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 WA - Participation exercice n°42 - Réédition complète (Actes 1 à 4)  Voir la page du message Afficher le message parent
De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Mardi 26 aout 2008 à 19:47:00
Suite aux conseils de Narwa, je propose une version complète et remaniée.

__________
L’EVEIL DE L’EPITHUMIARQUE



« Ils vont revenir ? »

Le guerrier garde le silence. Il se contente d’affûter sa longue lame qui brille sous une lune resplendissante. Aucune trace sanglante ne doit demeurer sur le fil tranchant. Son geste semble lent et sûr mais un observateur attentif y décèlerait vraisemblablement une résignation inquiétante dans la façon dont il retient imperceptiblement la pierre d’affûtage. Il s’agît plutôt d’une sorte de rituel, une forme de préparation à une mort inévitable.

« Dis-moi, ils vont revenir, c’est ça ? »

L’enfant n’a pas dix ans. Les scarifications claniques ne zèbrent pas encore son visage aux traits légèrement bridés. Il se tient debout devant le guerrier assis en tailleur face au feu qui ronfle. Les escarbilles rougeoyantes éclaboussent la nuit légère et translucide.

« Nous allons encore les repousser, ne t’inquiète pas ! » répond enfin mollement le grand guerrier qui interrompt son geste. « Les Dieux ne sont jamais sourds aux prières des prêtres de Phédon. Rejoins ta mère dans la longue hutte. Quand tu entendras les chants obscurs, récite bien fort les cantiques consacrés ! » Malgré la fatigue qui l’étreint, le guerrier se force à esquisser un maigre sourire.

Réconforté par ces paroles, le jeune garçon court se réfugier dans la bâtisse érigée au centre de l’esplanade, là où se déroulent toutes les fêtes et les cérémonies collectives de la petite communauté rurale. Le guerrier promène un regard désabusé sur les remparts qui ceignent le village. Les stigmates du dernier assaut sont malheureusement trop visibles. En certains endroits, l’armature de bois a été dramatiquement enfoncée. Le large fossé, le remblai de terre et le parement de pierre extérieur ont difficilement contenu la violence des assaillants. Les défenseurs ont trouvé l’énergie nécessaire pour repousser à grand peine les agresseurs qui avaient pourtant réussi à prendre pied sur le chemin de ronde. A un contre cinq, ils ont payé cependant un lourd tribut à cette fragile victoire. La nuit est encore longue et les cris de guerre ennemis résonnent haut et fort au-delà de l’espace défriché, dans les profonds et anciens bois qui entourent la butte fortifiée.

Le Roi est bien trop loin. Il ne faut attendre aucun secours de l’Ouest. Les armées du Polémarque arriveront trop tard.

Une flèche enflammée s’élève dans le ciel sans nuage. C’est le signe de l’ultime attaque. Des ombres innombrables se glissent alors hors des frondaisons de la forêt pour repartir à l’assaut de l’oppidum. Le guerrier se jette sur l’échelle qui rejoint le chemin de ronde. Silhouette farouche, il tient son épée à deux mains, tout en en assurant ses appuis. Son casque est surmonté de l’aigrette rouge et blanche des légions du Thumos. A ses côtés, les autres défenseurs survivants murmurent la première prière des morts. Dans la tragédie qui se prépare, la mort n’est pas la pire fin qui soit. Loin de là. Puis, des grappins agrippent la pierre... un, deux, trois, dix... cinquante... Aucun point du périmètre n’est épargné. Les vagues des hordes taurines déferlent comme une tempête d’équinoxe en hurlant leurs chants de mort et de victoire. Elles submergent bientôt la défense acharnée et désespérée des guerriers de l’Ouest. Un par un, ces derniers tombent sous les coups sans merci des barbares vêtus de peaux de bêtes dont les casques de fer aux visières mobiles arborent les faces abjectes de démons grimaçants. Les dernières lignes de défense sont enfoncées sans pitié tout près de la longue hutte. Sur le rempart, le guerrier mélancolique est assis, adossé à une poivrière d’angle. Il contemple sans ciller le feu qui embrase la lune descendante. Sa main droite n’a pas lâché son épée. Elle gît dans la mare de sang qui s’étend sous lui tandis que sa main gauche est crispée sur son ventre. Elle a vainement essayé de retenir des masses molles et ignobles.

Lorsque les portes s’ouvrent finalement, seuls les lamentations des femmes et des vieillards et les pleurs effrayés des enfants s’élèvent de la longue hutte. Se découpant sur le disque blafard de l’astre nocturne, s’avancent plusieurs lourdes et menaçantes silhouettes juchées sur des chevaux encore plus monstrueux. Les assaillants soudain silencieux s’agenouillent éperdument lorsque le sinistre équipage passe à leur hauteur et c’est une peur innommable qui peut se lire dans les regards qu’ils jettent à leurs maîtres. Un maladroit, pas assez rapide pour s’écarter de leur chemin, est piétiné sans émotion par les sabots des montures qui n’ont même pas fait un écart pour l’éviter.

Les fantomatiques cavaliers ne pressent nullement le pas pour rejoindre l’esplanade centrale. Sous les épaisses fourrures qui les enveloppent, il est impossible de les décrire précisément. Leurs casques noirs et ternes sont surmontés de cornes démoniaques et dissimulent les visages sous des visières d’airain qui reproduisent les mufles d'horribles taureaux. Tout autour d’eux se devinent de vagues formes évanescentes, longues écharpes impalpables qui flottent dans la brise nocturne en bouquets éphémères ou en volutes improbables. Les chevaux tendent sans cesse leurs oreilles comme pour mieux écouter un choeur invisible et inaudible.

Les Seigneurs Taureaux sont réveillés et se sont mis en marche...

ACTE II


La salle du Trône est déserte. Le clair-obscur qui règne dans l’immense pièce résiste à l’aube timide pointant derrière les larges vitraux multicolores. Sous les hautes arches qui se rejoignent en gracieuses ogives, l’imposante estrade de marbre gris semble écraser de toute sa masse deux frêles silhouettes se tenant dans son ombre, assises sur une volée de marches marmoréennes. A cette heure matinale, même les plus zélés serviteurs n’ont pas encore pris leur service.

En grande conversation, elles chuchotent de crainte de réveiller les échos indiscrets prisonniers des murs de pierre. Lui est grand et svelte. Il a de larges épaules qui mettent en valeur un port altier. Son nez aquilin comme tous ceux de sa lignée, prolonge un front haut et fier qui surmonte des yeux vifs et clairs. Ses cheveux longs et sombres sont tirés en arrière à la mode qui trotte dans le palais. Il s’appelle Anton et il est le fils aîné du Polémarque, défenseur du royaume de l’Ouest, chef des armées du Roi et Seigneur de la Maison du Trèfle. Certes, celle-ci n’est pas la plus illustre ou la plus ancienne des nobles Maisons mais elle a toujours donné au Royaume des combattants émérites et valeureux qui ont porté au pinacle sa renommée et sa gloire. Grâce à leurs innombrables exploits, le symbole de la Maison du Trèfle, le triskèle sinistrogyre spiralé, a été gravé sur l’anneau d’or du Polémarque aux côtés de la Rose et du Lys, les emblèmes du Royaume de l’Ouest.

Elle est ravissante dans sa longue robe vermillon qui épouse idéalement l’harmonie de ses formes et la minceur de sa taille. Ses longs cheveux blonds et rebelles encadrent un visage à l’ovale parfait où des yeux noirs et profonds reflètent l’émotion qu’elle éprouve en la compagnie d’Anton. Elle s’appelle Winona. Que dire sinon qu’elle est la fille du Roi. La princesse Winona, la plus belle fleur du Royaume.

« Mon père l’a annoncé hier soir à ses plus proches conseillers. Il souhaite que la cérémonie de l’Agapê se déroule à la prochaine pleine lune... »
« Mais...mais...elle tombe dans moins de 10 jours ! » proteste faiblement Anton, désespéré.
« Oui et lorsque les rites auront été achevés et les voeux prononcés, mon sort sera définitivement scellé. Même les Dieux ne pourront rompre cet engagement!» En disant cela, ses beaux yeux se voilent de larmes. Elle baise tendrement la main d’Anton qui voulait caresser sa joue. « Mon bel ami, comment alors vivre avec lui et te sentir là, si proche et si inaccessible ? »
« Je ne pourrai pas ! Je prendrai le chemin de l’exil pour que la folie ne s’empare pas de moi!» Anton passe une main sur son visage défait.
« Je ne supporterai pas ton départ! Jamais! Aussi je te répète ma demande pressante. Fuyons ensemble avant la date fatidique! Fuyons loin du Royaume en un lieu où même les Anges de l’Ouest ne pourront nous retrouver! » Winona le supplie d’un regard brillant et humide.
« Fuir...fuir serait la solution... Au diable l’anneau du Polémarque, au diable la Maison du Trèfle... Je t’aime et je ne veux te perdre. Mon frère cadet relèvera la charge aussi bien que moi. Il fera certainement un meilleur Polémarque en définitive!» Anton paraît exalté, prêt à en découdre avec l’univers en cet instant, ne doutant de rien...
« Alors tu acceptes? » s’exclame Winona en rosissant de bonheur.
« Oui...oui... mais avant il faut que je prévienne mon père. Il me comprendra. Enfin je l’espère. Il ne peut me l’interdire. Je regretterais qu’il me désapprouve, ou pire qu’il me maudisse, mais je ne peux fuir sans lui parler. Ainsi, il pourra prendre les meilleures dispositions pour éviter que la colère du Roi ne retombe sur la Maison du Trèfle ou que l’Ajonc ne cherche à se venger! Il saura comment faire! C’est le Polémarque et il est tenu en haute estime par le Roi ! »

Les deux amants se sont enflammés et le vif sentiment qui les unit leur rend tout possible. Les dangers et les incertitudes semblent miraculeusement beaucoup moins insurmontables. Ils se taisent mais dans leurs regards, ils sont déjà loin de ces contingences. Portés par les ailes du désir, ils rejoignent ces contrées lointaines et idéales où ils pourront sans retenue laisser libre cours à leur amour pur et juvénile.

Un bruit se fait soudain entendre. Des pas se rapprochent. Les deux amants s’embrassent furtivement avant de disparaître par une petite ouverture dissimulée derrière de lourdes tentures. La clarté grandit et la salle du trône resplendit de mille feux sous les rayons de l’astre du jour qui lèchent le bord des grands vitraux. Les deux vantaux de la porte d’honneur s’ouvrent à la volée pour laisser passer un personnage grand et altier, richement vêtu, à la démarche souveraine. Précédé par quelques hommes d’armes, il est suivi par plusieurs autres personnes qui lui témoignent une déférence démonstrative. Tous ont une mine préoccupée sinon inquiète.

ACTE III


« Sire, les nouvelles des provinces de l’est sont alarmantes ! Un messager vient d’arriver. Il a galopé quatre jours et trois nuits. Le message est écrit de la main du voïvode Kurtnaslov. » Celui qui prend la parole est le Duc Senzo, chef de la Maison de la Tulipe, en charge de la sécurité intérieure du Palais.

« Que rapporte-t-il, ce benêt de Kurtnaslov ? »

«Les Seigneurs Taureaux se sont réveillés. Ils sont sortis des Bois Enchantés en lançant une grande offensive contre les marches de l’est. Ils ont déjà rasé plusieurs petites cités fortifiées le long de la vallée de l’Ereb en aliénant leurs habitants! Mais le plus inquiétant, c’est qu’ils sont en grand nombre et qu’ils avancent vers l’Ouest. D’après le voïvode, tout laisse à penser que cette fois, ils ne se contenteront pas de quelques bourgs! » répond Senzo en froissant nerveusement dans ses mains la missive du voïvode.

A ses côtés, les deux autres seigneurs présents, le folâtre Comte Elebian, de la Maison du Chardon et le Prince Auguste, de la Maison de la Jonquille, se regardent consternés. Le Grand Prêtre Luxmon ne laisse transparaître aucune émotion. Dans son habit d’une blancheur toute ecclésiastique, il demeure silencieux, un air compassé flottant sur son visage poupin.

Les Seigneurs Taureaux ! Une race monstrueuse issue d’entrailles humaines possédées par des esprits élémentaires maléfiques qui hantaient les forêts millénaires bien avant que les hommes ne viennent revendiquer la suprématie sur ce monde. Ces créatures malfaisantes peuvent demeurer cachées plus de cent ans au plus profond des bois qui s’étendent à perte de vue, sans montrer signe de vie. Puis, pour des raisons inconnues, elles sortent de leur torpeur et attaquent brutalement les marches du Royaume à la recherche d’une nourriture toute particulière. Toutefois, elles sont en général peu nombreuses et elles regagnent le couvert protecteur des bois après avoir saccagé quelques villages mal défendus et aliéné les malheureux tombés vivants entre leurs griffes. Les annales royales consignent minutieusement tous ces faits depuis la fondation du Royaume. Il est constant que jamais ces créatures n'ont laissé derrière elles le moindre cadavre, augmentant l’aura de mystère et de légende qui les entoure.

« Est-ce que le voïvode donne une estimation de leur nombre ? » demande le Roi qui marche de long en large devant son trône, les mains croisées dans le dos.

« Oui Sire. Au bas mot, plus de cinquante mille, selon les éclaireurs qui ont suivi discrètement leur progression. Et ils avancent aujourd’hui comme une armée assez disciplinée, sous les ordres de plusieurs Seigneurs Taureaux. Ils ne donnent pas l’impression qu’ils vont abandonner prochainement leur incursion. Si leur équipement de combat est rudimentaire, il n’en reste pas moins que nous n’avons aucune force capable de les arrêter avant les plaines des Fleurs. Et encore! Là stationnent uniquement quatre légions du Thumos, à peine 17.000 hommes certes expérimentés mais... »

« ... C’est trop peu. Où est donc passé le Duc de Trèfle, le Polémarque? S’étonne le Roi. Comment se fait-il que le chef militaire suprême du royaume ne soit pas présent en cet instant crucial? »

« Je l’ai pourtant fait prévenir ! Se défend le Comte du Chardon, mal à l’aise. Je suis comme vous très étonné qu’il ne soit pas là ! Ce n’est pas dans son habitude...»

« Comte, l’interrompt le Roi, assurez vous sur le champ et personnellement, que le Polémarque sera devant moi dans les plus brefs délais! » L’agacement du monarque est palpable.

« Je cours, je vole...! » balbutie le comte qui, reculant maladroitement après avoir ployé le genou, manque de dégringoler plus rapidement que prévu les marches de l’estrade. Tout en essayant de reprendre contenance, il fait signe à deux gardes de le suivre. Le Roi grommelle à voix basse en les regardant s’éloigner.

« Sire ! La voix du Grand Prêtre s’élève, doucereuse et affectée. Sire, ces tristes nouvelles confirment la prédiction faite lors des cérémonies du solstice d’hiver. Rappelez-vous ! Les astres et le sang du bélier avaient clairement indiqué que l’année de la Bétoine verrait les griffes du passé menacer le Royaume ! N’est-ce pas précisément annoncer le réveil des monstres des bois? Les invocations et les rituels ont été impuissants : il faudra affronter des épreuves difficiles et des jours funestes! Mais tout espoir n'est pas perdu, Sire, car les signes dans le ciel et dans le sang rouge de la bête aux cornes enroulées n’ont pas révélé la fin du Royaume ! »

Le souverain va répondre quand un tumulte interrompt la conversation. Le comte, toujours accompagné de son escorte, revient en courant, la mine pâle et défaite. Il s’écrie, hors de lui :

« Sire...une affreuse nouvelle...ah Sire...tout est perdu ! » Il tremble comme une feuille.
« Quoi, qu’y a-t-il ? » le presse le Roi.
« Ah Sire...une affreuse chose...une terrible catastrophe... tout est perdu... ah Sire ! » bredouille le Comte qui peine à dominer sa vive émotion ! Il se reprend : « Quand vous m’avez prié de quérir le Polémarque, je me suis immédiatement transporté vers ses appartements. J’ai emprunté le couloir des soupirs et la galerie suspendue quand un attroupement à la hauteur d’un renfoncement, a distrait mon attention. Visiblement, quelque chose se passait mais que les personnes présentes m'empêchaient de voir! J’ai balancé entre le désir de vous obéir fidèlement et ma curiosité que vous savez immense! Demandant à mes gens de faire un peu de place, je me suis approché! Oh Sire.... Sire...c’est une tragédie...une catastrophe...!»

Le comte se remet à trembler. Le Roi perd patience, craignant pour ses proches, son fils, l’héritier du Trône ou sa fille, la prunelle de ses yeux :

« Termine ton histoire ou je te jette au cachot sur l'heure et avant midi, ta tête roule au bas du billot! »

« Ah, Sire...vous feriez ça? » Le comte déglutit péniblement et passe la main sur son cou comme pour vérifier qu’il est toujours bien là. « Il y avait du sang partout ! Entre les bras de son fils, il agonisait sous nos yeux, une dague fichée entre les omoplates. Il arrivait à peine à murmurer! Désespéré, son fils pleurait à chaudes larmes. Il avait pris les mains de son père entre les siennes et ne nous regardait même pas, tout à sa poignante douleur! »

« Quoi, un meurtre... à l’intérieur même de mon Palais ! A-t-on confondu le coupable ? Qui est la victime ? Parle donc à la fin ! »

Le comte prend une profonde inspiration. Il devient très calme d’un seul coup. Et posément, en regardant son souverain droit dans les yeux, il dit d'une voix éteinte :

« Le Polémarque, Sire! C’est le Polémarque qu’on vient d’assassiner. Une main criminelle a fauché la vie du Protecteur du Royaume au plus noir de la tempête qui menace le Royaume des Fleurs! Il est mort quasiment sous mes yeux, dans les bras d’Anton son fils. A peine a-t-il eu la force de lui confier l’anneau du Polémarque et lui faire jurer de défendre le Royaume, sur sa Foi et son Honneur! Le brave garçon, en pleurant de tristesse, semblait dire non avec la tête pendant que son père lui passait l’anneau au doigt. L’instant suivant, le Polémarque fermait les yeux et rendait son dernier soupir. Le jeune Anton regardait d’un air horrifié sa main où brillait l’Anneau d’Or ! »

ACTE IV


De l’échauguette accrochée au flanc de la plus haute tour, la vue est splendide. Sous les créneaux de la citadelle des Fleurs, la campagne environnante s’étend jusqu’à l’horizon, dessinant une mosaïque de teintes ocres et orangées, brunes ou tirant sur le rouge. Plus au sud, elle descend en pente douce vers une mer turquoise qui miroite sous les derniers feux de l’astre couchant. A l’est, de lourds nuages sombres s’amassent, ventrus et violacés, malsains et menaçants. A leur contact, la lumière du soleil est comme avalée, là où des averses frangent la bordure de des boursouflures cotonneuses que quelques éclairs silencieux illuminent de l’intérieur.

Anton se tient debout face à l’étroite meurtrière qui embrasse l’est. Il a les mains plaquées sur le mur de pierre devant lui. Le flamboiement automnal ne parvient pas à chasser son désarroi. Winona est également présente, toute proche. Personne ne les rechercherait ici où nul ne les a vus se rejoindre. Depuis leur plus tendre enfance, ils ont l’habitude d’explorer ensemble le labyrinthe de couloirs, de passages, d’escaliers en colimaçon qui constitue la citadelle des Fleurs. Cette parfaite connaissance de l’imposante construction leur a maintes fois permis d’échapper à la vigilance des dames de compagnie de la Princesse, aux corvées promises par les intendants ou aux maîtres d’armes cherchant Anton pour l’entraînement. Et lorsque des sentiments plus intenses ont remplacé leurs innocents jeux d’enfants, cette aptitude à disparaître à volonté au détour d’un couloir leur a été plus d’une fois salvatrice!

Anton est vêtu d’un pourpoint entièrement noir. Sur sa hanche, l’épée du Polémarque attend dans son fourreau. Les rides d’une profonde souffrance tirent son visage fatigué. Alors que l’aube lui promettait un futur radieux, le crépuscule emporte toutes les promesses esquissées. Elles se sont, en quelques secondes, envolées en fumée. Le rêve a viré au cauchemar.

« Winona, je suis au désespoir ! Ce matin, j’étais libre, heureux et prêt à recommencer ma vie avec toi... ailleurs... loin d’ici ! Rien ne m’effrayait puisque j’aurais été avec toi. Ce soir, je pleure un père assassiné, je suis le Polémarque et le Roi m’a ordonné de rejoindre, avec toutes les légions disponibles, la place forte commandant le défilé qui mène aux Plaines des Fleurs! Je pars ce soir, à la nuit tombée, pour y parvenir avant les hordes taurines. Cinq jours de marche. Nous aurons un jour, deux au mieux, pour préparer le dispositif de défense. Or, même si nous les exterminions dès le premier jour et que je revienne ici à bride abattue, en épuisant s’il le faut les montures sous moi, je ne serais pas là avant la cérémonie de l’Agapê! »

La princesse se presse doucement contre lui, essayant de le réconforter. Les évènements de la journée l’ont également atterrée. Elle a sangloté longtemps sur son grand lit en renvoyant sèchement les demoiselles de compagnie qui tentaient de la consoler. Toutes ont cru qu’elle était affectée par la disparition tragique du Polémarque mais elle pleurait sur sa vie dévastée. Les plans qu’elle avait échafaudés s’écroulaient comme un château de cartes, la laissant impuissante. Le Roi son père a décidé, malgré les circonstances, de maintenir à la date fixée, la cérémonie de l’Apagê.

«Si tu le désires, je te suivrai maintenant... tout de suite, pour fuir comme nous l’avions prévu ce matin. Elle écarte les bords de la mantille qui lui couvre la tête et les épaules et dissimule aux regards la blondeur de sa chevelure. Je t’aime si fort que rien, tu entends, rien ne peut rivaliser avec l’amour que je te porte ! »

« Oh Winona...Winona... ! s’écrie-t-il. Ces paroles enflamment mon coeur et transportent mon âme. Sois certaine que mon amour est aussi grand que le tien. Sans toi, je ne suis qu'un champ de blé qui ne sera jamais moissonné, un printemps stérile et glacé. Comme je l’ai caressé, ce rêve de partir avec toi... de tout quitter... ! Mais ce soir, ma raison et mon devoir me crucifient... Mon père.... Mon père a été.... assassiné ce matin...par un familier du palais, car il ne peut en aller autrement... peut-être même par quelqu’un qu’il connaissait... dont il ne se méfiait pas... Mon sang hurle vengeance...mais même la vengeance m’est refusée ! Je suis devenu, par un funeste coup du sort, le nouveau Polémarque et cet anneau d’or me retient prisonnier plus sûrement qu’une chaîne aux pieds ! Je suis devenu l’esclave des obligations qu’il représente... esclave de l’honneur de ma Maison... Un Polémarque ne se démet pas. Les Seigneurs Taureaux foncent vers le coeur du Royaume. Si le Polémarque en titre venait à faire défaut, les généraux, malgré toutes leurs qualités, perdraient confiance. Les légions du Thumos, démoralisées, risqueraient alors de ne pouvoir repousser les assauts furieux des créatures vomies par les bois de l’enfer. Le Royaume et tous ses habitants se retrouveraient sans défense ! »

Il se retourne et tout en la maintenant contre lui, il l’embrasse doucement. Elle se dégage à regret :

« Il faut que je te quitte, mon tendre ami. Le Roi mon père m’attend incessamment pour une question d’étiquette. Mon absence ne passera donc pas inaperçue. Si je ne me présente pas à lui, il fera immédiatement fouiller tout le Palais. Un meurtrier qui rôde si près et qu’on n’a pas encore arrêté, l’a effrayé au plus haut point. Il craint pour nos vies! Toutefois promets-moi de réfléchir à ce que je t’ai dit. Il n’est pas encore trop tard. J’espèrerai de toutes mes forces jusqu’au moment où je te verrai passer le pont-levis à la tête des légions. A ce moment là, ton choix sera fait! Je ne peux t’aider plus avant car la décision t’appartient. Je prie pour que du plus haut du ciel, un ange descende jusqu’à toi et te guide sur le bon chemin. Je t’aimerai, tu le sais, toute ma vie et je n’appartiens qu’à toi! »

Elle lui dépose un dernier et tendre baiser sur les lèvres. Puis, après avoir rabattu la mantille sur son visage et resserré le manteau couleur grisaille, elle disparaît, rapidement méconnaissable dans l’ombre du chemin de ronde, laissant Anton seul et en plein désarroi.

Il réfléchit longuement, un poing comprimant sa tempe. S’il s’enfuit avec Winona, la seule femme de sa vie, il jette l’opprobre sur toute la Maison du Trèfle, foulant aux pieds honneur et fidélité à la couronne. Il prive les armées du Royaume des Fleurs de son Polémarque, capable à lui seul de transcender le courage des légions face à un ennemi terrifiant. Par contre, s’il place l’honneur et le Royaume menacé au-dessus de son amour pour Winona, c’est elle qu’il perdra à tout jamais. Et il sait qu’il ne pourra vivre sans elle, même auréolé d’une gloire immense et comblé d’honneurs et de richesses par le Roi. Il gémira toutes les nuits en pensant à elle dans les bras d’un autre.

Morose, il redescend en silence l’escalier en colimaçon pour revenir vers les salles d’apparat où l’attendent les généraux qui ont commencé de préparer l’expédition et les plans de bataille. Il longe un très long couloir qui serpente dans les entrailles du Palais, un couloir qui ressemble à tant d’autres. Songeur, il ne fait pas attention qu’il dépasse un embranchement et, sans s’en rendre compte, il quitte la partie septentrionale du palais pour pénétrer dans une aile abandonnée. Celle-ci abrite plusieurs étages en cours de réfection. A cette heure tardive, les ouvriers affectés à ces travaux ont déjà regagné la basse ville.

La cavalcade des rats qui fuient le long des plinthes le ramène à la réalité. Il promène ses regards autour de lui. Ses pensées l’ont entraîné bien trop loin. Il se repère vite et décide d’emprunter un raccourci qui rattrapera le temps perdu. Il se hâte à grandes enjambées quand, passant devant une monumentale cheminée, il saisit quelques bribes de phrases portées par une acoustique particulière. Intrigué, il s’arrête et tend l’oreille :

« Tu es certain que personne ne t’a suivi ? » La voix masculine est légèrement déformée par la distance. Elle paraît curieusement familière à Anton qui s’approche un peu plus de l’âtre gigantesque où plusieurs troncs de belle taille tiendraient sans difficulté.

Une autre voix, assourdie, se fait entendre en réponse :

« Tout à fait certain, messire! J’ai suffisamment tourné et viré pour que les éventuels chiens courants lancés à mes trousses tournent toujours en rond en se mordant la queue, très loin d’ici! »

« Tu as fait du bon travail ce matin! Les choses se sont déroulées exactement comme je l’avais prévu! »

Anton reste interdit. Cette conversation inattendue l’intéresse de plus en plus. Un sinistre pressentiment lui pince le coeur.

« Les indications que vous m’aviez données étaient parfaites, messire. J’ai attendu, dissimulé dans l’encoignure de la porte indiquée. Il est arrivé à l’heure dite. Ce fut vite expédié. Le plus difficile a été d’éviter de porter un coup immédiatement fatal! »

La foudre s’abat aux pieds d’Anton. Il est pétrifié! Les deux inconnus parlent du traquenard où son père a perdu la vie! Il faut les démasquer. Faire payer l’homme de main et son commanditaire. Il remercie les Dieux pour cette vengeance qu’ils lui accordent finalement. Tendant une oreille plus attentive, il essaie de localiser l’endroit d’où proviennent les voix. Oh, pas de très loin. En suivant leur écho et à pas de loup, il descend un escalier dérobé, traverse deux pièces désertes pour venir se plaquer près d’une porte mi-close donnant sur un petit salon d’angle. Très prudemment, il jette un rapide coup d’oeil. Il a le temps de distinguer, dans une lumière de plus en plus faible, deux silhouettes qui se tiennent dans un coin. Le salon dispose d’une seconde porte qui s’ouvre sur un couloir repartant vers une autre partie de l’aile. Il faut peu de temps à Anton pour s’y rendre. A l’aide d’un lourd madrier de bois, il cale la porte pour empêcher toute retraite de ce côté. Revenant sur ses pas, il dégaine son épée et bondit dans la pièce.

« Ah je vous tiens, assassins. Vous allez devoir payer pour votre odieux forfait !»

Les deux personnages lui font face, visiblement stupéfaits d’être découverts. Le premier est un homme bas de mine, enveloppé dans un grand manteau noir. Anton ne le connaît pas. Le second se redresse. Il a le maintien d’un seigneur, vêtu d’un pourpoint de satin pourpre, serti de pierres précieuses, une courte cape jaune accrochée sur l’épaule. Son visage est austère et torve, barré par une moustache qui retombe de chaque côté de la bouche. Son nez est busqué et ses yeux sont profondément enfoncés dans les orbites, sous des sourcils drus et sévères. Anton a immédiatement reconnu Grendel, le fils du Duc régnant de la puissante Maison de l’Ajonc.

« Par tous les démons de la forêt, quelle magie as-tu utilisée pour nous retrouver ?» s’exclame l’homme de main. Ne te réjouis pas trop vite, tu vas regretter d’avoir été si perspicace! » Il se jette sur Anton en brandissant une courte dague, une percemaille à la pointe renforcée pour trouer les plus dures cuirasses. Par réflexe, le jeune Polémarque efface son torse. Sans cette parade peu académique qui aurait fait hurler de colère son maître d’escrime, la fulgurante dextérité du spadassin aurait été fatale. Dans le même mouvement, Anton allonge le bras. Son épée transperce la gorge dénudée de l’agresseur emporté par son élan. Une botte secrète apprise à l’entraînement, destinée à tuer sans fioriture ni gloire. Le sbire lâche son arme en portant les mains à son cou. Il s’effondre comme un pantin, en gargouillant et vomissant du sang.

Anton se tourne vers Grendel et s’approche de lui mû par une froide détermination, l’épée levée.

« Pourquoi? Par la Couronne, pourquoi as-tu voulu la mort de mon père ? »

« Tu es aveugle mon pauvre Anton. Moi non ! Répond Grendel en dégainant lentement sa propre épée. Je ne suis pas sourd non plus. Je vous ai surpris un jour, toi et Winona... la femme qui m’était promise...ma femme... Alors je vous ai espionnés. Et j’ai découvert le pot aux roses. Quand mon père m’a secrètement informé, avant-hier, que le Roi avait arrêté la date de l’Agapé, j’ai su que je devais agir. Je ne voulais pas vous laisser le temps de trouver une parade. Dire que j’ai failli réussir! Les circonstances toujours en ma faveur jusqu’à ce que tu apparaisses... Ton père mourant t’obligeant à accepter l’Anneau d’or, l’invasion des Seigneurs Taureaux, l’ordre du Roi de rejoindre la forteresse! Tu étais perdu car je savais que tu ne te défilerais pas !»

Grendel est un bretteur redoutable. Avec la pointe de sa lame, il taquine l’épée d’Anton. Il se déplace lentement vers le fond de la pièce, légèrement de profil et les jambes fléchies. Il est en garde, prêt à attaquer ou à défendre. Les deux adversaires se jaugent du regard. Grendel, un peu plus grand qu’Anton, dispose d’une meilleure allonge. Anton a l’avantage de posséder une escrime réputée plus fine.

Soudain, Grendel rompt le combat pour tenter d’ouvrir la porte qu’il avait repérée dans son dos. Peine perdue, elle est bloquée.

«Retourne-toi si tu ne veux mourir comme un couard ! » gronde Anton, toujours vigilant.
«Tu ne peux rien prouver Anton. Je me rends et je m’en remets à la justice du Roi ! » dit Grendel. Il laisse choir son épée qui rebondit sur les dalles de pierre.
« Non! Tu ne t’en tireras pas ainsi ! Le Polémarque a le droit de haute justice en cas de crime de lèse-majesté, de trahison ou lorsqu'il considère qu'il existe une menace pour le Roi ou le Royaume. Sa fonction légitime son jugement et le châtiment qu’il entend appliquer. Il n'a aucun compte à rendre. Grendel, je te rappelle que grâce à toi, depuis ce matin, je suis le Polémarque en titre. Pour ton crime, je ne vois qu’une seule peine ! Au pire, on mettra ta mort sur le dos du meurtrier mystérieux! Tu passeras peut-être pour un héros qui, au mépris de sa vie, aura retrouvé ce misérable ! Malheureusement pour toi, tu n'auras pas survécu à cet exploit. Qui me soupçonnera? En outre, je pars sur le champ pour aller me battre là où ma propre survie n’est pas assurée. Dis-moi, qu’ai-je à perdre? Alors défends-toi! »

Poussant un cri de rage, Grendel ramasse comme un fou son épée qu’il abat de toutes ses forces. In extremis, Anton pare le coup en opposant son fer. Ils entament alors un ballet mortel d’attaques, de parades et de ripostes qui les fait tournoyer dans le salon. Mais plus le duel se prolonge, plus Grendel s’essouffle à contenir les assauts furieux d’Anton. Il est bientôt acculé dans un coin de la pièce. Faisant appel à ses dernières forces, il se fend pour porter une dernière attaque désespérée et tenter de toucher Anton au visage. Celui-ci effectue une parade en quarte et poursuit ce mouvement circulaire par une riposte foudroyante. Son épée transperce jusqu’à la garde le ventre de Grendel.

« Justice est rendue ! » murmure Anton en dégageant sa lame. Grendel s’affaisse lentement le long du mur, grimaçant de douleur. Le coup est mortel. Sa respiration devient irrégulière tandis que les ailes de la mort se referment sur lui. Il pousse un dernier râle et roule sur le côté. Anton reprend son souffle. Il jette un dernier regard sur les deux corps sans vie puis quitte les lieux. Justice est faite.


Mais lorsqu’il franchira tout à l’heure le pont-levis, Winona sera sur les créneaux. Il l’aura discrètement prévenue. S’il revient vivant de la formidable bataille qui se prépare dans l’est, elle l’attendra. Plus rien ne pourra désormais les séparer.

Fin

(provisoire?)


M


  
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Réponses à ce message :
3 Exercice 42 : Maedhros => Commentaire - Estellanara (Lun 13 oct 2008 à 14:12)
       4 Tu portes à gauche? - Maedhros (Lun 13 oct 2008 à 20:48)
              5 Sûrement pas vu que je suis une fille ! - Estellanara (Mar 14 oct 2008 à 12:12)
                   6 Bon allez! Un truc bien trivial... - Maedhros (Mar 14 oct 2008 à 20:36)
                       7 Elémentaire, mon cher Watson - Estellanara (Mer 15 oct 2008 à 11:00)
                          8 Canard boiteux... - Maedhros (Mer 15 oct 2008 à 21:19)
3 actes... - z653z (Mer 10 sep 2008 à 14:42)
3 Beaucoup mieux! - Narwa Roquen (Jeu 28 aou 2008 à 17:34)
       4 Quelques autres précisions... - Maedhros (Ven 29 aou 2008 à 09:42)


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