je suis parti chasser ce matin et je me suis écarté du groupe de plusieurs centaines de pas au moins! Pourtant je n'ai pas été distancé et je vous ai rejoint sans difficulté! Comment suis-je revenu sur la... route? "

"N'essaie pas de saisir sa véritable nature, mon ami! Il y a des forces à l'oeuvre qui excèdent ta compréhension! Le Passage n'existe que pour autant que je le veuille. J'en suis en quelque sorte son principe actif. Tant que tu appartiendras à ma K'Elliah... ma sphère d'attraction en quelque sorte, tu marcheras aussi dans le Passage même à des milliers de pas de moi. Mon temps sera ton temps!"

"Pouvons-nous y rencontrer d'autres...heu...voyageurs?" demanda Tomas presque négligemment, en vérifiant la tension des cordes de sa lyre.

"Non, lui répondit Vak, nous n'y rencontrerons personne! Comme je l'ai dit, c'est le Passager qui crée son propre Passage!"

"Cela doit être fort pratique pour se déplacer rapidement autour du monde!" rétorqua Acturius.

"Ce n'est pas aussi simple, le détrompa Vak. Nous pouvons certes ouvrir autant de routes qu'on le désire mais elles doivent toutes sans exception, naître ou finir dans les Confins. Il n'existe aucune route dont les deux extrémités seraient situées hors des Confins."

Hangus soupira lugubrement, se massant les tempes vigoureusement :

'Tomas, mon pauvre cerveau va exploser! S'il te plaît, joue cet air qui me rappelle tant les montagnes de notre enfance et leurs forêts odorantes! Joue Tomas!"

Les autres firent silence et s'installèrent plus confortablement. Dans l'air vespéral s'élevèrent bientôt les premiers accords de la ballade réclamée par Hangus qui, cette fois, soupira d'aise. Au-dessus de leurs têtes, les étoiles se mirent soudain à tournoyer autour d'un point central mais nul ne le remarqua sinon Vak. Mais le Phante ne broncha pas. Il nota simplement que les ombres noires qui se découpaient au-delà des flammes changeaient doucement de forme, à l'unisson du mouvement spiralé de la voûte étoilée. Le monde tout entier entra lui aussi dans cette lente révolution autour d'un axe centré sur le Phante.

A l'aube, Eric et Oric, les jumeaux, furent les premiers à se réveiller. Dans un premier temps, ils ne prêtèrent d'abord aucune attention à ce qui les entourait, tout occupés à effectuer les mille et une petites choses du lever. Autour d'eux, le brouillard matinal se dispersa peu à peu. Il révéla les arbres qui délimitaient la clairière tandis que, dans le foyer, les dernières braises refroidissaient rapidement.

Quand ils entendirent fuser les exclamations étonnées des jumeaux, leurs compagnons se redressèrent vivement, les armes à la main. Le Phante demeura impassible.

Les arbres avaient changé. Les frênes, les érables et les chênes avaient disparu, remplacés par d'autres essences plus austères, aux silhouettes fuselées et à la livrée argentée. Des arbres natifs de contrées hyperboréales. Et puis, derrière leurs cimes, les écrasant de toute sa hauteur, une formidable pyramide verrouillait l'horizon. Elle était d'une blancheur étincelante et son sommet, recouvert d'un parement doré, s'embrasait sous les premiers rayons d'un pâle soleil.

"La Sentinelle!" La voix de Vak s'éleva dans leurs dos.

Ils ne se retournèrent même pas, abasourdis par le spectacle qui s'étalait devant eux. Dans le ciel, à une très grande hauteur, des formes anguleuses planaient contre les flancs de la vertigineuse construction.

"Elle marque la Frontière, continua Vak. Ne vous méprenez pas! Ses racines plongent dans un gouffre où le temps et l'espace n'existent pas. Elle n'apparaît sur aucune carte et elle présente toujours la même face à ceux qui empruntent le Passage, d'où qu'ils viennent! Ce que vous ne pouvez confondre avec des aigles sont les Veilleurs des Cieux, des esprits élémentaires attachés au service de la Sentinelle. Ils en surveillent les abords. A partir de maintenant, le Passage devient extrêmement dangereux. Les Artisans ont placé la Sentinelle à l'orée de la Frontière pour défendre le point de jonction entre les Confins et le monde tel que vous le connaissez!"

"N'y a-t-il pas moyen de la contourner!" avança Lugnimius.

"Nous pourrions marcher mille ans que nous n'aurions pas fait un pas de plus d'un côté ou de l'autre! lui répondit Vak. Nous la verrions toujours devant nous, comme nous la voyons à présent, inchangée. N'imaginez pas la Frontière comme une ligne qui sépare deux territoires. C'est un point qui ne possède aucune dimension, ni largeur, ni longueur, ni épaisseur et pourtant toutes les routes passent en son milieu. Nous allons affronter la glace et le feu, les ténèbres et la lumière. De nombreux E'Einvaes dorment dans les berceaux de glace et maints Phantes demeurent prisonniers des reflets de lumière ou des ombres qui tapissent les profondeurs. Ils ne seront libérés qu'à la fin des temps quand les Artisans reviendront sur ce monde pour le façonner à nouveau!"

"Comment nous allons pouvoir survivre là où de bien plus puissants que nous ont failli? questionna Acturius, sceptique.

"Là est le paradoxe, dit Vak. Les humains ne peuvent percevoir la Frontière. Pour eux, elle n'existe pas. Si vous n'étiez pas en ma compagnie, vous fouleriez en cet instant une vaste banquise, froide et désertique, s'étendant à perte de vue. Si vous poursuiviez tout droit, si vous ne vous perdiez pas dans les glacis et les crevasses, si vous échappiez aux mille et un dangers que ce pays recèle, où le froid n'est pas le moindre, si vous ne dépérissiez pas faute de nourriture, alors vous atteindriez dans quelques mois le Grand Royaume de T'Hulé. Malheureusement pour vous, ses habitants vous embrocheraient sans autre forme de procès pour vous déguster à la mode locale! Mais jamais vous ne pourriez apercevoir, sinon peut-être dans le reflet d'un mirage, la Sentinelle. En revanche, les Artisans aiment par-dessus tout la symétrie et tout ce qu'ils érigent respecte cette propriété fondamentale. Si vous n'avez pas conscience de la Sentinelle, la Sentinelle ne peut vous détecter. Maintenant, il est temps de partir pour profiter des heures propices."

Ils levèrent le camp et emboitèrent le pas du Phante qui se dirigea droit vers la pyramide. Quand ils sortirent des bois, ses dimensions devinrent vraiment impressionnantes. Elle semblait boucher tout l'horizon.

"Tenez-vous sur vos gardes. A partir de ce point, nous pénétrons dans un territoire interdit. Le temps va se contracter de plus en plus rapidement au fur et à mesure que nous nous rapprocherons des Confins. Cela vous donnera l'impression de marcher au milieu d'une tempête. Il vous faudra rester tout près de moi car je devrai faire appel à toute ma puissance maintenir le Passage et mon pouvoir ne s'étendra pas bien loin autour de moi. Il y a aussi des créatures qui rôdent par ici, des créatures faites de chair et de sang comme vous. Elles ressemblent à de grands fantômes blancs, aux yeux rouge, aux griffes et aux crocs impitoyables! Elles vous sentiront et vous chasseront!"

Le Phante et les six hommes s'avancèrent hors du couvert de la forêt. Les effets du Passage s'amplifièrent alors sensiblement. L'atmosphère se densifia autour d'eux comme si l'air changeait d'état. Il leur opposait une résistance inattendue, freinant leurs mouvements en se collant à leurs vêtements. La fraîcheur revigorante des matinées précédentes céda la place à une froidure mordante qui s'insinuait dans leurs vêtements, les faisant frissonner. La pyramide envahissait leur champ de vision jusqu'à boucher tout l'horizon. Elle ne projetait cependant aucune ombre.

Il leur sembla soudain qu'ils étaient emportés à une vitesse grandissante, précipités vers les falaises ahurissantes qui gravissaient les cieux. Des vents tourbillonnants se levèrent en furie et la température chuta encore de plusieurs degrés. Leurs respirations devinrent difficiles et ils durent s'arc-bouter pour continuer de progresser contre les vents. Comme le Phante l'avait prédit, de violentes rafales de neige les engloutirent, marée blanche et lugubre où grondaient des échos menaçants. Le Phante étendit ses bras et d'une voix puissante, entonna une litanie dans une langue étrangère aux sonorités glissantes et sinueuses, comme dix mille reptiles sifflant sur tous les tons au fond d'une grotte. Les vents diaboliques desserrèrent leur étreinte. Ils se retrouvèrent dans l'oeil du cyclone. Tout autour s'enroulaient des vagues qui formaient une muraille tournoyante et mugissante, menaçant à chaque instant de les submerger. Au-dessus de leurs têtes, le cylindre de magie qui les protégeait, montait très haut, parfois coudé par les forces contraires.

Les six humains perdirent toute notion du temps, mobilisant toute leur volonté à ne pas être distancés par le Phante dont la voix semblait leur parvenir de très loin bien qu'il marchait juste devant eux. Leur monde avait disparu au-delà des murailles ondulantes derrière lesquelles hurlaient une multitude de cyclones.

"Attention!" cria soudain Acturius en se jetant devant Tomas, son épée brandie haut.

Une forme énorme, plus grande qu'un homme, plus haute que le Phante, fondit sur lui. C'était gigantesque. Dans les ténèbres blanches environnantes, on ne discernait que deux yeux rougeoyants, un museau sombre, une gueule ouverte sur des crocs démesurés et des griffes aussi longues que des couteaux. L'ours blanc dressé sur ses pattes postérieures attaqua Arcturius qui se protégea derrière son grand bouclier. La violence du choc lui fit perdre l'équilibre et il s'affala lourdement au sol. Lugnimius banda son arc et décocha une flèche qui s'enfonça dans le poitrail de l'animal. Sans paraître en rien gêné, le redoutable prédateur cherchait à atteindre le Protecteur en s'acharnant sur son bouclier. Oric et Tomas s'élancèrent à son secours, chacun de son côté. L'ours grogna, en sentant leurs lames entailler ses flancs. Furieux, il se retourna contre Tomas et d'un revers formidable, l'envoya bouler au loin. Puis il fit face à Oric qui soutint tant bien que mal la charge.

Lugnimius décocha deux nouvelles flèches. L'une se perdit derrière l'animal déchaîné et l'autre se ficha dans son encolure, mais sans plus d'effet que la précédente. L'ours se dressa à nouveau sur ses pattes postérieures et menaça Oric. Hangus ne pouvait s'approcher, son marteau étant moins efficace contre ce genre d'ennemi. Eric essaya de tirer en arrière Arcturius mais il glissa sur la neige verglacée. Oric trouva enfin l'ouverture. Entre les griffes du monstre qui se balançaient dangereusement devant son visage, il porta un violent coup d'estoc. Le sang gicla comme une fontaine quand la pointe de sa lame pénétra profondément dans le ventre découvert de l'animal. L'ours secoua sa lourde tête, incrédule, et retomba sur ses pattes. Il haletait, sentant ses forces l'abandonner. Les autres guerriers profitèrent de cet instant pour parachever leur victoire. Une flèche se planta dans la gorge de l'ours tandis que les épées d'Eric et d'Oric trouvaient ensemble le chemin de son coeur. L'animal s'abattit de tout son long et ne bougea plus. Acturius se releva indemne mais Tomas ne revint pas.

Ils le retrouvèrent étendu sans connaissance, la tête baignant dans une mare de sang. Sa respiration était lente et difficile. En retombant après son vol plané, il avait heurté malencontreusement une grosse pierre. Une profonde plaie béait à l'arrière de son crâne. Le Phante, qui s'était tenu à l'écart du combat, s'approcha de lui. Le cône de tranquillité qui maintenait le blizzard tourbillonnant à l'écart s'évanouit dès qu'il cessa de réciter son mantra. Les bourrasques de neige les enveloppèrent aussitôt et leurs essaims de flocons les fouettèrent cruellement, étrangement compacts. Ils se pelotonnèrent les uns les autres tout autour du blessé afin de le protéger tant bien que mal des éléments déchaînés.

Vak examina la blessure. Il parut soucieux. Il la nettoya soigneusement avec un chiffon propre qu'il tira de sa besace. il appliqua ensuite un onguent odorant versé d'une petite fiole qu'il portait à la ceinture. Il termina ses soins en confectionnant un pansement de fortune qu'il maintint en place sur la plaie à l'aide d'une bande de tissu. Il posa enfin une main sur le front de Tomas et murmura tout bas une courte prière. Tomas gémit à plusieurs reprises mais n'ouvrit pas les yeux. Vak s'adressa ses compagnons :

"Votre ami est très mal en point. Sa vie ne dépend plus que des Dieux à présent. J'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir mais je crains que sa blessure soit très sérieuse. Il vaut mieux qu'il reste ainsi. La torpeur lui évitera de trop souffrir! Mais il faut que nous avancions. Nous ne pouvons rester trop longtemps au même endroit sinon les forces frontalières vont prendre le dessus et le Passage va se refermer, nous laissant en dehors, à la merci du chaos. Nous sommes en effet trop loin à la fois de votre monde et du mien. Si le Passage disparaît maintenant, nous serions disloqués en un instant puisque nous nous tenons sur la frontière et elle n'a aucune dimension. Nous ne pouvons fabriquer un brancard aussi il faudra que vous vous relayiez pour transporter votre ami. Sans mon aide. Je dois maintenir la cohésion du Passage et celle de ma K'Elliah. Sans cette dernière, vous ne résisteriez pas longtemps à la pression entropique qui s'exerce en ces lieux. Allons, il n'est que temps!"

Arcturius et Hangus placèrent Tomas, toujours inconscient, dans le berceau formé par leurs bras. Lugnimius avançait à leur côté tandis que les jumeaux fermaient la marche, l'épée au clair, attentif au moindre mouvement. Vak reprit son incantation et le cône se reforma, les isolant du chaos extérieur.

Ils progressèrent lentement derrière le Phante qui ouvrait la route, les bras levés et une flamme chatoyante brillant au-dessus de sa tête. Le monde entier avait rétréci pour se limiter à la bulle dans laquelle ils se trouvaient et qui s'enfonçait dans une grisaille brumeuse. De pâles lumières fulguraient autour d'eux. Elles ricochaient quelques fois contre les parois immatérielles où elles explosaient en multiples couleurs. Devant eux, une immense arche barrait la route. Deux statues monumentales en gardaient l'ouverture. Elles étaient fondamentalement étrangères et pourtant indiciblement familières comme si un lien mystérieux les rattachait aux hommes stupéfaits. Une antique sagesse et un pouvoir infini se peignaient sur leurs faces lisses et ovoïdes qui ne possédaient ni yeux, ni nez, ni bouche. Sans que Vak ne leur vienne en aide, ils comprirent qu'elles étaient la représentation stylisée et universelle des Artisans. Bientôt ils franchirent le portail gigantesque pour se retrouver au seuil d'une étroite passerelle qui enjambait le néant où elle se perdait, l'autre extrémité demeurant invisible. La sensation de vitesse s'était brusquement évanouie tout comme la tempête et la grisaille. Le Phante se retourna vers eux, pour la première fois moins souverain, moins hiératique.

"Nous allons franchir la Frontière et là-bas, de l'autre côté de ce pont, s'ouvrent les Confins. A partir de ce point, quoique je puisse faire, n'intervenez surtout pas. Je vais devoir affronter la lumière et le feu. Bien que ma nature hybride m'immunise quelque peu contre les artifices des Artisans, je devrai faire extrêmement attention. Suivez-moi à bonne distance, les démons enchaînés pourraient vous atteindre. Non pas physiquement mais psychiquement. Et je pourrais aussi vous blesser par inadvertance en voulant me défendre!"

Ils firent comme il leur avait conseillé et le laissèrent prendre un peu d'avance. Tomas demeurait inconscient et gémissait doucement.

Ils marchèrent ainsi durant un temps impossible à mesurer, sinon en nombre de pas effectués depuis qu'ils s'étaient engagés sur le pont. Soudain un vortex de lumière se focalisa sur la passerelle, à peu de distance du Phante. Il dériva vers lui en s'épaississant jusqu'à devenir un grand miroir vertical. Naissant dans ses profondeurs, d'innombrables formes indistinctes y évoluaient lentement. Le Phante s'était immobilisé, le miroir le dominant de toute sa taille.

Obéissant à un ordre inaudible, les spectres projetèrent des tentacules de lumière qui jaillirent du cadre. Ils fouettèrent l'air autour du Phante, essayant de le frapper. Celui-ci joignit ses mains sous le menton. Un halo opaque l'enveloppa complètement, estompant en un instant ses contours. Impuissantes, les lianes de feu s'écrasaient à moins d'un pouce de cette étrange carapace.

Puis des éclairs étincelants frappèrent le sol de tous côtés, arrachant des fragments du pavement qui recouvrait le pont. Ils progressaient vers le Phante qui ne bougea absolument pas. Les éclairs se multipliaient en crépitant. Ils découpaient des tranches de clarté fugitive où la silhouette du Phante se dessinait en ombre chinoise. Il effectua plusieurs mouvements rapides. Aux yeux des humains, il apparut étrangement statique, comme un pantin de bois manipulé par un marionnettiste. Les éclairs diminuèrent peu à peu en nombre et en intensité. Ils reculèrent, vaincus, puis s'éteignirent.

Le miroir ne rendit pas les armes. Une cascade de lumière se déversa à gros bouillons de son cadre, comme une fontaine d'or dont les flots éblouissants montèrent vers le Phante en une marée qui semblait irrésistible. Mais Vak traça une autre série de runes. Les vagues de lumière furent tout d'abord stoppées puis, lentement, elles furent repoussées, leurs rouleaux recouverts d'une écume d'argent.

Alors un long hurlement de frustration retentit et tout disparut dans un sinistre craquement.

Les épaules du Phante s'affaissèrent légèrement. Il fit signe autres humains qu'il allait bien et qu'ils pouvaient le rejoindre. Ils virent sur son visage les stigmates d'une immense fatigue.

"C'est terminé. La Frontière est derrière nous maintenant. Dans peu de temps, nous foulerons les Confins. Les E'Einvaes sont maîtres dans nombre de domaines. Ils examineront Tomas. Peut-être pourront-ils le soigner! Venez!"

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-02-25 20:32:44 

 WA - Participation exercice n°116 FINDétails
Bonsoir, voici la fin de cette WA. J'ai repris la consigne par les cheveux et j'ai failli déborder dans la WA 117...

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Après, ce fut assez facile.

Sans transition, ils se retrouvèrent au milieu d'un vaste espace nu et désolé. Dans leurs dos, le pont n'était plus visible. Pas plus que la pyramide. Un désert sans limite s'étendait dans toutes les directions. De la poussière et de la rocaille à perte de vue. Le Ciel? Il n'y avait pas de ciel, juste un autre espace vide et délavé. Ce n'était ni le jour ni la nuit. Aucune source lumineuse n'expliquait la clarté spectrale qui baignait les lieux. Les couleurs étaient fades et ternes. Il manquait de rouge et de bleu. De vert et de jaune.

C'était les Confins. Une terre arrachée à la terre. Une terre déracinée. Une terre morte. Une terre juste bonne pour des bagnards. Un exil aride pour des rebelles. C'était une forme de punition particulièrement sévère. Il n'y avait absolument rien qui ressemblait à un arbre, à une fleur, à une rivière. Aussi loin que portaient leurs regards, c'était la même désolation, la même morne uniformité. Le Temps lui-même détonait dans ce non-monde où rien ne bougeait.

Pourtant Vak semblait avoir recouvré une nouvelle vigueur après l'épreuve qu'il avait endurée sur le pont.

"Nous sommes arrivés au bout de notre voyage! Nous voici dans les Confins! L'Assemblée est là-bas, dit-il en montrant un point sur l'horizon! Nous y serons dans très peu de temps!"

Acturius plissa ses paupières pour tenter de distinguer quelque chose dans la direction indiquée par le Phante mais au loin, la terre se confondait avec le ciel. Il n'y avait rien.

Le sol, une succession de larges plaques craquelées, s'avéra spongieux comme s'ils marchaient dans sur une tourbière sans fin. Mais l'eau ne sourdait pas sous leurs semelles. Ils s'aperçurent également de l'absence de tout bruit. Aucun son ne se faisait entendre. Tout était assourdi, même le timbre de leurs voix quand ils échangeaient de maigres propos. Ils devaient hausser le ton pour éviter que leurs paroles ne se perdent à peine articulées et demeurent incomprises par leur destinataire.

Hangus grimaça de fatigue. Tomas étant son ami, il avait assumé plus de relais qu'aucun autre Fauconnier. Malgré sa robuste constitution, à bout de forces, il s'adressa à Eric :

"Faut que je souffle un peu!"

Ils allongèrent délicatement Tomas sur le sol. Leur compagnon était de plus en plus pâle. Ses lèvres avaient blanchi et sa peau était comme aspirée de l'intérieur, creusant ses joues et sa gorge et se plaquant sur ses os. Le bandage qui lui enserrait la tête était inondé de sang. Sa respiration était de plus en plus sifflante et arythmique. Visiblement son état empirait. Vak s'agenouilla à côté de lui et passa sa main sur le front humide de transpiration du blessé. Il extirpa de sa ceinture une autre petite fiole fermée par un cabochon d'argent. En s'aidant du pouce, il entrouvrit la bouche de Tomas et y versa deux gouttes d'un élixir brillant et translucide. Lentement, les joues de Tomas reprirent quelque couleur et sa poitrine se souleva plus régulièrement. Vak refit le pansement en observant le même rituel que la première fois.

"Voilà, je ne peux faire mieux. La blessure de votre ami le rend vulnérable à l'attraction qu'exerce le monde auquel il appartient, même s'il en est infiniment distant. Un lien immatériel le rattache à lui. Cela signifie que ce lien est infiniment distendu mais il n'en est pas pour autant rompu. Votre ami ne perd pas que son fluide corporel. C'est l'essence de son être qui s'échappe de sa blessure comme l'eau d'une jarre poreuse. Elle est rappelée par sa matrice originelle!"

"Cela veut-il dire que nous sommes en ce moment dans une sorte de... rêve?" demanda Acturius.

"Non! démentit Vak. Vous ne rêvez pas. Mais le temps et l'espace recèlent bien des mystères. Vous êtes une minuscule partie de votre monde, à l'instar de ce qu'il contient, objets inanimés ou créatures animées. Et le tout n'est que l'addition de chacune de ses parties. C'est comme un puzzle. S'il lui manque ne serait-cela que la plus insignifiante de ses pièces, il n'est pas complet. En franchissant la Frontière, vous avez altéré la complétude de votre monde. De façon infinitésimale, vous avez porté atteinte aux lois premières de la symétrie. Vous êtes en quelque sorte des prisonniers en fuite qu'il s'efforce de rattraper. Aussi, même séparé par un gouffre insondable d'espace et de temps, votre monde tendra coûte que coûte à recouvrer son intégrité. Grâce au lien, il attire à lui votre essence primordiale pour combler le vide que vous avez laissé derrière vous. Heureusement cette déperdition est très lente. Il faudrait que vous restiez très longtemps dans les Confins avant de commencer à en ressentir les premiers symptômes. Or, nous seront repartis bien avant. Et puis, l'état de conscience ou d'éveil permet de ralentir cette déperdition parce que l'esprit commande au corps.

En revanche, tout état qui réduit votre seuil de vigilance, comme le sommeil ou l'inconscience par exemple, abaisse votre niveau de résistance. En outre, la moindre déchirure dans votre enveloppe corporelle ouvre une brèche dans la muraille de votre propre cohérence. Par cette brèche s'échappera plus facilement votre essence primordiale pour répondre à l'appel impérieux de votre monde. Ainsi, sachez donc que toute blessure est à terme fatale pour vous. Mon Père pourrait vous en dire bien plus et de manière beaucoup plus savante. D'ici là, vous devrez vous contenter de ma courte explication! Hangus, je vais porter Tomas."

Sans effort, le Phante souleva Tomas qui, dans ses bras, ressemblait presque à un jeune garçon, et reprit sa marche. Ils n'avaient pas couvert une grande distance que des tourbillons de poussière se profilèrent à l'horizon. Acturius mit sa main devant les yeux et s'écria :

"Ces tourbillons viennent vers nous! Ils ne me semblent pas naturels! Que sont encore ces démons?"

"Ce ne sont pas des démons, le rassura Vak, mais des gardes E'Einvaes prévenus de notre présence!" Dans sa voix perçait cependant une nervosité inhabituelle.

Dès qu'ils eurent rejoints Vak et ses compagnons, les tourbillons les encerclèrent. Lugnimius en dénombra une douzaine.

Ils ressemblaient à des trombes d'air mues par un perpétuel mouvement circulaire où naissaient des constellations d'astres éblouissantes qui virevoltaient un instant avant de disparaître, aussitôt remplacées par d'autres. Les Fauconniers avaient l'impression de plonger leurs regards dans un ciel sans fond. Un univers tout entier s'offrait à eux, où ils pouvaient distinguer des étoiles autour desquelles ils devinaient des planètes; des étoiles qui grossissaient jusqu'à envahir une bonne partie du tourbillon pour s'éteindre peu à peu; des nuages irisés qui pulsaient avant de se disperser lentement pour laisser apparaître des écrins de perles laiteuses; des colonnes de feu qui tournoyaient autour de nébuleuses chatoyantes; des gouffres sombres qui avalaient tout ce qui passait à leur portée.

Le vertige s'empara des Fauconniers. Ils avaient l'impression d'être attirés par ces ballets hypnotiques, d'être sur le point de basculer dans l'infini à travers la porte qui s'ouvrait devant eux. Lugnimius détourna les yeux et vit Vak reposer son fardeau à ses pieds puis faire un geste fluide avec sa main droite. Ses contours devinrent flous et bientôt, un autre tourbillon fait de lumières et d'ombres s'éleva à la place où il se tenait.

Lugnimius nota que l'activité des fulgurances qui zébraient les colonnes d'air augmentait en intensité, les parant de couleurs fantastiques. Des novas habillées de rouge, pourpre ou carmin, se conjuguaient à des fontaines de jade ou d'opaline. Des myriades d'étoiles filantes traversaient des volutes nuageuses aux teintes soufre ou safran. C'était une féérie multicolore sans cesse renouvelée qui embrasait les E'Einvaes. L'étrange scène dura quelques longs instants puis, par degré, les explosions pyrotechniques se calmèrent.

Vak réapparut sous sa forme humaine et dit à ses compagnons médusés:

"Ils vont nous conduire immédiatement à l'Assemblée. Le Grand Conseil a été convoqué. Mon père y participera. De cette réunion dépend le succès de notre entreprise. En aucun cas, ne paraissez étonnés et ne dites aucune parole inconsidérée. Tomas sera également examiné."

Encadrés par les tourbillons lumineux, ils poursuivirent leur chemin, Vak ayant repris son fardeau. Lugnimius avait beau scruter l'horizon, aucune construction s'était en vue.

"Ces... ces tourbillons... c'est votre... heu... votre apparence normale?" s'enquit Hangus en surveillant du coin de l'oeil les autres E'Einvaes.

"Dans les Confins, répondit le Phante, l'apparence est souvent une affaire d'opportunité. Ce que voient vos yeux n'est qu'une traduction approximative de la réalité en fonction de règles qui ne signifient pas grand chose ici. Les E'Einvaes furent de grands bâtisseurs avant d'être bannis par leurs maîtres. Des bâtisseurs de mondes. Le plus petit brin d'herbe, la plus haute montagne, la goutte de rosée qui perle au matin ou l'océan sans fond, tout sur votre monde porte la marque indélébile de mon peuple. Il connaît toutes les formes et toutes les façons de les agencer! Cela vaut aussi pour leur apparence! "

"Ceux qui nous escortent sont-ils des Phantes comme vous ou des E'Einvaes?" demanda Acturius.

"Ce sont des Phantes bien sûr. Les Seigneurs E'Einvaes sont bien trop sages et trop puissants pour s'adonner à ces tâches subalternes. Je connais leur capitaine. Il s'appelle Torkal et il fut l'un de mes amis. Un ami très proche. Dans votre langue, il pourrait être qualifié de parent puisque nos pères sont frères. Il compta parmi ceux qui me pourchassèrent quand je m'enfuis. J'avais cru pourtant ne laisser aucun survivant derrière moi!"

"Il doit vous en vouloir terriblement?" s'étonna Eric qui jeta un regard torve sur le tourbillon qui les précédait.

« Pourquoi n’ont-ils pas pris forme humaine ? » ajouta Lugnimius, sans laisser le temps à Vak de répondre à Eric.

«Pour les Phantes loyaux, cela serait déchoir, répondit Vak. Cette enveloppe charnelle leur rappelle leur imperfection, leur impureté originelle. Rares sont ceux qui acceptent de la revêtir dans les Confins. Ils n’en éprouvent d’ailleurs jamais le besoin. Leurs mères sont aveugles et ne possèdent pas le Don."

Il continua en se retournant vers Eric :

"Les émotions humaines n'ont pas cours dans les Confins. Les E'Einvaes les ignorent de par leur nature, et la plupart des Phantes n'en ressentent que des échos si affaiblis qu'ils n'influent pas sur leur comportement! "

"La plupart, as-tu dit, reprit Acturius, cela veut dire qu'il y en a d'autres qui les ressentent?"

"Oui, répondit laconiquement Vak. Des infirmes, des imparfaits, des fous... comme moi! Mais regardez, nous sommes arrivés!"

En effet, ils étaient parvenus au bord d'une dépression qui était demeurée jusqu'au bout invisible à leurs regards en l'absence de point de repère dans ce paysage uniforme et gris. Le sol descendait en pente assez douce vers une très large cuvette circulaire. Lugnimius retint son souffle. Ces amas grossiers de pierres étaient-ils les somptueux palais de la capitale du fabuleux royaume des E'Einvaes? Ces disgracieux bâtiments, certains plus grands que d'autres mais tous désespérants et sinistres, s'alignaient au bord de longues rues tracées au cordeau. Des rues parfaitement rectilignes qui se croisaient à angle droit. Il n'aperçut aucune statue, aucun temple, aucun parc arboré, aucune fontaine. Cela ressemblait furieusement aux baraquements d'une caserne militaire, aussi anonyme et utilitaire, définitivement dénuée de tout sens artistique. Il n'y avait aucune recherche architecturale. Des carrés ou des rectangles posés selon un plan rigoureux mais sans âme.

Il aperçut aussi quelques silhouettes humaines qui déambulaient le long des rues ou qui sortaient lentement des baraques de pierre. Il vit alors de nombreux tourbillons jaillir d'une crevasse qui béait au centre de l'étrange cité. Une crevasse étroite et longue, comme une entaille creusée par un prodigieux couteau. Les tourbillons ne cessait d'en surgir et ils se dirigeaient tous vers eux!

Quand ils entamèrent leur descente vers le fond de la cuvette, Vak leur demanda à nouveau et de façon pressante, de le suivre de très près sans montrer d'étonnement. Lugnimius remarqua que le Phante jetait des regards émerveillés à droite et à gauche alors même qu'il n'y avait rien à voir. Vak soupira de contentement. Il sourit devant la mine interdite de Lugnimius.

"Tu ne peux comprendre! Et t'expliquer nous entraînerait trop loin sans certitude que tu puisses finalement mieux comprendre. Je suis chez moi et rien n'a changé depuis mon départ. Les E'Einvaes sont des conservateurs depuis qu’ils vivent en exil. C'est bon de retrouver un environnement familier!"

Les E'Einvaes se massaient sur leur passage et il fallait que leur escorte les maintienne à distance pour qu'ils puissent continuer d’avancer sans trop d’encombre. En les contemplant, Acturius avait l’impression d’assister à des milliers d’orages éclatant au sein de nuées opaques et bourgeonnantes. Des éclairs, se succédant en rafales rapides, diffusaient au sein des tourbillons des couleurs fantomatiques, froides et nerveuses. Le plus impressionnant était cependant l’absence de bruit.

Vak faisait attention où il mettait ses pas comme s’il voulait éviter des obstacles invisibles. Acturius avait beau regarder, le sol était vide, uniformément terne et poussiéreux. Sur le seuil de plusieurs maisons devant lesquels ils passèrent, il distingua fugitivement des femmes indiscutablement humaines, se tenant droites et impassibles. Elles étaient vêtues de robes grises, taillées dans une toile rêche et grossière, qui masquaient leurs formes. Leurs visages, exagérément pâles, étaient d’une grande beauté, à la fois distante et solennelle, triste et digne. Quelque chose attira son attention. C’était l’expression d’absolu détachement qui se peignait sur leurs visages. Ce genre d’expression qui n’appartient qu’à celles et ceux qui voient au-delà de la réalité. Ces regards fixes et déroutants dans lesquels rien n’existe. Cette expression qui n’appartient qu’aux aveugles de naissance. Acturius se remémora d’un coup les anciens récits et les légendes qui étaient colportés sur les E’Einvaes et leurs épouses aveugles.

Les maisons étaient toutes bâties de la même façon. Des moellons simplement assemblés et tenus par une sorte de glaise ou de mortier dont la couleur se confondait avec celle des pierres équarries. Elles étaient toutes de plain-pied et ne possédaient que peu d’ouvertures. Celles-ci se résumaient souvent à une porte, assez large cependant, et à une ou deux fenêtres à meneaux sans volets et sans vitrage. La maigre lumière des Confins interdisait de discerner quoi que ce soit à l’intérieur de ces bâtisses qui semblaient être plongées dans une complète obscurité.

Après avoir traversé une sorte de place vide où se rejoignaient plusieurs rues, ils observèrent une halte devant une maison aux dimensions plus importantes que les autres. Deux Phantes à l’apparence humaine s’approchèrent de Vak et se saisirent avec délicatesse de Tomas. Une jeune femme, aux cheveux de bronze coiffés en chignon sur la nuque, les accompagnait. Elle toucha du bout de ses doigts diaphanes les pommettes du Fauconnier.

« Eh là ! Qu’est-ce que vous faites ? Où emportez-vous Tomas ? » gronda Hangus.

« Du calme ! le rassura Vak. Ils l’emmènent dans la Maison des Accalmies, euh...c’est là où résident les guérisseurs. Ils vont s’occuper de Tomas. Fais-moi confiance, il ne lui arrivera rien de mal. Mais plus nous tardons, moins ses chances de rétablissement seront élevées ! »

« Vak a raison Hangus ! approuva Acturius. Nous ne pouvons vraiment rien faire de plus pour Tomas. N’oublie pas que les E’Einvaes sont des Puissances. S’il existe une petite chance de sauver Tomas, elle leur appartient. Crois-moi !»

«Vak, souffla à mi-voix Lugnimius, dis-moi comment a fait cette aveugle pour que ses gestes soient si assurés? »

« Plus tard ! » lui promit le Phante.

Hangus se renfrogna un peu mais n’empêcha pas les Phantes de réintégrer la Maison des Accalmies en soutenant Tomas auprès duquel marchait la jeune aveugle, une main toujours posée sur le front du blessé. L’obscurité qui régnait à l’intérieur de la bâtisse était telle qu’elle les avala rapidement.

Vak et les autres Fauconniers furent ensuite conduits le long de rues anonymes et identiques. Ils bifurquèrent à plusieurs reprises mais à chaque fois, ils avaient l’impression de se retrouver toujours à l’entrée de la même ruelle. Ils n’avaient aucun moyen de différencier les façades qui s’alignaient toutes de la même façon, maison après maison, rue après rue. Lugnimius fut repris par l’étrange sentiment d’évoluer dans une sorte de rêve atone créé par un esprit malade ou aliéné. Il se souvint soudain d’une comptine qu’il fredonnait lors des veillées d’orage. Une comptine qu’il avait oubliée depuis qu’il avait quitté les rivages de l’enfance :

« Compte lentement à la fin de l’éclair
« Jusqu’à entendre le fouet dans le lointain.
« Si tu comptes moins que les doigts d’une main,
« Alors très vite, récite une courte prière !
« Si tu as été sage, le Faucon t’entendra
« Et chassera au loin le Géant des Nuages.
« Mais dans un grand sac, si tu n’as pas été sage,
« Le Géant des Nuages t’emportera !


Il se rappelait de ses frayeurs enfantines quand l’orage grondait autour des falaises du Duché. Ses mains qui tremblaient quand il comptait les battements de son coeur entre deux éclairs pour mesurer la progression du Géant des Nuages. Il n’avait jamais la conscience tout à fait tranquille. Il craignait toujours, quand les éclairs tombaient sur les tours crénelées du château seigneurial, quand le tonnerre retentissait dans toutes les salles avec un fracas de fin du monde, de voir apparaître dans l’ogive de la fenêtre, la main immense du Géant venant le débusquer jusque dans son lit. L’archer ne s’expliquait pas pourquoi il repensait à cette comptine juste en cet instant. Il sentait confusément qu’il y avait un lien. Mais il n’arrivait à en déterminer la nature. Et puis, il ne parvint plus à la chasser de son esprit. Elle revenait virevolter avec plus d’intensité à chaque fois qu’il changeait d’itinéraire à une intersection.

Il se mit à compter les rues qu’il arpentait. Une... deux... Mais la promenade ne semblait pas avoir de fin. Il lui sembla que cette étrange cité était bien plus vaste que dans son souvenir, quand il la contemplait du bord de la cuvette. Cela ne faisait pas si longtemps ! Il essaya de rappeler à lui ce souvenir. Mais il échoua dans sa tentative. Le souvenir lui échappait. Lui glissait entre les pattes. Or cela lui apparaissait d’un coup très important. Essentiel.

« Compte lentement à la fin de l’éclair
« Jusqu’à entendre le fouet dans le lointain.
« Si tu comptes moins que les doigts d’une main,
« Alors très vite, récite une courte prière !


Une autre partie de son esprit s’évertuait à compter machinalement. Vingt huit... vingt neuf... trente. Cela ne correspondait à rien de logique mais il égrenait le nombre des rues. C’était ridicule puisque jamais leur nombre ne diminuerait. Certes. Mais c’était plus fort que lui.

« Si tu as été sage, le Faucon t’entendra
« Et chassera au loin le Géant des Nuages.
« Mais dans un grand sac, si tu n’as pas été sage,
« Le Géant des Nuages t’emportera !


Il ne voulait pas être emporté par le Géant des Nuages. Est-ce que les Confins pouvaient être comparés à des nuages ? Est-ce que les E’Einvaes et plus encore les Phantes pouvaient être ces Géants tant redoutés ? Pourquoi le petit garçon en lui se pelotonnait craintivement ?

A suivre...
(dans une prochaine WA)

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-02-28 23:05:21 

 Commentaire Maedhros, exercice n°116, 1° partieDétails
Comm Maedhros, ex n°116


Voilà la suite ( et non la fin)) de cette longue aventure passionnante qui nous tient en haleine depuis la WA 42 ! Tu nous as déjà entraînés dans d’épiques combats menés par un bon nombre de personnages différents, au risque parfois de nous perdre un peu... Cette fois, tu nous livres un gros plan sur ceux qui, obéissant à leur chef, ont fui un combat déjà perdu pour accomplir une autre mission. Tu nous présentes un par un les six compagnons du Phante, ce qui te permet de respecter une partie de la consigne en décrivant leurs habits. Le lecteur, lui, souffle un peu après l’émotion des combats, et avant la suite de l’épopée. En faisant plus ample connaissance avec ces guerriers, nous nous y attachons davantage. Tu brosses des portraits succincts où ne ressort que l’essentiel, ce qui n’alourdit pas le récit mais nous permet de les distinguer clairement les uns des autres.
Mention spéciale pour le paragraphe « l’aube du deuxième jour... », dont la métaphore est aussi poétique qu’originale.


Bricoles :
- Dissimuler aux yeux ennemis leur fuite : Ou bien : dissimuler leur fuite aux yeux ennemis, ou bien il faut un adjectif après fuite
- Des arbres aux feuillages persistants : il n’y a pas d’erreur, mais j’aurais mis feuillage au singulier
- La surprise bien sûr joua : je pense que tu peux mettre « jouait » puisque c’est une action qui se répète
- Aussi... mortels que les démons : mortel a un double sens ( qui peut mourir ou qui peut faire mourir) et c’est un peu gênant
- Le Phante les avait entraînés sans ménager leurs peines : leur peine
- Jusque là l’adrénaline.... Oui certes, mais est-ce qu’on connaît l’adrénaline à cette époque ? Oui, je sais, Pratchett le fait...
- Une force immense... qui pouvait se réveillée... : réveiller
- Il y tenait plus qu’a sa propre vie : à
- Le jour où les rossignols ils mêlèrent : un « ils » de trop
- Qui entendirent ses mélodies... qu’il tissait : les mélodies
- Et bien qu’ils n’avaient : qu’ils n’eussent
- Quand le risque...eut... diminué : eût
- « quand » à la place de « tantôt » : je suppose que c’est une expression ancienne, dont je n’ai pas réussi à retrouver la trace : tu peux nous en dire plus ?
- Tomas joua pour eux : jouait (action qui se répète)
- Qui l’obligeait ... à détourner les regards : le regard


Je suppose que la suite nous éclairera sur le titre qui reste pour l’instant bien mystérieux... Mais c’est un bonheur de retrouver cette histoire qui s’étoffe de plus en plus et nous embarque sans coup férir !
Narwa Roquen,qui s'accroche

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-03-03 23:06:49 

 Commentaire Maedhros, exercice n°119, 2° partieDétails
Comm Maedhros ex n° 116 -2


Après la présentation des personnages, nous plongeons dans une dimension parallèle, dont la magie s’amorçait déjà à la fin de la 1° partie, et les émotions ne manquent pas ! Le super héros veille, mais il ne peut empêcher la blessure d’un membre de sa petite troupe, évidemment le plus mystérieux des 6 ; nous espérons tous qu’il va s’en sortir, que nous en saurons plus sur l’étrange désespoir qui le tient, et que bien sûr il découvrira, en ayant frôlé la mort, une nouvelle raison de vivre ( une histoire dans l’histoire, c’est toujours apprécié). Dans cette sorte de surmonde, les miroirs sont agressifs ! Mais que serait un texte de Maedhros sans miroir ? Nous savions déjà que nous étions hors du temps ; voilà maintenant que tu joues avec l’espace, entre un pont vertigineux et une étrange pyramide. L’ensemble bouscule tous nos repères, mais c’est cohérent et nous te suivons avec plaisir.

Bricoles :
- Car elle dotée de propriétés : est
- Hangus soupira lugubrement, se massant les tempes vigoureusement : si tu pouvais remplacer un des deux adverbes par une expression équivalente...
- Mais le Phante ne broncha pas : j’enlèverais le « mais »
- Les jumeaux furent les premiers... Dans un premier temps
- Dans un premier temps, ils ne prêtèrent d’abord : redondant
- La voix de Vak s’éleva dans leurs dos : leur dos
- N’y a-t-il pas moyen de la contourner !: ? serait mieux
- Mille et un dangers que ce pays recèle, où le froid : dont
- Faire appel à toute ma puissance maintenir : pour
- La température chuta encore de plusieurs degrés : est-ce que dans ce monde ils mesurent la température ? Oui, je sais, Pratchett...
- Les six humains perdirent toute notion du temps, mobilisant toute...
- Mobilisant toute leur volonté à : pour
- Bien qu’il marchait : marchât
- Ils se pelotonnèrent les uns les autres : contre
- Vak s’adressa ses compagnons : à
- Je crains que sa blessure soit : ne soit
- Si le passage disparaît, nous serions : disparaissait
- Les jumeaux... attentif : attentifs
- Il fit signe autres humains : je suppose que c’est « aux » ?


Quelle aventure ! L’imagination ne te fait pas défaut, le suspense est bien entretenu, et tu alternes avec art les scènes de combat, les explications et les descriptions de phénomènes magiques. Maître Tolkien n’y trouverait rien à redire !
Narwa Roquen, toujours là...

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-03-05 22:38:21 

 Commentaire Maedhros, exercice n°116, 3° partieDétails
Comm Maedhros, ex n°116-3


Après un périple extraordinaire, les sept compagnons arrivent au terme de leur voyage. Terme qui n’est qu’une étape, mais non dénuée d’émerveillements, et qui nous permet de connaître un peu mieux les origines du Phante.
J’ai bien aimé la théorie sur la complétude des mondes ; ça vous a un petit côté taoïste, même si dans le contexte ça augmente encore le danger ! La description des Phantes sous leur apparence habituelle est aussi réussie, de même que la transformation de Vak pour ce qui ressemble à de joyeuses retrouvailles. Par contraste avec les tourbillons lumineux, le quartier des aveugles est d’autant plus terne et triste, de même que les habits des femmes sont en contradiction avec la noblesse de leur visage.
La comptine est un peu attrapée par les cheveux, même si ton héros est crédible. Sans doute faudra-t-il trouver une explication supplémentaire dans la suite pour nous convaincre tout à fait...


Bricoles :
-dans leurs dos, le pont : leur
-Il n’y avait ... rien qui ressemblait : il me semble que ressemblât serait mieux
- comme s’ils marchaient dans sur une tourbière : lequel des deux ?
- or, nous seront repartis bien avant : serons
- dès qu’ils eurent rejoints Vak et ses compagnons : rejoint
- l’impression de plonger leurs regards : leur regard
- aucune construction s’était en vue : n’
- Vak faisait attention où il mettait ses pas : certes, « à où » n’est pas heureux, mais c’est « faire attention à » ; peut-être « surveillait où » ?



L’épopée tient ses promesses, et ton souffle ne s’épuise pas. Longue vie à cette histoire, qui nous enchante toujours !
Narwa Roquen, victime des voleurs de temps...

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-03-06 15:21:03 

 Sauge d'une nuit d'hiver.Détails
Tu nous délivres ici un joli conte qui puise ses racines dans le folklore russe que tu aimes de temps à autre revisiter. C'est l'histoire d'une famille parvenue à la croisée des chemins. La mère qui ne veut que le bonheur de ses fils, favorisera leur émancipation et retiendra sur elle l'attention malveillante de démones assoiffées de crème. Tu as disséminé, à l'instar des contes russes, plusieurs allusions ternaires dans le récit (les 3 frères, les 3 démones, les 3 pièces d'or, 3 fois 6 brouettes). Il y a forcément un chat qui parle, ce qui est un peu ta marque de fabrique. Une créature magique bienveillante comme d'hab... et qui, comme le Kot Baïoun, possède un don précieux de conteur. Mais la ressemblance s'arrête là. Il y a tout proche une forêt qui, dans le folklore russe, est forcément sombre et dangereuse. Ah, j'allais oublier : le gâteau de fromage blanc semble succulent!

Comme c'est le cas, en général, dans tes histoires, une morale douce et humaniste se dégage de celle-ci. Il y a de nombreuses façons de trouver le bonheur mais quelquefois celui-ci attend tout près, encore faut-il savoir le voir.

J'ai bien aimé les trois démones, ces créatures étranges et espiègles qui ont saccagé la petite maison près de la forêt. Tu as parfaitement répondu à la consigne. Les vêtements des personnages, leurs matières, leurs couleurs sont idéalement rendus, avec un soin extrême dans leur description. La ritournelle est bien présente dès la 1ère ligne.

Le tout est un fort joli conte qui ne dépareillerait pas dans un recueil d'Alexandre Afanassiev!

Au rayon des bricoles, 1 seule bricole :
" Je te ramènerai plain de nouvelles chansons" : ...plein de nouvelles chansons.

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-03-06 15:39:31 

 CréationnismeDétails
En fait, je pense que j'ai dû croiser cette expression dans un roman de la saga Fortune de France. Robert Merle à partir du 2ème volume s'est astreint à recréer un style proche du vieux français. Mais je ne pourrais hélas l'affirmer. Il faudrait que je me replonge dans les 13 volumes.

Je crois aussi que cela pourrait être dans l'esprit de cette autre tournure de phrase :
"Ils coururent aux armes et se saisirent qui d’une épée, qui d’une lance qui d’une hache".

Sinon, c'est un bel effort de barbarisme!

M

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Onirian  Ecrire à Onirian

2013-03-14 12:00:25 

 WA-Exercice 116 - LeitmotivDétails
Pour le coup, un vrai hors sujet. Il fallait décrire les vêtements, et je me suis attaché à ne surtout pas décrire mes personnages. Bref, un petit texte sans prise de tête parce qu'en ce moment, je n'ai plus assez de temps à consacrer à l'écriture.
Mais Narwa, je n'oublie pas les wa ^_^.

--

Passer de l'autre côté du miroir.


Passer de l'autre côté du miroir.

- J'ai vu un film, quand j'étais gosse, dans ma mémoire, ça ressemble à une espèce de western, mais ce n'était pas le cas. Un môme d'une famille pauvre écrivait au Times pour demander si le père noël existait, et ce film racontait l'histoire du journaliste à qui on a confié la lettre et de la famille du mioche. Ce qu'il me reste de ce film, à part quelques images d'une rue gelée et d'un foyer, c'est la réponse de ce type, un gars paumé.
Attention, ce que je dis, c'est de mémoire, si ça se trouve, j'ai tout recomposé. Bref, en substance, il racontait que le monde est une superposition de feuilles. Il y a la réalité, tout au dessus, puis toute une série de couches, de plus en plus profondes, de plus en plus magiques. Et Noël, c'est un coin de la réalité qui se soulève, pour montrer un peu ce qu'il y a en dessous. Oui, le Père Noël existe, parce qu'il est une émanation de l'invisible, et parce qu'il permet à une petite parcelle de magie d'exister.
- Le père Noël, c'est du coca pour gamin dans une société de surconsommation. Ton film, il est gentil, mais c'est des foutaises.

Passer de l'autre côté du miroir.

- Tu n'as jamais vécu des moments... Différents ? Entre-aperçu ce qui est caché sous le voile ?
- Ah hasard, tu veux me parler de la mort de ma mère ? Quand j'ai retrouvé son alliance sous mon oreiller alors qu'elle disait elle-même l'avoir perdue ? Oui, ça m'a fait un choc, mais ça aurait pu être n'importe quoi, n’importe qui. Toi, pourquoi pas, à qui ma chère maman aurait confié ce petit bout d'arnaque pour que je crois à la magie.
- Et le rêve qui a suivi ?
- Un rêve, c'est un rêve, point barre. J'ai dû entendre parler de son journal sans m'en souvenir, et mon cerveau m'aura retransmis l'information comme il pouvait.
- Avec le code du coffre ?
- Avec le code du coffre.

Passer de l'autre côté du miroir.

- Et toi, monsieur-je-crois-aux-fantômes, qu'est-ce que tu as à me raconter comme anecdotes ? Pourquoi tu crois, toi ?
- Humm... Tu le sais, depuis toujours, je suis convaincu de n'être pas à ma place ici. Et il y a ces voix qui me soufflent à l'oreille des phrases, n'importe quand.
- Y a des psy pour ce genre de truc. Et tes voix s'appellent "Schizo", ça aussi, on en a déjà parlé.
- Non, c'est différent. Je ne l'évoque jamais vraiment... même à toi, personne ne comprend.
- Te bile pas, j'vais chercher une seconde bouteille, ça détend les esgourdes.


- Passer de l'autre côté du miroir.
- Pardon ?
- Passer de l'autre côté du miroir. C'est ce que j'entends le plus, en ce moment. A une époque c'était "Pas mieux, juste différent". J'ai eu aussi "Oui", ou encore "Sors de ma tête".
- Qu'est-ce qui devait sortir ?
- Une fille. Quoi d'autre ?
- Et à quoi ressemblait-elle ton Alice ? A moi ?
- Un peu. Légèrement plus grande, quoique menue.


- Tu as déjà réussi ?
- Quoi ?
- Passer de l'autre côté de ton miroir ?
- Je n'ai jamais trouvé le point d'entrée. Je ne sais même pas s'il existe. Parfois, le voile de la réalité est si fin que j'ai l'impression de pouvoir le déchirer rien qu'en avançant la main. A contrario, de temps en temps, le monde est dur comme du béton. Il y a des instants, mais je n'ai jamais réussi, non.
- Ça te manque ?
- Parfois. Durant ces fameux instants de magie par exemple, c'est une telle... frustration. Et j'ai envie de... quelque chose, sans jamais être capable de déterminer ce que c'est. C'est plus fort qu'une envie de sexe quoique souvent les envies se mêlent au point que je ne sais plus vraiment faire la différence.
- Si tu veux baiser, va falloir entamer la troisième bouteille, je ne suis pas encore tout à fait assez ivre pour ça.


- Qu'est-ce que tu vois ?
- Ma coiffure et mon maquillage qui accusent l'heure. Il est quoi ? Trois, quatre heures du mat ? Un truc comme ça. Je suis déchirée. Et ça fait dix fois que j’essaie, ma main veut vraiment pas passer à travers ce foutu miroir.
- J'te l'avais dis.
- Tu donnerais quoi pour pouvoir aller dans ton Pays des Merveilles ?
- J'sais pas... Le fait de ne jamais revenir peut-être.
- Et tu me laisserais ici, moi, ta meilleure amie ?
- Viens, suis-moi.
- Alors partons beau brun. Sinon, à défaut d'un miroir, il y a un lit dans la pièce à côté.
- Tu sais qu'on est en train de faire une connerie ?
- On s'en fout, on est au Pays des Merveilles.


- Ton non plus, tu n'arrives pas à dormir ?
- Non. J'ai envie.
- De recommencer ?
- Non... oui, j'en sais rien... Envie. Tu sais... Envie.
- Oh, l'autre côté... c'est ça ?
- Oui.
- Tu sais, on vient de ruiner une amitié de quinze années en faisant le seul truc qu'on s'était jamais interdit. Quelque part, on y est déjà, de l'autre côté.
- Tu as surement raison. T’inquiète, l'envie passera. Ça finit toujours par passer.
- Et par revenir...
- Et par revenir.

--
Onirian, toujours du même côté du miroir.

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-03-18 22:27:32 

 Commentaire Onirian, exercice n°116Détails
Comm Onirian, ex n°116




Sur un thème que tu affectionnes, une scène intimiste en forme de dialogue intemporel, centré sur le leitmotiv, entre un homme et une femme dont les opinions divergent. Le joli paradoxe c’est que c’est la plus rationnelle des deux qui a vécu un évènement étrange, que bien entendu elle réfute. On devine que chacun des deux va rester sur ses positions, lui parce qu’il en quête de quelque chose, elle parce qu’elle se protège en rationalisant.
Effectivement l’apparence physique des personnages importe peu, encore que comme ils sont amis de longue date et se connaissent bien, tu aurais pu facilement glisser une référence affective à un vêtement (C’est le T-shirt que tu portais le jour où..., la ceinture que je t’ai offerte... etc) . Que tes personnages soient pratiquement désincarnés, sans référence de temps ou de lieu est un choix cohérent avec le thème. Mais on les imaginerait mieux dans la brume d’un jardin anglais façon David Hamilton plutôt qu’en train de s’enivrer. Plus de deux bouteilles à deux, même si c’est du vin, c’est beaucoup ! Donc on doit supposer que l’entrevue a duré un certain temps ; mais tu ne nous livres que quelques phrases... ce qui nous laisse sur notre faim...


Bricoles :
- Un môme d’une famille : le môme
- Ce film racontait l’histoire du journaliste à qui on a confié la lettre et de la famille du mioche : la construction est pesante. « ...l’histoire de la famille du mioche, et celle du journaliste à qui... »
- Le Père Noël a toujours droit à deux majuscules
- Tu n’as jamais vécu des moments... Différents ? : des moments... différents (c’est la même phrase)
- Pour que je crois à la magie : je croie (subjonctif)
- J’te l’avais dis : dit


L’idée est intéressante, et le paragraphe sur les superpositions (une idée chère aux informaticiens, toujours le nez à la fenêtre...) est bien trouvé.
Tu nous fais rester au bord du miroir, dans ce fragile instant suspendu où tout pourrait basculer. La sensation de frustration est intense, sans doute égale à celle que ressent ton héros. On aime ou on n’aime pas, mais la manipulation est habile.
Narwa Roquen, entre deux eaux

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-04-19 08:54:42 

 Commentaire WA 116 : MaedhrosDétails
Quel pavé ! Toujours aussi prolifique, toi !
Mur, Nord, chasseurs blancs... C'est marrant, ça me fait penser au Trône de fer le tout début de ton texte...
Tiens, c'est des romains ?
J'aurais réparti les description des héros dans le reste du texte car là, je trouve que ça casse le rythme du texte.
Joli description des propriétés magiques de la pyramide.
Les soucis de concordance des temps et les redondances donnent l'impression que tu as écrit dans la précipitation.
Ben, le Phante, s'il a bien un trait distinctif, c'est de ne jamais répondre clairement à une question, arf arf !
Les Phantes sont tous des hybrides de bâtisseurs et de femmes humaines aveugles ? C'est ptêt moi mais je trouve que ce n'est pas clair.
J'ai loupé le leitmotif ??

RHAAAAAAA !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Il manque la fin ? Quand est-ce qu'on va l'avoir ??

Au final, un texte bien écrit malgrè des lourdeurs, avec une ambiance bien rendue, de belles images et un vocabulaire riche comme toujours. Mais y a pas de fiiiiiiiiin !!!

Trucs et bidules :
"La terre but goulûment les ruisseaux éphémères charriant le sang impur de leurs victimes expiatoires." : un peu chargé à mon goût.
De "Sur l'horizon, une couronne de lourds nuages" à "la face rayonnante de l’astre du jour." : tu t'es laissé aller à une floraison d'adjectifs.
"à la périphérie de leur champ de vision, dans le coin extrême de leur pupille" : redondant, non ?
"J'en suis en quelque sorte son principe actif." Je suis.
"Nous pouvons certes ouvrir autant de routes qu'on le désire" que nous le désirons.
"Dans un premier temps, ils ne prêtèrent d'abord" : redondance.
"Comment nous allons pouvoir survivre" : comment allons-nous.
C'est moi où la pyramide "bouche l'horizon" à deux reprises ?
"dont la voix semblait leur parvenir de très loin bien qu'il marchait" : concordance des temps, bien qu'il marchât.
"Si le Passage disparaît maintenant, nous serions disloqués" : nous serons.
"puisque nous nous tenons sur la frontière et elle n'a aucune dimension" et qu'elle n'a
"Il n'y avait absolument rien qui ressemblait à un arbre" : ressemblât, non ?
"Ils s'aperçurent également de l'absence de tout bruit. Aucun son ne se faisait entendre." : redondant.
"Sur le seuil de plusieurs maisons devant lesquels ils passèrent" : lesquelles
"Mais il n’arrivait à en déterminer la nature." : manque un petit mot
"Le souvenir lui échappait. Lui glissait entre les pattes." : pattes est d'un niveau de langue différent du reste. Doigts ?
"Pourquoi le petit garçon en lui se pelotonnait craintivement ?" : se pelotonnait-il

Est', I can't wait for the week end to begin... (sur un air connu) (ou pas)

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-04-19 08:56:41 

 Commentaire WA 116 : NarwaDétails
Elle est drôlement mignonne ta comptine. Tu suggères habilement la localisation de ton histoire en Russie par les noms propres.
Véra a encore de la rhubarbe à la fin de l'hiver ?! OK, c'est donc une véritable sorcière.
La description de la tenue de fête de Véra est absolument charmante ! On croirait la voir !
Le départ subit des fils est émouvant.
Tiens, je me demandais quand le chat allait arriver ! ;o) C'est lui qui parle ? Etonnant, surtout après la mention de son silence, qui du coup devient une sorte de jeu de mot.
Curieusement macho, cette idée que seuls les garçons pourraient avoir l'envie de partir vivre leur vie. J'imagine qu'on doit la mettre sur le compte de l'époque de l'histoire.
Ah tiens ! "Par les Saintes Icônes !" je n'avais jamais lu cette expression que dans Canardo, de la bouche de Raspoutine, le chat russe.
C'est bien documenté, comme histoire. Y a plein de mots typiques qui renforcent l'ambiance slave.
J'aime bien les doubles sens, comme "Qui aurait pu s’apitoyer même un instant sur ces créatures malfaisantes ?".
J'ai loupé la référence à Kot Baïoun, ne connaissant pas.
Tiens, un petit côté à la Susan Keller ! C'est ça son nom, non ? J'ai lu cette histoire il y a des éons.
Personne ne s'étonne que le chat parle ?
Vindjous, elle va cailler ici, la petite indienne !
"Des trois, tu n’as jamais été le pire." : j'adore cette formulation ! Cet animal a de la répartie !
Quelle jolie fin ! Elle a failli me tirer une petite larme !
Au final, un conte charmant et plein de mélancolie, au décor slave agréablement dépaysant, où l'on retrouve tes personnages familiers.

Truc et bidule :
"la multitude des « et si » qui pouvaient tout faire capoter." : je trouve que ça fait trop familier par rapport au reste. Echouer ?

Est', une WA par semaine, le bon rythme.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-04-19 08:58:06 

 Commentaire WA 116 : OnirianDétails
J'aime bien tes dialogues. Il sonnent juste. Amusant, le passage sur le coffre. Ton couple me fait penser à Mulder et Scully. Scully voit tout le temps plein d'extra-terrestres mais elle trouve toujours une excellente explication pour ne pas croire qu'ils existent.
Au final, un texte court et sympathique, assez intriguant.
Je t'absous pour les vêtements parce que je vois pas où t'aurais pu les caser, vu le style de ton texte.

Trucs et bidules : RAS

Est', qui a bien avancé sur le 101.

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