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 WA, exercice n°59 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Mercredi 15 avril 2009 à 22:35:17
Cette fois, la consigne sera on ne peut plus ouverte. Il s’agit simplement d’écrire une histoire dans le genre fantastique. Afin d’ôter toute ambiguïté, je suis allée me promener sur Google, qui m’a répondu que dans une histoire de ce genre « une perturbation irrationnelle apparaît soudain dans la vie quotidienne et le doute, l’inquiétude, persiste tout au long du récit quant à la nature de cette perturbation ». Je ne vous apprendrai pas que dans la catégorie d’auteurs de ce genre se rangent S. King, Lovecraft, Shelley, Poe etc...
Vous avez deux semaines, jusqu’au jeudi 30 avril. Soyez fantastiques, j’en frémis d’avance...
Narwa Roquen,qui a horreur des portes fermées


  
Ce message a été lu 17577 fois

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2009-04-27 22:21:37 

 WA, exercice n° 59, participationDétails
Le côté gauche






Le gars m’avait regardée comme si je lui avais dit que je rentrais d’un voyage sur Mars, avec un mélange d’incrédulité et de mépris.
« Je vous assure, docteur... Ca fait déjà plus d’une semaine...
- Bien sûr... Mais vous avez des douleurs, de la fièvre ? Vous vomissez ?
- Non, je vais bien. Mais je sens moins mon côté gauche. Je m’en suis aperçue au cours de yoga, vous savez, on se concentre tantôt sur le côté droit, tantôt sur le côté gauche, on fait des visualisations... Et le côté gauche, j’arrivais pas à le sentir... »
Je crus discerner chez lui comme une once de soulagement.
« Alors, j’en ai parlé au prof, et il m’a dit de me concentrer davantage, d’envoyer de la lumière à gauche, de mettre de la chaleur, de la lumière blanche... mais ça n’a pas marché.
- Hem... Bon, je vais vous examiner. »
Il devait avoir la quarantaine, cet âge où on croit que c’est arrivé, qu’on n’a plus rien à apprendre et rien à prouver, et que le monde doit se plier à notre désir, parce que nous, on sait. Il aurait pu être mon fils, sauf que mon fils est toujours respectueux de mon avis – mes filles aussi, d’ailleurs. Il ne s’était pas lavé les mains, sans doute était-il persuadé d’être institutionnellement au dessus de tout soupçon, et que même les microbes le savaient. Après tout, il portait une blouse blanche.
Il me tapota les réflexes, sans conviction, et me demanda si, les yeux fermés, je sentais qu’il me piquait. Je sentais.
Il me sourit comme un chat devant un moineau.
« Voilà. Tout va bien. Vous n’avez rien. »
Mais moi je sentais quand même moins bien mon côté gauche.


La semaine suivante, je suis allée voir un autre médecin. Pour changer, c’était une femme. Elle devait avoir trente ans, et son cabinet était dans sa maison d’habitation. Son téléphone n’arrêtait pas de sonner.
« Oui... Non... Attends un peu, tu veux... »
« Madame Mercadier... Oui, je sais... Je passerai ce soir... Dès que je peux... »
« Oui, bien sûr... Je me dépêche, mon chéri... »
« Monsieur Legrand... Ce soir ? Oui, bien entendu... A ce soir... »
« Ecoute, papa va rentrer dans dix minutes... »
Elle avait les yeux cernés et l’air de porter le monde sur ses épaules. Les cheveux déjà striés de gris, relevés à la va-vite par un serre-tête comme on en portait dans les années 60, et habillée comme une bonne soeur, chemisier blanc et jupe plissée bleu marine. Elle n’avait jamais dû aller chez les soeurs, sinon elle y serait devenue allergique, à cette foutue jupe... A moins qu’elle n’ait été tellement intoxiquée qu’elle ne pouvait plus concevoir de s’habiller autrement pour être décente... Comme si ça intéressait le Bon Dieu la manière dont les femmes s’habillent...
Elle m’a examinée soigneusement, la tension, le pouls, le coeur, les réflexes, l’aiguille pour piquer, et marcher les yeux fermés, et suivre son doigt du regard, et faire les marionnettes, et savoir si elle touchait l’index ou le majeur, si elle mettait mon pouce vers le bas ou vers le haut... J’ai eu bon partout mais ça n’a pas eu l’air de lui faire plaisir.
« Ecoutez... votre examen est normal. Je ne sais pas ce que vous avez. Je vais vous envoyer voir un spécialiste. »
Débordée, mais honnête.
Sauf que je sens de moins en moins mon côté gauche. Je dois faire très attention quand je me déplace, sinon je me cogne sans arrêt dans les meubles et les chambranles de porte, comme si tous mes repères corporels avaient changé.


Ah, le neurologue ! Il a lu attentivement la lettre de la généraliste, a hoché la tête, ne m’a pas examinée, a prescrit des radios, une prise de sang, un scanner, et encore d’autres examens, pour voir comment circule l’électricité dans ma tête, mes nerfs et mes muscles. Je savais pas que j’avais plein de circuits, comme ça, une vraie centrale électrique ! L’idée m’a bien amusée, sauf quand il m’a tendu sa note d’honoraires, franchement exorbitante. Sans doute pour me prouver qu’il était compétent.
Alors que mon côté gauche, quand je me déshabille, est devenu presque transparent...



Tous les examens sont normaux. Le scanner du cerveau, les globules et les enzymes, l’électro pour la tête et l’électro pour les muscles.
Je tends les deux mains devant lui.
« Est-ce que vous voyez mes deux mains de la même manière, docteur ? Parce que moi, la gauche, je ne la vois plus ! »
Il ne répond pas et me tend une lettre pour un confrère psychiatre. Il m’explique que parfois le cerveau nous joue des tours comme ça quand on a des soucis, et qu’il faut en parler à quelqu’un dont c’est le métier d’aider les gens à surmonter leurs épreuves.
Je n’ai pas cinq ans et je sais ce qu’est un psychiatre. Personnellement, ils me font moins peur que les CRS.
Très content de lui, il empoche un deuxième chèque pharaonique, avec la satisfaction du travail bien fait. J’ai toujours envié les gens qui ont une haute estime d’eux-mêmes et pas la moindre propension à se remettre en question.



Je ne verrai pas le psy avant la fin du mois, et ça m’arrange car ma retraite a fondu comme neige au soleil – ou comme mon côté gauche, désormais totalement invisible. Dans le miroir il remplit encore mes habits mais mon gros problème c’est pour me chausser quand je suis pieds nus. Je passe un temps infini chaque jour à trouver comment mettre ma pantoufle gauche pour qu’elle me suive quand je marche. Souvent je renonce et je reste pieds nus, mais sur le lino ça fait froid. Pour les chaussettes c’est encore plus difficile, quand j’y arrive je reste deux ou trois jours sans les enlever... Bon, ça prouve que même s’il me boude sérieusement, mon côté gauche existe encore.


Je ne vais plus au yoga. Je ne saurais pas comment dire ça au prof et je suis dans l’impossibilité absolue de méditer avec un côté en moins. En faisant un gros effort d’adaptation j’arrive maintenant à éviter les meubles, c’est déjà ça. Ce qui m’étonne le plus c’est que personne ne remarque que je n’ai plus de main gauche dépassant de la manche de mon manteau, mais les gens ne voient que ce qui les arrange, et comme je vis seule, je n’ai personne de proche qui me regarderait vraiment. Une autre chose est également surprenante : c’est que cette main gauche, que je ne vois ni ne sens plus, continue malgré tout à remplir son office ; elle tient la savonnette, la fourchette, les habits, sans se tromper. C’est un fantôme, mais un fantôme intelligent et serviable.


« Avez-vous eu un stress important dans les derniers mois ? Un déménagement, la perte d’un parent, d’un ami... ou d’un animal... un changement de situation, une rencontre désagréable... ou agréable au contraire... »
Je réfléchis. L’employé du gaz... Non, ça ne m’a pas troublée... J’ai gagné vingt euros au Loto, le facteur a été remplacé par une factrice...
« Non, pas de stress.
- Est-ce que vous consommez des médicaments, de l’alcool ? »
Je secoue la tête.
« Vous dormez bien ?
- Comme un caillou.
- Un caillou... Qu’est-ce que ce mot évoque pour vous ? Un conflit, une statue, une pierre tombale... »
Un caillou, c’est un caillou. Le genre de chose qui reste là où on le met. Ce type a une imagination délirante, mais moi je suis plutôt les pieds sur terre, j’ai commencé à travailler à seize ans, pas trop le temps de s’inventer des histoires.
Il m’a libérée après une heure entière. J’ai retrouvé le souvenir d’une grosse dispute avec ma copine Claudine, dans la cour de l’école, la mort du chat de ma grand-mère, ma fierté à ma première paie, ma joie d’épouser Edouard... Mais si le psy avait l’air content, moi ça ne me donne pas l’impression d’avancer. Il m’a donné rendez-vous pour la semaine prochaine, avec la consigne de noter mes rêves.
« Le côté gauche représente le passé », m’a-t-il expliqué. « Il y a un évènement de votre passé que vous voulez absolument effacer parce que ce souvenir serait trop douloureux, et votre corps a trouvé ce moyen pour vous aider. »
C’est séduisant. Mais je ne vois pas comment je peux vouloir effacer quelque chose dont justement je ne me souviens pas...


Ca commence à empiéter sur mon visage et ça déborde gentiment sur le côté droit. J’ai appelé mon amie Odette, qui habite à deux cents kilomètres, et je lui ai proposé de passer l’après-midi avec elle. Elle a accepté avec plaisir.
Elle m’a offert le thé, avec une délicieuse tarte aux pommes. Nous avons évoqué le bon vieux temps, quand nous étions débordées par le travail et les enfants, quand on se demandait si nos maris nous aimaient toujours et qu’il nous manquait toujours cinquante francs pour finir le mois...
Elle souffre beaucoup de ses rhumatismes, elle a des médicaments pour le coeur, la tension, les varices, l’arthrose...
« Tu as de la chance, toi, tu trottes comme un lapin... »
J’ai failli lui dire « un demi lapin », mais elle n’avait rien remarqué. Peut-être aussi que sa vue baisse. Ou alors elle est tellement préoccupée par son propre corps qu’elle ne peut plus regarder celui des autres.


J’ai raconté au psy ma vie avec Edouard. Il était ouvrier à l’usine, il faisait les trois huit, et avec les heures sup ça donnait un bon salaire. Moi j’étais coiffeuse dans un petit salon du centre ville, ma mère qui habitait tout près gardait les gosses, on travaillait beaucoup mais on y arrivait. On n’a jamais pris de crédit ! Sauf pour acheter la maison, bien sûr. C’était pas la fête tous les jours, avec Edouard, on peut pas dire qu’il avait le sens de l’humour et il fallait que ça file doux. Mais je savais que là où il était j’avais ma place près de lui, et qu’il n’aurait laissé personne me manquer de respect. Ca fait cinq ans, maintenant. Un matin, il ne s’est pas levé. Il n’a pas souffert. Ca a été dur au début. Puis j’ai vendu la maison, elle était trop grande et j’avais trop de souvenirs. J’ai pris un petit appartement au rez de chaussée, et j’ai donné le reste de l’argent aux enfants.
Le psy m’a écoutée sans rien dire. Son imagination était en panne ?
« A la semaine prochaine. Ne vous inquiétez pas. Vous y arriverez. »
Est-ce qu’il sait à quoi, au moins ?


Je ne distingue plus mon visage dans le miroir. Je me lave dans le vide, je me coiffe dans le vide, c’est assez inquiétant. Enfin en tout cas je pense que je me lave et que je me coiffe. Je vois encore le bord droit de mon corps, mon bras et ma jambe. C’est peu. A part ça, je vais bien.
J’ai appelé mon fils, mais il était en séminaire à Washington, et ma belle-fille n’a jamais été du genre causant. Véronique, mon aînée, c’est même pas la peine, elle est toujours en voyage. Depuis son divorce, elle court après d’invisibles lièvres aux quatre coins de la planète. Ca l’occupe. Comme ça elle ne pense pas qu’elle n’a pas d’enfant et qu’il sera bientôt trop tard. C’est sa vie. Mais moi je me demande ce que j’ai raté pour qu’elle ne pense qu’à sa carrière et pas à sa vie de femme.
Alors j’ai appelé Stéphanie, qui élève ses trois enfants. C’est vrai que c’est loin, Paris, mais ça fait plus d’un an que je ne les ai pas vus.
« Oui mais tu sais... C’est petit, chez toi, et en ce moment, on pourrait pas s’offrir l’hôtel... Arthur, viens parler à mamie... »
J’entends la voix lointaine du gamin (bientôt dix ans).
« Oh la barbe, dis-lui que je ne suis pas là ! »
« Ah... Désolée, je crois qu’il est chez les voisins...
- Mais je pourrais peut-être passer vous voir...
- Oui, oui, bien sûr... Mais en ce moment on fait des travaux dans la maison de Normandie, on y est tous les week-ends, il faut s’occuper du chantier, tu comprends... Et en semaine, tu sais ce que c’est, Patrick travaille beaucoup, il est en plein plan social, c’est pas facile, les ouvriers menacent de faire grève et les syndicats ne veulent rien entendre... Et puis les enfants ont leurs activités... Et puis cet été on part en Norvège, on a absolument besoin de faire le break... C’est pas commode... Mais bon, de toute façon tu vas bien, hein, on a tout le temps... »
Je me suis retrouvée toute bête, mon téléphone à la main. Pourtant elle nous a toujours vus, son père et moi, militer pour le Parti, et au premier rang dans toutes les manif... Elle a épousé un patron, elle a inscrit ses enfants dans le privé, tennis, golf et va savoir quoi d’autre... Ils s’occupent du chantier ! Ils font travailler des gars au black le dimanche, oui ! Je le connais, le Patrick, il s’arracherait une dent plutôt que de planter un clou... Ah, mon pauvre Edouard, heureusement que tu n’es plus là pour voir ça...


Cette fois, ça y est. Je me suis levée ce matin, et je crois bien avoir enfilé ma robe de chambre, machinalement. Mais quand je me suis regardée dans le miroir de la salle de bains, il n’y avait rien. Rien. Ni moi, ni ma chemise de nuit, ni ma robe de chambre. J’ai eu très peur. Je me suis palpée de partout, mais je n’ai rien senti. Ni la sensation du bras qui bouge, ni celle de la main qui touche, ni celle du corps touché. Du vide. Je suis du vide. Et ça contamine même les habits ! J’ai essayé de téléphoner, mais ma main – ou l’idée qui me reste de ma main – a traversé le téléphone. J’ai appuyé sur les touches mais elles n’ont pas bougé. J’ai voulu ouvrir la porte, impossible. J’ai appuyé mon front contre elle, et je suis passée de l’autre côté. Impressionnant. Je suis un passe muraille. Enfin, je dis « je » par habitude, mais je ne sais pas si c’est encore adapté. Ma forme ? Mon fantôme ? Mon esprit ?
Je suis sortie dans la rue. Avec un peu de chance, si c’est juste mon cerveau qui délire, les gens vont s’arrêter, me dire « Enfin, madame, on ne sort pas en robe de chambre ! » J’ai marché dans la rue. Un jeune en skate board m’a traversée... Ca fait une drôle d’impression, comme une vague qui vous renverse et vous fait rouler, sauf que là c’est plutôt comme un courant d’air froid qui vous tourneboule... Personne ne m’a vue, personne ne m’a parlé. Je suis rentrée chez moi.
Il faut que je réfléchisse.
J’ai peur mais je ne sens pas mon coeur cogner dans ma poitrine. Pourtant j’ai souvent eu peur dans ma vie, et plus d’une fois j’ai cru que mon coeur allait exploser tellement il battait fort. « Ma petite souris », c’est comme ça qu’il m’appelait, Edouard, parce que je tremblais pour un rien. Là c’est la plus grosse peur de ma vie, mais je ne ressens rien. C’est le silence dedans. J’entends les bruits de la rue, je vois les meubles autour de moi, mais « je » ne peut plus rien faire. « Je » n’a même plus de voix. « Je » doit être mort, enfin, ça semble logique. Sais pas où est passé mon corps, mais ça n’est pas très important. N’ai pas mal. N’ai rien compris, mais n’ai pas souffert. Aurais voulu revoir mes enfants, encore une fois. Odette, elle, elle est croyante, elle dit qu’après on va au ciel et on peut encore voir les gens sur la terre. Mon prof de yoga dit que les esprits parfois peuvent revenir.
De toute façon « je » n’y peut plus rien, puisque « je » n’est plus.
Mon esprit s’assied dans mon fauteuil, il va falloir que je parte d’ici, il paraît qu’il y a un tunnel à franchir, avec de la lumière au bout, c’est ce que j’ai lu. Avant. Je ferme les yeux. Je dois bien encore avoir des yeux puisque quand je les ferme il fait tout noir. Et j’ai vraiment très peur. En fait, je me demande qui a peur, puisqu’il n’y a plus de « je ». Ca doit être une pensée périphérique, comme dit mon prof de yoga. Mais qui les insuffle ? Qui est à la périphérie ? J’ai l’impression d’être à la fois dehors et dedans, de ne plus avoir de limite, ni corporelle ni mentale. Je me dilue dans ... quelque chose. C’est un peu compliqué mais la compréhension n’est pas essentielle. Le ressenti, lui, n’est pas désagréable. C’est juste ... nouveau, déroutant. Et puis de toute façon je n’ai pas le choix. Je suis passée. Comme ils sont passés à côté de moi sans me voir. Je les aime encore, pourtant. Je les aimerai toujours.
Le psy s’est trompé. Le côté gauche, c’est pas le passé. Le côté gauche, c’est celui du coeur.
Narwa Roquen, ohé... est-ce quelqu'un me voit?

Ce message a été lu 6088 fois
Netra  Ecrire à Netra

2009-04-27 22:49:02 

 WA-exercice 59, ça commence à en faire !!! Détails
Petite participation express, ne m'en voulez pas j'suis en partiels (quelle horreur !)


A cup of tea.


Je pose ma tasse de thé sur le comptoir avec un petit toc dans la soucoupe. ça fait toujours "toc", une tasse de thé. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est comme ça. Je regarde le reflet du patron dans le miroir. Je devrais être à côté de lui...
Hé !
Je n'y suis pas ! Où est mon reflet ?
Je regarde dans la tasse de thé encore à demi pleine. Mon reflet y tremblote paisiblement. J'avale d'un trait le liquide encore brûlant.
- Une autre tasse, peut-être ?
La vieille dame qui me toise a l'air très gentille. Elle est toute ridée, une vraie pomme au printemps. Je lui souris.
- Je vous l'offre, ma petite, dit-elle en bondissant presque sur le tabouret haut.
- Merci, madame... Mais je ne voudrais pas vous déranger !
- Oh, aucun problème. Patron ! Deux tasses de Twinning earl grey, je vous prie !
Tandis qu'il s'exécute, mes yeux retournent irrésistiblement vers le miroir. La petite vieille n'y est pas non plus. Le patron sert le thé. Nous y sommes.
Pas dans le miroir.
Dans le thé.
J'hésite. Je tente de passer la main au travers du bois du comptoir. Elle résiste.
- Oh, n'ayez crainte, vous n'êtes pas un fantôme !
- Mais je...
- Vous êtes bien vivante, ma petite. Vous êtes juste une Changeuse.
- Excusez-moi ?
- Une Changeuse. Votre image apparaît là où vous avez du pouvoir. Votre thé va refroidir.
- Oh ! Oui, merci !
Je bois mon thé en gardant un oeil oblique sur la vieille dame. Elle est toute ratatinée, mais jolie. Une jolie petite vieille.
Le patron débarrasse nos tasses vides.
- Ma petite, je dois vous quitter. Au revoir !
- Au revoir, madame !
Elle me laisse seule. Je continue un moment de regarder le vide du miroir, derrière moi. Il y a un homme assis. Il fait semblant de lire un journal, mais il a un paquet étrange à ses pieds. Il se lève. Il sort. Le paquet est toujours là.
Déclic ; je saute sur le paquet, sors avec, l'enferme dans la première poubelle que je vois, hurle à tout le monde de se baisser.
Détonation.
Je suis en vie. Le bar aussi. La nuit italienne, chaude et douce, est tombée. Le patron du bar m'aide à me relever.
- Merci, mademoiselle.
- Je... De rien ! Qu'est-ce que ?
- J'ai refusé de payer la mafia.
Je réalise soudain ce que j'ai fait. Je suis folle, ma parole !
Le patron me propose de me remettre à l'intérieur, en attendant la police. Je rentre avec lui. Sa femme et son petit garçon descendent, alertés. Comme dans un rêve, j'entends la voix du barman qui raconte ce qui s'est passé. Mais j'ai les yeux rivés sur le miroir. Mon reflet y est revenu.
Netra, orage au désespoir, les vacances sont finies !

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z653z  Ecrire à z653z

2009-04-28 04:32:17 

 "Votre image appartient à ce qui détient ce sur quoi vous avez du pouvoir"Détails
Euuhhh oui ?
Mais à 4h30 du matin, c'est un poil compliqué.
Je relirai plus tard.

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Onirian  Ecrire à Onirian

2009-04-28 13:50:54 

 Ceci n'est pas une participationDétails
Et contrairement à ce que le titre, par esprit de contradiction, pourrait sembler suggèrer, ce n'est effectivement pas une participation.

C'est une question.
"WA", ca veut dire quoi ?

(N'est-ce pas fantastique qu'après une bonne quinzaine de participations je n'en aie toujours aucune idée ?)

--
Onirian, au delà du réel.

Ce message a été lu 7289 fois
Onirian  Ecrire à Onirian

2009-04-28 13:54:48 

 WA-Commentaire 59 - Netra Détails
Comme Z, je trouve la formulation de cette phrase assez peu naturelle.
Ceci étant, le texte court se lit agréablement et ne laisse pas le temps de s'ennuyer.
Une bonne idée "fantastique" comme on n'en fait plus ;-)

--
Onirian, fantasque.

Ce message a été lu 6600 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2009-04-28 14:00:16 

 WA...Détails
C'est Estellanara qui a trouvé cet intitulé: WA, pour "Writers Academy", quand a été lancé ce modeste atelier d'écriture, il y a maintenant 2 ans et demi... A l'époque, elle était une participante acharnée... Puis elle fut une commentatrice acharnée...
Narwa Roquen, je vous parle d'un temps...

Ce message a été lu 6147 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2009-04-28 14:49:48 

 Commentaire Netra, exercice n°59 ( eh oui, et si Fladnag veut, après il y aura la 60!)Détails
Jolie petite participation express, fraîche, enlevée, en plein dans le mille! J'adore ce passage:
"Nous y sommes.
Pas dans le miroir.
Dans le thé."
Ca, ça vaut une chaussette!
A part cette phrase sybilline sur laquelle, comme les copains, je déploie en vain mes trésors d'analyse grammaticale... et qui mériterait sans doute de ta part une légère reformulation, avant que nous n'ayons tous mal à la tête... à part ça, c'est parfait! A se demander pourquoi d'autres participants passent des nuits à aligner des pages et des pages pour un résultat peut-être même pas équivalent... Je vais me trouver des partiels à passer, moi aussi, apparemment c'est efficace!
Narwa Roquen, sous le charme

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Netra  Ecrire à Netra

2009-04-28 18:23:28 

 Phrase capillotractée modifiée.Détails
ça y est j'ai modifié, mais ne vous attendez pas non plus à un truc d'une clarté d'eau de roche, la mémé joue aux énigmes.

Et tant que j'y suis, je demande pardon à Maedhros de lui avoir piqué son sujet favori, mais à force, ça inspire...
Netra, orage au désespoir, les vacances sont finies !

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Indy's  Ecrire à Indy's

2009-04-28 19:05:48 

 Ceci est une participationDétails
Sauf que le texte n'est pas ici! Je l'ai envoyé en participation libre car il est un peu long (le fantastique est un genre incroyablement inspirant!). Je travaille sur un autre texte fantastique, plus actuel, dans la tendance du moment si je puis dire, j'essaie de le terminer à temps pour le poster içi.
Ce message a été lu 6063 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2009-04-28 21:50:10 

 Ben voilà!Détails
cf titre
Narwa Roquen, là c'est cool!

Ce message a été lu 6319 fois
Onirian  Ecrire à Onirian

2009-04-30 14:49:10 

 J'ai plus de vingt ans...Détails
... mais j'ai loupé le fameux post d'Estellarana.

Writers Academy, eh bien pourquoi pas, ca sonne plutôt bien et ca fait moins pompeux que "L'académie des écrivains" (allez savoir pourquoi...).

--
Onirian, academy man.

Ce message a été lu 6363 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2009-04-30 16:07:45 

 I'll be backDétails
Sisi.

Est', sobre.

Ce message a été lu 6305 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2009-04-30 16:19:12 

 I got it !Détails
Ca s'est passé là !

Est', archéologue amateur.

Ce message a été lu 6615 fois
Onirian  Ecrire à Onirian

2009-04-30 16:24:57 

 D'une exploration du passé.Détails
Merci pour les précisions !

--
Onirian, cataphile.

Ce message a été lu 6792 fois
z653z  Ecrire à z653z

2009-04-30 17:12:40 

 Vu que personne n'a encore commenté...Détails
... c'est que tu es en train de disparaître ;)

Le verbe voir est répété encore et encore.

"Sais pas où est passé mon corps" <--- Ne sais pas
"c’est pas le passé"

Ce message a été lu 5977 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2009-04-30 17:35:48 

 Effectivement...Détails
... je me sens un peu transparente ces temps-ci...
Narwa Roquen,qui s'est souvent entendue reprocher de n'être jamais là...

Ce message a été lu 6578 fois
Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2009-04-30 18:29:21 

 Commentaire à une Narwa bien visible :)Détails
Quelle drôle d'impression ce texte... Bien-sûr neurologiquement ça existe la perte de proprioception (perception de son corps), et c'est ce qu'on croit au début du texte. Mais le corps disparaît aussi visuellement... et puis traverse les murs... Et en même temps, c'est parfois un peu l'impression que j'ai quand certaines façons de traiter les personnes âgées me choquent, comme s'ils n'existaient plus, leur corps est là sur un fauteuil, on les lave, on les change, on les nourrit, mais ils n' "existent" plus. Et cette impression de transparence finalement, si elle est du domaine de la science-fiction dans ton texte, n'est pas si éloignée de ce que peut être la réalité, à mon sens.

Bref, un bon texte qui fait bien réfléchir, qui touche et qui remue. Bravo :)

Elemm', j't'ai vue!

Ce message a été lu 6517 fois
Netra  Ecrire à Netra

2009-04-30 23:31:32 

 Commentaire aussiDétails
Zai adoré. J'étais plié de rire du début à la fin. Tu t'es servi du prétexte du fantastique pour foutre une bonne claque à la société, aux toubibs (dieu qu'ils en ont souvent besoin !) aux jeunes, aux vieux...
C'est horrible et drolatique, noir et tendre, délicieusement bien écrit...

Un détail seulement (ça y est, j'en ai trouvé un, niark niark) l'ensemble de la disparition est logique, OK, mais il est étrange que le visage disparaisse avant le côté droit. Après tout, le visage, c'est la dernière chose que l'on oublie, généralement, non ? Enfin si c'est que ça...
Netra, un petit verre de chouchen ?

Ce message a été lu 6295 fois
Eltanïn  Ecrire à Eltanïn

2009-05-02 14:38:22 

 CommentaireDétails
Joli texte, on s'y accroche tout de suite. J'ai cru un moment que de médecins en médecins, quelqu'un allait trouver une explication. Naïve que je suis. Mais à partir du coup de fil à la fille, je me suis dit qu'elle allait vraiment disparaître.
Le sujet, franchement flippant quand on y pense, est traité de façon plutôt légère et sympa, avec une ironie cynique et blasée d'une vieille femme qui n'espérait pourtant qu'un peu d'attention. C'est tellement vrai, ces gens qui disparaissent peu à peu, et pas seulement des vieux.

Juste un détail : "mon amie Odette, qui habite à deux cents kilomètres".
, toujours pas disparue

Ce message a été lu 6750 fois
Eltanïn  Ecrire à Eltanïn

2009-05-02 14:48:00 

 CommentaireDétails
Tiens, encore une histoire d'image. ^^
Un petit texte sympa comme tout, vivant. On saute de phrases en phrases, on ne réfléchit pas plus que l'héroïne, et on se trouve déjà à la fin du texte.
, toujours pas disparue

Ce message a été lu 6853 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2009-05-05 19:28:56 

 WA - Participation exercice n°59Détails
Très en retard... mais débordé ces temps-ci!

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SEPULTURE PUB

L’alarme du radio-réveil retentit. Et si ce n’était qu’un mauvais rêve après tout? Un de ceux qui persistent quelques fractions de seconde après le réveil. Un laps de temps où vacille la perception du réel. Juste le temps de se poser la question. Pas un cauchemar, non, un mauvais rêve qui charrie cette étrange sensation que cela pourrait être vrai. De toute façon, je n’ai pas le choix. Si je pouvais décrocher le téléphone et me faire porter pâle. Si je pouvais rester planqué ici jusqu’à ce que cela se tasse. Car cela va disparaître. Forcément. Je ne suis pas fou et il doit y avoir une explication logique. Consulter un médecin ? Hors de question. Les symptômes que je lui décrirais m’enverraient tout droit au fond d’une cellule capitonnée d’un asile d’aliénés. Je connais leurs méthodes. Mince, je vire paranoïaque! Il faut que je me secoue car aujourd’hui sera une journée décisive.

Alors j’allume la télé. Les images du monde défilent dans le journal du matin. La grippe porcine progresse inéluctablement. Des nouveaux cas sont recensés un peu partout. C’est curieux, je n’arrive pas à me convaincre qu’il y a un risque imminent de pandémie. A ce jour, mille cas d’infection ont été officiellement déclarés à l’OMS dont vingt-trois décès. C’est peu pour une maladie annoncée comme la énième plaie d’Egypte. Bénéfice collatéral, les risques sociaux en paraissent singulièrement atténués. En plus, je voudrais bien connaître le nombre de morts causées par le paludisme. Peut-être une toutes les 30 secondes. Il n’y a pas photo. Je me sens tout ragaillardi. J’éteins la télé à l’instant où résonne le jingle de la coupure publicitaire.

Les infos m’ont remis l’esprit à l’endroit. Tant mieux. En sifflotant un air à la mode, je me prépare une tasse de café. Je ne me sépare jamais de ma petite machine à expresso. J’ouvre la mallette qui contient une collection impressionnante de dosettes aux couleurs variées. J’adore son packaging étudié et luxueux. Je caresse l’écrin de papier de soie qui entoure les dosettes et j’en choisis une noire. Un café fort. Un café mexicain. Un Altura Pluma à l’arôme intense. Excellent choix monseigneur. J’ai une pensée amusée pour le Gringo de la pub. J’espère qu’il survivra à la grippe! Il a intérêt à éviter le Mexique. Je file ensuite dans la salle de bain. Douche et rasage. Le miroir me renvoie l’image d’un homme dans la force de l’âge à la silhouette finalement pas si épaissie que ça, aux cheveux coupés en brosse et aux yeux gris implacables. Les pensées funestes semblent s’être enfin dissipées. Je me fais des idées. J’ai un paquet de rendez-vous ce matin.

Dans mon métier, la relation humaine est primordiale. Je suis un chargé des relations institutionnelles au sein d’un grand groupe mondial, leader dans son domaine d’activité. Je suis l’un de leurs meilleurs spécialistes. Dans le cercle restreint de la profession, on m’a surnommé Shuar-Z. Un jeu de mots pour initiés. Mes maîtres furent des vétérans américains de la guerre psychologique, des sorciers vaudous, des conjurateurs de la City et des moines tibétains renégats. Je suis un magicien chez les magiciens. Car mes employeurs sont bien des magiciens. Des magiciens modernes mais des magiciens comme Merlin n’en a jamais rêvé. S’ils n’ont pas de chapeau pointu ou de baguette magique, ils étudient de sombres formules cabalistiques et dans leurs laboratoires high tech, d’étranges élixirs sont concoctés au fond de marmites d’alu brossé. Là où ils interviennent, les rendements se multiplient.

Je jette un coup d’oeil sur le ciel de Strasbourg. Gris et terne. L’Alsace ne m’aime décidément pas. Aucune importance. Je ne suis pas d’ici et sitôt le job fait, je m’envolerai vers des rivages plus cléments. Monaco, Majorque ou Malaga. Mes employeurs me paient bien. Il y a ici un endroit qui m’attire comme l’aimant attire la limaille. Le Parlement européen, l’instrument de normalisation législative d’un marché de plusieurs millions de clients potentiels. Je dois rencontrer aujourd’hui plusieurs eurodéputés. Les rencontrer et les convaincre que les OGM ne sont pas dangereux pour la santé des consommateurs. J’ai un attaché-case rempli de solides arguments. Certains ont des contreparties sonnantes et trébuchantes. J’aime mon travail : circonvenir subtilement et gagner une nouvelle voix à la cause. Enfin, la cause de ceux qui me paient. Je suis un lobbyiste. Mon laissez-passer nominatif est renouvelé sans difficulté chaque année par les questeurs.

Je vérifie une dernière fois mon apparence dans le miroir du vestibule. Je modèle ce sourire rassurant et compétent qui plait tant aux technocrates et aux politiques. Irréprochable dans mon complet veston acheté dans une boutique huppée de Londres, on me donnerait l’absolution sans confession. Je connais ma partition sur le bout des doigts. Si à midi, je n’ai pas débauché au moins deux eurodéputés pour réduire l’écart qui me sépare de la majorité de l’Assemblée, je ne m’appelle plus Shuar-Z. Mon second surnom est Terminator. Rien à voir avec le gouverneur de la Californie ou avec l’androïde venu du futur même si cela explique le Z de Shuar-Z. Après moi, rien ne repousse.

Je referme la porte de l’hôtel. Ma chambre y est réservée à l’année. Je laisse la machine lustrer mes souliers vernis et je ramasse le journal « Les Dernières Nouvelles d’Alsace » qui traîne sur un fauteuil. Je vais pour l’ouvrir à la page « Economie » quand je blêmis en voyant ce qui me saute aux yeux sur la dernière page. Je ferme vivement les paupières et puis les rouvre mais c’est toujours là. Ce n’est pas possible. J’ai déjà vu cette pub avant. Elle n’était pas comme ça. Le grain grossier du papier journal souligne davantage le caractère inconcevable de cette image. Je suis saisi d’un tremblement incoercible, laissant tomber le canard sur la moquette du couloir. Calme-toi ! Reprends-toi !

Je respire profondément tel un plongeur qui se prépare à une périlleuse descente en apnée. Mes rares leçons de sophrologie, ou ce qu’il m’en reste, m’aident du mieux qu’elles peuvent dans cet exercice. Je recouvre peu à peu une contenance toute relative. Un autre pensionnaire de l’hôtel surgit alors de l’ascenseur. Il me fait un signe cordial, l’air vaguement étonné. C’est sûr qu’il y a de quoi l’être en me voyant immobile au milieu du couloir, avec un journal éparpillé autour des pieds. Tant pis pour ma réputation, il faut que je récupère un semblant d’équilibre.

Ce n’était donc pas un rêve. Cela a recommencé. Je suis victime d’hallucinations. Des hallucinations sélectives. Avec un contexte récurrent. Je ne suis même pas sûr que mes symptômes soient répertoriés dans le grand livre des désordres mentaux. Je dois m’enfoncer dans une sorte de folie puisque je suis le seul à qui cela arrive. Paranoïa. Schizophrénie. Psychose. Névrose. Tous les termes psychiatriques me reviennent en mémoire. Au moins celle-là ne flanche pas. Mon mobile sonne, me tirant brutalement de ma rêverie. C’est une alarme préprogrammée me rappelant que l’heure de mon premier rendez-vous approche et que le temps de trajet pour me rendre au Parlement va rapidement écorner mes chances d’être ponctuel.

Je finis tant bien que mal de m’extirper de cette angoisse tétanisante. Je froisse le journal en boule, et, en veillant à ne pas le regarder trop directement, je le jette dans la corbeille du couloir avant de me précipiter dans l’escalier. Il me faut rejoindre la station du tramway qui m’amènera directement au Parlement. J’ai choisi un hôtel proche de la ligne E. La circulation est dense sur le boulevard et je dois attendre un répit dans le flot des véhicules qui défilent sur l’asphalte. Entre deux voitures garées le long du trottoir, je surveille le bon moment. L’air est vif. Une sorte de brume, légère et grisâtre, stagne sur la métropole alsacienne. Je me sens beaucoup plus à l’aise au milieu de toute cette agitation : les bruits des moteurs et des pots d’échappements, les sirènes de police dans le lointain, les coups de klaxon, les crissements des freins, les visages des passants, les couleurs, les odeurs... le carrousel de la vie quoi ! Le feu passe au rouge et la file de véhicules s’immobilise progressivement jusqu’à mon niveau. Je traverse à grandes enjambées, pouvant déjà distinguer la borne qui signale la station du tramway, à quelques distance de là.

J’atteins l’autre trottoir et j’accélère encore le pas. Le chronomètre tourne toujours. Il n’y a pas un instant à perdre. Je longe la voie protégée du tramway quand j’aperçois l’aubette sous laquelle se serrent quelques voyageurs qui attendent la prochaine rame. Comme tous les mobiliers urbains, elle est le support idéal pour les publicités. Celle-là ne faillit pas à la règle et même si je suis encore assez loin, je devine qu’il s’agit d’une publicité pour une marque très connue de sous-vêtements féminins. Elle appartient à cette catégorie d’affiches qui jouent discrètement avec le porno chic. Un mannequin de luxe BCBG aux proportions idéales, des dentelles et des bas résille, un éclairage charnel et tamisé et une pose suggestive pour aguicher le regard. Personnellement, dans le genre, je préfère la série des leçons qui, à mon avis, sont encore plus sensuelles car cadrées au plus près de la peau, vaguement intemporelles dans leur composition en noir et blanc. Mais celle-ci est l’affiche du moment, placardée à tous les coins de rues. Il faut être aveugle pour ne pas la remarquer.

Je m’approche et les contours s’affinent. Mes regards sont magnétiquement drainés vers l’affiche dont les détails se précisent. Encore quelques pas. J’ai un haut-le-coeur que je ne peux réprimer totalement. Ce n’est pas un mannequin qui me lance une oeillade blasée et mordorée. La lumière ne joue pas avec les pleins et les déliés de ses seins et le galbe de ses cuisses. Non. Pourtant les sous-vêtements sexy et provocants sont bien les mêmes. Le porte-jarretelle en dentelles est parfaitement à sa place et les bonnets du soutien-gorge modèlent des cônes irréprochables. Mais il n’y a pas cette magnifique créature qui joue distraitement avec une boucle de sa chevelure blonde. Non. C’est un cadavre qui m’observe, un cadavre aux chairs putrides et sanguinolentes, aux couleurs violacées et maladives. Sous un crâne dégarni, son nez est rongé par les vers, ses yeux roulent dans des orbites creuses tandis que sa bouche, où les lèvres ont disparu, baille dans un rictus grotesque. Mais le plus effroyable, c’est qu’elle paraît me regarder moi... on dirait qu’elle me connaît... Hypnotisé par cette vision d’horreur, au réalisme défiant toute imagination, je fais encore quelques pas, une envie de vomir remontant douloureusement dans la gorge. C’est réel. Je crois que je ne suis pas loin de m’évanouir. Je lutte contre une vague nauséabonde qui menace de me submerger. C’est ça devenir fou ?

Les autres voyageurs ne remarquent pas mon vertige. Ils contemplent des points distants, indifférents à ma détresse. Je desserre le noeud de ma cravate en soie italienne. Une fine sueur perle sur mon front que j’essuie du mouchoir tiré d’une poche. Les globes de gélatine me fixent toujours. Dans ma poitrine, j’ai le coeur qui bat la chamade. Je ne peux me retourner, fuir leur regard. Non. Une force implacable me pousse à demeurer en face de cette... chose.

Heureusement, la cloche de la rame en approche me libère de ce joug infernal. Les portes s’ouvrent et je me jette dans le wagon, bousculant un homme qui me lance d’abord un regard mauvais. Puis, voyant l’état dans lequel je me trouve, il se ravise et en maugréant, s’éloigne vers l’autre extrémité de la voiture. Le tramway s’ébranle et l’aubette disparaît. Mon délire a un lien avec les publicités. Je ne sais pas pourquoi ni comment. Hier à l’aéroport, ce matin dans le journal... cela empire manifestement. C’est décidé. Je vais rechercher un spécialiste dès ce soir.

Je consulte ma montre. Je suis dans les temps. J’essaie de me reconcentrer. Mon coeur se calme et retrouve un rythme plus normal. La crise est passée mais elle est chaque fois un peu plus violente, un peu plus profonde, un peu plus déstabilisante. Pourquoi verrais-je des cadavres à la place des mannequins de mode qui s’exhibent sur les panneaux publicitaires? Des cadavres de plus en plus déliquescents, de plus en plus décomposés. Hier, la femme sur la publicité pour ce parfum, à l’aéroport. Elle avait des cloques et des abcès qui lui couvraient toute sa peau dénudée. Des vésicules lourdes de flux malsains et des bubons difformes et purulents. Et puis cet homme dans le journal de ce matin qui vantait les mérites de ce roadster allemand. Son visage était horriblement écorché. La peau avait complètement disparu, laissant à nu les tendons et les muscles faciaux. Ils ont un point commun. Cette connivence qui semble les unir à moi. Ne plus y penser. Je souffre d’une pathologie mentale sérieuse. Il faut que j’aille voir un psy ou un docteur. Ou le curé ? Je suis peut-être possédé ? Pardonnez-moi mon père parce que j’ai péché ! Il y a ce film où des extra-terrestres se dissimulent sous les traits d’êtres humains ordinaires. Avec la bonne paire de lunettes, on peut les découvrir sous leur apparence réelle. Ils ressemblent aussi à des cadavres. Comment s’appelait ce film bon sang? Le nom m’échappe. Ou alors le monde est une matrice dans laquelle nous évoluons sans nous rendre compte de la réalité extérieure. Par un étrange concours de circonstances, je suis le seul à voir ce qui se cache derrière le décor. Mince, suis-je l’Elu? Non, je divague. Je suis un lobbyiste et mon job est justement de convaincre les élus, pas devenir l’un d’eux !

Sans m’en rendre compte, mon regard glisse vers l’extérieur où le ciel s’est éclairci. Le tramway ralentit. NOOONNN... je suis harponné par les deux cadavres qui évoluent sur une plage paradisiaque. Ils s’enlacent tendrement, avec derrière eux, la mer des Caraïbes à leurs pîeds. La décomposition des chairs est encore plus avancée. Mon petit déjeuner remonte à toute vitesse le long de mon oesophage. Ne pas vomir. Des lambeaux de chairs se détachent de leurs bras et de leurs jambes. Une vermine infâme grouille dans l’ombre de leurs orbites aveugles et de leurs bouches édentées. Dans leurs ventres flasques, les entrailles sont grignotées par des larves translucides. Ce n’est pas réel... je rêve... Je suis au bord de la syncope. Paralysé, je ne peux détacher mes regards... Le tramway avance au ralenti... gommant le panneau publicitaire.

NOOOONNN...

Il est immédiatement remplacé par un autre. Celui-là je le reconnais bien. Les produits laitiers. La blancheur immaculée qui sied si bien à cette gamme de produits. C’est bon le lait, les yoghourts, les fromages... Et puis mes employeurs déploient de gigantesques efforts pour promouvoir des engrais plus efficaces, des maïs aux rendements améliorés qui permettront que les vaches aient plus de lait. Mais alors que je voudrais voir les visages heureux de cette famille unie, le sourire attendri et attentif de la mère, l’attitude protectrice et virile du père et la joie débordante de leur fille et de leur garçon, il y a quatre squelettes qui dansent en exhibant leurs échantillons de produits laitiers. Quatre squelettes qui me regardent tristement, figés dans leurs gestes théâtraux. Plus aucune trace de chair, rien que le côté poli de l’os couleur vieil ivoire. L’un des squelettes d’enfants tient un verre de lait qui manque de déborder, l’autre tend une portion de fromage appétissante. Les deux plus grands squelettes se penchent au-dessus d’eux et leurs têtes de mort me crucifient du fond de leur néant.

Quand le tramway stoppe à la station du Parlement, je suis anéanti. Je titube en sortant de la voiture et mets un pied hésitant sur le quai. L’imposant édifice s’élève non loin, derrière les mâts où flottent les drapeaux des pays membres de l’Union européenne. C’est là que je dois me rendre. Mais je ne sais plus vraiment si je réussirai à rejoindre ce bâtiment où m’attendent mes rendez-vous. Il ne faut pas que j’oublie pourquoi je fais le siège des eurodéputés. Il ne faut pas que j’oublie pourquoi mes employeurs me paient très cher. Il faut que les européens acceptent les cultures transgéniques et les organismes génétiquement modifiés. C’est ce qui nourrira le monde quand la pression démographique deviendra insupportable et que les paysans ne pourront plus faire face à la demande. Il n’y a pas vraiment de risque pour la santé humaine. J’ai un tas de bonnes réponses pour chaque question posée. J’ai des études scientifiques et des pages pleines de camemberts multicolores qui prouvent par A plus B que la biochimie est l’avenir de l’homme. Je suis le meilleur. Il ne reste qu’une poignée de députés à convaincre. Je peux y arriver. Je peux faire basculer le vote de l’Assemblée pour faire plier les lobbies des paysans et des écologistes qui défendent encore l’agriculture traditionnelle et anachronique. Une fois le vote du Parlement assuré, la Commission n’est pas un problème. J’ai plein d’amis parmi les commissaires, plein d’amis qui sauront écrire les bonnes directives. Celles qui mettront hors la loi communautaire les mesures protectionnistes de certains états membres.

Mais pourquoi le malaise qui m’étreint s’amplifie au fur et à mesure que je me rapproche de l’édifice ? Pourquoi ne vois-je que des squelettes qui se tournent vers moi sur toutes les affiches publicitaires tout autour? J’ai de plus en plus de mal à respirer et je me retrouve au centre d’un manège tournoyant de squelettes blancs et pâles qui me fixent tous de leurs regards morts et remplis de compassion. Je manque d’air. Je porte une main à la gorge pour desserrer encore davantage la cravate. J’étouffe. Je tombe à genoux... Au secours, aidez-moi... Mais la ronde infernale tourne de plus en plus vite et des milliers de squelettes m’emprisonnent au centre d'une ronde cauchemardesque... Je ne peux plus respirer... La douleur naît dans mon bras gauche et fulgure brusquement dans la poitrine. J’entends à peine les cris affolés et je ne vois personne dans le brouillard qui tombe devant mes yeux. Je m’écroule sur le flanc, la bouche ouverte sur la dalle de béton. La douleur augmente. Je vais mourir....Je vais mourir. A cet instant, tous les squelettes s’immobilisent. Ils sont innombrables. Ils attendent en silence. La sirène des pompiers ne parvient pas à me retenir. Elle faiblit jusqu’à ne devenir qu’un murmure cotonneux. Juste l'air démodé d’une vieille chanson...
* * *


« Vous avez eu de la chance monsieur ! » dit l’infirmière qui m’apporte le plateau-repas. L’équipe du SAMU a cru un moment qu’elle vous avait perdu! »

Elle est séduisante, cette jolie infirmière, avec ses boucles blondes et son accent alsacien. Un soleil radieux pénètre par la fenêtre. Il fait beau et c’est le printemps. J’ai le fin mot de l’histoire. Une crise cardiaque. Rien qu’une crise cardiaque. Toutes mes hallucinations devaient résulter des premiers signes avant-coureurs que je n’ai pas su comprendre. J’ai lu ça quelque part. Peut-être dans la bouche de Dr House. C’est ça...

« Bon, je vois que tu es entre de bonnes mains, mon salaud! » me dit à l'oreille Hans, un ami qui fait le même boulot que moi.

« Tiens, je t’ai acheté en bas le dernier numéro de ton magazine préféré ». Il me fait un clin d’oeil entendu en me glissant une pochette plastique avant de quitter la pièce.

L’infirmière tire les rideaux puis elle m’aide à me redresser sur le lit. Elle si est proche de moi que je la soupçonne de le faire un petit peu exprès. Elle est définitivement ravissante. Je lui décoche mon sourire n°4, celui qui plait tant aux escort girls. Elle sort de la chambre en refermant doucement la porte. Avant de disparaître, elle m’adresse un dernier et intense regard. Je peux me tromper bien sûr, mais j’ai la vanité de croire que j’ai une touche. Légère mais réelle. Les affaires reprennent.

Bon, la nourriture du plateau est conforme à ce qu’on peut attendre de la bouffe hospitalière. Une nourriture de malade conçue pour les malades. Je chipote un peu la compote et je laisse tout le reste. Je tombe sur la poche de la boutique de presse. Je connais Hans et ses vannes à deux balles. Gagné. J’extirpe le dernier numéro de Playboy et je me mets à rire... Un rire nerveux et irrépressible....

La pensée est incontrôlable. Je ne sais pas si je pourrais retrouver toutes mes "sensations" en fantasmant sur ces squelettes blanchis photographiés dans des positions très explicites.

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2009-05-06 22:59:31 

 Commentaire Maedhros, exercice n°59Détails
Petit air de famille avec "Inflexible" (WA 15A). La lingua batte dove il dente duole? Mauvais esprit, 'Roquen, tant qu'il se pille lui-même, où est le mal?
Ce texte-ci est beaucoup plus élaboré, quoique parfois émaillé de fautes de frappe, mais être au four et au moulin complique la tâche de l'écrivain...
Le titre est maedhrosien en diable, mais il convient à ce texte royalement fantastique - c'est du Stephen King!
Je suis tout à fait d'accord avec toi quant à tes réflexions sur la grippe A. Ce n'est jamais qu'une grippe, pas plus virulente que les autres, et sensible au traitement. Mais elle arrange bien les affaires des Puissants, quand les gens ont peur pour leur vie, ils ne pensent plus à leurs conditions de vie!
Ton personnage est à la fois antipathique et fascinant. J'adore le paragraphe "Dans mon métier...". Son égocentrisme est superbement décrit: "L'Alsace ne m'aime décidément pas", là où il aurait été naturel de dire " Je n'aime pas l'Alsace".
La progression de l'intrigue est bien menée, et la confrontation entre le fantastique et un sujet rationnel et sûr de lui, donne de la force au texte. Il est tellement persuadé qu'il contrôle tout, que rien ne peut lui arriver, il rationalise tant qu'il peut, mais ce qui lui fait face est d'une autre dimension...
La fin, délicieusement hitchcockienne, est un peu téléphonée, mais tout de même sympathique.
Fautes de frappe:
- si je pouvais rester planquer: planqué
- au fond d'une cellule... d'un asile: de la
- une tasse le café: de
- des cloques et des abcès qui lui couvraient toute sa peau: sans lui
- j'ai pêché: un poisson? Péché, plutôt
- des lambeaux de chairs: de chair
- mes employeurs me paient très chers: cher
- j'ai pleins d'amis: plein
- si je pourrais retrouver toutes mes sensations: pourrai, à mon avis


Merci en tout cas d'avoir pensé à nous malgré ... tout le reste. Le Cercle t'est reconnaissant de nous avoir offert ce bon moment.
Narwa Roquen, qui s'est retrouvée au pays pendant 35 minutes, snif!

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2009-05-07 07:25:15 

 "Chi va con lo zoppo, impara a zoppicare."Détails
Je boite bas mais je me soigne!

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2009-05-07 13:07:56 

 Dove vai?Détails
- Son cipolle.
-Che cos'è?
-Vado a Roma!
Narwa Roquen, c'était un aparté, désolée pour les copains... mais ça faisait si longtemps...

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2009-07-07 13:18:39 

 WA 59 : participationDétails
Salut tout le monde,

Mes excuses les plus sincères pour ce silence. Les errances de ma vie personnelle (fin d'année chargée..) et mon internet cassé depuis plus de quinze jours (merci Orange, ils me rendront folle) n'y sont pas pour rien. Mais je ne vous oublie pas ! Et si je n'ai pu vous lire dernièrement, cela sera fait dès que j'en serai capable. En attendant, je profite de ces quelques instants de connexion pour publier un WA très très en retard et bien imparfait, je le crains. En espérant que vous y trouverez un quelconque intérêt.

Recevez tous mes meilleures pensées et bonne lecture.


Ceci est mon sang






Son discordant du klaxon ! Pneus qui hurlent en frottant sur la chaussée ! Je reviens brutalement à moi et j’enfonce la pédale de frein jusqu’au plancher. Ma voiture, une vieille occasion au bout du rouleau, s’arrête avec un hoquet. Je cligne plusieurs fois des yeux. Le camion m’a évité de justesse. J’ai failli mourir. J’imagine un instant mon corps disloqué, prisonnier de tôles tordues chauffées au rouge. Des pompiers qui s'agitent sous leur casque rutilant, l'un déroulant un ruban de plastique jaune, l'autre ramassant un morceau de cadavre. Aucune importance. Je ne pense qu'à Elle.

Depuis trois jours, Elle hante mon esprit, chaque minute de mon existence. Il faut que je lui parle, que je lui avoue mes sentiments. Mon existence n'a d'autre but que celui-là. Je suis obsédé par Elle, par le désir de la serrer dans mes bras, de lui faire l'amour. Je ne peux songer à rien d'autre. C'est pire encore qu'avant. Impossible de me concentrer sur rien. Je dois lui parler. Protestations sonores des automobilistes derrière moi. Je redémarre doucement. Elle est si belle, si pure. Comment pourrais-je l'oublier ? Mes fantasmes me la montrent dénudée, sur un lit tendu de rose, mutine, offerte. A moi, enfin. Ce désir est-il obscène ? Je pensais qu'il s'estomperait mais c'est pire depuis qu'Elle est morte.

Mon amour n'a pas succombé avec Elle. Suis-je pervers ? Il est là, plus brûlant que jamais. Mon coeur en déborde douloureusement. La voir, la serrer dans mes bras, la posséder. Une unique étreinte avant de mourir à mon tour. Maintes fois je me suis demandé pourquoi vivre. A quoi bon. Je l'ai rencontrée il y a un an et j'ai cru avoir trouvé une raison. Mais Elle ne m'a jamais regardé. Moi, le marginal, pâle quand tout le monde est doré aux UV, à demi dissimulé sous les vêtements élimés d'un grand-père disparu, trop brillant dans ses études pour être populaire, trop timide pour répondre aux brimades. Celui dont on ne sait rien à part qu'il est bizarre. Celui dont on ne veut rien savoir.

Et Elle. Elle la reine de la promotion, sourire éclatant sous un foisonnement de boucles
blondes, robe à la dernière mode dont l'ourlet dévoile impudiquement de longues jambes galbées. Pourquoi ai-je aimé une fille comme Elle ? Habillée comme une starlette de papier glacé, superficielle. Difficile à dire. J'aime ses grands yeux d'un bleu si clair, la façon dont Elle passe la main dans ses cheveux quand Elle est gênée, son sourire franc, sa bouche un peu trop grande... Tout ce qui m'énerve chez les autres filles m'attendrit chez Elle. Je l'ai souvent écoutée parler, près des casiers, au self, dans les gradins du stade. Je l'ai suivie comme une ombre. Sa vie, ce sont les séries télé, les singles pop, le shopping. Elle se rêve médecin avec une jolie blouse, mère épanouie de bambins blonds, épouse modèle dans une grande cuisine vert pâle. La vie ne l'a pas touchée, pas abîmée. Elle n'a pas connu la pauvreté, l'angoisse. Les turpitudes de l'existence ne l'ont pas salie. Elle est intacte. Cela me fascine et m'attire irrésistiblement. Elle est heureuse dans son ignorance, innocente dans sa naïveté, émouvante de niaiserie. C'est une poupée tout juste sortie du plastique.

Je n'ai jamais osé l'aborder. Je suis resté comme Clark face à Loïs. Elle sortait avec des sportifs aux bras épais et à l'intellect mince. Jusqu'à celui-là qui l'a tuée. Une belle soirée de juin. Une excursion romantique au bord d'un lac. Un virage un peu trop serré. Il avait bu. Pauvre connard lamentable. S’il n’était déjà mort, je le tuerais pour ça. Elle n’est plus. L'horreur triviale de la vie l'a finalement rattrapée. Et depuis lors, je ne vis plus moi non plus. Le peu de sens qu’avait ma vie a sombré dans les ténèbres. Je ne nourrissais pas l’espoir d’une relation entre nous ; juste le plaisir de la regarder de loin, de la chérir en pensées, de la caresser des yeux. J’erre sans but à présent, trop abattu pour être triste, assailli par mes fantasmes d’Elle. La revoir une dernière fois, lui dévoiler mon amour. Pour que tout cela n'ait pas été vain. La serrer dans mes bras, sentir sa peau contre la mienne et trépasser. Plus rien n'a d'importance que cela.

Plus rien n'existe que ce désir obsédant. Ce désir que j’ai d'abord repoussé avec dégoût. La tirer ainsi de l'oubli pour la souiller de mes pulsions obscènes ? Jamais. Mais cela fait trois jours que je n'ai pu trouver le sommeil. Ces pensées flottent sous mon crâne, aguicheuses, envoûtantes. Penses-y, Johnny, disent-elles, tu peux le faire. Comme ta mère. C’est dans ton sang. Tu l'as déjà fait tant de fois. Penses-y, un premier rendez-vous qui sera aussi le dernier... Et ensuite, t'enfoncer dans l'obscurité reposante.

On ne s'en rend pas compte quand on est mort, Johnny. Tu le sais depuis que tu as demandé au vieux facteur. Tu n'avais que neuf ans mais tu te posais déjà toutes sortes de questions. Il venait de succomber à une crise cardiaque. Tu l’as relevé, Johnny. Et tu lui as posé la question qui t’obsédait. Qu’y a-t-il après la mort. Rien. C’est ce qu’il a dit. Tu sais à présent. Non ! Je ne sais rien de rien ! Il ne se souvenait peut-être pas. Il m’a peut-être donné la réponse qui m’arrangeait. Comment en être sûr ? Je ne veux pas la réveiller... Je lutte contre cette envie infamante. Mais les voix continuent de chuchoter. Oh, Johnny, Elle est morte si soudainement. Tu n’étais pas prêt à la perdre. Il faut que tu lui dises au revoir. Penses-y, Johnny, penses-y...

Je me gare devant le funérarium. Je remonte l'allée, dépassant des gens qui discutent à mi-voix. Parlez sans crainte ! Les morts ne peuvent vous entendre. A l'intérieur, une musique lugubre joue doucement et l'odeur lourde des brassées de lys m'agresse les muqueuses. Mes pieds s'enfoncent dans un épais tapis prune. Un vitrail sur le motif duquel j’ai peine à distinguer un quelconque sauveur laisse entrer des rayons multicolores. Je m'approche de l'autel, intimidé sans savoir pourquoi. Une grande photo me sourit. C’est Elle, éclatante dans son uniforme de cheerleader. A quelques mètres de là, des jeunes filles de l'école se désolent avec ostentation, parant la morte de toutes les qualités. Elles serrent dans leurs mains manucurées des mouchoirs secs et vérifient à la dérobée sur leurs miroirs de sac que le deuil ne leur donne pas mauvaise mine. L'une d'entre elles me jette un regard noir avant de se détourner.

J'hésite. Vais-je la trouver changée ? Le sang bouillonne dans mes tempes et je suis terrifié par l'intensité de mes sentiments. Avant Elle, je vivais par habitude, en marge des gens et de leurs trépidations, décalé et paisible. Je me laissais flotter, totalement passif, poussé par la houle, et je contemplais le ciel. Mais Elle a fait naître une tempête sur mon existence et à présent, les vagues me giflent douloureusement le visage. Le sel me pique les yeux. Je les essuie d'un revers de manche. Je me penche doucement sur la boite laquée noire et je retiens mon souffle.

Elle est là, pâle et virginale dans sa robe de dentelle blanche. Si belle que mon coeur se serre. Le maquilleur funéraire a rempli son office avec art : nulle ecchymose ne vient ternir le teint de nacre. Tout autre que moi pourrait la croire assoupie. Mais moi je ressens l'immobilité du sang figé dans ses artères, l'absence d'influx dans sa moelle épinière, le silence dans son cerveau. Je la scrute de tous mes sens. Comme si cela pouvait m'aider à comprendre. Malgré le Don, la mort est une étrangère. Comment concevoir la mort ? Comment l’appréhender puisqu’elle nous ôte toute conscience, et que, quand nous sommes encore vivants, elle est si loin ? Comment apprivoiser une chose aussi insaisissable ? Ces questions m’obsèdent depuis toujours. Et les expériences que j'ai faites ne m'ont donné aucune réponse. Tout juste de nouvelles questions. Comment imaginer l'absence de tout ? Est-on sûr au moins que la mort existe puisque nul ne peut la percevoir ?

Question stupide. Elle est là, devant moi, dans sa boite doublée de soie, auréolée de pétales de rose. Ses beaux yeux ne se rouvriront jamais, nul souffle ne gonflera plus son doux sein, ses pieds ne fouleront plus la terre. Sauf si je l'y aide. Penses-y, Johnny, penses-y... J'ai soudain honte de la regarder. Je fais volte face et je m'enfuis, les joues brûlantes de mon hideux désir.



Je suis rentré chez moi. Assommé par le manque de sommeil mais incapable de trouver le repos, j'ai erré en silence dans la grande maison vide. Pas d’ami sous le porche avec une batte et un gant de base-ball. Pas de parents pour m'attendre avec un sandwich au beurre de cacahouètes. Ma mère est morte quand j'avais douze ans. Elle aussi avait le Don; il est dans notre sang. Mon père est parti peu de temps après et je suis resté seul. Avec une bourse et une pension, je m'en sortais bien et cela me laissait libre de faire ce que je voulais. Je m'affale dans un vieux fauteuil défoncé, mon préféré, et je laisse errer mon regard sur mon territoire. Les murs de la chambre sont couverts de photos de famille défraîchies. Tous ces morts me fixent de leurs yeux sépia. Ma mère, frêle et hagarde, le teint café au lait, les yeux immenses comme deux trous sombres, un lourd crucifix autour du cou. Ma grand-mère paternelle, raide et grise, presque poussiéreuse. Mon grand-père maternel, figure joviale couleur d’ébène sous un chapeau haut de forme. Et puis moi à six ans, déjà hirsute, déjà bougon, en train de disséquer une grenouille.

Sous les cadres, des piles de comics s'entassent, prenant d'assaut les murs. Les seuls amis de mon enfance : Batman, Spawn, Spiderman, les X men... Les étagères bancales croulent sous les romans de science fiction et de physique. Sur une table, un terrarium où vivent des phasmes. Des êtres étranges, discrets, ne ressemblant à aucun de leurs cousins les insectes. Il me semble parfois qu’ils me comprennent... Sur le bureau, sous une épaisse couche de poussière, un fatras d'électricien : batterie, câbles, diodes, électrodes. Reliquats de centaines d'expériences.

Mary Shelley s'est trompée. L'électricité simple ne relève pas les morts. Seul le Don le fait. Il relance tous les micro-courants biologiques qui permettent aux alvéoles pulmonaires d'aspirer l'oxygène, aux fibres musculaires de se contracter, aux neurones d'échanger des informations. Il parcourt les cellules de son fluide subtil et les stimule. Elles s'animent alors, tirées de leur torpeur. Est-ce la vie ? Ou un simulacre éphémère ? La vie est-elle réductible à ce jeu de décharges voltaïques ? Je ne l'ai jamais su. Quelques soient mes efforts, le corps ainsi animé finissait par retourner au néant. Dès que je relâchais ma concentration, il s’effondrait. Que lui manquait-il ? Une âme ? Inepties !

Le Don n'a rien à voir avec la religion. Ma mère l'a cru. Persuadée d'être une créature impie, elle s'est tuée. Et elle a fait incinérer son corps. Précaution digne du plus bel esprit pratique. Comme elle me manque ! Non, le Don n'a rien de mystique. Il est affaire d'électricité. Cela donne un indice sur la nature de la mort. Elle consiste donc, entre autres, en l'arrêt des flux électriques dans le corps. Mais alors, me demandai-je à l'époque de mes expérimentations, Magda, la vieille fleuriste qui porte un pace-maker, est-elle morte ? Si ses cellules cardiaques ne produisent plus d'elles-mêmes leur courant vivifiant, l'organe peut-il encore être considéré comme vivant ? Le pace-maker est-il l'équivalent artificiel de celui qui invoque le Don ? Un réanimateur en plastique ? Pour un coeur mort-vivant. Des questions sans réponse, encore.

Et j'en ai relevé des cadavres pour tenter de comprendre... Mon grand-père aurait-il approuvé ? Quand il m'a appris les rituels, il m'avait mis en garde. Utilise toujours le Don pour le bien, Johnny. Sans relâche, j'ai tenté de percer les mystères du pouvoir. J'ai exercé cette zone de mon cerveau, endormie chez les autres humains. J'ai emprunté le feu de l'Olympe pour animer des corps de glaise. Et tous se sont levés pour moi. Suis-je un dieu pour redonner ainsi la vie, même fugitivement ? Cela me donne-t-il des droits sur les zombies ? Et Elle ? Si je la rappelle des limbes pour quelques heures, si je lui offre à nouveau le souffle vital, si je permets à son coeur de battre, cela me donne-t-il le droit d'user de son corps ? Si Elle bouge grâce à mon pouvoir, est-Elle à moi ?

Je pense à Elle et le sang monte à mes joues, ma vue se voile. Je ne la verrai plus traverser le terrain de base-ball, ondulant des hanches sous sa petite jupe plissée. Elle ne passera plus la main dans ses boucles dorées en plissant les yeux. Je n’entendrai plus son rire. Sans Elle, je me sens comme le dernier survivant d’une terre dévastée. Pour nous deux, tout est fini avant même d’avoir commencé. Je ne peux pas, je ne veux pas survivre à cette perte. La revoir une dernière fois. Lui parler, lui dire toutes ces choses que je n’ai jamais éprouvées pour personne d’autre qu’Elle. Goûter ses lèvres. Est-ce si terrible si c’est par amour ? Il faut que je me décide. Là-bas, dans la boite laquée, sous une couche d'humus, la corruption a commencé son oeuvre sur sa chair tendre.



La pelle s'enfonce dans la terre encore meuble avec un crissement. Je jette ma pelletée dans l'allée. Je n'ai pas à me préoccuper de discrétion puisque je ne verrai pas le soleil se lever demain. Cette nuit d'automne est fraîche mais je suis en sueur. Pas assez d'exercice, Johnny... Pas grave; je n'en aurai plus besoin. Ce soir est l’accomplissement de ma vie. Ce soir, je connaîtrai l’amour et la mort. Oui, ce soir, je saurai enfin. Le cimetière est silencieux, seulement peuplé de quelques chauve-souris qui frôlent mollement les arbres et d'un chat qui piaule, mélancolique. Les cimetières sont les endroits les plus reposants sur cette terre. Il n'y a que là que l'on s'entende penser. Posée sur une dalle, la grosse lampe à gaz émet une lumière froide qui allonge les ombres des pierres tombales. Je continue à creuser.

La pelle heurte finalement un objet dur. Je m'agenouille, hors d'haleine, et je déblaie la terre de mes mains. Le bois laqué noir apparaît. Je dégage fébrilement la boite. Elle est là-dessous. J'ai hâte de la voir. J'ouvre le couvercle et je la contemple. Son visage est un peu plus gris, ses cheveux un peu plus ternes. Je la prends dans mes bras et la soulève. Sa peau est glacée et ses membres flasques. Je hume un peu de son parfum et mon coeur s'emballe. Je la serre un instant contre ma poitrine et une larme roule sur ma joue. Enfin, tu es là, ma chérie... Je retourne à la voiture et je la dépose précautionneusement à l'arrière.

Dix minutes plus tard, son corps est étendu sur mon lit et je prépare le rituel. Le doute m'assaille de nouveau. Quand Elle va se relever, est-ce que ce sera Elle ou un pantin mû par mon esprit ? Un mort animé grâce au Don est-il une personne ? Ou juste une coquille vide, à laquelle s'accrochent des lambeaux de conscience et des bribes de souvenir ? Il peut parler et se déplacer mais retrouve-t-il son identité, son essence, ou n'est-il gouverné que par la volonté de son créateur ? Est-ce à Elle que je m'apprête à déclarer mon amour ou au silence infini de la mort ?

Je m'arrête un instant, une bougie à la main. Le cerveau me brûle de toutes ces questions, de ces angoisses. Je laisse échapper une expiration sifflante que je n'avais même pas eu conscience de retenir. Je regarde le lit. Sur sa cheville gracieuse, de petites taches brunes. J'imagine le pourrissement à l’oeuvre dans sa chair. Sa personnalité, ses sentiments sont-ils en train de se décomposer comme le font ses organes ? N'est-Elle déjà plus qu'un objet ? Tous les morts sont des objets, Johnny... La voix murmure sous mon crâne. C'est la vie qui donne le droit au respect, tu le sais bien. Un zombie n'est rien sans son créateur. Il lui appartient. Comme Elle t'appartient, Johnny...

Je me remets au travail. Trop tard pour faire marche arrière. Je tire le lit pour l'éloigner du mur et je trace le pentacle tout autour au charbon de bois. Dans chaque cercle, j'inscris des noms de pouvoir. Je ne crois pas à tout ce charabia mais ils ne se relèvent pas si je n'exécute pas soigneusement le rituel. Je suppose que les formules agissent comme une sorte de placebo pour appeler le pouvoir en partie inconscient. Je me concentre sur ma tâche pour oublier mon désarroi. Dans le cercle le plus interne, j'inscris son prénom. A voix basse, je psalmodie :
"Par ton nom, je te convoque parmi les vivants..."
Dans la pièce, les ombres ont frémi. Insensiblement, de dessous les meubles, de derrière les piles de livres, elles semblent ramper vers la lumière. J'allume toutes les bougies et je m'assois en tailleur. Quand je saisis le scalpel pour m'entailler le poignet, mon pouls bat douloureusement dans ma gorge :
"Par mon sang, je te rends à ton corps..."
Les lampes vacillent sous un souffle intangible et tous les poils de mon corps se hérissent
brusquement. Le pouvoir rampe sur ma peau, m'envoyant de petites décharges crépitantes. Comme à chaque fois, j'ai un goût de cendre sur la langue. Je laisse couler mon sang. Filet vermillon sur le parquet. Ma vie s’échappe. Je conclus :
"Par le pouvoir, je t’ordonne de te relever...
Marche et obéis-moi !"
Un gémissement monte du lit. Je me lève en tremblant. Son corps s’est arqué avec violence, ses yeux sont ouverts, exorbités sur des prunelles racornies, un sifflement s’échappe de ses lèvres. Je canalise le Don dans sa chair. Circule sang, gonflez-vous poumons ! Ses membres se tordent en spasmes brutaux, la couleur revient à ses joues, sa peau est déjà plus lisse, ses cheveux plus soyeux. Je guide la puissance dans chacune de ses cellules. Vis ! Vis !!



Epuisé, je me suis laissé tomber dans le vieux fauteuil. Je respire profondément. Je voulais qu’Elle soit parfaite; l’effort a été terrible. Elle s’est assise sur le lit. Elle est aussi belle qu’auparavant. Dans sa robe blanche, ses boucles retenues par des fleurs en tissu pâle, Elle ressemble à une mariée. Viens, lui dis-je en pensée. Elle se tourne vers moi et s’approche lentement. Les yeux un peu trop grands, la bouche entrouverte, Elle a l’air perdue. Je lui souris tendrement. Une chaleur étrange m’envahit, d’une douceur incomparable. Elle est là ; nous sommes réunis. Je la détaille avec une intensité presque douloureuse, me gorgeant de son image. Son regard est vague, ses sourcils un peu froncés. Elle lève une main, la contemple un instant et la laisse retomber. Nos yeux se croisent, s’accrochent.

Elle se lève. Ses mouvements sont lents et un peu maladroits. Elle s’avance vers moi, ses prunelles d’azur toujours rivées aux miennes. Elle enjambe précautionneusement le bord du pentacle. Sur le parquet, la mèche d’une bougie éteinte fume encore un peu. Soudain, Elle se tétanise. Ses narines se dilatent et Elle penche la tête sur la tache de carmin. Elle hume le sang et dans ses yeux s’allume une flamme sauvage. Sa bouche se tord et laisse échapper un petit cri, comme un sanglot. Elle hésite. Puis, Elle se redresse et reprend sa marche, plus assurée à présent.

Je me suis levé moi aussi. Je la contemple. Ah, le galbe de sa cuisse, deviné sous la jupe, la minceur déliée de la taille, la courbe de ses seins qui tendent le corsage, la douceur d’une boucle blonde qui effleure l’épaule nue, le velours des lèvres... Et pourtant... Cette démarche n’est pas la sienne ; je ne reconnais pas son port de tête. Et ce feu qui embrase son regard n’est pas celui de la joie innocente mais d’une faim primitive, animale. Je scrute son visage. Je la cherche désespérément. L’espace d’une seconde, je la vois, comme une étoile filante traversant la nuit. Déjà disparue. Elle est là sans y être.

Finalement, les mots n’ont plus de sens. Mon corps entier vibre du désir de l’étreindre, le sien se languit de ma chair et de mon sang. Je lui ouvre les bras et nous nous enlaçons. Prends ce que tu veux ; je suis à toi. Je m’incline sur sa nuque et y dépose un baiser. Elle enfouit sa tête dans mon cou, cherchant mon pouls. Ses dents s’enfoncent dans mon épaule, m’arrachant un râle et un lambeau de peau. Durant un instant de totale plénitude, nous sommes tout ce dont l’autre a besoin. Elle est enfin mienne et je suis la seule chose qui la rattache à la terre. Un liquide coule le long de mon dos. Chaud, si chaud... L’amour que je ressens oblitère la douleur. Ma vue se brouille et je glisse au sol, sans cesser de la serrer contre moi. Quand j’exhalerai mon dernier souffle, Elle retournera à la tombe. Viens, ma chérie. Partons ensemble...

Est', à moitié dingue et totalement déconnectée.

(edit : corrections, merci Narwa !)

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2009-07-08 20:13:41 

 Comm Est' n°59Détails
Eh beh!
Ca fait plaiz' de te retrouver, ma chère Est'! :)

Du bon texte comme on les aime, du sang, de la magie et du zombie, youpi ^^

Mais l'originalité vient de cet amour franchement zarb', et en même temps tellement puissant que ça ne choque pas son auteur de faire ce qu'il fait, ou à peine. En tout cas, ça se lit d'une traite sans hésitation. Moi, j'aime.

Elemm', mauvaise commentatrice de bons textes :)

Ce message a été lu 5994 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2009-07-12 22:26:34 

 Commentaire Estellanara, exercice n°59Détails
Désolée pour le retard, mais entre le boulot et les prunelles...
Etrange histoire, tout à fait dans le thème de l'exercice.
J'ai trouvé que c'était un peu lent à démarrer, et que ton héros se posait vraiment beaucoup de questions! Mais c'est un anti-héros, timide, sensible, presque féminin, plein de scrupules et d'hésitations, qui se trouve bouleversé par une passion dévastatrice.
Le titre est excellent.
Le passage au "tu", que tu justifies par des voix intérieures mais qui n'aurait même pas besoin de justification, donne une rupture de rythme très bienvenue. L'explication pseudo scientifique est bien menée. Et à partir de "Par ton nom" ça devient excellent jusqu'au bout. La tension est à son comble, la fin est inattendue, originale et très esthétique.
Quelques bricoles:
- fautes de frappe: "leur casque rutilants", "la sang bouillonne"
- "et que encore vivant, elle est si loin": ici la concision gêne la fluidité; on comprend que tant qu'on est vivant, la mort semble lointaine, mais ton expression boite un peu.
- Mary Shelley s'est trompée
- entre autres (sous-entendu: choses)
- "si je lui insuffle à nouveau le souffle vital...": redondant
- "quelques chauves-souris qui... et d'un chat mélancolique". Pour le rythme de la phrase on attendrait que le chat soit lui aussi gratifié d'un qui... quelque chose
- tâche = travail, oeuvre. Le petit espace de couleur différente dans un ensemble de couleur uniforme s'écrit tache (2 fois)
- "ses prunelles ... toujours rivées"
- "m'arrachant un râle et un lambeau de peau": la mise en parallèle irait bien dans un texte comique, ici ça dérange un peu


C'est un bon texte. Je suis bien embêtée, parce que j'aimerais te dire qu'il faudrait le rendre plus dynamique sur toute la partie avant la scène finale; mais d'un autre côté tu as bien rendu le côté introverti, hésitant et scrupuleux de ton héros, confronté à un dilemme qui le dépasse, d'où le contraste fort avec la fin. Alors... je ne sais pas!
Narwa Roquen,qui se demande...

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2009-07-13 14:49:35 

 Grand merci de ta lecture !Détails
Me voici de retour au bureau : vive internet ! Enfin, au moins, tant que l'on ne me coupe pas l'accès aux sites persos... Ouf, j'avais peur que mon histoire d'amour nécrophile te choque.

Est', et bon jour férié !!

Ce message a été lu 5956 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2009-07-13 15:05:25 

 Les prunelles ?Détails
Grand merci pour ton commentaire ! Cela m'aide vraiment à progresser.
Pour le titre, je me suis demandée ce qu'aurait mis Maedhros, hihi !!
Aagl ! Tant de fautes, j'en fais de plus en plus, quelle horreur. Je crois avoir tout corrigé à présent, hormis la figure de style de la fin. Ben ouais, mine de rien, il s'agit d'un zeugme et c'est si rare d'arriver à en faire un. Je n'avais pas conscience que ça rendait la phrase drôle. En relisant, je le vois à présent mais ça me contrarie tout de même de le virer...
J'en profite pour remercier le critique littéraire de mon coeur (il se reconnaîtra) pour ses avis éclairés. Mes textes ne seraient pas ce qu'ils sont sans lui.
Effectivement, le début m'a semblé un peu languissant mais je voulais insister sur l'hésitation de mon héros, ses interrogations si complexes...

Est', bien contente d'avoir posté quelque chose.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2009-07-13 16:10:24 

 Chair amie...Détails
sans réfléchir!

M

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