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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 12 avril 2012 à 23:04:59
LES TROIS PROMESSES







« Trégranpa ! Trégranma ! Nous voilà ! »
Altekh et Altya, les jumeaux de Verskya, sautèrent à bas du chariot. Pendant la longue semaine de voyage depuis le camp d’été, ils n’avaient cessé de rire en évoquant ce moment, et les beignets de Trégranma, et les jouets en bois que sculptait Trégranpa... Roskh était leur fils et le Chef du clan, et jamais ils ne l’auraient appelé Granpa, tant il inspirait à tous l’admiration et le respect.
« Doucement, les enfants ! », répéta une fois de plus Verskya. Les aïeuls qui avaient gardé le camp d’hiver pendant la période de transhumance étaient réunis devant les tentes, et partout c’était des cris, des embrassades et le bonheur des retrouvailles.
Roskh se tourna vers ses fils.
« Sihtin, tu t’occupes des bêtes. Renyo, va aider ta tante à décharger. Korh, quand tu auras installé ta famille, tu inspecteras le camp. Demain nous répartirons les travaux avant les premières pluies. »
En homme habitué à être obéi, il n’attendit pas de réponse et commença à décharger les sacs de peaux et les bottes de foin.


Les femmes avaient préparé le repas et tout le clan se réunit, comme de coutume, sur la place centrale, pour le premier dîner en commun. Au centre, les brasiers étaient disposés en cercle, et Roskh, cerné par le feu, entama la Cérémonie du Retour. Il porta au-dessus de sa tête, à bout de bras, le Plateau Sacré, où étaient disposés des morceaux de viande crue.
« Je remercie au nom du Clan Alvarra de la Lumière et Monoto de l’Ombre. Je remercie au nom du Clan Palaya de la Terre et Doss du Feu. Je remercie au nom du Clan Eok des Voyageurs et Phinn du Temps. Et vous, Esprits bien-aimés qui formez le Bouclier Blanc de la Terre, vous qui êtes le Début et la Fin, que notre offrande soit le témoin du respect de nos Promesses. Par le Bouclier Blanc, que nul ne reste dans le Clan s’il ne les respecte pas ! »
Les hommes, les femmes, les enfants levèrent les bras au ciel. Et aussitôt, surgis de nulle part dans la pénombre claire du crépuscule rose, une nuée d’oiseaux blancs survola le campement en formation serrée, picorant au passage un morceau de la viande offerte et s’élevant à nouveau pour regagner le ciel. Un tout petit tendit la main vers eux en riant.
« Hasko », lui murmura sa mère. « Répète : Hasko.
- Ko !
- C’est bien, mon fils. Ce sont les Esprits de nos ancêtres, et les Esprits de nos enfants à venir. »
Le banquet commença. Roskh alla s’asseoir près de son deuxième fils, Renyo, qui un peu à l’écart de la famille, contemplait le feu d’un air triste.
« Nous avons de la chance ! Il y aura peu de réparations à faire avant l’hiver. Dès demain tu pourras commencer à monter ta propre tente. Enfin... si ton ami Essinn est toujours d’accord pour la partager...
- Tu veux bien ? »
Le jeune homme faillit s’étrangler d’émotion.
« Tu viens d’avoir vingt ans, non ? Tu es donc libre de choisir ta vie. Allez, file le lui dire, je suis sûr que ça va lui rendre le sourire, à lui aussi. »
Eclatant de bonheur, Renyo posa à terre son assiette encore pleine et détala comme un ânon à la vue d’un champ de trèfle.
Roskh sentit la main légère de sa femme se poser sur son épaule.
« C’est bien de le lui avoir permis. Après tout un été passé avec son compagnon, j’avais peur qu’il ne se laisse mourir de chagrin.
- Allons, Idhoa, c’est un homme fort !
- Est-ce qu’un homme amoureux est vraiment un homme fort ?
- Encore plus fort, ma tendre beauté !
- Oui, s’il est heureux...
- Et je souhaite qu’il le soit comme nous l’avons été depuis le premier jour, toi et moi. »



Roskh traversait le camp dans le petit matin brumeux ; Sihtin avait rapporté la veille que deux ânes boitaient, et il voulait vérifier que le traitement avait été efficace. Devant l’entrée d’une tente, un garçonnet hurlait, à plat ventre dans la poussière, en martelant le sol de ses petits poings rageurs. L’entendant approcher, l’enfant leva la tête. Roskh détourna le regard et s’écarta du chemin. Les enfants devaient apprendre le plus tôt possible à respecter la Première Promesse : la colère doit être maîtrisée. La sanction habituelle pour un manquement était l’éloignement, d’autant plus long et lointain que l’enfant était plus grand. Roskh se rappelait très bien les nombreuses fois où son père l’avait exclu de la tente, et il en gardait encore un souvenir de terreur mêlée d’impuissance. Les adultes étaient tous solidaires dans l’éducation des enfants, et manifester de la sollicitude envers un petit coléreux n’aurait fait que retarder son apprentissage. Il sourit en pensant aux regards noirs qu’il devait adresser à Idhoa pour l’empêcher de raccourcir les punitions. Grâces soient rendues au Bouclier, ses trois fils étaient devenus des hommes calmes et forts, et sa fille élevait les jumeaux dans l’observance des Règles. C’était toujours plus facile avec les filles, par nature moins portées à la violence. Encore que la petite Altya, quand son jumeau se mettait en rage, était rarement de reste... Certes, ils n’avaient que quatre ans, le temps qui bonifie et la patience qui guide feraient leur oeuvre pour que la tradition soit perpétuée.


Il était tout près de l’enclos quand des cris lui firent rebrousser chemin.
« Arrêtez ! Arrêtez tout de suite !
- Je n’en ai pas fini avec lui !
- Lâchez-moi ! Je vais le tuer !
- Assez ! »
La voix de Roskh ramena le calme. Au milieu d’un attroupement désolé et inquiet, plusieurs hommes ceinturaient deux adolescents dont ils avaient interrompu le combat. D’un côté Artass, le fils de Doness, les yeux injectés de sang comme une bête enragée. Et de l’autre Sihtin, son propre fils, son fils cadet, la lèvre fendue, et qui se tortillait comme un beau diable au milieu des hommes qui le retenaient.
« Lâchez-les. Venez ici, vous deux. Vous avez enfreint la Deuxième Promesse en laissant libre cours à la violence. Vous serez bannis pendant un jour et une nuit. Disparaissez ! Et que personne ne vous vienne en aide ! »
La tête basse, les deux jeunes gens s’éloignèrent sans se retourner, portant sur leurs épaules le poids des regards réprobateurs. Il n’y eut pas un mot de prononcé, et chacun reprit sa tâche.
A peine hors de vue du campement, bien à l’abri sous les ombrages de la forêt, les deux garçons échangèrent un regard complice et éclatèrent de rire.
« On les a eus !
- On est les plus forts ! Viens te laver au ruisseau, tu saignes encore, je suis désolé...
- Ce n’est rien ! Attends, j’ai caché les arcs par là hier soir. Tu as pris des provisions ?
- Oui ! Elles sont dans le hêtre près du ruisseau. Et j’ai de la liqueur de genièvre ! Tu crois qu’elles viendront ?
- Je l’espère bien », répondit Sihtin dans un large sourire vermillon. « Je suis sûr qu’elles en ont aussi envie que nous !
- Il me tarde d’être à ce soir !
- On va chasser un peu, préparer le feu... et ensuite, sieste ! Une journée de repos avant de faire la fête... Ca, c’est une vraie punition !
- Pourvu qu’elles viennent ! »


La lune sortit lentement de derrière un nuage, jetant un chemin lumineux à travers le camp endormi, révélant des ombres claires et des ombres obscures, et l’étrange incertitude que donne l’espace flou dans un temps sans mesure.
Il y eut d’abord des cris d’oiseaux, des appels alarmés passant comme des éclairs au-dessus des tentes silencieuses. Roskh se dressa sur sa couche.
« Les Hasko ! Par le Bouclier ! »
Une angoisse fébrile lui martela le coeur quand il entendit des pas précipités et deux voix juvéniles qui criaient leur terreur.
« Alerte ! Alerte ! Des cavaliers armés, ils viennent par ici, ils arrivent ! »
Roskh fut le premier dehors.
« Combien ?
- Une cinquantaine... Ils viennent du nord. Vite !
- Que chacun prévienne ses proches voisins. Sihtin, avec moi, on va lâcher les bêtes. Portez les enfants et les vieillards. Ne prenez que les vêtements et les couvertures. A la grotte de l’Ours. Courez ! »
En un clin d’oeil le village était déserté. Roskh et son fils ouvrirent les enclos des ânes, des chèvres et des moutons. Puis ils revinrent se cacher sur les branches d’un des trois grands chênes qui protégeaient la place centrale. Par chance, ce n’était pas encore l’hiver, et la frondaison était aussi touffue qu’en été. Ils se calèrent dans les embranchements et guettèrent en silence. Ils avaient à peine repris leur souffle que des cris guerriers retentirent à l’abord du camp, suivis par le martèlement des sabots des chevaux. Sihtin avait vu juste, ils étaient au moins cinquante, la peau blafarde recouverte de peintures rougeâtres au clair de lune, vêtus de fourrures à peine retaillées, chevauchant jambes nues et l’épée au clair. Sans doute étonnés de ne trouver personne, ils s’interpellèrent dans un dialecte que Sihtin ne connaissait pas, les chevaux piaffant et renâclant de cet arrêt soudain. Puis les cris reprirent de plus belle, dans le fracas de tentes éventrées et renversées, bruits de chaudrons bousculés, lueurs de braises répandues, caquètements de poules effrayées, piétinements de chevaux énervés, glapissements furieux des hommes déçus de leur maigre butin.
« Ils détruisent tout ! », chuchota Sihtin.
- « Tais-toi ! », lui intima son père en serrant fort son bras.
Les deux hommes assistèrent impuissants au saccage insensé. Puis de même que le raz de marée ravageur finit toujours par refluer vers la haute mer, ainsi les pillards se retirèrent en un galop maudit dont l’écho se perdit enfin loin dans la nuit. Ca et là quelques feux s’étaient allumés.
« Va chercher une vingtaine d’hommes. Rassure ta mère. Dis-leur de dormir là-bas cette nuit. »
Seul, Roskh commença à piétiner les braises, à vider les seaux qu’il trouva encore pleins sur les départs de feu. Sans mot dire, les hommes se joignirent à lui. Une chaîne se forma depuis la rivière. Les incendies furent maîtrisés. Une dizaine de tentes gisaient à terre, dont trois totalement détruites. Quelques unes furent aussitôt relevées, mais soudain la lune disparut derrière les nuages, ne laissant qu’une obscurité profonde et désolée.
« Assez pour ce soir. Allons dormir un peu. Nous aurons du travail demain. »



Mais Roskh ne trouva pas le sommeil. Il n’avait pas le souvenir que le camp eût jamais été attaqué, même dans son enfance. Il faudrait qu’il demande à son père. Même à la foire de printemps où les clans Migrants rencontraient les clans Sédentaires pour échanger l’excédent contre l’indispensable, personne n’avait jamais parlé d’une agression semblable. Depuis la Grande Mort, trois générations auparavant, les clans vivaient en paix. Puisqu’ils respectaient les Promesses. Mais ces étrangers... Ils parlaient un dialecte barbare... Etait-ce un peuple de l’est ? Il avait rencontré un marchand, l’année où était né Sihtin, qui avait le même accent râpeux... Par le Bouclier, ça faisait quinze ans !
Pour cette fois, ils avaient eu de la chance. Trois tentes, quelques poules, rien d’irréparable. Et le Clan était sauf.
Et s’ils revenaient ?
Ils avaient pu constater par eux-mêmes qu’il n’y avait pas grand-chose à voler. Cela suffirait-il à les dissuader ?
« Allons », se gourmanda-t-il lui-même, « voilà que je m’inquiète comme une vieille femme. Le Bouclier nous a toujours protégés, et cette fois encore. Un orage ou une averse de grêle auraient pu faire plus de dégâts, et ça ne m’empêcherait pas de dormir. »
Il se tourna une fois de plus sur sa couche. Que se serait-il passé si Sihtin et Artass ne les avaient pas prévenus ? Aurait-il fait évacuer le camp sur la seule alerte des Hasko ? Lui faudrait-il désormais poster des sentinelles ? Et si l’attaque avait eu lieu en été ? Ou quand les hommes étaient à la chasse ?
Il s’efforça de faire silence en lui. Les questions sans réponse sont comme les battues sans gibier, épuisantes et inutiles, disait souvent Mahkto, à qui il avait succédé à la tête du Clan dix ans auparavant. Mahkto serait peut-être de bon conseil, malgré son âge avancé. Tellement de choses à faire... et déjà tellement de fatigue...
Mais le sommeil se refusa à lui comme une vierge effarouchée.



La pluie n’était toujours pas venue. Le soleil dardait comme en plein été, et une brume de chaleur montait de la rivière dans l’après-midi finissant. Les enfants étaient agités, énervés comme des troupeaux assaillis de taons, et Verskya proposa d’aller les baigner pour les rafraîchir et peut-être les calmer. Elle entraîna avec elle Lyossa et sa fille Dia, Brahel et ses trois fils, Edry et son nourrisson qui marchait à peine, ainsi que Pradeya, la soeur de Roskh, qui depuis la mort de son mari ne se réjouissait qu’à la vue des enfants – et sa propre fille n’accoucherait pas avant le printemps. Les femmes relevèrent leurs jupes de laine et se mouillèrent les bras et le visage, faisant cercle autour des enfants nus qui s’éclaboussaient en criant. Le vacarme de leurs piaillements parvenait jusqu’au camp où Roskh taillait quelques nouvelles flèches pour la prochaine chasse. Bienheureuse insouciance des petits ! Rien n’était venu troubler ni les jours ni les nuits depuis plus d’une semaine, et pourtant Roskh gardait en son coeur une inquiétude sourde. Renyo avait sa nouvelle tente, le camp était prêt à affronter l’hiver, les réserves de foin et de grain étaient à l’abri, les enclos consolidés, et ils avaient même eu le temps de construire un nouveau poulailler. Les autres années, il aurait loué les Dieux, envisagé l’avenir avec sérénité. Mais il sentait en permanence planer une menace inédite, comme un fantôme maudit, comme une entité maléfique dont il ne pouvait ni percer les intentions ni conjurer le dessein funeste. La flèche lui tomba des mains et tout à coup la peur lui mordit les entrailles. Les femmes étaient seules à la rivière... Il s’élança, silencieux et rapide, et le présent que lui offrit sa vue perçante était aussi empoisonné qu’un champignon vénéneux.
Surgi de nulle part, un homme à cheval, vêtu de peaux de bêtes, galopait dans l’eau basse. Il essaya d’enlever Brahel à bras-le-corps, mais elle cria, se débattit, lui résista. Alors Cayeskh, son fils aîné qui venait de fêter ses onze ans, se jeta à la tête du cheval. L’animal se cabra, le cavalier tomba dans l’eau, le poing brandi serrant un poignard dont la lame scintilla au soleil en un éclair unique. Cayeskh s’écroula tandis que l’homme s’échappait à bride abattue. Roskh percevait encore l’odeur fauve du fuyard tandis qu’il soulevait l’enfant dont la poitrine ensanglantée était convulsée de spasmes violents. Brahel hurlait, les autres femmes tentaient d’écarter les enfants, les membres du clan arrivaient à la course, interrogeant, s’exclamant, invoquant. Roskh ne distinguait qu’un brouhaha confus ; il s’agenouilla sur la plage, soutenant la tête brune de l’enfant agonisant. Brahel se pencha pour embrasser le front pâle, et Cayeskh ouvrit les yeux. Il sourit à sa mère et son regard heureux se perdit dans ses yeux trop effrayés pour libérer des larmes. Roskh serra les dents.




(à suivre)
Narwa Roquen,pouf pouf...


  
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3 Little Big Mânes! - Maedhros (Lun 16 avr 2012 à 17:26)
       4 Que d'os, que d'os! - Narwa Roquen (Mar 17 avr 2012 à 14:32)


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