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 WA, exercice n°35 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 3 avril 2008 à 16:05:56
Allez, cette fois on s’amuse !
Vous allez dépeindre le portrait d’un Grand Méchant (ou d’une grande Méchante). En fait je voudrais deux portraits : le premier, où vous devez susciter chez le lecteur de l’horreur, du dégoût, de l’angoisse, de la colère... en clair, uniquement des sentiments négatifs. Dans le second portrait, votre Grand Méchant ( le même ou un autre) aura des circonstances atténuantes qui le rendront, qui sait, drôle, attendrissant, excusable... à vous de voir.
Attention, ne racontez pas l’histoire. Vous pouvez parler de son passé, de son évolution, du cheminement qui l’a conduit à être ce qu’il est. Mais gardez-en sous le coude ( ou sous le pied), il y aura une suite... avec certaines contraintes, que je garde pour moi, na!
Vous avez deux semaines, jusqu’au jeudi 17 avril. Libérez votre côté obscur, mais n’oubliez pas de vous relire ( ou faites-vous relire) : ce qui compte, c’est ce que le lecteur ressentira...
Narwa Roquen, loup y es-tu?


  
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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-04-05 16:05:39 

 WA - Participation exercice n°35Détails
Une histoire de méchant....du plus méchant d'entre tous... selon M(oi) bien entendu...


ANALOGON



Elle est partie comme tous les matins. Elle a éteint la lumière et a claqué la porte. Mais tout, à mes pieds, rappelle sa présence : fioles, flacons et tubes éparpillés en désordre. Comme chaque matin, elle est pressée. Je vais attendre son retour. C’est naturel, je ne sais faire que ça. Sans ennui et sans remords. Elle me hait chaque matin un peu plus quand elle se penche vers moi, m’interrogeant du regard, ses grands yeux agrandis par une inquiétude naissante. Elle m’en veut chaque jour un peu plus. De façon étonnante, plus elle me hait et plus elle passe du temps avec moi. Je ne lui réponds pas, me contentant de lui renvoyer ce qu’elle craint toujours d’apercevoir. Je suis le méchant de l’histoire, le grand méchant qu’elle ne peut quitter.

Toute la pièce s’étend devant moi, une pièce emplie de sa présence jusque dans le moindre objet. Le lit défait aux draps roulés en boule. Le tableau accroché au mur qui explose en couleurs crues et passionnées. Le vase, sur la console Louis XV, où elle a composé hier un bouquet de fleurs de saison et de feuillages odorants. Elle a choisi de longues amarantes aux somptueuses inflorescences pourpres, de gracieux nuages d’hortensias bleus et une tendre poignée de roses aux teintes délicates. Elle a également ajouté quelques feuilles de géranium citron, de cassis et de menthe. Ce bouquet lui ressemble tant. Elle a un vrai talent pour tisser une symphonie de couleurs et de parfums. Je suis jaloux de cette harmonie. Il ne saurait être question d’éternité ici. Ma jalousie fanera bien vite l’éclat et l’opulence de ces herbes colorées jusqu’à ce qu’elle les jette, flétries, dans la poubelle. Elle recommencera c’est sûr, mais je resterai vigilant. Tout passe. C’est ce que je lui murmure chaque matin. Tout passe...si vite... et j’aime ça !

Elle a encore soupiré cette nuit, cherchant un sommeil capricieux et long à venir. Elle a murmuré un nom, j’en suis certain. Un autre. Un nouveau. Encore un. Je suis silencieux. Elle est si belle lorsque le premier rayon de lumière caresse ses boucles auburn, arrachant quelques orages rougeoyants. Elle est si fragile au seuil du réveil, si vulnérable, presque adolescente. Elle fait une petite moue enfantine, une main cachée sous l’oreiller. Je la connais depuis si longtemps que nos tête-à-tête quotidiens deviennent lourds d’une intensité particulière.

Elle a beau me tourner contre le mur dans un mouvement de colère quand elle n’est pas contente de moi, elle ne tarde pas à me pardonner pour saisir son pinceau ou son gloss. Le temps passe si rapidement. Elle le sent dans chaque fibre de son corps. Aujourd'hui, elle est parvenue au zénith de sa beauté, une beauté pleine et sensuelle. Elle a atteint cet instant de perfection et d’équilibre presque surnaturels, cet instant magique qui a toujours fasciné les artistes. Quand elle se penche vers moi pour traquer le premier signe d’une altération inévitable, sa gorge sublime est une vallée qui s’enténèbre, serrée entre deux tendres collines. Alors je m’amuse à voiler certains détails pour qu'elle se penche plus encore pour mieux me scruter et vérifier que cette infime ride au coin d’une paupière torturée n’est qu’un reflet sur le grain de ma peau.

Elle m’avoue ses secrets à mi-voix, d’un air léger car je suis son confident. Son bourreau sans doute mais aussi son confident le plus fidèle. Nos rapports sont d’ordre passionnel. Elle me hait mais ne peut se passer de moi. N'ai-je pas dit que j'étais d'une extrême jalousie? Elle croit vraiment à l’amour et au prince charmant. Moi non. J’en ai vu passer, rencontres éphémères ou d’autres plus prometteuses. Mais aucun de ces hommes n’est resté. Ils s’enfuient en emportant à chaque fois une infime part de son âme. Elle ne parvient à en retenir aucun. Elle ignore qu’il y a ici quelque chose qui les effraie, qui tourmente leur sommeil, qui les pourchassent sans pitié le long d'obscurs et cauchemardesques labyrinthes. Qui peut me soupçonner? Je les ai vus lorsqu’ils la prennent dans leurs bras, lorsqu’ils dominent son corps au creux de la nuit. Je n’aime pas ça. Je les ai vus faire lorsqu’ils investissent son intimité. Ils polluent mon univers avec leurs gestes brusques et leurs silhouettes, lourdes et sans grâce. Je les déteste quand ils se croient maîtres de mon domaine, maîtres de son corps et de son âme. Ils sont si grossiers, tellement imbus de leur masculinité agressivement phallique. Et par-dessus tout, je hais leur façon de ne pas me révérer. Je la fais souffrir, je sais. Par ma faute, n'arrachent-ils pas sans le savoir les plus tendres pétales de ma douce marguerite? Elle m'aimera... un peu.. beaucoup... passionnément... à la folie... Ne suis-je pas le méchant de l’histoire? Elle me hait plus encore quand elle cherche dans mon regard les premières traces d’une défaite qu’elle redoute.

Pourtant, qui la réconforte quand son visage est dévasté comme un champ de bataille, quand ses yeux sont rougis par des larmes intarissables? Sinon moi. Qui l’apaise peu à peu quand ses mains tremblantes arrachent les kleenex les uns après les autres? Sinon moi. Je suis d'une patience infinie dans ces moments-là, magnifiant légèrement ses efforts pour se refaire un semblant de maquillage, étalant ses crèmes et soulignant d’un trait sombre la courbe d’un sourcil. Car je connais l’art éternel de modifier imperceptiblement la surface aérienne de la réalité. Quelque part, ne suis-je pas le plus grand des magiciens ou plus certainement le plus pervers des démons? Quand enfin elle sourit, quand elle me sourit enfin, toute son âme resplendit comme une flamme droite et vibrante. J’emmagasine cette lumière car ma soif est inextinguible. Je m’abreuve à cette fontaine d'énergie vivifiante.

Elle est à moi chaque jour un peu plus, se perdant chaque jour davantage. Elle se cherche chaque matin au plus profond de moi, tentant désespérément de retrouver celle qu’elle fut la veille mais qu’elle n’est plus désormais. Je ne lui montrerai jamais ce qu'elle veut voir. Pourtant, elles sont toutes là car je les retiens prisonnières et jamais ne les libèrerai. Elles m’appartiennent, épinglées au fronton de mon autel secret, kaléidoscope d’émotions et de visages entremêlés. C'est un grand livre d’images, mon seul livre d’images, toutes identiques et pourtant chacune subtilement différente, comme les jours qui s’effacent les uns à la suite des autres...

Elle ne sait pas. Non. Elle ne saura jamais. Ne suis-je pas le méchant éternel? C’est une histoire de possession et de solitude, de fantôme et de ténèbres, de peur et d’amour. C’est notre histoire. Elle est contente lorsque je lui murmure, avant qu’elle ne parte, qu’elle est toujours la plus belle...


M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-04-15 18:16:09 

 Wa n°35, participationDétails
Avertissement : ce récit est une fiction. Toute ressemblance avec des lieux, faits ou personnages existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.


Portrait n°1



Ce fut une année dure pour notre pays. Le 15 janvier, le pont suspendu de Fu Soueng s’écroula à une heure de pointe. On compta sept cent douze morts et plusieurs centaines de blessés. Le 1° mars, un tremblement de terre effroyable dévasta la région des Collines Ombrées, faisant à peu près cinq cent mille morts, cent mille disparus et un nombre non précisés de blessés. Les hôpitaux étant surchargés, la plupart d’entre eux n’y eurent pas accès. Les secours sanitaires tardèrent à arriver. Il s’en suivit une épidémie de choléra qui décima les survivants. Des deux millions d’habitants qui peuplaient la région, ne restèrent sur place que quatre cent mille personnes, vivant dans des ruines, sans aucune ressource. L’Etat vota des crédits, mais à ce jour de septembre, aucune aide n’a été mise en place.
Fin avril, les grands fleuves qui descendent des montagnes se mirent tous en crue, inondant le pays sur des milliers de kilomètres carrés. De nombreuses entreprises firent faillite, le chômage monta en flèche, et tous les pauvres, chômeurs ou rescapés, affluèrent vers les grandes villes. La délinquance doubla en quelques mois, et l’Etat répondit par une répression accrue. Des camps de travail furent créés, pour pallier à la surpopulation des prisons. On y comptait autant de voleurs à la tire que de braves gens qui s’étaient insurgés contre leur situation précaire.
Parallèlement, le taux de suicide, dans toutes les tranches d’âge, fut multiplié par trois – une véritable épidémie.



Le premier patient qui me parla de cette vision était un pauvre paysan venu des Plaines Bleues chercher du travail en ville. Sa femme, enceinte de leur premier enfant, était décédée brutalement, et il avait perdu la raison. Au milieu des quarante quatre autres patients de la grande salle commune, il restait tout le jour recroquevillé sur son lit dans un mutisme total, les yeux perdus dans le vague. Les filles de salle disaient que la nuit il avait des crises d’agitation paroxystique qui cédaient bien aux neuroleptiques. Ma tâche était pourtant de m’occuper de chacun de ces patients, non point tant pour les soigner que pour compléter mon rapport de stage, indispensable à l’obtention de mon diplôme de psychiatre. Mon maître de stage, l’éminent professeur Chung Li, m’avait d’emblée prise en grippe parce que j’étais la seule parmi ses étudiants à être fille d’ouvriers ; il ne l’avait pas dit ouvertement, mais il était clair qu’il trouvait cela inadmissible. Tandis que mes collègues passaient leurs journées entourés d’infirmières compatissantes à pratiquer des psychothérapies confortables auprès de jeunes épouses délaissées ou de riches commerçants fatigués par le décalage horaire, j’étais seule à pratiquer dans la salle dite des Hommes Perdus, qui accueillait, sous couvert de charité étatique, tout ce que la ville de Xiang abritait comme aliénés irrécupérables et laissés pour compte dépressifs.


A force de patience, de petites phrases bienveillantes et de bonbons à la menthe ( je ne sus jamais s’il était gourmand ou s’il avait simplement faim), j’eus droit de la part de Lou Po à quelques sourires d’abord, puis à quelques réponses simple à mes questions. Un jour enfin, il s’adressa à moi.
« Vénérable doctoresse » (je n’avais droit ni à l’un ni à l’autre, étant encore étudiante et trop jeune pour être vénérable, mais je n’osai l’interrompre), « veux-tu savoir comment je suis arrivé ici ? Tu vas me prendre pour un fou, et c’est ce que je suis, n’est-ce pas, puisque je suis ici. Mais je te jure, vénérable doctoresse, je te jure sur la mémoire de la femme défunte et de notre enfant mort, je te jure que ce monstre existe, et que c’est lui qui les a tués ! »
Je m’assis au bord du lit, et je luis souris pour l’encourager.
« Depuis quelque temps déjà nous avions peur, toujours peur, peur de tout. Dans les Plaines Bleues nous avions affronté les sécheresses, les inondations, la malaria, les cyclones, les tremblements de terre, et cela ne nous empêchait pas de vivre, de rire et de nous aimer. Mais cette ville... Jin, ma femme, avait été bousculée dans la rue, et depuis elle avait peur de sortir. Il y a beaucoup de chômage, tu sais, beaucoup de voleurs, aussi, et tout le monde se méfie de tout le monde. Quand tu trouves un travail à la journée, pour décharger des camions ou pour déménager un entrepôt, le patron te surveille tout le temps, et toi le soir tu dois bien vérifier qu’il ne triche pas sur ta paie... Les autres gars te marcheront dessus s’ils peuvent, pour prendre ta part de travail, et le marchand de riz ambulant, s’il le peut, t’escroquera sur la quantité...
Dans la petite pièce qu’on sous-louait dans le quartier pauvre, on entendait tout – les bagarres de la rue, les disputes des voisins, les pleurs des gosses... J’ai voulu intervenir une fois, cinq hommes agressaient une petite vieille... Ils m’ont laissé à moitié mort sur les pavés, et la vieille n’a même pas appelé les secours...
On se terrait dans cette chambre comme des lapins pris au piège. On ne riait plus, on osait à peine respirer, on avait peur, et la nuit on avait du mal à dormir. On s’aimait toujours, bien sûr, mais ça ne suffisait plus.
Cette nuit-là, c’était il y a un mois... ou deux mois, je ne sais plus... Jin dormait près de moi, et moi je pensais aux Plaines Bleues, je me disais que j’avais eu tort de partir. Les lampes de la rue éclairaient faiblement la pièce, on n’avait pas pu s’acheter des rideaux.
Il y a eu d’abord une odeur, comme de la pourriture, puis un souffle de vent glacé qui passait sous la porte. J’ai entendu sonner une clochette, avec un son très aigu, et des vibrations tellement puissantes que tout mon corps en était envahi. Ce souffle de vent a empli la pièce dans un tourbillon, et en tournant il est devenu noir et flou comme un fantôme. Il a pris la forme d’une femme âgée, portant la robe ample traditionnelle, le gilet à manches courtes et la toque brodée. Elle était tout en noir, sauf ses pieds, deux taches blanches dans la pénombre, qui ne touchaient pas le sol. Elle était immense, et son souffle haletant empestait la putréfaction. Son visage figé était recouvert de poudre de riz, on aurait dit une lune pâle, ses lèvres étaient peintes en noir, et ses yeux...
Donne-moi encore un bonbon, vénérable doctoresse, j’ai la bouche sèche... Ah, tu es gentille... Tu viens du peuple, n’est-ce pas ? Que les Dieux veillent sur toi... Ne change jamais...
Alors, je te disais... Ses yeux ... étaient rouges, petits, perçants comme ceux d’un oiseau de proie, ils me brûlaient de leur lueur sauvage, elle était terrifiante, j’ai reculé...Elle a ouvert la bouche, et sa bouche est devenue immense, noire comme un gouffre sans fond, avec des lèvres épaisses, gluantes, une bouche faite pour engloutir... Du fond de sa gorge est monté un râle rauque, comme... Ne te fâche pas, vénérable doctoresse, je suis un homme simple, je ne sais pas bien parler... Comme un râle de plaisir... Elle s’est approchée de Jin, qui dormait toujours. Elle s’est penchée ... Je me suis jeté sur elle, mais elle était faite d’ombre et de vent et je n’étreignais que de l’air, et Jin avait disparu... J’ai hurlé, appelé au secours, frappé, griffé, mordu dans le vide... jusqu’à ce qu’elle se tourne vers moi. Elle a passé une langue rouge, longue et ronde comme un serpent, sur ses lèvres visqueuses, et elle a de nouveau ouvert la bouche... et elle m’a avalé. Je me suis retrouvé à l’intérieur de cette chose, dans le noir absolu, paralysé, muet, et là quelque chose de froid et d’humide est entré dans mes deux oreilles et j’ai eu l’impression qu’elle aspirait mon cerveau... J’étais sûr que j’allais mourir, et je me suis évanoui.
Je me suis réveillé au matin. Jin était près de moi, morte. J’étais incapable de bouger et de parler. J’étais enfermé au-dedans de moi ; je n’avais plus peur, je ne ressentais rien... »
L’homme regarda le sol, longuement.
« La nuit j’en rêve encore. Mais le monstre n’est pas revenu. Ce serait mieux, pourtant, qu’il me tue. Est-ce que tu me crois ? »
L’homme avait été victime d’hallucinations, peut-être était-il psychotique ou schizophrène, peut-être avait-il lui-même étranglé sa femme... Mais c’était mon patient. Et son regard clair était si sincère, si honnête, que je n’eus pas à me forcer pour lui répondre :
« Oui, Lou Po. Je te crois. »



Une hallucination n’est qu’une vision étrange issue d’un esprit malade. Le sujet est persuadé de sa réalité, mais la vision n’a aucune existence propre. D’un patient à l’autre, les hallucinations diffèrent.
Mais pas celle-là.
J’en trouvai douze, douze sur les quarante cinq, qui ne se connaissaient pas, n’avaient jamais habité au même endroit, n’étaient pas voisins de lit, n’avaient même jamais échangé plus de deux paroles... Ce n’étaient pas des gens cultivés qui lisaient des livres ou allaient au cinéma. Seuls deux d’entre eux avaient déjà possédé une télévision.
Et ils me racontèrent tous, à peu de choses près, la même histoire. La peur, omniprésente, et une nuit la vision de la vieille femme, la clochette, les habits noirs, les pieds blancs, la poudre de riz, les yeux rouges, l’immense bouche qui les avait engloutis, tuant parfois leurs proches, et cette aspiration du crâne... Tous avaient connu la peur, une peur intense, continue, durable, avant l’apparition. Tous étaient restés hébétés et paralysés juste après, et avaient retrouvé progressivement la parole et le mouvement, mais avec la sensation d’un vide intérieur.
Quelques jours après notre entretien, on trouva Lou Po étranglé par son propre drap, ses mains encore crispées autour du tissu. Les onze autres se suicidèrent dans les jours suivants, trois en se jetant par une fenêtre, quatre en se pendant avec leur ceinture, deux en se noyant dans le lavabo des toilettes, deux enfin en se tranchant la gorge avec un couteau.
Je ne pouvais pas en parler au professeur Chung Li. Il se serait moqué de moi. J’inventai des histoires différentes, des diagnostics faux mais plausibles, sachant que probablement il ne lirait même pas mon rapport.
Mais en même temps la peur commençait à s’infiltrer en moi, et avec elle la peur de la peur, et la peur de cette créature qui semblait s’en nourrir...




Portrait n°2

J’étais dans mon lit. J’avais du mal à trouver le sommeil. Malgré moi je ne cessais de penser à la vision horrible dont m’avaient parlé mes patients et la peur me paralysait. Mon coeur battait trop fort, j’allais sûrement faire une crise cardiaque et un oedème du poumon, j’allais mourir dans mon lit, ce soir, et mes parents auraient beaucoup de peine. Ou alors peut-être à force de rester sans bouger j’arriverais à m’endormir et demain j’aurais moins peur. Ou bien je serais paralysée à jamais, momifiée par cette peur monstrueuse, je ne pourrais plus bouger ni parler, et on retrouverait mon cadavre desséché et putréfié dans un ou deux mois... On frappa à la porte. Je crus que mon coeur allait exploser. Je me dressai d’un bond, et rassemblant ma dernière énergie je parvins à crier :
« Allez-vous en !
- Tu ne veux pas m’ouvrir ? », répondit la voix d’une femme âgée. « Si tu crois que cela me gêne... »
J’allumai la lampe. Je pris dans ma main droite mon couteau à viande et dans la gauche une image de l’Eveillé – on ne sait jamais.
Et tout à coup elle fut là devant moi, la vieille femme vêtue de noir, avec sa toque brodée, son visage d’un blanc lunaire, ses lèvres maquillées de noir, visqueuses et dégoulinantes, et ses yeux rouges qui me fixaient d’un air joyeux.
« J’ai faim ! », s’exclama-t-elle en passant sa langue rouge de serpent immonde sur ses lèvres noires.
Pourquoi ai-je réagi de la sorte ? Je n’en sais rien. Une inspiration divine, un miracle...
Il y avait une tablette de chocolat noir à peine entamée sur ma table de chevet. Je la lançai à la tête de l’apparition, qui s’en saisit au vol, et je l’entendis sucer la friandise avec des bruits ignobles – n’avait-elle donc pas de dents ?
En même temps, je vis ses pieds blancs se poser au sol et ses yeux se fermer dans un soupir d’extase.
« Mmmmmh... » murmura-t-elle. « Ca, c’est bon. Merci, jeune fille. Ca, c’est drôlement bon... C’est exactement ce que je voulais... »
Et elle disparut comme elle était venue.
Quand je me réveillai le matin suivant, la lumière était encore allumée, et j’avais un couteau dans une main et une image de l’Eveillé dans l’autre. Je courus à l’épicerie la plus proche acheter cinq tablettes de chocolat, que je glissai dans le tiroir de ma table de chevet.
Je ne mange plus de chocolat depuis ce jour, mais rien ne m’a plus jamais empêchée de dormir...
Narwa Roquen, on ne changera pas le monde aujourd'hui. Demain, peut-être...

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-04-17 18:13:20 

 Commentaire Maedhros, exercice n°35Détails
M, mon beau M, que j’aime quand tu écris comme ça... J’ai retrouvé la même tendresse sensuelle que dans « Un amour al dente » et surtout « Le château au bord de l’eau ». C’est un texte à tomber les filles, mon gars ! Sous l’horreur de ton personnage on devine un regard d’auteur tellement aimant... Qui a dit que l’amour rendait aveugle ? Seul l’amant a cette capacité de remarquer le moindre détail, de noter avec délicatesse chaque instant d’intimité...
J’adore ce paragraphe où la femme se penche...
Ce texte est à la fois transparent et réfléchi – tu vois, je ne trahis rien.
Sauf si c’est intentionnel, corrige-moi vite ce « inquiète, ses grands yeux agrandis par une inquiétude ». Si c’est intentionnel, il faudrait refaire le même effet de style plusieurs fois, pour que le lecteur comprenne...
Mention spéciale enfin pour ton challenge personnel : je t’ai tendu un piège tentateur, et tu as vaillamment relevé le défi en abandonnant contre toute attente tes psychopathes familiers... pour en garder un reflet, certes, mais avec quel brio !
Narwa Roquen, clap clap clap!

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z653z  Ecrire à z653z

2008-04-18 00:27:40 

 très joli texteDétails
Petits détails -->
"Elle a aime et croît à l’amour et au prince charmant" -- aimé
"Elle ne le saura jamais Ne suis-je pas le méchant éternel?" -- jamais.

Ce message a été lu 6112 fois
Liette  Ecrire à Liette

2008-04-18 00:56:39 

 Participation, en retard !Détails
C'est bon, j'prends ma carte de FAERIenne (Fédération d'Auteurs En Retard Inexcusables) !

Enfin, avis aux lecteurs et lectrices sensibles, ma participation peut choquer...

1
************


Dieu que j'aime ça !
Il est là, à mes pieds, maintenu fermement par deux soldats en uniforme suspendus à mes lèvres, dans l'attente d'un quelconque ordre. L'effroi se lit dans ses grands yeux bleus d'ordinaire rieurs, mais à présent glacés par l'horreur que ressent tout homme qui sait qu'il ne va pas mourir, mais souffrir. Longtemps. Je soutiens ce regard, je l'ai vu tant de fois qu'il ne m'émeut plus. Je peux rester de marbre face à cette supplique muette, cet appel à la clémence. Toujours le même !

Le soldat de droite m'interroge par un haussement de sourcil, je n'arrive pas à me souvenir de son nom... C'est un soldat comme tout les autres, sale, flottant dans un uniforme trop grand dont les boutons dorés ne brillent plus que d'un terne éclat, abîmés par la poussière, les coups reçus ou donnés, la poudre, le sang... La dernière fois que je l'ai vu, ce soldat, il assassinait un homme à coup de crosse, après avoir violé sa femme devant ses yeux. C'était très bon. D'autant que c'était son baptême au petit : faire une si bonne prise à 15 ans, c'est pas commun ! La femme a beaucoup hurlé d'ailleurs. Un peu trop à mon goût... Du coup le gosse a hésité. Enfin peu importe, il se rattrapera sur la prochaine.

Bref, j'ai bien remarqué le haussement de sourcil, il attend que je lui donne un ordre. Je me tourne face à l'homme aux yeux bleus :
« Alors Milo ? Toujours muet ? » Ma voix est froide, glaciale même. « J'ai appris que t'avais bien joué avec ton frère... Dommage qu'il soit parti le premier. J'aimais bien sa tête... Mais j'imagine que de ton côté t'es soulagé ? Tu te dis que si c'était lui qui t'avais planté c'putain de couteau dans les tripes, ce serait lui aussi qui serait là à attendre mon verdict hein ? »
« A...llez vous... vous fa... faire f..outre !! » Parvient-il à articuler malgré ce liquide rouge sombre qui lui emplit la bouche.
« C'pas malin c'que tu fais là, Milo » Je me tourne vers le soldat à gauche. Un vrai dur celui-là. Un vieux de la vieille qui a tout fait, et tout vu. Un vrai pro. « Va l'chercher ! » Il quitte la cellule, Milo s'agite, le gosse lui envoi une mandale histoire de le calmer, la tension monte d'un cran dans la petite salle aux murs de béton crasseux.

« Papa! » Le soldat est revenu avec un mioche en guenilles, qu'il tient par les cheveux.
« Zak ! Vivant ! M..ais.. je.. je croyais que... » Il se tourne violemment vers moi « Ordure, salaud ! Enfoiré de sadique ! J'te jure que si tu l'touches.. »
Je me mets à hurler pour couvrir sa voix et les cris du petit qui tente de se dégager de la poigne de fer de son gardien. « Tu f'ras quoi ?! Hein?! Tu me feras QUOI, Milo ? »
Il se tait, mais ses yeux ne larmoient plus de résignation, ils brillent d'une fureur nouvelle, d'une haine intense et profonde. Je me régale. Je reprends, cette fois d'un ton beaucoup plus calme, presque chuchoté. « Allez, entre nous, on lui fera rien à ton fils ! On aime trop les enfants par ici. Il a quel âge le tiens ? Dix, douze ans ? Il m'a pas l'air trop déplumé... Oh, ne me fais pas ses yeux-là ! Qu'est-ce que tu crois, qu'on va lui toucher son p'tit cul ? Y'en a qui voudraient bien remarque. » Le soldat de gauche esquisse un rictus tandis que celui de droite serre les maxillaires, le regard dans le vide. « Nan, on va en prendre soin de ton gamin. On va lui donner une kalachnikov, et il va s'battre comme tout l'monde. Un rail de coke et c'est parti ! Et on est pas salauds hein, il aura droit aux femmes comme les autres hein! Et même aux p'tites filles s'il préfère... »
Milo s'est affaissé, il tremble à mes pieds, secoué de sanglots. C'est mon instant de gloire, je le savoure.
« Pitié... Je... J'vous dirais tout ».
Ces ultimes secondes, quelle jouissance !
« Ils.. Ils sont au vieux moulin, l'instituteur leur a légué sa machine à écrire, c'est là que... qu'ils écrivent leur tracts. Ils sont huit et... Ils ont trois fusils, pl... plus quelques grenades. Y'a une mine à l'entrée mais on peut passer par une fenêtre basse à l'arrière... Pitié... J'vous ai tout dit... Pitié... »
Je me redresse de tout ma stature.
« C'est bien Milo, t'as fait le bon choix. » Il continue de sangloter, tend les bras vers son fils.
Je hoche la tête en direction du soldat qui retient l'enfant. Il desserre le poing, attrape son semi-automatique...
« Qu... ? Zak ! NOOOOOOOOON !! »
La détonation retentit, étourdissante, et dans mes yeux se reflète l'éclair rougeoyant du coup de feu.

Parfait.


2
************


« Coupez ! »
Je reste figé quelques fractions de seconde, comme tout les autres. Puis d'un seul coup, tout mes muscles se relâchent, je souffle. Adrien se relève, essuie ses yeux et sa bouche. « Pfiou, elle était bonne celle-là ! Bravo mec ! » me félicite-t-il, accompagnant son compliment d'une bourrade amicale. Le réalisateur approche « Ma qué c'été magnifik ! Toué, tu mé l'a joué comme un vrai pro ! Toute, tou mé lé fé toute comme ça, maintenant ! Et Adrien, quél émotion ! Bravo bravo ! Hey Pietro, petit ! Viens là qué l'on t'enlève la perrouque...! »
Je souris. Toujours si exubérant ce Ricardo ! Mais son film sera un succès je pense. J'en suis sûr. Il vous remue de l'intérieur.
C'est un coup à rafler des oscars, ça ! Impossible de jouir autant à jouer une scène et que ça ne se voit pas à l'écran !

Je suis de retour dans ma loge, Ricardo nous a accordé trois heures de pose, jusqu'à la scène du tribunal. Je m'écroule sur le canapé, et contemple mon reflet dans la grande glace sur le mur d'en face. J'ai l'air ravagé. Cernes, fausses cicatrices, cheveux coupés en brosse et uniforme artificiellement coloré de taches brunâtres. Ils ont pas lésigné sur la teinture les salauds ! J'esquisse un sourire...
Quand je pense que je vais devoir me laver, subir une bonne heure de maquillage pour ma vieillir de plus de trente ans, revêtir un nouvel uniforme, rutilant celui-là, et bien plus chargé de médailles... Je ferais mieux de dormir un peu avant de reprendre.
La scène du tribunal. Encore un bijou. Je l'ai tellement travaillée que rien que d'y penser, les coins de ma bouche s'affaissent, mon regard se perd vers un invisible horizon, et je marmonne. « On n'a toujours fait que suivre les ordres, votre honneur. »

Parfait.

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z653z  Ecrire à z653z

2008-04-18 00:58:47 

 trop forte la chute !!Détails
Et, en plus, on se rend compte qu'il y avait quelques détails répétés (les friandises) qui étaient en fait des indices ;)
Bravo.

petit détail : "un nombre non précisés de blessés"

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z653z  Ecrire à z653z

2008-04-18 01:07:18 

 finalement...Détails
... l'acteur n'est si loin de son personnage.

petit détail : "pour ma vieillir de plus de trente ans"

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2008-04-18 09:44:32 

 Clap clap!Détails
D'abord, j'aime beaucoup ta version de "FAERIenne", notre FDEER fait vachement moins classe! En fait tout faërien est un écrivain en retard qui s'ignore ^^

Ensuite, ton texte:
Quelques toutes petites fautes: "Ne me fais pas Ces yeux-là" (et non pas Ses); "Pitié, je vous dirAI tout", sans S, c'est une affirmation (futur) et pas le conditionnel; "ils ont pas lésiNé" au lieu de "lésigner", qui n'existe pas; et puis "mE vieillir de plus de trente ans". Bon, c'est rien de bien grave tout ça, l'ensemble est propre et bien écrit.
Le fond: c'est tout horrible, ton truc! Je trouve que la phrase expliquant qu'on l'a obligé à tuer son frère n'est pas assez claire, je l'ai relue trois fois pour comprendre (ou alors c'est moi qui suis une quiche? :p). Par contre, très bien le coup du gamin. C'est dur!!!
J'aime bien le fait que ce ne soit qu'un film, ouf!, ça soulage, en fait il n'y a pas de vrai grand méchant et on est dans un monde gentil, d'ailleurs on voit des pâqueretes et des oiseaux par la fenêtre (bon ok pardon, là c'est moi qui en rajoute ;)). Sauf que............. mh, il a l'air salement louche, cet acteur. Prendre du plaisir à jouer, oui, mais à jouer ça, logiquement il ne devrait pas. Pi si y a pas de vrai grand méchant, comment tu fais pour la suite, hein?

Ahlala, je sens qu'on n'est pas au bout de nos surprises!


Elemm', contente, qui attend la suite!

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2008-04-18 10:36:45 

 M comme ...Détails
M et ses miroirs!!

Bon, et croît, me semble-t-il, c'est le verbe croitre. Croire, c'est "croit" sans circonflexe.
Mais quelle importance!! Qu'il est beau, ce texte!!! Ton style est inimitable, et ta patte est aussi dans le leit motiv qui peut se glisser dans n'importe quel thème, jamais très loin de toi. Et pourtant, on se fait avoir à chaque fois!

Clap clap clap!!!

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2008-04-18 10:40:31 

 Très joliDétails
On se croierait chez Hayao Miyasaki. C'est à la fois effrayant et féérique. J'aime bien ces univers toujours différents où tu nous emmènes... et si le chocolat peut sauver le monde, en plus, j'en connais plus d'un(e) qui va adhérer! ;)
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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-04-18 10:49:00 

 La thérapie de l'eau amère.Détails
L’empire du milieu recèle de nombreuses créatures fantastiques. Tu en as ajouté une parfaitement crédible même si j’ai crû apercevoir l’ombre de la Yama-Uba japonaise qui hante certains traits. La description des catastrophes naturelles est également détaillée jusqu’à ces chiffres de victimes qui sont toujours incomparablement plus élevés selon les normes occidentales. L’histoire dans l’histoire, cette jeune stagiaire en butte avec l’establishment hospitalier est savoureuse, comme à ton habitude. Finalement, il semble bien que le monstre ait été réveillé à la suite des bouleversements climatiques qui accompagnent l’essor économique de la Chine. Je me trompe? Il a été sans doute dérangé et devient en quelque sorte une Némésis de l’Empire Céleste oublieux de sa longue histoire...

Outre un clin d’oeil, le chocolat m’apparaît illustrer cette idée pour en faire, au-delà du côté horrible, une parabole quasi tragique. En effet, le chocolat met du temps à s’imposer en Chine. Ce n’est pas une saveur traditionnelle de la civilisation chinoise. Si la créature a été invoquée par les profonds changements intervenus dans la société chinoise, et qu’elle représente une forme de rébellion de la tradition envers la modernité, alors le chocolat, une douceur particulièrement occidentale (il faut se rappeler les tablettes de chocolat qui ont inondé l’Europe à la fin de la deuxième guerre mondiale), la soumet sans coup férir...d’ailleurs plus efficacement que Bouddha lui-même. Un coup de Mars... et elle repart...

Bon, je m’égare sans doute. En tous cas, j’aime bien la conduite de la narration qui n’hésite pas à emprunter des chemins de traverse. Chacun d'eux apporte une petite lumière différente, étoffant le récit principal. La créature qui terrifie ses victimes est hideusement décrite et son mode opératoire est glauque au possible. Cependant, c’est toujours aussi visuel et délicatement ouvragé.

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-04-18 10:59:41 

 Version actualisée...Détails
J'ai corrigé les erreurs et fautes signalées et pour faire bonne mesure, j'en ai profité pour retravailler certains passages...

M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-04-18 11:53:57 

 WA 35 participationDétails
En retard, comme souvent et pourtant je l'ai écrit super vite !
Un début d'histoire dont vous n'aurez pas la suite avant un moment, bien que le synopsis en soit écrit.

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"Je te l'ai pourtant dit deux fois, Lex !!"



Prologue




Les deux soleils de Tendra III se couchaient dans un chatoiement de pourpre et d'or. Dans le ciel zébré de nuages, un vol d'ornithoflexes aux longs cous se laissait paresseusement porter par les courants ascendants. Au dessous d'eux, défilaient des cités de marbre et de jais : de riches demeures, des avenues bordées de statues, des parcs emplis de fleurs exotiques. Les gracieux animaux virèrent le long d'un somptueux palais volant et planèrent au dessus de la luxuriance des jardins. L'édifice et son socle de roche flottaient à plus de mille mètres du sol, par la grâce d'une onéreuse technologie. C'était le siège de la secte Joie éternelle, qui comptait des millions de fidèles dans la galaxie. Un à un, les ornithoflexes franchirent le bouclier énergétique bourdonnant et se posèrent sur un étang. Dans la tiédeur du crépuscule, des adeptes en toges mauves flânaient le long des allées ou paressaient au bord de l'eau. Vigilantes, des escouades de prêtresses masquées patrouillaient, leur mortelle spirale d'énergie enroulée autour du bras gauche.
Dans le plus haut bâtiment du palais, sous une coupole d'or et de trinite, un garde moulé dans une armure à pointes, roulant les muscles de ses trois bras, escortait la maîtresse des lieux, Sha'zaariya. Celle-ci remontait le couloir de sa démarche élégante, sa longue crinière ondulant sur son cou. Elle portait pour tout vêtement un luxueux collier de pierres dimensionnelles. Sa voix, grave et sensuelle, félicitait le garde qui se rengorgeait. Sha'zaariya était originaire de la planète Mumbooho et, comme tous les mumbas sombres, elle avait le corps d'un énorme serpent. Elle mesurait dans les dix mètres de longueur et était couverte de fourrure violette. Son museau aplati, couvert d'écailles, s'ouvrait sur une triple rangée de crocs acérés. Elle possédait deux grands yeux aux prunelles félines, couleur de jade, et un troisième minuscule, qui demeurait presque toujours clos.
Le garde poussa une lourde porte et Sha'zaariya déboucha dans un hall aux murs couverts d'écrans de contrôles. De petites créatures insectoïdes s'affairaient autour des machines. La mumba rampa à travers la pièce, ses monstrueux anneaux glissant derrière elle, et s'approcha d'une des créatures :
- Où est-il ? demanda-t-elle d'un ton avide.
- Dans le secteur de Perséphone, maîtresse. Sur l'astéroïde CQ395, dans un bar, The final frontier. Notre espion, sur place avec une holo-cam. Lex, aucun soupçon.
- Montrez-le moi.
- Bien, maîtresse.
L'opérateur agita ses fines antennes et un écran virtuel se matérialisa devant Sha'zaariya. Des parasites mouchetèrent l'image quelques secondes puis apparut une pièce sombre et enfumée, haute de plafond, dans laquelle une foule bigarrée buvait, dansait ou jouait au SpeedMartian, une variante du vieux poker terrestre. La musique était assourdissante, mélange de percussions synthétiques et de choeurs aigus. Au dessus d’une estrade, une femelle tachetée cambrait son corps dénudé dans une cage de néons. Dans un fauteuil antigrav, un extra-terrestre semblable à une énorme chenille fumait un narguilé. L'opérateur zooma sur un coin et fit une manipulation pour filtrer le son. Deux hommes étaient attablés et discutaient.
Le premier, Lex Dyson, était grand et costaud, avec des cheveux roux coupés en brosse. Il portait un t-shirt moulant aux couleurs d'une équipe de Golden ball, un jean déchiré aux genoux et des bottillons de marine. Son biceps s'ornait d'un tatouage en forme de trèfle à quatre feuilles et sa hanche d'un laser d'un modèle démodé. Son comparse, "Suub" Orvanellina, était un andorien aux longues oreilles soyeuses et à la queue touffue rayée de noir et de blanc. Sa silhouette était mince et gracieuse, avec de long cheveux tressés en fines nattes et un costume de bonne coupe. Des bijoux d'argent se détachaient sur sa peau d'un noir d'encre. Lex buvait un cocktail dans lequel nageait un têtard phosphorescent et devant lui, s'alignaient sept verres vides. Il reposa sa boisson d'un geste vif et manqua la renverser. Il parlait d'une voix forte en gesticulant :
-... nous, les humains, qui serons toujours l'espèce doniman... dominante de cette sacrée galaxie ! Et tu sais pourquoi, mon vieux ?
-Non, dis-moi, répondit Suub, avec une exquise politesse.
- Eh ben, parce que... parce qu'on a deux putains de points forts. Aucun scrul... slup... spucrules et on se reproduit comme des lapins !
- Intéressante hypothèse.
- Eh ouais ! C'est là qu'elle est notre puissance ! Hips !
Et sur ces mots, il s'empoigna la braguette avec un grand éclat de rire. Suub leva les yeux au ciel :
- Bon, je crois que j'en ai assez entendu. Je retourne au vaisseau et je me couche. Pense à faire le plein, c'est ton tour.
- No problemo, mon pote, hips !
Suub s'éloigna de quelques mètres, sourcils froncés, puis revint sur ses pas :
- Lex, tu m'as entendu ?
- Mais ouais, t'as dit que t'aller te pieuter.
- Non, juste après.
- Euh...
Lex entrouvrit la bouche avec perplexité. L'ivresse le faisait dodeliner de la tête.
- Je t'ai dit de faire le plein.
- Ah ouais ! Le plein, no problemo. Le plein.
Il lui adressa un salut militaire.
- Bon, bonne nuit.
L'andorien sortit du champ de l'holo-cam et Lex demeura seul. Il héla une serveuse et demanda la même chose. Sha'zaariya inclina le col et l'image disparut. Se tournant vers l'opérateur, elle susurra :
- Je suis très satisfaite. Tu m'as bien servie.
- Merci, maîtresse. Dossier sur son vaisseau.
- Bien.
L'opérateur tendit une de ses six pattes, montrant un cube nacré. Sha'zaariya invoqua son pouvoir mental. Un léger halo de lumière entoura sa tête en scintillant et l'air autour du cube sembla crépiter légèrement. Le petit objet s'éleva dans les airs et vint se placer à côté de la mumba où il demeura suspendu, immobile. Elle reprit :
- Dis à l'espion de continuer sa surveillance. Qu'une escouade de polymorpheurs soit expédiée au plus vite. Dis-leur bien que je veux Lex vivant. Je me réserve le délectable plaisir de le torturer. Sa mort sera longue et douloureuse.
Les anneaux de Sha'zaariya se tordirent à cette idée, comme étouffant une proie imaginaire. La haine fit flamboyer ses yeux et un filet de bave dégoutta de ses crocs.
- Il va payer ce qu'il m'a fait. Je lui arracherai la peau lambeau par lambeau et je dévorerai son coeur.
L'opérateur réprima un frisson d'horreur. Ses multiples yeux roulaient en tous sens. Il murmura :
- Et compagnon ?
- Qu'on l'épargne; il est innocent des crimes de Lex.
Une prêtresse-guerrière pénétra dans la pièce et s'agenouilla devant Sha'zaariya. Son visage était dissimulé par un masque chromé entièrement lisse. Elle portait un uniforme orné d'une spirale violette, dont émergeaient ses membres minces, couverts d'écailles bleues pâles.
- Parle, ordonna la mumba.
- Les fidèles attendent la cérémonie de l'Incarnation, Ô divine maîtresse.
- Ces imbéciles patienteront bien encore un peu. Fais brûler de la drogue pour calmer les plus énervés.
- Bien, divine maîtresse.
- Autre chose ?
- La princesse Tanitha de Luur souhaite rejoindre la Joie éternelle et bénéficier du don de béatitude.
- Quel est son profil ?
- Deux cent milliards de tens, divine maîtresse.
- Donnez-lui une toge de première catégorie et une chambre avec vue sur le parc. Je la verrai pendant la cérémonie. Je me retire dans mes appartements. Qu’on ne me dérange pas.
Les serviteurs s'inclinèrent très bas tandis que Sha'zaariya quittait la pièce en ondulant. Elle emprunta une galerie couverte pour rejoindre l'aile du palais qu'elle réservait à son usage personnel. Entre les plantes grimpantes, elle apercevait la foule des adeptes, rassemblés devant la statue géante du Serpent Cosmique. Elle passa une arche gardée par des prêtresses et pénétra dans un jardin intérieur. Dans un enclos bas, paissaient de nombreux animaux rondouillards, avec une fourrure frisée et de grandes oreilles rondes. L'un d'entre eux huma l'air, détecta l'odeur de la mumba et s'enfuit en poussant un piaillement strident. La panique gagna aussitôt le reste du troupeau qui s'égaya en désordre. Sha'zaariya les regarda courir avec jubilation : inspirer la peur lui procurait un plaisir suave.
Elle choisit un spécimen bien gras et, concentrant son pouvoir, le fit décoller du sol et planer vers elle. L'animal se tortilla dans tous les sens pour tenter de s'échapper. Il poussait des stridulements angoissés : « frrriitt !! » Sha'zaariya ouvrit sa gueule tout grand, étirant démesurément ses joues. Elle commença d'engloutir sa proie, son gosier se dilatant de façon grotesque. Il ne dépassa bientôt plus de ses crocs qu'une petite queue frisée qu'elle avala avec un gargouillement. Puis, elle se pencha de nouveau sur la barrière et passa en revue le troupeau, dont les membres se serraient craintivement les uns contre les autres. Elle jeta son dévolu sur un jeune, tout duveteux et qui promettait d'être bien tendre. Elle le fit léviter à travers l'enclos et se remit en route, l'animal et le cube de données flottant derrière elle.
Sha'zaariya se rendit dans le pavillon le plus sécurisé du palais, gardé par des dizaines de prêtresses-guerrières et des dispositifs ultra-modernes. Elle laissa le robot de la porte scanner ses ondes mentales et analyser un échantillon de sa peau avant de pénétrer dans la nurserie. La pièce était immense, avec un carrelage de marbre recouvert de douillets tapis et des murs peints de couleurs vives. Une impressionnante quantité de jouets jonchait le sol : visionneuse holographique, animaux-droïds, livres parlants, synthétiseur de saveurs... Un micro diffusait une mélopée de Mumbooho, au rythme lent, presque hypnotique.
Un bébé mumba sombre s'amusait avec un puzzle swirien, absorbé par les formes pastelles qu'il essayait d'emboîter par télékinésie. A côté de lui, se tenait un homme vêtu d'une robe noire. Sha'zaariya resta un moment à contempler son fils. Il mesurait à peine deux mètres de long et sa crinière violette était encore toute courte. Il avait de grands yeux vifs et il émettait des phéromones joyeuses, le plus doux des parfums pour sa mère. Mais ses mouvements étaient maladroits, syncopés et ses narines se plissaient parfois sous l'effet d'une douleur fugitive. Une partie de son corps avait viré d'une couleur blanchâtre et de petits cristaux brillants poussaient sur la peau. L'extrémité caudale s'était totalement rigidifié, comme minéralisée. Le petit était atteint depuis sa naissance d'une maladie très rare frappant les êtres à structure siliceuse : la nécrose opaline.
Sha'zaariya observa le petit corps fragile, dévoré par la dégénérescence incurable. Elle songea à ses autres bébés, changés en cristal dans leurs oeufs, tous morts... Seul celui-ci avait survécu. Elle appela :
- Khr'raj ?
Sa voix tremblait d'émotion. Elle refoula son chagrin et se força à prendre un ton enjoué :
- Maman est venue te voir, mon petit trésor.
Le bébé relâcha sa concentration et le puzzle tomba aussitôt sur le sol. Il fit volte face et rampa vers elle en gazouillant. Sha'zaariya le souleva doucement dans sa gueule, le déposa sur son cou et se lova autour de lui. Khr'raj leva sur sa mère des yeux remplis d'adoration puis se tapit dans sa crinière.
- Comment te sens-tu mon chéri à moi ? Tu as bien dormi ? Tu t'amuses ? Maman n'a pas pu venir avant, elle a beaucoup de travail.
L'homme en noir s'était rapproché. C'était un humain d'âge mûr, au visage maigre orné d'une barbiche. Une partie de sa tête avait été remplacée par une prothèse cybernétique d'acier. Il lâcha un rire grêle et salua :
- Comment allez-vous, chère Zaariya ?
- Très bien, docteur Darkwell, je vous remercie.
Elle détestait son manque de respect mais était obligée de supporter ses manies. Darkwell était le plus grand nano-chirurgien de l'univers connu, le seul à même de soigner son fils. Elle le payait des sommes pharaoniques pour le conserver à son service à temps plein, dans l'espoir qu'il découvre un moyen de guérir l'enfant. En attendant, Khr'raj prenait chaque jour une dose de tyronium, une substance rarissime qui ralentissait la nécrose. Deux douzaines de vaisseaux sillonnaient l'espace sous les bannières spiralées afin de trouver le précieux médicament. Le petit s'agita contre elle et Sha'zaariya effleura tendrement sa tête de la sienne. Elle reprit de sa voix la plus caressante :
- Vos recherches se passent-elles comme vous le souhaitez, docteur ?
- Eh bien, la piste du cyberphage HLA-guidé est la plus encourageante mais j'aurais besoin de plus de cobayes pour mes expériences de toxicité.
Les mains du scientifique étaient moulées dans du latex noir et il les frottait nerveusement l'une contre l'autre.
- Je vous en fournirai autant qu'il vous sera nécessaire. Vous savez que ces recherches sont ma priorité absolue. Demandez et vous aurez : argent, ressources, ...vies.
Darkwell ricana de nouveau :
- Je trouverai le moyen de le guérir. Faites-moi confiance, ma chère.
Sha'zaariya sentit le petit frissonner contre elle et elle le serra plus étroitement. Toute son organisation était focalisée sur cet unique but : sauver son fils. Des milliers de gens, des centaines de vaisseaux, sur une dizaine de mondes. Tant de puissance rassemblée, et elle ne pouvait pas même le soulager de sa souffrance. Elle en avait depuis longtemps perdu le sommeil. Se reprenant une fois encore, elle relâcha son étreinte :
- Je t'ai amené un Fifritt bien tendre mon petit chéri. J'espère que tu as faim.
Khr'raj se tortilla de joie.
- Mais avant, tu dois prendre ton médicament...

A suivre...

Est', qui mange un bisounours chaque matin pour écrire des trucs moins glauques.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-04-18 14:24:00 

 The shot must go on...Détails
L’histoire est captivante. Elle semble évoquer la guerre dans les Balkans, soit durant l’occupation allemande (les oustachis en Croatie ou le Corps des Volontaires en Serbie qui propagèrent la terreur et l’horreur dans leur chasse des partisans) soit plus proche de nous, durant l’effondrement de l’ex-Yougoslavie. Milo est d’ailleurs un prénom serbe assez répandu. En creusant encore un peu, passer en jugement 30 ans après les faits semble disqualifier la guerre des Balkans qui a commencé en 1991.

Sans ces éléments, j’aurais bien vu la scène en Afrique subsaharienne, où les guerres ethniques sont assez effroyables et où les enfants et les adolescents sont enrôlés sans état d'âme par les factions rivales.

Ton introduction est suffisamment habile pour éveiller le dégoût de ce criminel de guerre prêt à tout pour débusquer les résistants, avec un sens de l’outrance que n’aurait pas renié Malaparte (relisez Kaputt ou la Peau). Bien souvent la réalité dépasse la fiction. Le final cut est également ingénieux et disperse après coup la tension accumulée. Cela permet la distanciation avec le caractère insoutenable de ce qui précède.

Pourtant, sauf à accorder à l’acteur un sens de l’empathie proche de la psychopathie (mais peut-être est-ce là où tu souhaites entraîner ton lecteur), le fait qu’il s’agisse d’un plateau de cinéma est un peu en contradiction, à mon avis, avec ce qu’il pense avant car hors d’un dialogue perceptible. Je ne suis pas sûr d’être suffisamment clair!

Cela n’enlève rien à la curiosité éveillée chez le lecteur qui se demande comment tu vas te débrouiller pour la suite. La description de l’interrogatoire sadique est criante de vérité et les détails sont distillés avec un soin qui ne laisse rien au hasard.

Côté forme, quelques étourderies et une phrase qui mériterait d’être affinée : « Impossible de jouir autant à jouer une scène et que ça ne se voit pas à l'écran ». Sauf si l’acteur a des kleenex sur lui bien sûr...

ah oui... et un titre?

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-04-18 15:25:35 

 Dura Lex...(comme le prouve sa braguette)Détails
Une civilisation reptilienne, une secte de la Joie éternelle, des prêtresses masquées, un château dans le ciel, un nano chirurgien à la réputation sulfureuse, tu as réuni dans ton histoire tous les ingrédients baroques fleurant bon le space-opéra débridé. Une pincée de Dune, un soupçon d’âge hyborien, un zeste de la Guerre des Etoiles, un clin d'oeil à Spielberg (sympa, le Fifritt au déjeuner), entre autres, il y a pire comme références non ?

Je te sens vraiment à l’aise dans la science-fiction « classique », aussi à l’aise que dans ton jardin. Je n’y jetterai d’ailleurs aucune pierre, étant moi aussi un fervent zélateur de ces récits qui nous emmènent bien plus loin que les limites de ce temps et de ce monde. Tiens, si cela n’est pas déjà fait, je te conseille la saga des Inhibiteurs d’Alastair Reynolds. Un must have. Absolument. Quatre gros pavés mais cela vole très haut et très loin !

Mais revenons à ce prologue. Et commençons par le début. D’abord un titre épatant, un titre comme je les aime. Suffisamment énigmatique pour ouvrir l’appétit. Visiblement, pour Lex, l’assimilation vient par la répétition. Un titre malin et original. Bien joué.

L’intrigue se noue tout en douceur et pour l’instant, tu n’as fait que placer les protagonistes dans leur environnement. Tu donnes juste les informations minimales nécessaires pour imaginer chacun d’eux et certains des liens qui les unissent. Il y a un contentieux mortel, mais encore inexpliqué, entre la belle grande prêtresse Mumba (cousine des mambas noirs d’Afrique?) et Lex, présenté comme un gros branleur (ah l’image : « il s’empoigne la braguette ! »), fier de ses test...ostérones. Il ne lui manque plus que le chapeau brousse des aventuriers! Les descriptions sont toujours aussi exotiques et convaincantes. Les noms sonnent juste. Tu maîtrises ton sujet, rien à dire. Même si tu indiques avoir écrit rapidement, cela ne se remarque vraiment que très marginalement. Dommage que la suite ne soit pas livrée rapidement...

Le seul hic, c’est que je me demande où est le thème de l’exercice? Je n’ai pas vu de grand méchant, sauf potentiellement (Monsieur Bien Noir).

M

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Eltanïn  Ecrire à Eltanïn

2008-04-18 17:17:22 

 WA 35 - ParticipationDétails
La ronde des jouets


La nuit est tombée. Les lumières se sont éteintes et le silence est venu dans toute la maison. Je relève la tête. L’enfant semble endormie. Son souffle bruyant mais calme emplit la pièce. Elle a enfin cessé de remuer. Lentement, je me balance jusqu’à l’interrupteur, sur lequel j’appuie avec mon pied droit. La lumière me permet de me rendre compte de l’étendue du carnage.
Les corps sont étendus un peu partout sur le sol. Certains ouvrent un oeil ou tournent la tête vers moi. Ils me regardent, désespérés. Je ne suis pourtant pas bien mieux loti qu’eux. Je n’ai plus de bras gauche. Il doit gésir misérablement quelque part, derrière un meuble probablement, et ce depuis deux mois. Depuis mon perchoir, je les observe se relever un à un. Nous sommes tous atterrés, pas un seul d’entre nous n’a été épargné aujourd’hui. Pas même GrosNounours, auquel elle ne touche jamais, d’habitude. Le pauvre a été littéralement piétiné et assommé à coups de pieds. Il semble encore un peu sonné et se frotte la tête avec sa grosse patte velue. Je vois Maryse et Carolle, les deux poupées jumelles, qui sortent la tête de sous le lit. Elles s’assoient côte à côte, lissant leurs belles robes toutes fripées et tâchées. Noisette, l’écureuil en peluche, sanglote contre Dumbo l’éléphant et Oursonne : il a perdu un oeil dans la bataille. Pas loin, deux têtes de poupées Barbie décapitées discutent à mi-voix avec un Ken démembré. Au milieu des pleurs et des murmures indignés s’élève soudain une voix, venant du dessus de l’armoire. C’est DameTortue qui a atterri là-haut, après avoir volé dans toute la pièce. Elle s’inquiète de l’état de Pierrot, qui me fait face sur sa balançoire. Le pauvre ne va pas fort : il s’accroche en tremblant aux fils qui retiennent son perchoir au plafond, la tête en bas et les jambes emmêlées. Il répond qu’il va, ce qui en soit est déjà pas mal, mais qu’il n’ose pas bouger et essayer de s’asseoir normalement, de peur de perdre l’équilibre et de s’écraser par terre. DameTortue est mortifiée : lancée à pleine vitesse, elle n’a pas pu l’éviter. Elle s’excuse platement, mais Pierrot lui assure que ce n’est pas de sa faute, et qu’il n’en veut qu’au monstre.
« Un monstre, oui, c’est le mot ! s’écrie soudain Maryse en se levant. Pourquoi devons-nous supporter tous ces mauvais traitements ? C’est inadmissible ! Regardez l’état dans lequel elle nous a mises, Carolle et moi ! »
Sa soeur se lève et approuve vivement.
« Il nous a donné des coups de pieds ! s’offusque-t-elle. A nous ! Regardez nos robes !
- Et nous alors ! s’exclament les poupées Barbie. C’est pas à vous de vous plaindre ! »
A côté d’elles, Ken essaye de rouler des mécaniques et d’impressionner quiconque voudrait les contredire, avant de se rendre compte qu’il ne peut plus que bomber le torse.
« C’est pas à vous non plus ! Vous croyez que ça me fait plaisir d’être là où je suis ? lance Gaspard, le chat en peluche que le monstre garde précieusement dans son lit, et qu’il serre avidement dans ses bras toutes les nuits.
- Chut ! tais-toi ! ordonne Oursonne. Tu vas le réveiller ! »
Le silence revient soudainement dans la chambre. Nous guettons tous un mouvement dans le lit, mais il semble bien que l’enfant dorme encore. Alors, Jaffar, le guépard, accompagné de Titi, le serpent multicolore enroulé autour de son cou, sort de son coin d’ombre et saute lestement sur le coffre à jouets où sont cruellement retenus certains d’entre nous.
« Mes amis, peu importe de savoir qui est le plus à plaindre. Nous devons nous venger ! Maryse l’a dit, c’est inadmissible d’être traités comme nous le sommes. Lequel d’entre nous peut se vanter ici de n’avoir jamais reçu aucun coup ? Lequel d’entre nous peut dire : vous êtes injuste avec cet enfant, il est doux comme un agneau ? »
Silence. Nous ne le quittons pas des yeux, comme à chaque fois qu’il parle. Jaffar nous scrute les uns après les autres, puis reprend la parole.
« Personne ! Alors, mes amis, mes frères, écoutez-moi... »
Un bruit sec dans le couloir me fait sursauter.
« Silence ! Tous à vos places, vite ! crié-je en me balançant le plus vite possible. »
Mon pied heurte l’interrupteur, plongeant de nouveau la pièce dans le noir. Je m’immobilise juste à temps : la porte s’ouvre déjà.

« J’étais sûr d’avoir vu de la lumière, chuchote le père. Mais non. Elle dort.
- Tu es sûr ? »
La mère entre. Sans un regard pour le triste spectacle qui s’étend à ses pieds, elle s’approche du lit de sa fille. Du bout des doigts, elle caresse sa joue.
« Viens voir. Elle est tellement mignonne quand elle dort.
- Laisse-la dormir. Allez, viens, répond sèchement le père, sans bouger d’un pouce.
- Tu es encore en colère ? Tu sais, je suis sûre qu’elle n’a pas fait exprès de le casser.
- Bien sûr que non, elle ne l’a pas fait exprès. Mais j’estime avoir le droit de punir ma fille.
- Ce n’était qu’un verre.
- Eh ben, ce n’était qu’une fessée. Viens maintenant, elle va finir pas se réveiller. »
Après un dernier regard tendre pour l’enfant endormie, la mère quitte la chambre sur la pointe des pieds.
Je suis perplexe. Est-ce que casser un verre mérite de recevoir une fessée ? Même si je ne sais pas ce que c’est exactement, j’ai entendu les cris qu’elle a poussé avant de revenir en pleurs ici, et de nous frapper tous, de colère.
« Arlequin, m’appelle Titi, tu rallumes ? »
Eltanïn, en vacanc-euh (mais en retard quand même)

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-04-18 17:22:55 

 Dura lex sed lexDétails
Enfer et damnation ! Je comptais faire ce calembour dans la suite de mon récit ! Je le ferai quand même, na !
Aurais-tu raté le nom du bar dans mes références ? Ce serait dommage...
En effet, j'adore le space opera ! J'espère avoir le temps d'écrire le reste prochainement.
Je ne connais pas du tout les Inhibiteurs. Mais je te promets d'y jeter un coup d'oeil après Le trône de fer, le dernier Harry Potter, Pug l'apprenti et la trilogie de Bartimeus ! On me conseille plus de livres que je n'en puis lire, hihihi !
Rhôô, merci !! J'ai encore beaucoup de mal à trouver les titres mais je m'entraine.
Certes, il y a du mamba noir dans ma reptilienne séductrice. Tu m'as fait mourir de rire avec ton "Lex le gros branleur". La personne à qui je pensais en écrivant ce personnage employait souvent ce mot, d'ailleurs.
Le thème de l'exercice ???? M'enfin, moi qui croyais l'avoir respecté ! Le méchant est une méchante. D'abord, elle n'est pas très sympathique (ben ouais, elle mange un ptit animal meugnon) mais ensuite, elle a des circonstances atténuantes (c'est une maman). Non ? Ben mince alors ! Moi et ma manie de faire des méchants pas si méchants !

Est', ravie d'être déjà lue !

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-04-18 17:54:09 

 Je vais me faire tirer les oreilles en pointes...Détails
comment ai-je pu passer sur ça?

En tous cas... il n'y a plus qu'à attendre 2009, pour déguster la cuvée nouvelle, qui devrait narrer les vertes années de nos plus célèbres star-tramps.

Lien pour plus d'infos...

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-04-18 18:31:07 

 Erreur...Détails
Désolé, ce message a été déplacé.

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-04-19 16:21:40 

 Toy's errance (bis)Détails
Une histoire qui m’a fait penser à Toy Story et ces jouets maltraités par un petit bourreau boutonneux. Là, l’histoire est plus subtile en ce sens qu’elle est bâtie sur une chaîne de causalité qui fait froid dans le dos. Punie, la petite fille se venge sur ses propres « enfants ». Si on tentait d’analyser ce comportement, au-delà du fait qu’il semble strictement banal, cela démontrerait à mon avis assez clairement la construction psychologique d’un individu.

Le choix et le nom des jouets sont pertinents même si les descriptions auraient mérité d’être un peu plus approfondies. Je ne sais pas si c’est fait exprès, mais le portrait que tu dresses des parents est éloquent : un père qui semble exercer gratuitement son autorité et une mère passive et qui ne remet pas en question la punition corporelle de son mari.

Quelques fautes d’inattention et l’emploi du verbe « gésir » à l’infinitif, même s’il est grammaticalement correct, sonne curieusement.

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-04-21 17:56:45 

 Commentaire Eltanïn, exercice n°35Détails
C’est une idée originale qui nous plonge au coeur même de la fantasy. C’est un texte lumineux, avec une petite musique ( de nuit, bien sûr) bien sympathique... et pas de faute d’orthographe, cool !
Je trouve juste le « gésir » ( au demeurant parfaitement juste) un peu décalé avec le contexte enfantin.
Le passage où tu parles de la petite fille en disant « il » (sous-entendu le monstre) me gêne un peu. Tu peux dire « cette enfant est un monstre » mais « il », « le », « cet enfant » , sèment le doute dans l’esprit du lecteur. Le mot « enfant » devient féminin quand il désigne une fille...
J’aimerais bien qu’il y ait une suite, parce que cette petite peste, pour moi, n’a aucune excuse, même si finement tuas mélangé les deux portraits en un seul texte.
J’ai vraiment apprécié. Je trouve que tu progresses d’un texte à l’autre, tout en gardant un style très personnel, clair, limpide, et très agréable à lire.
Narwa Roquen, qui collectionne les grosses peluches ( en chair et en os...)

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-04-21 18:03:43 

 Commentaire Estellanara, exrecice n°35Détails
L’ambiance SF, style space-opéra (on pense tout de suite à Star Wars), est excessivement bien rendue, avec un luxe de détails. Le contexte déjanté est cependant parfaitement cohérent, et on prend beaucoup de plaisir à visiter ce monde étrange ; les descriptions des lieux et des personnages sont parfaites, précises, concises, fluides. On te sent très à l’aise, la plume joyeuse, et le lecteur partage ta bonne humeur.
La distanciation, facile face à ce monde ultra-fictif, fait que ton monstre paraît plus original qu’effrayant, et en plus, la pôvre, elle se fait du souci pour son petit. Ce n’est absolument pas un reproche !
J’adore la trouvaille de « la nécrose opaline », et la réponse à « quel est son profil ? » vaut son pesant d’or...
J’ai noté un « s » qui a migré, malgré toi, de « long cheveux » à « écrans de contrôles ». Lex est vraiment ivre, mais à l’oreille « aller /allait » : intention ou coquille ? Mon dictionnaire dit que « pastel » est un nom masculin...
« Virer » , dans le sens « changer de couleur », est un verbe transitif indirect « virer à ».
« Stridulement » est un néologisme, mais dans le contexte ça ne choque pas.

Je trouve que ton nouveau régime alimentaire te convient à merveille. Vivement la suite !
Narwa Roquen,qui adore voyager...sur l'écran

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-04-21 18:07:31 

 Commentaire Liette, exercice n°35Détails
Merci d’avoir averti d’éventuels lecteurs sensibles. C’est un texte violent, où le héros est effectivement un pervers cruel et sadique. Tu ne décris pas son physique – c’est vrai qu’en disant « je » c’est plus compliqué... J’aime bien les changements de rythme, les phrases tronquées. Bien aussi le « parfait », et très bonne idée de l’avoir repris dans le 2° texte, qui fait astucieusement suite au premier.
Le 2° texte, qui profite du 1°, est bien équilibré, plus subtil que le 1°, par certains côtés plus inquiétant parce que plus trouble ; perso c’est celui que je préfère.
Je me demande si ton premier personnage ne serait pas plus horrible s’il parlait différemment – je veux dire s’il était poli, raffiné, voire un brin pédant, et si tu forçais un peu le trait sur la question de sa jouissance. Il n’est jamais facile de décrire des émotions sexuelles, a fortiori perverses, tout en restant lisible par le plus grand nombre, mais il me semble que ça apporterait un plus.
J’aime bien sa manière de communiquer par gestes discrets, preuve que son autorité est telle que ses hommes sont aux aguets de son moindre désir, et c’est ça qui me l’a fait ressentir comme quelqu’un à qui la grossièreté ne convenait pas. Mais bon, ce n’est que ma vision, totalement subjective.
Dans les petits détails, j’aurais dit « un ordre quelconque » plutôt que « un quelconque ordre ».
Et « A... llez-vous... vous fa... faire f... » : si tu le lis à voix haute, tu te rends compte que c’est « vous f... faire » ou bien « vous fai... faire ».... Non ?
Au niveau de l’orthographe, « tout » est souvent un adjectif, qui prend un s au pluriel.
« Le gosse lui envoi » : +e
« J’vous dirais tout » : logiquement ça devrait être un futur.
« Lésigné » : n’est-ce pas « lésiné » ?

Tu fais totalement abstraction du contexte. Ce serait bien qu’il apparaisse dans la suite, c’est toujours plus crédible.
Je suis impatiente de voir comment le Méchant va se comporter dans l’adversité. Va-t-il s’écrouler comme un lâche ou garder sa dignité ? Ton histoire est accrocheuse, on a envie de savoir la suite !
Narwa Roquen,tu verrais qui dans le rôle?

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Liette  Ecrire à Liette

2008-04-22 19:57:46 

 ^^Détails
Merci de vos remarques, tous !

Je n'aurais malheureusement pas le temps de reprendre mon texte (du moins sur ce forum), mais dans la version que je conserve sur mon ordi, j'ai au moins corrigé les erreurs d'orthographe et de syntaxe...

Pour ce qui est du caractère du personnage, j'avoue que la jouissance de l'acteur à jouer ce rôle peut être suspecte... Mais justement ^^ Et puis je ne sais pas si c'est assez clair mais ce qu'il adore, c'est son jeu, celui des autres, pas le rôle qu'il joue en lui-même (quoique...).

Par contre, je sens que je vais avoir du mal pour la suite... D'autant que je vais être très occupée dans les jours (semaines ^^) qui viennent... J'espère ne frustrer personne, mais je ne promets rien !

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Liette  Ecrire à Liette

2008-04-22 20:13:21 

 J'adore !Détails
Ah, moi qui n'ai pas le temps de me plonger dans la pile de livres qui trône sur ma table de nuit, je suis vraiment ravie de ton texte ! De la SF comme je l'aime !

Et je ne suis pas d'accord avec Maedhros, ta méchante est vraiment horrible (très bon le "gobage" du fifritt !) tout en ayant un point faible, qui la rend presque attendrissante.

J'attends la suite avec impatience !

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Liette  Ecrire à Liette

2008-04-22 20:19:26 

 Au début...Détails
... j'ai cru à un chat ^^
Très beau texte, extrêmement bien écrit (comme toujours, aurais-je tendance à dire) et subtil.
En revanche, je ne trouve pas que ton méchant inspire des sentiments forts de dégoût, d'horreur, ou que sais-je... Quand j'ai compris qu'il s'agissait du miroir, j'ai pensé "bien joué" mais je n'ai pas ressenti la différence entre le Méchant, et ses circonstances atténuantes.

Je ne sais pas si je suis bien claire...

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Liette  Ecrire à Liette

2008-04-22 20:21:15 

 Choco-addictDétails
Si vraiment elle oblige la jeune psychiatre à ne plus manger de chocolat, sûr que ta créature est une vraie Méchante !!
;-)

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Liette  Ecrire à Liette

2008-04-22 23:38:35 

 Gésir...Détails
LE verbe dont l'infinitif me surprendra toujours ^^

Sinon, très chouette texte ! Je trouve qu'il y a peut-être un peu trop de jouets... Si le père est du genre autoritaire, il me semble curieux qu'il la couve de cadeaux (ou le laisse faire par sa femme...).
A part cela, la psychologie de la petite fille, et de la famille, sont crédibles, et même très réussies. Comme le dit Maedhros, ce serait sûrement très intéressant à analyser !

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Clémence  Ecrire à Clémence

2008-04-23 20:54:40 

 ça!Détails
C'est bien vrai !!
*terrifiée à cette idée* ^^

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-04-27 16:25:37 

 Yippee !!Détails
Moi, j'étais au courant depuis belle lurette. J'attends la sortie avec impatience, surtout pour voir Sylar, le suceur de cerveaux en Spock ! C'est trop cool que Nimoy fasse une apparition dans le film !

Est', enthousiaste.

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