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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Vendredi 3 juin 2011 à 17:52:48
4 pages format A4 et je n'ai pas employé de police < 10!


Let the music begin

CHUTE LIBRE


La fraicheur de l’éponge sur mon visage me fait ouvrir les yeux.

Je suis assis dans un coin, avec un peu de mal à faire le point. Il y a plusieurs soleils blancs qui projettent une lumière violente. Ils délimitent précisément la réalité où j’évolue. J’essaie de chasser le flou qui règne dans ma tête. Les secondes s’égrènent. Qu’est-ce que je fous là ? Un train de marchandises passe et repasse entre mes oreilles pendant que ma vue se précise. Je reprends peu à peu le contrôle de ce corps lourd et usé. De l’autre côté, mon double attend. Et puis vient le bruit. Ma perception s’élargit. Un bruit composé de mille bruits. Une rumeur qui enfle dans l’obscurité s’étendant au-delà du jour artificiel. Je ne peux pas ouvrir tout à fait ma paupière gauche. J’entends leurs voix qui composent une grinçante cacophonie. Je secoue la tête. Je dois chasser cette confusion et retrouver mes repères. Qu’est-ce qui m’arrive ? Je lève une main devant mon visage. Une main lourdement gantée de rouge. Je me rappelle enfin et je sens le goût du sang dans ma bouche. Je suis le Champion. C’est la dernière reprise. Au bout, il y a le titre, la ceinture d’or, l’argent et tout le reste. Putain, cela fait plaisir de te retrouver fiston !

Je parviens à synchroniser le son avec les mouvements de la bouche de Lou qui s’agite devant moi.

« Champion, tiens bon. T’es devant. Fais gaffe à sa droite. Tourne. Danse. Ne le laisse pas t’emmener dans les cordes. Garde tes distances. Sers-toi de ton allonge. Tu comprends ? »

Il m’asperge à nouveau avec son éponge magique. Puis il m’essuie avec la serviette. Il introduit dans ma bouche le protège-dents. Je lis dans son regard une sourde inquiétude qu’il croit cacher. C’est la douzième. L’autre moi-même ne veut pas abdiquer. Il m’a fait mal. Il connait mes points faibles secrets. Il a pénétré ma garde. Il n’est pas comme les autres. C’est mon reflet idéal. Celui que j’ai toujours cherché sur tous les rings du monde. Je suis le Champion. L’invincible Champion. Le plus grand de tous les temps. Plus fort que Tyson. Plus technique que Sugar Ray. Plus dominateur que Mohamed Ali. Plus emblématique que Rocky. Oui. Je suis une parfaite machine à frapper, plus rapide que l’éclair, plus impitoyable que la Mort.

La dernière reprise va débuter. Jamais adversaire ne m’avait poussé aussi loin. Les meilleurs ont tenu jusqu’à la cinquième. Comment battre sa propre image ? Je ne peux rien dire à Lou. A personne. Ce mec assis de l’autre côté était jusqu’à ce soir un parfait inconnu, le champion de son pâté de maisons tout au plus. Les magouilles l’ont conduit jusqu’à l’antichambre de la gloire. Il devait être la victime expiatoire de la centième victoire du vrai Champion. Moi.

Je perçois la densité effarante de leurs émotions. C’est quasi physique. Une tension hautement électrique. Ils retiennent leur souffle. Cela monte comme une vague frémissante jusqu’en haut des gradins, prête à s’abattre et tout emporter. Au centre de cette attente exacerbée, il y a un moment vraiment magique. Mes muscles connaissent ça mieux que mon intelligence. Cet instant particulier où chaque fibre de mon corps attend que sonne la cloche. Peut-être une seconde, peut-être moins, mais cela inonde mes sens d’une pulsion orgasmique. Je fixe le centre du ring, visualisant l’endroit où j’irai défier mon image avant de la faire voler en mille morceaux. Le masque est replacé sur mon visage. Allons-y. Mes poings se referment et mon coeur se cuirasse une dernière fois.

Je me lève au signal de la cloche. Je tape mes gants l’un contre l’autre puis les frotte sur mon torse. Le monde se résume à ce carré bleu ceint par quatre cordes. Je m’arrête juste au centre du ring, où se concentrent les feux venant des cintres. Il s’avance aussi, lourd et massif, aussi inexorable qu’un glacier dans la vallée. L’arbitre pourrait bien être sur Mars, il ne compte pour rien. Je maîtrise difficilement l’adrénaline qui bouillonne en moi. Je dois contrôler mes émotions. Je suis un professionnel. Derrière les cordes c’est le néant, obscur et informe.

Je reporte mon attention sur mon adversaire. Il me ressemble comme un frère oublié, un jumeau disparu. Je suis le seul à m’en être aperçu. Je pousse mes poings contre les siens. Cela va commencer. Il fait un pas de côté, presque aérien, souple et délié. Je me contente de tourner les hanches, assurant mes pieds et montant ma garde. C’est à lui de venir chercher la victoire. Il a des points à rattraper. Il me balance une droite négligente que je bloque sans difficulté. C’est lancé. Il poursuit son lent déplacement circulaire, testant ma défense par quelques directs, fouettés ou jetés, mais sans enchaîner derrière. Ce sont des hors d’oeuvres. Je prends bien soin de ne pas me laisser aspirer dans une trajectoire qui file vers l’un des coins. C’est un malin. C’est ce que je ferais si j’étais à sa place. Je fais soudain deux pas en arrière et laisse pendre mes bras le long du corps. Ne pas se laisser endormir par sa routine. Je sautille sur place, le défiant du regard. Viens au centre, à la lumière. Je frappe à nouveau dans mes gants en lui adressant mon sourire de carnassier. Il marche vers moi. Son rictus est le mien. Il feinte à gauche et son uppercut remonte à toute vitesse vers mon menton. Je parviens à le bloquer in extremis en tournant mon torse de façon fort peu académique. Le murmure de la foule grandit. Il est sur moi et martèle mes côtes de crochets courts. La plupart n’atteignent pas leur but, déviés par mes coudes ou mes avant-bras, mais les autres me secouent bien malgré la ceinture de muscles bandés. Il est de plus en plus rapide, me forçant à un corps-à-corps acharné. Je romps une nouvelle fois l’assaut en faisant un pas en arrière Je surprends l’amorce d’un sourire qui s’éteint aussi rapidement qu’elle est née. Il me suit pied à pied. Je lui décoche une gauche vicieuse quand il s’y attend le moins. Il se baisse en catastrophe et je le touche au front. Sa tête est violemment rejetée en arrière. La foule hurle de joie. L’arbitre s’interpose. Mon challenger le repousse du bras. C’est bon pour lui. Combien de temps reste-t-il ? J’ai perdu le compte de mes battements de coeur. Les flashes crépitent tout autour du ring, allumant des novae éphémères qui illuminent le néant extérieur. Je surprends des gestes figés par l’éclair, des bras levés et des bouches ouvertes qui disparaissent aussitôt les ténèbres revenues. Est-elle toujours là ?

Je n’ai pas le temps de penser à ça. J’entame une danse sauvage, faite de petits sauts, en bougeant mes épaules selon un axe vertical. Viens danser avec moi si tu l’oses! Je m’approche de lui et pour la première fois je sens qu’il est indécis, moins monolithique que durant les onze derniers rounds. L’image se lézarderait-elle ? A bonne distance, j’allonge mon bras droit comme si je voulais prendre sa mesure. La sueur perle sur son front qui porte encore la marque du coup reçu. J’arme mon bras en portant tout mon poids sur le pied droit. Il lève sa garde légèrement comme pour anticiper l’attaque. J’esquisse un mouvement avec l’épaule. Il l’accompagne en verrouillant sa défense en position haute. Erreur ! Vif comme l’éclair, tel un piston qui se détend, mon poing droit file vers son visage. Au moment de l’impact, je cherche son regard mais je suis déséquilibré quand mon gant ne rencontre que le vide. En même temps, j’ai l’impression de prendre une locomotive de béton au niveau du foie. Mon souffle est coupé et les soleils se mettent à danser une gigue incongrue. La confusion envahit mon esprit, un voile blanc passe devant mes yeux. D’autres coups m’atteignent encore, me forçant à lâcher du terrain vers les cordes. Ne fais pas ça ! Mais quoi d’autre ? Il me suit sans pitié. Je ferais pareil! Comment combattre son image? J’ai l’impression qu’il déchiffre mon jeu aussi facilement que s’il était le sien. Au tout dernier moment, je devine son crochet masqué. Malgré ma parade improvisée, le coup m’atteint à la base du crâne. Je tombe sur un genou. Le voile vire au rouge. L’arbitre vient à mon secours. Il fait signe à mon adversaire de reculer et s’accroupit près de moi.

« Ca va Champion ? »

J’agrippe la corde du milieu, cherchant à respirer. Il faut que je profite de cet instant de répit. Les mini-novae forment une galaxie de points brillants. Waouh, le Champion est à terre ! Levant les yeux, je la vois. Au troisième rang derrière la table des juges. C’est bien elle. Elle assiste à tous mes combats. Jamais loin du ring. Je ne saurais la décrire précisément. Elle éclipse pourtant ceux qui l’entourent. Elle est belle dans mon imagination. Je ne l’ai jamais rencontrée. Le match terminé, quand les lumières du Madison se rallument pour fêter le Champion, elle a disparu. J’ai demandé à Lou, j’ai demandé aux officiels, j’ai même engagé un détective privé. Aucun résultat. Elle n’existe que dans l’obscurité où elle entretient mon désir, à chaque fois différente. Il y a une forme de plénitude et de sérénité dans ses traits, fins et réguliers. Et dans ses yeux brûle une flamme guerrière et indomptée, une force archaïque qui me galvanise. Mon Egérie. Au fil des rencontres, je lui ai voué une sorte de culte secret et païen. Dans mes rêves enfiévrés qui suivent les combats, elle me tend un curieux bouclier ovale aux profondes échancrures latérales et me désigne l’infini.

« Ca va Champion ? » répéte l’arbitre. Une pointe d’inquiétude transparaissant dans sa voix.

Je déglutis. « Mouais.. ! »

L’arbitre commence à compter : « un... deux...trois... ! »

Moi, être compté ? Je me redresse en secouant la tête. Regarde petit père, tout va bien. J’ai simplement glissé. Son coup a ripé sans mal sur mon cuir chevelu. Je grimace un sourire de fanfaron. L’arbitre finit son décompte et s’écarte de nous en levant les bras.

Je reprends les choses en main. Je me dirige vers lui, décidé à en finir. J’enchaîne plusieurs swings - droite, gauche, gauche, droite - qui mettent à mal sa défense. Je me concentre pour éviter toute surprise. Je le travaille au corps, visant son foie, ses flancs, sa tête. Sous le déluge de coups, il faiblit enfin. Je passe la vitesse supérieure. Je l’enferme dans un ballet de voltigeur. Je tourne autour de lui, ne lui laissant aucun répit. Une de ses arcades explose sous un coup au but. Il pisse le sang qui ruisselle sur son oeil. Il encaisse toujours. Je le bombarde de crochets précis et meurtriers qui l’obligent à défendre et encore défendre. Des crochets longs alternés à des overhands pour l’empêcher d’anticiper. Le Champion est en colère. Il recule encore. Il semble comprendre, alors il vient plaquer sa tête contre la mienne, emprisonnant mes poings entre ses bras. Il halète contre mon oreille. Son sang se mélange au mien. Je le repousse mais il continue de se coller à moi. Il grogne, cherchant à souffler un peu dans la tempête que j’ai déchainée. C’est l’arbitre qui nous sépare. Il lui donne un premier avertissement. Quelques secondes épargnées. L’arbitre examine son arcade ouverte. Merde, il ne va pas arrêter le combat ? Non, le match continue!

Nous entamons lentement une sorte de ronde, lui à l’endroit, moi à l’envers au centre du ring. La reprise touche à sa fin. Elle ne dure que trois petites minutes. Mais le chronomètre défile sur un rythme étrange sur le ring. Il accélère et ralentit au gré des temps forts et des temps faibles. Où en sont les juges? M’ont-ils fait repasser devant ? Je porte une fulgurante attaque qui déborde sa garde. Mon poing s’enfonce sous son plexus, là où ses abdominaux sont impuissants. Il expire bruyamment. J’en profite pour faire un autre pas et propulse un uppercut vers sa mâchoire. Il ferme la porte au dernier moment mais gémit quand le coup s’écrase néanmoins sur son maxillaire. Je pousse mon avantage en venant au corps-à-corps et en pilonnant sa défense affaiblie de directs fouettés. Il rompt à nouveau, lançant au jugé quelques banderilles que j’esquive sans mal. Le choeur des damnés au-delà des cordes a senti la curée et hurle à la mort. L’odeur du sang le plonge dans une transe quasi orgiaque. L’air est saturé de ce parfum bestial qui n’appartient qu’à ce genre d’évènement et qui peint sur les visages des masques hideux et hystériques. Des silhouettes gesticulantes se sont massées autour du ring, prêtes à tout pour assister au KO final. Les cris fusent au sein d’un chaos indescriptible. C’est le moment que j’exècre le plus. Celui où tous les voyeurs écarquillent des yeux pour mieux voir un corps fléchir comme une poupée de chiffon et une tête heurter le tapis, les yeux révulsés.

Elle est vêtue de blanc comme une déesse guerrière, immobile au milieu de la frénésie ambiante. Elle est une île immaculée dans une mer démontée. Ses cheveux de bronze sont coiffés en un sobre chignon. De part et d’autre de son cou dénudé, au bout de minuscules tresses d’argent, scintillent des boucles d’oreille en forme de 8 qui jettent un feu éclipsant celui des projecteurs. J’ai l’impression d’être en plusieurs endroits en même temps, embrassant la scène sous des angles différents. L’oeil du serpent. Je sens le sang ruisseler le long de ma joue, poissant le haut de mon torse. Non, c’est lui qui saigne. Sans réfléchir, j’allonge deux terribles directs du gauche avant de conclure par un crochet du droit qui l’envoie dans les cordes. J’hésite. Putain tombe ! Tu as réalisé un véritable exploit en tenant tête aussi longtemps au Champion. Tu as gagné une revanche. Ma prière muette n’y fait rien. Il secoue la tête comme un taureau condamné au centre de l’arène. Il prend une grande inspiration et revient à la charge. Il rive son regard au mien. C’est le moment de vérité dans la quiétude improbable qui règne au coeur de la tornade. L’arbitre a disparu. La cloche va retentir une dernière fois. Je rentre le cou pour protéger mon menton. Il fait de même. Le sang qui ferme mon oeil n’est plus un problème. Je saisis chaque détail de la scène aussi précisément que si je l’avais contemplé des heures durant. Au-delà des cordes rugissent des forces primitives exacerbées. Elles forment de monstrueuses vagues qui s’enroulent autour du ring, rebondissant entre les gradins, engloutissant corps et âmes. Ma blanche prêtresse écarte sans effort cette masse d’énergie torrentielle. Son visage paraît flotter au-dessus d’un tsunami de cris et de mouvements. Nous voilà face à face. Un seul restera debout. Moins d’un mètre me sépare de ce que je suis. Je mets tout mon poids dans mon dernier uppercut, toutes mes forces en bloquant ma respiration. Je n’ai jamais frappé aussi fort. J’ai libéré quelque chose, quelque chose de primal et d’enfoui. A mes pieds, les ombres multiples s’enfuient, épouvantées, dans toutes les directions.

Le coup ébranle chacun de mes os. Une lumière blanche inonde mon esprit et mon coeur s’arrête de battre. La convulsion tétanique parcourt mes membres, fragmentant ma réalité en mille morceaux, chacun révélant un unique reflet. Le mien. J’écarte les bras mais mon équilibre est perdu. Je vois le tapis s’élancer vers moi et le ciel couronné de lumières s’éloigner. Ou l’inverse. Je cherche un peu d’air mais mes poumons refusent de fonctionner. Il y a ange qui m’adresse un sourire du haut des cintres. Sa bouche vermeille forme un seul mot que je ne comprends pas. Qui suis-je ? Qui suis-je vraiment ?

Il est temps de fermer les yeux.

It's just music...

M


  
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