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 WA n°68 : participation Voir la page du message Afficher le message parent
De : Estellanara  Ecrire à Estellanara
Page web : http://estellanara.deviantart.com/
Date : Vendredi 16 octobre 2009 à 16:35:23
Un petit conte cruel. Je ne suis pas sûre d'avoir respecté la consigne...
Edit suite aux corrections de Narwa.

Comme chien et chat





Samedi 11 juillet 19h56

La vioque a fini son assiette. Nous la regardons faire sans toucher à la nôtre. Elle se pourlèche les lèvres, elle sauce, le tout arrosé d'une bonne rasade de rouge. Un peu de crème a coulé le long de ses fanons tremblotants. Sous la table, j'enfonce mes ongles dans le gras de ma main pour ne pas éclater d'un rire dément. Claire demande :
- Alors, c’était bon, maman ? et elle lui fait un grand sourire.
La vioque pince les lèvres et déclare de sa voix légèrement stridente :
- Pour deux mal dégourdis dans votre genre, ce n'était pas mal.
Elle a toujours été très forte pour déguiser une insulte en compliment. Elle ne dit rien qu'il n'y ait une méchanceté cachée dessous, un sous-entendu méprisant. Pour la première fois, Claire et moi restons stoïques. Le temps de la colère et des larmes est passé. La vioque parcourt la pièce du regard en dépliant son cou ridé comme le ferait une tortue cacochyme. Bob, en brave bouledogue pas rancunier, remue la queue depuis son coussin et laisse échapper un petit jappement. La vieille teigne le considère un instant avec dégoût et susurre :
- Princesse... Où es-tu ma minette ? puis plus sèchement : vous ne l'avez pas laissée sortir au moins, Gérard ?
- Bien sûr que non.
Mes yeux accrochent ceux de ma femme et nous partageons un moment d'intense connivence. Nous somme deux criminels en fuite, deux complices, Bonnie et Clyde. Claire hoche la tête. La vioque insiste :
- Où est mon chat, enfin ?!
- Vous ne le reverrez pas, belle-maman.
J'insiste ironiquement sur le titre. C'est la première et la dernière fois que je lui donne du petit surnom affectueux à cette vieille garce. Elle hésite. Elle sent confusément que quelque chose ne va pas mais ses neurones défaillants peinent à établir le contact. Claire affiche toujours un grand sourire. Je reprends avec une furieuse jubilation qu'il n'est plus utile de contenir :
- Vous ne nous reverrez pas non plus. C'est la fin.
La vioque fronce les sourcils. Elle sort un petit mouchoir de dentelle de sa manche et s'éponge les tempes. Elle me toise de ce regard que les visiteurs de zoo réservent aux animaux les plus répugnants et les plus stupides. Puis, elle se tourne vers sa fille :
- Claire, cesse ce petit jeu imbécile et dis-moi ce qui se passe !
L'ordre a claqué comme un fouet et Claire vacille sous l'impact. J'aperçois au fond de ses yeux la petite fille fragile et craintive, prête à obéir, mais c'est la femme qui répond et sa voix s'efforce d'être ferme. Toute trace de soumission a disparu. Je l'observe avec fierté. Ce soir, Claire sera libre; elle se sera débarrassée de ses chaînes. L'honneur de porter le coup de grâce lui revient :
- Je vais te le dire, maman. J'en ai plus qu'assez de tes ordres, de tes caprices, de tes chantages et de ton hypocrisie. Toute ma vie, tu m'as écrasée, dirigée, manipulée. Maintenant, c'est fini.
La vioque ouvre des yeux si ronds qu'on croirait qu'ils vont rouler de leurs orbites sur la moquette. Son teint a pâli jusqu'à virer au gris. Elle transpire à grosses gouttes. Elle veut parler mais son souffle s'étrangle dans sa gorge. Ma femme a repris son sourire courtois. Elle se penche sur la marmite et en extrait un râble et une bonne dose de sauce à la moutarde :
- Reprends donc de ce plat, maman. C'est la dernière fois que tu auras l'occasion d'en manger.

Vendredi 10 juillet 18h12, la veille

Je suis furieux :
- Enfin, Claire, tu m'avais juré que tu ne l'inviterais plus !!!
Je laisse tomber ma sacoche trempée dans l'entrée et je balance mes chaussures à travers la pièce. Je termine une semaine épuisante et j'espérais passer le week-end tranquille. Je m’affale dans un fauteuil :
- Merde à la fin ! La vieille guenon va encore nous pourrir la vie ! Elle ne devait passer que cinq minutes pour récupérer sa saloperie de chat.
- Je sais...
Ma femme baisse la tête. Elle a déjà retiré son tailleur pour se glisser dans son pyjama de flanelle rose, celui imprimé avec des nounours qu’elle réserve pour les coups durs. Elle murmure :
- Je n'ai pas pu lui dire non. Pauline l'a invitée la semaine dernière...
- Alors, si toi, tu ne le fais pas, tu es une fille indigne. Comme d'habitude ! Tu ne vois donc pas qu'elle te manipule ? Et qu'elle essaie de vous monter l'une contre l'autre, ta soeur et toi ?!
- Je sais que j'aurais dû refuser, Gérard. Mais je n'ai pas pu. Avec ma soeur, elle est ma seule famille.
Claire s'est assise sur le tapis, au pied du fauteuil. Son visage est défait, ses épaules basses. Je me rappelle brusquement que ce n’est pas contre elle que je suis en colère. Je lui prends les deux mains :
- Voyons, chérie, on en a parlé des milliers de fois. Etre ta mère ne l’autorise pas à te traiter comme une esclave. Tu sais aussi bien que moi que cette femme est méchante et qu’elle ne t’aime pas.
- Oui, je le sais...
- Avec toutes les vacheries qu’elle nous a fait, on aurait dû la tuer depuis longtemps.
- C’est peut-être ce que je devrais faire. Et ainsi je serais libre.
Claire est mortellement sérieuse. Elle se lève et vient s’asseoir sur mes genoux. Je la serre dans mes bras :
- Je ne comprends pas pourquoi tu continues à lui céder.
- Parce que je suis faible...
- Tu fais les courses pour elle, alors qu’elle n’est même pas grabataire, tu l’emmènes chez le coiffeur, chez la manucure... Et moi, je suis obligé de tondre sa pelouse, de nettoyer ses carreaux... Sinon, elle nous traite comme si nous étions des sans coeur qui ne nous occupons pas des vieux.
- Et tout l’argent qu’elle nous emprunte et qu’elle ne nous rend jamais sous prétexte qu’elle oublie les choses avec sa tête fatiguée. Ah, maman est vieille quand ça l’arrange !
- Elle n’était pas vieille quand il s’est agi de partir aux Seychelles alors qu’elle avait promis de venir à ton anniversaire !
Claire soupire, les yeux dans le vague :
- Je parie que c’était pour ne pas me faire de cadeau. Elle trouve toujours un prétexte. Tu te souviens quand elle a simulé une crise d’angoisse pour nous faire revenir de vacances ? Les seules vacances que nous ayons prises en cinq ans...
- Et quand elle m’appelle vingt fois par jour sur mon portable pour ses problèmes de messagerie Internet ou d’icônes ! Et qu’elle fait la gueule parce que je suis en réunion et que je ne réponds pas !
- Et quand elle me parle interminablement des gosses de Pauline et de la joie d’avoir des enfants alors qu’elle sait très bien que je suis stérile !!
Ma femme se dresse d’un bond et serre les poings à s’en faire blanchir les jointures :
- Dire que pendant des années je lui ai cherché des excuses. Elle est maladroite, négligente, je me disais. Elle ne pense pas à mal. Bien sûr que si !
- Calme-toi, ma chérie. Le docteur Schwartzman a dit d’éviter les émotions violentes.
- Mais c’est à cause d’elle que j’ai fait cette dépression !! Je ne veux pas la voir. Elle va encore me faire souffrir. Elle me dira des choses méchantes en jouant le jeu de la mère aimante... Je la hais !
Elle essuie rageusement les larmes qui coulent sur son menton et elle secoue la tête, faisant valser ses boucles blondes.. Je souris malgré moi. Comme elle est belle... Et je suis trop lâche pour la protéger. Elle continue :
- Et son enfoiré de chat ! Qui a bouffé nos poissons, qui pisse sur nos tapis, sur notre lit, partout ! Et qu’elle nous donne à garder chaque fois qu’elle s’absente.
- C’est vrai. La prochaine fois qu’il me griffe, je le balance contre le mur ! Souvent, j’ai eu l’impression que ta mère aime plus son chat que toi.
- Moi aussi.
Nous restons un moment pensifs. Tout ça me fait penser que je n’ai pas vu Bob ce soir. D’habitude, il vient toujours m’accueillir. Claire pousse un soupir aussi profond que la fosse des Mariannes :
- De toute façon, elle ne m’a jamais témoigné la moindre affection, sauf en public pour faire bien. Quelle salope... Elle nous a gâché notre enfance, à Pauline et à moi. On n’avait jamais le droit de l’embrasser parce que ça aurait abîmé son maquillage. On était punies chaque fois qu’on se salissait. Des gosses et même pas le droit de jouer dehors ! Je voyais bien que les autres avaient le droit, eux. Et papa qui n’était jamais là... Et pas le droit d’inviter des amis. Et elle nous rationnait parce que la nourriture coûte cher ! Je volais des pommes pour moi et ma soeur.
Elle s’arrête de parler et se remet à sangloter. Je reste là comme un con à la regarder et mon coeur se serre. J’ai toujours été dépassé par la méchanceté de la vieille harpie mais moi, au moins, je n’ai pas eu à la supporter enfant. Claire m’a raconté des trucs qui feraient passer David Copperfield pour une histoire humoristique.
- Et elle n’a jamais pu te supporter non plus, mon chéri. Combien de fois j’y ai eu droit, au couplet : tu mérites mieux que lui, il n’arrivera jamais à rien, c’est un paumé...
- Je n’aurais jamais cru qu’elle appellerait mon patron pour lui dire que je ne méritais pas cette augmentation. Quel culot ! Les bras m’en sont tombés. Au moins, il l’a pris avec humour et s’est contenté de me plaindre d’avoir une pareille tarée comme belle-mère.
- Si elle était là, je lui foutrais des baffes !
- Laissons-la venir demain et parle-lui franchement, Claire. Dis-lui tout ça, une bonne fois pour toutes et, quand elle franchira la porte, que ce soit pour ne jamais revenir.
- Je n’aurai pas la force...
- je serai là, je t’aiderai. Je parlerai avec toi.
Une légère roseur se répand sur les joues de ma femme et ses yeux se font rêveurs. Elle imagine sans doute de ce qu’elle dirait. Elle imagine la vie sans le poids intolérable, étouffant de la vioque. Tout à coup, elle se tourne vers moi et s’enveloppe dans ses propres bras, serrant avec force :
- Elle ne lâchera jamais. Elle appellera chaque jour, chaque heure pour nous le faire regretter. Elle se plaindra auprès de ma soeur, auprès de mes amies... Et puis, elle reviendra, elle la jouera magnanime. Elle ne peut pas se passer de nous. Elle est bien trop feignante pour faire son ménage, ses courses et tout le reste, cette vieille carne.
- Ou alors, il faut que nous fassions quelque chose de si terrible qu’elle ne revienne jamais plus. Quelque chose qui lui fasse peur. Comme crever les pneus de sa bagnole...
- Non, ce n’est pas suffisant.
Un concert d’aboiements et de sifflement en furie et une tornade de poils et de crocs déboule dans le salon. Nom de Dieu ! Cette sale bête de Princesse attaque Bob, notre gentil petit bouledogue, qui ne ferait pas de mal à une mouche !! Comment a-t-elle fait pour sortir du garage où on l’avait enfermée ?? La charogne est toutes griffes dehors ; elle vise les yeux. Bob hurle à la mort. Tout d’un coup, je vois rouge. Je me jette dans la mêlée sans réfléchir. J’attrape la saloperie par le cou. Elle me laboure les bras et me crache au visage. Je serre, je serre aussi fort que je peux. Si je lâche, cette bestiole immonde va tuer mon chien ! Je serre encore ; je veux qu’elle crève !
Un craquement sec. Le chat a cessé de se débattre. Claire me touche le bras et je crie de surprise. Je laisse tomber Princesse qui heurte la moquette avec un petit bruit mou. Elle ne bouge plus. Je crois que je l’ai tuée. Je ramasse Bob qui s’était caché sous le buffet. Le pauvre a la truffe en sang. Dans la salle de bain, je nettoie les blessures du chien, qui se laisse faire, le regard triste. Bob aura droit à une saucisse en guise de réconfort tout à l’heure. Claire finit par briser le silence pesant :
- Allez, amour, c’est pas grave. Cet animal était méchant comme une gale. On va s’en débarrasser et on dira à maman qu’il s’est enfui et est passé sous un camion.
- Le chat était moins coupable que la vieillarde teigneuse qui l’a élevé.
Je retourne au salon, le chien sur mes talons, et je ramasse le cadavre de Princesse. Ma femme continue, à présent d’un calme mortel :
- Demain, c’est la dernière fois qu’on la voit. Tu m’as convaincue. Ca fait beaucoup trop longtemps que je reporte cette confrontation. Je suis résolue à en finir. Le grand soir est arrivé.
Le grand soir. Un dernier repas pour en finir. Une idée horrible germe sous mon crâne. Je la contemple, la retourne avec jubilation, je la jauge. Un sourire sadique déforme mes lèvres et un rire un peu fou tombe de ma bouche, comme une poignée de cailloux pointus :
- Qu’as-tu prévu pour le repas, ma chérie ?
Ma femme hésite, interloquée par ce brusque changement de sujet :
- Euh... j’avais pensé à un lapin à la moutarde, pourquoi ?
- Excellent ! La vioque ne reviendra jamais après demain soir, je peux te le garantir. Tu seras libérée d’elle à tout jamais.
Claire me regarde fixement et moi je regarde le cadavre du chat.
- Pas besoin de lapin, demain soir.



Est', presque pas en retard.


  
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Réponses à ce message :
3 Un chat dans la gorge. - Maedhros (Sam 24 oct 2009 à 15:17)
       4 Grand merci - Estellanara (Sam 24 oct 2009 à 19:18)
3 très bien écrit - z653z (Mar 20 oct 2009 à 13:16)
       4 Grand merci - Estellanara (Mar 20 oct 2009 à 15:23)
3 Commentaire Estellanara, exercice n°68 - Narwa Roquen (Dim 18 oct 2009 à 20:30)
       4 Merci chère lectrice - Estellanara (Lun 19 oct 2009 à 13:55)
3 J'adore le lapin! - Maeglin (Sam 17 oct 2009 à 10:57)
       4 Merci cher lecteur - Estellanara (Lun 19 oct 2009 à 13:59)
3 Mouahaha - Netra (Ven 16 oct 2009 à 23:30)
       4 Merci !! - Estellanara (Lun 19 oct 2009 à 14:02)
       4 Beurk ^^ - Elemmirë (Sam 17 oct 2009 à 19:33)
              5 Merci pour ta lecture - Estellanara (Lun 19 oct 2009 à 14:05)


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