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 WA, exercice n°100 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 17 novembre 2011 à 23:03:59
Tout d'abord je voudrais remercier tous les auteurs qui ont eu la gentillesse de nous faire partager leurs oeuvres, et la patience de supporter mes critiques pas toujours réconfortantes. Avec une mention spéciale pour Messire Maedhros, qui , le seul parmi tous et sans conteste le meilleur d'entre nous, m'a suivie sans broncher dans tous mes délires, m'évitant de sombrer dans un triste monologue et de finir par jeter l'éponge... faute de combattants.
Merci également à tous les lecteurs qui sont passés par là, plus ou moins loquaces, mais dont la lecture même muette a toujours constitué la plus belle des récompenses pour les faiseurs d'histoires. Cette rubrique est à vous tous, fidèles faëriens ou passants d'un jour, auteurs confirmés, débutants, lecteurs attentifs ou distraits. Seule votre présence peut continuer à la faire vivre. Peut-être doit-elle évoluer pour mieux répondre à vos attentes: alors ne vous privez pas de le faire savoir! Moi j'ai le nez dans le guidon, comme on dit, et je manque forcément de recul, mais j'ai toujours été ouverte à toutes les suggestions.
Je remercie tout particulièrement notre lecteur en chef, z653z, dont je ne cesse d'admirer la perspicacité et la pertinence.
Et bien sûr je m'incline devant notre Maître incontesté, l'immense Fladnag, sans qui rien de tout ceci ne serait advenu...
Vous avez été nombreux à me faire part de vos suggestions pour cette WA particulière, qui est peut-être la fin d'un cycle, ou le début d'un nouveau... ou bien ni l'un ni l'autre.
Bien entendu, en despote rebelle et solitaire, je n'en ai pas tenu compte...
"Tout commence quelque part... Mais tout avait commencé bien avant ça, à une époque où on oubliait souvent que les très vieilles histoires parlent tôt ou tard de sang."
Peut-être un jour l'un d'entre nous égalera-t-il Terry Pratchett. En attendant , je vous engage à méditer sur ses paroles...
Je n'ai rien contre les vampires, mais en ce moment c'est un tel phénomène de mode que je vous conseille d'aller voir ailleurs.
Vous êtes plusieurs à avoir parlé d'excellence, et je suis sûre que vous allez donner le meilleur de vous-mêmes. J'aimerais que vous teniez l'engagement suivant ( quitte à être en retard sur les délais - quels délais? Y a des délais?): écrivez votre texte, puis laissez-le reposer pendant une semaine. Seulement ensuite, après l'avoir relu et éventuellement retouché, vous pourrez le poster. C'est fou ce qu'il se peut se passer de choses en une semaine...
Je nous accorde royalement quatre semaines (ce qui est logique), soit jusqu'au jeudi 15 décembre. Et je répète que tout le monde peut participer, débutants ou habitués, dans tous les styles et dans tous les genres.
A vos claviers ou à vos plumes, versez sans compter le sang, la sueur et les larmes, mais n'oubliez pas d'y prendre du plaisir...
Narwa Roquen, qui a invité A'Tuin à dîner. Elle ne mange pas vite, certes, mais sa sagesse est incommensurable...


  
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Réponses à ce message :
z653z  Ecrire à z653z

2011-11-18 13:38:39 

 Pas encore cette fois-ci... Détails
... déjà que je suis en retard de lectures (et plus encore de commentaires... une dizaine environ).
Et encore, j'ai abandonné les commentaires sur les autres oeuvres postées sur ce site pour ne me concentrer qu'ici et ce n'est pas forcément parce que les textes y sont plus courts.
Enfin, un grand merci à toi de tenir fermement la barre.

PS : pas mal le coup de demander des propositions pour enrichir tes prochains sujets de WA.
PPS : Elemmirë reviens tu me nous manques !

Ce message a été lu 6395 fois
Onirian  Ecrire à Onirian

2011-12-15 16:12:36 

 WA-Exercice 100 - SangDétails
Voici donc ma participation. Et une fois n'est pas coutume, je suis le seul à l'heure ! (Bon, il reste un peu de temps d'ici ce soir, et puis les délais ? Quels délais ?).
Je ne suis pas sûr d'avoir atteint l'excellence que je visais, mais je risque de ne plus pouvoir écrire beaucoup ces prochaines semaines, alors je vous livre ce texte tout de même plutôt que d'en tenter un autre qui n'aura pas le temps de mûrir suffisamment.

--

Une seconde avant ma mort


La détonation est assourdissante, un éclair et le temps s'arrête. Non, il ralenti, il s'étire, les secondes deviennent des heures, et les heures des années. Il parait que l'on voit sa vie défiler à l'instant de sa mort. Le film ne sera pas joyeux, mais il m'a amené ici, en ligne droite. Je vois la balle quitter le canon du pistolet, lentement, presque paisiblement et avec une netteté surnaturelle. Le projectile se dirige droit vers mon front, je le sais déjà. Une dernière pensée avant de mourir ? Oui, elles se bousculent. Le son de l'arme se déplie, se déploie dans les brumes du temps, devient cri langoureux à force de s’étirer : c’est une banshee qui crie mon nom.

J'ai dix ans, c'est l'hiver. Mes parents ont peur, mon grand frère aussi. Je ne comprends pas pourquoi. Ils disent que les soldats vont venir. Qu'ils sont méchants. Qu'il faut se cacher. Ma maman pleure et mon papa parle comme quand j'ai fait une très grosse bêtise. Je demande pourquoi les soldats vont venir. Mon papa dit que c'est parce qu'ils sont cruels et parce que lui n'a pas voulu être méchant comme eux, qu’il a aidé les gentils. Il me dit que les soldats tuent les gens, leur font du mal.
Je sais ce que c'est la mort, c'est comme l'oiseau qu'on a trouvé dans le jardin. Il était tout raide et ne volait plus. Mon papa voulait le jeter à la poubelle, mais j'ai dit qu'il fallait l'enterrer, que la maitresse avait expliqué ça. Mon papa avait répondu que le sol était gelé que ce serait difficile et que ce n'était qu'un oiseau. L’oiseau avait fini dans la poubelle.


La balle est argentée, striée, elle tourne sur elle-même en se rapprochant de moi. Dans mon espace-temps allongé, mes souvenirs se mêlent à mon présent. J’en suis prisonnier, tout autant que ce petit bout de métal qui s'avance. Rien ne pourra l'arrêter, et même si je peux m'imaginer mille fois sauter sur le côté, mon corps, lui, ne saurait aller plus vite que la réalité. Le monde n'est pas tout à fait immobile, je crois juste que mes pensées n'ont pas achevé leur chemin et qu'elles se dépêchent, parce que dans moins d'une seconde, même si elle me semble infinie, il sera trop tard.

J'entends les coups sur la porte. Bam bam bam. Mon papa ouvre grand les yeux, murmure « Non, pas si tôt ! ». Il claque des doigts et avec grand frère on va se cacher. C'est une bonne cachette, c'est dans un mur. Et on a un petit trou pour voir ce qui se passe. Maman nous a dit que quand on est caché là, on ne doit pas sortir et surtout il ne faut faire aucun bruit. Elle l'a dit avec une voix bizarre. Du coup, on se tait. Mais j'ai pas vraiment peur, papa nous protège.
La porte s'ouvre, et plein de gens en uniforme noir entrent. Ils disent que mon papa est un déserteur, un traitre, qu'il doit venir. Il y a des disputes mais finalement, il s'avance quand même pour partir avec eux. Un des soldats, avec une moustache noire, reste sur place, il dit qu'il y a des intérêts et qu'il irait bien se les faire payer dans la chambre avec madame. Mon papa devient furieux et lui donne un coup de poing et j'entends juste après un grand bang.


Je crois qu'il ne s'est jamais arrêté, ce bang. C'est encore lui que j'entends aujourd'hui, avec une balle qui cette fois m'est destinée. Aussi prestement que possible, dans ce monde en suspension, je tente d'ouvrir les doigts de ma main droite. La balle n’a pas encore parcouru la moitié du trajet. J'aurai préférée qu'elle se dépêche, mes souvenirs défilent malgré moi, je ne veux pas revivre la suite. Mais je sais déjà que la balle attendra aussi longtemps qu'il le faut, sans pourtant jamais cesser d'avancer vers mes cauchemars.

Papa tombe. Il y a du sang qui colorie son torse. Grand frère sort de notre cachette pour se jeter sur lui, maman hurle. Moi, je ne bouge pas, parce que je regarde les soldats, comme une photographie. Le moustachu. Celui avec une cicatrice à l'oeil, qui a tiré. Le blond qui a l'air malade. L'autre blond qui sourit. Le gros avec un cure-dent dans la bouche. Le petit qui repousse mon frère d'un geste. Celui sans cheveux qui regarde par la fenêtre. Le grand qui fait semblant de tirer sur maman et mon frère avec deux doigts de sa main. Et le méchant qui dit « Les gars, et si on jouait un peu ? ». Le méchant vient me chercher, frappant maman au passage. Il nous met tous les trois dans un coin. Les soldats rient, se moquent. Mon papa est encore par terre, plongé dans une tâche de sang qui s’étend, comme la fois ou j'ai renversé le pot de peinture verte. Je vois ses yeux grands ouverts. J'ai l'impression qu'ils rentrent dans ma tête, me disent de vivre.

Et pour le coup, j'ai survécu. Huit connards. Je leur ai fait la peau, à tous, un par un, sauf le moustachu. Celui-là, il tient le pistolet qui va me tuer. Tous pourris. Moi aussi. J’ai fait crier longtemps le méchant avant qu’il y passe. Mais c’est le moustachu qui était resté quand les autres avaient déjà tourné les talons, alors c’est lui qui reste quand les autres sont morts. Je voulais qu’il sache que son tour arrive, qu’il fasse dans son froc.
En partant avec eux, mon père savait qu’il ne survivrait pas, mais à mourir loin de nous, il nous protégeait quand même. Simplement, ma mère était jolie et ce fils de pute avait voulu la baiser. Je me demande si lui aussi, à l'instant de sa mort, verra s'approcher tout doucement les flammes de l'enfer que je lui offre, le temps de revivre sa vie au ralenti, de se poser quelques questions. Me reconnaitra-t-il ? Se souviendra-t-il de ce jour là ? Ce n'était rien pour lui, un indicent il y a dix ans. Mon seul regret sera de ne pas le voir baigner dans son sang, de ne pas contempler ses yeux vides. Et aussi de ne pas les crever pour les fermer, définitivement.

Le méchant demande à maman de choisir un de ses enfants, celui qui vivra. Elle pleure, elle gémit, elle supplie. Je crois que quelque chose est cassé en moi, parce que je suis calme. Mon frère aussi il crie, mais moi je ne dis rien. Peut-être que j'entends encore le son de l'arme qui a tué papa. Et puis il y a ses yeux qui me regardent, qui rentrent tout au fond de ma tête. Et la tâche de sang. Il se vide, mon papa. Et une langue rouge vient vers moi, elle rampe. Je sais qu'il se passe des choses tout autour. Ma maman qui hurle, un soldat qui la frappe, et qui tape mon frère aussi. Moi je regarde juste papa qui vient vers moi. Je suis assis par terre, comme on m'a jeté. Alors je tends ma main, et mon doigt touche papa. C'est chaud, poisseux. Je goûte. C'est du sang.

Du sang. Comme la déflagration qui ne s'est jamais arrêté, tout depuis a le goût de ce sang. Parfois, je mange de la viande crue parce que ça hante mon palais. Parfois, son odeur suffit à me faire vomir. Mes nuits sont peuplées de fleuves rouges dans lesquels je me noie. Et j'entends toujours des cris fantômes au loin, et des bigs bangs comme autant de fins du monde.
Pourquoi fait-on la guerre ? Pourquoi un camp plutôt qu'un autre ? Qui a raison. A dire vrai, je m'en fiche. La guerre est finie, la « paix provisoire » a été signée il y a deux ans. Les méchants ont gagné. Cela n'a pas la moindre importance. Dans ma folie, j'espère parfois qu'il existe encore des vrais gentils et qu'ils peuvent nous sauver malgré tout. Ce ne sera pas moi, et pas pour moi qui suis mort à onze ans, mais pour ces autres, les gamins qui ont un père qui ne veut pas tuer d’innocents ou une mère qui est un peu trop jolie.

Je reçois une baffe. La réalité me fait mal. J'ai papa sur l'index, sur le pouce et sur la langue. Je ne comprends pas ce qu'on veut de moi. Ma mère est effondrée, elle dit en boucle qu'elle ne peut pas choisir. Qu'ils la prennent elle, mais qu'elle ne peut pas, qu’elle ne veut pas choisir. Et là, le méchant dit qu'il a une idée, que les enfants choisiront eux même. Qu'un seul survivra. Il plante son couteau dans le sol. « Un seul survivra, s'il tue les deux autres ». La phrase est simple et compliquée en même temps. Papa me souffle à l'oreille, depuis l'intérieur de la tête, que je dois prendre le couteau. D'un coup, je comprends que je suis juste un enfant, et qu'on ne fait pas ça aux enfants, que c’est mal. Ca me met en colère. Je veux tuer les soldats. Mais je suis juste un petit garçon, et ils sont huit. Dans ma tête, papa me dit que ce n’est pas grave, parce que je connais leurs noms, il est écrit sur leurs vestes, et j'ai l'image qui est gravé dans ma tête. Papa me promet que je n’oublierai jamais.

G. Orlock, T. Durden, A. De Large, J. T. Ripper, A. Goeth, M. Bates, A. Wilkes et E.H. Humbert, alias le moustachu. Gravés dans ma tête. Une petite escouade affrétée à la récupération des déserteurs, et ceux soupçonnés de résistance. Des salopards, choisis spécialement pour ça, parce que faire savoir que les opposants ont plus à perdre que la vie en ne se pliant pas est encore ce qu'il y a de plus efficace pour limiter leur nombre.

Le couteau du soldat est planté devant moi. Je sais que je vais devoir faire mal à grand frère, et à maman, sinon c'est les soldats qui vont le faire. Ils ont tué papa. Alors je prends le couteau, je cours vers mon frère, et je lui plante dans le ventre, pour le tuer. Il est surpris, il me regarde. Il pose ses mains sur les miennes et enfonce plus fort la lame. Je vois l’instant il se transforme en mort. Lui aussi, il se répand, comme papa. Maman hurle, saute sur moi et nous arrache le couteau des mains, et elle s’ouvre le ventre aussi. Elle tombe. Mon frère et maman coulent. Alors je trempe mes doigts dans leurs fleuves rouges et je les mets à ma bouche, pour les goûter. Après, je m'allonge à côté de papa, dans son lac. Je me roule en boule pour mon dernier câlin et je ne bouge plus. Les soldats parlent, mais je ne suis plus là. Dans ma tête, toute ma famille me dit de ne plus bouger, et de ne pas pleurer, juste rester là, et d’attendre que les soldats s’en aille. Alors je ne bouge pas, je ne pleure pas et j’attends.

Pourtant, j'aurai aimé en verser des larmes. J'ai tué mon propre frère, j'aurai tué ma mère. Ca m'a sauvé la vie, ça et le fait de m'être roulé dans le sang paternel. Comme ce million d’évènements qui ne savent plus s’arrêter dans ma vie, je sens encore à la fois la chaleur de son corps quand je me suis endormi, et sa raideur à mon réveil. Et le contact du sang sur ma peau, collant, dégoutant. Un des soldats, le blond je crois, avait vomi. Je me suis fait récupérer quelques jours plus tard par un groupe de résistant, ils sont devenus ma famille, avec la vengeance en point de mire. J'ai encore le couteau, il n'y aura que le moustachu qui aura échappé à sa morsure.
Le temps accélère à nouveau, la balle perce mon front, troue mes idées noires, et mes doigts se relâchent, comme je leur avais demandé il y a une éternité. Alors que mon corps bascule dans le vide, j'entends un petit tic, presque rien, mais il fait taire tous les autres sons, les déflagrations, l'écho, les cris, les douleurs, les injustices, la peine. Pour la première fois depuis dix ans, je peux écouter le silence. Je ne tiens plus le détonateur, la bombe que je porte est activée.

J'explose.

Je suis les flammes. Je pars de tous les côtés en même temps. J'avance sur le moustachu. Dans ses yeux, je vois le temps se figer, la compréhension s’opérer, l’horreur se matérialiser. Il sait qui je suis, il a peur. Je l’avale. Je cours vers les autres soldats et je les engloutis également. Je fonds sur le Président-du-Peuple et je le fais disparaitre. Les murs ne peuvent pas me retenir, ils explosent sous ma pression, et, partout je me déploie, fleuve rouge dévastateur. Je m'étonne d'être encore conscient, et je ne cherche même plus à comprendre l’élasticité du temps. Je n'ai plus de corps, mais mon père pose pourtant sa main sur mon épaule, et ma mère est là aussi, et mon frère. Ils ne m’en veulent pas, ils savent. Alors j'enfle, je gonfle, la puissance des bombes modernes me surprend, sur deux kilomètres autour de moi il ne restera que des morts et des gravats.
Je ne sais pas s'il s'agit de justice, de vengeance, de bêtise humaine, mais au fur et à mesure de ma dilatation ma conscience s'estompe enfin, je vais pouvoir m'endormir et me laisser emporter par le grand fleuve rouge, de flammes, de sang.

--
Onirian, tempus fugit.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-12-18 20:23:21 

 WA - Participation exercice n°100 part 1/2Détails
Un hommage à Doc EE Smith et à Abraham Merritt qui ont bercé mes rêves plus d'une fois.

ah oui, j'allais oublier : il n'y aura que 2 parties, c'est promis!
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LES MOISSONS DU PARADIS



Juste par plaisir, Daam s’adosse au flanc de la gigantesque roue de la moissonneuse batteuse. Il arrache un brin de paille qu’il coince entre ses dents puis il soulève le chapeau de paille pour s’éponger le front avec son mouchoir. C’est un homme assez trapu, possédant une large carrure et des bras puissants qui sortent des manches retroussées jusqu’aux coudes. Daam est bâti comme tous les natifs des mondes ruches. Des hommes capables de lever de la fonte du matin au soir, des forçats trimant pour des consortiums lointains qui les embauchent à vil prix. Daam lève ses yeux pâles vers le ciel azuréen où flottent, nonchalants, quelques nuages cotonneux. La pensée récurrente qui lui vient à l’esprit le fait sourire malgré lui. Il se sent bien ici. Vraiment bien. L’air est pur, vivifiant et il possède la transparence du cristal. Le travail des champs est largement assisté par des machines agricoles sophistiquées et surdimensionnées. Il se croirait presque en vacances par rapport à sa vie dans l’univers confiné et irrespirable qui régnait dans l’univers moite et souterrain de la ruche sidérurgique.

Devant lui, sur une plaine silencieuse qui s’étend à perte de vue, les rangs serrés de blés mûrs moutonnent en douces ondulations. Les épis sont gorgés de soleil et ils resplendissent comme un miroir souple et doré. Leur taille majestueuse annonce une récolte fastueuse. Comme tous les précédentes. Comme toutes les suivantes. Cette terre généreuse et bienveillante prodigue ses bienfaits sans compter. Aucun parasite, aucun virus à traiter avec des produits biogénétiques. Aucune catastrophe climatique imprévue n'est venue compromettre la récolte. L’hygrométrie est absolument parfaite pour la croissance des fruits innombrables de cette terre. Non, les blés qui poussent sur son immense domaine, vaste comme une belle seigneurie sur toute autre planète, n’ont besoin d’aucun engrais synthétique et sont exempts de toute maladie. De façon naturelle, le rendement à l’hectare laisse loin derrière ceux des planétoïdes de type Dossantos aux exploitations entièrement mécanisées sous atmosphère hyper-contrôlée. Oui, cette planète est une véritable corne d’abondance, un bijou unique, la première des merveilles de l’Empire Stellaire des Hommes. D’ailleurs, ceux-ci ne sont pas trompés. Ils l’ont baptisée Paraiso, le paradis, et elle mérite amplement son nom.

Daam se souvient du jour où il avait débarqué, le coeur gonflé d’allégresse, un gros sac de marin à l’épaule pour tout bagage et des projets pleins la tête. Vee, son épouse, se cramponnait doucement à son autre bras, impressionnée par le gigantisme de l’architecture du hall d’accueil. En forme de dôme, il abrite le berceau planétaire de l’ascenseur des étoiles qui relie la surface à la station orbitale où s’est arrimé le Charron, le cargo interstellaire. Smederij, la planète sidérurgique qui les avait vus naître, était désormais éloignée de quelques dizaines de milliers d’années-lumière. Un saut de puce à l’échelle de l’Univers mais, malgré l’hyper-propulsion NYLDE (*) et les générateurs de champs Calabi-Yau, une telle distance demeure une véritable odyssée. Plus encore pour Daam et Vee qui ont toujours su qu’il s’agissait d’un voyage sans retour. Non qu’il soit techniquement impossible mais son prix est tout simplement hors de leur portée. Il leur faudrait amasser une telle fortune pour le payer qu’ils ont préféré ne plus jamais y songer. Mais qui serait assez fou pour renoncer au Paradis ?

Daam et Vee Cruzaway avaient dormi la plupart du temps qu’avait duré la traversée. Ils avaient été tirés de leur léthargie uniquement quatre petits mois, à l’occasion des interruptions programmées du processus cryogénique. Mais sur leur monde d’origine, plusieurs siècles s’étaient déjà écoulés depuis leur départ. Tous leurs amis et connaissances avaient disparu depuis longtemps.

Lors des trop brèves périodes d’éveil, il leur avait été expressément interdit de quitter les quartiers assignés aux passagers. Ils l’auraient voulu qu’ils ne l’auraient pu. D’épaisses parois infranchissables les séparaient des quartiers de l’équipage qui, en silence, vaquait à de mystérieuses occupations.

Ce superbe isolement, érigé en dogme, avait d’ailleurs enfanté une multitude de légendes spatiales que la Guilde des Mariniers ne se donnait jamais la peine de démentir. Il était cependant exact qu’aucun « superficiel » (c’est ainsi que les marins de l’espace désignaient tous ceux qui vivaient à la surface) ne savait à quoi ressemblait un Enfant des Profondeurs! Cela laissait pas mal de place à l’imagination débridée des piliers de bars et des romanciers.

Daam ouvre un petit compartiment réfrigéré aménagé à hauteur d’homme dans le flanc de la gigantesque machine agricole. Il extirpe un quart en alu qu’il porte à sa bouche pour boire une longue rasade d’une eau claire et désaltérante. Avec le reste, il s’asperge abondamment le visage. Une agréable fraîcheur ruisselle sur ses joues et son front. Il replace le gobelet dans le compartiment où il sera à nouveau rempli avant longtemps. Il consulte son chronographe. Il est l’heure.

Il grimpe dans l’habitacle et met en route les turbines. D’abord, dans un chuintement de vérins hydrauliques, l’habitacle s’élève doucement jusqu’à dominer le paysage à plus de sept mètres de hauteur pour s’arrimer à la proue aérienne de la moissonneuse-batteuse. Puis, automatiquement, le lourd engin se positionne sur la bonne trajectoire grâce aux dispositifs de géolocalisation assistés par satellite. Malgré un poids qui frôle les deux cents tonnes à vide, le double en charge, sa manoeuvrabilité est exemplaire et sa vitesse, en configuration opérationnelle, peut dépasser aisément les cent kilomètres à l’heure sans perte de productivité. Il tracte sans effort plusieurs remorques spécialisées qui conditionnent les grains dès leur moisson selon leur destination finale. A sa droite et à sa gauche, d’autres massives silhouettes mécaniques s’ébranlent également. Daam se tient au centre d’une ligne qui comprend un millier de moissonneuses-batteuses identiques à la sienne, progressant à l’unisson et asservies par liaison synaptique déportée. Cinq cents sur sa droite et cinq cents sur sa gauche. C’est un spectacle grandiose et magnifique qu’il dirige presque sans effort, juste avec un joystick et un câble neuronal. Il chevauche un monstre de fer qui déploie ses ailes sur plus de quinze kilomètres d’envergure et sur huit mètres de hauteur, avalant goulûment les tendres épis sans répit. Dans leur sillage, une multitude d’autres machines, plus petites, s’affairent à nettoyer le terrain des sous-produits et des rebuts rejetés par les moissonneuses. Compte-tenu de la superficie à moissonner, il n’en faut pas moins pour garantir que la récolte soit effectuée dans le délai imparti.

Daam est très fier de ses machines. Elles font partie de la tenure qui lui a été octroyée à son arrivée et qui s’étend sur plusieurs dizaines de milliers d’hectares. Mais son domaine, aussi vaste soit-il, est à la dimension de la planète géante dont le rayon équatorial mesure près de cent cinquante mille kilomètres. Il est vingt cinq fois supérieur à celui de l’antique Terra, le berceau de l’Humanité, aujourd’hui inscrite au patrimoine universel de l’Empire et dont les travaux de restauration sont loin d’être achevés. Ainsi la surface de Paraiso représente près de 283 milliards de kilomètres carrés, 554 fois celle de la vieille Terra et plus de quatre fois celle de la plus grande planète du système solaire originel, Jupiter. Daam respire à pleins poumons. Oui, Paraiso est véritablement l’Eden retrouvé.

Pourtant, sa découverte par une expédition scientifique impériale a été la somme improbable d’une succession de hasards heureux : un dysfonctionnement non référencé du champ Calabi-Yau tardivement détecté, une tempête stellaire inopportune d’une magnitude exceptionnelle qui a faussé les mesures et a induit en erreur les sous-systèmes externes de navigation, un commandant particulièrement entêté et téméraire qui n’a pas hésité à enfreindre un bon nombre de procédures du Codex Navigo sans compter les errements coupables d’un jeune astropathe amoureux, plus une dizaine d’autres facteurs totalement imprévisibles. L’expression théâtrale de l’emblématique théorie du Chaos créationniste en quelque sorte.

Daam n’a pas reçu la formation requise pour comprendre la curieuse mécanique cosmique qui permet à cette planète de bénéficier d’une gravité très proche de celle de la Terre et de posséder une atmosphère étonnamment respirable. Il ignore également pourquoi sa révolution complexe autour et entre deux étoiles singulières lui octroie une rotation synodique proche de 24 heures et des amplitudes saisonnières idéales pour la culture de toutes les variétés de plantes introduites par l’homme. Si son jour est d’une valeur presque standard, l’année paraisienne en compte cependant neuf cent quatre vingt deux. En fait, il ne cherche pas à en chercher les raisons scientifiques. Il a été sélectionné pour faire partie d’un des contingents d’aspirants agriculteurs, régulièrement recrutés pour parfaire la colonisation de Paraiso.

Malgré la distance et le coût de transport, les fabuleuses productions céréalières, arboricoles ou viticoles de Paraiso s’arrachent, à des prix imbattables, sur tous les marchés de l’Empire qu’elles inondent à flux continu. Par contre Daam n’a aucune chance de croiser le moindre éleveur. Les animaux sont libres au Paradis. C’est comme ça. Aucune explication ne lui a été fournie. Il n’a pas posé de question non plus, se contentant de signer les formulaires administratifs tendus par les fonctionnaires planétaires polis, aimables et souriants.

Daam est confortablement installé dans le fauteuil anatomique de la cabine qui surplombe l’immense champ que seul l’horizon limite d’un trait absolument rectiligne. La courbure de Paraiso est imperceptible pour des yeux humains à cette altitude. La journée s’écoule lentement vers le crépuscule qui commence à teinter la lumière d’un ton très légèrement boisé, comme filtrée par un invisible feuillage. Les nuages se sont dispersés au-dessus de sa tête et l’atmosphère est d’une limpidité stupéfiante. Daam aime particulièrement ce moment où les quatre lunes-satellites de Paraiso, chacune plus grosse que Terra, se lèvent au-dessus de l’horizon. La deuxième, Aramis, abrite une des plus importantes bases de la sixième légion, celle du Temple, qui veille à la sécurité de la planète, la protégeant des pirates et faisant la chasse aux contrebandiers et aux trafiquants de tous poils. Quelquefois Daam assiste au ballet assourdissant des flèches d’argent liquide qui strient le ciel à toute vitesse, laissant des traînées blanches derrière elles.

Mais ni la redoutable Templum Légio, celle des Templiers, ni aucune des autres légions jupitériennes qui forment le fer de lance invincible des armées impériales, n’a planté son Aigle impériale dans le sol insoumis de l’hypermonde. Aucune arme létale n’y est tolérée et aucun crime n’y a jamais été commis par un de ses colons. La violence est toujours importée. C’est ainsi que va la vie au Paradis.

Il ne regrette pas un seul instant son existence antérieure et même si la nuit il ne reconnaît pas encore toutes les étoiles qui brillent au firmament, il se sent définitivement chez lui. Plus encore depuis près de neuf mois quand Vee lui a confié tout bas, dans l’intimité du lit conjugal, que le test de grossesse s’est avéré enfin positif. Elle attend un enfant. Un enfant ! Sa naissance coïncide en plus avec le premier anniversaire de leur arrivée sur Paraiso et marque également la fin de la moisson. La troisième déjà. Il voit dans cette conjonction un signe du destin, un heureux présage pour leur avenir. Oui, elle est enfin là, cette vie désirée qui le fuyait jusque dans ses rêves quand il s’effondrait, épuisé après douze heures de poste devant le haut-fourneau, sur le lit du petit studio coincé au quatre-cent-vingtième sous-sol des profondeurs métalliques.

A cette pensée, Daam est pris d’un agréable frisson. La vie avait été dure au sein de la ruche, pénible et obstinément misérable. Jusqu’au jour où il avait déposé sa candidature pour migrer vers Paraiso. Comme d’autres jouent à la loterie. Comme d’autres, il en avait connus, s’étaient tirés une balle dans la tête. Comme d’autres s’étaient précipités dans les creusets où se déversaient les rivières infernales vomies par les hauts-fourneaux. Il n’avait rien dit à Vee, n’osant affronter ce regard interrogatif qu’elle lui adressait chaque fois qu’elle ne le comprenait pas. Lorsqu’ ils l’avaient appelé, au début il ne les avait pas crus. Mais l’impensable s’était produit. Il avait été tiré au sort. Une chance sur des millions. Bien entendu, rien n’avait été encore joué. Vee avait été heureusement surprise mais lui avait conseillé de garder la tête froide. Ils devaient passer les épreuves de sélection. A peine une poignée de lauréats décrocherait au bout du compte un billet pour le paradis. Certes, une poignée pour Smederij mais l’Empire comptait tant et tant de mondes !

Et puis la sélection qu’ils avaient tellement redoutée, s’était déroulée presque comme une formalité. Une goutte de sang, quelques autres prélèvements, des tests psychophysiques et un entretien assez long avec un psyborg, un de ces étranges et intimidants hybrides, mi-humain mi-machine, doué de prodigieuses facultés psy. Le tout avait été bouclé en moins de huit heures, y compris les attentes entre les différents examens. Ils avaient ensuite patienté plusieurs semaines. Quand ils avaient enfin reçu la notification officielle que leur candidature avait été retenue, c’était comme une seconde naissance. Une seconde chance inespérée leur était offerte. Un nouveau départ avec des cartes plus favorables. Ils avaient organisé une fête inoubliable, dépensant jusqu’à leur dernier crédit puisque, désormais, tous leurs besoins seraient pris en charge par Daim Ether Limited, le puissant conglomérat impérial gérant, au nom de l’Empereur, les droits d’exploitation de Paraiso. La nuit avait été trop courte ! Au petit matin, au milieu des cotillons et des confettis qui jonchaient le lino de la salle déserte, Daam avait alors enlacé Vee. Il l’avait longuement embrassée au centre de la piste de danse. Quand les employés s'étaient présentés pour nettoyer les lieux, ils s’étaient arrêtés, interdits, respectant spontanément ce moment de grâce et n’osant briser le charme. Puis quelqu’un avait discrètement toussoté. Daam leur avait souri. Vee leur avait souri. Et ils s’étaient éloignés lentement toujours enlacés.

A présent la lumière rasante de Rémus, l’astre diurne couchant, se mêle à celles des quatre lunes montantes, globes marmoréens qui s’enhardissent au fur et à mesure qu’ils escaladent le ciel. Ils sont si proches que Daam peut discerner à l‘oeil nu leur relief tourmenté et les aplats multicolores des anneaux qui ceignent les deux plus lointains, Athos et Porthos. Sur l’écran principal de l’habitacle, la ligne des moissonneuses-batteuses a presque rejoint le môle numéro B-15. C’est un terminal de béton à demi-enterré, en forme de Y. Il possède sur ses trois branches suffisamment de bouches de chargement pour accueillir la flottille de moissonneuses-batteuses géantes et transvaser sa cargaison de grains. Ces môles enfouis parsèment le domaine Daam, stratégiquement disposés afin de lui offrir une autonomie suffisante pour une journée de labeur. Des canalisations souterraines dirigent ensuite à très haute vitesse la moisson du jour vers les silos de stockage de la coopérative agricole située à plusieurs centaines de kilomètres de là. Daam surveille attentivement les délicates manoeuvres d’accostage pendant lesquelles les perches de déchargement, qui se tendent à l’avant des machines agricoles, se connectent aux bouches de chargement ouvertes en corolle. Un grondement sourd et trépidant accompagne le déversement sous pression des dizaines de milliers de tonnes de blé emmagasinées dans le ventre des monstres.

Moins de cinq minutes après, tout est terminé. Les moteurs se taisent et la journée de travail prend fin. Il s’étire longuement, faisant craquer ses articulations. Il compose une dernière séquence qui programme les opérations de vérification et d’entretien de sa flottille pour l’hibernation. Car aujourd’hui est une journée particulière pour lui et des dizaines de milliers d’autres cultivateurs céréaliers. La dernière journée des moissons. Et ce secteur n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des terres arables de Paraiso. Les quantités en jeu sont tellement inconcevables pour l’esprit humain que seul le réseau des assistants cybernétiques des coopératives agricoles peut les manipuler sans risque d’erreur. Il calcule en temps réel les revenus retirés des moissons engrangées. Les fermiers n’en encaisseront qu’une infime partie après que les autorités planétaires et les représentants de Daim Ether aient prélevé le loyer de la tenure et l’amortissement des investissements productifs, majorés d’une confortable marge. C’est stipulé dans le contrat.

Daam exerce une pression sur une surface sensible. Des claquements secs lui indiquent que la cabine se libère des attaches électromagnétiques qui la maintiennent en place sur la moissonneuse, se muant en module autonome de transport à propulsion chimique. Le ciel se rue vers Daam tandis que deux ailerons se déploient sur les flancs du petit véhicule qui ressemble à un gros insecte, pour assurer sa portance. La ferme est à quelques minutes de vol, à moins de deux cents kilomètres.

Au-dessus de la verrière, les lunes ascendantes flottent sur la voûte étoilée. Le spectacle est à la fois grandiose et dérangeant. Dans cette atmosphère si translucide qu’elle en paraît invisible, les quatre énormes globes semblent en effet suspendus dans le vide, prêts à dégringoler sur lui. Daam soupire de satisfaction. Il rentre à la maison. Il pense à Vee qui l’attend sur la véranda. Elle aura installé sur la table un grand verre de citronnade préparée avec de véritables citrons. Des citrons du paradis achetés au magasin général de la coopérative fédérale qui offre tout ce qui est produit sur Paraiso. Il rentrera juste à temps pour contempler, près de Vee, le ballet des étoiles filantes qui va illuminer le ciel. Il se laissera doucement bercer par le lent balancement du rocking-chair. Le servopilote s’occupant des paramètres du vol, ses pensées s’enfuient encore.

O O O


« Vous allez adorer ! »

La voix de Verne, la chargée de mission économique s’élève sans peine au-dessus du léger sifflement du moteur. La navette file sur le ruban de gazon qui délimite la voie automatique. Daam suit du regard le filament argenté qui court sous l’herbe tondue et que longe invariablement le véhicule. C’est un fil d’Ariane, a expliqué leur accompagnatrice, une liaison sans contact alimentant en énergie les batteries de la navette. Simple et efficace. Verne a pris en charge Daam et Vee dès leur sortie des bâtiments des autorités planétaires situés en périphérie de Terminal City, ainsi que plusieurs autres couples débarqués également du Charron. C’est une femme sans âge, aux traits lisses et réguliers, presque trop, qui coiffe ses cheveux de façon très élaborée. Daam l’a d’abord soupçonnée d’être un cyborg mais sa nuque est vierge de tout tatouage. Elle s’est présentée à eux comme une contractuelle du gouvernement planétaire. Elle a signé un contrat-type de six ans terriens, soit à peu près deux années paraisiennes. C’est amplement suffisant pour qu’elle puisse tenter sa chance sur un monde plus central. Elle a déjà effectué la moitié de son séjour. Elle aime son travail sur Paraiso évidemment. Qui n’aimerait pas travailler au Paradis ? La paie est bonne et les ennuis limités.

Elle trouve gratifiant de s’occuper des nouveaux arrivants et de les accompagner dans leurs premiers pas sur ce monde enchanteur. Daam trouve rapidement qu’elle parle beaucoup. Mais Vee boit littéralement ses paroles. Sur Smederij les fonctionnaires étaient tous plus ou moins appointés par la police secrète et ils étaient nettement moins sympathiques.

« Vous êtes légalement locataires de la tenure qui vous a été attribuée, lance Verne. Vous avez bien compris ce qu’était une tenure ? »

Tous opinent du chef.

La tenure peut être comparée à un affermage. Le Conglomérat Impérial est le propriétaire foncier de la planète toute entière. Au terme d’un contrat, il confie à un fermier la jouissance d’une parcelle de terre. Les revenus de l’exploitation sont versés au fermier après déduction d’un loyer indexé, de l’amortissement des investissements de production et de la marge du concédant. Le reliquat est modeste mais Daam n’a pas été attiré par l’appât du gain. Il se moque de ne pas devenir riche. Il est venu ici parce qu’il recherche liberté et tranquillité. Pratiquement tous ceux à qui il a pu parler durant le voyage lui ont fait à peu près la même réponse.

« Bien ! reprend Verne. On vous a dit aussi que votre domaine fait partie des derniers lots viabilisés. Paraiso aujourd’hui compte plus de quatre cents millions de colons mais à l’échelle de la planète, ce nombre est tout simplement dérisoire. Il se passera encore de très nombreux siècles paraisiens avant que cela change significativement! Vos haciendas sont toutes neuves. Leur construction vient juste d’être achevée. Vous verrez, elles vous plairont. Elles plaisent énormément. Vous avez bien lu les conditions particulières qui figurent dans les annexes ? »

Les annexes au contrat représentent plus de quatre-vingts pages couvertes de minuscules caractères. Ils ont tous acquiescé docilement, comme de braves élèves voulant s’attirer les bonnes grâces de leur maîtresse. Mais leurs regards s’éparpillent comme une nuée de moineaux. Personne n’ose soutenir ceux de l’accompagnatrice.

« Oui, vous avez raison, poursuit Verne, pas du tout désarçonnée par le mutisme poli de ses protégés. Les juristes adorent ce qui est épais et plus encore quand c’est écrit très petit. Quoiqu’il en soit, vous y trouverez tout ce que vous pouvez et ne pouvez pas faire. Lisez-les attentivement et en cas de doute, vous avez mes coordonnées. N’hésitez pas ! Mais bon, ne vous mettez pas martel en tête ! Il n’y a rien de vraiment de compliqué ou d’ambigu ! La plupart du temps c’est juste une affaire de bon sens. J’ajouterais, de bon sens terrien, à présent que vous êtes tous de véritables fermiers !»

Daam s’enfonce dans le moelleux de la banquette, laissant les autres échanger leurs premières impressions. Il se met à regarder distraitement le paysage qui défile au-delà du champ de force enfermant la navette dans une bulle de quiétude confortable. L’horizon défie les perspectives. Daam ne parvient pas déterminer où se situe cette ligne de démarcation. A cause des proportions de la planète. Malgré la vélocité de la navette, qui approche les mille kilomètres à l’heure, le paysage semble bouger au ralenti. Tout sur Paraiso est différent. Il faudra acquérir d’autres systèmes de références, leur a dit Nerve. Il faut juste laisser du temps au temps.

Peu à peu la navette s’est vidée. Maintenant il ne reste plus que Daam et Vee. Leur domaine est le plus éloigné de la coopérative fédérale du secteur. Daam a apprécié. Vee moins. Elle babille sans relâche avec Nerve qui jamais ne semble s’ennuyer, répondant toujours avec la même conviction, même si c’est la centième fois sans doute qu’elle répond à certaines questions. Nerve est très professionnelle. Daam lui reconnaît cette qualité.

Leur conversation plonge Daam dans une somnolence rêveuse. Le temps passe et ils finissent par se retrouver au bout de la route herbeuse, devant une construction élégante, aux murs blanchis à la chaux. Ils descendent de la navette

Une hacienda, a dit Verne, est un mot provenant d’une langue ancienne qui désignait une exploitation agricole. Elle a tout de suite coupé court aux questions en précisant qu’il y a en fait très peu de rapport avec celles de Paraiso et qu’elle ignore les raisons pour lesquelles on les a appelées ainsi. Celle des Cruzaway est strictement identique aux précédentes. Un corps principal sur deux niveaux avec une belle véranda à colonnade donnant sur un patio gazonné. En son milieu, une fontaine majestueuse de marbre blanc domine un grand bassin circulaire. La fontaine est composée d’un groupe statuaire monumental. Deux imposantes formes masculines à demi-nues, aux muscles bandés et saillants, à la posture belliqueuse, se font face. Celui de gauche, aux traits nobles et sévères, se protège derrière un lourd bouclier échancré d’où il pointe une longue sarisse. Celui de droite, au faciès inquiétant d’une créature marine chimérique, écarte d’une main la longue lance tandis que son autre bras s’enfonce jusqu’au coude dans le roc qui se dresse à côté. Bien qu’il soit armé, le personnage de gauche semble plus en danger que son adversaire. Ils luttent aux pieds d’une étrange nymphe dénudée, aux longs cheveux, agenouillée au bord d’une conque d’où jaillit un large et puissant rideau d’eau qui plonge dans le bassin. Le visage de la nymphe est caché par sa chevelure tombante. Son ventre est arrondi et ses seins sont lourds. L’eau ruisselle sur les deux combattants et il semble que c’est la nymphe qui pleure sur eux.

« Elle est enceinte ? » avait demandé Vee, lorsqu’elle avait vu pour la première fois la fontaine.

Verne s’était arrêtée de discuter avec les locataires des lieux, un couple originaire d’une planète reculée, faite de sable et de monstres, et s’était retournée vers Vee en souriant.

« Le sculpteur s’appelait Bocielli et il vivait sur Lyre, un monde aux falaises vertigineuses et aux océans insondables. Une planète peuplée de chanteurs, de danseurs et de sculpteurs dont la renommée était immense et pas uniquement dans le bras intérieur de la galaxie du Centaure. Le concours de sculpture pour la fontaine de Paraiso avait attiré les plus grands artistes de l’empire. Il parait même que plusieurs habitaient la Terre ! Mais quand le jury impérial a examiné les créations holographiques des projets sélectionnés par leurs homologues planétaires, il a été subjugué par l'oeuvre que vous voyez devant vous. Pour les grands juges impériaux, elle symbolisait parfaitement le thème du concours. Le jury comprenait cent quarante quatre membres et Bocielli a recueilli cent quarante quatre voix. La bourse promise au vainqueur s’élevait à plusieurs millions de crédits sans parler de la confortable rente à vie promise par le Conglomérat. »

Tout le groupe s’était rassemblé autour de Verne, tenu en haleine par son récit. Vraiment professionnelle, avait à nouveau pensé Daam.

« Mais l’artiste n’a jamais su qu’il avait remporté le concours. La veille de la décision du jury impérial, il s’était jeté de la plus haute falaise de son monde et les abysses s’étaient refermés sur lui. Son corps n’a jamais été retrouvé malgré les recherches immédiatement organisées. Il a laissé derrière lui quelques mots incompréhensibles griffonnés sur une page déchirée de son carnet de croquis. Il était sans doute en proie à un violent délire psychotique provoqué par les effets indésirables de substances hallucinogènes dont il abusait, une pratique malheureusement assez courante sur sa planète. Malgré cela, son oeuvre a été sélectionnée. Car l’oeuvre n’est pas l’artiste n’est-ce pas ? Cette fontaine est en effet admirable en tous points. Ses proportions sont idéales et la confrontation entre les forces du bien et celles du mal est tellement fascinante. C’est le combat éternel que mène l’humanité depuis qu’elle a émergé des boues originelles ! Et cette femme, oui Vee, cette femme est bien enceinte. Elle porte en elle l’enfant qu’elle a tant désiré, peut-être est-il le Fils de l’Homme qu’attend l’Empire en soupirant. Peut-être n’est-il simplement que la promesse de la vie qui toujours se renouvelle sur les mondes que conquiert l’homme dans son expansion infinie ! Beaucoup de théories ont été avancées pour tenter d’expliquer cette fontaine. Moi, je pense qu’il s’agit de la vision intime d’un artiste au talent unique. Alors pourquoi aller chercher midi à quatorze heures ? C’est juste une magnifique fontaine ! »

- Est-ce que vous savez quels étaient les derniers mots du sculpteur ? a demandé encore Vee.

- Attendez, si ma mémoire est bonne, c’était : « J’ai ouvert le livre de la prostituée qui a osé me parler ! Malheur à nous ! » L’expression du délire maquillée sous un fard artistique ! Bon, voilà que je nous mets en retard. Il faut presser le pas. Le jour ne dure que vingt-quatre heures sur Paraiso et il me reste encore neuf installations après celle-là !»

A présent, Daam éprouve une curieuse impression de familiarité, comme s’il revenait chez lui après un long voyage. Un si long voyage qu’il en avait oublié l’endroit d’où il venait. Son passé. C’est ça, il rentre à la maison. La planète ruche s’estompe rapidement dans ses souvenirs. C’est une vie qui n’a jamais été véritablement la sienne. Une existence secondaire et éphémère. Sa vraie vie s’étend sous ses yeux et il redécouvre la beauté des lignes architecturales qui caractérisent l’hacienda, la fluidité austère et la force simple et inébranlable qui s’en dégagent. Ils sont enfin de retour. A ses côtés, Vee ressent visiblement la même chose, renforçant le sentiment d’appartenance qui éclot en lui sans qu’il ne le remette en question une seule seconde. Même quand une toute petite voix, réfractaire à la béatitude qui l’envahit, tente de se faire entendre. Il la bâillonne sans l’ombre d’un remords. On ne refuse pas le bonheur quand il frappe à la porte. Et le bonheur est là, immédiatement reconnaissable et rassurant. Daam et Vee n’ont aucun mal à se repérer dans les pièces qui composent le rez-de-chaussée de leur demeure. La cuisine et le séjour, les chambres et la salle d’eau, le cellier et les dressings. Verne attend sur le seuil, un léger sourire flottant sur ses lèvres. Elle les observe reprendre leurs marques sans difficulté. Pour elle, c’est un spectacle banal et pourtant chaque fois émouvant. L’imprégnation des nouveaux arrivants est sans faille. Les balises psychiques se réveillent une à une, euphorisantes et immédiatement opérationnelles. Verne n’a pas besoin de préparer la réponse à la question qu’ils vont poser devant l’escalier aux larges marches qui monte au premier étage. C’est Daam qui s’adresse à elle :

«J’imagine que la chambre du premier est toujours condamnée ? dit-il, articulant les mots de façon machinale.

-Bien sûr. C’est la seule restriction qui vous est imposée. Vous ne pouvez pas entrer dans la chambre. Elle est verrouillée. Si vous y pénétrez, le contrat sera résilié sur le champ et vous serez renvoyés à jamais de Paraiso, sans indemnité et sans délai ! »

Daam frémit. Etre expulsé de chez soi ? Impossible ! Il sait qu’il respectera l’interdiction. Il ne prête aucune attention à la petite voix qui chuchote dans le noir. Qui serait assez fou pour risquer d’être chassé du Paradis ? A ses côtés, Vee ouvre de grands yeux et se tasse sous cette menace voilée. Elle non plus. Elle sera heureuse à nouveau. Elle sentira la vie croître en elle. Son ventre portera le fils de Daam.

«Voilà, je vous ai remis les clés de votre domaine et vous avez les codes d’accès de la Borne et ceux qui commandent les domestiques. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne installation. Je repars, j’ai encore beaucoup d’autres migrants à accueillir. Ils attendent toujours à Terminal City. Au revoir ! »

Debout sur le perron de l’hacienda, ils la regardent contourner la fontaine et disparaître sous le porche aménagé dans l’enceinte de la propriété. Ils ne peuvent voir le sourire qui continue de flotter sur ses lèvres quand elle ouvre une liaison vers le Centre de Contrôle Général de Terminal City. Ses jolies lèvres ne bougent pas quand elle fait son rapport journalier. D’ailleurs aucun son ne sort de sa bouche parfaite. Les androïdes de Paraiso n’ont pas besoin de vocaliser. Pas plus qu’ils ne portent le tatouage réglementaire sur la nuque. Ce tatouage que la loi impériale impose pourtant sur tous les autres mondes sous peine de retrait immédiat. Mais au Paradis, les robots ne sont pas admis !

O O O



(*) : NYLDE : Now you loose dear Einstein.

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-12-21 23:00:15 

 WA n°100, participationDétails
NOUS SOMMES DU MEME SANG, VOUS ET MOI



C’est l’heure du soir, orgueil et pouvoir
A la serre, le croc et l’ongle.
Nous entendez-vous ? Bonne chasse à tous
Qui gardez la Loi de la Jungle !
R. Kipling




Que faut-il pour faire un Homme ? Un nom, un rire, une image de soi, une conscience ? Les philosophes, depuis qu’ils existent, se sont étripés à ce sujet comme des coqs combattants. Et la Justice, et la Morale... Et le Sens de la Vie... Mais la vie ne se pose pas de questions. Elle est parfois injuste, excessive et tortionnaire, en un mot inhumaine. Et le pire, c’est qu’elle n’a jamais de remords. Il est dit que ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Mais quelquefois, ce qui ne vous rend pas plus fort vous tue. Et la vie s’en fiche.
Entre espoir et désespoir, ainsi oscillent les humains, vains pendules qui s’imaginent être les maîtres de leur destin.



Une



C’était il y a très longtemps. Sans doute au commencement de quelque chose ou de quelqu’un. Peut-être les deux.
En ce temps-là la magie ne faisait que balbutier ses gammes et les dragons ne savaient pas encore voler. Les chevaux étaient de gros chiens hirsutes et patauds, et des lunes fragiles clignotaient fébrilement dans un ciel hagard avant de s’éteindre dans un fracas de vaisselle brisée – ou de déraillement de train, ou d’attentat à la bombe dans le métro, ou de tremblement de terre dans la ville la plus peuplée du monde.
Bref, Ca se cherchait. Et comme toujours la violence est la première réponse. Celle qu’on regrette quand il est déjà trop tard. Ou dans laquelle on persévère parce que de toute façon il est déjà trop tard.
Mais qui a dit qu’il était trop tard ?
Un oiseau qui chante, une aube lumineuse, le sourire d’un passant, et tout peut basculer dans la douceur. A moins que la violence ne devienne encore plus sauvage, parce que le goût du sang est incomparable et que le vertige du mal est une drogue dure. Mais au plus profond de la plus noire des barbaries, une circonstance, une coïncidence, une occasion... La vie a aussi ses heures de gloire.


C’était un monde hostile qui n’avait pas de nom. Qui n’aurait pu être nommé puisque les créatures qui le peuplaient n’avaient pour tout langage que des borborygmes incertains et des hurlements viscéraux. Elle n’avait pas de nom. Elle n’aurait même pas pu concevoir qu’un nom pût exister. Elle marchait sur ses deux jambes, se méfiait des prédateurs à quatre pattes et dévorait la chair de ses proies de ses quelques dents encore saines. C’était avant le feu. C’était avant l’Histoire. Quand le soleil était un monstre et la nuit une malédiction. Quand la terre était dangereuse et le ciel porteur de menaces volantes. Quand l’eau pouvait tuer ou guérir à son gré. Quand l’instinct était la seule raison et la seule chance de survie. Quand survivre n’avait pas plus de sens que mourir, à part la conviction profonde que c’était mieux. Car la vie est aussi injuste qu’obstinée.
Elle vivait au sein d’une horde – personne ne pouvait survivre seul. La chaleur se partageait la nuit et se fuyait le jour. Les mâles saillissaient les femelles, et les créatures grouillantes qui voyaient le jour étaient portées et nourries un certain temps – ou abandonnées à d’autres chasseurs, ou dévorées par le groupe si la faim réclamait son dû. Les notions d’attachement, de responsabilité ou de sollicitude étaient aussi absconses que celle, plus tardive, d’un homme politique honnête. Parfois la survie de l’espèce prenait le pas sur celle de l’individu, et le petit devenait adulte. Parfois non. Il y avait sûrement des tempéraments plus affables et d’autres plus teigneux. Aucune étude, faute de données, n’a pu certifier quel comportement induisait une plus grande longévité. Peut-être qu’un Etre Suprême jouait aux dés le destin des vivants en épiloguant sur l’évolution des espèces. Ou peut-être la seule force agissante était-elle le hasard, que certains ont baptisé du nom de Dieu, pour qu’il soit à leur image.
Ca s’est passé un jour où le soleil brillait, dans une région de volcans à peine éteints et de torrents tempétueux. Elle avait faim. A quatre pattes dans l’herbe haute, Elle cherchait un mulot, un ver de terre, un insecte, quelque chose qui calmerait la tension douloureuse de son ventre. Ses doigts agrippèrent une pierre plate. C’était noir et ça brillait au soleil. Ca ne se mangeait pas. Elle aurait pu jeter la chose au loin. Mais Elle frotta la surface poussiéreuse dans l’herbe sèche, et porta l’objet à hauteur de son visage. Elle s’étrangla de surprise mais ne cria pas. Les grands prédateurs peuvent hurler, rien ne les menace. Pour les autres, le silence est une sécurité. Elle lâcha la pierre, regarda autour d’Elle, devant, derrière. Il n’y avait personne. La horde était occupée à se battre autour d’un arbre aux petits fruits jaunes, et Elle ne faisait pas le poids. Elle reprit l’objet mystérieux dans sa main, précautionneusement. Le retourna. Le regarda encore. Il y avait une tête de femelle dans cette pierre. Qui parfois se cachait puis réapparaissait. Cette créature avait l’air surprise mais pas hostile. Est-ce qu’elle pourrait l’aider à chasser ? Elle tourna la face polie vers le sol et juste à cet instant une petite souris grise sortit de son trou. Elle la happa au vol et sa nouvelle alliée écrasa la tête de l’animal. Vite, Elle engloutit sa proie et jeta ensuite un regard inquiet vers la pierre, s’attendant à une expression de colère ou de dépit. Pas du tout ! La femelle avait l’air contente ! Une sorte de gloussement satisfait sortit de sa gorge. Malheureusement le bruit attira une autre femelle de la horde, une dominante agressive qui lui arracha sa précieuse trouvaille. Furieuse, Elle la suivit. La voleuse, sûre de son impunité, s’accroupit pour mieux observer sa prise. Et par-dessus son épaule, Elle vit dans la pierre un visage qui ressemblait à celui de la dominante. Trahison ! Injustice ! Colère, rébellion ! Il existe un point de non-retour où le dominé ne peut plus se soumettre, quitte à risquer sa vie. Serrant le poing, elle recula l’épaule, les jambes fléchies ancrées dans le sol. Et dans un cri de rage...



Deux



En ce temps-là la magie est au faîte de sa puissance, et si elle contrôle le monde, elle le fait de manière obscure et insidieuse. Les Mages ne sont pas des Guerriers. Laisser les autres s’entretuer à leur place et en recueillir les fruits, c’est beaucoup mois dangereux et beaucoup plus jouissif : exercer le pouvoir absolu dans la plus grande discrétion, manipuler les oracles, berner les pauvres comme les Rois... Quel besoin d’être reconnu, d’être acclamé, quand l’ombre même garantit votre sécurité ?
Chaque être et chaque chose ont ici deux noms : un nom d’usage et un nom secret, que seuls connaissent les Lunaires, ces Sorciers adorateurs de la grosse Lune unique qui brille jour et nuit sous les feux croisés des deux soleils. En ce temps-là existe la parole, et donc la promesse, la dissimulation et le mensonge. Ca s’est trouvé, et pas de la meilleure manière. La violence est toujours la première réponse – qui a dit que le langage permettait la négociation ? Il y a des chansons, des poèmes et des légendes. Mais toujours la guerre, l’ambition et le goût du sang. Le vertige, aussi.


La princesse Syrta entre dans la Grande Salle du Trône, encore vêtue de ses habits de voyage couverts de poussière, son pas léger et dansant résonnant comme une fête sur les grandes dalles de marbre noir. L’éclat des trois cents torches fait briller sa chevelure blonde comme les deux soleils réunis et la Cour tout entière, avec les membres du Conseil au premier rang, est parcourue d’un murmure d’admiration sincère. Derrière elle marche Messire Grench, le plus vieux des chevaliers, sa seule escorte pendant le long voyage ; il porte dignement un délicat coffret d’ébène.
Syrta s’abîme dans la révérence protocolaire, les yeux baissés. La Reine grimace une sorte de sourire, ses doigts tapotant avec impatience l’accoudoir du trône d’obsidienne.
« Eh bien, ma fille ? Relève-toi. Ces simagrées m’agacent. Ainsi donc ta formation est finie. Il nous faudra te trouver quelque tâche où t’occuper, ma place n’est pas encore à prendre ! »
La Princesse se tourne vers le chevalier.
« Je vous ai porté un présent, mère. Il a été fabriqué par le meilleur artisan des Monts Extrêmes, spécialement à votre intention.
- Encore du gaspillage avec les deniers du royaume ! Allons, Grench, montre-moi ! »
L’homme s’agenouille devant sa souveraine. La Reine ouvre le coffret d’un geste sec et empoigne un petit miroir dont le cadre et le manche en or sont ciselés avec un art incomparable. Des fleurs s’enchevêtrent avec des oiseaux, de soleils de diamant et des lunes d’opale. Le manche, incrusté de rubis et de saphirs, figure un serpent enroulé autour d’un tronc d’arbre, symbole de sagesse. Son visage se reflète dans le miroir avec une netteté stupéfiante, sans commune mesure avec les plaques de cuivre poli devant lesquelles elle ajuste chaque jour le Collier Royal. D’un coup toutes les rides, les taches et les griffures qu’ont imposées le Temps mordent cruellement sa belle image, et la moue de dégoût qui plisse ses lèvres minces la rend encore plus laide. Désemparée, elle cherche des yeux l’immense portrait en pied qu’elle a fait faire d’elle lors de son accession au trône, quand elle avait vingt ans, et qui depuis orne le mur à sa gauche. Elle hésite sur une formule de politesse qui expédierait au plus vite ces retrouvailles détestables, quand son regard, en quittant le portrait, tombe sur le visage de la Princesse. Elle sursaute. Cette grâce, cette beauté, cette jeunesse... Le moindre trait, la moindre fossette, la nuance exacte du teint éclatant... Elle lui a tout volé ! Elle est aujourd’hui, à cette heure, devant elle, impudente et faussement soumise, l’incarnation par trop précise de sa splendeur passée, identique, identique et réelle !
« Magie ! », glapit la Reine, « magie noire ! »
Axarkhon, le Grand Lunaire, se précipite, les deux mains tendues pour capter les vibrations de l’objet. Mais d’un geste effrayé la Reine jette au loin le miroir qui explose en mille soleils éteints dans la nuit du marbre sombre. Elle a dégainé l’Epée Royale qui pend à son flanc gauche depuis plus de vingt ans, elle lève à deux mains l’arme meurtrière...





Trois


Ce temps-là sera le temps d’après. Après la magie, après la violence, après la guerre. Il ne restera de la magie qu’une prophétie étrange, de la terre qu’une lande brûlée parcourue par des vapeurs délétères et des insectes difformes. Il ne restera de la race humaine que quelques bribes ébauchées, ignares et dispersées dans des terriers profonds aux lumières criardes. Trois, pour être exact. La folie des hommes, menée par ses deux perfides valets, Toujours et Jamais, les aura conduits à détruire tout ce qu’ils aimaient au nom d’une fierté ridicule qui choisit l’annihilation plutôt que le partage.
Et pourtant...
Il peut geler à pierre fendre, il se trouvera toujours une graine pour germer au printemps. La nature se nourrit de sa propre mort pour préparer sa renaissance. Quelle que soit l’époque, la vie est toujours aussi têtue.
Et les humains semblables aux humains.
« C’est pour demain ! Est-ce que tu crois que la prophétie va se réaliser ?
- Allons, Marguerite, tu sais que le book de Marie ne se trompe jamais ! Déjà les humanoïdes se déplacent plus lentement, leur voix est plus rauque... Ils s’éteindront demain, et les portes s’ouvriront...
- Ah, Manon, j’aurais tant aimé la connaître, cette Marie ! Sur les images, elle a l’air de nous ressembler...
- Elle nous ressemblait forcément, puisque c’était une humaine. Les humaines sont blondes avec des yeux bleus, et elles ont un grain de beauté sur le poignet gauche.
- Mais quand elle dit « Vous serez mères et vous repeuplerez la terre d’une nouvelle race heureuse et pacifiée »... Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Je n’en sais pas plus que toi. Aucune base de données n’en parle. Marie dit qu’elle était notre mère, alors je suppose que nous dirigerons un bunker et que nous aurons d’autres humanoïdes pour nous servir.
- Oui mais pourquoi alors ne pas rester ici ?
- Parce que la prophétie annonce que demain tout s’éteindra.
- Les humanoïdes répètent qu’elle est morte quand nous étions jeunes. C’est quoi être jeune ? C’est quoi être morte ?
- Sans doute aurons-nous la réponse demain. Le programmateur clignote. Il est temps de dormir. »


Un grand silence règnera dans l’abri souterrain qui aura été l’unique demeure des soeurs jumelles. A leur réveil, les robots seront tous couchés sur le sol, ayant épuisé leurs dernières réserves d’énergie. Une vague lueur blafarde tombera encore des néons affaiblis, et dans un grincement sinistre la muraille d’acier glissera dans son rail, découvrant un long escalier montant vers la surface. Les deux soeurs s’y engouffreront, avec l’insouciance légère des filles de quinze ans qui partent à la fête sans se retourner.
Le soleil brillera dans un air pur et frais, l’herbe dense abritera une nouvelle faune vigoureuse et confiante. Les arbres porteront des fruits rebondis et sains, les ruisseaux et les rivières couleront librement, et dans l’eau limpide nageront des poissons multicolores qui ne sauront rien des pêcheurs.
« C’est magnifique ! Ces couleurs ! Ces parfums !
- Il n’y a guère d’habitation. Pas de lit, pas de salle de bain, pas de nourriture...
- Regarde là-bas ! Un humanoïde !
- Ah ! Très bien ! Il va sûrement nous mener chez nous. »
Elles s’approcheront de la silhouette brune qui sera occupé à cueillir des fruits.
« Un humanoïde qui mange ! On aura tout vu ! Où sont tes humaines ? »
L’autre leur adressera un sourire radieux, d’une blancheur éclatante illuminant son visage noir.
« Ouaouh ! Salut les filles ! Ca c’est de la prophétie ! Vous venez de loin ? »
Manon froncera le sourcil, Marguerite sourira.
« Juste là derrière la colline...
- Yo, le bol ! Moi ça fait trois heures que je vole, mais il n’y a vraiment personne par ici ...
- Tu... voles ?
- Ouais, mais j’ai dû me poser un peu vite... Pas beaucoup d’énergie... Sans ça c’est comme dans les simulations, en plus fun quand même...
- Ca suffit ! », l’interrompra Manon. « Je ne comprends rien à ton code. Mène nous à tes humaines.
- Quelles humaines ? Je suis le seul humain survivant de mon bunker. J’ai vécu seul avec mes androïdes depuis que je suis tout petit. Et ce matin, la porte s’est ouverte ! La prophétie s’est réalisée !
- Tu mens ! Les humaines sont blondes aux yeux bleus, et elles ont un grain de beauté... »
Il éclatera de rire.
« Yo, ma soeur, c’est un curé qui a programmé ton logiciel ou quoi ? Chez les humains il y a les femmes les hommes, et quand ils vont ensemble ça fait des bébés... Des petits... Des enfants, quoi ! Comme chez tous les animaux... Me regardez pas comme ça ! J’suis pas un bouffon, j’vous jure ! Et après les enfants grandissent et ça fait... des humains, quoi ! Ca y est, ça imprime ? »
Marguerite semblera très intéressée.
« Et alors... ces... baibais... ils peuvent repeupler la terre ?
- Un peu mon n’veu ! Et j’crois qu’on est là pour ça... »
Il n’aura d’yeux que pour elle, la douce vêtue de bleu, tellement plus belle que son identique habillée de rouge... Le sourire de Marguerite irritera Manon.
« Allons, viens ! Nous perdons notre temps avec ce robot menteur. Nous avons un monde à repeupler.
- Vas-y, toi. Moi, je reste. »
Ainsi renaîtra la colère, ainsi renaîtra la violence. Les mains de Manon agripperont le cou de Marguerite pour le serrer fort, très fort... Le garçon essaiera de s’interposer, mais Manon, ivre de rage, ne lâchera pas prise. Alors il brandira son harpon de pêche, longuement aiguisé sur les pierres, et il frappera...



Une



... Elle renversa la voleuse, dont le crâne se fracassa sur un rocher. Elle reprit aussitôt la pierre amie, dont le visage était satisfait. Qui contredirait un allié précieux ? En gage de bonne volonté, Elle sauta sur la poitrine de son ennemie, dont les côtes se brisèrent comme des branches mortes. Le sang gicla en une gerbe écarlate, tiède et gluant sur ses jambes nues, se répandant en vagues saccadées dans l’herbe assoiffée. Il y eut un cri dans la horde, un bras tendu pour montrer, puis une charge furieuse qui devait moins à la justice qu’à la curiosité – et à l’attrait du sang, nectar des prédateurs, élixir des chasseurs, preuve de victoire et annonciateur de chair à consommer. Elle s’enfuit en lançant un cri de défi. Elle n’avait plus besoin du groupe, Elle avait en main une source de toute-puissance.
Elle ne fut pas poursuivie.
Dans la nuit, Elle sentit remuer dans son ventre un nouvel être grouillant.



Deux




... La Princesse se baisse. Elle a été formée au combat. Elle esquive, recule, crie :
« Il n’y a pas de magie ! Je le jure ! »
Le Grand Lunaire le sait, le miroir ne dégageait aucune vibration magique, mais c’est la Reine... Il ne bronche pas, la circonstance est étrange, il réfléchit au parti qu’il pourrait en tirer.
« A moi les Gardes ! », hurle la Reine.
Les Gardes hésitent. Une Reine vieillissante contre une future Reine, le dilemme est de taille. Le Grand Lunaire sourit. Une idée saugrenue, mais intéressante. Il fixe quelques personnes dans l’assistance, murmure pour lui seul leur nom secret.
« A bas les Reines ! », crie un représentant du peuple.
« Nous voulons la liberté ! » Celui-là, c’est un ancien mercenaire reconverti dans la braconne depuis que, blessé à une jambe, il boîte bas. Le combat lui manque. De plus, son cerveau est faible comme un pot de lard salé. L’occasion est inespérée... Il suffit de lui insuffler un souvenir un peu sanglant pour qu’il arrache l’épée d’un Garde, se précipite vers les deux Grandes Dames qui se battent comme des soudards, et d’un seul large geste voilà qu’il tranche les deux têtes royales qui vont rouler sur le marbre noir où le sang n’a pas plus de couleur que de la pisse de chat.
« Mort aux Reines !
- Le Peuple au pouvoir !
- Elles ont assez profité ! Nous aussi nous voulons être repus !
- Et que tous les biens soient publics ! »
Et la foule reprend en scandant, frappant des mains et tapant du pied :
« Re-pus, re-pus... Pu-blic,pu-blic... Re-pu... blic... »





Trois




...Et Manon s’écroulera, le flanc percé d’une béance rouge, les mâchoires crispées dans la douleur, les mains encore enragées arrachant l’arme mortelle. Plus de sang, moins de souffle, un vertige menant au néant. Marguerite en hoquetant se mettra à genoux, verra sa soeur agonisante et le trop beau sourire de l’homme satisfait. Hurlera sa colère et sa peine, oubliant le langage appris d’humanoïdes programmés et sans conscience pour leur apprendre la douceur et la tolérance. Se jettera sur le harpon encore tiède, visera le coeur, empalera le mâle un instant adulé. Lui, étouffant du carmin liquide qui emplira ses poumons, bavant et crachant du vermillon pur, oubliera ses humanités patiemment apprises auprès d’humanoïdes qui n’en connaissaient pas le sens. Et la même pointe, plantée, arrachée, plantée, arrachée, étrange semence trop vite récoltée, finira sa course dans le tendre giron de la dernière chance humaine de perpétuer la race qui se croyait souveraine.
Un pauvre morceau de chêne, et trois sangs emmêlés engraissant l’humus fertile pour le plus grand bonheur des petites vies rampantes. Plus tard quelques prédateurs innocents venus du ciel ou de la steppe balaieront les restes odorants afin que rien ne se perde.



Une




Il faisait ses premiers pas. Elle avait résisté à la faim et au froid, Elle l’avait nourri et réchauffé, et bientôt il deviendrait un chasseur puissant qui la protègerait. Elle s’en léchait les babines par avance. Il trottinait partout, il touchait à tout, il se mettait en danger mille fois par jour et il riait, riait devant le tigre, riait devant la rivière, devant l’ours, le précipice, le serpent...
Etait-ce parce qu’Elle était seule, ou parce qu’un début de conscience s’était immiscé en Elle ? C’était le premier de ses petits qui survivait – le premier, en fait, qu’elle n’avait pas négligé. Il se repaissait à toute heure de ses seins lourds, Elle mâchouillait la viande avant de la lui donner, et surtout, surtout, Elle lui gardait toujours le foie et le coeur, tièdes et gorgés de sang. Et tout barbouillé de rouge, il riait !
Un jour il souleva la pierre alliée. Elle eut un mouvement de colère mais c’était Lui. Elle laissa faire. L’enfant se mira dans l’ébauche de miroir, y aperçut derrière lui le visage de sa mère. Il se retourna, revint à la pierre, éclata de rire. Fronçant le sourcil, il se concentra pour prononcer « Mââ ». Puis « Ma ». Dans son esprit, c’étaient deux sons et deux images distinctes, mais les parents, depuis l’aube des siècles, n’écoutent jamais leurs enfants.
« Mama ? », répéta-t-Elle interloquée.
L’enfant lui sourit.
« Mama ! Mama ! Mama ! »
Elle hurlait avec une joie indicible. Elle avait un nom ! Elle avait une esquisse de langage. Le Sens pointa le bout de son nez. Elle regarda la pierre, le visage de son fils près du sien. Elle comprit. Hocha la tête devant l’incroyable réponse.
« Mama ! » appela l’enfant en posant la main sur le sein gonflé.
Et tandis qu’il buvait elle se sentait exister dans son regard, comme jamais auparavant. Sa langue et son palais cherchaient un son qui ne soit pas un cri mais une caresse.
« Rôô », émit-elle. « Rôô, Rôô, Rôô ! »
L’Humain a besoin de nommer. Et le nom fait l’Humain.
C’était le début.



Deux



La révolution est une chose merveilleuse, surtout quand on a tout à y gagner. Une vie nouvelle, passionnante, innovante... Jouer les marionnettistes de l’ombre, en improvisant sans arrêt... Délicieux challenge pour le plus grand Lunaire de tous les temps, presque trop facile... Il ne s’est pas beaucoup servi de son Pouvoir de Suggestion, jusque là. Rester en bonne place dans l’Ordre Etabli lui suffisait. Il se découvre tout-puissant. Faire élire un ancien mercenaire Chef de la République, un jeu d’enfant. Personne ne le connaît assez bien pour savoir qu’il n’a que cinquante mots à son vocabulaire. Les leurrer avec des assemblées et des commissions, qui passent leurs nuits en vaines palabres, alors qu’il tient fermement les rênes et leur impose, sous l’apparence d’un vote à l’unanimité, sa seule et unique volonté... Jusqu’au soir où une courtisane, plus avide que les autres, lui vole en toute ignorance son bracelet de Pouvoir... Et où le mercenaire en Chef, pris de boisson, vient lui réclamer un feu d’artifice, maintenant, tout de suite. Ses paroles apaisantes sont sans effet, le bout de lard est pris d’une rage folle et plante son épée présidentielle dans la poitrine lunaire. Amnésique au matin et hurlant qu’on le délivre de son mal de tête, il prononce des mots incohérents et insultants qui le font destituer par un entourage jaloux et dont l’ambition incontrôlée désormais flambe au grand jour comme un incendie dans le vent. Assassinats, coalitions, guerre civile, répression, la loi du plus fort est la seule qui perdure par tous les temps, et les faibles ne peuvent que s’ y soumettre en criant « bravo ». L’approbation bruyante du pouvoir des autres, voilà ce qui s’appelle la démocratie.



Trois



Dans le silence d’une épaisse frondaison, loin au dessus du sol, une femelle à quatre mains bercera son petit au ventre rebondi, le lait perlant encore à ses lèvres charnues. Elle lui apprendra à sauter de branche en branche, à fuir devant le serpent et le tigre, à partager les noix et les pommes avec les plus petits, les plus faibles et les plus âgés. Quand il désobéira, elle hochera la tête d’un air mécontent et le chatouillera jusqu’à ce que, à bout de souffle, il demande grâce. Elle n’aura pour tout langage que des grognements agacés et des cris aigus de satisfaction, et ce ne sera pas important. En l’absence de langage, il n’y aura pas de mensonge possible. Pas de promesse. Pas d’ambition. Pas de projet. Pas de rancune. Pas de vengeance. Pas de suspicion. Pas de doute.
Seulement la joie immédiate de paresser au soleil, de manger pour vivre, de jouer pour rire, de repeupler en toute innocence une terre heureuse et pacifiée.
Narwa Roquen,et de 100, pour fêter la nuit la plus longue de l'année

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-12-27 16:13:09 

 WA - Participation exercice n°100 part 2/2Détails
LES MOISSONS DU PARADIS (2/2)



Les premières étapes de la colonisation s’étaient pourtant déroulées sans incident notable.

Durant un temps, tout fut conforme aux prévisions. Paraiso répondit aux promesses placées en elle. Prodigalité et abondance étaient les qualificatifs qui venaient à l’esprit quand on évoquait le Paradis. Toutes les espèces végétales transplantées par l’homme y croissaient sans contrainte et sans traitement. Les rendements y atteignaient des records inégalés. Les animaux s’y multipliaient en liberté sur des domaines aussi vastes que des continents. Paraiso deviendrait sans nul doute le Grenier de l’Humanité et ce, pour l’éternité. L’Eden originel. Aucun autre monde de l’Empire ne pouvait rivaliser avec Paraiso, ni en taille ni en richesse. Paraiso serait la dernière frontière avant le Grand Saut, celui qui propulserait les armadas humaines à l’assaut de l’Amas de la Vierge. L’Empire repousserait ses frontières au-delà du Groupe Local et de sa quarantaine de galaxies.

Les seules difficultés tinrent essentiellement aux incroyables dimensions de la planète géante. Tout y était démesuré, hors de proportion, quasiment illimité. Ce qui partout ailleurs aurait été qualifié d’exceptionnel était réduit sur Paraiso au ridicule et au dérisoire. L’Empire déversa énergie et moyens sans compter. Des populations entières de mondes embryonnaires jugés moins prioritaires furent déplacées bon gré mal gré pour s’installer sur les nouveaux territoires. Mais cela restait insignifiant à l’échelle du Paradis, juste quelques gouttes d’eau dans l’océan.

Une légion complète fut affectée à demeure sur Paraiso. La 17ème, le Fléau de Varius, l’une des plus glorieuses. Orgueilleuse et intrépide. Mais l’Empereur l’avait choisie pour une toute autre qualité, à ses yeux la plus précieuse. La 17ème légion lui était indéfectiblement loyale. A maintes reprises, elle avait défendu le Trône et ses intérêts au prix de terribles sacrifices. C’était un extraordinaire honneur d’y être recruté et toutes les grandes familles du Pont et du Timon poussaient leurs fils aînés à briguer les rares postes offerts aux jeunes diplômés des prestigieuses académies militaires de l’Empire. Peu étaient élus. La légion comptait quatre cent mille hommes parfaitement entraînés et commandés. Elle était dotée des meilleures technologies et pouvait évoluer indifféremment sur tous les théâtres d’opération et dans toutes les dimensions. Elle constituait une redoutable force destinée à décourager toute velléité, qu’elle soit humaine ou non-humaine. « Le Paradis est Mien » se plaisait à rappeler l’Empereur quand il rassemblait le corps diplomatique interstellaire.

Puis vint le temps du Voile Noir, comme le baptisèrent plus tard les historiens et les chroniqueurs. Le Temps du Voile Noir. Le voile du deuil. Cette expression illustra une réalité sans fard. Brutalement toutes les communications furent interrompues avec Paraiso. Un mur de silence coupa le Paradis du reste de l’Empire. Au bout de quelques heures, l’affolement se généralisa. Une mission d’urgence fut dépêchée sur place pour évaluer la situation. Les superviseurs galactiques observèrent sa progression jusqu’aux abords de l’hyper-monde. Puis ils perdirent subitement tout contact comme si elle s’était diluée dans un immense champ de parasites. L’Empereur convoqua sur le champ son cabinet de crise. Au terme de rapides délibérations, une expédition plus consistante fut organisée et placée sous le commandement conjoint d’un stratège militaire rappelé d’une campagne lointaine et d’un psyborg du Cercle Intérieur, le cénacle des vétérans des guerres psychiques. Ces missi dominici étaient investis des pleins pouvoirs. La petite flotte emportait dans les flancs de ses plus grosses unités, plusieurs divisions de la 6ème légion, la légion Pharsale, spécialiste de ce type d’intervention, et une bonne demi-douzaine de spetsnaz de commandos Orion. La réputation sulfureuse de ces groupes d’intervention extrême les tenait à l’écart des autres troupes d’assaut. Combattants hors pairs mais particulièrement brutaux, ces commandos sans foi ni loi, étaient commis aux oeuvres les plus basses ordonnées par l’Empereur, capables des actions les plus abjectes. Ces reîtres, fanatisés et impitoyables, étaient le poison le plus violent qui enduisait les pointes des armes impériales. Cette petite expédition ne pouvait être considérée comme une véritable armée mais sa puissance de feu aurait tenu tête à bon nombre de forces de défense appointées par des Principautés interplanétaires de taille respectable. Les opérations de transfert ne prirent qu’un minimum de temps, les dahirs impériaux primant sur toute autre priorité locale.

Après.

Le hurlement des tuyères brutalise ses tympans. C’est le son du métal surchauffé qui se dilate en longues plaintes distordues. Le pilote du Thunderbird ne cherche pas à faire dans la dentelle. Il tente juste de stabiliser son appareil à quelques pieds du sol, portières largement ouvertes. Les tubes agressifs des canons et des lance-roquettes hérissent le ventre et le nez de l’appareil. Code Bleu. C’est bien un code bleu qu’il a réclamé. Lui, le major Armstrong. Un appel au secours. Sa phalange s’est fait tailler en pièces sans avoir pu répliquer. Il a perdu près de la moitié de ses hommes. Il les connaissait tous, ayant partagé avec eux des dizaines de missions sur une demi-douzaine de mondes en guerre. Mais jamais il n’a été préparé à ça ! Quarante légionnaires chevronnés, rompus aux conditions les plus difficiles en milieu hostile, ont été fauchés en moins de quatre minutes. Qu’est-ce que c’est que ce monde ? A qui ont-ils eu affaire? A quoi... était peut-être plus juste. Aucune vie évoluée n’a jamais été détectée sur la planète géante.

« Allez, montez ! On a peu de temps !»

Le major rameute ses hommes qui lâchent inutilement rafale sur rafale au jugé, droit devant eux. Ils tirent au coeur des nuées fantomatiques qui forment un front moutonneux barrant l’horizon. Ces monstrueux tsunami s’élèvent jusqu’au ciel où ils dérivent lentement. Des écharpes filiformes en jaillissent, langues menaçantes, comme les tentacules d’une entité monstrueuse.

Oui, le major Armstrong s’est fait proprement botter le cul à peine avait-il débarqué sur cette planète. La phalange qu’il dirige appartient à la première division de la légion Pharsale. L’une des cinq phalanges d’intervention rapide composées en majorité de hussards et de dragons. Des unités légères, mobiles, autonomes et particulièrement qualifiées pour ce genre de mission.

Avant.

A la tête d’une centaine de légionnaires expérimentés, il devait récupérer plusieurs familles qui avaient activé leur balise de détresse. La petite colonne de secours rencontra les premières difficultés lorsque les trois Thunderbird, les lourds appareils suborbitaux qui les transportaient, connurent toutes les peines du monde à conserver une trajectoire conforme au plan de vol initial. Les instruments de bord furent constamment désynchronisés par des parasites d’origine inconnue qu’aucun dispositif de contre-mesure ne parvint à contrecarrer. Malgré toute la puissance de leurs réacteurs qui pouvait les arracher de la gravité la planète géante, les appareils furent contraints de se poser à près de quatre kilomètres du kolkhoze céréalier, leur destination. Il leur avait été impossible de s’approcher plus près, comme si une main invisible empoignait les lourds oiseaux de guerre en plein vol pour les forcer à descendre au sol. Les superviseurs orbitaux injoignables, le major décida de poursuivre la mission. Des hommes, des femmes et des enfants étaient en danger quelque part devant eux. Pas très loin. Il demanda donc aux pilotes de l’attendre. Ceux-ci lui octroyèrent une heure et demie. Pas une minute de plus. Leurs instruments erratiques les avertissaient qu’un orage électromagnétique s’avançait sur leur position. Il pouvait occasionner de gros dégâts aux appareils.

Le major fit signe d’avancer à ses hussards en leur désignant la direction indiquée par le faible signal émis par la balise du kolkhoze. Au bout d’une demi-heure, ils parvinrent à l’orée d’un champ de tournesols. A droite comme à gauche, les grandes fleurs formaient un mur ininterrompu aussi loin qu’Armstrong pouvait porter ses regards. Tenter de les contourner risquait de prendre beaucoup de temps. Or le temps leur faisait défaut. Ils devaient couper au plus court. La phalange s’enfonça lentement dans la forêt de tournesols dont les tiges étaient prodigieusement hautes, culminant à une hauteur qu’Armstrong estima à environ sept mètres. Leurs capitules formaient une voûte compacte au-dessus de leurs têtes qui occultait le ciel. En file indienne, ils cheminèrent dans une lumière épaisse qui se déversait sur eux comme de l’or liquide. Nul ne prononça la moindre parole. Tous étaient impressionnés par cette cathédrale végétale aux milliers de colonnes graciles, habitée par un silence surnaturel.

Lorsqu’ils émergèrent de ces bois singuliers, leurs instruments sophistiqués se révélèrent incapables de leur fournir la plus petite information exploitable. Cela faisait plus de trois kilomètres qu’ils crapahutaient. Ils auraient dû apercevoir les silhouettes des bâtiments de l’exploitation agricole. Pourtant, alors qu’une plaine de tourbe lugubre s’étendait devant eux, il n’y avait rien. C’est alors que les nuées apparurent.

Elles étaient vierges de toute présence. Les capteurs des armures de combat et les drones libellules qu’ils avaient lâchés dans les airs, ne percevaient rien d’autre que le vide et la poussière en suspension. C’étaient d’énormes bourrasques qui tournoyaient entre ciel et terre en se rapprochant d’eux. Elles se transformèrent bientôt en un front de vortex rugissants dont les entonnoirs s’évasaient jusqu’au ciel, sinistres et mouvants, comme façonnés par quelque déité infernale. C’est là que Hunter, un des éclaireurs, avait posé la question à haute voix :

« OK mais où sont les vents? »

Armstrong releva sa visière. Il ne sentit pas le moindre souffle d’air. Alors qu’est-ce qui pouvait soulever ainsi ces trombes de poussière dans leur direction? Sur son ordre, les hussards se remirent en marche. Comme si elles n’attendaient que cela, les nuées fondirent sur eux. Elles les submergèrent furieusement, s’abattant sur leurs épaules avec la violence de mille ouragans, mettant au supplice les servomoteurs des armures. Le temps d’une respiration, ils furent plongés dans une obscurité presque totale. Les liaisons de proximité furent brouillées. Chacun lutta pour conserver son assiette sous les assauts tourbillonnants des tornades.

Et puis du néant naquirent les furies. Des formes spectrales qui fulguraient en passant entre les hommes. Des formes fugitives qui les frôlaient en hurlant dans leurs écouteurs, atomisant leur vigilance et ruinant leur concentration. Mais il n’y avait toujours rien sur leurs écrans d’acquisition. Rien que le vide. Sur quoi auraient-ils bien pu ouvrir le feu ?

Vince fut le premier à tomber. Une tête brûlée de première mais un sacré gaillard de plus de deux mètres vingt et cent quarante kilos de muscles. Il fut projeté au sol sans pouvoir opposer la moindre résistance. Le major Armstrong l’entendit jurer comme un charretier de Visigot et soudain son hurlement hanté par une indicible terreur satura toutes les fréquences. Beaucoup, par réflexe, plaquèrent leurs gantelets sur leurs casques, essayant comiquement de se boucher les oreilles. Armstrong bondit vers Vince, uniquement signalé dans l’obscurité par la diode rouge surpuissante qui brillait sur son équipement dorsal. Le jeune hussard restait immobile, face contre terre. Cette terre qui était si loin des vertes prairies de son enfance.

Il le retourna et... pris d’un haut-le-coeur, le relâcha aussitôt. La visière de Vince était barbouillée de sang et de matière cérébrale comme si, à l’intérieur du casque, sa tête avait littéralement explosé. Et quelque chose grouillait là-dedans, Armstrong en était certain. Il eut envie de vomir. Il faillit prendre ses jambes à son cou pour être ailleurs, sans l’ombre d’un remords. Heureusement son conditionnement militaire résista à cette pulsion de panique. A cet instant une furie se matérialisa devantson visage, séparée par moins d’un millimètre de surface transparente. Une vision de cauchemar qui ne ressemblait à rien qu’il avait déjà vu. Impossible à décrire en termes humains. Non. C’était en perpétuel mouvement, un bouillonnement de vif-argent. C’était irrésistible et impitoyable. C’était cruel et éternel. C’était bien au-delà du mal ! C’était une puissance brute, une énergie primordiale qui réclamait vengeance. Le Major se rappela les vieilles légendes qui circulaient dans les marches reculées de l’Empire. Les récits rapportés par les explorateurs des lisières stellaires, aux confins du Grand Vacuum. Etait-il face à ce que l’homme redoutait tant de rencontrer dans le noir et le vide de l’espace ?

Armstrong comprit que jamais il ne serait en mesure d’affronter cette force. Il n’était qu’un pitoyable insecte face à elle. Un moustique cherchant à s’opposer à la course d’un pare-brise. Armstrong vit la mort en face. Et la mort le dédaigna. Passa à autre chose. Cela le tua bien mieux qu’un projectile blindé à haute vélocité. Oui, ce qui faisait d'Armstrong un être doué de conscience était mort ce jour-là, sur cette plaine lointaine, au coeur des ténèbres tourbillonnantes. Les nuées avaient emporté tout ce en quoi il croyait. Toutes ses certitudes. Toutes ses ambitions étaient devenues vaines. Puis la furie ne fut plus là.

Quand il se maîtrisa, une bonne quarantaine de corps gisait sur le sol, éparpillés tout autour. Les furies virevoltaient entre les survivants qui continuaient de hurler comme des déments. Armstrong abaissa son fusil d’assaut. Il réalisa, moins d’une heure après avoir foulé pour la première fois le sol du Paradis, que toutes les armées de l’Empereur ne pourraient affronter victorieusement ce qu’elles étaient venues dompter. En tremblant, il ordonna le repli à ses hommes qui refluèrent tant bien que mal vers le point qu’ils avaient quitté, abandonnant leurs camarades derrière eux. Dans leur dos, les nuées les serraient de près, les talonnant dans leur déroute. Elles leur faisaient clairement comprendre qu’ils ne devaient pas se retourner et ne jamais revenir.

Maintenant.

Le premier Thunderbird prend de l’altitude, peinant sous la charge. Les deux autres patientent pour embarquer ce qui reste de la phalange. Le Major Armstrong monte à bord le dernier. La mission a échoué. C’est la première fois que cela lui arrive. Il a failli. Il n’ose regarder ses hommes dans les yeux. Quand l’engin regagne l’espace, les vibrations cessent. Un silence pesant envahit la soute et Armstrong ferme les paupières en appuyant son crâne contre la carlingue. Juste derrière le métal, l’énorme masse de l’hyper-planète défie l’entendement. A cette distance pourtant elle paraît si belle.

Quand il se retrouve dans le bâtiment amiral, il n’est pas débriefé par l’équipe pluridisciplinaire habituelle. Il est convoqué devant une commission spéciale dans l’Adyton, une pièce parfaitement isolée au coeur des entrailles du vaisseau. Ses parois sont composées de matériaux spéciaux dont le prix au mètre carré dépasse largement celui d’une forteresse terrestre de type II. En outre, huit psyborg militaires veillent, prêts à repousser toute intrusion psychique. C’est dans ce sanctuaire ultra-sécurisé qu’il est soumis à un feu nourri de questions de la part des missi dominici et des six spécialistes comportementaux qui les assistent. Outre les dizaines de mesures enregistrées en temps réel par les intelligences artificielles de classe militaire au moyen de sondes et de capteurs posés ou implantés sur le corps du major.

Après

Au terme de plusieurs dizaines de rapports, les émissaires impériaux firent part de leurs recommandations au cabinet de guerre de l’Empereur, apposant leur sceau génétique dans le flux de données qui traversa l’éther en direction du Trône. Selon eux, l’Empire se trouvait face à un adversaire inconnu qui constituait une menace fondamentale pour l’intégrité de l’Empire et, subsidiairement, un défi à la toute-puissance impériale. La meilleure preuve qu’ils apportaient pour étayer leurs assertions? La 17ème Légion toute entière, quatre cent mille guerriers parmi les plus illustres et les plus endurants, avait été rayée de la carte sans que l’ombre d’une explication rationnelle puisse être avancée. Son Aigle demeurait introuvable. Quatre cent mille légionnaires ! A cette tragédie, il fallait ajouter les millions de colons également disparus de la surface de Paraiso sans laisser de trace. Les missi dominici préconisèrent une riposte adaptée aux enjeux. Est-ce que l’Empire pouvait renoncer au Paradis? Est-ce que l’Empire pouvait accepter un tel affront ?

La réaction de l’Empereur ne se fit pas attendre.

Huit légions joviennes au grand complet furent mobilisées par un dahir péremptoire pour monter à l’assaut de Paraiso. L’homme ne sera pas chassé une deuxième fois du Paradis. Toute la puissance de l’Empire s’amassa aux abords de la planète géante. Outre les légions d’élite, une multitude de régiments de ligne traditionnels, accompagnés de leurs norias d’unités de soutien et de logistique, rallièrent la croisade. Ce fut l’une des plus grandes armées jamais rassemblées sur un même théâtre d’opération de toute l’histoire de l’Humanité.

D’innombrables cargos furent affrétés pour transporter les millions de combattants envoyés pour dompter la planète rebelle. Des centaines de méga-cuirassés et des dizaines de planétoïdes militaires se mirent en position autour de Paraiso, prêts à déclencher des frappes orbitales massives capables de vitrifier des continents entiers ! Juché sur son trône, l’Empereur inconsolable refusa de perdre la plus belle pierre de sa couronne d’étoiles. Cela signifiait que les frappes Jéricho, celles qui brisent les mondes en fracassant leur coeur, ne seraient pas employées. Le sale boulot revint comme toujours à l’infanterie qui devrait aller chercher la victoire dans la fange et à travers les flammes. Cette campagne fut donc un crève-coeur.

Rien ne se passa comme prévu.

Bientôt, les hommes prirent coutume de se confesser aux aumôniers avant d’embarquer dans les navettes de combat pour descendre sur la planète. Sans exception. Ils avaient une chance sur dix de revenir indemnes des champs de bataille. Et au Paradis, ces derniers étaient aussi vastes que les champs élyséens qui accueillent les guerriers tombés. Il y avait sur cette planète une force irrésistible qui refusait de se soumettre. Elle faisait valser les divisions blindées des Seigneurs Teutoniques comme un enfant querelleur balaie des rangées de dominos sur la table de jeu. Il y avait sur cette planète une force incommensurable qui taillait en pièces tout ce que l’Empereur lui opposait. Ses précieuses légions furent décimées, ses régiments de lignes s’évanouirent au sein des nuées meurtrières. Même les redoutables commandos Orion grimpaient en baissant les yeux à bord des Thunderbird. Certains d’entre eux n’hésitèrent plus à exhiber gris-gris, amulettes et autres talismans, censés éloigner le Léviathan.

C’est ainsi que les hommes qui partaient mourir sous ses griffes désignèrent le démon qui habitait le Paradis, leur fléau, leur impalpable et implacable ennemi. Le Léviathan. Un nom synonyme de mal absolu durant les premiers âges de la Terre. Une créature mythologique qui annonçait les pires cataclysmes. Un Dragon. Un Serpent. Un Démon. Les officiers supérieurs tentèrent bien de tuer dans l’oeuf cette légende mais celle-ci se propagea comme une traînée de poudre à travers les bases d’Aramis, la deuxième lune du Paradis. Tous leurs efforts restèrent vains. L’hécatombe se poursuivait, inéluctable et dramatique.

L’Empereur s’enferma dans une obsession frôlant dangereusement la démence. Il fut en proie à des accès de fureur incontrôlable quand son chef d’état-major lui présentait les mauvaises nouvelles du front. Il trépignait, giflait ses plus proches conseillers et ordonna même un jour l’exécution immédiate de tout messager n’apportant pas de bonnes nouvelles.

Il s’obstina. Il leva d’autres troupes, enrôlant par la force fermiers et ouvriers pour reconstituer ses régiments de ligne, la piétaille, la chair à canon de sa guerre insensée. Il forma aussi d’autres légions, recrutant parmi les cadets des académies militaires, pour relever celles qui campaient, exsangues, aux portes du Paradis. Rien n’y fit. Il n’y eut jamais de véritables batailles rangées. Aucune défaite honorable. Non, le Léviathan piétinait des fourmis vindicatives. Des fourmis inoffensives qu’il écrasait sous son talon au fur et à mesure qu’elles s’avançaient sur son domaine.

Au plus fort des ténèbres qui menaçaient l’Empire, un message parvint du Paradis. Les psyborgs en faction furent assaillis par une pensée si puissante, si intense que le sang ruissela de leurs narines dilatées. Certains s’évanouirent. L’onde se propagea si loin dans l’éther que même les seigneurs psyborgs du Cercle Intérieur, méditant au fond de leur cénacle enfoui à des kilomètres de profondeur sous la surface d’une planète distante de plusieurs dizaines d’années lumière, en perçurent un écho affaibli mais néanmoins parfaitement distinct. Le message s’adressait à l’Empereur en personne. Il lui enjoignait de gagner le Paradis si le sort de l’Humanité avait encore un sens à ses yeux. Nul ne commit l’erreur de croire à une quelconque demande de trêve. Balivernes. Les jours qui suivirent immédiatement la réception du message, les pertes furent multipliées par quatre sur Paraiso, devenant insupportables. Des mouvements de désertion et d’insubordination prirent une ampleur sans précédent, de moins en moins réprimés. L’Empereur résista huit jours. Il obtempéra lorsqu’un de ses intimes lui chuchota à l’oreille que le nom de son successeur circulait déjà au sein de la Cour.

Alors seulement l’Empereur, le monarque le plus puissant de la Création, accepta l’invitation du Léviathan. Il monta au Paradis, accompagné par des représentants du Trône, du Pont et du Timon. Les coordonnées du lieu de la rencontre furent transmises télépathiquement aux psyborgs impériaux. L’endroit se situait au beau milieu de nulle part. Une haute et majestueuse tente, tissée d’or et d’argent, fut dressée sur une plaine désertique. Sous un magnifique dais fleurdelisé, l’Empereur s’assit sur une réplique modeste mais richement ouvragée de son Trône monumental. Les nuées se levèrent mais sans menacer l’ambassade impériale. Leurs fronts tumultueux se contentèrent de former un large cercle parfait au centre duquel se tenait le camp impérial. Aux côtés du Souverain, les quatre plus grands seigneurs psyborgs portaient ses armes d’apparat : l’écu d’or martelé, l’épée à deux mains, le trident de corail et la couronne de lauriers posée sur un coussin de velours cramoisi. Sur les degrés inférieurs, les autres dignitaires étaient placés selon l’ordre de l’étiquette. Un détachement de prétoriens, les troupes personnelles de la Maison Impériale, avait pris position aux quatre coins du périmètre.

Aucun compte-rendu officiel ne fut jamais publié. Les minutes furent déposées dans les archives confidentielles. Pourtant, à la fin, l’Empereur baissa la tête et accepta sa défaite. Buvant le calice jusqu’à la lie, il se damna pour continuer de vivre au Paradis. Et avec lui, le reste de l’Humanité.

O O O


Vee attend Daam sous la véranda, en se balançant doucement dans le rocking-chair. Les vents apportent des parfums de terre retournée et de blé fraîchement moissonné. Elle pose doucement la main sur son ventre arrondi. Le terme est proche, lui ont assuré ce matin les médecins qui la suivent à distance. Tout va bien pour le bébé. Un garçon. Il s’appellera... chut, cela porte malheur de prononcer son nom avant sa naissance. Vee est heureuse. Ce n’est pas uniquement dû aux hormones qui ont modifié son métabolisme. Elle est radieuse et épanouie. Sur le monde-ruche, la procréation obéissait à des lois draconiennes. Il fallait habiter au-dessus du vingtième sous-sol pour commencer à s’inscrire sur les listes d’attente. Au vingtième sous-sol... alors qu’ils habitaient le quatre-cent-vingtième! Jamais ils n’auraient jamais pu prétendre à la parentalité, eux qui étaient nés comme la grande majorité de leurs concitoyens, dans les fermes d’élevage de Genesis Inc., le Conglomérat biogénétique. Leurs codes génétiques avaient été soigneusement sélectionnés pour correspondre parfaitement aux exigences de la ruche sidérurgique.

Elle aperçoit enfin Daam qui remonte l’allée en sifflotant. Son visage est une tache claire dans le crépuscule. Il lui a encore répété ce matin que c’était le dernier jour des moissons. Elle l’aura pour elle pendant plusieurs semaines. Il sera là quand le bébé viendra au monde. Naître au Paradis, quel bonheur ! Vee accouchera chez elle, dans l’hacienda. Une cabine médicalisée y est aménagée, équipée d’un demi-serviteur intégré à la structure mobile du berceau. En cas de difficulté, un véritable obstétricien supervisera depuis Terminal City, le bon déroulement de l’accouchement, prêt à en by-passer les commandes du demi-serviteur pour effectuer lui-même les manoeuvres non répertoriées dans les banques mémorielles de la machine.

Vee a préparé une pleine carafe de citronnade faite maison, la boisson préférée de Daam. Dans le ciel sans nuage, les sphères gigantesques des lunes de Paraiso jettent une clarté à la fois douce et dense, un halo laiteux et miroitant. Il n’y a pas vraiment de nuit au Paradis, juste une lumière atténuée et apaisante. Une sorte de clair-de-lune plus vivace. Rien n’est caché au Paradis.

Daam s’assied dans l’autre fauteuil à bascule. Il s’est douché, troquant sa salopette contre une tenue plus seyante. Il remplit à ras-bord son verre et, avec un soupir de satisfaction, le vide d’un trait. Un bonheur paisible gonfle son coeur. Il est chez lui, aux côtés de celle qu’il aime et qui porte son enfant. Il est convaincu que les jours succèderont aux jours de la même façon.

Il contemple les globes suspendus dans le ciel sans limite de cette nuit américaine. Les déserts arides de d’Artagnan, la plus petite lune de Paraiso, sont léchés par une curieuse pellicule rougeâtre.

« Tiens, je n’avais jamais remarqué ce phénomène sur d’Artagnan auparavant! Regarde ma chérie, on dirait qu’un voile de sang recouvre la première lune ! »

Daam lui montre du doigt la transformation progressive du plus petit satellite du Paradis. On dirait qu’une marée montante de sang poisseux inonde les terres visibles. C’est un spectacle magique et magnifique. Vee grimace soudainement. Elle met ses mains sur son ventre tandis plusieurs bips se font entendre, émis par le bracelet de métal qu’elle porte au poignet. Il est bardé de micro-palpeurs destinés à surveiller son état de santé et celui du bébé. Des diodes colorées s’illuminent entre les motifs gravés sur son pourtour.

« Le travail a commencé ! » dit-elle laconiquement en se levant avec précaution.

Elle garde son calme. Le bracelet libère des substances qui luttent contre la production anormale d’adrénaline et d’autres qui, au contraire, amplifient la sécrétion d’ocytocine. Elle se dirige vers la cabine médicalisée où aidée par Daam, elle s’allonge sur la couchette déjà prête à l’accueillir. Le demi-serviteur se positionne au-dessus d’elle, dépliant ses longues prothèses articulées aux extrémités munies de diverses terminaisons préhensiles brillantes. Il place sur la poitrine, le ventre et les biceps de Vee, de larges bandes caoutchouteuses dont les surfaces en contact avec la peau sont recouvertes de nano-filaments au diamètre ne dépassant pas le micron. La chaleur corporelle favorisant une anagène fulgurante, les filaments s’insèrent sans mal sous l’épiderme par thermo-dilatation. Traversant le derme, ils plongent ensuite dans le réseau sanguin sous-jacent pour aller se fixer sur l’adventice de plusieurs organes dont ils réguleront l’activité en prévenant tout risque de stress ou de dommage. Plusieurs milliers d’entre eux se glissent aussi à travers la muqueuse utérine pour établir des liaisons spécialisées avec le bébé arrivé à terme.

Un écran s’allume sur la cloison. Un visage apparaît. Un visage masculin aux traits réguliers, presque trop symétriques. Des cheveux châtains coupés courts, un menton viril et de hautes et larges pommettes. Ce visage inspire la confiance, renvoyant l’image d’un professionnel compétent et rassurant qui saura faire face à tout imprévu.

« Madame Cruzaway, je viens de prendre connaissance du rapport transmis par le serviteur. Aucun problème n’est signalé. Le bébé se présente bien. Tout devrait donc se passer le mieux du monde. Je ne vais pas vous déranger trop longtemps. Cette nuit semble une nuit propice aux parturientes. Je dois superviser une bonne vingtaine d’accouchements simultanément rien que dans mon portefeuille de patients. Mais ne vous inquiétez surtout pas. Je serai joignable à tout moment et votre serviteur pourra me prévenir si le besoin s’en faisait sentir. Je reviendrai vers vous... mettons dans une vingtaine de minutes ! D’accord ? »

Le médecin leur fait un large sourire bienveillant et ses regards se portent ailleurs. Le demi-serviteur coulisse sur le rail parallèle à la couchette et met en place les étriers pour permettre à Vee de s’installer le plus confortablement possible. Les contractions augmentent d’intensité, annonçant l’imminence de l’effacement du col de l’utérus. Entre les cuisses luisantes de Vee, une petite tête apparaît peu à peu, les phases de contractions abdominales étant contrôlées par les nano-filaments. Vee n’éprouve aucune douleur, les micro-fibres diffusant notamment des analgésiques directement dans l’espace péridural qu’elles ont colonisé. Elle ressent juste une agréable euphorie, consciente de tout ce qui se passe en elle et autour d’elle. Daam est manifestement sous le charme, respirant bruyamment sous le masque de tissu. Le serviteur accompagne soigneusement cette phase cruciale, ses gestes sont extrêmement fluides et précis, veillant à soutenir le bébé durant son expulsion.

A présent le bébé repose entièrement sur la couche. Une fine chevelure argentée entoure le cordon ombilical qui le relie toujours à sa mère. Ce sont des milliers de nano-filaments qui resserrent progressivement leur étreinte autour du cordon jusqu’à finir par le sectionner. Le serviteur soulève délicatement le nouveau-né pour le coucher dans une couveuse qui s’est ouverte sans bruit dans la paroi de la cabine. Puis, revenant vers la jeune maman, il termine les dernières phases de l’accouchement. A l’aide d’une canule autoguidée, il aspire le placenta résiduel. Il place enfin sur les bandes caoutchouteuses des petits galets plats qui émettent un léger bourdonnement. Quand celui-ci s’éteint quelques minutes plus tard, le serviteur détache les bandes dans lesquelles les nano-filaments se sont entièrement rétractés.

Sur l’écran, l’obstétricien félicite Vee et Daam. Il vérifie les résultats des tracés biologiques qui ne présentent aucune anomalie. Le bébé est viable. La maman se porte bien. Il renouvelle ses félicitations et met fin à la liaison. Le serviteur ausculte une dernière fois Vee et applique sur son bas-ventre une membrane souple destinée à accélérer la cicatrisation. Son travail achevé, l’automate s’écarte et se fige dans une immobilité toute mécanique.

« Tu veux que je t’aide ? » demande Daam.
« Non, je me sens bien. C’est une sensation très agréable. Je suis sur un petit nuage ! »

En effet, la jeune femme n’a aucun mal à s’asseoir sur la couche puis à se tenir debout, une main posée par prudence, sur le bras de Daam.

« J’ai envie de dormir ! » déclare Vee qui baille longuement.
« Entendu, allons nous coucher ! » répond Daam .

Ils sortent de la cabine médicalisée et traversent le grand vestibule pour rejoindre le couloir qui mène aux chambres. Un détail alerte Daam et le stoppe dans son élan.

« Quoi ? » demande Vee.
« Regarde, au premier étage, la porte! »

Vee hoquète de surprise. La porte est entrebâillée. Cette porte qui devait restée hermétiquement fermée sous peine de voir leur bail irrémédiablement résilié. En une fraction de seconde, Daam se voit déjà raccompagné par des fusiliers planétaires jusqu’à l’ascenseur des étoiles pour être expulsé du Paradis. La porte est ouverte !

« C’est toi qui l’as ouverte ? » questionne Daam.
« Bien sûr que non, idiot ! Je ne suis même pas montée à l’étage ! » rétorque Vee.
« Elle ne s’est pas ouv...... » Daam ne peut finir sa phrases, les mots s’étranglant dans sa bouche.

Une sorte de brume opaque s’échappe de la chambre du premier, en grosses volutes moutonnantes qui bientôt, dévalent lentement les premiers degrés de l’escalier. Elle dégage une impression si malsaine qu’elle fait reculer instinctivement Daam et Vee.

« Mon bébé ! » s’exclame Vee en se précipitant vers la cabine.
« Dépêche-toi ! » lui lance Daam qui fait un autre pas en arrière.

Vee revient tenant contre elle son bébé enveloppé dans une couverture. Ensemble, ils se réfugient dans le séjour où est installé le terminal de communication. La brume noie désormais tout l’escalier et commence à se répandre dans l’entrée.

« Je vais appeler du secours ! » dit Daam qui a refermé la porte derrière lui pour tenter de contenir la brume.

Il appuie sur une zone tactile du panneau de commandes. Aucune réponse. Il essaie à nouveau. La console de communication demeure inerte. Il jette un regard affolé vers la porte où transpire déjà une fine pellicule opaque. Les panneaux de bois deviennent poreux et transparents comme s’ils se dissolvaient sous le baiser de la brume qui se presse contre eux.

« Il faut rejoindre la navette ! Nous nous réfugierons à la Coopérative ! » hurle Daam qui empoigne Vee par l’épaule.

Il ouvre la baie vitrée donnant sur la véranda mais il se rend vite compte qu’ils ne pourront aller bien plus loin. Les nuées sont là, dehors, encerclant le patio. Elles montent déjà à l’assaut de la véranda. Dans le séjour, où la porte a disparu, la brume pénètre à gros bouillons.

Daam attire tout contre lui Vee et le bébé. Elle enfouit son visage dans la poitrine de son époux. Juste avant qu’ils ne soient totalement enveloppés par la brume, la terreur se peint sur le visage de Daam. Il aperçoit les horribles formes spectrales qui ont surgi des profondeurs des nuées. Des formes spectrales qui ouvrent sur eux d’immenses gueules évanescentes. Les cris de leurs malheureuses victimes ne durent pas longtemps. Ils s’éteignent d’un coup comme on souffle une chandelle.

Les moissons sont enfin terminées dans ce coin perdu du Paradis aussi étendu que tout un hémisphère partout ailleurs dans l’univers. Les termes de l’accord ont été une nouvelle fois respectés par chacune des parties. Les millions d’hectares abandonnés par les centaines de milliers de fermiers récoltés cette nuit par le Léviathan vont être mis en jachère pendant une année entière. Une année paraisienne. L’hyper-monde est suffisamment vaste pour cela.

D’innombrables autres domaines, appartenant à des territoires récemment ouverts, seront dès demain proposés aux nouveaux arrivants sélectionnés à travers l’Empire pendant près d’une décade. C’est le prix exigé par le Léviathan pour ne pas chasser l’Homme du Paradis. Un prix que l’Empereur a finalement accepté de payer !

Après tout, seuls les morts vivent au Paradis n’est-ce pas? Les morts et les robots bien sûr !


Cela s'imposait... non?

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-12-27 16:56:55 

 Sang pour sang Détails
C’est une nouvelle effroyable et glaçante au déroulement inéluctable. Cette histoire est vécue au présent mais celui-ci s’enroule autour d’un passé qui ne cesse de boucler sur lui-même, abolissant toute possibilité de futur. Le traumatisme subi par le héros a oblitéré tout le reste. Il n’existe pas de futur puisque la fin était déjà inscrite au début.

Seuls les tortionnaires possèdent une identité, un visage. Personne d’autre. La vengeance est le seul moteur qui anime encore le héros. Tu entretiens également dans le récit une forme d’intemporalité particulièrement troublante. Tu distilles quelques éléments qui renseignent juste assez en peignant un décor ascétique.

L’étirement du temps qui ramène les souvenirs jamais enfouis est bien rendu, avec cette balle qui file au ralenti vers le front. Mais la description de l’explosion du kamikaze est un moment très fort, où tu maîtrises diablement les mots et les images. Le héros extériorise l’enfer intérieur dans lequel il a vécu jusque là et dans cet enfer vont brûler ses ennemis ! Respect. C’est de la très belle ouvrage Onirian ! Chapeau bas ! J’aurais aimé écrire certaines de ces phrases!

Oui, bien évidemment, la consigne est respectée. Il y avait bien une créance de sang qu’il fallait recouvrer un jour. Si j’avais un seul petit bémol à émettre, je dirais que le titre n’est pas à la hauteur du récit. Je pense que tu peux trouver mieux.

Au rayon des bricoles :
-"J'aurai préférée.." : j’aurais préféré...
-"par un groupe de résistant..." : un groupe de résistants...
-"j'aurai aimé..." : j’aurais aimé...

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-12-29 15:47:10 

 2011, l’odyssée de l’espèce !Détails
Trois fragments historiques qui forment une trame où tu brodes une réflexion sur le sens de la vie.

1ère époque : Une furieuse impression de proximité avec le chef d’oeuvre de Kubrick quand les grands singes découvrent le monolithe noir. D’ailleurs le morceau de mica qu'a déniché la femelle y fait directement allusion. Grâce à la magie de l’image, la possession de la pierre miroir va bouleverser l’équilibre naturel de la horde et mettre en mouvement le balancier de l’évolution. Pour le meilleur et pour le pire.

2ème époque : Là encore le miroir « moderne » intervient directement dans cette histoire. C’est un peu le conte de Cendrillon revisité. Je trouve cependant un peu excessive la réaction de la reine : il ne me semble pas anormal que sa fille lui ressemble. Par contre l’étymologie de la république est particulièrement bien trouvée, comme le côté obscur qui sera le ferment de la corruption et comme ce vizir qui voulait être calife à la place du calife ! Les amoureux des biens publics sont toujours déçus.

3ème époque : dans ce volet, il n’y a pas de miroir à proprement parler. Mais à y regarder de plus près, il y a ces jumelles. Chacune n’est-elle pas le miroir de l’autre ? En outre, les jumelles ne sont-elles pas des miroirs articulés? Et ce miroir « humain » va également définitivement enterrer toute chance à l’humanité de repeupler le monde. Le propre du miroir est de refléter à l’identique ce qui lui fait face. Or, le jeune chasseur rompt cette symétrie parfaite. La jumelle esseulée s’en prendra d’abord au reflet infidèle qu’est devenu sa jumelle et celle-ci, logiquement, va se retourner contre celui qui a causé la perte de son propre reflet. La boucle est bouclée et le miroir est cassé. Pour rester dans le contexte des contes, je dirais que cette histoire m’a fait penser au mariage subtil d’« Alices au pays des merveilles » (le « s » est important), à cause de ces petites ingénues aux boucles blondes (ne me demandez pas pourquoi !) et d’un épisode de la série « la 4ème dimension » qui a abordé plusieurs fois le sujet de la fin du monde.

Le texte possède un rythme ternaire, une sorte de valse à trois temps où les différentes parties s’enchaînent et se répondent. Sauf les éléments contenus dans les premiers paragraphes de la première partie qui m’ont un peu désorienté. Ils ne me semblent pas coller avec les suivants : il y a trop de distance entre eux et la suite. Après, tout va bien. Les descriptions sont fouillées avec ce qu’il faut de décalage dans le ton et le vocabulaire pour bien différencier les époques. Les progressions, générale et individuelles, sont également fluides et naturelles.

Le dernier mouvement de la valse ramène le balancier à l’état naturel. Finalement, que la nature serait belle si la conscience n’existait pas ! Si la science sans conscience est la ruine de l'âme, la nature sans conscience serait le paradis de l'homme (mais cela n'engage que moi!).

M (expert es miroirs!)

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2012-01-03 14:59:28 

 Commentaire Onirian, exercice n°100Détails
Plus qu’une histoire de commencement, c’est une histoire de fin... Une histoire de temps cruellement arrêté, comme ce texte où le temps est suspendu dans la seconde qui précède la mort. Ca me fait penser à ces vers d’Edmond Rostand, dans Cyrano :
« Dans ce trajet si court de la branche à la terre
Comme elles savent mettre une beauté dernière
Et malgré leur terreur de pourrir sur le sol
Veulent que cette chute ait la grâce d’un vol... »

Ta grâce, c’est la violence extrême où la mort est omniprésente. Le passé comme le présent sont tous deux écrits au présent, avec l’astuce des italiques, et le processus est très efficace. Le passé est toujours actuel pour ce héros qui n’a plus d’avenir depuis longtemps. L’intrigue est cohérente, l’écriture forte, mêlant poésie sauvage et horreur innocente.
Bricoles :
-il ralenti : ralentit
-Accents circonflexes : paraît, maîtresse, traître, dégoûtant
- et à l’inverse : tache (une tâche est un travail)
- j’aurais préférée : préféré
- la fois ou j’ai renversé : où
-un indicent : incident
- la déflagration qui ne s’est jamais arrêté : arrêtée
- l’image qui est gravé : gravée
-je vois l’instant il se transforme : où
-que les soldats s’en aille : aillent
-j’aurai aimé, j’aurai tué : aurais
-je me suis fait récupérer : j’ai été récupéré (recueilli serait encore mieux)
-groupe de résistant : résistants


La seule ombre au tableau, comme te l’a fait remarquer Maedhros, c’est le titre : tu peux faire beaucoup mieux !
Mais pour le reste, c’est un texte excellent, à la fois inéluctable et horrible, et pourtant non dénué d'une certaine pureté... certes rouge...
Narwa Roquen,comme le lapin blanc, en retard, en retard...

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2012-01-04 19:45:54 

 Sang ??Détails
Ah ouais... Pas mal...
Bon, je vais participer ! Je ne sais pas quand, je ne sais pas comment, je ne sais pas avec quoi mais je vais participer. Pour le principe. La 100e WA ne peut pas se passer 100 moi ! (<= humour !) Même si je dois suer 100 et eau, je participerai !

Est', faites comme si je n'avais pas disparu depuis quatre mois, vous voulez bien ? Ah merci, je savais que vous étiez sympas !

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2012-01-11 23:17:49 

 Commentaire Maedhros, exercice n°100 (début)Détails
Quelle histoire ! Gigantesque et démesurée, comme sa planète d’origine. Manichéenne. Le blanc et le noir, le paradis et l’enfer, la vie et la mort. Bercés par la luxuriance bienheureuse du 1° épisode, on s’extasie, on s’habitue, on s’abandonne... Et plus dure est la chute, et plus douloureuse la désillusion, quand tu nous fais vivre le quotidien de tes héros, échappés de leur enfer natal pour gagner un paradis qui va se transformer en un nouvel enfer, cette fois-ci mortel...
Les deux parties sont aussi opposées que le jour et la nuit. On commence par la lenteur immuable de l’éternité, le présent est au présent, le passé est au passé, tout est dans l’ordre des choses, structuré, prévu, sans faille et sans défaut, c’est le Paradis, la perfection extrême. Tout est bien.
La seconde partie nous plonge dans le chaos. Ruptures de rythme, changements de temps, l’ « après » au présent précède l’ « avant » au passé ; le lecteur s’affole, halète, se fige dans une angoisse hypnotique, pris dans un tourbillon de violence où les entités monstrueuses ne sont pas moins folles que l’orgueil humain, incapable de se résoudre à l’humilité. Cruauté suprême, raffinement pervers, craignant sans doute que le lecteur ne se distancie trop de toutes ces morts anonymes, tu parachèves le tout en nous faisant vivre l’horreur dernière des héros de la première heure, fauchés au moment même où leur dernier rêve se réalise... avec la bénédiction du Pouvoir en place, qui de tout temps ne recule devant aucune atrocité pour se maintenir.
Le contexte SF m’a tout simplement bluffée, que ce soit la description du monde d’origine, celle de la planète géante, de l’attirail militaire, des entités monstrueuses... sans parler de l’accouchement, vraiment impressionnant !


Bricoles :
I
- intempérie climatique : redondant
- l’échelle de la taille de l’Univers : « de la taille » n’est pas indispensable
- Qui avaient toujours su : ont
- Son prix était : est
- ... les tendres épis sans répit : ça sonne bizarre
- Les étoiles qui brillent du firmament : au
- Quand Vee lui avait confié : lui a confié ; idem : le test s’est avéré, elle attend
- Quand les employés pénétrèrent : avaient pénétré, ou mieux « étaient entrés »
- Nerve : 3 fois, et puis elle devient « Verne ». Perso, je préfère Verne.
- Quatre vingt pages : quatre vingts pages (mais quatre vingt deux pages)
- Elle a coupé court en précisant qu’il y a ... et quelle ignorait : ignore
- On les avait appelées ainsi : on les a

II
- A qui avaient-ils eu affaire : ont-ils
- Les arracher à la gravité la planète géante : de
- Culminait une hauteur : à
- Se matérialisa à quelques millimètres... séparée par moins d’un millimètre
- Ce qui faisait Armstrong un être : d’Armstrong
- Le major Armstrong monte bord : à
- Une multitude de régiments de ligne traditionnel : traditionnels
- A exhiber gri-gri, amulettes : au pluriel grigris ou gris-gris
- Parentalité, eux qui sont nés : étaient
- Leur code génétique a été... sélectionné : avait
- Elle l’aurait pour elle..., quand le bébé viendrait : elle l’aura, viendra
- D’autres qui ... amplifie la sécrétion : amplifient
- Anagène : dans les dictionnaires que j’ai consultés, c’est un adjectif



(à suivre)
Narwa Roquen,qui s'accroche

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2012-01-15 23:24:11 

 Commentaire Maedhros, exercice n°100, suite et finDétails
Je te remercie d'avoir une fois de plus enrichi mon vocabulaire ( dahir, spetsnaz, anagène). J'ai deux questions et une perplexité.
- Dans le I tu écris qu'il n'y a aucun soldat ni aucune arme délétère sur Paraiso. Dans le II, avant le début des troubles, tu dis que la 17° légion y est stationnée. J'ai raté un épisode?
- "Aucune vie évoluée n'a jamais été détectée sur la planète géante": je suppose que c'est "avant l'arrivée des hommes".
Le paragraphe sur Verne m'a laissée perplexe ( changement de nom mis à part). Tel que c'est présenté, elle semble suspecte, mais cette piste tombe complètement à l'eau. Du coup on ne comprend pas bien ce qu'elle vient faire là. Les informations que ce chapitre nous apporte auraient pu être insérées ailleurs, et je me demande à quoi sert ce personnage, d'autant que le passage est long. Ca sonne un pêu creux et c'est dommage, au milieu d'un texte si fort. Ou alors j'ai encore raté un épisode, et il va falloir que je change de lunettes.


Globalement, c'est un texte excellent qui honore notre WA, et dont l'histoire, excessive d'un bout à l'autre, convient bien à ta plume toujours en quête d'horizons sans limite. Je radoterai une fois de plus ( mais à mon âge c'est permis) en disant que le roman te sied bien plus que la nouvelle - mais peut-être es-tu déjà en train de l'écrire... Cette histoire, en tout cas, se prêterait bien à un développement. Et je ne parierais pas un centime que l'imagination te fasse défaut!
Narwa Roquen,dont la boule de cristal prédit qu'elle sera en retard pour la 101...

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2012-01-20 19:21:33 

 En fait...Détails
Pour cette histoire, j'avais accumulé pas mal de matériel que je n'ai pas réussi à utiliser en totalité.
J'ai donc fait des raccourcis qui ont sans doute altéré la cohérence du récit.

a) J'avais imaginé qu'il s'était écoulé beaucoup de temps entre l'échec de la 1ère tentative de colonisation (qui avait vu la déroute des armées impériales et la soumission de l'Empereur) et la colonisation actuelle. En outre, les termes de l'accord conclu entre l'Empire et l'entité planétaire ont été tenus secrets, au plus haut niveau. Et donc, depuis la défaite impériale, aucune troupe n'a été autorisée à stationner à la surface de la planète.

b) il s'agit bien sûr d'une forme de vie indigène.

S'agissant de la chargée de mission, cela devait répondre à plusieurs buts :

- introduire le concept des robots qui sont en fait les uniques habitants permanents du Paradis et qui sont les métayers du Léviathan.
- faire le lien entre l'arrivée des colons au Paradis et les haciendas où vivent les fermiers.

Mais il y a plein de points que j'aurais voulu développer :
- les enfants des profondeurs
- les psyborgs
- les castes impériales : le timon, le trône, le pont
- la disparition de la 17ème légion
etc...

Mais je cours après le temps!

M


-

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2012-01-21 13:59:25 

 Si tu le rattrapes...Détails
... donne-moi la recette!
Donc en fait si je comprends bien, la 1° partie est postérieure à la seconde... ce qui n'est pas du tout évident, et je t'assure que j'ai relu l'intégralité au moins quatre fois... Je suppose que z653z aura pigé ça du premier coup, mais pour nous autres pauvres d'esprit, s'il pouvait y avoir une petite balise pour nous indiquer le chemin des Cieux...
Idem pour Verne, j'avais bien capté qu'il y avait anguille sous roche, mais guère plus. Effectivement avec tes précisions sa présence est largement justifiée, mais ce serait encore mieux si c'était dans le texte...
Et donc j'avais quand même un peu raison en disant qu'il y avait matière à développer...

Je propose que tous ceux qui s'ennuient envoient par mail un peu de leur temps à ceux qui en manquent. Tout le monde y gagnerait! J'entends Fladnag qui maugrée... Qu'est-ce que tu dis? Que ça suppose des modifications structurelles qui pour l'instant ne sont pas au point? Même dans le Cercle? Ben alors, mon p'tit gars, va falloir se mettre au boulot...
Narwa Roquen,du temps pour les auteurs! Du temps pour les auteurs! (manif)

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2012-01-22 13:08:42 

 Ou bien celui qui pourra me donner...Détails
... le numéro de Lou-Tsé.

Je crois que le petit balayeur pourrait bien me pousser un peu de temps, si je le lui demandais gentiment.


M

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Netra  Ecrire à Netra

2012-04-03 14:39:23 

 WA n°100, participationDétails
Bon, je sais que j'ai beaucoup de retard mais voilà ma participation à la WA 100 ^^
C'est pas une nouvelle, mais j'ai pas vu de style imposé, à par que ça devait parler de sang ! Pour ceux qui ne savent pas, une Gwerz est en Bretagne une chanson qui raconte une histoire triste... c'est donc destiné à être chanté, avec l'accent si possible ! Par contre, je n'ai pas poussé le vice jusqu'à l'écrire en breton ^^

Gwerz Anaig
La complainte de la petite Ana


C'est l'histoire de petite Ana,
La fille du poète de Saint'Croix,
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Pour qui le glas ne sonnera,
Dedans la chapelle de Saint'Croix.

Treize ans et belle comme la nuit
Cheveux d'ébène et grands yeux noirs,
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Servait à l'auberge du Vieux Puits,
La petite Ana, tous les soirs.

Elle chantait comme rossignol,
Au grand pardon de Notre-Dame
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Elle chantait comme un rossignol,
De tout son coeur, de toute son âme.

Un soir à l'auberge du Vieux Puits,
S'en vint un garde du château
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
« Je viens pour la ronde de nuit,
Qui veut du vin et du gâteau ! »

« Las, » lui répondit le patron,
« Le gâteau du soir n'est point cuit ! »
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
« Retournez à la garnison,
Ana ira avant la nuit.

À la poterne du Trou-au-Chat,
Pour vous porter vos provisions ! »
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
« Avant la nuit petite Ana,
Tu iras à la garnison. »

À la poterne du Trou-au-Chat,
Avant la nuit se présenta
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Avec les vivres des soldats,
La si jolie petite Ana.

« Entrez la belle à l'intérieur,
De la poterne du Trou-au-Chat, »
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
« Nous vous paieront pour le labeur, »
Dit le capitaine à Ana.

« Je n'ai point le besoin d'entrer, »
Répondit-elle au capitaine,
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
« Payez-moi, je dois m'en aller,
Le patron n'aime point que je traîne. »

« Hors ça, la belle, vous entrerez,
De gré, de force, bien peu m'en chaut ! »
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
« Pour nous ce soir vous chanterez,
Et vous chanterez clair et haut ! »

À l'aube l'enfant éplorée,
Supplia chacun des soldats.
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
« Vous qui m'avez déshonorée,
Ayez pitié et tuez-moi ! »

Mais aucun d'entre eux n'eut pitié :
Ils renvoyèrent petite Ana
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Avec son dû et son panier,
De la poterne du Trou-au-Chat.

À Saint'Croix quand Ana revint
Dedans l'auberge du Vieux Puits,
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Le patron la vit, l'entretint :
« Où donc as-tu passé la nuit ? »

Tous les gars du bourg de Saint'Croix
S'en allèrent monter au château
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Pour mander le duc de faire loi,
Comme il se doit et comme il faut.

Le duc écouta leur affaire,
Le capitaine et les soldats
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Ne surent ni que dire, ni que faire,
N'osant nier devant Ana.

Le duc jeta aux pieds d'Ana
Une bourse pleine de louis d'or.
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
« Ainsi dotée, l'on t'épousera,
Et à présent va-t'en dehors ! »

« Mon capitaine et mes soldats
N'auront pas d'autre châtiment. »
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Mais la bourse d'or demeura
Sur le pavé du bâtiment.

« Je suis peut-être fille de peu, »
Dit petite Ana au seigneur,
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Et sa voix était comme un feu,
« Mais au moins suis-je fille de coeur ! »

« Mon honneur n'est point marchandise
Que l'on achète, même à prix d'or, »
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
« Et que partout on se le dise :
Au déshonneur, mieux vaut la mort ! »

Et devant les gens de Saint'Croix,
Dans la rivière, petite Ana
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Du haut du vieux pont de Saint'Croix
Sans hésiter, elle y sauta.

On ne retrouva point son corps
Que la rivière loin emporta,
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Mais à Saint'Croix on chante encor
L'histoire de la petite Ana.

L'histoire de la petite Ana,
La fille du poète de Saint'Croix,
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Pour qui le glas ne sonnera,
Dedans la chapelle de Saint'Croix.

Épilogue :
Le lendemain, le capitaine
Fut retrouvé mort sur son lit
Lan, di lan hé ! Lan hey-ha !
Un jupon sanglant dessus l'aine,
Par la peur les cheveux blanchis...


Netra, breizh-blues...

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Netra  Ecrire à Netra

2012-04-03 17:47:46 

 Bloody hell !!!Détails
AH ben c'est bon, du sang on en a !!!

Donc, histoire rapide et efficace, qui prend aux tripes et touche en plein coeur. Aïe.

J'ai beaucoup aimé l'alternance passé/présent, même si je crois que tu aurais pu accentuer le changement de registre entre l'enfant et l'adulte...

Thanks !!!

Netra.

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2012-04-08 23:03:56 

 Commentaire Netra, exercice n° 100Détails
Décidément c'est fou le nombre de voyages qu'on peut faire dans le Cercle! Voyage en terre inconnue, et en un temps pas si reculé que ça... On imagine la lande de genêts et d'ajoncs, les forêts profondes, les petits villages autour du clocher, les rochers battus par les flots, les filles en coiffes blanches et en sabots, et le beurre salé sur les tartines...
L'histoire est intéressante à plus d'un titre. Elle se pare des couleurs et des sons du folklore pour faire pleurer dans les chaumières, tout en dénonçant les drames de la misère. Travail de nuit à 13 ans, indifférence du patron, violence des hommes envers la proie sans défense, mépris de ceux qui devraient protéger et servir... Face à cet univers cruel et corrompu, se dresse une petite fille qui place l'honneur au dessus de sa vie...
Ah il en a coulé de l'eau dans la rade de Brest depuis le temps où la parole donnée n'avait pas besoin de s'écrire, où la virginité était une question d'honneur et l'honneur une affaire de vie ou de mort. Est-ce un bien, est-ce un mal? Tout cela nous semble terriblement romantique, mais je ne suis pas sûre que les femmes qui subissent encore la domination masculine absolue ( et son corollaire, le culte de la virginité) partagent cet avis.


Les rimes sont plus souvent masculines (tiens tiens...) qu'alternant masculines et féminines. La métrique est octosyllabique... à condition de jongler quelquefois entre les e sonores et les e muets... Mais bon, c'est chanté, profitons de l'aubaine!


Puisses-tu chanter souvent cette ballade devant un public d'adolescentes et les faire réfléchir à l'évolution du monde, qui a moins besoin de Lolita égoïstes et narcissiques que d'êtres humains solidaires et respectueux les uns des autres.
Votez Netra!
Narwa Roquen,le poing levé

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z653z  Ecrire à z653z

2012-05-02 17:37:06 

 ordre des partiesDétails
En fait, je n'ai compris qu'à la fin (les trois derniers paragraphes de la 2e partie : "Les moissons sont enfin terminées....") que la première partie était postérieure mais la phrase d'introduction de la 2e partie m'avait mis sur la piste :
"Les premières étapes de la colonisation s’étaient pourtant déroulées sans incident notable." autrement dit : tout avait si bien commencé avant le présent décrit dans la première partie.

Aussi, le robot dont la nature est cachée (pas de marque dans la nuque alors que c'est obligatoire dans le reste de l'Empire, etc...), et le fait qu'ils soient autant conditionnés ("articulant les mots de façon machinale") annoncent que ça va mal tourner pour eux.
De plus, le fait que ceux qui accueillent soit des robots sans sentiments permet de ne pas éveiller les soupçons.
L'obstétricien de Terminal City est-il un robot lui aussi ("aux traits réguliers, presque trop symétriques") ?
La jachère dure 982 jours mais il faut une décade pour recruter que se passe-t-il pendant plus de 7 ans ?

La 2e forme masculine de la fontaine ressemble au léviathan. Cela ressemble à une humiliation supplémentaire pour l'Empereur.
Le gagnant du concours qui meurt mystérieusement, ça parait louche aussi.

J'ai bien aimé le Nylde parallèle du Nylon.

Répétition (première partie) : qui forment le fer de lance invincible des armées impériales, n’a planté son Aigle impériale
Répétition (première partie) : Le jury comprenait cent quarante quatre membres et Bocielli a recueilli cent quarante quatre voix.

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z653z  Ecrire à z653z

2012-05-07 00:44:26 

 sang pour sangDétails
Sang de la victime et sang du bourreau.
C'est vrai qu'au milieu de l'hommage, je n'avais pas remarqué que le format n'était pas imposé et un poème pour cette participation m'a agréablement surpris.
Il n'y a plus qu'à le mettre sur un album, si ce n'est pas déjà prévu.

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Netra  Ecrire à Netra

2012-05-11 17:12:48 

 Sur un albumDétails
Dame ! Non, c'est pas encore prévu... On vient de finir le premier, le second n'est donc encore qu'un mirage...

Merci pour la lecture et le commentaire ^^

Netra, sur la route des ELFICs...

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z653z  Ecrire à z653z

2012-05-15 23:51:01 

 Trois fois troisDétails
Les histoires auraient pu s'arrêter à leurs deuxièmes parties pour être conclues par un ultime paragraphe regroupant les trois histoires. Mais finalement, la 3e partie de la 3e histoire remet les compteurs à zéro en guise de conclusion.
Pour conclure, tout s'enchaîne et on attend un peu trop le moment où les trois histoires se rejoignent.

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z653z  Ecrire à z653z

2012-05-16 00:07:48 

 indicesDétails
"ouvrir les doigts"
"Je voulais qu’il sache que son tour arrive, qu’il fasse dans son froc. "
"Je me demande si lui aussi, à l'instant de sa mort, verra s'approcher tout doucement les flammes de l'enfer que je lui offre"

Je n'ai rien vu venir (comme le moustachu) et le héros tue aussi le chef des méchants (Président-du-Peuple).
C'est superbe. Merci.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-04-12 10:29:08 

 WA100 : participationDétails
Sève rouge





Au temps des bourgeons, un petit frère à plumes est venu se réfugier dans mes bras. Il y a bâti son nid. Je le discerne à peine tant il est rapide mais je sens sa présence timide. Des jeunes pousses lui sont nées un moment après. Petits êtres duveteux qui pépient joyeusement. Le soleil me réchauffe. Le vent rugit et s'acharne sur mon corps robuste sans pouvoir l'ébranler. La pluie ensuite. Le jour, la nuit, le jour encore. La saison fanée est venue et les sangliers se délectent de mes fruits. Ils s'affairent à mes pieds. Ils sont moi. Je suis eux. Nous sommes un tout. Douce plénitude de cet équilibre immuable. Bientôt le temps du repos. Longues nuits froides où je somnole. Des serpentins de glace pendent à mes doigts et carillonnent dans la brise.

La sève coule à nouveau dans mes veines et la forêt est pleine de chants. Des parfums verts et ocres montent vers moi. Voici des animaux tels que je n'en avais jamais vus. Ils se couvrent des peaux d'autres bêtes et tressent leur pelage blond. Ils ont levé de grosses pierres. Ils ont creusé aussi, juste devant moi, un puits profond dans le sein de la terre. Une inquiétude vague fait frissonner ma chevelure verte; j'ignore pourquoi. Un jeune est là un instant. Il parle aux pierres dressées. Sa tenue de fibres blanches tombe jusqu'au sol et de l'or brille à son cou. La saison de la chaleur. Le jeune animal vient souvent. Je lui offre mon ombre bienfaisante. Il chante et étend ses membres vers les cieux et j’entends l’Autre Monde murmurer doucement.

Les bourrasques ont emporté mes dernières feuilles. Il est monté dans ma ramure. Il a brandi une lune de métal et a ôté tout le gui qui m'étouffait. Cet être est aimable. Mes bras lui sont ouverts. Les saisons passent. Déjà, la mousse a recouvert le cercle de pierres. L’être n'est plus seul. Ses mots emplissent la clairière. Il a montré du doigt un de ses semblables, un animal frêle et sec comme une branche morte, et les autres se sont jetés sur ce dernier pour le rouer de coups ! Je ne comprends pas. Je sens la satisfaction du jeune et je ne comprends pas. La douleur et les cris résonnent entre les troncs. La sève du supplicié coule sur l'humus. Rouge.

La chaleur, le repos, la chaleur encore... L'être a flétri. Les années ont creusé son écorce de sillons profonds. Son pelage est blanc à présent et poudré d'or. Il vient dans la clairière avec des jeunes et leur montre les étoiles. Il leur fait observer le vol des oiseaux. Bourdonnement de leurs voix rapides. Beaucoup d'êtres entre les pierres soudain. Odeur âcre de la peur et de la colère. Ils sont couverts de cuir et de métal. Ils portent des objets de fer aigu. Je suis troublé. Que se passe-t-il ? Un taureau est amené. Muscles imposants qui roulent sous la peau sombre. Mufle écumant. Il se penche sur le puissant animal. Le pouvoir souffle soudain entre mes branches. L'Autre Monde se rapproche. Éclair du métal. Mugissement d'angoisse pure. Un deuxième coup tombe. Le sang gicle, éclabousse mes racines. Le flot pourpre s'infiltre entre les feuilles sèches. Le taureau s'effondre. Doucement. Tout à coup, tout est ralenti. Je sens sa souffrance et l'incompréhension qui fait écho à la mienne. La sève rouge inonde le sol, baigne mes radicelles et monte jusqu'à moi. Se mêle à la mienne. Vacarme des êtres qui hurlent leur plaisir barbare. Grondement muet de la magie. Tristesse. Pourquoi sont-ils heureux de l’avoir tué ? La mort est nécessaire à la vie mais ne doit pas être source de joie.

L'être vient toujours s'assoir à mon pied mais il n'est plus le bienvenu. Sa présence souille le sanctuaire paisible de la forêt. Le contact de son corps contre le mien me dégoûte mais je ne puis l'empêcher. Incrédule, je songe au taureau. Même pas mangé. Jeté dans le puits pour y pourrir. Tué pour quoi ? Pour la première fois depuis trois siècles, je suis amer. Lentement, le corps du taureau rejoint la terre ; me rejoint. Viens, mon frère.

Quelques jours passent. La horde revient. Ils amènent un cheval. La peur m’enserre de ses mains froides. Il a sorti son arme de lune et les autres trépignent d'impatience et entrechoquent des objets métalliques. Non ! Ne lui fais pas de mal ! Le cheval est attaché. Il encense nerveusement. Parfum acide de la transpiration qui perle sur sa peau. Le temps s'étire ignoblement, ne m'épargnant rien de la vilenie à venir. Le cheval rue à présent et tire sur ses liens. On l'entoure. On le met à genoux. Non ! Que n'ai-je des paupières à fermer pour ne pas voir ! Que n’ai-je un regard à détourner de cette horreur ! Hennissement interminable tandis que l'être lui ouvre la gorge de sa lune tranchante. La vie s'enfuit en un fin torrent. La terre, encore une fois gorgée d'écarlate. Le cheval hoquète et s'effondre. Explosion de hurlements féroces tout autour. Ma conscience se tend vers le cheval. Douleur; douleur qui pulse. Supplice qui se prolonge sans fin. Et puis s'éteint. Le cheval est mort et tout mon être ressent sa perte. Son sang irrigue mes membres, y infuse un changement impie. La magie rugit en silence, s'enroule autour de moi. Souffle d'ambre et d'opale. Je n'y prête pas attention. Le corps du sacrifié est descendu dans le puits. Le chagrin fait ployer mes branches. Des larmes de résine roulent doucement sur ma peau. Ce cheval était si beau. Nous étions un. Je l'aimais. Il ne les menaçait pas. Sa dépouille ne nourrira pas leurs jeunes. Ils l’ont tué pour rien.

Vent et pluie. Averses brutales qui martèlent mon feuillage naissant. Les journées s’étirent inexplicablement. Où est donc le temps où les évènements passaient en un éclair, sans que je puisse les saisir ? Qu’est-il advenu de ma bienheureuse indifférence ? Comme je voudrais la retrouver ! Les regrets me vrillent l'âme. Me torturent. J'étais impuissant. Pourquoi tout cela ? Pourquoi cette... violence ? Que sont-ils ? Pourquoi font-ils ça ? Que ne puis-je m'arracher à la terre et me dresser face à eux ! Pensée incongrue. Si loin de mon essence. J’ai changé. La sève qui parcourt mes veines n’est plus tout à fait la mienne. Et l’Autre Monde est tout près à présent. Si près que je peux sentir la Brume.

La saison des fleurs est venue. Les êtres sont là de nouveau. Ils ont allumé des feux. Ils ont dansé des danses sauvages et se sont accouplés. Odeur honnie de la fumée qui s’accroche à moi. Ils ont tué. Encore. Un de leurs semblables. Un animal vénérable, aussi noueux qu’un cep de vigne, aussi noir de poil qu’ils sont blonds, la peau tachetée de pigments minéraux. Il est resté très droit tandis que l’être à la lune tranchante brandissait le poing et attisait la fureur de la meute. Il n’a pas gémi quand son sang a coulé. Ils l’ont poussé brutalement et il est tombé, lentement, si lentement, au fond du puits. Son corps est allé rejoindre les autres. L’horreur et la répulsion m’ont envahi de nouveau. Et puis la colère comme une flamme ardente. Ces animaux ne font pas partie de moi. Ils n’obéissent pas à nos lois. La rage m’envahit, mon fût tremble. Imperceptiblement, mes branches se tendent vers mon ennemi qui, les pupilles dilatées, la gueule entrouverte, se délecte de la mort. Je découvre la haine.

Le temps se dilate de plus en plus. Longues nuits lugubres et mornes journées qui n’étaient pour moi que clignotement. Insectes bourdonnants, trop prompts pour que j’en connusse autrefois l’existence. Des chants barbares résonnent dans la forêt qu’empuantit encore la fumée des brasiers. Mes racines aspirent à contrecoeur l’immonde liquide cramoisi qui gorge l’humus. Ce flot impie se répand dans chacune de mes cellules. Me corrompt. Tourment. Chaque mort, chaque cri me revient sans cesse, me hante. Affliction. Les oiseaux, les cerfs ont fui. L’harmonie si précieuse s’est rompue.

Mon ennemi est là. Comment l’étoffe qui le vêt peut-elle être si blanche ? Les autres se prosternent. Deux brutes amènent la victime. Grondement sourd de la foule, semblable à l’orage. On la pousse, on la tire, jusqu’au bord du puits. C’est une femelle à peine sortie de l’enfance, aux longues boucles blondes, aux yeux écarquillés de chouette. Une senteur de miel et de chèvrefeuille monte de son corps gracile, couvrant un instant les relents âcres des feux. Elle halète. Elle sait qu’elle va mourir. La meute vomit son fiel, impatiente de jouir du carnage. Ô Déesse, empêche-les de la tuer ! La lune d’or jette un éclat sinistre et se tend vers la gorge innocente. Non ! Cela ne se peut ! La lame s’est abattue sur le vide. La petite femelle a échappé à ses bourreaux et s’est jetée contre mon corps. Les deux brutes se rapprochent, une lueur malsaine dans le regard. Mon ennemi s’avance lui aussi, montrant les dents en un rictus carnassier. L’enfant cherche en vain une issue, une cachette. Elle se presse contre mon écorce comme si elle voulait s’y fondre. Ils la saisissent par la chevelure. Elle jette un cri strident. Laissez-la ! La sève rouge tourbillonne dans mon corps. M’envahit. La Brume exsude du sol, bleutée. Ses filaments s’entortillent autour de mes racines. Elle m’enveloppe, dépose des perles scintillantes sur mes feuilles. La sève rouge bat dans mes veines. La lune se pose sur le cou de l’enfant. L’instant se fige. La Brume recouvre toute la clairière. La magie souffle des bourrasques iridescentes. L’Autre Monde est là et la réalité bascule. La horde commence à disparaitre, comme si elle s’éloignait. Une goutte écarlate perle sur la peau de l’enfant. Un courroux aveugle balaie ma conscience. Rouge ! Je ne vois plus que ce rouge ! Dans un craquement gigantesque, mes branches se sont refermées sur la petite femelle. Ne la touche pas, monstre ! Le choc l’a jeté en arrière. Il titube et des bulles sanglantes se forment au coin de ses lèvres. Un rameau lui a percé le coeur. Il trébuche au ralenti et bascule dans le puits. Cris d’effroi qui résonnent. Chute interminable puis un bruit mou quand il heurte les charognes, au fond.

La clairière a disparu. La Brume s’est refermée sur nous, nous emportant. L’air est différent ici. Scintillant. Pur. Le silence est total. Des lucioles dansent autour de moi. L’enfant laisse échapper un profond soupir. Je déplie mes branches, souillées à jamais par la sève rouge.

Est', le sang est la vie et j'en ferai la mienne !

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2013-04-21 15:37:53 

 Commentaire Estellanara, exercice n°100Détails
C’est un texte merveilleux, dans tous les sens du terme. En un paragraphe, grâce à quelques mots justes, on a compris ton propos, pour étrange et déroutant qu’il soit, et le style est tellement authentique que le lecteur adhère sans peine.
Quand je parle de cohérence, ton texte pourrait être cité en exemple. Le point de vue du chêne est cohérent du début à la fin, jusqu’à ne pas pouvoir se nommer lui-même, alors que le lecteur a les éléments pour le reconnaître. La poésie est présente à chaque ligne, accentuée par les ruptures de rythme, les phrases tronquées, hachées, émotionnellement fortes. Brassens aurait adoré !
Raffinement suprême, j’ai relevé 3 points-virgules ! Maedhros, prends-en de la graine !
La progression de la haine envers les hommes est parfaitement menée, en même temps que la Magie (la vraie, à l’opposé des simagrées humaines) se rapproche de plus en plus, comme à l’appel muet de l’arbre indigné.

Bricoles :
Rien ! Ou presque... « Des jeunes pousses lui sont nées... » « De jeunes pousses... », mais les deux se dient ou se disent.

« Des parfums verts et ocres » : joli !
« Que n’ai-je des paupières à fermer... » : joli !
La consigne est parfaitement respectée. C’est bien le commencement de quelque chose, et cela a à voir avec le sang.
C’est un texte d’une grande finesse et d’une grande sensibilité, où la technique partout présente et affûtée se fait oublier au profit de l’émotion. Mon seul regret, c’est que tu nous aies si longtemps privés de ton talent...
Tu seras peut-être un jour un auteur à succès, ou peut-être pas – comme on dit, c’est multifactoriel... Mais le bonheur que tu donnes aux Faëriens, à mon sens, n’a pas de prix !
Narwa Roquen, à jour!

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-04-22 14:07:34 

 Merci pour ta lecture !Détails
Ah, quel plaisir que d'être lue ! Et commentée ! Merci !
J'ai beaucoup travaillé ce texte et il m'a donné bien du fil à retordre. J'ai même failli abandonner la première personne devant la difficulté de cet être si différent de nous, sans bras, sans yeux, sans vêtement... Qui ne connait pas le mot arme, le mot guerre, le mot hiver...
Si j'étais meilleure en poésie, j'aurais souhaité en faire un poème, effectivement.
Je remercie le dictionnaire des synonymes, je remercie les légendes celtes... Je remercie ma maman aussi; faut toujours remercier sa maman. (tiens, t'as vu, un point virgule, hihi !)
« Que n’ai-je des paupières à fermer... » : c'est ma frustration qui s'exprimait là, aussi. Que n'a-t-il des paupières à fermer pour faire plus facilement comprendre au lecteur qu'il est horrifié et triste ! (^-^)
Pour être auteur, il faudrait que je travaille vraiment plus que ça ! (^-^) Et aussi que je me mette au roman car la nouvelle n'est pas un format populaire ici-bas. A ma retraite, qui sait ? Je louche du côté de la bit lit, un genre amusant et qui se vend comme des petits pains.
J'ai cinq mois de tranquillité devant moi, là (avant la rentrée du CNAM), donc tu auras encore l'occasion de me lire !

Est’, qui a presque fini le 101 et qui s’attaque au 119.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-04-29 20:31:06 

 Sur un arbre, perché, se tenait un faux mage!Détails
Voici un récit qui n'aurait pas dépareillé dans "la forêt des Mythagos", l'ouvrage cultissime de Robert Holdstock. Cette veine à la fois païenne et végétale, ces mystères qui rôdent dans des forêts magiques. L'utilisation de la 1ère personne permet au lecteur de s'identifier à cet être de sève et de bois qui de témoin impavide se transforme en acteur direct et vengeur.

Le style est vraiment très bon, avec un vocabulaire choisi. L'histoire est ramassée sur 3 pages, ce qui lui donne un dynamisme qui ne faiblit pas. Même si le ressort apparaît assez vite, tu ménages bien une progression régulière qui culmine avec l'irruption de la magie, de la vraie magie qui va punir celui qui revendiquait sans doute un statut similaire. Bien joué.

Si je devais émettre une critique, elle tiendrait au fait que tu as poussé assez loin l'anthropomorphisme de l'arbre qui connait a priori des concepts qui auraient dû lui être totalement étrangers (par exemple, le cuir et le métal ou bien la notion de siècle...).

Mais je pinaille et ton texte est vraiment excellent.

M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-04-30 08:57:47 

 Merci pour ta lecture !Détails
Trop excellent ton titre, arf arf arf !
Héhé, je me suis pris plusieurs fois les pieds dans le tapis de la première personne ! J'ai même failli abandonner tant ce choix était limitant... Pour le cuir et le métal, je suis partie du principe que ce sont des matériaux naturels. Les siècles sont passés au travers des mailles du filet. Déjà, je l'avais fait nommer les saisons avant de me rendre compte que c'était des noms humains.
Merci pour le style, je l'ai vraiment beaucoup bossé.
Contente que ça te plaise !

Est', lecteurs je vous aime !

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