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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Dimanche 3 juillet 2011 à 15:33:28
LE BALLET



« La course se déroule maintenant depuis une heure, sous un soleil radieux, et pour l’instant l’Audi n°3 est toujours en tête, suivie par deux Peugeot. La Lola Aston Martin n°18 semble en difficulté. Pour la deuxième fois elle ralentit, et le pilote va sans doute être obligé... Aaah ! C’est une sortie énorme ! Il y a des débris partout... Comme vous le voyez... A la sortie de la chicane Dunlop, c’est une Ferrari qui vient au contact de l’Audi n°3, par l’arrière ; celle-ci part en dérapage sur le côté, elle fait un tonneau en heurtant les rails, ce qui la projette au dessus de la barrière, puis un tête à queue en l’air, et elle retombe sur le toit, heureusement du bon côté, tandis que des éléments sont projetés sur les photographes et les commissaires de piste...Une roue continue sa course folle de l’autre côté des rails, et manque de peu un journaliste... Est-ce qu’il y a des blessés ? C’est dramatique, dramatique ! Il faut rester silencieux, on croise les doigts, on retient sa respiration et son souffle, c’est l’angoisse et la consternation dans le stand Audi... Le choc a été d’une violence inouïe, la voiture a pratiquement explosé... »



J’ai mal. La jambe. Le bras, aussi. Et la tête. Qu’est ce qui s’est passé ? La course ! Un choc à l’arrière, et puis je me suis envolé. J’ai vu arriver les rails... Est-ce qu’il y a des blessés ? Mon coeur est en surrégime. Pas encore une fois, non, c’était trop horrible... Je n’ai jamais voulu... Si je suis retombé du mauvais côté...
« Eh ! »
J’ai crié. Il faut que je sache.
Pas de réponse. Je suis couché sur un lit mais ça ne ressemble pas à une chambre d’hôpital. Dans la semi pénombre je distingue des meubles en bois, des rideaux bariolés à la fenêtre, on dirait plutôt une maison... Où suis-je ?
« Y a quelqu’un ? »
Un pas claudicant s’avance vers moi. Une tête hirsute, un visage de très vieille femme surmonté d’une tignasse d’épouvantail, vaguement orange. La voix qui sort de cette bouche à demi édentée est rauque et distante.
« Alors, il se réveille ? Il va pas bouger, hein, sinon il se ferait mal. Il va boire un peu de tisane. »
Elle me soulève la tête et porte un bol à mes lèvres. C’est un cauchemar, c’est sûr, je dois être dans le coma. Mais à Donington... Je suis resté inconscient trois jours, et je n’ai aucun souvenir.
Elle repose le bol.
« Il y a des blessés ?
- Sais pas. Faut pas qu’il s’énerve, c’est pas encore gagné. »
Est-ce que je vais mourir ? Pourquoi ne suis-je pas à l’hôpital ? Je ne veux pas mourir, pas maintenant... Kelly ! Et Finlay, et Charlotte ! Finlay... J’avais dit que je l’appellerais au premier changement... Son match de foot !
« Quelle heure est-il ? »
La vieille a entrouvert les rideaux et s’est éloignée dans un haussement d’épaules.
Tout à coup une immense fatigue... Est-ce que c’est ça, la mort ?



Le virage d’Arnage. 4°. 1°. Et on remonte. Ca glisse toujours. Le virage Porsche en 5°. Un frisson. Le Pont, la Corvette, le Ford... je suis trop vite... Non, ça va. Les stands, la courbe à fond, et la chicane Dunlop, freinage sur l’angle et... aah ! les rails... Ca a tourné dans tous les sens, comme quand on est renversé par une vague... Rien à faire... Je ne veux pas mourir...
J’ouvre les yeux. Je suis sur le lit. Je ne suis pas mort. Je suis fatigué, je n’ai pas la force de bouger un doigt mais je n’ai plus mal. Je ne comprends rien, ça doit être le choc. Si je reste en vie j’emmène tout le monde au soleil, Miami, Acapulco, loin...


Une main vive ouvre les rideaux en grand.
« Ca va ? »
C’est une jeune fille qui ne doit pas avoir quinze ans. Elle porte une longue robe noire, comme la vieille. Son visage est constellé de taches de rousseur, elle aussi a les yeux verts et une cascade de boucles rousses danse sur ses épaules. Elle lui ressemble... sa petite-fille ? Je voudrais lui répondre mais j’ai la gorge sèche.
« Alors c’est toi le pilote ? On en a eu quelques-uns...Un qui s’était envolé jusque dans le bois, c’était trop drôle... »
Son rire me glace. Peter Dumbreck, sur Mercedès, en 1999... Il s’en était sorti...
« Ah, et un autre aussi, avant, qui avait explosé en vol... Ouh ! Je m’en souviens, ça avait fait du dégât dans la foule ! »
Peter Levegh, en 1955... Je n’étais pas né ! Comment peut-elle s’en souvenir ? Je dois délirer, ce n’est pas possible...
« T’es vieux... mais ça ne me gêne pas. »
Elle s’assied sur la chaise près du lit, remonte la longue jupe pour découvrir une cuisse blanche comme de la crème, qu’elle gratte furieusement.
« Les moustiques... c’est terrible... »
Le sourire aguicheur de ses lèvres humides dément le moindre inconfort. Elle a gardé la robe retroussée à mi-cuisse, et elle pointe au sol le bout de ses bottines noires pour mettre en valeur le galbe de ses jambes, tandis que d’une main elle relève la masse de ses cheveux roux, en cambrant le rein... Elle me fixe de ses yeux verts, Lolita provocante et faussement ingénue. Comme les petites amies de Finlay qui me frôlent sans rougir...
« Tu es marié ? »
Je rassemble le peu de salive qui reste dans ma bouche pâteuse pour articuler :
« Vous êtes une très jeune fille... Je ne suis pas... intéressé.
- Connard ! », me hurle-t-elle en se levant d’un bond.
Elle claque la porte derrière elle. Dommage, j’ai toujours soif. L’écho se répercute douloureusement dans ma tête. Je me demande bien où je suis tombé... Et il faut que j’appelle Finlay... J’entends des éclats de voix dans la pièce voisine.
« Quel crétin, ce type ! Il faut qu’il crève ! Il a essayé de... de...
- T’as-t-y porté la soupe au gamin ? »
Ca, c’est la grand-mère.
« Il est trop bête, ce gosse. Se suicider à dix ans ! Et en plus il veut rien bouffer !
- Tais-toi. Tu n’es pas en âge de juger. Et si tu l’étais, tu ne jugerais pas. »
Cette voix...
« Va faire boire la femme.
- Celle qui s’est fait tabasser par son mec ? Trop nase...
- File, et sans un mot. Je vais voir le soldat, pauvre homme... »
Cette troisième voix... C’est une voix de femme, de Femme. Elle est chaude, voluptueuse. Elle porte en elle tous les désirs inassouvis... C’est une voix de reine, généreuse et magnifique, celle qui n’a qu’à paraître pour que les âmes s’embrasent... Une voix d’enfer et de paradis, de respect absolu et de pulsions torrides... Je délire, je suis sûr que je délire... J’ai soif...


Donington. J’avais 21 ans. J’ai tué un spectateur. C’était il y a 21 ans. Mon Dieu, je veux bien mourir si c’est l’heure, mais fais que je n’aie tué personne ! Après tout, je suis en sursis depuis 21 ans. J’ai eu une vie formidable. J’aurais aimé voir grandir mes enfants. Mais c’est vrai aussi que... Kelly se débrouillera, je le sais. Elle leur trouvera un autre père, sans doute plus présent, plus disponible... Ils se consoleront...
Les larmes me montent aux yeux. Et quoi ? Si c’est l’heure... Je l’ai cherché, non ? Nous le savons tous, même si on joue les bravaches avant de prendre le départ. Il y a de moins en moins d’accidents, mais c’est le risque qui nous envoie au ciel. Cette fichue adrénaline... Plaisir égoïste et solitaire, drogue dure dont l’overdose quelquefois fait des dégâts collatéraux... Donington... Oh je voudrais tant revenir en arrière, sauver cette vie... Est-ce que je peux donner la mienne pour un enfant de dix ans ? Pour une femme battue ? Pour un soldat ?



Un parfum ambré me fait ouvrir les yeux.
« Allan, il faut boire encore un peu... Si vous voulez bien... »
Elle m’aide à me relever. Je n’ai plus mal, je suis courbatu mais j’arrive à saisir le bol qu’elle me tend. C’est Elle ! Les cheveux roux relevés en un chignon élégant qui dégage un long cou gracieux, les yeux verts où passent des paysages sereins de lacs secrets entre les montagnes, et ce visage tel que je l’avais rêvé, empreint de cette noblesse, de cette pureté... Elle a le sourire esquissé des madones italiennes, et des mains si fines, si blanches, qu’aucun anneau ne vient alourdir...
Je lui rends le bol vide.
- « Merci, madame. Madame ?
- Mrs Parks, of course », me sourit-elle
- Je vous suis reconnaissant de... de... Mais il faut que je téléphone à mon fils...
- Bien entendu. Mais il est encore un peu tôt ; prenez patience. »
Elle sort dans un frémissement de robe noire, laissant dans son sillage cette senteur troublante qui me donne envie de vivre.


Qu’est-ce que c’est ? On dirait un roulement de tambour... C’est un orage, non ? De la musique ! Des cuivres agressifs, une grosse caisse vulgaire, on dirait une fanfare de village... La jeune fille entre à la volée en dansant une gigue échevelée, les mains sur les hanches relevant partiellement sa jupe.
« C’est le final ! Tralala, tu vas crever ! »
Elle ressort en riant mais c’est la vieille qui la remplace, tournoyant lentement dans une valse de mauvais orchestre viennois.
« Tout va bien, il va y arriver... »
Elle disparaît à son tour et c’est la Femme, majestueuse, qui telle une ballerine enchaîne des déboulés sur les pointes, tandis que le choeur des violons accompagne le chant mélodieux d’une flûte fragile. Elle s’immobilise en une arabesque parfaite, elle est aussi légère qu’un oiseau, ses bras interminables se posent sur l’air comme des ailes qui palpitent au vent, tendus et vibrants jusqu’au bout des doigts, le temps est suspendu, elle pose un doigt sur son sourire et s’échappe...
Et puis les trois musiques se superposent, la gigue, la valse et la flûte, et les trois danseuses tourbillonnent dans la pièce, leurs images se superposent et se confondent, je ne peux plus les distinguer, j’ai le vertige, tout tourne autour de moi...


Quelqu’un a ouvert la portière. Ca sent la poussière et le pneu brûlé. Des mains m’extirpent de l’habitacle. Le hurlement des voitures qui continuent à tourner agressent mes oreilles et me font cogner le coeur. Je marche au milieu des débris de mon Audi, soutenu par un sauveteur. Quelqu’un crie :
« Il va bien, il va bien ! »
Je me retourne. La voiture est une épave. Seule la cellule est restée intacte. On m’aide à retirer mon casque. Je m’entends demander d’une voix hagarde :
« Quelle heure est-il ? »
Narwa Roquen,c'est mieux à cheval...


  
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Réponses à ce message :
z653z  Ecrire à z653z

2011-07-04 13:26:54 

 La courseDétails
J'ai reconnu le circuit du Mans. Je note que l'Audi n°3 est en tête, suivent deux Peugeot (2e et 3e). Et quelques secondes après une Ferrari tape l'Audi n°3 ?? Le plus vraisemblable est qu'elle ait un tour de retard (et qu'elles ne roulent pas dans la même catégorie) sur l'Audi de tête et les deux peugeot sinon je la vois mal passer deux voitures aussi vite et taper l'Audi.
A mon avis c'est l'Audi qui a tapé la Ferrari (ah bah, en regardant la vidéo de 2011, c'est bien l'Audi qui a tapé la Ferrari en la dépassant et/ou la Ferrari qui a tapé l'Audi en se rabattant).
Bref, ça peut choquer pour ceux qui ne connaissent pas un peu les règles de cette course (et qui n'avaient pas vu l'accident comme moi).

Le titre est très bien trouvé (en référence aux deux ballets de ton histoire).

Pour une fois, j'aurais aimé un peu plus de détails sur le rôle des sorcières même si on comprend pas mal de choses.

Petite bricole :
"Mon Dieu, je veux bien mourir si c’est l’heure, mais fais que je n’aie tué personne." -- J'aurais mis "faites" car je vouvoie Dieu. Après, chacun fait comme il le sent.

Ce message a été lu 6865 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-07-04 14:23:08 

 Tu ou vous?Détails
Les Français vouvoient Dieu. Mais Allan Mc Nish est d'origine écossaise, et les britanniques ne tutoient que Dieu... alors j'ai fait couleur locale...
Cette vidéo, j'ai dû la voir cinquante fois, ainsi que celle des autres accidents du Mans; la plus impressionnante c'est quand même celle de Dumbreck, en 99, où on voit littéralement la voiture s'envoler... Mais j'ai pensé qu'on reconnaîtrait plus facilement la plus récente.
Quant aux sorcières, il y en a peut-être trois, et peut-être pas...
Narwa Roquen,ballet, balai, bal laid...

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-07-04 14:39:28 

 La vérité si Le Mans !Détails
Sorcière au sens mythologique !

C’est vrai qu’il y a une grande distance entre le sport équestre et le sport mécanique ! Sacrée histoire. La vie du coureur automobile n’a tenu qu’à un fil. D’ailleurs toutes nos vies, à en croire la légende, ne tiennent qu’à un petit fil que filent patiemment trois soeurs.

Tes descriptions de la course, intenses et nerveuses, sont bien observées et le rendu est bluffant de réalisme. J’ai un peu pataugé sur le nom des virages (merci Google !). L’accident est bien décrit, ni trop ni trop peu et est fidèle à l’accident réel de l’Audi n°3 en 2011 au Mans (merci à z653z pour la précision du technicien mais l’introduction de Narwa semble directement dériver du commentaire des journalistes, ce qui justifie sans doute la petite erreur sur la cause de l’accident !).

Tu décris donc le moment où se joue son destin, ces quelques instants qui vont placer le personnage entre les deux mondes. Bien vu les souvenirs d’accidents célèbres (j’ai revisionné le vol plané de Peter Drumbeck, impressionnant, un vrai décollage !).

Bien vu également la désorientation du héros et ses tentatives de recoudre les fils de son histoire, de se raccrocher à une réalité en pointillé. Où est-il ? Qui sont ces femmes qui veillent à son chevet ? Que lui veulent-elles ?

Si des sorcières traditionnelles, elles empruntent bien la couleur des cheveux, bien sûr tous ceux qui ont été bercés par les légendes latines et grecques ont reconnu en elles, une sororité célèbre que tu dévoiles d’ailleurs indirectement. Elles ne perdent jamais le fil de l’histoire, ni le fil de quiconque du reste. C’est marrant, mais en revoyant les images de l’accident, j’ai eu l’impression qu’une main gigantesque avait pris l’Audi pour une pièce de monnaie et qu’elle avait tiré au sort : pile ou face. Pile tu vis, face tu meurs !

Tu t’écartes légèrement de l’orthodoxie mythologique (âge de ces fileuses), ce qui te permet d’introduire la pluralité des décisions qui préside au jugement final. Pour le titre, il y a bien sûr les ballets des 3 sorcières, mais il ne faut pas oublier celui des voitures sur le circuit

M

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