Version HTML ?

Messages FaeriumForum
 Ajouter un message Retour au forum 
 Rechercher un message Statistiques 
 Derniers messages Login :  S'inscrire !Aide du forum 
 Afficher l'arborescence Mot de passe : Administration
Commentaires
    Se souvenir de moi
Admin Forum 
 Derniers commentaires Admin Commentaires 

 WA, exercice n°97 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 1 septembre 2011 à 22:07:40
J’espère que vous êtes tous rentrés en pleine forme, pleins d’audace et d’imagination. Un petit échauffement facile pour se mettre en jambes ? Le Championnat du Monde de judo, celui d’athlétisme, bientôt la Coupe du Monde de rugby, et l’an prochain, les J.O. ... Que d’évènements passionnants, que d’émotions ! Et au milieu de tout ça, un homme qui souffre. Ou plus exactement un sorcier, un Mageàlenvers qui déteste le sport sous toutes ses formes. Votre mission, si vous l’acceptez, sera d’écrire une histoire qui réconciliera Fladnag avec le sport. Osez tout ! L’extrême, la dérision, l’innovation débridée... Faites-le rire, faites-le trembler... Et ne croyez surtout pas que parce qu’il reste silencieux il ne lit pas les WA ! De jour comme de nuit, il veille...
Vous avez trois semaines, jusqu’au jeudi 22 septembre, cher à Brassens. Et le premier qui dit qu’il s’en fout a perdu ! Bon courage ! Prenez les lignes les unes après les autres, mouillez votre maillot, jouez très haut, honorez vos valeurs, mettez du rythme en gardant de bonnes sensations... etc...
Narwa Roquen, à l'ouverture


  
Ce message a été lu 8883 fois

Smileys dans les messages :
 
Réponses à ce message :
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-09-11 19:46:12 

  WA - Participation exercice n°97 part IDétails
Une histoire de magicien. J'ai pris le sujet à l'envers. Fladnag ne pourra pas m'en vouloir car il va y avoir du sport et il sera sur la ligne de départ...

-------------------------------

X-Bride


Elle est descendue tel un trait de feu sur un ciel noir et lourd. Son voyage s’achève après une longue course entre les étoiles. Elle a parcouru des distances inconcevables protégée par une enveloppe ovoïde, une perle allongée et nacrée à la texture délicatement irisée. Une odyssée fabuleuse à travers l’espace profond où le temps lui-même semble immobile. Une traversée inédite d’océans photoniques et d’éternités de vide et de silence entre des galaxies s’éloignant irrémédiablement. Mais que signifie le temps pour elle? Elle est tombée du ciel comme la larme brûlante d’un dieu solaire.

La créature scrute le paysage autour d’elle. Une lande d’arbustes serrés court sur les flancs d’une mer de basses collines qui s’étend à perte de vue. Elle se sent si loin de chez elle. Le voyage a été long et pénible. Ses membranes souples frissonnent. Elle apprend et elle a tout son temps. Au-dessus d’une formidable mâchoire, ses naseaux se dilatent lentement et ses filaments tactiles se tordent en tous sens. Il est ici, sur ce monde. Elle sent une douce chaleur l’envahir et, submergée par la sensation, elle ploie son long cou. Elle est venue pour lui des profondeurs abyssales de l’espace. Elle plisse ses yeux où brûlent des brasiers stellaires. Un point grossit sur l’horizon. Un petit nuage de poussière s’approche. Elle attend, pelotonnée sur les marches pierreuses qui ont accumulé la fournaise du soleil. Elle ne bougera pas avant de nombreuses heures. Son métabolisme s’accorde peu à peu à son nouvel environnement. Impavide, elle fixe le panache de poussière qui arrive droit sur elle. Elle étend ses ailes dont la matière nacrée et diaphane décompose la lumière du jour en flaques multicolores. Elle se souvient. Elle a faim.

***


Pas très loin de là, une tour de pierres branlantes se mire dans les eaux vertes d’un étang au-dessus duquel les libellules cuirassées se livrent à des joutes vibrionnantes. De sombres formes glissent sous la surface immobile, attendant la chute des perdantes. Un chat monte une garde vigilante sur le rebord de l’unique fenêtre à meneaux qui perce la tour à plusieurs mètres de hauteur. Un chat noir. Un chat racé. Un seigneur chat. Une puissance aux yeux verts. Les petits carreaux sont si mal nettoyés que l’on se demande comment la lumière peut pénétrer dans l’antre du magicien qui habite là. Des battements d’ailes désordonnés se font entendre juste avant une explosion assourdie, suivie par moult hoquets et éternuements frénétiques. La fenêtre s’ouvre à la volée et une tête décoiffée et noircie se penche au-dehors. Une bouche grande ouverte essaie d’avaler des goulées d’air frais. Le chat a disparu dans les buissons qui lèchent le bas de la paroi. Une voix éraillée s’exclame :

« Putain, j’ai dû trop forcer sur le dernier paradoxe ! »

Le magicien est un homme dans la force de l’âge, vêtu d’une immense robe bleu nuit et d’un chapeau conique dont la pointe a été décapitée. Il est pris d’une nouvelle quinte de toux et crache un flegme ambré qui atterrit sur la feuille d’une plante aquatique. Il se retourne pour évaluer les dégâts. D’épaisses volutes de fumées se dissipent lentement par les ouvertures de la vaste pièce circulaire qui abrite son laboratoire. Des alambics en cuivre et des cornues tarabiscotées encombrent plusieurs paillasses et des animaux empaillés le contemplent d’un air navré de leur perchoir artificiel.

Les minuscules serviteurs, humanoïdes pour la plupart, qu’il a soumis à sa volonté de haute lutte, ont détalé, terrorisés, quand la préparation est devenue instable. A force d’essuyer les échecs de Mirnel, ils ont acquis une grande efficacité dans leurs procédures d’extrême urgence. Cette fois-ci pourtant, ils laissent derrière eux les petits cadavres carbonisés de trois de leurs compagnons qui, par malheur, se sont trouvés trop proches de l’épicentre de la déflagration.

Le magicien brasse l’air de ses grands bras pour accélérer le renouvellement de l’atmosphère, mais sa technique assez rudimentaire est encore loin des possibilités offertes par un bon ventilateur deux pales. Toutefois, ce genre d’article n’a plus cours depuis longtemps. Les temps sont durs. Les troubadours le chantent sur tous les tons, et quelques fois en déguerpissant en plein milieu du couplet quand les auditeurs énervés lâchent les chiens. Oui, la vie est rude pour tout le monde! Sans doute moins qu’un automne anglais mais il y a belle lurette que l’Angleterre a été engloutie sous les eaux et que la notion de saison est devenue très surfaite !

Le magicien bat le rappel :

«Ohé, les gnomes! Sortez de vos abris, il n’y a plus de danger. Aidez-moi à ranger tout ce bordel ! »

Donnant l’exemple, il empoigne un balai hors d’âge et pousse vigoureusement dans un coin les éclats de verre et les grumeaux solides laissés par l’étrange mixture devenue incontrôlable. De petits têtes apparaissent de sous les bahuts vermoulus et de derrière les bocaux alignés sur les étagères. Des petits visages tout ridés et tout fripés, affligés de grandes oreilles comme celles des chauves-souris. A bien y réfléchir, un représentant de l’ordre des chiroptères a sans doute figuré sur la liste des ingrédients rassemblés par le magicien pour modeler la matière ténébreuse, après avoir prononcé le sort de conjuration. Dans le même ordre d’idée pourrait-on s’interroger sur la présence de cheveux blonds et de fortes poitrines parmi les créatures qui s’activent à nettoyer les lieux. Celles qui portent de courtes robes rouges et des bas résille noirs. Non, inutile de poser des questions embarrassantes et qui fâcheraient à coup sûr notre magicien.

Quand un semblant d’ordre règne à nouveau, il prend un lourd grimoire fermé par un gros verrou et après l’avoir posé sur une paillasse, sort la clé qui pend à son cou au bout d’un collier aux mailles métalliques. Il ouvre le vénérable ouvrage d’un doigt tremblant. C’est son recueil personnel. Chaque magicien en a un qu’il ne montre à personne. En effet, si d’autres yeux que les siens lisaient les formules magiques qu’il a écrites à la plume de phénix, longues lignes de pattes de mouche, le pouvoir emprisonné par les runes s’évaporerait dans l’instant. Pfuittt... et la glorieuse potion d’invincibilité se transformerait aussitôt en un délicieux velouté de poireaux qui certes ferait le bonheur des grand-mères (s’ii en reste en ce bas monde !) et des édentés (il y en a beaucoup au contraire!) mais qui ne serait d’aucune utilité pour le héros de passage!

Il tourne les pages une à une. Il se promet toujours d’établir un index qui faciliterait ses recherches. Mais si notre magicien est assez doué, il n’a pas eu la moyenne en méthodes et organisation au Pentagone Souterrain, l’Université de la Magie. C’est pourquoi il laisse beaucoup de choses en plan. Quand il était étudiant, un collègue lui avait confié qu’il travaillait sur quelque chose de révolutionnaire en matière d’organisation des informations. Mais depuis l’obtention de son diplôme, McIntosh se contente de regarder tomber les pommes. Il lui a dit un jour qu’il soupçonnait qu’il y avait quelque chose d’essentiel à tirer de cette observation. Le plus dur, lui a-t-il avoué, étant de s’en souvenir.

Cet aspect des choses est le côté rébarbatif de l’art magique. Seuls les magiciens possédant une excellente mémoire peuvent espérer se rappeler, grâce à des sorts spécifiques et à du jus de citrouille fermenté ingurgité à hautes doses, de vieilles techniques disparues depuis des ères. Le tout premier enseignement destiné aux apprentis sorciers leur révèle d’ailleurs que la magie n’est qu’un éternel recommencement. Rien ne se crée réellement. Tout se transforme pour être réutilisé. L’art de la magie s’inscrit ainsi dans le développement durable. On reconnait facilement ceux qui comprennent immédiatement la portée de cet avertissement. Les vrais cours n’ont pas commencé qu’ils signent déjà au bas du formulaire de démission. On les retrouve ensuite comme courtiers en assurance ou percepteurs. Une autre forme de magie, plus lucrative et avec des échéances qui ne s’évanouissent pas au gré des fluctuations de la couche d’ozone. Pourtant Mirnel a été au bout de l’exigeante formation. Il a bien redoublé une ou deux classes mais il a honorablement décroché son diplôme. Mention A-Bien Il peut donc frayer librement avec les entités démoniaques et les émissaires des Royaumes Lointains.

Avec les premières, il se tient dans le pentacle consacré car les risques sont trop élevés. Ce sont des clients retors et coriaces. Toujours en train de contester les clauses du contrat ou rajouter de petits codicilles invisibles. Toujours en train d’essayer de vous extirper l’âme ou la vie, ce qui pour bon nombre d’humains, revient strictement au même !

En présence des seconds, il soutient leur conversation chantée avec toutefois un léger accent qui les fait toujours sourire. Ceci dit, ils sourient sans méchanceté car ils se montrent extrêmement polis et courtois quelles que soient les circonstances. Ce sont de belles gens, cultivées et puissantes mais il ne comprend pas bien leur obsession. A l’image des légendaires lemmings, ils partent obstinément vers l’Ouest. Cela les démange constamment et ils en parlent (avec beaucoup de trémolos dans la voix) avec une nostalgie émouvante. Il suppose que c’est peut-être l’endroit où ils sont nés. Et comme les saumons, ils y retournent pour frayer et puis ils reviennent. Car ils reviennent toujours ici, au beau milieu de nulle part. C'est-à-dire sur cette île-continent. Pourtant MIrnel les aime sincèrement. Il apprécie au plus haut point leur compagnie. Chaque fois qu’ils lui rendent visite, la lumière est plus belle, plus limpide, plus vive. Et quand ils le quittent, la morne grisaille reprend ses droits et il ne peut s’empêcher de frissonner. Les temps sont rudes.

Le magicien arrête de tourner les pages. Il a trouvé. Il lit lentement de sa voix intérieure et les petits homoncules hochent la tête en cadence, alignés comme une petite armée autour du grimoire, mimant les expressions changeantes du magicien. Qu’est-ce qui n’a pas été correctement effectué ? A cet instant, le chat se détache dans l’embrasure de la fenêtre restée ouverte. Au fond de ses pupilles émeraude qui luisent faiblement, peut se lire une sagesse infinie. Une sagesse infinie doublée d’une commisération sans limite. Le Chat baille délibérément et d’un bond, saute sur la table supportant le vieux livre. Il pose une patte sur la composition magique qu’étudie Mirnel. Celui-ci se redresse vivement. Le félin le fixe intensément et le vert s’empare de l’âme du magicien. Un vert liquide et frais comme un alcool de menthe. Le vert. La couleur des magiciens et des chats. Le vert. La couleur du cycle interrompu de la nature agonisante. Le vert. La couleur de l’éveil et du songe à la fois. Le vert. Le monde est vert. Le soleil est vert.

« Elle est venue ! »

La pensée fulgure dans l’esprit du magicien. Si fort qu’elle le fait grimacer. Elle flamboie en grandes lettres de feu. Elle est venue. Tous les magiciens et tous les chats de l’Île connaissent la signification de cette révélation. Il sent dans sa chair s’éveiller la bête. Ses traits se convulsent, faisant à nouveau fuir ses petits auxiliaires. Il se maîtrise. Il n’est pas encore temps. La bête hurle pour qu’il la libère mais il n’en tient aucun compte.

« Où ? » demande-t-il.

« Sur la lande. A deux jours de cheval d’ici! »

« Il faut que je prévienne le Grand Maître de l’Ordre ! »

« Tu ferais bien! Tu es le premier à être informé. Mais les avatars vont fourmiller d’ici peu, comme des engoulevents attirés par l’odeur d’un prochain trépas ! »

Mirnel referme le grimoire et le verrouille soigneusement avant d’aller découvrir le globe de cristal qui trône non loin sur une étroite console de bois. Il appose ses deux mains sur la surface translucide et fermant les yeux, récite une lente incantation. Des formes lumineuses et fulgurantes naissent au sein de nuées cendrées. Puis un visage émerge du néant palpitant. Un visage noble et volontaire. Celui du Grand Maître de l’Ordre des Arcanes Solaires. Le plus grand des magiciens. Le plus rapide aussi.

« Seigneur Fladnag, je vous apporte une nouvelle extraordinaire ! »

***


Ce qui s’approche de la créature venue du fond des espaces est une sorte de ferraille ambulante et articulée montée sur une monture disgracieuse également caparaçonnée. Le chevalier solitaire, puisqu’il s’agit bien de ce genre de héros, tient une longue lance dressée à la verticale. Il se nomme Bart et il erre depuis des lustres à la lisère de la lande, vivotant de menus larcins et de tournois plus ou moins arrangés qui l’opposent à d’autres traîne-misère. Aujourd’hui les chevaliers n’ont plus la cote. Enfin, tant qu’ils conservent la leur! Il poursuit sa chimère personnelle. La quête d’un chevalier le pousse toujours à suivre des ombres sans aucun répit. Sans aucun repos. Dans ce monde où règne un clair-obscur permanent, les absolus sont très relatifs. Bart observe à la lettre son codex. Il recherche l’inaccessible sans relâche.

Certains chevaliers partent pour l’Orient, espérant mettre la main sur une coupe sacrée qui a été perdue. Ils quittent l’Île-Continent sur des caraques en partance vers de lointaines destinations exotiques. Ils débarquent dans des contrées merveilleuses où des femmes à la beauté inouïe dansent lascivement au rythme lent de mélopées sensuelles. Certains disent qu’il existe là-bas de somptueux palais aux dômes rutilant d’or et de vermeil gardés par des hommes qui n’en sont plus. Où le chant d’innombrables oiseaux humains, prisonniers d’immenses volières, rend fous ceux qui s’arrêtent pour les écouter. Il paraît que le miel et le sucre coulent à flot, amollissant les volontés les plus fermes. Il paraît que les chevaliers les plus endurcis, subjugués par tant de promesses de jouissance extraordinaire, déposent sans combattre leurs heaumes à panache sur le seuil de chambres ombreuses et mystérieuses. Ils s’avancent et soulèvent des voiles interdits, laissant les portes se clore en silence sur eux. Nul ne les voit jamais plus ressortir. Il paraît...

Ce qui est sûr, c’est que Bart n’a jamais revu aucun de ses amis partis vers le soleil levant. Quand les grands navires aux voiles carrées rentrent au port, les marins qui descendent des échelles de coupée ne pipent mot. Ils se contentent de porter sur leur dos de gros coffres cloutés et rebondis où s’entassent soieries et pierres précieuses. C’est le prix des chevaliers. Le prix de leur sang. Le prix de leurs âmes.

Bart a assisté à l’arrivée de la grande créature. Il a vu le feu embraser le ciel en longues traînées rougeoyantes et tracer une trajectoire tendue pour disparaître derrière les collines. Il a senti sa monture vaciller quand l’impact a secoué le sol, soulevant un nuage de poussière boursouflé qui s’est déployé comme un grotesque champignon et que les vents ont rapidement éparpillé. Il a senti au plus profond de ses veines que son jour était venu. Ses pérégrinations l’avaient conduit jusque là. Il y voyait le signe du destin et l’heure de sa gloire. Bart. Son nom serait imprimé à jamais aux frontispices des Ecoles de la Bravoure où les maîtres d’armes entraînent leurs élèves sous les bustes de marbre des Illustres. Il serait un Illustre. Oui, Bart est confiant.

Il ignore encore ce que son destin lui réserve. S’il pouvait le deviner, il enfoncerait ses étriers dans les flancs de sa monture sans se soucier des blessures qu’il lui infligerait et fuirait ces lieux maudits. Mais Bart est un preux chevalier avec tous les handicaps intellectuels inhérents à cet état. A-t-on jamais vu des sardines en boîte réfléchir sérieusement ? Dans la mesure où la sardine en boîte, toute chose étant égale par ailleurs, est ce qui se rapproche le plus d’un chevalier en armure, y compris l’huile qu’elle contient.

Impossible de décrire Bart. Sa tête est cachée sous le grand heaume surmonté d’une aigrette de plumes de grue cendrée. Il respire mal sous la coiffe de métal et la crasse s’accumule dans les rides creusées par la fatigue des ans. Son armure fut autrefois polie comme un miroir mais à présent, cabossée et crottée, elle grince de partout et est aussi terne qu’un printemps anglais. Pour autant qu’il y ait encore etc... .

Bart n’a plus d’écuyer alors il ne s’embarrasse pas d’un équipement au grand complet. Il a conservé le plastron et la dossière ainsi que les pièces essentielles qu’il peut revêtir sans risquer d’être incapable de monter en selle. Sa monture est puissante et revêche, infatigable et sourcilleuse, mâchant et remâchant ses regrets secrets de ne pas fouler les grands déserts du Sud. Bien sûr, ce ne sont que des souvenirs ataviques puisqu’elle est le produit d’une race soigneusement sélectionnée, obtenue par de longs et savants croisements. Elle est parfaitement acclimatée aux températures et à la flore de l’île-continent. Ses créateurs l’ont baptisé « dromadestrier ». Le vaisseau du chevalier possède des pattes épaisses et musculeuses, un poitrail largement ouvert et une assise très stable, supportant sans difficulté et sur de longues distances, le poids respectable des bardes et du chanfrein de sa carapace. Sans nul doute, le dromadestrier est l’unique trésor de Bart, surpassant le plus rapide et le plus endurant des équidés. Il n’égale évidemment pas leur noblesse mais quel cheval peut s’agenouiller pour aider son maître à monter en selle ?

La créature surveille la progression de cet étrange équipage. Au fur et à mesure que le chevalier avance, les proportions de la créature deviennent véritablement gigantesques. Bientôt il parait dérisoire, minuscule fourmi devant l’énorme stature du monstre enfanté par l’espace. Celui-ci se redresse en majesté, déployant largement ses immenses ailes nacrées, sa crête hérissée vibrant le long de l’épine dorsale. Bart abaisse lentement sa longue lance et éperonne sa monture qui prend de la vitesse. La créature projette alors un souffle ardent vers lui. Bart lève son bouclier pour parer le feu organique, ne semblant nullement impressionné par la redoutable bête.

Malheureusement, le dromadestrier fait un brusque écart pour éviter in extremis une vicieuse queue barbelée, fouettée par le monstre ailé. Déséquilibré, il se renverse sur le côté. Surpris, Bart vide brutalement les étriers et atterrit cul par-dessus tête sur les pierres vitrifiées rendues aussi glissantes que la surface d’un lac gelé. A genoux, il se donne de grandes claques sur son heaume pour le réajuster et recouvrer la vue.
La créature fantastique s’élève dans les airs tel un serpent ailé et cornu. Bart tire son épée à deux mains du fourreau attaché au flanc du dromadestrier. Il halète sous le fer qui emprisonne sa tête. La transpiration noie ses yeux et ses reins. Il assure son pas et se met en posture de défense. Il a pris conscience qu’il se bat pour sa vie à présent.

Le Dragon crache un nouveau torrent de flammes qui enveloppe Bart, le cuisant littéralement sous son armure. Il titube de douleur sous la morsure insupportable qui le consume de l’intérieur, la lame de son épée raclant inutilement le sol à ses pieds. Il ne voit pas la créature de cauchemar fondre sur lui. Tout juste sent-il ses griffes broyer ses cotes, lui coupant son dernier souffle. Aussi, quand les formidables mâchoires se referment à la base de son heaume et lui arrachent la tête d’un seul coup, il est déjà passé de vie à trépas. Paix à son âme. En définitive, le Dragon va découvrir les joies de la sardine en boîte. En tout cas, la chair est cuite à point et tendre à souhait.

Pourtant ce n’est pas suffisant. Le Dragon a toujours faim. Il retourne sa gueule serpentine vers le dromadestrier qui broute à quelques pas les mauvaises herbes du chemin. Il le couve de son regard d’ambre où brille l’éclat de constellations inconnues de cette partie de l’Univers.

(à suivre... comme d'hab..)

M

Ce message a été lu 6201 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-09-18 20:50:39 

 WA - Participation exercice n°97 part II (edit)Détails
Le Seigneur Fladnag reste songeur, le regard posé sur la flamme des Jeux où s’unissent cinq pentagrammes habilement imbriqués. Il est en sueur, revenant de son ultime entraînement quotidien qui fut particulièrement harassant. Il a dû s’exercer intensément pour être fin prêt. Demain, il affrontera ses homologues au cours de l’ultime épreuve des Jeux Magiques. En tant que Grand Maître des Arcanes Solaires, il s’alignera en effet dans le Pentathlon, l’épreuve reine qui réunit les dirigeants des Cinq Loges Occultes. Le vainqueur sera sacré Arcane Céleste pour dix ans, un honneur qui confère à son détenteur, prestige inégalable, richesse inépuisable et pouvoir exorbitant.

Pourtant, ce n’est pas le titre que vise Fladnag. Loin de là ! Qui est assez fou pour signer son propre arrêt de mort? Fladnag a croisé récemment l’Arcane régnant, à l’occasion d’une cérémonie démoniaque oecuménique. Malgré le rituel assez croustillant mêlant jeunes vierges et vieux boucs, il a été frappé par la pâleur maladive du Maître des Loges que n’arrivaient pas à dérider une phalange exubérante de beautés nubiles au zèle empressé. Il avait le teint terreux, les yeux larmoyants et poussait d'incessants soupirs. Il avait tout l’air d’une bête aux abois. Derrière ses houris enthousiastes et infatigables, les discrets mais redoutables représentants du Contingent d’Intervention Arcanique surveillaient étroitement le moindre de ses mouvements. Ils avaient donné à Fladnag l’impression de veiller sur lui comme des vachers gardent un boeuf promis à l’abattoir! C’est le revers de la médaille. L’Arcane Céleste ne vit que dix courtes années. Pas un jour de plus. Et sa fin est particulièrement atroce, point d’orgue de la cérémonie de clôture des Jeux Magiques.

En fait Fladnag espère, comme les quatre autres concurrents, éviter la première et la dernière place. La première le propulserait sur le trône tragique de l’Arcane Céleste! La dernière est synonyme de décapitation sur le champ à la fin du Pentathlon. Il lui faut donc absolument décrocher une place intermédiaire, ce qui nécessite une parfaite maîtrise des zombis dont il va se servir durant les cinq épreuves. En outre, les Juges Souverains ont imposé des limites inférieures à chaque épreuve afin d’éviter toute atteinte malséante à la maxime venue du fond des âges : au plus vite, au-delà, au-dessus! Les concurrents malheureux qui n’atteignent pas ces minimaux sont poussés au bout d’une planche fixée à la verticale d’un bassin grouillant de poissons carnivores passablement affamés! Tout ceci explique l’ardente assiduité avec laquelle Fladnag a fréquenté des semaines durant, la salle d’entraînement située dans les sous-sols de la cathédrale qui abrite son Ordre.

Fladnag joint ses dix doigts devant sa bouche, appuyant les majeurs sur ses lèvres. C’est une nouvelle miraculeuse qui pourrait bien changer le destin de l’Ile-continent en général et le sien en particulier. Devant ses yeux mi-clos, des plans s’esquissent et s’épanouissent, plus machiavéliques les uns que les autres. Il en caresse les potentialités qu’il écarte quand les risques l’emportent sur les avantages. Mais il lui faut se dépêcher. Le mince avantage qu’il possède sur les autres Ordres se réduit de minute en minute. Les avatars vont fondre sur ces terres désolées comme les huissiers istriens sur un locataire en retard de loyer! Les huissiers n’ont aucun sens de l’humour, comme tous les originaires de la péninsule d’Istrie. Ayant racheté les créances impayées aux propriétaires, ils s’abattent sur les locataires impécunieux qu’ils saignent littéralement! Aucun sac de riz, aucune gousse d’ail ni aucune croix n’arrêtent leurs procédures de recouvrement.

Il prend rapidement une décision. Une fois la nouvelle connue, il n’aura plus aucune marge de manoeuvre. Il convoque un esprit familier qui se matérialise sous les traits d’un jeune tambour, haut comme trois pommes, arborant crânement un petit calot rouge. Il a les joues rebondies et les yeux gouailleurs. Seuls ses pieds caprins et sa toison rebelle rappellent sa nature obscure.

Fladnag se penche vers lui :

« Tu vas te rendre chez l’Arcane Céleste. Tu lui répètera exactement ce que je vais te dire. Oublie un seul mot et tu devras te justifier devant mon maître-queue! Tu connais son goût immodéré pour tout ce qui se mijote, n’est-ce pas ? »

Le petit tambour proteste de sa bonne volonté en roulant un pas de charge énergique sur la peau tendue et en bombant le torse. Il ne faillirait pas. Il n’a pas envie de finir en pieds et paquets, l’une des spécialités culinaires du chef redouté qui manie la feuille de boucher plus vite que son ombre.

***


Pendant ce temps, la créature vole bien au-dessus des nuages. Elle se dirige vers l’endroit localisé par ses organes géosensibles. Vers le nord-est. Sous la couverture cotonneuse, les terres désolées ont cédé la place à de grandes étendues verdoyantes qui entourent de vastes forêts aux multiples tons de vert. Ce magnifique spectacle la laisse indifférente. Elle est venue du bord extrême de l’univers pour répondre à un impérieux appel. Elle accourt vers son mâle car c’est la saison.

Avant de quitter son nid, elle avait senti sa chimie interne se modifier. Des organes végétatifs et oubliés s’étaient réveillés pour libérer des substances particulières. Celles-ci migrèrent le long de vaisseaux asséchés comme une rivière reprend son cours après une longue canicule. A leur contact des réactions biochimiques se produirent en chaîne. Son métabolisme changea, elle grossit. Elle se détourna de ses occupations habituelles pour se focaliser sur ses changements internes et fit appel à sa mémoire profonde pour identifier le nouveau cycle qui débutait. Mais quand la poche vitelline se forma dans son ventre, une poche tiède et humide n’attendant plus que son futur hôte, elle sut qu’elle devait partir. Elle prit son envol, frôlant une comète vagabonde pour emmagasiner de la vitesse. Elle accéléra encore en étendant ses ailes dans le souffle de vents solaires. Sa vitesse s’accrût jusqu’à ce que les épaisses écailles dorsales extrudent une matière nacrée qui l’enveloppa telle une chrysalide protectrice lorsqu’elle fut emportée au-delà de la lumière. Ainsi, elle se rapprocha du coeur de l’Univers en expansion, se dirigeant de façon infaillible vers son but grâce aux indications fournies par ses organes géosensibles. Ceux-ci puisaient leurs informations dans d'immenses banques cellulaires où étaient enregistrées les coordonnées spatio-temporelles du seul mâle pouvant féconder l’unique ovule de la créature. Ces fabuleuses mémoires renferment évidemment bien plus. Comment une Mère pourrait-elle oublier ne serait-ce qu’un seul de ses fils ? Même si leur nombre est hors de portée de l’imagination humaine.

Elle survole sans le savoir un « Carrefour de Cantonniers », une cérémonie qui n’a lieu qu’exceptionnellement. Comment peut-elle se douter de l’émotion qui étreint à cet instant la famille Kerouac? Les Cantonniers sont un peuple nomade dont les origines restent indéterminées. Certains historiens soutiennent qu’ils sont les descendants des «Gens du Voyage», tribus légendaires qui sillonnaient les routes noires du Monde d’avant. D’autres érudits professent qu’ils appartiennent à une secte dont le crédo fondamental a été oublié durant les Grandes Convulsions. Tous s’accordent cependant à reconnaître que les Cantonniers sont altruistes et pacifiques et qu’ils ne se mêlent jamais des affaires des autres. Ils ne savent ni lire ni écrire. Tout leur savoir se transmet oralement.

Chaque clan, composé en général des membres de deux à trois familles, comprend entre trente et cinquante longues caravanes, dont une bonne partie de fourgons transportant leur matériel. Leurs caravanes sont peintes en couleurs vives et joyeuses et possèdent de grandes voiles de lin tissé, le vent étant la seule force motrice utilisée par les Cantonniers. Leurs roues métalliques sont ajustées pour correspondre à l’écartement de la voie ferrée et pour épouser étroitement le profil des rails. Car les Cantonniers construisent des voies ferrées éphémères. Jour après jour, du début à la fin de l’année, ils posent inlassablement des rails, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Chacun de leurs gestes obéit à un code rigoureux et solennel. Aucun n’est inutile. Aucun n’est ajouté. Ils suivent à la lettre ce qu’ils ont appris de leurs Pères. Leur technique est devenue un Art hermétique pour les profanes. Les Cantonniers mettent un soin inouï à fabriquer éclisses, tire-fonds ou traverses de bois.

Pourtant ces voies ferrées ne rejoindront jamais de gare et aucun train, si ce concept était redécouvert, ne roulera jamais sur leurs réseaux. Le matériel des Cantonniers n’est pas inépuisable. Alors, lorsqu’ils ont utilisé tout leur stock de pièces, ils attendent que le Dieu des Vents libère ses enfants afin que les voiles se gonflent et poussent les caravanes jusqu’à l’extrémité de la voie inachevée, quelques lieues plus loin. Une grande fête, la fête du Rail, est alors donnée. Plusieurs têtes du cheptel sont mises en broche pour le festin pantagruélique. A cette occasion, les mariages sont célébrés, les naissances annoncées et les décès pleurés. A cette occasion, toutes les affaires civiles et religieuses du clan sont réglées, tous les conflits arbitrés et toutes condamnations exécutées.

Puis, à la première heure du deuxième jour suivant la fin de la grande fête, au signal du Conducteur, leur chef spirituel, les Cantonniers s’attellent hardiment au démontage des rails en amont. Quelques semaines de travail supplémentaires plus tard, la voie ferrée aura été effacée progressivement du paysage. La nature reprendra bien vite ses droits, jusqu’à faire oublier le passage des Cantonniers sauf pour des yeux bien exercés. Eux sont déjà en aval, poursuivant leur chemin de fer.

Il existe une centaine de clans actuellement recensée. Voici quelques années, un chercheur fortuné eut l’idée de cartographier toutes les routes tracées par les différents clans. Il a recueilli des centaines, des milliers de témoignages et de documents qu'il a compilés pour déterminer les trajectoires des Cantonniers. Le résultat fut stupéfiant. La distance cumulée de l’ensemble des voies ferrées, calculée à partir des plus anciens relevés, équivalait à plus de huit fois la circonférence de la Terre telle que l’avaient mesurée les civilisations pré-îliennes. Plus de 72.000 lieues! Bien sûr, cette distance est toute virtuelle, les Clans ne possédant au total qu’environ 300 lieues de rails qu’ils considèrent comme leur bien le plus précieux et le symbole de leur identité. Usinés dans un métal inaltérable, à la fois résistant et relativement léger, le secret de leur fabrication s’est perdu à jamais.

Portées sur une projection plane de l’Ile-Continent, les routes se croisaient sans logique apparente. Pourtant le chercheur redoubla d’efforts. Un beau matin, alors qu’il s’était endormi la veille au soir devant le planisphère, il se réveilla après un rêve qu’il qualifia de prémonitoire. Il s’empara d’un chiffon et effaça des tronçons redondants, les Cantonniers passant et repassant à proximité d’anciennes voies disparues. Il effaça, effaça... et, peu avant le crépuscule, quand ses esclaves vinrent allumer les torches murales, il recula de plusieurs pas pour contempler le résultat.

C’était là, sous ses yeux, inéluctable et grandiose. Les routes dessinaient un incroyable système solaire. Il pouvait reconnaître huit planètes principales qui tournaient autour d’un double soleil. Il distinguait leurs satellites et les anneaux que certaines possédaient. Leurs révolutions singulières étaient également représentées. A la périphérie de ce motif central, d’autres étoiles étaient regroupées en constellations. Le savant, exalté, convainquit un de ses amis, astronome de renom, de venir examiner le résultat de ses recherches. Sceptique au début, son ami consentit néanmoins à le suivre. Quel ne fut pas son étonnement quand il découvrit, fasciné, qu’il pouvait mettre un nom sur ce qu’il voyait. Là, c’était la constellation du Cygne, reconnaissable à la Croix du Nord formée par ses étoiles les plus brillantes, ici s’étendaient les constellations de l’Aigle et du Serpentaire et enfin, là se déployait le fier Dragon avec les trois étoiles de son coeur! Pourtant il échoua à identifier le système solaire bicéphale. Selon l’astronome, il n’appartenait pas au Ciel au-dessus de leurs têtes. Malgré toutes ses tentatives, le chercheur ne parvint à résoudre cette énigme. Il publia deux ou trois articles qui lui attirèrent une courte renommée. Il devint riche et nonchalant et ses travaux tombèrent dans l’oubli.

S’il avait consulté un mathématicien et un astrologue, il aurait peut-être déchiffré l’avertissement solennel qui dormait au coeur de ces motifs stellaires. Toutes ces routes prédisaient en effet un évènement qui lierait tous ces éléments entre eux. Un évènement qui ébranlerait jusqu’aux piliers de ce monde.

Oui, si le chercheur avait été plus persévérant, il aurait sans doute pu donner l’alerte pendant qu’il était encore temps. Mais aujourd’hui, il est vraiment trop tard car le rendez-vous annoncé par les Cantonniers aura lieu demain !

M

Ce message a été lu 6542 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-09-25 20:33:50 

 WA - Participation exercice n°97 part IIIDétails
Bon, la suite arrive mais je crains de déborder largement des délais....

------

Le silence se forme dans l’arène monumentale. Plus de cent mille personnes cessent de respirer quand l’Arbiter, magnifique et altier dans sa toge multicolore, lève l’Athamé Cérémonielle pour annoncer la dernière épreuve.

Sur la vaste piste, à plusieurs dizaines de mètres sous lui, les derniers cadavres des magiciens malheureux sont emportés sur de noires charrettes. Leurs corps portent les horribles blessures faites par les griffes et les dents des créatures du néant qu’ils n’ont su maîtriser. Les Jeux Magiques sont cruels et sans pitié. Ils décident du sort des magiciens qui tentent de s’élever dans la hiérarchie de leur ordre. Les novices sont les plus exposés malgré la préparation rigoureuse qu’ils ont suivie. Certains perdent la raison quand le Chaos, rompant les défenses maladroites, submerge leur volonté. Ils se mettent alors à tourner comme des toupies sans fin. Une ronde au bout de laquelle ne demeure que la folie et qui les laisse prostrés et hagards. Une brume noire a envahi leurs iris et elle ne se dissipera totalement qu’à leur dernier souffle. Le peuple de l’île-continent gronde de plaisir devant le spectacle des chairs lacérées pleurant de sang, lorsque les monstres issus des ténèbres se retournent contre leurs maîtres.

Sur une plate-forme qui s’évase à l’extrémité d’un long et fin promontoire jaillissant, telle une langue rocheuse, de la haute falaise verticale surplombant l’arène, veillent les Dix Juges. Ils comptent les victoires et les défaites, décident des appels formés par des concurrents s’estimant lésés et appliquent un barème de sanctions lorsque des entorses au règlement sont constatées.

Les trompettes retentissent, brisant le silence religieux qui pèse sur l’enceinte des Jeux. Le soleil est parfaitement immobile entre les cimes jumelles de la Montagne du Feu Caché dont les falaises abruptes dominent vertigineusement l’épaulement où est creusée l’arène. Les vantaux d’une large porte de bronze s’écartent, délimitant une bouche enténébrée d’où surgissent les cinq Grands Maîtres, les plus puissants magiciens de leurs ordres, escortés par un fort détachement de gardes du CIA en grand uniforme et précédés par de jeunes esclaves qui jettent des pétales de roses sous leurs pas.

En premier voici Lexus, grand maître de la Maison d’Hellogos, réputé pour son goût immodéré pour la boisson fermentée importée des îles hyperboréales, à la mousse épaisse et à la couleur ambrée. C’est un homme élancé, au teint pâle, aux yeux et à la crinière émeraude. Il tient un bâton noueux, taillé dans l’âme d’un bouleau sacré, signe distinctif de son ordre. Sa tunique est verte comme la couleur du monde végétal.

Ensuite s’avance fièrement le Seigneur Delphinos, Premier Timonier, Maître de la Grande Conque Marine. C’est un colosse musculeux et tanné. Ses cheveux, emprisonnés dans une fine résille d’or, sont d’un bleu marine comme la prunelle de ses yeux. Il brandit le trident de nacre, symbole de la Maison Marine. Sa tunique est bleue comme la couleur du monde liquide.

A ses côtés se tient Karitessia, Passion de l’Empire des Sens, une femme aux formes sculpturales et généreuses. Le torrent de la vie sauvage coule dans ses yeux myosotis. Elle est d’une telle beauté qu’aucun homme, né de femme mortelle, ne peut soutenir son regard envoûtant sans ressentir aussitôt un délicieux et irrésistible trouble s’emparer de ses reins. Ses mains sont vides et seul un anneau d’or serti de rubis est glissé à son doigt, signe de son Ordre. Sa tunique, dénudant des seins parfaitement galbés, est rouge comme la sensualité.

Juste derrière eux se profile une ombre noire et menaçante qui semble flotter sur le sable blond. C’est Ampélitien, le Gardien de la Porte, Maître de la Maison des Ombres. Il est vêtu d’une ample robe fuligineuse, la couleur de son Ordre, sans aucun signe distinctif. Son visage est dissimulé sous un masque d’ivoire qui inspire l’effroi même chez les plus endurcis. Qui peut contempler sans ciller le visage d’un trépassé? Une serpe d’argent, l’instrument qui sépare les âmes des corps, est passée à sa ceinture faite d’osselets humains!

Enfin, fermant la marche un bon pas derrière le Gardien de la Porte, voici le seigneur Fladnag. Sa tunique immaculée est brodée d’une multitude de motifs cousus de fil d’or qui, miroitant sous les rayons du soleil, semblent l’envelopper dans un halo doré et merveilleux. La Maison des Arcanes Solaires est le plus respecté des cinq Ordres Fondamentaux. Avec l’Ordre Noir, il est également le plus ancien. Ses annales remontent jusqu’aux Temps Ensevelis, lorsque la nuit sans fin s’étendait sur le monde après les Grandes Convulsions. Fladnag tient dans son poing le Fulgur, un éclair stylisé doré à l’or fin.

La foule les acclame longuement. Dans la loge présidentielle, l’Arcane Céleste, étroitement encadré par plusieurs membres du CIA, se lève lentement et abaisse vers le groupe de grands magiciens le sceptre d’or où s’enroulent deux serpents ailés, l’un bleu l’autre ambre, symbole de son autorité. Son regard s’attarde sur Fladnag qui reste impassible. Le stratagème qu’il a ourdi nécessite la plus grande discrétion. Il ne lui faut surtout pas éveiller les soupçons du CIA qui redouble de vigilance à l’approche du dénouement final. Plusieurs complots visant à soustraire l’Arcane Céleste à son destin ont été déjoués dans le passé. Les annales de l’île-continent ne mentionnent qu’un unique et éphémère succès. En effet, la fuite de l’Arcane n’a duré que quelques jours.

Sur la plate-forme centrale, les bannières des Cinq Ordres sont hissées en haut des mâts. Mais aucun d’eux ne peut rivaliser avec l’immense mât central au sommet duquel flotte la flamme majestueuse des Jeux Magiques où, sur champ d’argent , s’entremêlent les cinq pentagrammes. Au-dessus le bleu, le noir et le rouge. Au-dessous, le jaune et le vert.

Les trompettes retentissent à nouveau, intimant le silence. L’Arbiter se place au centre du Choeur, un encorbellement dont l’ingénieuse architecture favorise une acoustique exceptionnelle. Sa voix de stentor, relayée par de complexes dispositifs de réverbération, est audible par tous les spectateurs de l’arène.

« Chères concitoyennes et chers concitoyens, nous voici au seuil de l’ultime épreuve de ces Jeux qui seront gravés à jamais dans la mémoire du Monde. Cette épreuve va décider, pour la prochaine décade, lequel des cinq Grands Maîtres alignés devant vous, sera notre Arcane Céleste. Vous connaissez tous les disciplines qui vont départager les concurrents mais vous me permettrez de les citer pour mémoire : les Lames, les Foudres, les Vagues, les Cavaliers et les Embûches. Bien sûr, chaque Maison maîtrise une des cinq disciplines et disposera dès lors d’un avantage significatif. Mais rappelez-vous que celui ou celle qui terminera à la dernière place aura la tête décollée de ses épaules dès la fin de l’épreuve. Grands Maîtres, préparez-vous ! »

La voix de l’Arbiter devient aussi forte que le tonnerre :

« Que les concurrents se préparent à la première épreuve du Pentathlon. L’épreuve des Lames ! »

La piste de sable a maintenant été préparée. Au centre de l’arène, cinq pentacles sont répartis le long d’une ellipse qui épouse la circonférence de la muraille. Ils sont tracés à l’aide de pierres positionnées selon les directives précises données par les chapelains des Ordres Occultes. La couleur des pierres a été évidemment choisie pour correspondre aux Maisons : des lapis-lazuli pour la Conque Marine, des chrysoprases pour l’Hellegos, des héliodores pour les Arcanes Solaires, des jaspes pour l’Empire des Sens et des hématites pour l’Ordre Noir.

Chaque Grand Maître se place au centre de son pentacle. C’est là où il prononcera les incantations de possession qui animeront les zombis qu’ils se sont entraînés à maîtriser. Car ce sont ces morts-vivants qui disputeront les épreuves. Chaque Maître a droit à six zombis, pas un de plus, qu’il pourra utiliser comme il l’entend. Des rouleaux entiers ont été écrits sur les stratégies et les tactiques employées au cours des Jeux. Les ouvertures célèbres et les enchaînements les plus raffinés ont été décortiqués, analysés et commentés. Cela ressemble beaucoup au jeu d’échecs mais en bien plus complexe.

Les Lames. L’art dans lequel excellent les sorcières de l’Empire des Sens. On murmure que ses prêtresses dissimulent une fine et courte dague, qui ressemble plutôt à une aiguille d’assassin, dans le sillon de leur généreuse poitrine. On murmure qu’elles s’en servent avec une redoutable dextérité, à la fois pour accroître le plaisir qu’elles procurent et aussi pour châtier les amants défaillants. D’autres soupirent qu’elles adorent plonger leurs lames dans le coeur de leurs victimes au paroxysme du plaisir autant que sentir la lame fougueuse de leurs amants pénétrer au plus profond de leur corps. Une lame ne peut-elle être à double tranchant ?

Fladnag ne prête plus aucune attention à ses rivaux. Il oublie les milliers de spectateurs qui se pressent dans les gradins. Car il commence à réciter l’incantation de l’éveil.

Bientôt le corps allongé à quelques pas sur le sable tressaille légèrement. C’est le corps d’un acolyte ayant échoué aux épreuves du noviciat et sélectionné par les rigoureux chapelains de l’Ordre. C’est celui d’un adolescent au crâne rasé comme il se doit, vêtu de la bure safran des acolytes. Il se redresse sur son séant et tourne ses regards vides vers Fladnag qui continue à psalmodier lentement pour préparer l’insertion de son familier. Dans les yeux morts, une étincelle mordorée fulgure enfin et Fladnag peut établir le Lien. C’est la force qui imposera sa volonté à celle de sa créature. Le visage de l’acolyte semble devenir flou pendant que le familier investit le champ de ruines biologiques et oblige des fluides morbides à circuler dans des veines nécrosées. De façon encore hésitante, le zombi se met debout sur ses jambes flageolantes. Fladnag renforce doucement le Lien et apporte à son familier l’énergie dont il aura besoin pour répondre aux injonctions de son maître. A la fin de l’incantation, Lioshé se tient devant Fladnag, un faible rictus tordant sa bouche comme un sourire mal ébauché. Lioshé est le reflet quantique de Fladnag dans les dimensions invisibles et enroulées autour de celles qui forment la trame du monde réel. Ce reflet, qu’il a mis toute sa vie à modeler à son image et à doter de pouvoirs tirés des propriétés fabuleuses des dimensions inférieures. Ce reflet, qu’il a nourri de son sang et de ses rêves les plus secrets. Ce reflet, qui renferme une partie de ce qu’il est et qui apposera sur son âme une cicatrice douloureuse et indélébile quand il disparaîtra.

Les zombis des autres Maîtres se sont également éveillés, prêts à en découdre.


M

ps : pour Flad' : je n'ai pu m'empêcher de glisser a private joke!

Ce message a été lu 6619 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-09-25 23:10:28 

 WA n°97, participation, première partieDétails
LA COUPE DES SEPT MONDES




« Alors, Coach, des nouvelles ?
- Oui. Il est forfait.
- Evidemment ! Ces Zolpidiens, tous des paresseux, des lâches, des bouffeurs de salade ! Je te l’avais dit, un gars du nord, ça ne va jamais au bout !
- Il a une double fracture de la mâchoire, Président. Comment veux-tu qu’il Souffle dans cet état ?
- Mais c’est le Multiversal ! Notre Multiversal, chez nous ! Je n’ai pas envie d’attendre encore sept ans pour remporter la Coupe !
- Les Soigneurs font ce qu’ils peuvent, mais il en a au moins pour trois semaines. Et Manikos pense... qu’il ne Soufflera plus jamais... en tout cas, à un niveau planétaire...
- Nous sommes maudits ! Mais qu’allait–il faire aussi dans cet escalier ?
- Il descendait du secrétariat, Président. Il était allé saluer Ariténa, poliment, et il a glissé.
- Poliment ? Tu parles bien d’Exythron ?
- Tout à fait, tout à fait... »
Le Coach Novetz prit son air le plus angélique.
« Bon », maugréa Boudjellak, « tu vas me faire monter un gars du Centre de Formation. Ce petit Doussentos, par exemple...
- Doussainx ? Bof...
- Quoi, bof ?
- Il est prometteur... Mais son dragon n’est pas stable, il ne tient que trente secondes au plus. Pas de quoi faire un tsunami !
- Mais alors qui ? Teuletz ? Ou le petit nouveau, là, Duppinak ?
- Buttinak, Président. Pas prêt. Très bon garçon, mais pas prêt.
- Bon sang, on a une Coupe à jouer, Coach ! J’ai mis deux millions de gouttes d’or dans cette affaire, moi ! Et... il ne s’agit pas que de l’honneur des Dragons de Tolsa ! Toute la planète est derrière nous ! »
Le Coach regardait ailleurs.
« Hem ! »
Les deux hommes tournèrent la tête. La jeune fille qui nettoyait les carreaux avec son seau et sa petite éponge leur faisait face.
« Je peux prendre la place d’Exythron. »
Le Président hurla de rire.
« Novetz ! Je rêve ! Rappelle-moi d’arrêter de boire ! La fille de ménage ! »
Elle restait impavide, son regard clair de glacier bleu nullement impressionné.
« Qui es-tu, mon enfant ? » demanda le Coach.
- Je m’appelle Kallhydra.
- Qui t’a entraînée ?
- Mon grand-père. »
Le sourire des deux hommes se figea en un rictus éberlué quand elle laissa tomber avec nonchalance :
« Akt. »
Novetz fut le premier à réagir.
« Akt ? Notre Akt ?
- Sans nul doute. Le plus grand Souffleur de Fontaine que Lagona ait jamais porté. Il m’a entraînée pendant dix ans. Je suis prête. »
Le Président Boudjellak chercha dans sa mémoire.
« Akt... C’était il y a longtemps... Il avait un fils...
- Mon père. Quand mon grand-père lui a affirmé qu’il n’avait pas assez de talent pour Souffler, il s’est suicidé. Que son âme se baigne en paix dans le Lac Eternel. »
Novetz fusilla le Président du regard.
« Boudjellak, fils de morue, tu es aussi bête que riche. Pardonne-lui, mon enfant, il n’a pas voulu te blesser. »
La jeune fille haussa les épaules.
« La vérité ne blesse que ceux qui en ont peur. »
Novetz la détailla de son regard perçant, ce regard qui savait jauger en moins d’une minute les aptitudes et le potentiel d’un joueur. Elle devait avoir une quinzaine d’années. Blonde aux yeux bleus, un visage d’une beauté lumineuse, la fraîcheur délicieuse de l’enfance dans un corps délicatement féminin. Elle aurait pu poser en couverture des magazines de charme pour vieux milliardaires en quête de sensations, et faire fortune en quelques mois. Elle était fine, et même menue. Mais musclée. De bons appuis. Une force vitale irradiante. Une volonté de fer. Une aura chaude, puissante, imperturbable. Une aura de Dragon.
« Entraînement demain matin à huit heures. »
« Tu es fou, Novetz ! Sans le moindre essai ?
- Je suis le Coach.
- Et c’est mon fric ! Vas-y, poulette, montre-nous ce que tu sais faire. Il reste de l’eau dans ton seau, non ?
- Ici ? Vous voulez que je mette de l’eau partout et que je passe la nuit à faire le ménage ? »
Boudjellak tapa du pied, le visage tremblant de colère.
« Ecoute-moi, espèce d’algue verte ! Si tu me perds cette Coupe, tu es viré ! Et compte sur moi, tu ne retrouveras plus jamais du travail, même à l’autre bout du Multivers, et même comme videur de poubelles ! Et toi, espèce de grenouille prétentieuse, tu as oublié un détail important : tu es une fille !
- Et alors ?
- Il n’y a pas de filles dans le Jeu.
- Mais rien dans le règlement ne mentionne que c’est interdit. J’ai plus de quinze ans, je ne suis pas pluricéphale, je ne me déplace pas en sautant, je n’ai jamais pillé, tué ou violé... Mon organisme ne contient aucun élément de métal... et dès que j’aurai signé ma licence je serai à jour de ma cotisation, je travaille, j’ai de quoi payer. Est-ce que ce ne sont pas les huit règles ?
- Bande de goujons hallucinés ! Vous me le paierez cher ! »
La porte tremblait encore d’avoir été claquée avec violence, quand Novetz se remit à sourire.
« Demain matin huit heures.
- OK, Coach. »
Et il y avait des étoiles dans ses yeux.



«Bon, les gars, échauffez-vous un petit quart d’heure et on commence.
- Eh, Coach, c’est qui la sardine qui court toute seule, là-bas ?
- J’ai dit « échauffement », Ducalcos. Exécution ! »
Les souffles embuaient l’air frais du matin. Le soleil n’avait pas commencé à s’entraîner, il s’étirait encore dans sa couette de nuages, avant de se lever paresseusement au nord, comme depuis les premiers temps du Monde, sur Lagona aux trois millions de lacs. Petite planète bleue, recouverte aux quatre cinquièmes par de l’eau claire et froide, mais dont la terre riche et précieuse nourrissait fidèlement ses habitants.
« Ca va, les garçons. Porteurs : Massos, Servatz, Lakafix, Bonnairos. Placez-vous. Pour le plateau d’opposition : Picamos, Papetz, Pierros, Estebanetz. En place. »
Chaque joueur s’installa à son poste, une épaule calée sous le grand plateau en minolène, l’alliage aussi résistant que léger qui avait fait la fortune de la famille Boudjellak. Du côté libre leur bras portait l’épée. Au centre du plateau s’élevait une mince colonne dorée qui supportait une vasque de fontaine, surmontée à l’avant d’une tête de Dragon doré aux yeux bleus ; le corps s’enroulait lascivement autour du pilier.
Etait-ce la courbe gracieuse de l’encolure ou la finesse de l’oeil en amande ? Novetz avait toujours pensé que c’était une dragonne. Mais il l’avait gardé pour lui. Un gros rustre comme Boudjellak n’aurait jamais compris. Et il ne pouvait pas risquer de perdre un atome de son autorité sur les garçons.
Il aboya :
« Parros, Trinhdux, Traillos, Médark, Mermos, Rougertz, Nalletz, Heymanos, Clerx, Dusautak, équipe A. Palissos, Ouedraogos, Harinordoquix, Martix, Guirados, Yachvilix, Szarzewskix, Ducalcos, Barcellak, Poutz, équipe B. Souffleur de l’équipe B : Doussainx. Pour l’équipe A, comme vous le savez, Exythron est forfait pour une durée indéterminée. Donc nous allons essayer d’autres Souffleurs. Et alors, Doussainx, pas encore là-haut ? »
Le jeune garçon de dix-neuf ans se fit faire la courte échelle par Papetz, le Porteur Nord, et se hissa sur le plateau pour prendre sa place devant la fontaine.
Novetz fit signe à la jeune fille qui étirait longuement ses bras vers le ciel, sous le regard gourmand des garçons. Elle portait le survêtement doré réglementaire. Elle s’approcha au petit trot.
« Je vous présente Kallhydra. Notre Souffleur.
- Ah ouais, Coach, la bonne blague !
- Une gonzesse, ça c’est de l’humour !
- Trop fort, le Coach !
- Eh, mignonne, tu fais quoi ce soir ? »
Novetz fronça le sourcil et son chuchotement glaça les vingt-neuf joueurs qui écarquillèrent leurs yeux dans un silence profond comme le Lac Limpide.
« Ceci n’est pas une plaisanterie. »
Quand elle fut près de lui, il lui glissa à l’oreille :
« Tu devrais attacher tes cheveux. »
Elle secoua la tête.
« Rien ne doit entraver l’Energie, Coach. »
Il ne répondit pas.
Docile mais malgré tout amusé, Massos, le Porteur Nord de l’équipe première, cala son épée entre ses cuisses pour l’aider à monter. Mais Kallhydra, après avoir sautillé sur place, posa la main sur son épaule droite et se lança en l’air. Au terme d’un saut de carpe aussi léger qu’harmonieux elle se retrouva accroupie sur le plateau et se posta rapidement à sa place.
Trente regards ahuris firent silence.
« Mets tes pieds dans les cales », réussit à articuler Novetz avec un mince filet de voix. Mais dans un déluge de cheveux blonds que le vent du matin faisait tourbillonner, la Souffleuse répondit :
« Il faudra les enlever. Rien ne doit entraver l’Energie. »
Le Coach haussa les épaules. Elle devenait agaçante. Si elle se couvrait de ridicule, tant pis pour elle.
« Allez.»



Les deux équipes se rendirent chacune à une extrémité du terrain, au pas de course. Les Porteurs de l’équipe B plaisantaient et riaient fort à propos de la nouvelle recrue, et les soubresauts de leurs épaules compliquaient la tâche de Doussainx, qui avait du mal à trouver son équilibre. A l’inverse, Kallhydra semblait ancrée au plateau, enfoncée comme un pilotis au plus profond d’un lac gelé. Seul Novetz remarqua les imperceptibles oscillations de ses hanches, de ses genoux et de ses chevilles. Cette fille avait l’équilibre dans le sang. La perception exacte de son centre de gravité. Une concentration sereine se lisait sur son visage. Elle était sérieuse. C’était déjà ça.
« Tout le monde est prêt ? Simulation de match. Vous jouez pour votre sélection, les gars ! Engagement, précision,rythme ! »
Les deux équipes s’élancèrent, les épéistes précédant le plateau.
La vasque était remplie d’eau à ras bord. D’un souffle léger Kallhydra maintenait la surface immobile malgré les secousses de la course. Devant elle, au centre du terrain, se rapprochait à vive allure la Butte de l’Affrontement, une surface plane située au sommet d’un monticule, et qui ne donnait place qu’à un seul plateau. Le premier arrivé avait l’avantage de la position. Sinon, il faudrait que les dix épéistes fassent reculer les adversaires pour reconquérir la Butte. Elle connaissait les règles par coeur. Elle en rêvait toutes les nuits depuis dix ans.
Dans un grand cri les spadassins de son équipe franchirent le promontoire et elle entendit les chocs répétés du combat qui commençait, avant que le plateau ne s’immobilise sur la hauteur. Novetz, dans son vaisseau monoplace, était en stationnaire au-dessus de la plateforme, tel l’arbitre d’un match. Dans la tête du Dragon, sur la vasque, il y avait un récepteur par lequel il pouvait communiquer ses ordres. Mais il gardait le silence. Kallhydra observait attentivement les combattants. L’équipe B, en aval de la pente, souffrait davantage mais tenait bon. Elle avait étudié scrupuleusement toutes les vidéos. Avec Novetz comme entraîneur mondial, il n’y avait jamais d’équipe bis.
Au bout de vingt minutes, le Coach fit grésiller son micro.
« Ca va, les gars, pas d’exploit inutile. Laissez faire les Souffleurs, maintenant. »
Le combat cessa. L’arbitre avait à tout moment la possibilité de faire de même, mais la règle était qu’il ne sifflât que lorsque au moins cinq combattants d’une équipe étaient à terre.
Doussainx gonfla ses joues. Kallhydra prit une profonde inspiration en visualisant la surface étale d’un lac scintillant. Elle avait tout le temps. Rester concentrée. Ne pas se précipiter. La puissance ne se hâte jamais. Un Dragon émergea de la fontaine de son adversaire, fait d’une multitude de gouttes d’eau qui s’irisaient dans la lumière. Il était bien fait, de taille moyenne, la queue un peu courte, la forme un peu floue...Elle jeta sur lui un arc en ciel aveuglant de couleurs vives, du rouge sang au violet profond, qui se déroula dans l’azur comme une écharpe ondoyante et alla s’enrouler autour de l’encolure du Dragon. Doussainx recula, épuisé, tandis que sa créature se répandait au sol en fines gouttelettes de rosée. D’un geste, Kallhydra récupéra son arc en ciel qui vint s’engouffrer dans l’eau restante de la vasque. Des applaudissements spontanés fusèrent des deux équipes. Mais la jeune Souffleuse, campée sur ses pieds, restait attentive.
« Ouais », commenta Novetz, « original et efficace, bon. Mais je pourrais voir ton Dragon ? »
Sans répondre, Kallhydra se remit à souffler sur la surface de l’eau. D’un seul jet puissant, précis, interminable. Et s’éleva dans le ciel de Lagona un immense Dragon aux reflets dorés, l’oeil bleu et vif, la gueule béante crachant des flammes d’eau, le corps tendu dans l’action de combat, les ailes gigantesques déployées de toute la majesté de son envergure, tandis que sa queue brillante et nette jusqu’à son extrémité fouettait l’air avec une vigueur inouïe.
« Le Dragon d’Akt ! », murmura Novetz avec stupeur, « morue borgne! »
De nouveaux applaudissements éclatèrent, parmi lesquels ceux de Doussainx n’étaient pas les plus timides, et se mêlèrent aux cris de joie, devenant bientôt des frappements rythmés qui marquaient les secondes. Vingt secondes... quarante... soixante...
A une minute et demie, le Coach reprit la parole.
« C’est bon, Kallhydra. Inutile de t’épuiser. Fin de la séance. Les gars, nous avons un nouveau Souffleur ! »
Aussitôt le Dragon referma ses ailes et plongea dans la fontaine, sans qu’aucune goutte d’eau ne soit perdue.
« Kallhydra, tu viendras signer ton contrat dans mon bureau. Rentrez doucement, les gars, je vous attends dans une heure pour le débriefing-vidéo. Douchez-vous, et mettez les bières sur mon compte. »
Un « hourrah » unanime salua la bonne nouvelle. Kallhydra sauta à terre dans un double saut enroulé ; la réception était parfaite, pieds joints, buste droit, immobilité.
« Eh, attends, princesse », lui hurla Massos, « on peut te porter !
- Sympa, les gars, mais je rentre toujours à pied. Ca m’aide à récupérer. On se voit là-bas. »
Elle partit en petites foulées souples, d’une régularité de métronome.
« Etonnante, non ?
- Tu rigoles, Dusautak ? C’est le truc le plus époustouflant que j’aie vu dans ma chienne de vie, nom d’un brochet à deux têtes ! », s’exclama Servatz le vieux briscard qui ne galvaudait guère ses compliments.



« Coach Novetz, on dit qu’Exythron est forfait pour la Coupe ?
- Exact.
- Qui va le remplacer ?
- Nous avons un nouveau Souffleur.
- Coach ! Ce changement de dernière minute... Avec un Souffleur inconnu, sans expérience... Quelles sont les chances de Lagona ?
- Ce sera difficile... Mais c’est toujours difficile... Nous avons à affronter les six meilleures équipes du Multivers.
- Coach ! Est-ce que vous êtes confiant ?
- Ce que je peux vous dire, c’est que nous ne lâcherons rien. Il faut prendre les matches les uns après les autres, et faire le travail.
- Et vous, capitaine Dusautak, pensez-vous que les Dragons peuvent gagner la Coupe ?
- Les Dragons sont unis par les valeurs de notre Jeu : engagement, humilité, solidarité. Nous porterons fièrement le maillot doré.
- Coach Novetz ! Il se murmure que le nouveau Souffleur serait une jeune fille, ce qui est déjà inhabituel... et qu’elle n’aurait jamais joué en mondial... Alors, en interplanétaire ! Est-ce que le Président Boudjellak vous soutient dans ce choix somme toute hasardeux ?
- Allons, mes amis », sourit Novetz de son air de requin ironique, « vous savez bien que c’est à la fin de la pêche qu’on compte les prises. La conférence de presse est terminée. Merci à tous. »



La nuit était tombée, froide et limpide. Tout commençait demain. Ici et maintenant, le calme, la beauté, l’espoir. Les garçons n’allaient pas tarder à aller se coucher. Pour lui l’angoisse, le doute, la responsabilité. Demain, il ne pourrait pas se battre à leur place. Pour l’heure, tout allait bien.
Il y avait de la lumière à l’étage des dortoirs. Flairant le piège, Novetz se précipita, entrant sans frapper dans la chambre d’Exythron.
« Ah, monsieur Holtx ! Ravi de vous voir. Comme vous le savez, notre cher Exythron est forfait. Je vous serais reconnaissant de ne pas publier une ligne de votre interview. Faute de quoi vos caméras de multivision seront exclues de la Coupe.
- Vous n’avez pas le droit, Coach. La liberté de la presse...
- Non. Je n’ai pas le droit. Mais le Ministre des Transmissions est mon beau-frère. Oui ou non ?
- ... OK, Coach. Mais c’est vraiment dommage... Désolé, Exythron. Bonne soirée à tous les deux. »
Le Souffleur était assis sur son lit, de lourds cernes douloureux sous ses yeux furieux.
« Tu vas foutre le camp d’ici tout de suite. Je t’appelle une navette. Ou je dois te casser la jambe, pour que tu comprennes ? C’est fini, mon vieux, fini.
- Mais Coach, elle était d’accord...
- Bien sûr ! Quand une femme hurle « Non ! Assez ! Arrête ! », c’est qu’elle est d’accord ?
- Je serai sur pied pour la finale ! Tu ne peux pas gagner sans moi ! »
Novetz laissa un silence pesant retomber sur la petite chambre austère.
« Je vais te dire, mon gars. Je préfère perdre cette Coupe, et en même temps perdre mon job, je préfère tout perdre et me retrouver clochard plutôt que de gagner grâce à toi. Tu as enfreint les Règles. Tu es un sale brochet, lâche, vaniteux, fat. Ah tu es doué, c’est vrai, mais tu n’as aucune fierté, aucun honneur ! Enfin ce soir je suis satisfait : ta carrière est finie. »
Le Coach tourna les talons et mit la main sur la poignée de la porte.
« Mais je... »
Novetz se tourna à demi, couvrant l’ancien Souffleur d’un long regard méprisant.
« Fais-moi plaisir, Exythron. Dis un mot, un seul mot de trop, et demain tu fais la une de tous les journaux. Et crois-moi, ce ne sera pas pour parler de tes exploits passés. »
La porte claqua.
Novetz, en rentrant chez lui, contempla le ciel étoilé où la Constellation du Dragon scintillait de tous ses feux.
« S’il existe un Dieu qui m’entende », murmura-t-il, « c’est le moment de nous aider. »
Narwa Roquen,entre confiture de poires et rage de dents, qui avance malgré tout...

Ce message a été lu 5863 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-09-29 22:42:25 

 WA n° 97, suite et pas finDétails
LA COUPE DES SEPT MONDES (suite)







Le Stadium Paradis était plein comme un oeuf. C’était le match d’ouverture. Les Dragons contre les Tigres de Rosbiffa, une planète lointaine, isolée, qui vivait essentiellement des échanges commerciaux qu’entretenaient ses vaisseaux rapides avec tout le Multivers. Un peuple fourbe, trapu, taiseux, rude à l’impact et prêt à toutes les ruses pour remporter sa deuxième Coupe. Tandis que le peuple se massait dans les tribunes au sol, maquillé aux couleurs de son équipe et agitant les drapeaux à son emblème, les officiels et les riches gagnaient lentement, par l’escalator géant, les places plein-ciel dont les immenses baies vitrées étaient disposées en vis-à-vis, sur chaque longueur, à trente mètres au dessus du sol. Dans la loge VIP, le Président Boudjellak et le Président Tomsk, de Leices, échangeaient des grimaces en forme de sourires fair-play.
L’arbitre et ses deux assesseurs survolaient déjà le terrain dans leurs monoplaces. La foule du bas se leva avec des hurlements déchaînés quand les deux équipes entrèrent sur la pelouse : à gauche, les Dragons dans leur combinaison bleue portant l’emblème d’or sur la poitrine, et à droite, les Tigres en vert et rouge, dont l’animal aux dents cruelles ricanait en blanc brillant sur le maillot rayé. Novetz avait eu beau insister, Kallhydra avait raccourci la longue robe bleue pour qu’elle ne couvre que le genou, et elle était pieds nus, et sans cales ! En face, Flooditch, le redoutable Souffleur des Tigres, arborait fièrement sa nouvelle chasuble vert et rouge, dessinée pour lui par un couturier d’Elysée, la planète de la mode, bijoux et accessoires. « Sur Elysée, vous serez transformés ! », tel était leur slogan. La coupe ample et les épaulettes à franges rouges rehaussaient encore son aspect massif. Face à cette armoire sur pattes, Kallhydra avait l’air si fluette...
« Pas grave si on perd », pensa Novetz en tripotant nerveusement son micro. « Il reste encore cinq rencontres préliminaires avant les demi-finales. Mais, nom d’une carpe lubrique ! c’est le match d’ouverture ! »
Les deux équipes s’élancèrent et les Dragons gagnèrent la Butte. Dans la pente, les guerriers bataillaient dur.
« Cinq hommes à terre chez les Tigres », annonça l’arbitre, quatre chez les Dragons. Cessez le combat. Soufflez ! »
Flooditch lança sa bête féroce, aveuglante d’un blanc pur, la gueule ouverte découvrant des crocs rouge sang. En face, un petit Dragon doré, ridicule dans sa minceur... Un goujon face à une baleine. Novetz se força à garder les yeux ouverts. Le Dragon s’envola, souple comme une anguille, virevoltant et pirouettant dans l’azur, échappant sans peine aux attaques puissantes du prédateur blanc. Le Coach regarda son chronomètre. Presque une minute...
« Nom d’un bro... Elle est... maligne ! »
A quatre-vingts secondes, le visage écarlate et le front trempé de sueur, Flooditch recula et sa créature se disloqua dans les airs. Le petit Dragon doré resta debout, figé au dessus de sa Fontaine.
« Victoire des Dragons de Lagona, 15 à 4 ! »
Novetz se laissa tomber sur sa chaise. Puis tandis que les joueurs rentraient lentement aux vestiaires, il hurla dans son micro :
« Kallhydra ! Qu’est-ce que c’était que ce Dragon minable ? »
La réponse lui fut chuchotée avec une assurance espiègle.
« Eh, je n’allais pas tout leur montrer le premier jour...
- Morue borgne ! Nom d’un filet troué ! La stratégie, c’est moi ! Toi, tu Souffles ! Je... Tu... OK, c’était bien joué. Débriefing dans une heure.
- Merci, Coach. »
Manifestement, elle se foutait de lui. Mais cette satanée femelle avait fait gagner l’équipe, et avec la manière, encore. Nom d’une raie sauvage ! Quelle classe !



« Bienvenue, chers multivisionneurs, sur le plateau de Dixétrans, la chaîne mondiale de Dixé, la planète des arbitres. Nous recevons ce soir, en direct de Lagona, la planète des lacs, Algony, journaliste à Lagosport, Texhianov, responsable des sports sur Glaciovision, Ouanida, correspondant de Mélanhypertrans, et enfin notre cher ami Sigorius, de la verte planète Chloé. Nous avons assisté aujourd’hui à la sixième journée des matches préliminaires, où s’opposaient Lagona et Mélan, Rosbiffa et Glaces, et enfin Noos et Nésée, la planète des Iles. Je pense qu’aucun de mes invités ne me contredira, ce fut une journée passionnante, n’est-ce pas ?
- Sans doute », rétorqua Ouanida avec un air mauvais, « mais largement ternie par cette lamentable erreur d’arbitrage qui nous a injustement privés d’une victoire méritée sur ces misérables Lagoniens !
- Allons, mon cher ami, modérez vos propos... La probité et la compétence des arbitres de Dixé ne sauraient être mises en doute. Nous arbitrons toutes les rencontres depuis les débuts de la Coupe, et personne...
- Ah oui », ricana le Mélanien, « personne n’ignore que vous avez choisi l’arbitrage parce que vous étiez tellement réfractaires aux subtilités du Jeu qu’aucune de vos équipes ne pouvait se qualifier !
- Une page de publicité ! Nous revenons dans quelques instants... »


Novetz baissa le son. Sur le canapé, près de lui, Kallhydra avait l’air absent.
« Qu’est-ce que tu en penses, petite ? Est-ce qu’il y a vraiment eu erreur d’arbitrage ?
- Non, Coach. Non. Dusautak a été le cinquième à tomber, mais il a entraîné son adversaire avec lui dans sa chute. Et après... »
Les larmes lui montaient aux yeux, elle n’en voulait rien montrer, mais elle était à bout. Elle reprit bravement.
« J’ai tenu, Coach. Ses éclairs me trouaient la peau, mais mon Dragon les a encaissés, il a dispersé les nuages, il n’aurait pas pu en jeter un de plus... Mais c’est vrai que je n’aurais pas non plus pu résister très longtemps... »
Elle éclata en sanglots nerveux.
« Tu es épuisée, petite. Je t’ai beaucoup demandé. Le tirage au sort ne nous a ménagé aucun repos jusqu’à maintenant, contrairement aux autres. Mais nous sommes qualifiés pour les demi-finales, et nous avons huit jours sans match. Tu vas pouvoir dormir... Et s’il le faut, je te remplacerai contre le Trèfle. On les a toujours battus... »
Elle secoua la tête.
« Ils ont un nouveau Souffleur, et il est habile... Je serai là. Mais j’ai besoin de retourner à Védarnaz. Besoin de nager dans le lac Perle où j’ai dispersé les cendres de mon grand-père. Là, je trouverai la force.
- C’est un trajet de presque une demi-journée ! Plus le décalage horaire... tu vas rater combien d’entraînements ?
- Le décalage horaire, on le rattrape sur le retour, Coach. Et demain c’est journée de repos. Je ne raterai qu’une séance. Je veux rester deux jours. J’en ai besoin.
- Les espoirs d’une planète reposent sur toi, Kallhydra. C’est une lourde charge...
- Je ne vous décevrai pas, Coach. Laissez-moi partir. Nous gagnerons la Coupe. »



Dans l’astronef, Kallhydra gardait un air distant et renfermé. Puis brusquement elle leva un regard bleu mouillé sur le capitaine Dusautak.
« Je suis désolée, Capitaine. J’ai failli tout faire rater.
- Ne dis pas ça, Kallhydra. Ces merlans sont très forts. Leurs épées sont forgées dans un alliage dont ils ont le secret, et ils arrivent à transpercer nos combinaisons de néokrafe. Ils ont remporté les quatre dernières Coupes, ils sont largement favoris, et leur Souffleur est réputé le meilleur de toutes les galaxies ! Aucune équipe n’avait pu arracher le nul depuis vingt-huit ans !
- Mais je pouvais ! Je sais que je pouvais...
- Kallhydra ! C’est un jeu ! Peut-être que nous gagnerons le trophée, et peut-être pas. Mais Lagona ne s’arrêtera pas de tourner pour autant. C’est un jeu !
- C’est plus qu’un jeu ! », cria-t-elle dans un sanglot de désespoir, avant de fondre en larmes.
La main du jeune homme se posa sur la sienne, forte, douce, réconfortante. La nuit tombait déjà. Huit heures de vol. Quand ils arriveraient, avec le décalage horaire, là-bas, la journée serait bien avancée.



Etrange gamine. Volontaire, méticuleuse, impudique. Généreuse et pleine de délicatesse, et pourtant capable de remettre à leur place d’un seul regard tous les gros du dix.
Elle avait refusé de descendre à l’hôtel de Védarnaz.
« Tout se sait, ici. Ma grand-mère habite à deux kilomètres de la ville.
- Elle doit être fière de toi !
- Le Jeu lui a pris son mari, son fils, et son unique petite-fille. A ton avis ? »
Elle avait monté seule une vieille tente, au bord du lac, en refusant l’aide qu’il aurait été bien en peine de lui apporter. Sans un regard vers lui, impatiente, tendue, elle s’était ensuite précipitée vers le rivage, y avait déposé ses habits en un tas informe et avait plongé.
Elle ne ressemblait pas à ses soeurs. Ni à Nelka, sa puînée, préoccupée de toilettes et de maquillage. Ni à Devena, toujours le nez dans les livres. Peut-être un peu à Ania, la petite dernière, sa préférée, qui courait, sautait, dansait sans arrêt, et se passionnait pour le Jeu.
« Capitaine, je te la confie », avait décrété Novetz. Tu as trois soeurs, non ? Et je sais que tu es un gars sérieux. »
Le message était clair.
Cela faisait une heure, maintenant, qu’elle nageait dans cette eau où il n’avait pu tremper qu’un orteil horrifié. Glaciale ! Et elle plongeait, disparaissant pendant de petites éternités... Il se levait, aussi effrayé à l’idée de la perdre qu’à celle de devoir se mouiller pour lui porter secours. Elle refaisait surface, il se rasseyait.
Le lac Perle était entouré de montagnes abruptes dont les sommets étaient encore recouverts de neige en cette fin de printemps. Des oiseaux noirs, blancs, gris, tournoyaient en criant au-dessus de lui, puis s’éloignaient dans l’azur. Il ne savait pas leurs noms. Des plantes odorantes mélangeaient leurs parfums à celui, familier, de l’herbe touffue. Il se demandait si l’école l’aurait rendu plus savant, à condition qu’il se montre plus assidu... Mais il n’avait que le Jeu en tête. Se battre encore et encore, être plus rapide, plus fort, plus précis Et puis, sur le pavé des villes, il ne pousse que des crottes de chien. Des pigeons, quelques moineaux, c’étaient les seuls oiseaux de son monde de néons et de ciment.
Il cessa de la surveiller. Elle était trop loin. Il n’aurait rien pu faire. Il s’allongea dans l’herbe, surpris de la trouver si drue, si chaude, si moelleuse, comme le corps d’une femme gigantesque, plantureuse et accueillante. Pas comme sur les terrains dont le contact rude signifiait défaite et remontrances. Et ce ciel... Cet infini profond, sans limite d’immeuble ou de tribune plein-ciel, enivrant de son bleu intense, de la couleur exacte du maillot Dragon, mais tellement plus apaisant...
Etre un oiseau, déployer ses ailes, virer sur le vent, libre de chasser ou de voler plus haut, sans aucune consigne, aucun objectif... Il roula sur le ventre, releva la tête. Les montagnes. Ces gros chats accroupis étincelants de blancheur, immuables et patients... Aucun bruit de moteur, aucun cri humain... Des gazouillis, des bourdonnements, le cancanement rustre des canards, le « ploc » d’une grenouille qui sautait dans l’eau calme. Le Jeu... Quelle importance ? La gloire, l’argent, pour quoi faire ? Comment pouvait-on quitter cet endroit après l’avoir connu ?
Il se leva, s’approcha du bord. Il redoutait d’avoir froid, d’être saisi par une crampe, de mettre en danger ce corps affûté qui était son outil de travail et son bien le plus précieux. Mais il ressentait l’envie irrésistible d’aller au bout. Il laissa ses vêtements près de ceux de Kallhydra et lentement, comme s’il célébrait un rite inconnu et néanmoins inéluctable, il entra dans l’eau bleue. Une gerbe glacée éclata devant lui, d’où émergea, rayonnante, la tête de Kallhydra, des cheveux plein les yeux.
« Ne reste pas immobile ! Viens nager, ça te réchauffera ! »
Cela faisait cinq ans qu’il haïssait de tout son être la séance hebdomadaire de piscine que leur imposait Novetz. Pour la première fois, ébahi et émerveillé, il découvrait le bonheur de sentir son corps musclé fendre le flot avec aisance. Et l’eau qui glissait sur sa peau, enveloppe impalpable et fuyante, loin de le figer, semblait lui donner à chaque brassée une énergie nouvelle, joyeuse, intarissable, euphorisante, et c’était une eau pure, bonne à boire, jamais eu tant de plaisir à boire de l’eau...
« On rentre ! Sinon, demain, tu n’auras plus de jambes ! »
Comment pouvait-elle nager si vite ? Il l’aurait jetée à terre d’une simple bourrade. Et elle était déjà dix mètres devant lui !
Il bâillait devant le feu qu’elle avait allumé comme si elle l’avait fait toute sa vie – était-ce le cas ? Elle faisait griller les saucisses, appliquée, tranquille, et lui se laissait lentement glisser dans un engourdissement béat...
« C’est prêt ! »
Elle avait jeté des herbes sauvages dans le feu, et il avait l’impression que toutes les senteurs du lac entraient en lui en une communion plénière.
« Merci de m’avoir permis de t’accompagner, Kallhydra. »
Elle se mit à rire.
« Je n’ai pas eu le choix ! Le Coach ne m’aurait pas laissée partir seule, et de toute façon je n’ai pas ma licence de vol. »
Elle mit fin à son air dépité en ajoutant :
« Mais je suis contente que ce soit toi mon chaperon. Depuis des années que je regarde tous les matches... Eh bien mais... C’est vraiment cool. »
Il lui semblait qu’elle rougissait un peu. Ou bien c’était le reflet du soleil couchant.


La journée du lendemain passa comme dans un rêve. Ils nagèrent longuement dans le lac, jouèrent à s’éclabousser l’un l’autre, nus et innocents, comme au premier matin du monde. La veille au soir, Dusautak avait pensé proposer de rester hors de la tente, pour respecter son intimité, et puis il s’était tu. Il avait craint de la gêner. Fille unique, élevée par un grand-père Souffleur obsédé par le Jeu, elle-même jeune adolescente, que pouvait-elle savoir des pulsions et des désirs d’un homme célibataire de 23 ans ? Ils avaient dormi côte à côte, dans leurs sacs de couchage. Il s’était éveillé avant elle, et il était resté longtemps à la regarder dormir, heureux d’être là, heureux d’être avec elle, tandis qu’au dehors à la pâle lueur de l’aube succédait la tiédeur du soleil qui se levait par-dessus la montagne.
Après la baignade, ils se séchèrent au soleil et le sommeil les reprit pour une longue sieste paresseuse. Le bruit d’un plongeon fit sursauter le Capitaine. Le temps qu’il cherche autour de lui, effaré et inquiet, et déjà Kallhydra sortait de l’eau en tenant une truite dans chaque main, qu’elle lança sur le rivage.
« Allume un feu, je reviens ! »
L’après-midi tirait à sa fin et la fraîcheur les avait fait se recouvrir de leurs survêtements dorés.
« Il va falloir rentrer », se résigna-t-il à prononcer à regret.
« Attends ! Avec le décalage horaire, si on part tôt demain matin, ça ira... Tu as déjà Soufflé ?
- Mais... Je n’ai pas le Don ! »
Elle secoua la tête.
« Tout le monde peut courir, non ? même sans être un champion. Tout le monde peut Souffler. Viens là. »
Elle remplit d’eau la casserole qui avait servi pour le thé du matin.
« L’eau du lac Perle est chargée d’Energie. C’est encore plus facile. Quel est ton animal préféré ?
- Je ne sais pas... J’ai eu un chat quand j’étais petit... Il s’appelait Asso.
- Assaut... Evidemment ! Ferme les yeux, pense à ton chat. Revois la forme de sa tête, la couleur de ses yeux, ses moustaches... Seulement la tête. Concentre-toi. Respire. Garde les yeux fermés. L’eau est devant toi, pose les mains sur les bords de la casserole. Et maintenant Souffle, Souffle pour donner la vie à ton rêve, Souffle avec douceur, avec constance, avec humilité... Ouvre les yeux, regarde ! »
La stupéfaction lui coupa le Souffle. Alors elle le remplaça, et la tête du chat demeura suspendue en l’air, devant lui, une tête ronde, blanche et rousse, avec de longues moustaches...
« Eh ! Il m’a fait un clin d’oeil ! »
Kallhydra éclata de rire et le chat se dispersa en gouttes fraîches qui les arrosèrent tous les deux.
« C’est toi qui a fait ça.
- Non. Je n’avais jamais vu ton chat. Recommence, en gardant les yeux ouverts. »
Il n’aurait jamais cru cela possible. Il Soufflait !


Le Coach les attendait sur l’astroport.
« Ah, vous voilà, quand même ! Huit heures de vol, j’imagine dans quel état vous êtes ! Filez vous coucher, à quatorze heures sur le terrain ! »
Mais les deux jeunes gens se mirent à rire à l’unisson, et se dirigèrent d’un pas ferme vers leurs co-équipiers. Novetz se jura de ne rien leur laisser passer.
Dusautak balaya à lui seul trois adversaires, et jamais le Dragon de Kallhydra n’avait été si grand et si brillant. Elle le tint plus de trois minutes, sans effort apparent.
«Maudits jeunes ! Sens que je vais y envoyer tout le monde, au bord de ce lac... Nom d’un héron bègue ! Moi qui ai toujours eu horreur de l’eau... »
Narwa Roquen,fatiguée...
Narwa Roquen,on a gagné...

Ce message a été lu 5802 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-10-06 22:11:53 

 WA - Participation exercice n°97 part IVDétails
Syvio Kérouac est le Conducteur du Clan des Vagabonds des Limbes. Il a le visage carré d'un marin des routes, les yeux gris d'un loup des steppes sous une frange poivre et sel, les épaules carrées et des mains larges et puissantes, aux veines apparentes et pourtant étonnamment douces et sensuelles. Il scrute le ciel car il a senti plus qu’il n’a vu, une ombre ailée fuyant entre les nuages vers le nord, très loin au-dessus de leurs têtes. Une ombre démesurée qui a réveillé en lui un étrange pressentiment. Les Cantonniers voyagent toute leur vie à la surface de la Terre et ne redoutent qu’une seule chose : que le Ciel leur tombe sur la tête. Bien sûr, ce n’est qu’une vieille superstition qui ne fait plus peur à personne. Mais en ce jour béni entre tous où est célébré le Carrefour des Cantonniers, Sylvio blêmit tandis qu’une sueur froide glisse le long de sa colonne vertébrale. Comme tous les Timoniers, Sylvio est très sensible aux plus infimes variations de la sphère éthérée.

« Hé, tu rejoins la fête ? »

Sullen, son épouse, le tire de sa torpeur en lui piquant un baiser sur sa joue. C’est vrai que la fête est belle et elle bat son plein. Ce n’est pas tous les jours que deux Clans se croisent au cours de leur périple. Les probabilités sont minces. Cela ne se produit que deux fois, peut-être trois, durant toute une vie. Chaque Conducteur possède son Astrolabe, infiniment précieux et incroyablement ancien. Le nomogramme gravé en son centre a été conçu à partir du code génétique infalsifiable du Conducteur. De celui de sa famille serait sans doute plus juste. Grâce à ce merveilleux instrument, Sylvio relève les coordonnées et calcule infailliblement sa Route. Nul autre que lui ne peut s’en servir. Son Astrolabe détermine le tracé qui correspond au message enregistré dans son hélice ADN, un tracé qui obéit à de mystérieuses balises allumées dans le ciel et que seul Sylvio peut distinguer.

La rencontre est connue plusieurs mois à l’avance. Les Clans communiquent entre eux régulièrement, directement grâce à leurs télépatéticiennes si la distance ou les obstacles le permettent, ou bien à l’occasion de leur passage à proximité des cités auprès desquelles ils se ravitaillent. Là, le Palais des Registres abrite le « Rekisteri », la main-courante des Cantonniers où sont reportées toutes les informations communiquées par les Nomades. Ces derniers en profitent pour y consigner, à l’instar des capitaines des routes maritimes, les nombreux évènements survenus depuis leur dernière halte citadine. Ils laissent également, à l’intention des autres Clans, des messages ou des avertissements qu’ils rendent incompréhensibles pour quiconque ne disposant pas du chiffre Cantonnier.

Une fois l’an, chaque Cité Libre rassemble en un seul recueil, toutes les mains-courantes déposées par les Cantonniers l’ayant visitée et l’expédie aux services administratifs centraux de l’Arcane Céleste. Tous les recueils de l’année y sont analysés par des spécialistes et des érudits. Une fois les redondances expurgées, l’ordre chronologique rétabli et les passages cryptés reportés in extenso, un unique volume est alors constitué et millésimé en lettres d’or. Un jeu de fontes spécifiques a été créé pour imprimer sur les vélins célestes, les étranges signes cabalistiques utilisés par le code Cantonnier.

Quatre ans sont nécessaires aux travaux de mise en forme. Ensuite, l’ouvrage est précieusement conservé au fond d’une aile secrète et souterraine de la Grande Bibliothèque Céleste. Certains assurent que la lecture de l’un des douze cent quarante volumes qui composent la Collection Route Noire, dénommée ainsi en raison du bitume noir enrobant la tranche de couverture, est la distraction préférée de l’Arcane Céleste. Quelques biographes osent mesurer la vie des Arcanes Célestes non pas en années, puisqu’au bout du compte leur nombre demeure intangible, mais à celui de volumes de la Grande Collection qu’ils ont pu lire durant leur trop brève existence.

On murmure également parmi les cercles ésotériques hétérodoxes, frôlant en cela l’hérésie, que reposent parmi ces milliers de lignes, des clés secrètes qui ouvrent des portes oubliées accédant à des routes depuis longtemps désertées. Mais il est dit encore plus confidentiellement, qu’ouvrir certaines de ces portes inconsidérément provoquerait des catastrophes inimaginables, que le ciel s’embraserait d’un seul coup et que des créatures monstrueuses et avides, venues de profondeurs insondables, s’engouffreraient pour dévaster le monde.

« Viens Sylvio, tu manques à tes invités ! Les Salesmen s’étonnent que ton fauteuil soit vide en ces heures propices. Viens boire du vin et écouter le ménestrel. Il a une voix chaude et vibrante qui fait honneur à notre Carrefour. Ses chansons parlent des montagnes où nous n’iront jamais, que nous voyons toujours posées sur l’horizon lointain. Des montagnes aux cimes enneigées et aux pentes boisées où habitent faunes et dryades. Viens mon Sylvio ! »

Sullen est une femme à la peau laiteuse et aux cheveux rouges. Elle est parvenue à cet âge où l’équilibre entre sensualité et sérénité est quasi miraculeux. Elle possède cette grâce souple et effrontée qui n’appartient qu’aux télépatéticiennes. Le Conducteur épouse toujours une télépatéticienne, c’est dans l’ordre des choses. Car Sullen possède le Don. Dans les bras de ses amants de circonstance, au plus fort du désir et de la passion, son corps entre en résonance avec l’Ether. C’est une vibration sensuelle particulière qui éveille une partie atavique de son cerveau reptilien. Elle peut alors établir une communication ténue et purement émotionnelle, avec d’autres consoeurs également emportées par le tourbillon des désirs. On appelle cette communion extraordinaire, la Toile des Sens. Là s’échangent des informations entre les Clans en perpétuel mouvement.

Quand elle quitte le lit où gît son amant d’un soir, elle a conservé l’écho persistant de conversations fantômes. Des traces émotionnelles qui se transforment en mots et ces mots deviennent des phrases. Avant que la dernière étoile ne s’éteigne, elle se couche, épuisée, auprès de son époux. Il y a une chose qu’elle aime par-dessus tout. Qu’elle n’échangerait pour rien au monde. C’est cet instant magique où, toujours endormi, Sylvio l’entoure tendrement de ses bras puissants pour partager avec elle le bonheur simple et essentiel, des derniers instants d’une nuit qui se dissipe lentement.

Sylvio enlace Sullen et ensemble, ils reviennent tranquillement vers l’Etrier du Carrefour. Il s’agit de simples planches posées sur des tréteaux, formant une très longue table en fer à cheval, nappée de couleurs multicolores. Les principaux membres des deux Clans se sont répartis équitablement de part et d’autre des places centrales où sont déjà assis Ennio et Lazerine, respectivement Conducteur et Télépatéticienne du clan des Salesmen. Devant eux, de l’autre côté de l’Etrier, la plaine qui s’étend à leurs pieds, offre un spectacle magnifique.

Deux chemins de fer convergent l’un vers l’autre selon un angle assez ouvert. Les caravanes sont immobiles à une petite distance de la Jonction, savant assemblage d’épaisses lattes de bois supportant l’aiguillage proprement dit. Les Tubalcains des deux clans ont travaillé sans compter leur temps, l’airain et le fer pour forger les pièces mobiles de ferronnerie. Celles-ci sont utilisées dans le lourd mécanisme qui sépare les voies au-delà de la Jonction d’où elles divergent à nouveau. Aujourd’hui, tout est prêt. Chacun des spectateurs grave ces instants précieux dans sa mémoire car bientôt, il ne restera plus rien de cet ouvrage exceptionnel.

Seul compte le présent et le futur pour les Cantonniers. Le passé n’existe pas. Ils le détruisent méthodiquement derrière eux, effaçant toute trace de leur passage. Pourquoi s’embarrasser d’un inutile fardeau ou édifier des monuments que peupleront les fantômes? La vie d’un homme, considèrent-ils, est un chemin étroit qu’il emprunte de sa naissance à sa mort. Il a beau essayer de s’y soustraire, tous ces efforts seront vains à la fin. Chaque enjambée l’éloigne de son départ et le rapproche de son but. Alors, l’homme véritable regarde devant lui et jamais ne se retourne. Les Cantonniers disent que les hommes, comme le temps, ne reviennent jamais sur leurs pas.

Sylvio s’assied à la droite d’Ennio. Il pose délicatement son Astrobale devant lui, à côté de celui de son voisin. Il salue d’un hochement de tête le Seigneur Colorado, assis à côté de Sullen, qui regagne avec quelques compagnons, les Royaumes Lointains. Il gagne les Havres de Cobh, le grand port de l’Ouest où les vaisseaux élancés et majestueux, aux voiles bleues frappées du Dauphin Blanc, appareillent vers les terres interdites. Le brillant équipage a fait halte en découvrant le Carrefour et il a été invité à se joindre à la fête des deux clans.

Colorado est un homme d’une grande et forte stature, dépassant de plus d’une tête le plus grand des Cantonniers. C’est une des caractéristiques des ressortissants des Royaumes de l’Ouest. Ils sont de haute taille et longilignes, comme étirés vers le haut de façon presque anormale. Selon la légende, ils doivent leur morphologie à l’attraction de la Lune dont ils seraient les enfants. Colorado a les traits fins et délicats. Au-dessous d’un front noble, ses yeux graves et pénétrants, couleur de fumée, brillent d’un éclat d’or singulier, ombre majestueuse d’une ancienne puissance. Il est sobrement vêtu d’une tunique de lin immaculée, sous une cuirasse de mailles tressées, aussi légère que les plumes ventrales d’un faucon, aussi résistante qu’une armure de plates forgée dans l’acier le plus dur.

Ses compagnons de voyage sont à son image, puissants guerriers aux gestes élégants. Une femme les accompagne aussi, à la beauté distante et surnaturelle. Elle est resplendissante, telle une gemme flamboyante, attirant magnétiquement les regards. Elle converse en ce moment avec Lazerine, la Télépatéticienne des Salesmen. Entendre les enfants des Royaumes de l’Ouest est un enchantement pour l’oreille. En fait, ils chantent plus qu’ils ne parlent. Ils chantent d’une voix douce et musicale, envoûtant subtilement ceux qui les écoutent. Oui, les enfants des Royaumes de l’Ouest fascinent et subjuguent autant par la munificence de leurs vêtures et la puissance de leurs armes que par cette aura profonde et vibrante qui émane de leur personne et qui rivalise avec la lumière du soleil.

Sylvio a vu leur arrivée comme un bon présage, couronnant la cérémonie qui se déroule. Il sait que pareille occasion ne se renouvellera pas de sitôt. Peut-être jamais. Alors il soupire de contentement en saisissant une coupe de vin de paille;, breuvage acheté à prix d’or chez un négociant de la ville voisine. Plusieurs tonneaux ont été mis en perce pour noyer carafes et flacons à volonté. La boisson ambrée et moussue des îles hyperboréales coule aussi à flot. Sylvio se penche vers son voisin :

« Seigneur Colorado, parlez-moi des Royaumes Lointains!! Parlez-vous de ces terres légendaires qui nous sont interdites ! Et pardonnez-moi si ma voix écorche vos oreilles, les Cantonniers sont un peuple rude, pour ne pas dire rustique ! »

Aussitôt, comme si tous avaient entendu Sylvio qui pourtant n’a pas élevé la voix, les conversations s’éteignent progressivement et tous les regards convergent vers le Seigneur Colorado. Celui-ci prend le temps de s’essuyer les lèvres ourlées avec une serviette de coton tout en fixant Sylvio.

« Bien volontiers, Messire Conducteur! »

Sa voix est suave et déliée, aux intonations riches et subtiles. N’appelle-t-on pas les enfants des Royaumes de l’Ouest, les Rossignols Humains ?

M

Ce message a été lu 6031 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-10-09 19:02:00 

 WA - Participation exercice n°97 part VDétails
«Quand j’étudiais encore auprès de mon Maître, celui-ci me confiait parfois le soin de dépoussiérer sa vieille bibliothèque où il rangeait ses livres les plus précieux, glanés au fil de ses recherches. Il y avait parmi eux de nombreuses éditions originales de très grande valeur et quelques ouvrages antérieurs aux Grandes Convulsions, imprimés selon des techniques disparues, comme les langues dans lesquelles ils avaient été écrits. Ceux-ci étaient inestimables. Mon Maître, Colophon, était immensément réputé et ses enseignements figuraient parmi les plus recherchés. Mon père s’était attaché ses services à prix d’or et je suis très fier d’avoir appris sous sa férule éclairée !

Un soir, alors qu’il achevait son Codex... ah ! Je me rappellerai toujours cette soirée ! La lumière diffuse et chaude projetée par la lampe qui brûlait sur le plan de travail, mon maître ployé au-dessus de la page, la concentration se lisant sur son visage, les odeurs de la nuit filtrant par la baie grande ouverte... C’était une des dernières nuits précédant mon Ramage, la cérémonie rituelle qui allait consacrer mon émancipation. Donc pendant que mon maître travaillait en silence, j’époussetais un épais volume dont le titre est resté dans ma mémoire : « Le chemin des étoiles ». Vous n’ignorez pas que nous aimons par-dessus tout étudier les mystères de la voûte céleste. Tout ce qui touche de près ou de loin à l’observation des astres nous passionne. Comme je manipulais cet ouvrage pour en chasser le dernier grain de poussière, un bout de papier s’échappa d’entre les pages. Je le ramassai et je m’aperçus que c’était le fragment d’une feuille déchirée dont les bords noircis par le feu étaient assez éloquents pour comprendre ce qui était arrivé. Quelques lignes imprimées étaient encore malgré tout visibles. Préservée par quelque miracle, une phrase bouleversa ma conception du monde et ma place au sein de celui-ci. »

Avec un art consommé de la rhétorique, le seigneur Colorado s’interrompt à cet instant. Il boit lentement une longue gorgée de vin blond. Les Cantonniers sont suspendus à ses lèvres. Bien qu’il s’exprime dans la Lingua Nostrum, la langue universelle véhiculaire, la voix du Seigneur Colorado coule comme du miel. Chaque mot semble être choisi en fonction de ceux qui le précédent pour conserver l’harmonie du rythme et des tessitures. Il ne fait visiblement aucun effort pour que ses phrases soient parfaitement équilibrées. Oui, le Seigneur Colorado est un très grand poète. Libérant la tension qui s’accumule et les coeurs qui se remettent à battre, il poursuit son récit :

«Tout d’abord, je ne compris rien bien sûr. Elle était écrite en une langue qui m’était inconnue. Cela me fascina au plus haut point. Bien sûr nous savons tous que notre monde a traversé, voici plus d’un millénaire, le feu purificateur des Grandes Convulsions, elles-mêmes suivies d’une longue ère de profondes ténèbres. Avant nous, d’autres civilisations sont parvenues à un degré de perfectionnement que nous rêvons encore d’atteindre. Leur prodigieux savoir s’est perdu avec elles. Bien peu de choses ont survécu aux tempêtes des Grandes Convulsions. Trop peu. Et en cette nuit-là, je tenais entre mes doigts un artefact d’une époque oubliée. Je ne sais ce qui me prit de demander à mon Maître de me traduire ce qui était écrit. Au ton de sa voix quand il m’a répondu, j’ai eu le sentiment qu’il attendait cette question depuis longtemps. C’est à ce moment que je compris que plus rien ne serait désormais comme avant. Ecoutez-bien car en peu de mots il y a tant à comprendre. Je vous l’affirme, moi qui ai sans doute déjà découvert plus que quiconque. Chaque jour qui passe me prouve qu’il reste plus encore à découvrir.

Cette phrase écrite en une langue morte disait simplement « Le silence éternel des espaces infinis m’effraie ! » C’était juste sept mots mais ensemble ils contenaient une sublime symphonie, une musique des sphères envoutante qui n’a cessé depuis de retentir en moi. La prononcer devant vous aujourd’hui m’émeut toujours autant.

Mon Maître Colophon, s’étant aperçu de ma réaction, s’approcha de moi. Me reprenant doucement le papier, il le glissa à nouveau entre les pages du livre qu’il remit à sa place. Puis il m’invita à m’asseoir sur le divan qui faisait face au crépuscule. Il me parla longtemps, infusant en moi les ferments qui allaient modifier toute mon existence. Moi, je regardais le télescope braqué vers les étoiles. Il m’a semblé qu’elles brillaient d’une lumière inédite, qu’elles devenaient complices. Mon maître m’expliqua avoir trouvé ce bout de page lors de fouilles menées dans les ruines ensablées d’une ancienne cité perdue, quelque part dans les Etendues Vitrifiées. C’était tout ce qu’il avait pu sauver. Il m’avoua que cette courte phrase l’avait aussi profondément troublé, l’obligeant à orienter ses travaux dans une tout autre direction. Il n’a jamais pu identifier celui qui avait pensé ces mots, son véritable auteur. La nuit était bien avancée quand il me pria enfin de le laisser pour qu’il se repose. Je soupçonne encore aujourd’hui que rien de ce qui s’est passé n’était dû au seul hasard. Colophon avait fait en sorte de me transmettre un précieux héritage. S’il était encore de ce monde, la lecture de Mon Codex lui aurait fait plaisir je pense car j’ai poursuivi fidèlement ses travaux ! »

Sylvio fait danser le vin au fond de sa coupe et penche la tête sur le côté : « Seigneur Colorado, est-ce une façon élégante et courtoise d’éluder ma question ? »

Le Seigneur Colorado sourit et qui peut tenir rigueur à un enfant de l’Ouest qui sourit si délicieusement ?

«Nos terres sont interdites et je ne puis en dire beaucoup en ce domaine. La route est fermée à tout autre navire que les vaisseaux blancs aux voiles bleues. Vous ne devriez pas tourner vos pensées vers mon Pays. Il a été retranché de ce monde. Aucune femme, aucun enfant ni aucun homme ne pourrait y survivre longtemps. J’ai cependant répondu à votre question. Indirectement. Savez-vous que nos deux peuples partagent en commun l’appel des étoiles ? »

Sylvio est pris au dépourvu. Il sent la douce pression de la main de Sullen sur son avant-bras mais ne peut s’empêcher de demander : « Comment cela ? »

Le Seigneur Colorado attrape une grappe de raisin noir et en détache délicatement un grain gorgé de soleil qu’il apporte à sa bouche.

« Vous êtes le Conducteur du Clan des Vagabonds des Limbes et vous calculez votre route grâce à votre Astrolabe, n’est-ce pas ? »

Sylvio acquiesce, intéressé.

« Et chaque Conducteur, vous comme Ennio, dispose de son propre Astrolabe, utilisable par nul autre que lui, je ne me trompe pas ? »
Sylvio acquiesce à nouveau.

« Si je vous disais que mon peuple vous surnomme les Céphéides ? »

« Les Cé...phé... quoi? » Ennio se penche vers Sylvio. « Hé, tu savais ça ?

Sylvio lui fait signe que non.

Le Seigneur Colorado poursuit :

« Nos observations et l’étude de certaines documents pré-Convulsions nous ont appris qu’il y avait dans le ciel des sortes de balises lumineuses. Des étoiles qui brillent d’une façon singulière, de temps en temps. Les Anciens les ont dénommées les céphéides. D’après nos plus grands savants, elles ont été utilisées pour calculer des distances fabuleuses, bien au-delà de la portée de nos pauvres instruments actuels. Certains ont émis l’hypothèse que les Astrolabes des Conducteurs ont été étalonnés sur des configurations de Céphéides bien particulières qui dessinent des routes terrestres prédéterminées et incroyablement précises ! »

Sylvio pose la main sur son Astrolabe, comme pour le soustraire à l’influence du Seigneur Colorado. Il est mal à l’aise. Ennio l’est également, fronçant les sourcils et jetant un regard circonspect sur le Seigneur de l’Ouest.

« Et ce n’est pas tout ! Le mot « planète » signifiait, dans une très ancienne langue, « vagabond ». Cette notion de vagabond figure de près ou de loin dans tous les noms des Clans de Cantonniers, à commencer par le vôtre Sylvio. Vous êtes des planètes mais votre espace est circonscrit sur cette île-continent. Vous filez le long de révolutions prédéfinies et nous estimons qu’il existe un lien entre votre parcours terrestre et quelque chose qui se déroule au-dessus de nos têtes, au milieu des étoiles. Un évènement à venir semble être inscrit dans vos mouvements apparemment désordonnés. J’ai dans mes bagages, une vieille étude réalisée par un chercheur qui pourrait nous éclairer à ce sujet ! Il a collationné beaucoup de données topographiques sur les routes tracées par les Cantonniers. »

Sylvio lève la tête vers le ciel qui a retrouvé toute sa limpidité. Il ne sent plus aucune présence menaçante. Elle est déjà loin. Alors il répond au Seigneur Colorado :

« S’il est encore temps ! Mais dites-moi Monseigneur, pourquoi le silence de l’espace devrait-il nous effrayer à ce point ? »

«Ne vous demandez-vous jamais pourquoi le ciel est vide, Messire Conducteur ? »

« Jamais Monseigneur ! Peut-être parce que les Cantonniers ne le regardent pas très longtemps car ils redoutent qu’il leur tombe sur la tête ! »

« Vous vous dérobez par une pirouette Messire ! Il ne se peut que les espaces soient vides jusqu’à l’infini. Il y manque quelque chose ! »

« Comment se fait-il Monseigneur, avec tout le respect que je vous dois, que vous, un Seigneur des Royaumes Lointains, dont la puissance n’a jamais été contestée et la sagesse louée en tous lieux, comment se fait-il que vous soyez si affecté par cette considération philosophique ? »

Le Seigneur Colorado plisse les yeux, se plongeant dans l’examen de la peau sans défaut des derniers grains de raisin suspendus à leur grappe. Quand il répond, sa voix si suave se fait lisse et monocorde :

« Messire, vous a-t-on jamais parlé de Dieu? »

M

Ce message a été lu 6362 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-10-09 23:34:44 

 WA, exercice n°97, suite et finDétails
Le Trèfle. Des hommes verts aux cheveux roux, venus de la planète Eyra, faite de landes, de rochers et de mer. Buveurs de bière, mangeurs de mouton, réputés pour leur jovialité et leur tempérament farceur. Mais aussi intrépides, endurants, têtus. L’expression « ne rien lâcher » avait due être inventée pour eux. Même avec quatre hommes à terre, ils éructaient des plaisanteries vaseuses tout en se battant comme des morts de faim. Depuis deux ans, ils avaient un nouveau Souffleur, le redoutable Ogara, qui alliait la puissance d’un homme des cavernes à la roublardise élégante d’un financier de haut vol.
Novetz avait rassuré ses troupes.
« Le Trèfle, on l’a toujours battu. Que de la gueule. »
Mais quand les deux équipent entrèrent sur le terrain, il croisa les doigts de ses deux mains, en regrettant de n’avoir pas la souplesse nécessaire pour en faire autant avec ses orteils. Rapides comme des comètes, les Trèfles gagnèrent la Butte. Le combat s’engagea, et les Eyriens cédaient du terrain, mais ils reculaient de travers, entraînant les Dragons sur le côté et laissant les deux plateaux face à face. Le plateau du Trèfle chargea. Les Hommes Verts étaient un peu plus grands que les Lagoniens, ils avaient plus d’allonge. Massos et Servatz, respectivement en Nord et Ouest, combattaient comme de beaux diables, mais ils étaient en contrebas, et la lutte des épéistes s’éternisait.
« Tournez ! », leur cria Kallhydra. « Tournez, relayez-vous, je ne tomberai pas ! »
Massos comprit tout de suite. Il bondit sur sa gauche, obligeant le plateau à décrire un quart de tour. Lakafix, qui était derrière lui, se retrouva face à l’adversaire. Il échangea quelques coups, puis sauta de côté à son tour. Le plateau se mit à tourner de plus en plus vite, et à chaque tour il gagnait du terrain vers le haut. Avant que les Trèfles ne se décident à les imiter, le plateau du Dragon était sur la butte et le combat se terminait, cinq Verts à terre pour trois Dorés.
« Soufflez ! »
Le Trèfle s’épanouit, émeraude liquide mouvante et chatoyante, tige gracile et frêle portant trois feuilles palpitantes. Le petit Dragon doré lui fit face, sa gueule dessinant un sourire ravi, l’oeil en amande semblant vouloir aguicher son ennemi. Brusquement des ramifications innombrables surgirent de la tige, enlaçant l’encolure et le corps du Dragon, s’enroulant tels des serpents étrangleurs pour étouffer leur proie. Toujours souriant, le Dragon grandit un peu et glissa sa patte dans une protubérance sur son flanc droit qui ressemblait à... un sac ? en bandoulière ? Il en sortit une paire de ciseaux d’or pur, et après avoir hésité un instant à se tailler une griffe, il coupa à la vitesse de la lumière toutes les branches suffocantes, tout en grandissant encore et encore...
Ogara éclata de rire et abaissa son Trèfle. Autour de lui, son équipe s’esclaffait à qui mieux mieux et au milieu de l’hilarité générale on entendit à peine l’arbitre proclamer la victoire du Dragon.
« La tournée est pour nous ! », brailla Ogara. « Vous êtes les plus forts, mais ce soir on va vous noyer dans la bière !
- Aoh ! On aurait dû en planquer sur le plateau », ajouta son Capitaine. « On crève de soif, ici ! »
Alors le Dragon ressortit de la vasque, et se déployant au dessus des deux équipes, il les arrosa d’une gerbe continue de gouttelettes fraîches... bientôt rejoint par le Trèfle dont les feuilles se penchèrent vers le sol pour ajouter de l’eau à la douche improvisée. Les joueurs dansaient et chahutaient comme des enfants en vacances, et ils quittèrent le terrain bras dessus bras dessous dans une cacophonie joyeuse de chants entremêlés, sous les applaudissements de la foule survoltée.
« Ah la Dragonne, trop cool !
- En plein combat, se tailler les ongles !
- Et le petit sac... génial !
- On parie sur vous, les Dragons !
- Longtemps qu’on avait pas autant rigolé ! Ca, c’est du Jeu ! »



Les Dragons étaient en finale. Les Eclairs de Mélan avaient facilement disposé des Tigres de Rosbiffa, 15 à 2. La presse spécialisée était unanime : les Dragons n’avaient aucune chance. Les Mélaniens avaient concédé le nul pendant les Préliminaires pour ménager leurs forces et duper leur adversaire. Une source secrète avait révélé que Novetz était très contesté, que le Président Boudjellak ne le soutenait plus, et qu’au sein même de l’équipe l’ambiance était détestable et le moral au plus bas. Novetz en profita pour surfer sur la vague.
« Je suis très fier de mon équipe », déclara-t-il en conférence de presse. « Les joueurs ont tout donné, et nous avons atteint notre objectif, nous sommes en finale. Les Eclairs de Mélan sont imbattables, et nous allons simplement essayer de donner un beau spectacle, par respect pour tous nos supporters et pour tous les spectateurs et visionneurs de toutes les Galaxies. »
Kallhydra fit la grimace, mais Dusautak lui adressa un franc sourire.
« Ce n’est pas au vieux brochet qu’on apprend à croquer le goujon ! Ils vont se croire beaux, les Noirs... Quand ils comprendront, ils auront déjà pris la marée... »



Cependant la semaine de préparation fut émaillée d’évènements désagréables. Quatre jours avant la finale Lakafix glissa dans la douche et se luxa l’épaule. Novetz le remplaça par Papetz. Le lendemain la mère du Coach fut retrouvée morte dans son sommeil dans sa petite maison au nord de Tolsa. Novetz déclara que les funérailles auraient lieu après le match, ce qui lui valut les foudres de toute sa famille. Il éteignit son téléphone, l’enferma à double tour dans un tiroir de son bureau et refusa de recevoir les journalistes.
Enfin, deux jours avant l’échéance fatidique, vingt-deux joueurs, dont Dusautak, furent pris de violents maux de ventre avec des vomissements incoercibles. Les Soigneurs étaient aux abois, courant d’une chambre à l’autre et multipliant injections et perfusions. Novetz, devant son large bureau en minolène, se tenait la tête à deux mains. Il marmonna « Entrez » sans bouger d’un pouce quand on gratta à sa porte.
« Coach... »
Kallhydra se tenait devant lui, détendue et souriante. Il se sentit insulté, ouvrait déjà la bouche pour hurler sa colère...
« Si vous permettez, Coach... J’ai ramené deux bidons d’eau du lac Perle. Les joueurs seront sur pied après-demain. Si vous m’autorisez... »
Tout autre qu’elle se serait fait agonir d’injures. Il soupira.
« Pour quoi faire ? »
Elle expliqua. L’eau, l’Energie. Et ajouta :
« Si je peux faire une suggestion... Prenons tous nos repas en commun jusqu’au match. Et que la cuisine soit préparée par des gens de confiance. Des protéines nobles, beaucoup de sucres lents, de la sauge, du thym, des bananes et du cacao... Et des noix, aussi. »
Il n’aurait pas ouvert les yeux plus grands si elle s’était transformée en sirène.
« Allô, chérie... J’ai besoin de toi... »
Et c’est ainsi que Galla, la femme du Coach, et leur fille Talia se mirent aux fourneaux dans l’enceinte même du Centre d’Entraînement, avec pour marmitons trois gaillards qui devaient se baisser pour passer sous les portes, tandis que les quatre autres rescapés convoyaient Kallhydra pour assurer l’approvisionnement. Lakafix, malgré son bras en écharpe, avait insisté pour être du nombre.


Le Coach observait ses hommes dévorer à belles dents la viande rouge et saignante et les pommes de terre rissolées saupoudrées de thym et de sauge. Ils avaient tous l’oeil vif et l’air enjoué, la mine fraîche et la voix joyeuse. Dusautak se leva, son verre d’eau à la main.
« Les gars, je voudrais qu’on remercie très fort les Soigneurs, Galla et Talia... et bien sûr notre bonne fée Kallhydra, grâce à qui le Dragon est à nouveau prêt à rugir ! »
Les applaudissements firent trembler les murs.
« Et Coach... On s’est tous mis d’accord pour donner une prime au personnel de l’entretien. Ils nous ont aidés à déménager les lits. Ce soir on dort tous ensemble dans la salle de conférence. Et ton lit est déjà prêt, Coach ! Comme ça ta femme va pouvoir se reposer ! »
Des hurlements de rire accueillirent cette remarque. Novetz en tremblait. De fatigue, sans doute.



Les Noirs entrèrent sur le terrain, le torse bombé et le sourire aux lèvres. Les Dorés marchaient lentement, traînant la jambe, les yeux au sol. Kallhydra se fit aider pour grimper sur le plateau.
« Ils veulent de l’intox ? », leur avait suggéré Novetz dans les vestiaires. «On va leur en donner. »
Et pendant qu’il se lamentait haut et fort sur la méforme de son équipe devant les caméras de multivision, son quinze clopinait tant bien que mal jusqu’au bout de la pelouse, Kallhydra assise sur le plateau et s’accrochant désespérément au rebord de la vasque – tout en continuant à souffler doucement sur la surface horizontale.
« A mon commandement ! », cria l’arbitre. « Pour la Butte... Allez ! »
« Contrôle antidopage ! Il faut un contrôle antidopage ! », glapit Henru, le Coach des Mélaniens, quand le plateau du Dragon gagna la Butte avec cinq secondes d’avance sur sa dernière course. Furieux, Cartru, le Souffleur invaincu, haranguait ses troupes qui, dans le contrebas, étaient balayés par le raz de marée bleu et or.
« 5 à 0 », hurla l’arbitre, « avantage aux Dragons. Fin du combat. Soufflez ! »
Kallhydra prit une profonde inspiration. Désormais, tout reposait sur elle. Elle sentait quatorze regards braqués sur elle, elle s’autorisa, une fraction de seconde, à chercher le soutien de deux yeux noirs... Il lui sourit. Son visage se détendit. Elle monta son Dragon, plein, brillant, la gueule ouverte. En face, d’immenses nuages noirs sortaient de la fontaine ennemie, traversés par des éclairs sauvages qui rugissaient avant de bondir. Le stade semblait pétrifié dans un silence de mort. Même les journalistes restaient bouche bée devant leurs micros. Alors le Dragon déploya ses ailes et ouvrit sa gueule encore plus grand tout en gonflant son poitrail, encore et encore... La foule d’en bas partit d’un seul long cri unanime et médusé :
« Ooooh... »
Les nuages, les affreux nuages Noirs étaient aspirés irrémédiablement dans la gueule ouverte. Cartru se débattait, s’époumonait, acculé et impuissant. Le Dragon enflait, se dilatait, devenait gigantesque, obscurcissait le ciel de sa dorure magnifiée, jusqu’à ce qu’il n’y eut plus, autour de lui, que du bleu, du Bleu et de l’Or... Alors son Souffle titanesque recracha sur le Souffleur Noir une trombe d’eau étincelante dont la puissance le jeta à bas du plateau...
La foule hurla, couvrant presque le verdict de l’arbitre essoufflé qui, la gorge nouée, réussit à articuler :
« Vic... victoire... incon...testable... du Dragon de La... gona ! 15 à 0 ! »
Jamais le Stadium Paradis n’avait résonné d’autant de hurlements surexcités. Même les supporters des Mélans applaudissaient à tout rompre. Novetz était en larmes. Boudjellak répétait comme un cube enrayé « je le savais, je le savais, je leur ai toujours fait confiance, je le savais... ». Cartru s’était relevé et regardait Kallhydra comme un enfant devant le lever du soleil. Dusautak avait sauté sur le plateau et avait monté Kallhydra sur ses épaules. Elle tendit les bras vers le ciel et ferma les yeux, tandis que la chaleur des mains de son Capitaine, posées sur ses jambes, irradiait dans son corps tout entier.
« La première victoire est inoubliable », lui avait dit Akt. « Surtout quand tu sais avec qui la partager. »
Narwa Roquen,on a gagné...

Ce message a été lu 5915 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-10-10 21:08:53 

 L’Eden donne dans la farce!Détails
Oui, je sais, c’est un jeu de mots venu de loin (sic !) mais je trouve qu’il rend hommage à la gouaille bon enfant qui émaille cette histoire que n’aurait sans doute pas reniée Pratchett.

En effet, cette histoire abracadabrantesque qui revisite de façon complètement barrée une compétition antipodaire (ça ce dit ça ?) qui se déroule actuellement. Des déguisements très light ne peuvent pas vous empêcher de reconnaître au détour des noms inventés, des personnages truculents de l’Ovalie, des joueurs présents et passés, des entraîneurs toulousains, des journalistes beau gosse, jusqu’à un président extraverti d’un club du sud-est pas très loin de Marseille et qui n'est pas un Mayol! Je ne peux les citer tous (car certains sont restés récalcitrants) mais chaque nom peut cacher une illustre figure, française ou étrangère (les angliches, les trèfles, les noirs, sympa !...). Même le Stadium Paradis résonne comme un Eden Park ! Tonnerre de Brest ! A la fin, les dragons (j’aurai bien vu un Coq à la place mais il aurait fallu parler de coquette, ce qui change le répertoire !)

Le tournoi est ébouriffant, mélange de bouclier de chef gaulois, façon Astérix, de jeu d’eau façon bulles d’eau savonnée, et d'épées mais au final, le miracle, c’est que cela se tient! C’est joyeux de bout en bout, enlevé, jamais méchant et jubilatoire. Le rythme est effréné (la succession des noms, des équipes, des lieux...), les rebondissements s’enchaînent les uns à le suite des autres (sympa, le le coup de la gastro...) et chute finale en forme d’augure pour la finale espérée des antipodes, dimanche en quinze. Bref, un grand moment d’imagination délirante et débridée. J’espère que Fladnag aura été conquis et qu’il aura sorti ses baskets sans lacets !

Si j’osais une seule critique, c’est justement cette profusion de noms et de lieux qui pourrait saturer un peu le lecteur. Moi, j’ai l’habitude et à cet égard le Silmarillion en est un parfait exemple. Mais je connais des lecteurs (trices) qui n’ont pas dépassé la vingtième page à cause de la multiplication des noms à retenir !

Au rayon des bricoles :
« La probité et la compétence (...) ne sauraient être mise en doute : mises

En tout cas, un beau mix de fantaisie et de sport !

M

Ce message a été lu 6475 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-10-24 14:10:55 

 Juste une question...Détails
Est-ce que l'histoire s'arrête là? Parce que si c'est fini, je commente, mais si c'est pas fini...
Narwa Roquen, du clan des sales gosses

Ce message a été lu 6077 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-10-24 16:39:04 

 La réponse est...Détails
... non, bien sûr!

L'histoire n'est pas finie, je planche encore dessus. Mais si tu veux bien commenter d'ores et déjà, je ne m'en plaindrais pas!

En fait, j'ai posté la n°98 avant de terminer la n°97 parce que son idée centrale s'est imposée à moi de façon assez particulière et que son écriture a été presque évidente!

Et puis, ce ne sera pas la première fois où je "calerais" en cours de route!

M

Ce message a été lu 6825 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-10-26 20:20:45 

 WA - Participation exercice n°97 part VIDétails
Fladnag n’a pas le temps de s’attarder sur les corps sans vie possédés par ses confrères. Il doit se concentrer sur Lioshé. Un miroitement de lumière se tord à quelque distance d'eux d’où émergent cinq lames brillantes. Elles se fichent toutes droites dans le sable meuble de l’arène. D’assourdissants encouragements descendent des gradins innombrables. Cent mille paires de poumons propulsent à travers cent mille gorges un maelström de hurlements fanatiques.

La première épreuve a débuté.

Relativement vifs, cinq zombis s’élancent dans une démarche curieusement chaloupée, vers les épées plantées dans le sol. Lioshé est le premier à se saisir d’une sorte de longue lame, assez étroite, à la garde effilée. Lioshé a bien choisi. Le jian est une arme convoitée, souple et tranchante. Son aspect gracile cache une redoutable efficacité pour celui qui sait s’en servir. Lioshé n’a pas choisi au hasard.

A peine a-t-il retiré son épée qu’il efface d’une pirouette le coup donné pour tuer que lui porte une créature qui tient plus du poisson que de l’homme. Un corps aux reflets bleutés, un cou puissant où pulsent les étroites ouvertures des branchies rosâtres, un visage recouvert d’écailles irisées, pas d’oreille visible et une légère protubérance à la place du nez dont les ébauches de narines sont occultées par de fines membranes. La chimère tient un espadon, une très longue épée, qu’elle manie à deux mains en la faisant tournoyer en larges moulinets dévastateurs. Lioshé fait extrêmement attention. Le moindre coup asséné par la brute marine sur sa fragile lame pourrait la faire voler en éclats. Lioshé virevolte avec une grâce toute cadavérique autour de la massive chimère bleue qui frappe sans discontinuer. Aucune finesse dans son escrime basée sur la force aveugle et la fréquence redoublée des coups qui érigent une barrière de fer imperméable aux élégantes attaques de Liosher. Le public, en fin connaisseur, applaudit à tout rompre la finesse et la dextérité de Fladnag dont le familier danse une sorte de ballet de mort autour d’une tornade métallique.

Autour d’eux les autres zombis se sont lancés également dans des assauts sans retenue. Les zombis de Karitessia et d’Hellegos se sont unis pour la circonstance contre celui d’Ampélitien. Le nombre impair des zombis pimente la difficulté et accroît le plaisir des spectateurs. Il est facile de repérer le zombi de la Passion. C’est une femme qui, autrefois, a dû être très attirante comme toutes celles de sa profession. Tenant une katzbalger, une épée assez courte, elle combat au côté d’un curieux être filiforme et asexué dont la peau fripée possède l’aspect de l’écorce des arbres. Face à eux, les maintenant à bonne distance grâce à son naginata, un sabre d’une longueur prodigieuse, se dresse une inquiétante créature vêtue de haillons sombres. Elle porte un masque d’ébène grimaçant qui lui cache le visage.

Fladnag est à la fois spectateur et acteur. Spectateur car il peut observer les combats de l’extérieur et acteur car, au travers du Lien, il soutient et dirige son familier. Cependant cela n’est pas sans risque. D’une part, il doit veiller à ne pas consommer trop rapidement ses réserves psychiques qui, malgré son entraînement, sont loin d’être inépuisables. D’autre part, s’il advenait que son zombi subisse des dommages irréversibles, Fladnag serait obligé d’exfiltrer son familier avant que les forces entropiques ne deviennent incontrôlables et empêchent son retour, le diluant parmi les cellules mortes.

Ce type d’affrontement ne peut durer très longtemps. De nombreux Questeurs, qui assistent les Juges, se sont égayés autour des escrimeurs, jaugeant leur implication et leur ardeur au combat. Ils ont à leur disposition deux petits drapeaux. Un jaune et un rouge. Le jaune est levé pour signaler qu’un participant est sous surveillance parce qu’il a enfreint une des nombreuses règles ou parce qu’il s’est montré trop attentiste. Selon la gravité de la faute, les assesseurs agitent un fanion jaune ou un fanion rouge devant le zombi incriminé. Quand un fanion jaune a été levé, le suivant ne peut être que rouge. Celui-ci déclenche automatiquement l’intervention des Archers postés sur le chemin de ronde intérieur qui court le long de l’enceinte. Ils abattront sans hésiter le zombi déclaré fautif. L’épreuve doit avoir un vainqueur.

Lioshé trouve enfin l’ouverture dans la garde hérissée de son adversaire. Une ouverture éphémère. Il n’aura droit qu’à une seule tentative. Alors, sans plus réfléchir, il enfonce vivement la pointe de son jian au milieu du tourbillon mortel, tout en se cassant en deux pour éviter un magistral coup de taille de l’espadon qui, sinon, l’aurait proprement décapité. Il allonge vigoureusement le bras et son arme s’enfonce sans difficulté plus avant dans le corps musculeux de la Chimère, à hauteur du diaphragme. La créature bleue émet comme un soupir caverneux et se fige, son arme levée au-dessus de sa tête. D’un mouvement fluide du poignet, Lioshé remonte la garde de son épée et le fil tranchant de sa lame découpe de bas en haut la cage thoracique de son adversaire. Aucune expression ne se peint sur ses traits déjà morts. La Chimère laisse échapper l’espadon qui se fiche dans le sable puis, comme une marionnette de chiffon abandonnée par son manipulateur, elle glisse lentement et sans bruit au sol. Aucune goutte de sang ne s’échappe de son horrible entaille.

Lioshé se recule en posture de défense tout en cherchant du regard les autres combattants. Ceux-ci ne sont plus que deux. L’homme-arbre gît sur le sable. Sa tête a roulé au loin. Le zombi d’Ampélitien fait reculer la femme sous la violence des coups de son immense sabre. Elle a beau esquiver encore et encore, elle faiblit. Fladnag aperçoit un questeur non loin de lui, tripoter dangereusement son fanion jaune. Il n’hésite pas une seconde et s’élance vers les duellistes. A cet instant, la femme sorcière trébuche maladroitement et s’affale sur le sol, offrant son corps aux coups de l’ombre qui se dresse devant elle. Elle n’a pas le temps de relever son katzbalger que le naginata s’abat, aussi rapide qu’un long serpent d’argent. Lioshé en profite pour plonger sa lame sous l’omoplate gauche de l’ombre noire.

De vives acclamations éclatent dans les tribunes, saluant le coup de maître de Fladnag. Lioshé est debout au milieu de l’arène. Les autres zombis sont étendus par terre, celui d’Ampélitien affalé sur celui, décapité, de Karitessia.

Après avoir repris sa respiration, Fladnag coule un long regard circulaire sur ses homologues. Ceux-ci présentent sans exception des airs où le dépit le dispute au courroux. Leurs traits sont tirés et creusés par la concentration et la fatigue. Certains se sont même assis sur le sable pour mieux récupérer. Heureusement, les servants accourent de tous côtés, les bras chargés de gourdes d’eau et de poches emplies de fruits secs.

Les trompettes retentissent au-dessus des clameurs de la foule, appelant à écouter l’Arbiter dont la voix s’élève quand le vacarme diminue d’intensité :

« Le Seigneur Fladnag, Grand Maître de la Maison des Arcanes Solaires, est déclaré vainqueur de la première épreuve du Pentathlon, l’épreuve des Lames. Que les Juges inscrivent la marque sur le Tableau des Victoires. Ce fut un beau spectacle. Le Seigneur Fladnag a brillamment remporté cette première manche. Mais qu’en sera-t-il de la suite? A n’en pas douter, elle sera plus âpre et plus indécise. Lequel des cinq Maîtres recevra les lauriers des Foudres ? »

D’un geste dramatique, l’Arbiter pointe l’Athamé vers le zénith, le berceau des foudres célestes. Il jette un regard interrogatif à Fladnag. L’attribut de sa Maison n’est-il pas le Fulgur, un éclair stylisé ? Le grand Maître des Arcanes Solaires esquisse un demi-sourire énigmatique que seul l’Arbiter devine. Le visage de celui-ci se rembrunit. Il sent bien que quelque chose ne tourne pas rond en ce moment mais il ne parvient pas à en déterminer la cause. Cela lui procure une sensation tellement désagréable que, sans se retourner, il adresse un signe impératif à l’officier supérieur du CIA posté derrière lui. Redoublez de vigilance, intiment les deux doigts croisés de sa main libre ! L’officier recule discrètement et glisse quelques paroles à l’oreille d’un subalterne qui se précipite dans le tunnel d’accès. L’Arbiter respire un peu mieux. Les consignes vont être données sans tarder. Tous les membres du CIA sont en alerte maximum et des renforts vont être placés aux endroits stratégiques.

Dans l’arène, les corps des zombis inutilisables ont été retirés. Le sable, méticuleusement ratissé, forme des écoulements d’onde à partir des cinq pentacles, drainant l’énergie autour de ces points de force. La deuxième épreuve est beaucoup plus statique et fait appel à un plus haut degré de concentration de la part des Maîtres et de leurs familiers.

Fladnag a décidé de conserver le même avatar. Lioshé paraît y être à son aise. Même si aucune preuve tangible n’a jamais été avancée, certains corps semblent répondre plus docilement aux ordres de possession. Une alchimie particulière est à l’oeuvre, imprévisible et déroutante. Alors que les autres Grands Maîtres ne peuvent plus désormais compter que sur cinq zombis, Fladnag en dispose d’un supplémentaire. Il ne doit cependant pas se laisser griser par la victoire ou par la ferveur délirante de la foule. Son plan exige un absolu contrôle de soi et une parfaite synchronisation quand les évènements vont s’enchaîner. Bien sûr, il a un plan de secours en réserve. Et un troisième si le plan de secours se trouvait contrarié. Fladnag est un magicien prudent et avisé qui ne laisse rien au hasard. Mais si tout se déroule conformément à ce qu’il a prévu, alors il deviendra le magicien le plus puissant que cette Terre aura jamais porté. Son pouvoir sera incommensurable. Et toutes les autres Maisons seront forcées de reconnaître la prééminence des Arcanes Solaires. Et tous, magiciens compris, le révèrerons à l’égal d’un Dieu. Tous se prosterneront devant lui, posant le front à même le sol. Oui, ce rêve est plaisant. Il suffit que la Prophétie s’accomplisse comme il est écrit. Aujourd’hui, quand le Dragon des Etoiles étendra ses ailes au-dessus de la Montagne. Oui, Fladnag se voit déjà juché sur le char de feu tiré par quatre coursiers solaires qu’il conduira à travers les cieux !

Les préparatifs de l’épreuve des Foudres sont à présent terminés. De très hauts mâts ont été levés à l’extrémité Est de l’arène qui est adossée à la falaise vertigineusement abrupte. Ils sont munis d’un dispositif de levage élaboré. Une cage de métal, posée à terre, est attachée à une épaisse corde tressée qui file jusqu’au palan, composé de deux poulies, fixé au sommet du mât. L’autre bout de la corde est enroulé à un treuil dont le tambour est entraîné par plusieurs leviers. A l’intérieur de la cage, une forme indistincte est immobile pour l’instant.

A plusieurs centaines de pas de là, à l’autre extrémité, les cinq zombis sont alignés derrière une ligne de cailloux peints en blanc. L’épreuve des Foudres va bientôt commencer.

M

Ce message a été lu 5839 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-10-29 13:01:50 

 WA - Participation exercice n°97 part VIIDétails
Cepreval ouvre les yeux. Il est vivant. Vivant ! Au-dessus de sa tête, le ciel est d’un bleu cobalt. Complètement vide. Un goût salé envahit sa bouche. La vague le surprend et il roule plus loin sur la plage déserte. Un sable blond crissant sous lui, il se met à genoux pour recracher une longue humeur aqueuse. S’essuyant la bouche d’un revers de manche, il examine l’endroit où la marée l’a rejeté. C’est une petite plage blottie au fond d’une crique enserrée par de hautes falaises qui se referment doucement sur elle. Il a réussi. Après tout ce temps, il est finalement rentré chez lui !

Il se souvient du naufrage. La tempête de fin du monde. Les éclairs innombrables qui zébraient la nuit. Les esclaves épouvantés qui gémissaient sur les bancs de nage, essayant de suivre le rythme saccadé du tambour. Les coups de tonnerre étourdissants qui roulaient sur la mer déchainée. Les fouets des maîtres-chiourmes qui claquaient sans relâche, laissant des traînées sanglantes sur les épaules et les dos dénudés. Il se souvient aussi de la sinistre silhouette qui se découpait en ombre chinoise sur l’horizon quand un jour éphémère inondait l’océan durant une seconde. C’était celle de la caravelle qui les poursuivait, apparaissant et disparaissant au-dessus des crêtes ondulantes, au gré des vagues monstrueuses venant s’abattre sur leurs têtes. La galère, toutes griffes dehors, mordait l’écume comme un chat enragé. Son capitaine se tenait, stoïque, sur le frêle château arrière, tout près du timonier dont les mains avaient été attachées à la barre. Les arbres grinçaient malgré leurs voiles affalées. Mais Cepreval avait remercié le Ciel car, sans cette tempête providentielle, la caravelle lancée à leurs trousses n’aurait eu aucun mal à rattraper la lourde galère et remettre la main sur lui.
Il ferme les yeux, revivant les épreuves qu’il a récemment traversées.

Alors qu’il avait presque renoncé à se rebeller, acceptant son misérable sort comme tant d’autres avant lui, il avait découvert par hasard ce qu’il ne cherchait même plus ! Cette découverte l’avait galvanisé et lui avait donné la force nécessaire pour organiser sa fuite. Il n’aurait droit qu’à une tentative.

Il avait préparé durant de longues semaines son évasion. Quand tout avait été prêt, il avait attendu patiemment le moment propice. Celui-ci était advenu quand on lui avait intimé l’ordre de se rendre chez un orfèvre très réputé qui résidait dans une bourgade distante de quelques dizaines de lieues. Escorté par un petit détachement de soldats, il s’était mis en route, tirant derrière lui un cheval de bât transportant un petit coffret qui contenait, en piastres d’or, le prix du somptueux collier commandé à l’artisan. La nuit précédant leur arrivée chez l’orfèvre, il avait faussé compagnie aux gardes après leur avoir administré un puissant somnifère. Il n’avait pu se résoudre à une mesure plus définitive qui aurait été contraire aux valeurs morales qu’il avait toujours observées. Il s’était éclipsé en emmenant avec lui deux montures supplémentaires, après avoir dispersé celles de l’escorte et avoir glissé dans ses fontes, le sac en cuir rebondi renfermant les rouleaux de pièces d’or.

Il ne pouvait compter que sur une poignée de jours avant que l’alerte soit donnée et que les janissaires se lancent à sa poursuite, d’autant plus ardemment que la disparition du calice à la valeur inestimable avait été évidemment découverte. Il avait pris soin de masquer ses traces et avait multiplié les fausses pistes pour retarder ses poursuivants. Au lieu de se précipiter vers l’ouest pour gagner Caireel, le plus grand complexe portuaire des îles-royaumes de l’Archipel du Morient, il avait bifurqué vers le sud-est où la côte était bien moins hospitalière et les routes maritimes bien moins nombreuses. Il y avait là néanmoins une petite cité, Ascat, qui possédait un port principalement destiné aux exportations d’huile de palme vers l’Île-continent.

Quand Cepreval était arrivé à Ascat, les janissaires le talonnaient désormais.

Pour payer son passage, il avait largement graissé la patte du capitaine, un vieux loup des mers qu’il avait repéré peu avant sur les quais. Son navire, aux formes ordinaires, était une galère de commerce aux lignes fluides et robustes, taillée pour fendre les mers de ce côté-ci du monde. A ce qu’il en avait pu voir, son équipage libre lui avait paru expérimenté et loyal. Les esclaves enchaînés aux bancs de nage lui avaient semblé plutôt dociles et bien nourris. Sa décision avait été rapidement prise. Il avait suivi le capitaine jusque dans un bouge du quartier portuaire, un endroit crasseux et anonyme tout au fond d’une ruelle sombre et boueuse. Le capitaine y avait apparemment ses aises. Il s’était dirigé sans hésiter vers une table inoccupée tout au fond de la grande salle. Sans qu’il eût besoin de manifester sa présence, une serveuse boudeuse était venue déposer devant lui un flacon de vin et un verre presque propre. Cepreval, accoudé au bar, l’avait observé sans se presser. Le vin pouvait se révéler son meilleur allié en cette circonstance. Il avait donc patienté jusqu’au moment où le capitaine avait attiré l’attention de la serveuse et lui avait fait comprendre ce qu’il voulait en renversant le flacon vide. La fille avait obtempéré sur le champ et avait prestement rallié le tenancier pour se ravitailler.

Cepreval s’était alors approché tranquillement et avait tiré une chaise pour s’assoir en face du capitaine. Celui-ci avait levé sur lui des yeux inexpressifs, ce genre de regard qui, généralement, dissuade les importuns et les fanfarons. Mais Cepreval ne s’était pas laissé impressionner.

« Holà Capitaine, je viens vous proposer un honnête bargain ! »

Le capitaine s’était reculé sur sa chaise, ses doigts tripotant le verre presque vide. Son visage était toujours sans expression. Aussi Cepreval avait-il joué son va-tout.

« Un passage pour Port Céleste ! »

« Ma galère ne prend pas de passager, monsieur ! avait répondu le capitaine, son ton poli était aussi glacial et roide que l’acier. Pour vous rendre sur la Grande Ile, il vous suffit d’acheter un billet aux Comptoirs du Ponant. Des galions partent tous les jours, vous n’aurez que l’embarras du choix ! »

Cepreval avait compris que la partie allait être serrée.

« Certes ! Disons que je désire également voyager discrètement et ces lignes régulières souffrent, disons, d’une absence totale d’intimité! Je vous rassure, je paierai votre prix, dans la mesure du raisonnable ! »

Plus tard, derrière les rideaux fermés d’une alcôve de l’établissement, il avait aligné sous les yeux éblouis du capitaine, plusieurs dizaines de piastres d’or qu’il avait tirées d’une grosse bourse de cuir fauve. Un cuir précieux. Un cuir princier.

Cela n’avait pas été suffisant. Il avait jeté sur le tas de pièces, l’anneau d’or massif qu’il portait à son doigt. Un anneau finement ciselé dont la face interne portait une courte inscription runique. Le capitaine l’avait alors dévisagé un long moment, sa grosse patte posée en travers du trésor qui brillait sur la table.

« Je vous en donnerai autant quand je débarquerai à Port Céleste ! » avait promis Cepreval de l’autre côté de la table.

Le capitaine avait tenté de jauger cet homme aux mèches grisonnantes, au visage émacié. Mais il irradiait cependant une étonnante vitalité. Peut-être était-ce à cause de l’éclat extraordinaire qui, par intermittence, s’allumait au fond de ses yeux délavés. Il avait détaillé ses vêtements de marchand, dépareillés, qui semblaient trop grands pour lui. Il avait ensuite baissé ses regards sur les mains de l’homme assis en face de lui. Des mains fines et blanches. Pas des mains de manant ni de commerçant. Elles étaient certes en sale état mais elles avaient conservé cette délicatesse qui ne signifiait pas forcément faiblesse. Il avait noté que Cepreval avait tiré soigneusement le bout de sa manche pour cacher son poignet droit. Le capitaine avait frissonné juste à ce moment. Il avait alors regardé Cepreval d’une toute autre façon.

« Tope-là Chevalier ! » avait-il conclu à mi-voix. « Tu rentres chez toi ! »

« Ne m’appelle pas ainsi, l’avait prévenu Cepreval, il n’y a pas de chevalier ici ! »

Le capitaine n’avait rien répondu mais s’était contenté de lui tendre une main, paume en l’air, où l’anneau d’or jetait un feu terni. Cepreval le reprit en inclinant simplement la tête.

On lui avait fait une toute petite place au milieu des tonneaux formant la cargaison chargée par les esclaves manutentionnaires. Lorsque la patrouille des quais s’était présentée pour la visite de contrôle, l’alcool bleu avait coulé au fond de petits gobelets et des pièces d’argent avaient changé de main. Peu après, la galère se propulsait à la force de ses rames hors du port. Elle se coula sous la gigantesque statue qui enjambait la rade en tenant, entre ses mains jointes, un feu qui jamais ne s’éteignait.

Cepreval avait senti ses yeux s’embuer de larmes lorsque la côte s’était peu à peu éloignée. Il avait laissé beaucoup derrière lui. En fait, il avait laissé une part de lui-même. Une part importante. Il avait souffert en ces lieux. Horriblement souffert. Et au milieu de cette inexprimable souffrance, il avait aimé tout aussi intensément. Un amour qu’alimentait sa souffrance. Un matin, il avait compris qu’il avait besoin de l’un comme de l’autre et que le manque d’un seul le rendait affreusement faible et malade. Il avait espéré perdre la raison. La folie aurait été pour lui une forme de libération. Mais ni sa souffrance ni son amour n’avaient permis qu’il s’affranchisse aussi facilement de leur étreinte.

Quand la galère avait été drossée brutalement sur les rochers affleurants que le pilote n’avait pas repérés, ce fut comme une explosion. La coque s’était littéralement désintégrée sous la violence du choc, éparpillant les hommes et les débris du bateau de tous côtés, comme des fétus de paille. Cepreval s’était désespérément accroché à la corde entourant un tonneau qui s’agitait comme un bouchon de liège dans la mer rugissante. La tempête ne faiblissait pas. Au contraire, la pluie cinglait son visage sous la force d’un vent tourbillonnant. Il avait entendu durant un long moment des cris perçants s’élever autour de lui mais n’avait jamais réussi à apercevoir un seul de ses compagnons d’infortune lorsque les éclairs illuminaient les montagnes liquides et mouvantes qui l’entrainaient au loin. Bientôt, les appels s’étaient tus et il était resté seul, balloté dans tous les sens au gré d’un courant qui le chassait dans une direction inconnue. La nuit n’en finissait pas et sentant ses forces le quitter, il avait, dans un dernier effort, noué la corde autour de ses poignets afin qu’il ne soit pas séparé du tonneau. Puis, à bout de forces, il avait remis son âme entre les mains de son Gardien.

A partir de ce moment, il ne se rappelle plus de rien jusqu’à ce qu’il rouvre les yeux sur cette petite plage ensoleillée.

Il ne sait pas encore qu’une caravelle orientale a accosté le matin même dans un port situé plus au nord. L’officier de permanence de la capitainerie qui a accouru pour procéder aux formalités d’enregistrement, a eu la surprise de voir, lorsque l’échelle de coupée a été jetée sur le quai, s’avancer vers lui une femme élancée aux longs cheveux noirs. Son justaucorps de cuir également noir et ajusté, à la ligne agressivement masculine, ne pouvait cacher cependant ses formes exquises. Oui en effet, la beauté de cette femme était à couper le souffle et son allure princière imposait le respect. L’officier ne s’y est d’ailleurs pas mépris. Ployant le genou, il a salué la belle inconnue d’une profonde révérence. A un pas derrière leur maîtresse, les silhouettes de plusieurs janissaires se découpaient sur le bleu du ciel et le blanc des voiles.

M

Ce message a été lu 5855 fois
z653z  Ecrire à z653z

2011-11-09 16:40:49 

 juste avant que je ne l'oubliesDétails
Il y a un "Jeux Magique" qui s'est glissé dans ton texte.
Je commenterai quand tu auras fini (ou pas).
Et je commenterai aussi les WA que j'ai en retard de commentaires...

Ce message a été lu 6255 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-11-09 19:57:17 

 S vraiment...Détails
... raisonnable?

Plus sérieusement, cette histoire va prendre la forme d'un marathon!!!

aussi ne te prive pas de critiquer d'ores et déjà!

M

PS : je corrige... je corrige!!

Ce message a été lu 5843 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-11-09 19:59:02 

 Raté...Détails
... plus moyen de retoucher!

M

Ce message a été lu 5648 fois
z653z  Ecrire à z653z

2011-11-10 16:40:26 

 petits trucs Détails
Je mets les corrections au fur et à mesure car je ne sais pas quand je commenterai les textes dans leur ensemble.

Leurs traits sont tirés et creusés part -- par

J'attends la jonction entre les deux sous ensembles avec impatience.

Ce message a été lu 5433 fois
z653z  Ecrire à z653z

2011-11-17 16:28:31 

 deux histoires parallèles ça vaDétails
C'est quand il y en a plus qu'il y a des problèmes.
Enfin, je vois mal une seule partie réussir à réunir les trois branches que tu as dévoilées.

Ce message a été lu 6129 fois
z653z  Ecrire à z653z

2012-01-06 14:13:14 

 3 mois aprèsDétails
1-J'ai un peu mal à m'imaginer le jeu avant les souffleurs, une sorte de combat à l'épée tout en portant un bouclier ? Il aurait peut-être fallu un intermède où le jeu est expliqué à un néophyte.
2-La victoire finale est un peu trop rapide et éclatante.
3-Pour revenir aux multiples personnages, on n'a pas trop de le temps de s'y attarder vu qu'ils n'apparaissent que quand le rythme du récit est rapide.
Sinon, (presque) tout le monde s'amuse dans cette histoire et ça change les idées.

Ce message a été lu 6392 fois
z653z  Ecrire à z653z

2012-02-01 17:17:48 

 I've got the power !Détails
CF titre
Ce message a été lu 5699 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2012-02-01 18:31:48 

 Respect...Détails
Je n'ai pas les clés du royaume. Enfin, je connais bien des souterrains glauques et malfamés mais je crains que Flad' ne s'en émeuve s'il trouvait des empreintes un peu partout!

M

Ce message a été lu 6095 fois
Fladnag  Ecrire à Fladnag

2012-02-01 19:10:43 

 ahahDétails
cf titre ^^
Ce message a été lu 6259 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2012-02-01 19:47:06 

 Tu vois z653z,Détails
il veille!


M

Ce message a été lu 6722 fois


Forum basé sur le Dalai Forum v1.03. Modifié et adapté par Fladnag


Page générée en 942 ms - 311 connectés dont 2 robots
2000-2024 © Cercledefaeries