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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Dimanche 6 juin 2010 à 22:57:28
LE CHAT A TOUJOURS RAISON



Le père Anselme était fort comme un Turc. Jusqu’à cinquante ans, il soulevait sans peine un veau d’un quintal. Le docteur Sentenac, il l’avait vu deux fois. La première, c’était pour le certificat avant le mariage. La deuxième, c’était en accompagnant la Fanny quand elle attendait les jumeaux. Après, un coup de gnôle et les microbes s’en allaient voir ailleurs.
Il était assis dans le fauteuil de mère Jeanne, grelottant de froid, recroquevillé comme un escargot en hiver, et suant à grosses gouttes sur son front barré de trois plis douloureux.
« Putain con ce trou à l’entrée du potager, c’est les chiens, encore ! Je l’ai pas vu, et ça a fait crac. Si c’est cassé, bonne mère, si c’est cassé... »
La vieille femme vêtue de noir était assise sur un tabouret bas. Ses doigts maigres se posaient sur la cheville tuméfiée et bleue avec la joie tranquille des papillons.
« Mais non, mon bon Anselme, mais non... Ce n’est pas si grave... Reste là. Tu veux une couverture ? Je vais te donner un peu de tisane. Aurore ! Viens, ma toute belle, sois gentille, amène une couverture à notre ami, et prépare-lui un bon tilleul, avec le miel de lavande, tu sais, celui que je garde dans le haut du bahut. Ah et puis, sans vouloir te commander, si tu pouvais remettre une bûche au feu... »
Aurore traversa la pièce, jeune, belle, blonde, pâle, une fée dansant sur ses sabots de bois, une nymphe légère au sourire enchanteur, l’innocence des enfants dans le corps presque mûr d’une toute jeune fille.
« Oh nom de... Mère Jeanne, qu’elle s’est faite belle, la gaffette ! Et tu la maries, bientôt ? Je te jure que si j’avais vingt ans de moins... Aïe !
- Tiens-toi tranquille, vieux coquinou. Elle n’a pas quinze ans, qu’est-ce que tu veux marier ? Laisse-la grandir encore un peu, elle a bien le temps de se trouver du tracas ! »
Le Chat ronronnait sur la table, le feu crépitait dans la cheminée. Les mains de Jeanne continuaient de courir sur la cheville d’Anselme, et celui-ci, réchauffé, réconforté, se laissait gagner doucement par une torpeur délicieuse.
« Ca va aller, mon gars. Demain tu restes au lit. Et après-demain tu peux recommencer à rentrer ton foin. Il ne va pas pleuvoir, de toute façon. Et cesse de chercher noise à la Fanny. C’est pas sa faute si le renard a mangé les poules. T’avais qu’à refaire la clôture, derrière le laurier »
L’homme rougit, pâlit, s’étrangla.
« Et comment tu le sais ? »
Elle leva sur lui ses yeux plus clairs que l’azur sur la neige, et avec ce regard dont elle n’abusait pas car il vous marquait pour la vie elle murmura :
« Allez, Anselme. Tu sais bien comment. »


« On a tué le cochon, Mamie Jeanne. Oncle Anselme m’a dit de te porter les saucisses. Tu verras, elles sont bonnes, j’ai aidé à les faire !
- Tu es un brave petit, Toine. Mais si ton oncle veut remercier, qu’il le fasse lui-même ! »
Le petit se renfrogna.
« Et dis-lui que s’il te gronde, il aura affaire à moi. Tiens, viens chercher des oreillettes, elles sont toutes chaudes encore. Elles sont pour toi, hein, ça reste entre nous !
- Merci Mamie Jeanne ! Je t’aime beaucoup, tu sais ! »
Le visage de l’enfant se blottit un instant dans le tablier noir, et une larme perla au coin de l’oeil de l’aïeule.
« Moi aussi je t’aime beaucoup, petit ange ; va, maintenant, va... »


Le père Anselme tenait son chapeau dans une main et les saucisses de l’autre. Il dansait comme un ours, d’un pied sur l’autre.
« Je suis bien contente de te voir, Anselme. Et cette entorse ?
- Je n’ai plus rien, mère Jeanne, plus rien. Tu as encore fait un miracle !
- Ce n’est pas moi qui fais les miracles, mon pauvre. Mais je te remercie pour ces saucisses.
- Je... Je n’ai pas voulu être malpoli, tu sais...
- Mais quoi ? Je te fais peur. C’est seulement quand tu as mal que tu retrouves ton courage ? »
L’homme confus baissait le nez. Elle tendit la main, se haussa sur la pointe des pieds pour lui ébouriffer les cheveux comme s’il avait cinq ans.
« Allez, petitou ! Je sais bien que tu es brave ! »
Emergeant de cent vingt kilos de muscles, une petite âme d’enfant se trouva tout émue et tout émerveillée de l’être.


Elle chantait quand elle trayait les chèvres, elle chantait quand elle cueillait la prêle, l’ortie et la valériane, elle chantait quand elle nourrissait les poules, quand elle battait le linge au lavoir ou quand elle préparait la soupe. Rossignol tendre aux accents diaphanes, sa vie n’était qu’un chant ininterrompu. Dans la neige assassine ou sous le soleil accablant, elle chantait.
Jeanne l’avait recueillie, oisillon abandonné sous le porche d’une église dans une couverture bleue. Cinq fois un couple en peine, souvent venu de loin, l’avait suppliée de lui confier l’enfant, cinq fois elle avait renvoyé tous ces braves gens. Et tous avaient eu un petit dans l’année. Les signes étaient formels, Aurore était Innocente. Si elle passait la Tentation, elle pourrait remplacer Jeanne, et la vieille femme en soupirait d’envie. Dormir, enfin, d’un repos éternel, le coeur léger du devoir accompli, ne plus jamais se battre, ne plus jamais s’inquiéter.
Michel, le Chat, était plus réticent, mais il était dans sa nature d’être méfiant.
« Et si elle ne passe pas ?
- Allons, Michel, c’est une bonne petite...
- Et si elle se laisse tenter ? »
Jeanne haussait les épaules.
« Je ne sais pas, pauvre. Peut-être que je m’arrêterai là.
- Sans personne après toi ?
- Ne me mets pas encore la rate au court-bouillon, va. Viens plutôt par ici. Il me reste un peu de saucisse, je ne vais pas te la regretter... »


Le cheval blanc marchait la tête haute au milieu de la route. C’était une bête magnifique, altière et musclée, aux allures relevées. Pas une goutte de sueur ne venait troubler sa robe immaculée, et sa longue crinière soyeuse dansait jusqu’à son épaule. Son cavalier était vêtu de blanc. Il était, à vrai dire, habillé comme un prince, mais qui serait venu d’un horizon lointain. Ses vêtements amples, juste serrés à la taille par une ceinture dorée, étaient tissés de la soie la plus fine. Un lourd collier d’or ornait sa poitrine, et ses mains étaient recouvertes de bagues serties des pierres les plus précieuses. Il se déplaçait dans une aura de parfum aux notes épicées de musc, d’ambre et de cuir. Ses longs cheveux blonds, délicatement bouclés, effleuraient ses épaules. Son regard bleu myosotis était placide et sûr de lui, et le demi-sourire de ses lèvres fines annonçait plus l’arrogance que la compassion, et plus la ruse que la probité.


« Mamie, je suis à la rivière », chantonna Aurore.
- « Et les chèvres ?
- C’est fait ! Et j’ai nourri les poules, et rentré le linge.
- Hem », commenta Jeanne avec un froncement de sourcil. « Tu as un galant ?
- Oh non ! Enfin... pas encore », ajouta la jeune fille en rougissant.
- « Sois prudente, mon enfant.
- Bien sûr ! Mais aucun mal ne peut venir de lui... »
Jeanne hocha la tête. Michel dressa les oreilles.


« Il est là, c’est Lui, je le sais, je L’ai vu ! »
Le Chat était dans tous ses états. Il arpentait la longue table où Jeanne écossait les petits pois, la moustache frémissante, le poil hérissé, la queue battante.
« Calme-toi, Michel. Ce qui doit se faire se fera, et nous ne devons pas...
- Bien sûr », cracha le Chat, « et tu trouves ça juste de la laisser seule devant cet immonde... ce féroce... ce maléfique... Fffffff ! Nom d’un rat boiteux ! Je lui arracherais les yeux avec plaisir !
- C’est le choix d’Aurore qui importe, mon ami... Pas ce que nous désirons.
- Depuis combien de temps est-elle partie ?
- A peine une heure. Fais-lui confiance.
- Elle est trop jeune ! Elle est trop naïve, elle est trop...
- Paix ! Tu me fatigues. »
Le Chat lui jeta un regard furieux et sauta sur le haut du vaisselier où il entreprit une toilette enragée.




« Dans mon pays », racontait l’homme vêtu de blanc, « les femmes portent des robes incrustées de diamants, qui brillent comme le soleil, si bien qu’il y a autant de soleils que de femmes. Des créatures magiques les servent, et elles n’ont pour seul souci que de choisir leur toilette et leurs bijoux pour le grand bal du soir.
- Tous les soirs ?
- Tous les soirs ! Nous dansons et nous chantons, autour de grandes tables où sont dressés les mets les plus fins et les boissons les plus exquises. »
Aurore ouvrait des yeux émerveillés.
« Pas de corvées ?
- Pas la moindre.
- Des bijoux, des robes... des chapeaux ?
- D’immenses chapeaux ornés de dentelles, de rubans, de plumes multicolores...
- Je n’ai jamais eu de chapeau », murmura la jeune fille dans un soupir.
- « Je te donnerai un chapeau différent pour tous les jours de l’année. »
Aurore éclata de rire.
« Est-ce que ce n’est pas un peu... inutile ?
- Au contraire, c’est très utile, un chapeau ! Ca garde la coiffure bien en place quand on danse, et ça met en valeur la beauté du visage. »
La jeune fille se rembrunit.
« Mamie Jeanne dit que les artifices sont superflus et que le superflu gâte le coeur des hommes.
- Mais quand tu cueilles des fleurs, ne les disposes-tu pas en bouquet pour mieux les mettre en valeur ? La beauté n’est-elle pas le reflet de l’oeuvre divine ? La beauté nous réjouit le coeur et nous rend meilleurs, qu’elle émane d’une fleur ou d’un visage ! Les bijoux et les parures rendent les femmes encore plus belles. Et ce sont des preuves d’amour... Les plus belles femmes que j’ai rencontrées, aux quatre coins du monde, étaient celles qui se savaient aimées... Me suivras-tu ? »
Aurore eut un mouvement de recul inquiet et regarda le ciel.
« Il est tard, je dois rentrer. Au revoir !
- Je t’attendrai ici, je t’en supplie, reviens-moi vite... »
Sa voix résonnait aux oreilles d’Aurore tandis que sa course légère la ramenait à la chaumine.


« Il est tard », gronda le Chat.
- « C’est juste l’heure de dîner », tempéra Jeanne.
- « Désolée, je... je suis là. »
Aurore avait les joues rosies mais le regard clair. Jeanne haussa les épaules à l’intention du Chat, l’air de dire « tu t’es inquiété pour rien ».
Michel se coucha au bout de la table, les yeux grand ouverts, signifiant clairement qu’il n’avait pas dit son dernier mot.
« Alors, ce prétendant ?
- Oh, je ne sais pas, Mamie. Il fait de belles promesses, mais tous les hommes le font, n’est-ce pas ? C’est ce que m’a dit Emilie, au lavoir.... Je le reverrai demain... peut-être... »
C’était le lundi.


Le mardi soir, Aurore rentra plus tôt et prépara la soupe d’un air songeur. Jeanne était partie aider la femme de Bertrand qui était en couches, et qui ne voulait plus voir le docteur depuis qu’il lui avait interdit de manger du miel pendant sa grossesse. C’était une bonne chose, car Bertrand avait le mensonge un peu trop facile et un goût immodéré pour la bouteille. En le faisant naître, Jeanne pouvait aider l’enfant à ne pas suivre l’exemple de son père. Et puis il y avait la source des Deux-Chênes qui menaçait de tarir... et la vache de Georges qui donnait moins de lait...
« Ton galant est toujours aimable ?
- Toi, le Chat, tu t’y connais en galants ?
- Je sais beaucoup de choses.
- Il veut m’emmener avec lui. Mais qui se souciera de Jeanne ?
- Jeanne n’a besoin de personne. Et pour l’instant c’est elle qui se soucie de toi. Jeanne mourra un jour, comme nous tous. »
La jeune fille interrompit sa tâche pour le regarder. Elle semblait bouleversée.
« Comment peux-tu...
- Il y a bien pire que la mort », décréta le Chat. « Si le don de Jeanne venait à se perdre...
- J’ai appris bien des remèdes !
- Crois-tu ? Quelques recettes d’onguents et d’élixirs... Mais le véritable don de guérison, Jeanne le transmettra avant de mourir, comme il lui a été offert. »
Aurore réfléchit un moment.
« Est-ce que... tu sais... comment ?
- J’y étais », déclara le Chat en se léchant négligemment une patte. « Elle s’appelait Ernestine, et elle tenait son don de son grand-père Fernand. Jeanne avait juste treize ans. Ernestine est venue la trouver, dans le pré où elle gardait les moutons. Et le lendemain, elle était morte.
- Et tu crois que Jeanne me choisirait ?
- Pourquoi ne lui poses-tu pas la question ? Si elle te dit non, tu auras de la peine. Mais que feras-tu si elle te dit oui ? »
Aurore pâlit.


Le mercredi, Aurore ne quitta pas Jeanne de tout le jour. Ce n’est que vers le soir que la vieille femme demanda :
« Eh bien ? Pas de soupirant, aujourd’hui ?
- J’ai peur de te déplaire, Mamie Jeanne.
- Tu n’as pas à me plaire, mon enfant. Tu es libre de tes choix et responsable de tes actes devant ta seule conscience.
- Mais est-ce que c’est mal d’être amoureux ?
- Tout dépend de ta sincérité, et de la sienne. Tout dépend des projets que vous faites pour l’avenir, et des valeurs que vous partagez. J’ai été mariée, autrefois, et j’ai eu trois enfants. Il n’y avait pas de mal à ça.
- Tu ne m’en avais jamais parlé...
- Le temps a fait son oeuvre. Certaines douleurs seraient trop vives si on les gardait toujours en mémoire. Allons, le passé est mort. Et le dîner va refroidir. »


Aurore s’éclipsa dans l’après-midi et ne revint qu’à la nuit tombée, dansant et virevoltant sur le chemin, entre deux éclats de rire ;
« Mamie, mamie ! J’ai appris à danser la valse, et la polka... et la mazurka... Regarde ! Un, et deux, et trois... Oh, je n’en peux plus, je vais me coucher... »
Jeanne se retrouva seule devant son bol de soupe et sa tranche de pain bis.
« Il va nous l’enlever », soupira le Chat.
- « Peut-être pas. J’ai bien résisté, moi, et je n’avais pas son âge.
- Sans vouloir t’offenser, ton séducteur était vêtu de rouge ; Il est bien plus redoutable quand Il s’habille en blanc... »
Jeanne hocha la tête.
« Nous verrons bien demain. Demain, c’est vendredi. »


Le jour se leva, gris et pâle. Au loin l’orage grondait, sans se décider à éclater encore. Le vent menaçant sifflait dans les branches des arbres malmenés, et les oiseaux avaient fait silence, tapis dans une attente crispée.
« La terre s’inquiète », murmura le Chat. « C’est mauvais signe.
- Inquiétude n’est pas défaite. Nous devons attendre.
- Mais la petite est partie avant l’aube. La passion est mauvaise conseillère.
- Souvent. Sauf si c’est la passion du Bien.
- Humpf ! Si tu me laissais faire...
- Nous ne sommes pas le Mal, Michel. Nous n’usons pas de ses armes.
- Et s’Il nous attaque ?
- Nous saurons nous défendre. »


« C’est une louable intention, que de vouloir guérir les autres. Dans mon pays, nous n’avons plus de maladie ni de souffrance depuis bien longtemps.
- Mais... Vous mourez un jour, tout de même... »
L’homme en blanc éclata de rire.
« Bien sûr que non ! C’est un pays fort peu accessible, mais tous ceux qui y parviennent deviennent éternels, et éternellement heureux.
- Et je pourrais emmener Mamie Jeanne ?
- Evidemment ! Si elle le souhaite...
- Je vais lui demander ! Viens avec moi, il faut que je te présente !
- J’en serai ravi ! Mais je ne voudrais pas la déranger... Il est encore tôt... Cours devant, préviens-la, je te suis... »
Aurore avait déjà la main sur la barrière quand un oiseau noir s’abattit à ses pieds, comme foudroyé par un éclair invisible.
« Oh, le pauvre ! »
La jeune fille s’agenouilla près du corbeau. Sa main fine et délicate se posa sur la poitrine pantelante.
« Il est encore vivant. Viens, pauvre petit, Mamie Jeanne va te soigner, tu vas guérir, je ne veux pas que tu meures. Mamie ! Mamie ! Mais que fais-tu, Michel, vilain chat ! Non, inutile de sauter, je ne te laisserai pas y toucher, il est blessé, le pauvre. Mamie ! »
Jeanne sortit sur le perron en s’essuyant les mains sur le tablier noir. Elle vit le Chat en colère, les voiles blancs dansant au vent derrière la barrière ouverte, le sourire triomphant de l’Ennemi, et Aurore qui tenait dans ses mains...
« Aurore ! Arrête ! Jette-le au loin, vite !
- Mais Mamie, regarde, il est blessé !
- Je t’ai dit... »
Déjà la vieille femme se précipitait, la main tendue paume en avant vers l’animal, récitant à voix basse une litanie rapide et interminable. Il sembla à Aurore que la main de Jeanne devenait bleue, d’un bleu clair intense insoutenable. Mais ceci ne dura qu’une fraction de seconde, et avant que le rayonnement n’atteigne sa cible, le corps de l’oiseau fut projeté dans les airs par une force invisible qui le fit exploser en un tourbillon de plumes noires. Et les plumes, une à une, retombaient vers la maison et le jardin, tandis que l’homme en blanc était pris d’un fou rire tonitruant...
« Non ! », hurla Jeanne en tendant les bras au ciel. Aurore porta la main à sa bouche pour étouffer un cri de surprise. Elle cligna des yeux, se demandant si elle rêvait. Michel le Chat n’était plus qu’une immense silhouette de lumière, tenant à la main une épée flamboyante dont il balayait le ciel à grands coups furieux. Et à la place de chaque plume noire s’allumait un bouquet d’étincelles qui se dissolvait dans l’éther.
« Eh bien ? », rugit Jeanne, « de quel nom dois-je t’appeler aujourd’hui ? Freiluc ? Cleufir ? Phémotis, Libead ? Ou... Staan ?
- Staan ! », hurla la jeune fille en se précipitant vers l’homme en blanc, qui avait mis un genou à terre et se tenait la tête à deux mains.
- « Tu vas bien ? Qu’est-ce qui t’arrive ? »
Sa voix ne chantait plus.
Les yeux de l’homme étaient embués de larmes tandis qu’il tendait vers elle une main suppliante.
« Aime-moi ! » implora-t-il.
Aurore prit la main tremblante pour l’aider à se relever, mais ce fut lui qui l’attira. D’un geste vif il passa le lourd collier d’or au cou de la jeune fille et lui vola un baiser fougueux, qu’il interrompit sauvagement pour crier :
« Cette fille est à moi ! Tu as perdu, la vieille ! »
Une main d’acier se referma sur le poignet d’Aurore alors qu’elle lançait un regard apeuré vers la chaumière de son enfance. Sans la lâcher l’homme sauta sur son cheval et la souleva pour l’asseoir derrière lui. Le destrier s’élança aussitôt dans un galop effréné, et ses sabots lançaient des étincelles.


Mamie Jeanne ferma les volets et s’assit dans son vieux fauteuil, les pieds sur le tabouret bas. Elle joignit les mains sur sa poitrine et ferma les yeux.
Le Chat se coucha en boule sur le tablier.
« Tu es sûre ?
- Je n’en peux plus. Tu sais combien d’Innocents nous avons perdus ?
- Huit.
- Exactement. Nous ne jouons pas à armes égales, Il a tous les droits, alors que nous... Eh bien, ça suffit. Je m’en vais.
- Ca ne sera peut-être pas possible », objecta le Chat.
- « J’ai fait mon temps, basta », insista la vieille.
Dans la nuit l’orage éclata, faisant trembler les murs de la petite maison. Jeanne s’éveilla, étonnée d’être encore là. Soudain elle entendit clairement dans sa tête le cri d’un nouveau-né. C’était un cri vigoureux, clair, plein d’énergie et d’élan.
« Tu as entendu ? », demanda le Chat.
- « Oui. Mais je Te préviens », ajouta-t-elle en regardant vers le haut, « c’est la dernière fois !
- Celui-là, c’est un guerrier !
- Il semblerait. Il faudra lui enseigner la patience... »


Jeanne se leva, se recouvrit la tête et les épaules de son grand châle de laine et sortit dans la nuit. La pluie avait cessé, et l’étoile du Berger lui montrait le chemin.
« La dernière fois », grommela l’aïeule en hâtant le pas sur la route mouillée.
Narwa Roquen, de plus en plus en retard, et Mélamine qui s'agite dans son placard!


  
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3 Exercice 78 : Narwa => Commentaire - Estellanara (Jeu 7 oct 2010 à 17:46)
3 le titre... - z653z (Jeu 8 jul 2010 à 17:07)


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