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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 15 octobre 2009 à 23:35:35
Innocence



Elle l’avait senti. Elle s’y attendait. Il y eut des pas précipités dans la petite cour, un piétinement sur les trois marches du perron, et des coups répétés et violents à sa porte. Ils étaient là tous les deux, hagards, échevelés, en nage. Marcus, blond comme les blés de juin, et sa bien aimée Amina, aussi noire de peau que la nuit la plus sombre.
« Ils sont après nous ! Ils veulent la tuer ! »
Il ne demandait jamais. Il n’avait jamais appris. Tout lui avait toujours été donné.
« Entrez. »
Elle ouvrit le tiroir du bahut, près de la cheminée dont la hotte noire de suie était fissurée depuis longtemps. Il lui restait quatre pièces de cuivre et deux d’argent.
« C’est tout ce que j’ai. Prends le cheval dans l’écurie, et file. Je vais essayer de les retenir. »
Il n’avait rien dit, pas même souri. La porte de derrière avait claqué, et quelques instants plus tard elle avait entendu le galop effréné de Gaffett sur la route qui menait aux collines. Elle frissonna. Elle n’avait jamais été courageuse. Elle aurait bien pleuré, mais ce n’était pas le moment.
Elle prit le panier qu’elle était en train de tresser et s’installa sur le banc, contre le mur de sa petite maison délabrée, dont le toit avait plus de gouttières que de tuiles saines. Ses mains tremblaient un peu en croisant les brins d’osier, mais ils ne le verraient pas, elle s’interromprait à leur arrivée.
Ils arrivèrent. Cinquante paysans furieux, armés de fourches et de pelles, troupeau enragé mené par Gildas, comme toujours.
« On sait qu’ils sont là. Fais sortir la fille.
- Bonjour, Gildas. Je vais bien, et toi ? Beaucoup de travail à la forge ? »
L’homme ricana.
« Tu ne fais pas le poids, pour une fois, sorcière ! »
Les hommes du premier rang s’esclaffèrent.
« Laisse-nous passer. »
Grâce se leva, gonflant son opulente poitrine pour se donner contenance. Les hommes instinctivement reculèrent d’un pas. Même Gildas.
« Tu es chez moi, ici, Gildas. Tu n’as pas d’ordres à me donner. Et ma maison est vide.
-Tu mens ! La piste mène ici. Nous l’aurons, cette diablesse, noire comme l’Enfer !
- L’Enfer n’est que dans ton coeur, Gildas, et dans votre coeur à tous ! Ces deux-là ne vous ont rien fait.
- A mort ! », cria une voix. « A mort la négresse ! »
Grâce fit un pas en avant. Les hommes reculèrent encore.
« Montre-toi, justicier de carnaval ! Ton seul courage c’est de hurler dans la meute, hein ? Vous n’êtes tous que des chiens !
- A mort la sorcière ! », cria un autre homme, et son appel fut répété par un choeur de plus en plus excédé.
- « A mort la sorcière ! A mort ! »
Grâce mit les poings sur ses larges hanches. Vêtue de noir, les dominant de toute sa masse du haut du perron, elle gagnait du temps. Marcus avait besoin de temps pour s’enfuir.
« Eh bien, bande de lâches ! Chiens galeux, vous ne savez qu’aboyer ? Rentrez chez vous, avant que ma colère ne s’abatte ! »
Gildas baissa les yeux. Les cris se tarirent. Les hommes passaient d’un pied sur l’autre, prêts à s’en retourner.
« Je les tiens », pensa-t-elle, et elle leva les yeux vers le ciel clair. Une pierre, tirée de loin, la frappa en plein visage. Elle porta ses mains à son nez d’où le sang giclait fort, et un instant, elle ferma les yeux. Ce fut la curée. Ils l’assommèrent de leurs pelles, l’embrochèrent de leurs fourches, la frappèrent de leurs poings, la piétinèrent de leurs lourds sabots, comme une horde sauvage ivre de sang et de violence, hurlant leur rage en insultes triviales et vulgaires, parce que l’homme est aussi cruel que la bête mais se doit de salir sa proie pour s’en différencier.
Ils tirèrent quelques bottes de paille autour du cadavre qu’ils n’osaient pas déplacer, et ils y mirent le feu.
« Qu’elle brûle en enfer, justice est faite », hurla quelqu’un. Puis, étonnés eux-mêmes de leur facile victoire, ils s’en retournèrent repus et satisfaits, frapper leurs chiens et tancer leurs femmes.



Grâce était l’aînée. Une fille, dans une ferme, ça ne vaut rien. C’est tout juste bon à faire la soupe et à nourrir les poules. Aussi poussa-t-elle de son mieux, malingre et broussailleuse comme une terre en friche, jusqu’à la naissance de Marcus, cinq ans plus tard. Lui, c’était l’héritier, celui qui mènerait la charrue quand le père se ferait vieux, celui qu’on devait servir et honorer parce qu’il serait le maître à son tour. Mais l’enfant était capricieux et n’avait pas d’appétit.
« Je ne vais pas jeter la nourriture, tout de même ! Et ce serait péché de la donner aux chiens. Grâce, viens là, mange ! »
« C’est mal de gâcher, Grâce. Finis ça. »
« Termine cette assiette ou tu tâteras du bâton. »
Grâce s’abreuvait de ses larmes et obéissait. La mère souriait, l’appelait « bonne fille ».
Dix ans plus tard, la mère lui ravaudait les vieilles chemises du père, en maugréant que pour lui faire une jupe il fallait le tissu de deux, vu qu’elle était presque aussi large que haute. Et tout le monde ne l’appelait plus que par le surnom que lui avait trouvé Marcus, dans son insolence toute-puissante d’enfant chéri : « la Grasse ».
Elle essayait, pourtant, de ne point trop grossir, ayant vite compris qu’aucun garçon ne la ferait danser au bal tant qu’elle ressemblerait plus à une vache pleine qu’à une jeune fille en fleur. Elle se privait, endurait la faim pendant des jours et des jours, sans que son tour de taille, qu’elle mesurait avec une ficelle, ne variât d’un pouce. Alors, désespérée, elle s’empiffrait de tout ce qu’elle trouvait, pommes, oeufs, mélasse, farine mouillée d’eau, pain rassis et même maïs cru, à s’en faire exploser, à s’en faire vomir, sachant qu’elle serait battue pour avoir volé, mais que pendant un moment, la panse pleine, elle se sentirait comblée, triomphante, heureuse.
Dix-huit ans, elle aurait dû être mariée, et pas un garçon ne lui avait encore effleuré la main. Vingt ans, la mère ne lui adressait plus la parole et le père grommelait « bouche inutile » quand il la croisait. Pourtant elle travaillait, sans rien demander, sans se plaindre.
Un jour Marcus la suivit à la rivière, et tandis qu’elle se baignait, en chemise, tous les garnements du village, qu’il avait entraînés avec lui, sortirent des fourrés pour se moquer d’elle et lui jeter des pierres. Elle rentra à la ferme, la lèvre fendue, honteuse et furieuse à la fois. Elle gifla Marcus. Il cria. Le père la mit dehors.



Elle trouva refuge dans une masure abandonnée, près du village voisin. Elle s’employa dans les fermes, mais bien vite les gens se moquaient d’elle derrière son dos et il y avait toujours un mauvais plaisant pour lui faire un croche-pied.
Alors elle se mit à tresser des paniers pour les vendre au marché ; elle cultivait un petit potager, élevait quelques poules. Elle se nourrissait peu mais ne maigrissait pas, et ça n’avait plus d’importance.
Un soir elle entendit le bruit d’une charrette sur le chemin, et des voix.
« « Il va crever, ce chien, j’te dis ! Tiens, jette-le là, ça lui fera de la compagnie, à la Grasse, elle pourra même le bouffer si elle veut ! »
Le chien avait couiné en tombant. Dans le silence elle était allée le chercher sans oser allumer la lampe. Il était maigre et vieux, et avait une vilaine plaie à l’épaule, qui empestait la pourriture. Elle le coucha sur la paille, le nourrit, le soigna. Une vieille femme qui vendait des herbes sur le marché lui avait appris quelques recettes. Le chien guérit.
Tout se sait dans les villages, et le reste s’invente et se colporte avec la même sincérité véhémente. Elle avait ressuscité un chien qui puait déjà la charogne, c’était donc une sorcière, d’ailleurs c’était pour cela que son père l’avait chassée, et depuis son départ les récoltes étaient bien meilleures.
Sorcière, pourquoi pas ? S’ils la craignaient un peu, ils n’oseraient plus lui faire du mal. Elle s’habilla de noir. Ses paniers se vendaient mieux, et plus personne ne marchandait. Souvent on lui laissait une bête malade attachée à la barrière pendant la nuit, une chèvre, une vache, un cheval. Quand on revenait la chercher, une autre nuit, on lui laissait une offrande, un sac de farine ou de lentilles, des fromages, un lièvre ou un faisan fraîchement tués. Elle avait de la chance, tous les animaux qu’elle soignait guérissaient rapidement. Seule la vieille marchande d’herbes n’était pas dupe, mais cela l’amusait bien, elle en avait vu d’autres, et puis ce n’était pas ses affaires. Elle vendait ses herbes, et Grâce lui en achetait de plus en plus.


On ne parlait plus que de ça, sur le marché. Un homme noir ! Noir comme la nuit, comme l’enfer, comme la mort ! Et il avait avec lui une femelle, avec des seins lourds comme des pis, et des cheveux tressés comme les crinières des chevaux les jours de foire. Et ils avaient une fille, une sauvageonne au regard fuyant, sûrement aussi vicieuse que ses parents. Ils vivaient sous une tente. Ils empestaient l’animal sauvage, pire qu’un troupeau de putois ! C’était sûrement des assassins ou des sorciers, enfin des créatures du diable ! Il aurait fallu les chasser... mais s’ils se vengeaient ? On les avait à l’oeil, on était plus nombreux, on verrait bien...


Et alors le fils de Borde Basse, oui, le Marcus, il lui a offert un ruban pour ses cheveux, si, si... Et le Toine les a vus s’embrasser au clair de lune. Non ? Si, si ! Elle lui a jeté un sort ! Ah tu aurais vu la tête du père Matthieu quand Marcus lui a dit qu’il voulait l’épouser ! Attends, j’étais sur le chemin, je ramenais l’âne du marché, j’ai tout vu. Le père il a ouvert des yeux comme des soucoupes, il fendait ses bûches, il s’est arrêté la hache en l’air, j’ai cru qu’il allait fendre son fils ! Il a hurlé :
« Jamais, tu m’entends, jamais ! »
On a dû l’entendre jusqu’à la mer ! Le jeune est parti en courant, et le Matthieu, les poings serrés, il est parti voir le père Thomas, à la forge. Ben non, je l’ai pas suivi, c’était mon chemin. Et ça a discuté, ça a crié, et les voisins sont venus voir...


« Pauvre Marcus », pensa Grâce. « Pour une fois il se pourrait qu’il n’obtienne pas ce qu’il désire. Pourra-t-il le supporter? Tout a toujours été si facile pour lui... Mais je le connais, il ne renoncera pas. Têtu comme une mule, tellement habitué à voir céder les autres... »
Elle rit sous cape.
« Mais le père, ça m’étonnerait qu’il change d’avis. Déjà quand les Dilly sont arrivés, il a mis deux ans avant d’accepter de leur vendre ses oeufs, parce qu’ils venaient du nord et qu’un étranger, ça ne peut pas être honnête... Il vaudrait mieux que je ne traîne pas en chemin. On ne sait jamais... »


« Je les tiens » fut sa dernière pensée. Elle leva les yeux vers le ciel clair. Et puis... le nez en sang, elle ne sentit que le premier coup, violemment asséné sur sa tête, où explosa en mille feux un soleil d’apocalypse. Puis une grande lumière blanche, et la nuit, le silence.
Ainsi meurent les innocents, sans qu’une larme ne soit versée.
Narwa Roquen,de plus en plus à la bourre...


  
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Réponses à ce message :
3 Exercice 68 : Narwa => Commentaire - Estellanara (Mer 16 dec 2009 à 15:46)
3 Avec elle vient la foi. - Maedhros (Dim 18 oct 2009 à 17:31)
       4 "Il paraît qu’avec Internet, les horizons se sont ouverts à tout jamais" - z653z (Lun 19 oct 2009 à 15:54)
3 Mouais... - Netra (Ven 16 oct 2009 à 13:29)
       4 Droit de réponse - Narwa Roquen (Ven 16 oct 2009 à 22:51)
              5 Certes, - Netra (Ven 16 oct 2009 à 23:17)
                   6 Premier paragraphe - Elemmirë (Dim 18 oct 2009 à 12:49)


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