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 WA, exercice n°45 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 18 septembre 2008 à 18:31:13
Changement de cap ! Vous allez cette fois raconter une histoire dont le héros est en proie à une obsession ( addiction, compulsion, manie, TOC...). Cela peut se limiter à un simple portrait, mais ce que je voudrais, c’est un texte avec un rythme particulier qui renforce le climat obsessionnel. Donc soyez particulièrement attentifs à la longueur de vos phrases, et par conséquent à la ponctuation. J’aimerais voir apparaître quelques points-virgules, ces grands oubliés...
Si vous voulez vous mettre dans l’ambiance, (ré-)écoutez le Boléro de Ravel...
Vous avez deux semaines, jusqu’au jeudi 2 octobre.
Et restez zen, ce ne sont que des histoires...
Narwa Roquen, présidente du CDPV (Comité de Défense du Point Virgule)


  
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Réponses à ce message :
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-09-20 17:24:55 

 WA - Participation exercice n°45Détails
Une histoire expédiée en moins de quatre heures. Une idée qui ne sortait pas de ma tête (c'est le cas de le dire). Mais tout s'est mis en place à partir du souhait de Narwa Roquen de voir fleurir les points-virgules... les points-virgules....ah...la ponctuation...

Il est revenu d'entre les ombres... et a investi même le titre!

Attention, même s'il n'y a rien de vraiment gore ni de vraiment immoral, certains aspects devraient être tenus à l'écart des plus jeunes.

-------------------

LE PONCTUEUR

"Tu ne ponctueras point"


Demain, je ne serai plus.

C’est drôle d’imaginer que demain se lèvera sans moi. Le temps va s’arrêter. Rien que pour moi. J’ai lu quelque part que le monde autour de nous n’existe que parce que nous vivons. Le monde mourra donc avec moi. A cause de moi. Ne me parlez pas de l’enfer. Ni du paradis. Baratin pour vieilles bigotes. J’ai chassé en riant le prêtre et le rabbin, l’imam et le pasteur. Ils n’ont jamais eu de prise sur moi. Pour mon dernier repas, j’ai commandé des pancakes et du sirop d’érable. Des fraises et de la crème chantilly. Comme les faisait ma mère, morte de chagrin... non, je plaisante...Je voudrais bien qu’elle soit six pieds sous terre, cette vieille sorcière, mais elle a une santé de fer. Elle ne viendra pas pleurer sur ma tombe. Plutôt répandre du sel sur la terre ouverte. D’elle, je me souviens du réduit sombre sous l’escalier et du froid quand elle me laissait seul dehors, qu’il pleuve ou qu’il neige, pendant qu’elle les recevait. Je la verrai toujours sur le perron. Ce geste qu'elle faisait, ce doigt entortillé dans les boucles de ses cheveux. Ses magnifiques cheveux d'un roux éclatant. Deux siècles plus tôt, elle aurait brûlé sur un bûcher. Comme toutes ses soeurs, les sorcières. Mais là, elle devait bien rire quand elle mettait le feu dans leurs yeux et dans leurs pantalons. Il fallait les voir gravir lentement les six marches menant à la véranda, l’anti-chambre du paradis. Elle souriait, les doigts dans les boucles de ses cheveux et le regard innocent alors qu’elle damnait les saints! Ils aimaient tant sa chevelure de feu. Je n’ai pas connu mon père non ! Je n’ai vu que ces hommes. Je les aurais volontiers étranglés pour effacer de leur visage cette expression épanouie, ce désordre sensuel quand ils ressortaient, le chapeau à la main. Mais j’ai la tête dure, sûrement aussi dure que ce vieux clou à moitié enfoncé dans le mur de ma cellule. Ce vieux clou auquel j’avais l’habitude de suspendre le calendrier annuel des pompiers. Il faut savoir se défaire de ses habitudes. A bien y réfléchir, la mort y mettra un terme définitif ! Solution radicale.

Donc, demain je serai mort.

Ecrire ces mots ne m’épouvante pas. Je ne suis pas le premier à les avoir écrits. Que sont des mots sinon une suite de lettres rangées dans un putain d’ordre établi ? Ils ne signifient rien pour moi. Ils m’ont donné un crayon et des feuilles blanches. Un crayon de bois avec une mine épaisse et grasse, comme ces crayons pour enfants. Car j’ai été bien sage depuis le jugement, poli avec tout le monde. Avec mes gardiens d’abord, avec les autres prisonniers ensuite. Ceux-là se sont toujours écartés quand je les croisais dans le couloir de la mort. Presque respectueusement. C’est marrant cette déférence des autres criminels à mon égard! J’ai veillé à être constamment exemplaire avec les familles, la paupière baissée, une larme toujours prête au coin de l’oeil, le mot de regret imparablement convaincant. J’ai une propension surnaturelle à l’empathie. Vous avez vu le film Zelig, de Woody Allen? C‘est exactement ça. Je suis une espèce de caméléon, une forme de miroir humain. L’image que je renvoie est modelée par le contexte dans lequel j’évolue. En parfaite adéquation avec ce qu’on attend de moi. Donc le directeur a été charmé, parlant presque de rédemption à mon endroit. Il a surtout vu miroiter une belle opportunité de faire avancer sa carrière. Moi, me racheter ? Elle est excellente. Le rachat c’est bon pour la bourse et les crédules. D’ailleurs, la bourse n’attire-t-elle pas toujours les crédules ? Il ne faut pas nager avec les requins !

Non, je ne regrette rien. Je ne joue pas avec vos billes alors ne venez pas jouer avec les miennes. C’est moi qui dirige la partie et qui décide qui vient jouer. On y joue avec mes règles et c’est moi qui gagne à la fin. Donc, j’ai été relativement choyé. Je dis relativement car j’ai décidé d’oublier les petits désagréments inhérents à toutes ces années derrière les barreaux du bloc de haute sécurité de la prison fédérale. J’ai parlé quand ils ont voulu que je parle, j’ai baissé la tête quand ils ont dit qu’il me fallait le faire, j’ai écouté sans sourire le verdict prononcé par un juge bègue dans la salle du tribunal bondée. J’ai tout fait comme il faut. J’ai donc bien mérité le droit à quelques compensations non? La dernière ? Ces belles feuilles si blanches et ce beau crayon de bois à la mine si molle qu’on en mangerait. La seule fois où j’ai vraiment eu peur, c’est quand ils ont coupé mes cheveux. A ras. Quand je suis descendu du siège du coiffeur, j’avais la boule à zéro et le moral dans les chaussettes. Heureusement, les conditions se sont assouplies quand ils m’ont transféré ici. Mes boucles ont vite repoussé. Je me suis arrangé ensuite pour qu’elles restent bien disciplinées. Pour ne pas froisser le gardien-chef.

Un homme est venu régulièrement me voir. Il a parcouru des centaines de kilomètres pour me rendre visite ici, en plein désert ; un flic, l’inspecteur qui m’a alpagué. Je ne comprends pas son entêtement à vouloir à toutes forces comprendre; me comprendre. Je me rappelle la façon dont il a bousculé le photographe qui avait réussi à me tirer le portrait dans la gare, juste après que les flics m’aient coincé. Il l’a traité de tous les noms mais le journaliste a eu son scoop. Elle était belle ma trogne sous le titre qui proclamait : « Le tueur de l’accroche-coeur arrêté ! » en gros caractères barrant toute la page. Le tueur de l’accroche-coeur. C’était comme ça qu’ils m’ont baptisé. Ma marque de fabrique. Ma raison asociale. Ma perversion illimitée. Je suis le tueur de l’accroche-coeur. Un nom de fête foraine pour un fou furieux. C’est moi !

J’étais à New-York quand la grande crise a éclaté. Le fameux mardi noir, l’hystérie était à son comble, une sorte de fin du monde. J’ai entendu un cri inhumain, un cri qui n’en finissait pas. Il s’est tu quand à mes pieds, le corps d’un spéculateur qui avait vu s’évanouir sous ses yeux le rêve américain, s’écrasa sur le ciment du trottoir, comme une figue trop mûre. Avec un léger retard, des rubans de papier atterrirent autour de nous, ces maudits rubans sur lesquels étaient inscrits les chiffres du malheur, ces glyphes maléfiques du Démon de la Corbeille. Moi, je suis resté fasciné, hypnotisé par cette boucle de cheveux blonds et poisseux qui flottait comme une virgule à la surface de l’écoeurante bouillie rouge qui ne ressemblait plus à un visage. Impossible d’en détacher mes regards. J’ai été licencié peu après. Alors j’ai laissé la grande ville derrière moi et je me suis enfui vers le sud, le long de routes poussiéreuses, poussé comme tant d’autres par la nécessité. Mais cette boucle de cheveux est revenue me hanter. A jamais. A tout jamais. Je crois bien que c’est à cette époque qu’est né le tueur de l’accroche-coeur. Moi, je ne le savais pas encore. Je n’avais pas vingt ans.

J’étais jeune et fort. J’ai travaillé dans les champs pour gagner quelques pièces de métal vulgaire. J’ai aussi appris à mendier quand je me retrouvais rejeté sur la route. Jusqu’à ce que je croise au milieu de nulle part ce petit cirque ambulant. Une poignée de roulottes, un lion pouilleux et indolent, trois haridelles pommelées et la plus jolie cavalière du monde. Ils n’avaient pas vraiment besoin de moi mais ils n’hésitèrent pas à m’engager pour vider les seaux et aider à monter la toile du minuscule chapiteau. Moi, j’aurais fait ça pour rien tant qu’elle me souriait. Elle avait un petit numéro d’écuyère qu’elle exécutait chaque soir avec un enthousiasme sans cesse renouvelé. Elle était si belle dans son costume qui accrochait la lumière des lampions. Elle était si gracieuse quand elle se tenait bien droite, debout sur la croupe de la jument au pas. Elle n’était pas bien grande mais là, dans la lumière féerique, elle me paraissait immense. Mais rien ne surpassait le sombre éclat de ses cheveux auburn, remontés en chignon et maintenus en place par une fine résille. Je l’ai aimée. En doutiez-vous ? Ce furent les mois les plus lumineux de toute mon existence.

Aujourd’hui, tout ça n’est plus qu’un souvenir de plus rangé dans la boîte à chaussures tout au fond de ma mémoire. La magie n’existe pas dans la vraie vie. Ni le bonheur durable non plus. J’ai eu le temps de lire ici. La bibliothèque a été une caverne d’Ali Baba. Je n’ai pas vu les 40 voleurs, uniquement des tueurs et des violeurs, des assassins et des égorgeurs. Et moi. Oh, il n’y avait que quelques dizaines de volumes et au bout d’un moment, je les avais tous lus. J’ai dû me rabattre sur le rayon « Poésies ». Une simple étagère plutôt. Un jour, j’ai lu un poème qui a éveillé en moi l’écho de sentiments que je croyais enfuis. Mon coeur s’est arrêté de battre un instant. On aurait dit que le poète avait écrit ces lignes pour moi, à travers le temps et l’espace. Ces quelques vers que j’ai appris par coeur. Et voilà ce qu’ils disaient :

Pourtant un scrupule me trouble:
Je n’ai qu’un coeur, alors pourquoi,
Coquette, un accroche-coeur double?
Qui donc y pends-tu près de moi?


En fait, la belle écuyère n’a pas eu besoin de me le dire. Une nuit, je les ai surpris tous les deux. J’avais à la main un révolver mais je ne me rappelle plus bien des détails. Je me suis enfui après. Les temps étaient troublés et je suis passé entre les gouttes. J’ai changé de vie mais le tueur de l’accroche-coeur s’était bien réveillé. Il courait dorénavant à mes côtés, laissant une empreinte indélébile sur mon passage. Une petite mèche de cheveux aplatie en boucle comme une virgule et un trou bien net au milieu. Je vous ai dit que c’était ma marque, ma signature. Ne suis-je pas le tueur de l’accroche-coeur The love-lock killer ?

J’ai marché vers l’ouest, vers l’endroit où le soleil se couche. J’ai tiré droit vers lui. J’ai vu l’océan et la cité des Anges. Mais je n’y ai croisé aucune créature ailée, juste des mirages et des tentations le long d’Hollywood Boulevard. Par contre, j’ai surpris des anges déchus qui faisaient le trottoir, leurs pauvres ailes déchirées repliées dans le dos. J’ai épié dans les ombres et dans les lumières des néons. J’ai cherché encore et encore ces menteuses qui arboraient comme des trophées leurs accroche-coeurs, en riant au bras de leurs fringants cavaliers. J’en ai trouvé. Beaucoup. Mais peu à peu le cercle s’est refermé, comme une virgule de cheveux, autour de moi. Pourtant, je ne pouvais pas arrêter. Je ne pouvais plus l’arrêter.

Un soir, tandis que je rodais comme un chasseur cherchant sa proie dans la jungle, je me retrouvai dans une foule qui se pressait aux abords d’un cinéma. Les lettres de lumière annonçaient de tous leurs feux le premier film en Technicolor. « Becky Sharp ». J’ai payé ma place et je me suis assis au dernier rang, au fond d’un siège rouge et moelleux. Les lumières se sont éteintes et le film a commencé. Sur l’écran de projection, la vie éclata en brillantes couleurs. Comme une fenêtre qui s’ouvre sur le jardin d’à côté, sur un autre monde pareil au nôtre, loin de la terne monotonie des films en noir et blanc. Je n’ai pas quitté des yeux la blonde et suave actrice, la belle Miriam Hopkins. Surtout ses diaboliques accroche-coeurs qui auréolaient la délicieuse courbe de son front.

Au crépuscule de ma vie, il y a beaucoup de choses que je voudrais faire différemment....

Cela sonne faux. Ce que j’ai fait est fait. Il n’y a rien à redire ou à retoucher. J’ai ponctué ma vie comme je l’ai voulu. Les raisons m’appartiennent. Je ne me justifierai pas. Je n’ai pas peur de la mort. Je ne crois pas à un créateur venant soupeser mon âme dans une balance d’or et de vermeil. Je ne crains pas la douleur. Je l’ai terrassée il y a longtemps. C’était sous les branches d’un grand chêne. Quand j’ai crié pour qu’elle ne me laisse pas là sous l’orage et la grêle. Mais elle n’a pas cillé, se contentant de refermer la porte et d’éteindre la lumière, me laissant dans l’obscurité avec mes terreurs et mes démons qui sont venus renifler et gronder tout autour de moi. J’ai survécu à cette nuit et aux suivantes. J’ai fait un serment. Rien ni personne ne m’atteindrait plus. Jamais plus.

Mais le plus terrible a été d’imaginer, jour après jour, la couronne qu’ils vont me tresser tout à l’heure. Une couronne flamboyante. Je serai un roi encagoulé et prisonnier d’un siège de feu vivant. Mes pauvres cheveux. Roux comme ceux de cette femme qui est ma mère. Cette sorcière ne brûlera pas sur le bûcher. A sa place, elle a donné son fils au démon. Ils vont raser mes belles boucles rousses. Je ne peux m’empêcher de frémir à cette idée. Raser mes cheveux pour placer leurs électrodes sur ma tête. Je ne peux le supporter !

Si vous regardez bien, vous ne pouvez pas ne pas voir ce bel accroche-coeur que j’ai patiemment aplati sur mon front. J’ai demandé au gardien un peu de brillantine pour qu’il soit parfait. Une magnifique virgule de feu qui lèche mon front. Cela a fait sourire les autres gardiens quand ils sont venus débarrasser le plateau repas. Je n’ai touché ni aux fraises ni aux pancakes.

Voilà, cher inconnu, j’en ai presque terminé. Encore deux ou trois lignes. Après, j’alignerai le crayon gras le long du dernier feuillet. Je signerai comme ils m’ont appelé : le tueur de l’accroche-coeur. Puis j’apposerai le point final. Enfin, l’avant-dernier point. Encore un effort et ma marque sera révélée une toute dernière fois. Adieu, si vous croyez en Dieu!

The Love Lock Killer



« NOOOOOONNNN !!! »

Le cri du gardien me glace le sang. Je me retourne, et par réflexe, je déclenche mon appareil photo. Je crois que cette image me hantera à jamais....

Dans la cellule, effondré au pied du mur, la tête renversée sur la paillasse, gît l’ennemi public n°1. Et d’un coup, c’est comme si rien ne s’était arrêté. Comme s’il nous narguait encore de l’autre côté. Un sourire incertain flotte sur ses lèvres. Mais son front... oh son front... son front s’orne d’un accroche-coeur roux avec en plein milieu...oui...juste au milieu...un cratère irrégulier qui laisse échapper un mince filet de sang... Un trou dans l’accroche-coeur. Une virgule et un point. Son mode opératoire quand il semait la terreur. Alors je lève les yeux et je vois le clou sur le mur, le vieux clou où une goutte de sang perle encore.

M

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z653z  Ecrire à z653z

2008-09-23 18:00:54 

 Beau contournement de la consigne !Détails
Encore un tueur en série, c'est comme une obsession chez toi ;)
Et c'est toujours aussi bien écrit.
Merci.

Deux petits oublis :
"quand il ont coupé mes cheveux"
"qu’il vont me tresser tout à l’heure"

Ce message a été lu 6652 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-09-23 21:18:41 

 Fôtes corrigées...Détails
J'ai corrigé les 2 fautes que tu signalais.

C'est vrai que les tueurs en série sont une source d'exploration inépuisable des méandres de la nature humaine (dark side).

Merci pour ton appréciation. Really!

L'idée de détourner la consigne a été assez fortuite mais une fois que j'y avais pensé, plus moyen de faire autrement!

Pour le reste, la consigne a été quelque part respectée, tous les ingrédients y sont : obsession ( double comme tu le relèves), point et virgule!

M

Ce message a été lu 6150 fois
Onirian  Ecrire à Onirian

2008-09-29 16:36:50 

 ExcellentDétails
Rien à redire, j'ai trouvé ce texte excellent. On est attrapé dès la première ligne et pas laché avant la dernière. Que demander de plus ?

--
Onirian, présentement serial killer de gateaux au chocolat et à la noisette.

Ce message a été lu 6382 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-10-02 19:41:23 

 WA n°45, participationDétails
Finalement je me suis rendue compte en l'écrivant que ce genre de texte ne convient pas du tout aux points-virgules! Maedhros s'en est sorti par une géniale pirouette... mais personne ne danse aussi bien que Maedhros!

A.A.



Après tous ces jours de pluie, ce soleil radieux me donnait la bienvenue dans ma nouvelle vie. Le fond de l’air était frais, bien sûr, mais je marchais maintenant dans la lumière, vers l’arrêt de bus. Mélanie ne pouvait pas venir me chercher mais ce soir je serais à la maison, chez moi, et ma merveilleuse Amandine sauterait sur mes genoux en criant « Papa ! Papa ! »
Je ne me retournai pas. La clinique, la cure, c’était du passé. La petite psychologue blonde qui s’était occupée de moi m’avait dit :
« Vous êtes quelqu’un de bien. »
J’avais trente-deux ans, et ma vie commençait enfin.


L’appartement était vide. Elle m’avait laissé le lit, une commode, la table de la cuisine et deux chaises. Dans la chambre d’Amandine, il ne restait plus que la moquette. Son mot était par terre, dans l’entrée. Ecrit calmement. Ne me donnait pas d’explications, mais je pouvais comprendre. Même si elle avait tort. Je haussai les épaules. J’étais fort. Elle se rendrait compte que j’avais changé. Je laissai un message sur son portable. Je voulais voir ma fille le samedi suivant. C’était mon droit.

Le soir même j’avais repris le travail. C’était agréable de croiser les collègues dans le vestiaire, d’enfiler la bonne vieille blouse blanche, de faire à nouveau partie de l’équipe.
« La prestigieuse équipe des soignants », avait dit la psychologue, mademoiselle Rey.
« Je ne suis que brancardier, vous savez...
- Mais dans une équipe, cher monsieur, chaque membre est important... »
Gros coup de barre vers deux heures du matin. En deux mois, j’avais perdu le rythme. Normal. Vincent avait amené une salade de riz aux crevettes et aux champignons. C’était comme avant, les petits plaisirs pour raccourcir un peu la nuit. Vincent, la soixantaine bedonnante, toujours de bonne humeur... Un brave gars. Il m’avait manqué, mais je ne m’en étais pas rendu compte.
Je n’avais pas faim.
Il me tend un verre de rouge. Je souris.
« Je bois plus, mon gars. C’est fini.
- Tu déconnes !
- Non, sérieux. Je suis guéri.
- Attends, t’étais pas malade... »
Je hoche la tête pour couper court et je reprends du café. Je suis fort. C’est facile.


Je me suis réveillé à quatorze heures. Courbatures. Pas pensé à regarder sur le planning si je travaille samedi. Pas de réponse de Mélanie sur mon portable. J’ai envoyé un SMS : « Rappelle-moi ». Elle ne m’a même pas dit où elle était. C’est idiot de me laisser tomber maintenant. Mais je suis fort.
Frigo vide. Fatigué. Douche rapide, quelques courses au Casino, du café. Des cigarettes. Ca, j’ai le droit.
Pas de télévision. Les larmes me montent aux yeux. Je m’assieds dans la chambre de la petite. J’adorais jouer avec elle sur sa moquette rose bonbon. La dînette, la marchande, et puis l’histoire du soir, l’histoire de papa... Je m’allonge, je regarde le plafond, j’entends son rire clair, ma source, mon arc-en-ciel. Le soir tombe, beaucoup trop vite. Merde, je vais être en retard... et j’ai cramé la moquette...


« Pardon de vous déranger, madame Le Brun, voilà... Y aurait pas une place dans l’équipe de jour ? »
La surveillante me regarde par-dessus ses lunettes. Elle me fait froid dans le dos.
« Ma... femme m’a quitté et... l’après-midi c’est tellement long... Si j’étais au travail... Après la nuit je dors, ça passe plus vite...
- Vous rentrez de maladie, hein, alors vous êtes mal placé pour demander des privilèges. Vous nous avez mis dans un sacré pétrin, vous vous en rendez compte ? L’équipe de jour est au complet, et même s’il y avait une place, elle ne serait pas pour vous. »
Je prends ça en pleine poire. J’aurais dû m’y attendre. C’est une peau de vache. Elle croit me casser mais elle se trompe. Je suis fort.


Seize heures. J’ai lavé mon linge à la main, préparé le casse-croûte pour cette nuit, passé le balai dans la cuisine. Demain j’irai acheter un aspirateur. Ca sera un peu juste mais la paie tombe dans quinze jours. Je vais aller faire un tour dans le quartier, ça me fera du bien.
Manque de bol il se met à pleuvoir. Par habitude je pousse la porte du Café des Sports. Jean-Claude me fait un grand sourire.
« Où t’étais passé ?
- J’étais en maladie.
- Ca a l’air d’aller, dis donc !
- Ca va, ça va...
- Allez, c’est ma tournée ! A ta santé ! »
Il me verse une pression blonde comme l’or, avec une mousse onctueuse et fraîche comme la peau d’Amandine. J’hésite un instant. Ca m’embête de vexer le gars, il a toujours été sympa. Et puis la bière... Cette petite amertume si familière, si amicale... Je suis guéri, je suis fort, je ne risque rien.
La tête me tourne quand je sors dans la rue. J’éclate de rire. Une vraie gonzesse ! Un demi et je suis bourré ! C’est trop bien, d’être guéri.


En sortant du boulot, j’ai acheté un pack de bière. C’est tellement bon ! Du coup j’ai fait le ménage en grand, j’ai mis la radio à fond, la forme ! Il ne restait qu’une canette au moment de partir, et tout à coup l’angoisse, la fatigue, j’ai oublié de dormir... Je l’ai finie vite fait, ça m’a donné le courage d’aller bosser, ça tournait un peu mais le temps d’arriver ça serait passé, ni vu ni connu.
J’ai refusé de boire avec le casse-croûte de deux heures. Mais Vincent avait laissé la bouteille sur la table. Juste une gorgée à trois heures, impression bizarre, ça arrache un peu, et puis ça réchauffe... J’ai l’impression d’être un ado à sa première féria ; je redécouvre tout, c’est cool... A quatre heures, je passais par là... et à six heures, quand j’ai entendu le Samu arriver, ça allait être encore radio et compagnie, peut-être même scanner...


En m’organisant ça devrait pas me coûter trop cher. La bière c’est bon mais c’est pas donné. Le rouge, rien qu’un peu avant de me coucher, et puis au repas, et juste avant de partir... Je pourrais en amener au boulot, sinon à force Vincent va s’apercevoir que je pique le sien, et il va croire que j’ai replongé. Alors que là c’est pas pareil. Y a pas de mal à se faire du bien. Et puis je pense moins à Amandine. Pas de nouvelles. J’ai reçu une convocation de la clinique, « dans le cadre de votre suivi... ». La barbe. Je n’ai rien à leur dire. C’est ma vie.


Une bouteille par jour c’est pas grand chose. Parfois ça m’écoeure un peu mais ça dure pas. Il faut pas que j’augmente. Mais j’aime pas l’eau. Pourtant l’eau c’est sain, ça lave les cellules... Et si je mettais du pastis ? Juste un peu... Non, le pastis sans alcool, c’est presque aussi cher et en plus c’est dégueulasse... Et puis le pastis, c’est les vacances, comme ça je serai en vacances toute l’année...


Mais trop dilué c’est pas terrible. Juste un vrai pastis, quoi, c’est bon pour la digestion, c’est des plantes. Avec une cigarette, c’est divin. De toute façon, j’ai des kilos à perdre. Je peux très bien manger que des pâtes, et puis l’alcool ça fait pisser, ça va m’aider pour le régime.
Il faut juste que je change de supérette de temps en temps. Hier la caissière m’a dit :
« C’est vous qui buvez tout ça ? »
Ca faisait deux jours de suite que j’achetais deux bouteilles. J’ai dit que c’était pour offrir.


Je suis parti à la bourre, j’ai oublié la bouteille à la maison, et Vincent est de repos. Mehdi, lui, il boit pas. Ca va me faire du bien, une nuit sans rien. De toute façon je suis guéri, je me fais juste un peu plaisir, mais je n’en ai plus besoin. Au boulot j’assure, les infirmières des Urgences m’aiment bien parce que je rigole avec les malades, ça les met à l’aise.
Trois heures du matin. Je suis en nage. J’ai le coeur qui cogne, je tremble comme un vieux. Je dois couver la grippe. Demain je me mets en maladie. Il faudrait que je trouve quelque chose à boire. Juste un peu. C’est pour combattre les microbes.
Je fouille dans les placards des salles de repos, la nôtre, celle des Urgences, celle de la Radio. Rien. Je vais pas y arriver. C’est pas grand chose, merde, c’est juste pour tenir jusqu’à huit heures.
La salle de pansement est vide. Sur la paillasse, le flacon d’alcool à 70°. C’est juste un peu plus fort que la vodka. Un petit haricot propre, de l’eau du robinet, une rasade d’alcool... C’est ignoble ! Ca a un goût de médicament... J’ai envie de vomir... Mais ça va aller, je suis fort, je contrôle. Ca fait du bien.
Deux pastis coup sur coup en rentrant. Ca, c’est la vie ! Pourquoi je devrais me priver ? J’ai plus de femme, plus de fille... Je vais pas rester à pleurer dans mon coin. Je suis quelqu’un de bien, elle l’a dit, l’autre. Et je suis fort. Mélanie va revenir, c’est sûr. Elle a dû aller voir sa mère, c’est ça. L’a jamais eu d’santé, c’t’pauv femme... J’ai sommeil...


Mal au ventre. Je me vide. J’ai dû choper la gastro. J’ai la tête qui tourne, je transpire, je vais tomber dans les pommes... La fenêtre, en grand. On se caille, mais ça va mieux. Je vais pas aller bosser ce soir, demain j’irai chez le toubib. Chouette, je suis en vacances ! Et qui dit vacances... Mon pastis termine sa course dans la cuvette des toilettes. Dommage. Je vais manger un peu de pain. Voilà. Celui-là a l’air de tenir. L’autre était trop dilué, c’est tout. Je regarde la bouteille, sur la table de la cuisine, et la bouteille me regarde.
« T’es un bon garçon, tu sais. T’as pas inventé l’eau tiède mais t’es un bon garçon. »
Je sursaute. C’est ce que disait maman. Avant cette saloperie de cancer.
« Maman... tu es partie trop tôt ! Je t’aimais tellement... »
Je chiale un peu sur la table de la cuisine, et sa main se pose sur ma tête, comme avant.
« Mon pauvre petit... Tout ça c’est ma faute... Mais il fallait que je quitte ton père, il était trop dur... et il me trompait... C’était pas facile de t’élever toute seule... J’ai pas été gaie tous les jours... Il y avait les médicaments, bien sûr, pour m’aider à tenir... Karine, ta tante, disait que je te gâtais trop, mais qu’est-ce qu’elle en savait, elle a jamais eu de gosse ! Ah j’en ai réparé, de tes conneries... Mais je ne voulais pas qu’on te fasse de mal... Tu étais mon tout petit, mon pauvre tout petit... Tellement patient quand tu étais bébé, tellement sage...»


J’ai réussi à me traîner jusqu’à la salle d’attente du toubib. Je n’ai rien avalé ce matin. Trop mal au coeur. Sacrée gastro que j’ai attrapée !
Il me fait allonger sur sa table, me palpe le ventre. Je saute au plafond. Ca fait mal !
« Vous buvez beaucoup ?
- Il y a quelques années, oui, un peu... Mais là non, presque rien...
- Je vais vous faire hospitaliser.
- Pour une gastro ?
- Ce n’est pas une gastro. Je pense que vous faites une pancréatite aiguë.
- Et c’est grave ?
- Oui. »
Il me fout les jetons, ce gars. C’est un sadique, ou quoi ? On parle pas comme ça aux gens !
« Je peux rentrer chez moi prendre quelques affaires ? »



J’y vais dans dix minutes. Ils vont encore m’empêcher de boire, ces salauds. Tous des brutes. Ils ne comprennent rien à rien. C’est ma vie, après tout. Je vais pas laisser cette bouteille entamée, ça serait du gâchis. Et puis l’hospitalisation c’est une sacrée corvée. Heureusement il m’envoie dans une clinique, j’aurais pas aimé aller à l’hosto, voir les collègues dans cet état, non merci. J’ai mal au ventre. Je suis fatigué. Il a dit que j’avais la jaunisse. Sûrement une saleté de virus. Un petit coup d’antibio et dans trois jours je suis dehors. Faudra éviter les graisses, mais ça ne me gêne pas. Je suis fatigué... Allez, juste encore un peu, je dors cinq minutes et j’y vais.
« Mais oui, mon petit, repose-toi... Ils sont tous tellement méchants avec toi... Sois sage deux minutes, tu veux bien, après je ferai le repas. Il faut que je m’allonge un peu d’abord... Il y a des bonbons dans le buffet, va, fais-toi plaisir... »
Narwa Roquen, qui mettra des points-virgules la prochaine fois!

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-10-03 15:14:53 

 Commentaire Maedhros, exercice n°45Détails
J’ai adoré ! L’idée est plus qu’astucieuse, elle est jubilatoire. L’homme qui va mourir passe sa vie en revue, et finalement ses seuls points de repère sont d’étranges points-virgules... La pensée est inachevée, au point-virgule ; l’esprit marque une pause avant de compléter sa réflexion. Le tueur, lui, cherche en vain une réparation, une complétude qu’il ne peut pas trouver parce que le passé est forclos. Il appose sa ponctuation pour que le temps s’arrête un instant, pour que la vie y réfléchisse à deux fois avant de continuer. Il joue à être le Maître, alors que ces points-virgules sont des instants de répit dans une souffrance enfermée qui ne doit pas se faire jour. Il est sa dernière victime pour rester dans la toute-puissance qui le protège du désespoir. La logique est implacable, l’observation tout à fait juste. Encore une histoire d’amour qui finit mal...
Et pourtant, et c’est ce qui fait ton talent, tu réussis à le rendre attachant, ce monstre sans pitié qui ne fait que se tromper de crime... Il est intelligent, manipulateur, esthète à sa manière, et malgré la souffrance passée qui ne demande qu’à ressurgir, il est toujours vivant, inventif, déterminé ! Celui-là, tu vois, Françoise Dolto l’aurait guéri.
Une belle composition, avec un titre cousu main, et sur mesure !
Narwa Roquen,- qu'est-ce que tu as contre les sorcières aux chevaux roux et bouclés? Viens me le dire en face, espèce d'Elfe!

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-10-04 14:06:22 

 Encensé...Détails
Je n'ai absolument rien contre les chevaux alezans, ni même contre les crinières rousses, chez les équidés ou chez les sorcières d'ailleurs.

Les Noldor ont toujours préféré les joyaux cachés au coeur des obscurités et rien d'autre, à leurs yeux, n'égale la satisfaction d'en révéler par leur art et leur patience, toute la merveilleuse beauté à la lumière.

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-10-04 15:15:15 

 Undercover.Détails
Un texte sombre et désespéré qui décrit la lente spirale, la longue descente d’un homme qui a cru un instant émerger d’un long cauchemar. On ignore ce qu’elle fut avant, mais après la cure de désintoxication, sa vie a pris des allures de toboggan dans lequel il n’a pu se raccrocher à rien. Sa femme et sa petite fille sont parties, elles avaient sans doute leurs raisons. Vivre aux côtés d’un alcoolique est un enfer quotidien.

Seul son vieil ennemi intime restait encore là. Alors il remplace le vide autour par un plein dedans. Il combat le froid des autres par le feu qui le dévore de l’intérieur. Il oppose à la blancheur de cet univers hospitalier les couleurs exubérantes de l’alcool. Il brise les murs du silence qui l’emprisonnent par ces états euphoriques qui le font se sentir vivre au milieu des autres. Sans se rendre compte qu’il s’enfonce peu à peu, échappant à toute réalité ou prise de conscience.

Tu décris la dégringolade inexorable par palier (par degré ?). Petite démission après petite démission, prétexte après prétexte, résignation après résignation, le retour au point zéro... les apparences lâchent enfin et il se vide, comme se vide un évier plein de whisky.

La description de la déchéance est clinique et quasi-organique avec ce refus de regarder en face la dégradation de son état, la déliquescence de sa volonté, l’impuissance des structures chargées de l’aider. On va sans doute soigner sa pancréatite mais il a la maladie du chromosome 51, la pathologie du gène 27 et il fera peut-être une fois encore le yo-yo mais le bouchon ne refera pas surface la prochaine fois.... Comme bien d’autres...

Je ne ferai aucune observation sur la consigne mais cette histoire se finit aussi en point virgule. Elle n’est pas achevée. Un texte à fleur de peau, une observation quasi-professionnelle des mobiles et des conséquences. Well done... un texte comme je les aime.

M

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z653z  Ecrire à z653z

2008-10-07 16:32:26 

 Que dire de plus....Détails
....
Ah si, je pense que les points virgules sont plus faciles à insérer dans un texte où les phrases sont longues. Ton texte est fait de phrases courtes. Cela donne l'impression que ton alcoolique agit plus selon des sensations que selon des réflexions.
Sinon, c'était bien :)

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-11-29 15:16:58 

 WA45 : participation 1/2Détails
Désolée Elemm', voici encore un texte sombre. J'ai mis des points virgules, Narwa, mais je ne suis pas sûre de les avoir utilisés correctement. Tu me diras. Ce fut long à écrire et je n'aime pas trop le titre mais voilà :

Edit pour corrections suite à remarques de Z et Narwa.

Broken toy


Beth poussa la porte du cabinet et inspecta méticuleusement la rue. Pas de danger apparent ; j’y vais.Elle sortit et referma la porte de verre avec mille précautions. Puis, elle commença à longer le trottoir en jetant des regards à droite et à gauche, sursautant au moindre bruit. Elle rajusta à son épaule la sangle de son sac à main. Il ne fallait surtout pas qu’il tombe. Non, surtout pas. En face d’elle, une jeune femme tourna le coin de la rue et s’avança en poussant un landau. Le pouls de Beth s’accéléra. Ne pas paniquer. Elle s’immobilisa, vérifia la route et traversa précipitamment. Après une nouvelle alerte - un homme portant une plante en pot - elle parvint jusqu’à l’arrêt de bus. Les transports en commun étaient une importante source de stress mais conduire lui était impossible. Elle présenta sa carte d’abonnement au conducteur et s’installa dans un coin, le plus loin possible des autres usagers. Elle observa longuement chaque personne, évaluant les problèmes potentiels. Ce cabas posé sur le sol en équilibre précaire ?! Mais non, il ne contenait qu’une botte de poireaux. Rien qui casse. Tout va bien ; ne regarde pas. Beth s’autorisa un moment de détente, sans toutefois relâcher complètement sa vigilance. Machinalement, elle porta la main à son poignet, enveloppé dans une bande de gaze. Sa peau tailladée pulsait douloureusement.

Elizabeth White était une petite femme pâle d’une trentaine d’années, au visage piqueté de tâches de rousseur, aux grands yeux hagards. Ses cheveux blonds frisés étaient mal coupés et ses vêtements ne lui allaient pas. Elle avait en permanence l’attitude affolée d’un lapin pris dans les phares d’une voiture. Son psychiatre venait de lui prescrire un nouveau traitement. Plus fort que le précédant. Il lui avait donné un flacon et elle avait avalé deux comprimés rose pâle. Heureusement, le flacon était en plastique. Le psy la connaissait bien. Si le flacon avait été en verre, Beth aurait eu trop peur de le casser. Je casse tout.Tandis qu’elle réfléchissait, ses mains cherchèrent dans son sac et caressèrent le récipient de médicaments. Toujours entier : tout va bien.Elle ne se faisait pas confiance. Elle était si maladroite. Depuis toujours, Beth vivait avec la hantise d'abîmer quelque chose. Elle évitait soigneusement de s'approcher des objets fragiles et même des gens, de peur de leur faire mal sans le vouloir. Sa vie entière était organisée autour de cette peur dévorante. Elle ne possédait pas de bibelots, pas de cadres et sa vaisselle était en plastique. Elle ne conduisait pas, par crainte de l'accident, n'allait pas dans les magasins, n'acceptait jamais une invitation. Et malgré cela, elle cassait beaucoup de choses. Dès qu’elle relâchait son attention, cela arrivait. Il suffisait qu'elle s'énerve, qu'elle perde un instant le contrôle de ses sentiments pour qu'un objet se brise. Une intense angoisse la saisissait alors. Le sang lui battait dans les tempes, la tête lui tournait. Il fallait qu'elle répare et vite ! Souvent, elle y parvenait et cela l'apaisait. Mais il était des choses qu'on ne pouvait réparer. Pour se calmer, elle prenait des anxiolytiques. Elle avait des rituels aussi, comme de vérifier chaque soir avant de s'endormir que tous ses objets étaient intacts. Ou de fixer les petits ustensiles de toilette avec du sparadrap sur la tablette du miroir, pour éviter qu'ils ne tombent. Comme ça, pas de danger.

Quelqu'un monta dans le bus et Beth le scanna immédiatement. Chaussures synthétiques, jeans, veste de laine, sacoche en cuir –bien fermée-, casquette en feutre. Pas d’accessoires en main, pas de lunettes. Elle se replongea dans ses pensées. Le psychiatre s'occupait d'elle depuis quinze ans maintenant. C'était le deuxième. Une femme, douce et calme. Il faut que ce soit une femme."Le sujet qui est demeuré bloqué au stade sadique-anal croit en la toute-puissance de la pensée," disait-elle de sa voix de velours, "mais c'est une illusion". Une illusion... Beth voulait la croire mais cela arrivait quand même. Je casse tout.Elle était également suivie pour une amnésie partielle, portant sur quatre années de son enfance. "La névrose d'angoisse est indubitablement liée à l'inhibition des souvenirs", disait la psychiatre. Récemment, un nouveau trouble était apparu. Beth s'était réveillée une nuit avec la certitude qu'elle avait fait quelque chose de terrible et qu'il fallait qu'elle se punisse. Dans un état second, elle avait pris un couteau de cuisine et s'était tailladé l'avant-bras. Elle n'avait repris ses esprits que sous l'effet de la douleur. Cela s'était produit à trois reprises. La pulsion était incontrôlable. Il fallait qu'elle se mutile, qu'elle se mortifie.Je suis mauvaise, je casse tout.Avec le nouveau traitement, la psychiatre lui avait promis que tout irait mieux. "L'analogue de sérotonine du psychotrope va casser la tendance mortifère", lui avait-elle assuré sur son ton posé. Mais Beth était persuadée que se cachait en elle-même une force terriblement dangereuse, aspirant à la destruction. La possibilité que cette force échappe à son contrôle et se livre à des ravages la terrifiait.Je dois me surveiller.Des années auparavant, elle s’était disputée avec un collègue de travail, un jeune fat qui tentait de la déstabiliser sans saisir la gravité de son état. En colère, elle avait souhaité qu’il aille au diable. Le jeune homme était aussitôt tombé gravement malade et il avait longuement gardé la chambre. Beth était accablée de remords. Il lui était apparu clairement qu’elle était responsable. La psychiatre pouvait parler, elle savait qu’il en était ainsi. Et il ne fallait pas que cela se reproduise. Elle se surveillait donc. Constamment. Pas de pensée négative, pas de colère. Sinon, cela va arriver encore.

Le bus avait traversé la ville et l'avait déposée en banlieue. Elle remonta la rue, lentement, et en surveillant tout, puis pénétra dans un bâtiment tout de béton et d'acier. Sur la façade, s'étalaient en grandes lettres chromées les mots Advanced Neural Research, avec un logo en forme de cerveau stylisé. Beth s'immobilisa quelques instants et inspecta les alentours. Pas de danger apparent ; j’y vais.Elle franchit le hall d'entrée suivant une trajectoire qui évitait soigneusement le distributeur, la fausse plante verte et la table basse design. L'hôtesse d'accueil, une blonde très maquillée, la regarda faire avec une moue dégoûtée. Beth l'ignora. Elle ne pouvait se permettre de penser du mal de cette fille.Je casse tout. Le front plissé par la concentration, elle remonta deux couloirs, passant le plus loin possible des gens qu'elle croisait. Seul Jorge, un quinquagénaire moustachu, la salua avec un sourire. Elle lui répondit par un petit signe de la main. Une fois la porte de son bureau refermée, elle respira un peu plus librement. Elle suspendit son manteau et son sac à la patère et s'assura qu'ils ne tomberaient pas. Puis, comme chaque jour, elle entama une vérification méticuleuse du contenu de la pièce. Le bureau était petit, avec une fenêtre donnant sur un parc. Le mobilier se réduisait à une grosse armoire, une étagère, une chaise et une large table, portant quatre ordinateurs à écrans plats. L'un des écrans était allumé et clignotait de rouge et de vert. Les rares accessoires du bureau - un stylo, un calendrier, un bloc de post-it et un téléphone - étaient fixés au plan de travail avec du scotch. Le téléphone, cassé plusieurs fois, avait été rafistolé avec de la glue. "A ce stade de la cure, le sujet peut maîtriser son angoisse et reprendre une activité professionnelle partielle, dans un cadre aménagé" avait dit la psychiatre six mois plus tôt. Beth contrôla l'intégrité de chaque objet une première fois, puis une seconde pour plus de sécurité. Tout va bien ; rien n’est cassé.Enfin, elle alluma ses ordinateurs et s'assit. Tout en consultant ses messages, elle massait doucement ses bras. Les entailles, à vif sous le bandage, lui cuisaient. Elle ouvrit un dossier numérique et de multiples graphiques et schémas s'affichèrent sur les écrans. Sur la première page, le titre annonçait :

SIN
Système d'Investigation Neurologique
(basé sur les travaux de Stewart-Garfield)

Le laboratoire mettait au point une machine permettant l'induction de rêves lucides et ainsi, une régression virtuelle dans l'inconscient du sujet. Beth avait assisté aux premiers tests in vivo la semaine précédente. Elle édita le code source du programme principal, dont elle était l'auteur. Elle passerait la journée à le vérifier avec minutie, éliminant jusqu’aux erreurs les plus insignifiantes.

Eveil. Sol froid sous son corps. Des flash de lumière colorée. Où suis-je ? Beth cligna plusieurs fois des yeux et s'assit doucement. Elle regarda autour d'elle avec perplexité. Une impasse, sombre, au sol luisant de pluie. Des poubelles en inox. Sur le mur d'en face, un néon bleu - "Blue smoke Club" – clignotait, sa lumière se reflétant dans les flaques. Au bout de la rue, des voitures passaient dans un scintillement de phares. Que m'arrive-t-il ?Ses pensées étaient lentes, comme engluées dans un sirop épais. Elle ne parvenait pas à comprendre ce qui se passait. Elle essaya de se souvenir de la veille. Elle était rentrée du laboratoire. Une soupe et puis, elle s'était couchée. Mais après... ? Comment était-elle arrivée ici ? Elle ne connaissait pas cette rue. Si froid... Elle baissa les yeux vers son pyjama et, se faisant, aperçut ses mains. Couvertes de sang. Beth poussa un cri étranglé. Elle leva les bras vers la lumière du néon. Rouge. Encore frais. Non... non... Ses yeux s'écarquillèrent comme s'ils allaient rouler hors de leurs orbites. Qu'ai-je fait ? La pluie se remit à tomber, serrée et glaciale. Elle fixait les rigoles écarlates le long de ses poignets zébrés de cicatrices. La tête lui tourna et elle sentit qu'elle commençait à basculer. Ne pas paniquer.La psy... la psy, que disait-elle ? "...la prise sur le réel par une focalisation sur les informations sensitives." Se concentrer sur les sens. Des gouttes froides sur son visage. Le grésillement du néon. L'odeur métallique du sang. Qu'ai-je fait ?La panique déferla sur Beth, lui coupant le souffle, lui voilant les yeux. Elle se leva, vacillante et se mit à courir dans l'impasse.

Beth but une gorgée à sa chope de plastique. La chaleur sucrée du lait au miel la réconfortait un peu. Elle replia les jambes et se recroquevilla dans son fauteuil. Elle ne savait plus trop comment elle était rentrée chez elle. Elle s'était lavée, longuement, à l'eau très chaude. Et elle s'était savonnée encore et encore, jusqu'à ce que sa peau rougisse. Elle avait enfilé un pyjama propre et avait jeté l'autre dans le vide-ordures. A présent, elle essayait de réfléchir mais ses pensées demeuraient confuses. Quand elle fermait les yeux, des images l'assaillaient, décousues, fugitives, comme les éclairs d'un stroboscope. Un homme aux cheveux gris, sous un lampadaire. Les silhouettes noires des arbres ; un parc. Une chemise et une tâche sombre qui grandit. Suis-je en train de devenir folle?Son coeur battait dans sa poitrine et elle n'osait regarder ses mains, de peur de les découvrir ensanglantées. Que m'arrive-t-il ?"...liée à l'inhibition des souvenirs...". Comprendre, peut-être. Aller au laboratoire et comprendre...

Les mains fines de Beth couraient sur le clavier et des colonnes de chiffres défilaient sur les écrans de contrôle, jetant sur son visage blafard un éclat vert. Elle s'était introduite illégalement dans le laboratoire principal, piratant le système de clé magnétique depuis le terminal de son bureau. Puis, elle avait désactivé les caméras de surveillance. A présent, elle programmait la séquence d'exploration sur le SIN. Rêve lucide, type 2... Réactivation de souvenirs occultés... Réveil uniquement sur signal du patient. La grande salle était sombre, encombrée d'ordinateurs reliés entre eux par des faisceaux de câbles. Les appareils émettaient des lueurs pulsatiles et des bips réguliers, brisant le silence lugubre. Les lampadaires, îlots de clarté dans l'obscurité du parc au dehors, projetaient des ombres fantomatiques à travers les vitres. Beth effectua les contrôles de démarrage du système, chargea fébrilement le programme et lança le mode automatique. Puis, elle se leva et gagna promptement le centre de la pièce, passant le plus loin possible des machines. Ne rien casser.Sur une plate-forme, trônait un siège d'aluminium bardé de sangles, surmonté d'un énorme casque couvert de diodes. Le casque était relié par des fils à une arche métallique qui encadrait l'ensemble. Beth s'installa, serra les sangles et descendit l'appareil sur son crâne. Elle attendit, les mains crispées sur les accoudoirs. "Début d'initialisation" annonça une voix synthétique, grave et douce. Des lampes bleutées s'allumèrent au bas de l'arche puis progressivement tout du long, illuminant la pénombre du laboratoire. Un bourdonnement naquit dans le casque et s'amplifia tandis que des éclairs parcouraient les câbles. Beth serra les dents. "Début de phase principale" déclara l'ordinateur.

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Le labo disparaît d'un seul coup. Je suis aspirée vers l'arrière, comme si je tombais de plus en plus vite. Je crie mais je n'entends aucun bruit. Je tente de me raccrocher mais il n'y a rien. Le temps se dilate. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là. Et puis, la chute s'arrête brutalement. Je flotte dans le néant. Le vide absolu. Je ne vois rien, je ne sens rien. J'ai peur. Que se passe-t-il ? Ne pas paniquer. Et si la machine ne marchait pas ? Et si elle me lavait tout simplement le cerveau et que mon corps reste là, assis sous le casque, réduit à l'état de légume ? J'ai vérifié le programme à maintes reprises mais je ne me fais pas confiance. Mes pulsions de destruction sont si fortes. Cette expérience est dangereuse mais je dois savoir. J'ai fait du mal à quelqu’un cette nuit, j'en suis sûre. Il ne faut pas que cela se reproduise. Non, surtout pas. Il ne se passe toujours rien. Je ne sens pas mon corps. L'angoisse serre mon coeur dans son étreinte glacée, me soufflant à l'oreille les idées les plus terribles : et si j'étais déjà morte ?

Soudain, je hume quelque chose, le parfum de l'herbe, peut-être. Je me raccroche à cette sensation et j'inspire avec avidité. J'entends le souffle du vent à présent et je devine une lueur dorée. Mes muscles crispés se relâchent un à un. Mes pieds se posent sur une surface plane. La vue me revient comme si un épais brouillard se dissipait. Je suis sur une route pavée de briques jaunes, qui serpente dans une campagne paisible et ensoleillée. A perte de vue, la prairie ondule sous la brise. Elle est si fine et semble si douce; on dirait de la fourrure. Je regarde autour de moi. Est-ce le rêve qui commence ? Sans y penser, j'ai commencé à suivre la route.

Je marche depuis un moment quand j'aperçois au loin un objet qui reflète le soleil. Je me hâte. En m'approchant, je m'aperçois qu'il s'agit d'une maison au bord de la route. Elle est immense et entièrement transparente, comme faite de verre. Je peux voir à l'intérieur, des meubles, tables et fauteuils, des plantes vertes. Je longe un mur, touchant la paroi froide. Il ne semble pas y avoir de porte. Je suis inquiète sans savoir pourquoi. Je continue le tour de la maison, sans pouvoir trouver la moindre ouverture. Soudain, je vois des gens. Une fillette est allongée au centre d'une salle, sur un lit d'hôpital. Elle ne doit pas avoir plus de onze ans. Elle est attachée par des sangles de cuir. Ses boucles blondes s'étalent sur l'oreiller vert et ses grands yeux pâles s'écarquillent de terreur. La chambre est immense avec deux murs capitonnés et le troisième vitré. Il y a deux hommes aussi, en uniforme d'infirmiers. L'un d'eux se penche sur l'enfant et lui étale une sorte de gel sur les tempes. L'autre manipule une machine posée sur un chariot roulant, branchant des fils, réglant des potentiomètres. Un noeud se forme dans ma gorge : ils vont lui faire du mal. Je cogne à la vitre pour attirer leur attention mais ils ne réagissent pas. Je vois leurs lèvres s'agiter mais je ne puis rien entendre. A travers la paroi étanche, le silence de la scène est surréaliste. Si seulement je pouvais entrer ! L'un des infirmiers a saisi un appareil à électrochocs et il s'approche de la fillette. Elle se contorsionne entre ses liens, en vain. Le visage de l'homme est d'une froideur mortelle, inhumaine. Je hurle :
" Non !! Laissez-la ! "
Il a posé l'appareil sur la tête de la fillette. Son petit corps bondit, son dos s'arque brutalement puis retombe. Sa bouche s'ouvre sur un hurlement silencieux. Laissez-la ! Je frappe la vitre, des larmes coulent sur mes joues.
" Je vous en supplie, laissez-la ! Laissez-moi ! "
L'homme s'approche à nouveau de l'enfant. Je frappe encore, mes mains sont en sang.
" Pourquoi faites-vous ça ?! Vous êtes des monstres ! Des monstres !! "

Je ne peux détacher mon regard du visage de la fillette. Plein de terreur un instant plus
tôt, il est à présent déformé par la haine. Un rictus hideux découvre les dents. Elle fixe ses tortionnaires. Sa main se crispe et les deux hommes sont projetés à travers la pièce. Ils volent littéralement ! L'un d'entre eux vient s'écraser contre la vitre. Je fais un bond en arrière et tombe lourdement assise. Le visage de l'homme heurte le verre avec une violence inouïe, encore et encore, jusqu'à n'être plus qu'une bouillie sanguinolente. Il glisse au sol en laissant une traînée rosâtre. Le deuxième gît contre le mur, le cou tordu dans un angle grotesque. La fillette s'est tournée vers le mur vitré. De l'autre côté, est apparue une femme mince et blême. Elle se tient debout, les mains jointes, sans réagir. Maman. Je longe le mur pour la voir de plus près. L'enfant lui parle, son petit visage baigné de larmes, mais elle demeure inexpressive, comme absente. Je l'appelle moi aussi :
" Maman ! Vois-moi ! Entends-moi ! "
Elle porte un corsage blanc sur lequel tranche un foulard rouge vif. L'étoffe écarlate me fait peur. Je ne veux pas qu'elle porte ça. Il ne faut pas. Surtout pas !
" Maman, tu ne dois pas porter ce foulard ! "
J'appuie mes deux mains sur la vitre et je pousse comme si je pouvais la traverser. Maman commence à disparaître. Ses pieds et le bas de sa robe deviennent invisibles, puis ses jambes. Progressivement, elle s'efface. Je ferme les yeux. Pourquoi... pourquoi... ? Je ne sais combien de temps je reste ainsi. Quand je regarde de nouveau, il n'y a plus rien, ni fillette, ni cadavres. La maison est vide. Je retourne lentement jusqu'à la route.

Soudain, un froissement d'herbe derrière moi, et une voix aiguë :
"Tu as tout cassé. Tu as été méchante."
Je sursaute et fait volte face. Un lapin en peluche se tient devant moi. Il est énorme, nos yeux sont presque à la même hauteur. Ses formes sont rondes, couvertes de fourrure blanche synthétique, avec un nez en plastique rose. On peut voir sur son flanc qu'une déchirure a été recousue. Il remue les oreilles et me toise d'un air désapprobateur. Je suis stupéfaite. Il poursuit, le timbre haut perché :
"Maintenant, Maman ne veut plus de toi, elle a peur. Tu n’aurais pas dû casser les infirmiers. Tu casses tout."
J'observe la peluche sans comprendre. Tout à coup, une digue cède en moi et les souvenirs déferlent : c'était mon doudou. Je l'appelais Monsieur Lapin. Nous ne nous quittions jamais. Mon coeur se gonfle d'amour. Comme il m'a manqué ! Je dormais en le serrant dans mes bras, nous jouions ensemble dans la cabane... Je veux l'étreindre mais il me fixe avec sévérité et s'en va. Je le suis, accélérant le pas à mesure qu'il s'éloigne. Mais c'est comme si je faisais du sur-place. Le paysage n'avance pas et Monsieur Lapin est déjà si loin, juste un point blanc à l'horizon. Je crie :
" Reste ! Ne me laisse pas toute seule ! "
Il y a des accents de panique dans ma voix. Il est parti. J'ai envie de pleurer de nouveau. Je m'assois sur le sol et j'essaie de me calmer. Tout va bien. Tout ceci est un rêve. Je suis assise dans le laboratoire. Je réfléchis à ce que j'ai vu. Etait-ce mon passé ? Je ne contrôle pas mes visions. Et les deux hommes morts ? Un réflexe morbide me fait me retourner mais la maison n'est plus là. J'ai voulu qu'ils meurent et ils sont morts. C'était vrai. Je sais que je les ai vraiment tués. J'avais occulté ces souvenirs mais à présent, tout me revient. Je suivais une cure dans un hôpital. Ils sont morts et ma mère m'a mise en pension. Mais comment ont-ils pu voler dans les airs ?? Est-ce moi ai fait ça ? Est-ce cela la force destructive en moi, celle que j'ai toujours crainte ? Je dois en savoir plus. Je suis terrifiée à l'idée de ce que je vais découvrir mais je n'ai pas le choix. Ils me faut plonger plus avant dans ma mémoire.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-11-29 15:20:03 

 WA45 : participation 2/2Détails
(Edit pour corrections suite à remarques de Z et Narwa.)

Je me lève et j'avance sur la route pavée de briques jaunes. Le parfum de la prairie et les rayons du soleil dissipent un peu mon angoisse. Aussi inquiétant que soit ce rêve, je me sens libre. Je n'ai pas peur d'abîmer quelque chose ou de faire mal à quelqu’un. Ici, tout est virtuel. Je peux enfin donner libre cours à mes émotions. Je marche d'un bon pas quand je remarque un changement dans le paysage. La chaussée s'est agrandie et la prairie semble plus haute. A mesure que je regarde, les herbes s'allongent et deviennent plus épaisses, la route devient de plus en plus large. Autour de moi, tout croît rapidement. Ou est-ce moi qui rétrécis ? Je ne saurais dire. La prairie est à présent une jungle lointaine et les briques jaunes un désert de roche irrégulier, creusé de profondes fissures. Je prends mon élan et franchis d'un bond un fossé : le joint entre deux briques. J'ai ralenti l'allure, appréhendant la suite du rêve. Le vent s'est amplifié et il siffle à mes oreilles comme un chat furieux. Je me courbe pour résister aux rafales. Mes cheveux cinglent mon visage, mes pieds touchent à peine le sol. Une bourrasque me soulève et je flotte une seconde entre ciel et terre. Tout à coup, je suis emportée. Je tournoie, ballottée en tous sens, ne sachant plus le haut du bas. Un instant, j'aperçois la route, loin en dessous. J'ai le tournis. Je gémis et ferme les yeux.

Puis, aussi soudainement qu'il est venu, le vent se calme et me dépose doucement. Je cligne des paupières et lisse mes cheveux en arrière. Je suis sur une surface de bois rugueux, entre deux immenses objets de verre courbes dans lesquels je discerne des formes colorées. J'inspecte les alentours. Le sol de bois s'arrête à quelques mètres sur le vide et là, en contrebas... une cuisine géante ! Je me rejette brusquement en arrière. Je suis minuscule ! Sur une étagère, entre deux bocaux titanesques ! Le vent a dû me souffler par la fenêtre toute proche. Je balaye la pièce du regard, un carrelage crème rutilant, des meubles verts aux formes rondes, une radio chromée qui susurre un air de guitare tzigane, une porte donnant sur un jardin. Une bonne odeur flotte dans l'air, le parfum de mon enfance, celui de la soupe de ma mère. Soudain, des voix ! Je me cache derrière un bocal. Que vais-je voir cette fois ? Je ne sais pas même où s'arrête le songe et où commence le souvenir...

Un homme entre dans la pièce. Il est immense, grand et carré, la mâchoire large, le visage sévère, le poil brun. Il porte un treillis et sur l'épaule, un gros sac de toile kaki. Ce doit être mon père. Je ne conserve aucun souvenir de lui et ma mère a toujours refusé de m'en parler. Je l'observe avec curiosité tandis qu'il traverse la cuisine à grandes enjambées. Ses rangers font vibrer le sol. Une jeune femme le suit, pâle, les yeux rougis, des mèches blondes s'échappant de son chignon défait. Ma mère. Ses mains se serrent sur son tablier de vichy vert pastel et elle tord le tissu avec angoisse. Elle parle, d'une voix hésitante, entrecoupée de sanglots. Je ne comprends pas ce qu'elle dit. La langue est bien la mienne mais les mots me semblent inconnus. Elle le supplie. Timidement, elle attrape un bout de sa veste militaire. Mon père lui répond. Son timbre est grave, presque caverneux, et plein de hargne. Il se tient bien droit et surplombe ma mère de toute sa hauteur. Elle parle à nouveau et j'entends mon nom dans sa phrase. Ce faisant, elle désigne l'autre bout de la cuisine. Je contourne le bocal pour mieux voir. A une table ronde en formica est assise une petite fille de sept ans. C'est moi, telle que j'étais durant ces années enfuies de ma mémoire. A côté, sur un tabouret, Monsieur Lapin, tâché de chocolat. La petite est vêtue d'une robe de dentelle et ses boucles dorées sont retenues par un ruban rose. Elle semble légèrement apeurée. Sa cuillère a stoppé sa course et reste suspendue à mi-chemin de son bol de soupe. Elle observe ses parents avec intensité.

L'homme a fait volte-face. Il avance et ouvre la porte du jardin. Ma mère tombe à genoux, en pleurs, et s'agrippe à lui. Il la repousse brutalement et elle va heurter le mur avec un bruit mat. Il semble furieux à présent. Il laisse tomber son sac, éructe quelques mots et s'avance vers sa femme. Un tintement. La petite a lâché sa cuillère et ses grands yeux se mouillent de larmes. Maman s'est relevée. Il la saisit par son tablier et la frappe au visage. Non ! Ne tape pas Maman ! Arrête ! Il lève de nouveau la main. Elle tente de se protéger. Une gifle claque. Non, arrête ! Je détourne le regard. Quel spectacle insoutenable ! Si seulement je pouvais arrêter cela, protéger ma mère. Au moins empêcher la petite fille de voir, la sauver de cela, me sauver. Elle ne pleure plus. Elle a fermé les yeux et elle serre ses petits poings le plus fort qu'elle peut. Ses lèvres remuent en silence; une syllabe unique répétée en boucle. Que fait-elle ?

D'un seul coup, je comprends. Oh mon Dieu !! Je me tourne vers cet homme qui est mon père et une horreur indicible m'envahit. Il a cessé de cogner. Son bras est retombé et il recule en titubant. Soudain, il se plie en deux comme sous l'effet d'un choc violent à l'estomac. Il vacille et tombe sur un genou. Il grogne de douleur et un filet de bave perle à sa lippe. A présent, il porte les deux mains à sa gorge et laisse échapper un sifflement perçant. Il tente désespérément de respirer mais l'air se refuse à lui. Ma mère s'est éloignée. Hagarde, les cheveux hirsutes, elle est à demi folle de frayeur. Hypnotisée par l'horrible scène, je regarde mon père. Sa bouche s'ouvre comme celle d'un poisson sorti de l'eau. Ses yeux sont exorbités. Son visage, qui vire au violet, exprime une terreur abjecte. Il arrache sa veste, lacère son t-shirt. Brusquement, il se tétanise et porte la main à sa poitrine. Ses traits se crispent sous l'effet d'une souffrance intense et un flot d'écarlate jaillit de ses lèvres. Le sang vient éclabousser le carrelage impeccable. Il coule sur son maillot comme une écharpe pourpre. Je plaque mes mains sur ma bouche, au bord de la nausée. Mon père s'abat sur le sol avec de sinistres gargouillis. Son corps tressaute puis s'immobilise. Ma mère rampe maladroitement vers la fillette et la prend dans ses bras.

La cuisine s'est assombrie comme si la nuit était subitement tombée. A l'extérieur, résonne un hurlement lugubre. Un raclement sur la porte du jardin, mais je n'y prête pas garde. Je regarde fixement le cadavre de mon père. Le flot de mes pensées s'est gelé sur une évidence insupportable. Je viens de le tuer. J'ai tué mon propre père. En silence, un grand loup noir est entré par la porte ouverte. Sa démarche est souple et reflète sa puissance. Ses prunelles jaunes luisent dans la pénombre. Il flaire le corps et commence à laper le sang sur le carrelage. Je reste pétrifiée, incapable de réagir. Mon Dieu, pardonnez-moi. J'ai tué mon père. Un autre loup est rentré, noir lui aussi, le poil luisant. Il retrousse les crocs et agrippe la veste militaire. L'odeur de la fourrure me remplit les narines, me rendant un semblant de conscience. Je me tourne vers ma mère. Les yeux dans le vague, agitée d'un tremblement incoercible, elle serre toujours sa fille contre elle. Elle ne semble pas voir les fauves. Un troisième s'est faufilé dans la cuisine. Il mordille la main inerte. Un instant, deux loups s'affrontent du regard en grognant, se disputant la dépouille. Le dernier a la gueule dans la poitrine du mort. Les babines dégouttantes de sang, il en tire un lambeau de chair. Mon estomac se retourne violemment et je vomis par spasmes sur le sol de bois de l'étagère. La bouche pleine de bile, je gémis :
" Ne touchez pas à mon père... Allez-vous en..."
La voix de Monsieur Lapin me parvient d'en bas, atone et désolée :
" Tu as cassé Papa. C’est mal. On ne pourra plus jamais le réparer. Tu vas être punie."
Je veux lui répondre que je l'ai fait pour Maman, qu'il n'avait pas le droit de la frapper mais ma gorge est nouée. La cuisine résonne des grondements des loups. Des bruits mouillés de leurs mâchoires dans la chair. Des sanglots étouffés de ma mère. Je secoue la tête. Je ne peux plus le supporter. Mon cerveau va éclater ! Je tourne les talons et je m'enfuis. Je cours le long de l'étagère, j'enjambe le rebord de la fenêtre. Au dehors, tout est noir. J'étends les bras. Briser la vision, à tout prix ! Je saute.

La maison a disparu. Je suis de nouveau sur la route jaune, dans la campagne ensoleillée. Je continue de courir, éperdument, comme si je pouvais fuir mon passé et ses horreurs. Trop de choses. Trop vite. Je devrais pleurer mais les larmes ne viennent pas. Tous mes souvenirs me reviennent. Mon père était cruel. Il ne m'aimait pas. Il était souvent parti, à la chasse ou au pub, et quand il revenait, il maltraitait ma mère. J'avais un don. Je l'avais découvert en chassant des papillons. C'était la première fois que ma mère voyait ce don ce soir-là. Je lui avais dit que je ne voulais pas le tuer. Que j'étais en colère contre lui. Elle avait eu peur. De moi. Elle m'avait fait soigner. Mais à mesure que l'on me soignait, je cassais de plus en plus d'objets. Finalement, elle m'avait abandonnée. Je comprends tout à présent. L'amnésie me protégeait de cette violence. La psy ne pouvait rien pour moi. J'ai tué mon père. Et c'est de ce crime originel que j'ai voulu me punir. Comment survivre à ce passé ? A ma culpabilité ? Comment pourrais-je être sûre de ne plus tuer ? La violence est en moi. Le Mal. Est-ce le pouvoir qui est maléfique ? Ou bien ces gens que j'ai tués ? Je ne le sais pas. Mais je sais que je ne veux plus jamais tuer. J'ai ralenti ma course et je réfléchis de toutes mes forces. Revenir dans le monde réel et me réveiller, c'est risquer de recommencer. Inacceptable. La solution est peut-être de demeurer ici. J'ai besoin de penser à tout cela, d'être au calme. Si seulement, je pouvais me réfugier un moment dans un souvenir heureux...

Je me concentre pour influer sur le cours du rêve. J'observe le paysage avec intensité, lui ordonnant de changer. Des brins d'herbe émergent entre les briques jaunes, quelques uns tout d'abord puis des touffes, de plus en plus denses. La route s'estompe et disparaît sous une pelouse. Je marche sur l'herbe moelleuse. Au loin, des oiseaux lancent des trilles enthousiastes. Pop ! Un arbuste est apparu à quelques mètres de moi, comme s'il avait poussé en un instant. Pop pop ! Des massifs de fleurs multicolores aux parfums capiteux jaillissent à leur tour du sol. Puis des arbres portant de petits fruits pastels. Je marche à présent dans un magnifique jardin, qui paraît sans limite. Des troupeaux de petits nuages dodus parcourent le ciel bleu. A quelque distance, on aperçoit un pavillon de banlieue aux volets verts. Et Maman qui pend du linge dehors. Je me penche pour caresser les fleurs. Elles sont douces comme du velours. Mon angoisse se dissout dans la quiétude du lieu. Je passe à côté d'un arbre bas et je m'approche pour voir quelle sorte de fruits il porte. Ce sont des chamallows ! Rose pâle et rebondis comme des joues de bébé !

Un rire cristallin sur ma droite. Une petite fille s'approche en sautillant d'un pied sur l'autre. Elle porte une robe jaune et un joli capuchon rouge. C'est moi quand j'avais quatre ans. Je regarde avec tendresse son sourire immense, ses couettes blondes, ses petits doigts rondelets. Elle joue à suivre des papillons. Elle s'accroupit quand ils se posent pour butiner et lance des ho ! et des ha ! puis elle repart quand ils s'envolent. Elle passe près de moi sans me voir et continue son jeu innocent. Un énorme crocodile, assis au pied d'un gros arbre, lui fait signe et elle lui rend son salut, hilare. Je souris avec elle; sa joie est communicative. Je reste dans son sillage et je détaille le crocodile. J'ai l'impression de le connaître. Il est grassouillet, avec des yeux rieurs et des crocs émoussés, sans aucun danger. Un cliquetis régulier sort de son ventre. C'est un ami, sans aucun doute. Ici, il n'y a que des amis. Monsieur Lapin est apparu, lui aussi. Il suit la petite Elizabeth en faisant des bulles de savon. Environné d'un nuage de sphères irisées, il avance en trémoussant sa menue queue ronde. Que ne donnerais-je pour pouvoir le serrer dans mes bras ?!

Je regarde tout autour de moi. La campagne paisible, l'herbe verdoyante, le soleil qui n'éblouit pas, les bulles du lapin en peluche qui flottent dans l'air tiède. Non loin, des roses discutent entre elles à voix basse. Je me sens si bien. Ici, rien de grave ne peut m'arriver. Mes inquiétudes sont loin. Tout cela n'a plus autant d'importance à présent. Je vais rester ici. La fillette a entonné une chanson et je la reprends en choeur. Elle est moi, je suis elle. Ici, il fera toujours beau. Et Maman a fait des crêpes pour le goûter. Nos voix se mêlent puis fusionnent en un seul air plein de gaieté. Mon image virtuelle se dissout tandis que je me fonds dans mon moi enfant. Je suis petite de nouveau et mon coeur est léger, plein de joie. Et si on jouait aux indiens ? Je me retourne, mon capuchon rouge flottant au vent, et je prends la main de Monsieur Lapin.

Est', FDEER power !!!

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z653z  Ecrire à z653z

2008-11-29 23:52:14 

 X-FilesDétails
Affaires non classées tous les meurtres de l'héroïne ; et elle n'a jamais été interrogée par la police en tant que témoin (car j'imagine qu'il y a du y en avoir beaucoup) ?
"un jeune fat" "son sac à la patère" -- merci le Wiktionnaire
"L'un d'eux se penchent sur l'enfant" -- se penche
Si elle a onze ans lors des électrochocs, et sept ans lors de la mort de son père, cela fait au moins quatre ans d'amnésie.
"à mi chemin" -- mi-chemin
Que viennent faire les loups après le meurtre de son père ? Sont-ils réels ??
Comment une petite fille découvrant un don très puissant à 4 ans arrive à le dissimuler à ses proches jusqu'à ses 7 ans ?
Les transitions entre les rêves sont très progressives ; elles ressemblent à celles d'un film.
Je suis aussi surpris que la machine ne détecte pas une envie de retour à la réalité.

Bref, belle histoire très bien rédigée :)

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-11-30 16:13:14 

 Broken toy : spoilersDétails
Grand merci d'avoir lu !!!!

Je ne sais pas si Beth a tué des gens à part son père et l'homme du parc. Mais puisqu'elle les tue sans les toucher ni même les approcher, ce serait très difficile de prouver que c'est elle. Son père est mort de diverses ruptures d'organes internes, sans qu'il y ait aucune plaie externe. Comment prouver qu'il a été agressé ??
Sa mère était seule à avoir compris que c'était elle qui avait tué son père mais elle l'a protégée.

Je vais corriger les erreurs; grand merci.

Les loups font partie de l'inconscient de l'enfant, de plus en plus riche en éléments de rêve et de contes de fée au fur et à mesure qu'elle est plus proche de l'enfance. Les loups symbolisent la sauvagerie de la nature, la violence du meurtre, des instincts de l'enfant et de son pouvoir.

Le don ne se manifeste que de façon très ponctuelle au début puis de plus en plus souvent, sous l'effet des émotions.

Par moments, elle voudrait certes se réveiller mais l'envie de savoir la vérité reste la plus forte. Et elle doit, pour s'éveiller, envoyer l'ordinateur un signal explicite, pré-déterminé dans le programme qu'elle a écrit.

Est', hop hop hop !!

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-11-30 22:12:24 

 Commentaire Estellanara, exercice n°45Détails
Un long texte sur le thème de l'obsession, entre SF, fantastique et psychanalyse, qui nous mène dans les profondeurs d'un esprit perturbé...
La première partie, où tu décris la phobie de l'héroïne, est excellente. L'accumulation des détails nous fait plonger au coeur d' une méticulosité maladive. Le rythme est bon, avec des rupturers et des syncopes, l'angoisse est bien rendue. Je ne suis pas sûre que ce soit l'ambiance la plus propice aux points virgules! Ton héroïne a bien besoin de points entiers pour se donner du courage avant d'affronter ses épreuves!
Très joli, le jeu de mot sur SIN, pour quelqu'un dont on devine très vite qu'elle traîne un gros wagon de culpabilité. Le passage où elle se retrouve les mains couvertes de sang - on pense à Macbeth! - n'est pas très clair: est-ce un rêve? A-t-elle vraiment tué quelqu'un?
La transition au présent et à la narration à la première personne est très efficace. Plus moyen pour le lecteur de s'échapper, il va arriver en retard au boulot, mais il est pris dans un suspense vertigineux dont il doit absolument connaître l'issue!
La succession des rêves est bien agencée. On découvre le passé de l'héroïne, du plus récent au plus ancien. Cest logique, cohérent, les émotions sont décrites avec beaucoup de justesse, de même que le cheminement vers la compréhension, avec au début cette incapacité à se reconnaître soi-même.
J'aime beaucoup l'arrivée des loups. Le loup, animal hautement symbolique, typique de la période oedipienne ( elle a 7 ans, dont elle est vraisemblablement en plein dedans), qui, loin d'être menaçant pour la petite fille, s'acharne avec ses frères sur le cadavre ( un seul loup aurait peut-être été plus fort), comme si le père symbolique approuvait la mort du père réel.
La fin est logique, apaisante, et permet au lecteur de reprendre ses esprits après les émotions intenses qu'il a traversées.

Quelques petits détails techniques:
-"deux comprimés roses pâles": la présence de "pâle" fait que ça reste au singulier: "rose pâle"
- "je crie mais on n'entend aucun bruit": tu ne peux pas être à la fois dedans et dehors!
- "l'un d'eux se penchent"
- "ses pieds... deviennent intangibles": intangible, c'est ce qui ne peut pas se toucher. Invisibles serait plus juste
- "tu n'aurais pas du": dû
- "et il y a des accents de panique", "et j'ai envie": je ne vois pas ce qu'apportent ces "et"
- "le vent a du me souffler": devine!
-" n'est-ce pas plutôt ces gens": d'accord, "ne sont-ce" n'est pas très heureux. Je tournerais la difficulté en disant "Ou bien ces gens que j'ai tués"
- "ses petits doigts potelés": le maximum du "potelé" est entre 9 et 12 mois. Il en reste encore un peu à 2 ans, mais plus à 4 !


Enfin, le titre. Effectivement, il manque un peu de force pour habiller ce texte; on dirait que tu as voulu jeter dessus un voile pudique en le cachant sous une langue étrangère. En français, "le jouet cassé", c'est franchement plat. Pourquoi pas "Cassures", "L'enfance cassée", ou, plus psychanalytique, "Ca casse" ?

Au total, un texte bien construit, structuré, cohérent, rythmé, fort, où les émotions sont décrites avec justesse et où le lecteur est tenu en haleine jusu'au bout. Du bon travail!
Narwa Roquen,qui aime bien les loups...

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-12-05 14:28:14 

 Merci !Détails
Grand merci pour tous ces compliments et ta lecture attentive.
Pour le passage de la ruelle sombre, je me suis peut-être pris les pieds dans le mélange rêve/réalité. Elle a bel et bien tué quelqun. Son pouvoir a refait surface. L'homme a sans doute cherché à la voler ou à l'agresser et elle aura perdu le contrôle qu'elle exerce sur ses émotions et libéré sa puissance meurtrière.
Monsieur Zogrot, mon conseiller littéraire trouvait la transition au présent et au je un peu brutale...
J'espère que ma fin un peu douce permettra d'éviter de traumatiser les lecteurs sensibles, comme Elemm'. Je pense à eux quand j'écris des choses dures ou crues.
D'accord avec tes détails techniques sauf pour le "potelés" que j'aimerais bien conserver. Je voulais que les formes rondes de la fillette et du paysage suggèrent la douceur du lieu. Et puis, "rondouillards" ne fait pas sérieux. Je suis confuse de toutes ces fautes. Mon orthographe s'effriterait-elle ? Merci pour ta correction.
Pour le titre, j'ai bien réfléchi. On peut même dire que je me suis pris la tête à deux mains. Si je mets "Enfance brisée", ça en révèle trop, je crois. Et "jouet cassé" sonnait en effet bien plat. Ah, les titres, c'est souvent un problème pour moi. Pourquoi pas "Brisée...". Oh, je ne sais pas décidément !

Est', à la bourre.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-12-11 16:28:00 

 Exercice 45 : Narwa => CommentaireDétails
Génial le titre. J’y suis revenue après une première lecture car je n’avais pas compris au départ.
Ce texte est incroyablement fort et incroyablement dur aussi.
La descente aux enfers de ton héros, progressive mais implacable, est parfaitement décrite, depuis la désertion de sa femme avec leur enfant jusqu’à la noyade finale au fond d’une bouteille de pastis. Et la première personne donne une proximité terrifiante. On est dans les pensées de ce type et c’est pas beau à voir.
La phrase « je suis fort » vient rythmer le récit fort judicieusement.
Les émotions sont bien rendues avec l’abandon, le vide de ton héros, sa solitude. Ses illusions, aussi, les mensonges innombrables qu’il se fait à lui-même, les excuses qu’il s’invente : « c’est bon pour la digestion, c’est des plantes », « Je dois couver la grippe. », « Il y a quelques années, oui, un peu... Mais là non, presque rien... ».
Tout cela est d’un réalisme effrayant. Horrible aussi la réaction des proches qui nient le problème « Attends, t’étais pas malade... » ou poussent carrément à boire « Il me tend un verre de rouge. ».
Ton héros touche le fond de sa déchéance avec l’absorption d’alcool à 90 pour pallier les effets du manque.
Tout sonne juste, comme la description de la première bière, avec les mots qui reflètent l’émerveillement, le langage qui fiche le camp avec l’ébriété « c’t’pauv femme », le delirium et son cortège d’hallucinations. Tu as fait des recherches pour ce texte ?
J’ai trouvé bizarre la transition de temps au début, entre passé et présent. Pourquoi pas le présent dès le début ?
Franchement, ça prend aux tripes jusqu’à la fin et encore une fois, je ne vois pas où est la distanciation que tu prônes. Note bien que ça ne me pose pas de problème qu’il n’y en ait pas. Ce n’est qu’une fiction. On y rentre, on en sort.
Un texte puissant en tous cas.

Est', en pleine lecture.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-12-11 16:30:58 

 Exercice 45 : Maedhros => CommentaireDétails
Excellent, le titre et encore plus excellent le sous-titre, avec un jeu de mot très bien trouvé !
Bonne idée que de faire du point-virgule un accroche-coeur.
Le ton du tueur est intéressant, caustique avec des allusions qui permettent de recomposer son passé chargé, un peu fou aussi. Il parle avec le lecteur comme s’il lui répondait.
Bien vu le poème ! Et bien vu « J’ai ponctué ma vie comme je l’ai voulu ».
« C’était sous les branches d’un grand chêne. » je suppose qu’il parle de sa mère. Sympa la fin.

Est', en pleine lecture.

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