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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Lundi 3 mars 2008 à 18:49:23
Zéro de conduite






Debout face à la porte close, ils attendent. La femme n’a pas quarante ans, mais son visage inquiet de petite souris trahit une vie de contraintes et de privations. Elle serre très fort contre elle son petit sac à main en tissu, en regardant le bout de ses ballerines plates. L’homme à ses côtés doit avoir le même âge, mais il est plus rond et plus jovial. Il garde les mains dans les poches de sa veste en velours marron.
Tout à l’heure une jeune femme est sortie de la pièce, le regard flamboyant de colère, les joues empourprées, une larme retenue au bord des cils ; ses talons ont martelé le carrelage du couloir avec une agressivité victorieuse.
A l’intérieur, une voix d’homme a dit quelque chose comme :
« Complètement hystérique ! Il faut faire un signalement à la DDASS ! »
Puis plusieurs voix ont conversé plus bas. La même voix d’homme a appelé :
« Dossier suivant ».
La porte s’ouvre, tenue par une femme brune qui les introduit avec un sourire las et leur montre deux chaises de l’autre côté de la grande table ronde. Puis elle reprend sa place, un peu à l’écart des trois personnes présentes, et se prépare à prendre des notes en sténo. L’homme face à eux arbore la cinquantaine maigre ; des lunettes à la monture dorée chevauchent son nez aquilin. Plutôt petit, il porte un costume gris de bonne coupe et une cravate grise. Il pianote sur le clavier de son ordinateur portable extra plat. A sa gauche est assise l’institutrice de Baptiste. Ils lui sourient ; ils sont contents de la voir. Leur fils l’adore, et elle leur a dit qu’il était très mignon. A la droite de l’homme se tient une femme blonde, mince et sèche, les cheveux relevés en chignon ; ses doigts portent de nombreuses bagues et le vernis de ses ongles rouges impeccables est assorti à la couleur de son rouge à lèvres. Son tailleur strict lui donne pourtant un petit air masculin. Une pile de dossiers est posée devant elle. C’est elle qui prend la parole.
« Monsieur et madame Couderc... Merci d’avoir pu vous libérer... Nous avons à l’Inspection Académique suscité cette réunion, afin de prendre langue avec vous à propos de votre fils... » (Elle jette un oeil sur le dossier) « ...Baptiste, c’est ça. Vous savez que votre enfant présente des troubles du comportement qui ont alerté son enseignante. Monsieur le Professeur Charcot, psychiatre, est descendu tout exprès de Paris pour nous faire bénéficier de sa grande compétence en la matière. Nous souhaitons mettre en place pour votre enfant, suivant en cela les directives du Ministère de la Santé et de la Prévention, une prise en charge adaptée multidisciplinaire s’inscrivant dans un projet individualisé, avec l’objectif d’assurer l’optimisation de son développement psychomoteur et de son sens moral, dans un cadre exemplaire et structurant. »
Les deux parents échangent un regard d’incompréhension et d’inquiétude.
Le professeur parle à son tour. Son ton est froid, dogmatique, presque accusateur.
« Donc... Il s’agit d’un enfant de quatre ans, sans antécédent notable, élevé par ses parents, monsieur et madame... Couderc, qui présente un comportement asocial avec passage à l’acte violent, alternant avec des phases de repli sur soi mutique dont on peut se demander s’il s’agit d’absences de type comitial ou de traits schizoïdes. Le pronostic, en l’état actuel, est donc extrêmement alarmant. Madame Lapalu, vous avez signalé cet enfant à votre chef d’Etablissement... Voulez-vous nous en parler ? »
L’institutrice regarde les parents, visiblement mal à l’aise.
« C'est-à-dire... J’ai consigné dans le journal de la classe que quelquefois Baptiste s’est battu avec ses camarades. En classe, Baptiste est très sage, même plutôt réservé... Mais quand il se bat... il se bat... Il a eu en particulier un... différend... avec un autre élève, Aloÿs de Savigny... Le père de cet élève est venu me voir, parce que son enfant s’est plaint... Oh, juste quelques bleus, rien de grave, mais ce monsieur était très en colère... Je vous en avais parlé, monsieur Couderc...
- Oui, je m’en souviens... Je l’avais bien grondé, le petit, et il m’a promis qu’il ne le ferait plus.
- Excusez-moi... »
Madame Couderc, le visage cramoisi, se jette à l’eau.
« Il n’a pas voulu que je te le dise, Pierre, il pensait que ça te ferait de la peine... Ce jour-là il s’est battu pour toi... Oui... Le petit Aloÿs, là, il lui avait dit « ton père est un mongol », et les autres avaient rigolé, alors Baptiste a voulu le faire taire...
- Je ne savais pas ! Et même quand je l’ai grondé, il a rien dit !
- Vous voyez bien », triomphe le professeur, « intolérance totale à la frustration, repli sur soi, c’est exactement ce que je disais ! J’ai pour ma part examiné cet enfant, à la demande de l’Inspection Académique. Je vous lis mes notes.
« Attitude figée sur sa chaise, visage inexpressif. Tic de grattage de la cuisse. Répond aux questions par quelques mots, jamais de phrase construite. Ignore le vouvoiement, ce qui témoigne d’un mépris des règles sociales et d’une instrumentalisation de l’autre dans la relation. Attitude typique d’agressivité sadique passive. Difficultés de symbolisation. Tentative de manipulation par le biais d’un chantage affectif (soupirs répétés, larmes). En conclusion : sociopathie avec passage à l’acte, traits schizoïdes et pervers. »
Monsieur Couderc se permet de hocher la tête.
« Je suis pas docteur, hein, mais c’est mon fils. C’est un gentil garçon...
- Que vous faut-il comme preuve supplémentaire ? Tenez, le dessin du bonhomme ! Tous les enfants de trois ans savent le faire. Son bonhomme n’a qu’un seul bras, et c’est pareil sur ses cahiers d’école ! Cela prouve bien, il me semble, une volonté agressive et castratrice ! »
Monsieur Couderc sourit très franchement, c’est tout juste s’il ne se met pas à rire. Il lève la main pour parler.
« Pardon, monsieur le Professeur, mais... »
Il se met debout, et de sa main droite retire la manche gauche de sa veste enfoncée dans la poche ; la manche, manifestement vide, pend maintenant le long de son corps.
« Vous voyez... J’ai perdu mon bras dans un accident de moto, c’était bien avant la naissance du petit... Alors c’est normal que son bonhomme n’ait qu’un bras...
- Vous trouvez ça normal ? Est-ce que vous trouvez ça normal ? C’est un attachement excessif à la figure paternelle...
- Mais il est très gentil à la maison, monsieur le Professeur », intervient madame Couderc. « Il m’aide à écosser les petits pois, à mettre le couvert...
- Bien sûr, madame, il a un complexe d’Oedipe flamboyant, c’est pour cela qu’il veut castrer le père et remettre en cause la Loi ! Vous ne souhaitez pas que votre fils devienne un délinquant, monsieur ? Quel genre de fils souhaitez-vous avoir, monsieur Couderc ?
- Eh beh... C’est déjà un bon petit gars... Je veux lui transmettre les valeurs, bien sûr, le courage, l’engagement, l’humilité...
- L’humilité ! »
Cette réponse semble totalement incongrue au psychiatre parisien.
« Oui, vous savez, j’ai un peu joué à Montauban il y a quelques années, avant l’accident, j’étais pilier...et comme je travaille à la Mairie, maintenant, le mercredi c’est moi qui entraîne les poussins... »
L’institutrice glisse à l’oreille du psychiatre effaré :
« C’est du rugby, monsieur, vous savez, ici, dans le Sud-Ouest...
- J’avais parfaitement compris », bougonne l’autre de mauvaise foi, avant de reprendre d’un ton doctoral : « Donc comme je le disais, monsieur Couderc, le Ministère de la Santé et de la Prévention, que je représente, a conçu, en collaboration avec le Ministère de l’Intérieur et l’Education Nationale, un protocole parfaitement adapté aux enfants de quatre à dix ans souffrant de troubles du comportement. Votre enfant sera accueilli dès la semaine prochaine dans une structure fermée de trois cents lits, située en rase campagne sur le plateau du Larzac, loin des tentations des villes et de leurs banlieues chaudes. Les enfants y recevront une éducation spécialisée, un enseignement adapté à leurs capacités et toutes les prises en charge rééducatives et thérapeutiques dont ils auront besoin, ceci dans le cadre d’un projet individualisé éducatif et thérapeutique s’appuyant sur diagnostic précis, projet régulièrement remis à jour et en parfaite cohérence avec le projet d’Etablissement.
C’est une grande chance pour vous, madame, monsieur, que de telles structures existent. En quelques années votre enfant sera devenu totalement inoffensif pour la société, et de plus – et ceci vous prouve l’extrême cohérence de la démarche – s’il devait être en échec scolaire, comme la plupart des prédélinquants, il serait automatiquement placé en suivant dans un Centre Spécialisé qui le formerait sur dix ans pour qu’il puisse postuler avec succès pour un poste de travail en foyer occupationnel... Nous avons pensé à tout ! Emilie, passez-leur donc les formulaires. Nous vous demandons juste une petite signature... »
Les parents se regardent, interloqués. La mère a les larmes aux yeux.
« Vous voulez dire que le petit... doit aller en pension ? Combien de temps ?
- Pas longtemps, pas longtemps, ne vous en faites pas, ça va passer très vite ! C’est pour son bien !
- Il n’y a pas d’autre solution ? », demande le père visiblement éprouvé. « Je connais du monde à la Mairie...
- Eh bien demandez donc à monsieur le Maire », le toise le professeur. « Je suis sûr qu’il sera de mon avis. Faites-moi confiance, il s’agit de l’avenir de votre enfant ! Vous êtes un honnête travailleur, monsieur Couderc, vous êtes un bon citoyen, vous allez voter, vous payez vos impôts ! L’Etat vous offre une chance inespérée, ne la laissez pas passer ! Nos plus grands experts se sont penchés sur la question, et votre enfant bénéficiera des derniers progrès de la science ! Allez, il faut signer, maintenant, il se fait tard, j’ai un avion à prendre... »
Subjugués, les parents signent. La secrétaire leur reprend très vite le formulaire et aussitôt le psychiatre se lève.
« Ce sera tout. »
Les parents, l’esprit tourneboulé par la centaine de questions qu’ils ne poseront pas, sortent de la pièce. Dans le couloir, l’homme passe son bras valide autour des épaules de sa femme qui marche lentement, les yeux rivés au sol.
Le professeur affiche un grand sourire.
« Et de douze ! Nous avons bien travaillé ! Allez, je file, mesdames. Madame Mornay, je reviens dans trois mois, il m’en faudra encore une dizaine, je compte sur vous ! »
L’homme tout joyeux repart en sifflotant, son ordinateur portable bien à l’abri dans sa housse de cuir sur mesure.
Narwa Roquen,qui est prête à se battre pour que ceci reste de la science-fiction


  
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Réponses à ce message :
3 Exercice 32 : Narwa => Commentaire - Estellanara (Lun 31 mar 2008 à 17:19)
       4 Prendre langue... - Narwa Roquen (Mar 1 avr 2008 à 17:23)
              5 ou prendre l'attache... - Maedhros (Mar 1 avr 2008 à 17:33)
3 Bienvenue à Gattaca! - Maedhros (Sam 8 mar 2008 à 19:17)
3 Ah non alors!!! - Elemmirë (Lun 3 mar 2008 à 22:25)
       4 "tellement réaliste, tellement proche de nous" - z653z (Mer 5 mar 2008 à 17:34)


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