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 WA, exercice n°40 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 12 juin 2008 à 19:03:13
Prêts pour la suite ? C’est ici qu’entre en jeu le 3° personnage ; nos deux héros vont lui raconter, chacun à sa manière, leur dispute – eh oui, bien joué, on retravaille les points de vue... La suite est libre. Le 3° larron résoudra-t-il le conflit ou y aura-t-il un clash définitif ? Vous êtes l’auteur, vous êtes le maître ! Pourvu juste que le lecteur y prenne du plaisir...
Vous avez deux semaines, jusqu’au jeudi 26 juin.
Pour ceux qui n’ont pas eu le temps de participer au n° 39, ils peuvent toujours faire le deux-en-un !
Gardez la tête froide, quoiqu’il arrive, et ne perdez pas le nord même si vous défendez des idées opposées !
Narwa Roquen,une boussole dans la main...


  
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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-06-25 17:27:31 

 WA,exercice n°40, participationDétails
Tendresse en herbes




....
Rodolphe ne s’était pas calmé pour autant. Cet imbécile de Martin était tombé beaucoup trop vite, il n’avait même pas eu le temps de vider sa colère en lui administrant une bonne correction - comme autrefois. Alors, tout bouillant encore de rage, il attacha son cheval devant la maison de sa mère et s’en fut voir sa soeur.
Dora ravaudait des chausses sur le pas de sa porte. Elle esquissa un sourire en voyant s’avancer Rodolphe au pas de charge, l’oeil étincelant et les poings serrés. De son air le plus innocent, elle demanda :
« Tu viens dîner avec nous, mon cher frère ? »
Il se campa devant elle, les poings sur les hanches. Il ressemblait au petit garçon d’autrefois, qui bien que son aîné, venait toujours chercher du réconfort auprès d’elle. Il lui disait souvent « tu es trop petite pour comprendre », et elle le laissait dire, mais plus d’une fois elle lui avait prêté son mouchoir et mis de l’onguent sur ses bleus. Elle perçut tout de suite le chagrin sous la colère.
« Sûrement pas. Ton mari...
- Vous vous êtes encore disputés ?
- Il m’a insulté ! Il a insulté les armées du Roi ! Il a dit que j’étais stupide d’aller me battre, qu’il n’avait pas de temps à perdre avec moi... et il a refusé de ferrer mon cheval !
- Mon pauvre Rodolphe... Il devait être fatigué, sans doute, après sa rude journée... Mais c’est vrai que tu ne peux pas reprendre la route comme ça... Tu n’as vraiment pas eu de chance de perdre un fer sur un sol aussi sec... Car tu l’avais fait ferrer récemment, n’est-ce pas ?
- Mais bien sûr ! Cela fait à peine trois semaines ! »
Dora s’amusait beaucoup, sans que son visage trahisse la moindre ironie. Rodolphe était capable de mentir effrontément juste pour paraître à son avantage, et rien n’avait pu le guérir de ce travers. Elle avait vu arriver le cavalier marchant devant son cheval, et la pauvre bête avait les pieds beaucoup trop longs : son dernier parage devait remonter au moins à huit semaines. Elle n’était pas femme de maréchal pour rien...
« Eh bien, vraiment, quelle poisse ! Heureusement que ça ne t’est pas arrivé pendant les manoeuvres... Ecoute, laisse passer la nuit. Viens demain matin, nous déjeunerons ensemble. J’aurai du pain frais et du pâté de lièvre. Je suis sûre que vous pourrez vous entendre... »
L’homme bougonna dans sa barbe, puis, avec un sourire apaisé, déposa un baiser sur son front.
« A demain, petite soeur. »
Dora rentra dans la maison et ouvrit son armoire aux herbes. Dans un petit pot, elle mélangea, dans les proportions qu’elle connaissait par coeur, nénuphar, valériane, mélisse, coquelicot et marjolaine. Puis la main droite posée au dessus du récipient elle récita à voix basse une formule qu’elle tenait de sa grand-mère. En souriant, elle rangea le pot tout au fond de l’armoire.
Quelques minutes plus tard, alors qu’elle vérifiait que la soupe était chaude, arriva Martin, la lèvre fendue et la démarche incertaine.
« Oh, tu t’es blessé, mon amour ?
- Ce n’est rien. Pardon de t’avoir fait attendre. »
Elle l’embrassa légèrement, là où la lèvre était intacte, puis déposa une noisette de baume sur la lèvre et le menton.
Elle connaissait presque aussi bien son mari que son frère, et savait que Martin gardait volontiers ses tracas pour lui.
En servant la soupe, elle entama la conversation d’un ton anodin.
« Tu as vu Rodolphe, aujourd’hui ?
- Oui. »
Dora rompit encore le silence.
« Il a dû être content que tu referres son cheval. »
Martin avala deux cuillérées.
« Je ne l’ai pas fait. »
Dora prit l’air étonné. Le poisson avait mordu à l’hameçon, le plus dur était fait. Il ne fallait pas le brusquer, ne pas tirer sur la ligne.
« Tu dois être épuisé après cette longue journée. Qu’est-ce qu’il a fait chaud ! Tu seras plus à l’aise pour le faire demain matin à la fraîche.
- Je ne le ferai pas. »
Cette fois c’était à Dora de se taire. Il fallait que l’homme parle pour lui, elle ne devait pas l’aider davantage.
« Je suis désolé, Dora, je sais que c’est ton frère... Il m’a insulté, m’a traité de lâche... Il a été arrogant, prétentieux, hautain... Je ne suis pas son esclave. Je veux bien lui rendre service mais il peut au moins se montrer aimable ! »
Dora apprécia sa délicatesse ; il ne mentionnait pas le coup qu’il avait reçu. Ou bien avait-il honte de n’avoir pas su se battre ?
« Eh oui... Il a toujours été comme ça... Si ça pouvait lui servir de leçon...
- J’en doute. Et puis je ne suis pas son père, je n’ai pas à l’éduquer. Et je ne suis pas tenu non plus de supporter son mauvais caractère.
- Tu as raison. Mais celui qui va le plus en souffrir, c’est le cheval.
- Il n’a qu’à repartir à pied.
- Tu sais bien qu’il ne le fera pas... Je t’ai fait un clafoutis aux cerises, tu en veux ? »


Dora se leva avant l’aube. Elle prépara une infusion de sauge, pendant que le pain cuisait, et y versa son mélange de plantes. Le bruit des sabots dans la cour lui apprit que Rodolphe était là. Elle l’attabla devant le pain, le pâté, le clafoutis et la tisane, puis s’en alla porter un bol encore fumant à son époux. Quand celui-ci entra dans la pièce, avec le pas traînant d’un homme courbatu qui a quitté son lit à regret, Rodolphe lui sourit.
« Bien le bonjour, Martin. Bien dormi ? Pardon pour hier soir, j’ai eu tort de me mettre en colère.
- Ca ne fait rien ; j’étais fatigué et énervé moi aussi. Laisse-moi déjeuner, et puis nous irons ferrer ton cheval. Tu ne seras pas en retard ?
- Ca ira très bien, je te remercie. Je savais que je pouvais compter sur toi. On n’est jamais aussi bien que dans sa famille.
- A propos de famille », intervint Dora en posant ses mains à plat sur son ventre, « elle va s’agrandir... »
Les deux hommes cessèrent de mastiquer.
« C’est vrai ?
- Ca alors !
- C’est pour quand ?
- C’est merveilleux ! »
Martin se leva pour embrasser sa femme, Rodolphe se leva pour serrer sa soeur dans ses bras.
« Prends-en de la graine », pensa Dora à l’intention du petit être qui commençait à grandir en elle. « Un peu d’astuce, quelques herbes et de l’amour... Je t’apprendrai, mon enfant... Tu ne changeras peut-être pas le monde... mais tu auras la paix chez toi... »
Narwa Roquen,quelques grammes de douceur...

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-06-26 23:04:09 

 WA - Participation exercice n°40Détails
Gloria in excelsis Deo

« Mais tu ne m’as pas invitée ici et maintenant rien que pour remuer le passé et énumérer ce qui nous sépare n’est-ce pas ? »

Elle m’observe, ses yeux très légèrement rétrécis épiant le moindre signe révélateur que je pourrais laisser échapper. Je n’ai pas les talents d’Arsenophiles, le manticien, le scrutateur impassible des profondeurs, capable de démêler à bord du vaisseau l’écheveau changeant des futurs possibles pour rallier sans encombre le point de sortie paradoxale, à l’autre bout du puits de jonction. Shiva devrais-je dire à présent. Mais je me contrôle du mieux que je peux. Ce n’est déjà pas si mal.

« En effet, j’aurais pu te laisser aux soins attentifs des gardiens des temples quelques années. Oui, j’aurais pu. A combien estimes-tu le prix à payer pour ceux qui sont morts sur le volcan?»

« Je n’ai vu personne en venant ici. Où sont-ils tous passés?»

« Ils ne sont pas loin. Ils attendent. » Ma voix grince désagréablement. Un fourmillement dans le poignet droit me rappelle à mes obligations. Elle n’a rien remarqué. Pas encore. Je dissimule tant bien que mal la fine cicatrice blanchâtre qui s’est réveillée.

« Dis-moi. » Sa poitrine soulève le tissu de la fine tunique. L’éclat des torches impudiques dévoile une transparence qui désoriente mes sens. Si je tendais le bras, je pourrais caresser son épaule dénudée.

«Tu ne m’as guère écouté, tout entière au deuil de tes rêves brisés. Ton profil psychologique te colle tant à la peau que cela en devient puéril. Tu ne m’as pas laissé terminer. Les circonstances ont changé. Les forces telluriques que vous avez défiées et les violents combats que nous avons livrés ont gravement perturbé les champs magnétiques de la planète. Nos instruments ont enregistré des dizaines d’anomalies. Il y a sans doute un lien de cause à effet mais il s’est réveillé !»

Elle est décontenancée. L’espace d’un instant, elle est redevenue telle que je l’avais connue, avant toutes ces épreuves, réveillant à nouveau mon sentiment amoureux. Elle semble d’un coup si fragile, si vulnérable. Ces quatre siècles sont passés comme une comète dans un ciel d’été.

« Quand ?»

Ce fut plus un cri de détresse qu’autre chose. Elle serre ses mains l’une contre l’autre.
« Un peu après notre retour. Tu étais encore plongée dans un coma traumatique consécutif à une lésion focale étendue des fibres nerveuses près du tronc cérébral. Ton cortex n’a pas été correctement irrigué des informations transitant par les thalamus. »
« Dis donc, c’est toi qui étais affecté au bloc médical sur le Bucéphale ? Pour un comptable, tu te débrouilles pas mal en physiopathologie ! »
« Ne te fais pas d’illusion. Je ne fais que répéter les mots de Xipe Totec. En tous cas, cela a empêché l’activation du Lien jusqu’à présent. »
« Le lien... » Elle frissonne. « Et toi ? »
«Pour l’instant, il a rappelé ses plus proches fidèles. Et c’est assez fastidieux semble-t-il. Hors de son environnement familier, avec une source d’énergie moins filtrée que sur le vaisseau, ses routines pédalent un peu dans la choucroute. Et je n’étais pas un fidèle des cercles intimes. Je sens juste un fourmillement dans le poignet sur lequel est réapparue la marque blanche du bracelet. C’est une question de temps. C’est pourquoi il nous faut agir vite ! »

Elle met sa main sur mon bras :
« Combien sont déjà activés? »
« Demande-moi combien ne le sont pas encore? Nous sommes une poignée. Moins d’une dizaine. Tu en connais trois. Apollon, Xipe Totec et Shiva. Les autres sont des profils mineurs.»
« Et toi! »
« Et moi. »
« Zeus ou Luca Pacioli? J’aimais bien Luca. Il était gentil et prévenant Luca. Il me faisait rire avec ses mimiques et ses blagues à deux sous !»
« La liberté est enivrante. Je ne veux pas la perdre! Tu veux le voir? ».

Mon ton redevient grave. Il ne reste que peu de temps. Cela va devenir de plus en plus difficile de conserver une forme d’autonomie maintenant qu’il est conscient.

« Il se laisse approcher par des non-unis?»
« Ne sommes-nous pas ses enfants? Il nous aime à sa façon. Ne nous l’a-t-il pas suffisamment prouvé durant tous ces périples galactiques? Il a confiance et il garde une trace mémorielle de chacun d’entre nous. Il nous laissera approcher. En plus, sa garde prétorienne veille auprès de lui. Suis-moi.»

J’extirpe une torche de son anneau sur le mur et je la précède en me dirigeant vers le fond du naos noyé d’ombres épaisses. Un escalier marmoréen s’enfonce en pente raide vers la crypte. C’est là qu’il repose, là où nous l’avons délicatement transporté quand il est devenu évident que le vaisseau n’offrait plus une sécurité suffisante. Les machines, les périphériques énergétiques, les échangeurs thermiques, les transformateurs de nutriments et les kilomètres de câbles ont été démontés et patiemment remontés dans le sanctuaire secret. Dans le saint des saints. Là où on n’entre pas.

L’escalier, creusé dans une veine de porphyre rouge, compte exactement cent quarante quatre marches. Tandis que nous descendons, la torche arrache des fulgurances blanches ou roses des feldspaths translucides noyés dans la roche magmatique. C’est une sensation quasi-organique qui s’empare de nous, comme descendre le long d’un boyau digestif de quelque monstre assoupi.

Nous parvenons enfin devant la lourde plaque de plastacier qui garde l’entrée de l’adyton. C’est un disque pesant plusieurs tonnes qui a été placé devant l’ouverture. Son équilibre est si parfait que, une fois les sécurités levées, il suffit que j’applique une légère poussée pour que tout l’équipage mobile roule lentement sur le côté, découvrant une profonde crypte brillamment éclairée.

« Cela fait si longtemps que je ne suis pas venue que j’ai oublié à quel point tu avais voulu recréer le même environnement que sur le Bucéphale. » me dit-elle, interdite sur le seuil, frappée par la majesté et la puissance qui se dégagent de l’adyton.

Les travaux ont duré près de deux années standard, mobilisant à plein temps la plupart de l’équipage du vaisseau naufragé. Mais le résultat est à la hauteur des efforts consentis. La crypte ressemble à s’y méprendre à celle du vaisseau qui l’abritait, celle qu’il ne quittait jamais, celle qu’il n’aurait jamais quittée si la catastrophe ne s’était pas produite. Il avait été conçu pour vivre plusieurs dizaines de millénaires. Et quand l’avarie est survenue, il était à peine arrivé à la moitié de son existence.

Les parois de la crypte sont constituées d’un alliage de titane lustré moléculairement modifié, aussi fin qu’une pellicule de buée sur une vitre, aussi doux que la plus douce des étoffes, aussi dur que le plastacier de classe militaire. Le coeur de la planète pourrait exploser sans parvenir à briser l’enveloppe de l’adyton. C’est le sanctuaire des sanctuaires. Une lumière crue et violente semble se déverser de partout et de nulle part et sa tessiture particulière empêche toute ombre portée. Aucune machine ou machinerie n’est visible, aucun câble ne traîne sur le sol. Juste l’autel au centre géométrique de la grande salle ovoïde. Une projection de métal qui semble jaillir du sol soutient une lame de cristal où il repose. A la circonférence de l’adyton, vingt quatre silhouettes figées, postées à intervalles réguliers, se confondent avec la paroi. Les cuirasses polies se réfléchissent les unes dans les autres, déroutant et affolant le regard. Ce sont les gardes prétoriens qui veillent en permanence sur lui. Ils sont armés d’un long bâton, qu’ils tiennent tout contre leur poitrine et dont le pouvoir destructeur ferait pâlir d’envie les redoutables commandos Thanatos.

Une pulsation sourde et diffuse m’envahit, signe d’une élévation infinitésimale de son niveau de conscience. Héra la ressent également car elle se raidit légèrement. Il tente d’établir le lien psychique. Peine perdue. Héra est encore protégée par son récent coma et quant à moi, disons que je ne suis pas une de ses priorités. En plus, un comptable doit toujours savoir faire taire les chiffres et dissimuler certaines informations même face à des auditeurs impériaux de classe III. Sinon, le commerce n’aurait plus aucun charme et les compagnies galactiques ne seraient pas aussi florissantes.

J’ai attendu le dernier moment pour contempler Père. Il ressemble à un oeuf, sans appendice visible. Un oeuf immense qui domine la crypte. Il est vivant, doué d’une intelligence étrange. Il a le pouvoir d’ouvrir les routes à travers le temps et l’espace. Sans lui, nous ne retrouverions jamais le chemin du retour. Dans ses cellules mémorielles sont conservées toutes les coordonnées spatio-temporelles de tous les mondes connus dans les six dimensions de l’univers. De façon éternelle. Sans lui, sans notre Père et notre Dieu, le vaisseau pourrait se perdre dans l’orbe d’un soleil ou dans le cratère gravitationnel d’un trou noir errant. Le Père contrôle complètement le vaisseau et il appréhende le temps d’une façon insondable et imprévisible, selon des concepts qui échappent aux lois physiques habituelles. Comme tous ses pairs, il a été conçu au sein d’une matrice unique abritée sur une planète cachée dans un bras interdit d’une galaxie ancienne. Seul l’Empereur, le Cénacle Majeur et la Ferme Impériale ont accès aux informations les plus secrètes concernant leur création.

Nous sommes unis à lui par un lien psychique et un conditionnement intensif dès les couveuses. Nous sommes son équipage et ses enfants. Nous mourrons avant lui, notre échelle du temps étant beaucoup plus courte, tous à la même seconde. C’est inscrit dans nos gènes dès notre conception. Nous vivons près de cinq mille ans sans connaître ni souffrance, ni maladie, ni psychose. Uniquement la même perfection, jour après jour, car avant la catastrophe, il n’y avait aucune différence entre une seconde et cent ans, dans la lumière immanente de Pan GU, notre Père. Autour, le Chaos et l’Ether cherchent perpétuellement à nous engloutir et seule l’ubiquité de Pan Gu nous préserve du déchaînement de ces forces primordiales. A la fin, notre fin, Père recueille jusqu’à notre dernier souffle pour recycler le moindre de nos atomes de carbone pour enrichir sa soupe nutritionnelle. Quelque part, il mange ainsi tous ses enfants.

Je récite silencieusement la vieille prière oubliée, celle psalmodiée continuellement à chaque plongée dans l’hyperespace, à chaque manoeuvre délicate, à chaque menace extérieure :

Gloria in excelsis Deo,
et in terra pax hominibus bonae voluntatis.
Laudamus te, benedicimus te, adoramus te, glorificamus te.
Gratias agimus tibi propter magnam gloriam tuam.
Domine Deus rex coelestis , Deus Pater omnipotens.
Qui tollis peccata mundi, miserere nobis.
Qui tollis peccata mundi, suscipe deprecationem nostram.
Quoniam tu solus sanctus, tu solus Dominus, tu solus altissimus,
Amen


Une voix au ton suave et paternel nous enveloppe dans la douce caresse d’une compassion infinie quand nous pénétrons dans la zone d’influence étroite. Pourtant, les paroles contredisent cette sollicitude apaisante.

« Vous êtes revenus. Je vous perçois malgré l’absence du lien étroit. Vous êtes différents, plus encore que tous les autres. Vous... vous résistez... vous me résistez. C’est intéressant. Où sont mes fils aînés?»

Ses merveilleux fils aînés, les manticens capables de prédire l’avenir grâce aux informations que leur fournissait Père. Cinq étaient assis en lotus à sa droite, là-haut sur Bucéphale. Il n’en reste qu’un aujourd’hui, Shiva et Père ne sait pas encore qu’il ne lui appartient plus.

« J’ai vécu une expérience extraordinaire. Mon niveau de conscience était tellement ténu, aucune information habituelle ne semblait disponible ou alors curieusement altérée. Mes palpeurs n’enregistraient que des signaux indéchiffrables. Mes enfants m’ont répondu que j’étais... endormi. Ils ont parlé de sommeil. De traumatisme. De rêve aussi. Ils m’ont parlé de cette avarie qui a gravement endommagé le vaisseau et qui est à l’origine de notre perdition sur cette terre étrangère. Je comprends toutes ces notions, mon intelligence n’est-elle pas eidétique, c'est-à-dire absolue. Mais comment ma conscience a pu être mise entre parenthèses durant plus de quatre cents ans. Pouvez-vous m’expliquez ? »

Je parle aussi platement que possible, comme nous parlions sur le Bucéphale. Aucune émotion. Une parole utilitaire et sans fioriture. A présent, je mesure la liberté que nous avons acquise bien malgré nous. A côté, Héra retient son souffle. Comme moi, elle se conforme à l’image lisse et plate de la chargée des liaisons extérieures qui officiait à bord. J’étais sûr qu’elle serait une alliée objective malgré tout ce qui nous sépare.

« Père, tous vos fils aînés sont morts. L’avarie des cellules motrices a endommagé certaines parties du vaisseau et nombre de vos enfants ont perdu la vie lors de l’atterrissage d’urgence. »

« Mes synapses sont quasi végétatives. Mes interfaces sont impuissantes. L’espace est muet et je n’entends plus le chant des étoiles. Il y a des parasites terrestres qui saturent toute la bande passante. J’entends la vie en surface, une vie basée sur le carbone. Je discerne la présence de créatures humaines parmi d’autres non humaines. Leur structure ADN est différente de la vôtre mais toutes deux sont issues de la même souche. »

Père est perplexe. Il faut que je poursuive :

« Les circonstances de leur présence sur cette planète nous sont inconnues. Ils ont la vie brève et leur civilisation est primitive. Ils croient aux Dieux et aux Esprits. En fait, nous passons pour des Dieux à leurs yeux. »

« Des Dieux ! » La voix de Père est forte et roule comme le tonnerre. « Il n’y a nul Dieu en ma présence. »

Héra intervient alors :

« Père. Tous ne le voulaient pas. Cette planète recèle bien des dangers pour ces créatures humaines. Nous pouvons les aider. »

« Nous sommes les habitants du vide et du profond, familiers du Chaos et de l’Ether, de la Nuit et des Ténèbres. Notre place est au coeur de l’Univers ou n’est pas. Je ne comprends plus. Il faut que l’ordre soit rétabli et les procédures appliquées....Votre Père doit être obéi. Vous allez tous venir pour que l’unité soit retrouvée, le tout soit reformé. »

L’oeuf est parcouru de lueurs scintillantes, et des images chimériques naissent et disparaissent sur la surface gélatineuse. Je devine successivement la tête d’un homme grimaçant, la tête d’un puissant lion à la crinière fauve et le mufle d’un taureau aux naseaux percés par un anneau de fer. Des éclairs zèbrent l’espace au-dessus, dégageant une odeur d’ozone. Une migraine inquiétante naît sous mon crâne.

Tout autour, les lourdes silhouettes des gardes prétoriens reviennent à la vie. Elles font un pas vers nous, indécises, attendant des instructions plus précises. Je saisis la manche de Héra :

« Vite. C’est ce que nous craignions. Père a perdu la raison. Ou alors une routine a été déclenchée par ces circonstances exceptionnelles. C’est mauvais pour nous. Il faut fuir. Viens vite ! »

Héra ne dit rien. Elle me laisse l’entraîner vers la porte titanesque. Les gardes s’ébranlent enfin mais trop tard. J’ai déjà actionné les vérins qui occultent l’ouverture avant qu’ils ne puissent nous atteindre. Un rayon a fusé mais il s’est perdu au-dessus de nos têtes. Je compose une séquence sur un boîtier anodin rivé à la paroi non loin de l’escalier.

« Qu’est-ce que tu fais ? » me demande Héra.
« Un code mis au point en cas d’extrême urgence. Si d’aventure Père avait couru un péril imminent sans pouvoir se défendre. Une séquence d’autodestruction. »
« Tu veux... tuer Père ? » Elle a du mal à prononcer ce blasphème.
« Je ne veux pas redevenir celui que je fus à bord du Bucéphale. »
« Tu disais vouloir réparer le vaisseau ! »
« Oui, mais pas en tant qu’esclave. Attention ! »

Un grondement rageur résonne derrière le sceau infranchissable tandis qu’un flash lumineux parfaitement circulaire rayonne dans l’interstice séparant le disque et la paroi. La douleur disparaît instantanément derrière mes yeux.

« C’est fini. Père n’est plus. Nous sommes enfin libres même si nous ne pourrons jamais plus repartir dans les étoiles à présent!» Malgré le vide qui déchire mon âme, je me sens extraordinairement léger... J’ai presque envie de rire et de danser. Héra s’est changée en statue. Ses yeux s’embuent de larmes. Elle, la rebelle, celle qui a bravé les consignes, semble plus affectée que moi. Je l’enlace doucement :

«Tu n’es pas Héra. Je te reconnais enfin. Tu es Dioné, ma parèdre, mon autre moi féminin. Je ne te promets pas que j’adhèrerai sans réserve à toutes tes idées libertaires mais lutter pour ma liberté m’a dessillé les yeux. Nous allons aider ces pauvres créatures humaines, comme disait Père. Pour ce faire, nous avons plus de trois mille ans devant nous à présent que ce monde est notre seul univers. Mais nous les aiderons comme des Dieux d’accord? Nous sommes trop différents, ils ne comprendraient jamais. Et puis, en trois mille ans, ils auront tout le temps de s'inventer d'autres religions!»

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-06-30 18:34:04 

 Commentaire Maedhros, exercice n°40Détails
Encore un ton très solennel pour cette deuxième partie ; le respect de la consigne est limite limite, parce que les deux parlent en présence de l’autre, et à un interlocuteur qui se fiche pas mal de leur point de vue... L’un des deux change d’avis, et ils se réconcilient, pirouette cacahuète ! Ceci dit, avec les données de départ, il n’y avait probablement pas d’autre solution...
Le suspense est bien conduit jusqu’à la révélation de l’identité du « il », à qui j’aurais volontiers accordé un I majuscule ; la minuscule garde plus de mystère, mais au début ça embrouille un peu le lecteur ; et puis bon, ce « il »... n’est pas n’importe qui !
Ton idée d’un dieu créé, divin mais non tout-puissant et malgré tout fragile, est tout à fait intéressante et innovante, et le parallèle qui se fait avec ces presque-dieux ( au regard des simples humains) ne manque pas de classe. On est toujours le dieu de quelqu’un ... C’est ce que j’essaie en vain d’expliquer à mon jeune chien, mais je pense qu’il est profondément athée...
Le style est à la hauteur du propos. Les lieux décrits inspirent l’admiration et le respect, et ta description de l’adyton est un morceau d’anthologie.
Juste deux détails :
- « ton profil psychologique te colle à la peau que cela en devient puéril » : un « tant » ou un « tellement » serait le bienvenu...
- « une tête d’un puissant lion » : la tête...
J’adore la phrase sur les comptables ! Quant à mélanger SF et religion, c’est un peu iconoclaste, mais totalement réussi !
Narwa Roquen, qui croit aux iconoclastes...

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2008-08-07 14:02:02 

 Commentaire 39 et 40Détails
C'est toujours aussi bien écrit, authentique, poétique... Et la fin est trop mignonne :)

Bref, comme d'hab, je suis fan!

Elemm', je fais court mais c'est que j'ai beaucoup de retard!!

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z653z  Ecrire à z653z

2008-09-11 12:25:42 

 C'est bien écrit...Détails
... et je trouve que les deux hommes s'apprécient tout de même pas mal car le premier sang est long à venir...
La chute est trop sucrée à mon goût, je préfère les fruits acides ;)

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-10-03 15:22:34 

 Exercice 40 : Maedhros => CommentaireDétails
T’aimes bien le latin, toi. Tu ne serais pas prêtre par hasard ? Depuis le temps que je t’interroge, je ne sais encore rien de toi, ni âge, ni profession... Quel mystère, diantre !
Le background avec les manticiens me fait penser aux navigateurs de la Guilde de Dune.
Quand à la cicatrice, elle me fait penser au signe des mangemorts dans Harry Potter.
Je n’ai pas bien compris ce que les membres du clan d’Hera avaient fait. Quelles forces telluriques ont-ils réveillées ?
« il s’est réveillé !» : « il » aurait peut-être mérité une majuscule.
J’ai trouvé un problème de concordance de temps dans « Ce fut plus un cri de détresse qu’autre chose. Elle serre ses mains l’une contre l’autre. »
Houla, le jargon médical ! Cela m’a donné mal au crâne.
Sympa, le nom du vaisseau, qui reste dans le thème mythologique.
« ses routines pédalent un peu dans la choucroute » : incongru ce langage familier dans un discours plus soutenu.
J’ai tout de suite compris ce qu’était Père. Mais je le pensais plus mécanique que bio-synthétique. A la description de Père, je pense encore d’avantage à un navigateur de la Guilde. Bien vu, son nom.
Logique que le père de Zeus dévore ses enfants, comme Cronos le fit. Mythologie, quand tu nous tiens.
Originale l’incursion d’éléments mystiques dans ce contexte scientifique, avec la prière adressée à l’ordinateur vivant.
Le plastacier est, il me semble, issu de Star Wars.
Un peu expédiée la fin ! J'aurais souhaité avoir la réaction d'Héra, voir les dieux descendre de leur montagne à la rencontre des humains, que sais-je ?

Est', en pleine lecture.

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