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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Samedi 10 juillet 2010 à 20:32:07
Une longue histoire. Alors, une première partie.

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LE BAISER DE MEDUSE



Je ne sais pas si je vais y arriver. Arriver à écrire tout ce que je veux laisser derrière moi. Tout ce que je désire que vous sachiez. Cela devient de plus en plus difficile de me concentrer, de placer correctement mes doigts sur ce maudit clavier, de composer les mots les plus simples sans trébucher sur l’ordre des lettres et devoir faire d’incessants retours arrière. Des retours arrière, ah si je pouvais effacer ma vie comme on efface sous le curseur une phrase erronée. Cela devient un effort de chaque instant pour que tous ces mots jetés en vrac s’ordonnent en phrases compréhensibles. J’ai l’impression d’être un coureur de fond qui a surestimé ses forces et qui s’étouffe au milieu de sa propre respiration.

Je m’étais pourtant promis de m’atteler à cette tache depuis plusieurs semaines déjà. Laisser une trace, un avertissement. Mais chaque fois que je m’asseyais devant mon ordinateur, il y avait toujours un bon prétexte pour remettre cette entreprise à plus tard. C’était comme si quelque chose retenait ma volonté. Vous savez, comme ces promesses qu’on se jure de tenir et qu’on oublie aussitôt : suivre un régime alimentaire équilibré, faire un peu de sport, arrêter de fumer ou de boire, appeler ses parents... Toutes ces petites lâchetés sans conséquence qu’on se pardonne facilement d’un coeur léger et innocent. Toutes ces petites trahisons futiles et insignifiantes.

Voilà, vous constatez que je dérive, que je m’échappe, que je m’égare. Une fois de plus je sors du propos. C’est un autre des symptômes du mal qui me ronge. Habituellement, au bout de quelques phrases, je perds le fil de mes idées. Je me retrouve sur des chemins de traverse sans lien avec le sujet. Une forme de confusion mentale fatigante. Ce soir cependant, je parviens à maîtriser tant bien que mal cette propension. Je ne peux l’éviter totalement, vous le voyez et vous le verrez, mais je parviens à juguler ses effets. Grâce à cette seringue, posée à côté de...lui ! C’est un ami médecin-urgentiste qui me l’a été procurée. Il me devait un service. On ne doit pas jouer avec la comptabilité de la pharmacie centrale. J’ai nettoyé les dégâts et je lui ai évité des ennuis. Malgré mon aversion pour la chose médicale, le sang et les piqûres, je me suis fait cette injection tout seul, avec ce qui me restait de volonté défaillante. Je crois que l’imminence de l’échéance a néanmoins renforcé ma détermination. Il n’y a aucune étiquette sur la seringue et le liquide qu’elle contenait était transparent comme l’eau claire. Mais il possède de merveilleuses propriétés. Il me permet de résister suffisamment pour continuer de vous écrire. Vous qui figurez dans mon carnet d’adresses. J’espère que parmi vous, il s’en trouvera au moins un qui aura pitié de moi pour accomplir ma dernière volonté.

Il me regarde vous savez? Il a pourtant des yeux vides et morts. Deux trous terrifiants qui me fixent constamment. Je l’ai posé au coin du bureau à côté de la pile de dossiers, près du parapheur. Il attend que je le saisisse. Il sait parfaitement que je vais devoir m’y résoudre. Malgré le puissant cocktail de neuroleptiques dont j’ignore les noms, je ne pourrai résister à son appel bien longtemps. C’est une addiction, une drogue au-delà de toutes les drogues. Il est devenu le trou noir de mon univers où je ne suis qu’un pauvre satellite prisonnier de son attraction. Je tombe désespérément vers lui. Mais quand je le prends, quand il me possède...c’est une ivresse à nulle autre pareille.

Je constate que je n’arrive toujours pas à entrer dans le vif du sujet. Je tourne autour du pot, je vire, je baguenaude futilement. La page sur l’écran peut bien se remplir de caractères policés, il y a plus de vide que de sens. Je ne vais surtout pas effacer les mots déjà écrits. Ils sont la preuve que je me suis effectivement lancé. Plus ils seront nombreux, alignés comme les rangs d’une petite armée, plus ils seront un rempart contre mon envahisseur. Chaque mot supplémentaire renforce ma volonté et m’accorde une sorte « d’extra time » à l’instar de certains jeux vidéo. Tant que j’écrirai, il restera inerte dans son coin. Je ne veux pas imaginer ce qui se passera quand je cliquerai sur la case « ENVOYER » de mon client de messagerie. Il ne faut pas que j’y pense. Pas maintenant. C’est douloureusement excitant. Dangereusement excitant. Et je n’ai même pas débuté mon récit.

Par où commencer? Par le début me diriez-vous. Ce n’est pas si simple. Je ne suis qu’un petit maillon d’une très longue chaîne. Pourtant je peux commencer lorsqu’il a fait irruption dans ma vie. On verra bien où tout ça me mènera. Comprenez-moi. Malgré la drogue dans mon sang, je ne suis plus réellement maître de mon destin. A peine peut-elle desserrer légèrement les rênes qui me brident.


I. LE DEBUT



Vous me connaissez tous. Inutile que je me présente. C’était mon trentième anniversaire. Je ne suis pas attaché aux traditions et les fêtes familiales me font généralement fuir. Avoir trente ans ne m’a fait ni chaud ni froid. J’ai ouvert quelques bonnes bouteilles. Des Graves. Des grands crus classés. J’avais aussi invité une poignée d’amis. Certains d’entre vous du reste. J’avais loué les services d’une charmante compagnie aux attentions tarifées. Elles correspondaient exactement à mon type de femme. Vives, enjouées, sensuelles. Je crois que la plupart de vos compagnes sortaient des mêmes officines non ? Certains signes ne trompent pas. Surtout la blancheur d’un cou languide. Tous les ingrédients étaient réunis pour que la soirée soit consacrée à Bacchus et à Pan. Le monde des courtiers est un monde à grande vitesse. Tout y est plus grand, plus fort et plus brillant que partout ailleurs. J’avais trente ans et le bonus annuel que m’avait versé la firme le mois précédent avait été tout simplement immoral.

L’hôtel particulier appartient à ma famille depuis plus de quatre siècles. Je porte un nom inconnu du grand public. Il est issu d’une ancienne noblesse, discrète et financière, familière des obscures contre-allées du pouvoir. Aujourd’hui, je suis le dernier descendant. La lignée n’a toujours compté qu’un unique héritier par génération depuis son origine, à Antioche, au douzième siècle. Cependant mes racines sont bien plus anciennes, naissant à Epidaure, sur la côte de l'Argolide. C’est un de nos secrets. Un élément substantiel du pacte fondateur. La devise sur notre blason rappelle cette obligation : « In vitam eternam, solus eris ». Je n’ai aucun titre nobiliaire, aucune particule attachée à mon nom, aucun de mes ancêtres n’est mentionné dans les livres d’histoire. Tout cela n’est que pacotille pour les véritables puissances de ce monde. Vous le savez fort bien. L’histoire de ma famille est écrite en creux dans l’histoire du monde. C’est l’ordre naturel des choses.

La nuit était déjà bien avancée. Le vin coulait à flot jusque sur la nappe blanche où il se répandait comme le sang sur l’autel. Les rires fusaient dans la clarté chaude et vacillante des grands chandeliers. Les rideaux étaient tirés hermétiquement et les corps se frôlaient, froissements d’étoffes coûteuses. Les corps se pressaient les uns contre les autres, de plus en plus passionnément. Pan passait parmi nous. Seuls ses yeux souriaient pendant qu’il tirait de merveilleuses notes de sa flûte ensorcelée, étourdissant nos âmes dans une invitation à le suivre. Il s’est soudain approché de moi. Tout en continuant de tisser ses trilles diaboliques, sa main a caressé la peau dénudée de ma poitrine et ses yeux brûlants se sont attachés aux miens. Il a murmuré un nom que je n’ai pas compris. Daphnis. Eperdu, j’ai renversé ma tête en arrière, ne sachant exprimer autrement le ravissement qui me saisissait. Les deux filles agenouillées devant moi se sont relevées, les joues empourprées, pour tendre leurs mains vers la créature orphique dans une supplique torride et muette. Il a alors reposé sa flûte et les a rapprochées de lui, de moi... J’ai finalement perdu toute notion de la réalité pour me glisser au coeur d’un intense et orgiaque plaisir. Une débauche enivrante et sensuelle nous emporta bientôt sur le flanc du volcan.

Là, nous avons dansé sur la lèvre étroite du cratère tandis que le monstre enterré crachait de longues giclées d’une lave rougeoyante. Devant nous, le dieu cornu marquait férocement la mesure en frappant le sol de ses sabots caprins. Le temps lui-même a disparu jusqu’à l’explosion finale qui me jeta sans force sur le canapé de velours cramoisi, le souffle coupé. La pendule sur la console de l’autre côté de la pièce indiquait quatre heures et demi. Autour, les autres semblaient aussi désorientés que moi, comme ces voyageurs revenus d’un très long et lointain séjour qui se sentent étrangers dans leurs propres demeures. Les vêtements jonchaient le parquet, s’accrochaient aux tableaux de maîtres ou pendaient aux dossiers des fauteuils Louis XV. Une jeune femme s’enroulait autour de mes reins. Epuisée, elle fermait les yeux et a protesté à mi-voix quand j’ai écarté sa joue de mon aine. J’ai tant bien que mal récupéré mes affaires pour aller me rasseoir à la longue table. J’ai versé un peu d’eau dans un verre taché de rouge à lèvres. J’ai bu lentement en contemplant les traces blanches qui erraient encore sur les plateaux d’argent. Les bouteilles qui n’étaient plus que des cadavres vides et renversés. Les reliefs du repas, dos de sangliers et bouchées à la reine, éparpillés à même le bois.

C’est à cet instant que j’ai découvert le cadeau qui trônait au milieu du désastre. Un carton à chapeau à la blancheur immaculée, entouré d’un joli ruban rouge qui faisait un noeud parfait sur le dessus. Une petite carte était glissée sous le ruban. Deux mots y étaient écrits à la main : « Pour toi ». J’avais pourtant bien stipulé que je ne voulais aucun cadeau. Cette fête avait une autre nature, servait un autre but. En soupirant, j’ai pris le carton et j’ai dénoué le ruban. Quand j'ai soulevé le couvercle, il était là, posé sur un lit de satin froissé. Il était là et j’ai immédiatement su qu’il était moi. Le masque. Un masque blanc, sans artifice ni fioriture. Rien à voir avec les masques vénitiens ou les masques de clown. Un masque comme ceux utilisés par certains comédiens sur les scènes de théâtres antiques. Un simple masque où seuls les yeux et la bouche étaient évidés. Aucun élastique pour le maintenir en place.

Intrigué par ce cadeau insolite, j’ai interrogé du regard mes amis qui s’étaient rassemblés dans mon dos en silence. Sans résultat. Les filles, étonnées, respectaient la solennité de l’instant. Julien, mon ami intime, rompit la gêne qui s’installait en s’écriant :

« Un masque... hahaha... un masque. C’est le cadeau parfait n’est-ce pas ? Je sais ce qui convient en pareille circonstance ! Tu permets ? »

Sans attendre ma permission il traversa la pièce pour rejoindre le meuble qui abritait ma petite installation audiophile. Il alluma l’ampli et le lecteur de disques. Il farfouilla ensuite dans la colonne où je rangeais les CD. Il poussa un cri de victoire quand il dénicha celui qu’il cherchait. Il ouvrit le boîtier et glissa le disque dans le lecteur. Il sauta quelques pistes en lisant le sommaire au dos du CD. Il se retournait vers nous quand s’éleva la voix de la divine Callas :

« Consentimi, o Signore,
Virtù ch'io lavi 'l core,
E l'infiammato palpito
Nel petto mio sopir! »

Nous avons tous éclaté de rire, ayant reconnu le drame verdien. Tous sauf nos cavalières qui nous regardaient interloquées. La musique pleine et fiévreuse de cet opéra écrit par le maître à son apogée et le chant captivant de la diva dispersèrent le malaise aussi rapidement que le soleil chasse la pluie. Le bal masqué, bien sûr. La musique nous enveloppa, nous rappelant que la nuit n’était pas finie. Je reposai le masque au fond de sa boîte et j’enlaçai la plus proche de nos belles naïades à laquelle j’offris une coupe emplie d’un nectar pétillant et euphorisant. La vie était douce et elle devait être cueillie avant que la rosée ne se dépose sur les fleurs endormies. Mais je n’avais pas, nous n’avions pas, sommeil.

C’est ainsi que le masque est entré dans mon existence.

M


  
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3 Commentaire de la première partie - Elemmirë (Lun 23 aou 2010 à 23:55)


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