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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 29 novembre 2007 à 17:31:27
Le loup d’Anna







Jeudi dix-huit novembre, seize heures. Le ciel est lourd , quelques éclairs zèbrent le ciel dans le lointain. Les voitures qui passent sur la départementale ont allumé leurs phares. Le vent s’est levé, l’orage est proche. La route sinueuse serpente à flanc de montagne ; certains tronçons ont été creusés dans la roche, volés à la pierre par des hommes courageux et têtus. Elle est toujours dangereuse, et les riverains le savent, qui se gardent bien d’y rouler trop vite.
« Irina, tu dors ?
- Mmmh... »
Laurent Delbosc, ancien VRP devenu responsable de rayon dans un magasin de sport, incline le rétroviseur pour voir sa fille, sur la banquette arrière. La jeune adolescente se balance lentement, les yeux fermés, en serrant contre elle sa poupée de chiffon. Une mèche de ses longs cheveux blonds, plus fins que des fils de soie, est collée à sa joue, toujours si pâle. Elle est tellement fragile que le coeur de Laurent se tord chaque fois qu’il la regarde. Ses yeux sont comme des miroirs à peine bleutés où passent des rêves étranges et inaccessibles. Il se rassure en se disant qu’elle progresse, elle progresse tous les jours, il ne faut pas chercher plus loin. Et même si... Elle est la lumière de ses jours, et pour elle il a tous les courages et toutes les patiences.
Laurent soupire et se concentre sur la route.
« Aime pas la montagne. »
La petite voix fluette est boudeuse.
« Pourquoi, ma chérie ?
- C’est comme un gros chat, méchant chat, il griffe, le chat.
- Mais non... C’est juste du caillou, tu sais, un gros gros... »
Un coup de tonnerre fracassant fait trembler les vitres de la voiture. Instinctivement, Laurent freine. Bon réflexe. A cinquante mètres devant lui, au bout de la petite ligne droite qu’il vient d’entamer, tout un pan de montagne se détache, et s’écroule sur la route dans un vacarme d’apocalypse. Ne pas bloquer les roues. Freiner... Tu sais conduire, Laurent, tu as fait cent mille kilomètres par an pendant plus de dix ans... Il n’y voit plus rien. La poussière est opaque comme un linceul gris. Garder les roues droites, freiner...
Irina n’a même pas crié. Elle fait danser sa poupée sur ses genoux. Le véhicule s’est immobilisé, droit. Le pare-brise est intact. Jusque là, tout va bien. Laurent prend la torche dans la boîte à gants et va estimer la situation. La route est totalement obstruée. A droite, la roche nue, lisse, impénétrable ; à gauche, le rail de sécurité a été emporté dans la vallée abrupte dont la pente est recouverte d’un fouillis végétal peu engageant. Il a déjà la main sur la poignée de la portière, quand la lumière des phares l’éblouit, tandis que le crissement aigu de pneus malmenés le cloue sur place, le coeur en chamade, dans l’attente de l’inévitable choc... Non. Le 4 x 4 s’est arrêté à deux mètres. Un homme sur la quarantaine, en costume gris impeccable, bondit comme un diable hors de sa boîte.
« Espèce de con ! Non mais vous êtes taré de vous arrêter comme ça ! »
Laurent a horreur des conflits. Il y a des choses plus graves.
« Calmez-vous. Il y a eu un éboulement, ça vient juste d’arriver, je n’ai pas eu le temps de... »
L’homme hausse les épaules.
« Connard », grogne-t-il en reprenant le volant. Il est en pleine manoeuvre de demi-tour, moteur vrombissant et freinages secs, quand une Golf GTI s’arrête derrière lui. Un grand escogriffe d’une trentaine d’années, en jeans et anorak vert kaki, s’avance le sourire aux lèvres.
« Que se passe-t-il ? »
L’homme au 4 x 4 gesticule en hurlant. Laurent s’approche.
« Il y a eu un éboulement. La route est bloquée. »
Le nouveau venu lui sourit gentiment et jette un regard amusé au conducteur furieux qui baisse sa vitre.
« Mais pousse-toi, bordel de merde, tu vois bien que tu me gênes ! »
L’autre affiche son plus beau sourire goguenard et continue sur la route. Laissant le moteur allumé, l’impatient sort en hurlant de sa voiture.
C’est alors qu’une petite camionnette grise, qui a dû en voir d’autres, se gare à son tour derrière la Golf. En descend un vieux monsieur qui boite un peu, avec un pantalon de velours élimé, rentré dans des bottes vertes en caoutchouc, et une veste de chasse. Il pose la main sur l’épaule du costume gris, dont le possesseur est en pleine crise de colère hystérique.
« Laissez tomber. La route est barrée de l’autre côté aussi. »
Le coléreux se retourne, entre l’étonnement et le désespoir.
« Hein ?
- Ca s’est effondré juste derrière moi. Une chance, non ? C’était pas mon heure, faut croire. C’est fréquent, par ici, mais deux fois sur la même route, ça c’est pas tous les jours...
- Mais... », balbutie le costard-cravate, « comment je vais faire ? Il faut appeler le Samu, un hélicoptère, l’armée... »
Les deux autres se sont approchés, silencieux, médusés, ils regardent le vieux comme un sauveur.
« Les portables passent pas, ici. La montagne aime pas ça. Il va faire nuit, et l’orage va péter dans les cinq minutes. M’étonnerait qu’ils envoient quelqu’un avant demain...
- Mais je suis le professeur Duché ! Je dois donner une conférence demain matin à Toulouse ! C’est le Congrès Mondial de Cardiologie ! On m’attend !
- Eh bé, on vous attendra... », sourit le vieil homme, pas vraiment impressionné. « M’sieurs dame... Je m’appelle Aimé. J’habite par ici. Et j’crois ben qu’on va passer la nuit ensemble. »
Le grand échalas tend une main franche.
« Eric. »
- Laurent. Je suis avec ma fille, Irina. Viens, ma chérie, descends de la voiture. »
Un coup de tonnerre se présente aussi.
« Ca va pas tarder à tomber, les jeunes. Je connais un refuge, à mi-pente. On y sera mieux pour la nuit.
- Il n’est pas question que je...
- C’est comme tu veux, mon gars, mais quand ça va geler, c’te nuit, tu vas te sentir couillon... »
Le professeur Arnaud Duché n’a plus rien à dire. Il sort de son coffre une grosse valise sur roulettes et un attaché-case Hermès.
« La descente est raide, m’sieu. Devriez voyager léger. »
Laurent renverse son sac de voyage dans son coffre. Il y fourre des lainages pour Irina, des chaussettes, les comprimés en cas de crise, la bouteille d’eau, le paquet de biscuits et le chocolat.
« Donnez-moi votre sac », propose Eric quand il découvre le petit visage effrayé d’Irina. Occupez-vous de votre fille. » Sur l’épaule gauche, il porte déjà un sac à dos à moitié vide.
Aimé prend sa besace sur l’épaule et les mène à un endroit où le rail de sécurité est interrompu sur un mètre.
« Ne vous écartez pas du chemin et descendez lentement, ça glisse un peu. »
Derrière lui se place Eric, puis vient Laurent, qui tient Irina par la main ; le professeur ferme la marche, accroché à son attaché-case et pestant à mi-voix parce que les ronces et la boue et la mallette et les mocassins. Ils n’ont pas fait cinquante mètres qu’une averse impromptue de grêlons les bombarde sans pitié. Aimé ne ralentit pas pour autant. La lumière est crépusculaire, mais il n’hésite pas un instant. Les autres peinent un peu pour suivre son rythme, mais ça ne leur laisse pas le temps de se plaindre.
Enfin au bout d’une interminable dizaine de minutes, apparaît la silhouette sombre d’une petite cabane. Leur guide ouvre la porte qui n’est pas verrouillée, et avance dans le noir avec l’aisance d’un chat. Il craque une allumette, et la douce lueur d’une lampe à huile éclaire une petite pièce presque nue, aux murs blanchis à la chaux. Dans un coin, une table avec deux bancs. Contre le mur du fond, une cheminée noircie par les ans. Sous la fenêtre, un vieux bahut, près duquel sont posées deux bottes de paille. Le sol est de terre battue. L’air sent la cendre froide et le renfermé. Le vieil homme allume une deuxième lampe, qu’il pose sur le manteau de la cheminée.
Le cardiologue se redresse.
« Mais c’est magnifique ! Nous allons être vraiment bien ici. »
Négligemment, il sort son portable de sa poche, et le range aussitôt.
« Je vous l’ai dit, m’sieu, ça passe pas ici. Je vais chercher de l’eau à la source. Il y a des couvertures et des ustensiles dans le bahut. La paille c’est pour étaler par terre.
- Très bien ! Allez, mademoiselle, toi et moi on va mettre la paille. Vous deux, vous allez chercher du bois ? »
Laurent parle à Irina à voix basse ; elle acquiesce en silence et se laisse tomber sur le banc.


La grêle a vite cessé, mais l’air est devenu glacial, et le ciel blanchâtre.
« Il va neiger », murmure Eric.
« Ca n’arrange pas nos affaires, mais Irina va être ravie ; elle adore la neige... »
Les deux hommes se sourient.
Quand ils reviennent au refuge, ils aperçoivent Aimé qui remonte la pente péniblement avec un seau plein d’eau claire. Duché les attend en faisant les cent pas.
« Ah ! Quelqu’un a un couteau ? Je n’arrive pas à défaire les ficelles des bottes de paille. »
Devançant le Laguiole d’Aimé, Eric lui tend son Opinel avec un sourire grimaçant qui vaut une mise en garde, et que l’autre reçoit parfaitement.
La maisonnée s’organise. Le feu crépite dans la cheminée, la paille fait un tapis isolant sur le sol. Eric réchauffe des lentilles en conserve trouvées dans le bahut, dans le vieux chaudron de cuivre accroché à une chaîne, Aimé pose sur la table ses emplettes de l’après-midi : un gros pain, deux saucissons, une bouteille de vin et un pot de miel. Laurent ajoute les biscuits et le chocolat.
« Mais c’est un vrai festin ! », déclare gaiement le professeur. Tu m’aides à mettre le couvert, ma puce ? »
La jeune fille, à genoux devant la cheminée, n’a même pas levé la tête.
« Elle s’appelle Irina. Et... elle a certaines difficultés... en particulier dans les relations avec les gens...
- Ah oui, je vois... Je suis médecin, vous savez. Elle est en institution, je suppose. »
Laurent a un mouvement de recul.
« Non. Elle vit avec moi.
- Vraiment ? Quelle drôle d’idée... Enfin, c’est votre affaire...



La nourriture réchauffe les corps et apaise les esprits. Dehors la neige se met à tomber lentement, à gros flocons inexorables.
« Tu fais quoi dans la vie, mon pt’it gars ? », demande Aimé à Eric. « Tu as l’air de te débrouiller...
- Je voyage beaucoup. Je suis journaliste.
- C’est génial ! », s’exclame Laurent.
- « Ca dépend. Là, je rentre d’Irak. C’était... moche. »
Irina lève sur lui ses yeux presque transparents.
« Peur...
- Oui, Irina, là-bas tout le monde a peur. »
Il raconte à mi-voix, sans aucune ostentation, la poussière, le sang, le chaos, la mort, et le pire, l’incertitude de chaque instant.
« J’ai fait l’Algérie en ‘62 », soupire Aimé. « c’est toujours pareil. »
Dehors la neige tombe de plus en plus dru.
« Bon, c’est pas très gai tout ça ! Moi je suis cardiologue, je dirige le premier centre français de transplantation cardiaque et je...
- Neige ! »
Irina, qui est en face de la fenêtre, s’y précipite et colle son nez sur le carreau sale.
« Papa, papa, neige !
- Oui, Irina, je sais. Tu iras jouer demain. Viens finir de manger, sois gentille...
- Est-ce quelqu’un a entendu la météo ? » , demande le cardiologue un peu renfrogné.
- Oui. Il fait 30° à la Réunion, moins 10° à Moscou... Et nous, on verra bien demain », rétorque Eric avec un sourire franchement ironique.



Tout le monde s’installe pour la nuit, en sirotant une infusion de verveine qu’Eric a dénichée dans le bahut.
« Qui s’occupe de ce refuge ?
- Nous tous, les gens du coin. Il est pas grand, mais il a déjà sauvé des vies.
- Demain on vous laissera de l’argent pour refaire les stocks.»
Le vieux fait un geste vague, mais son hochement de tête exprime la satisfaction.
Irina serre la main de son père.
« Ecoute, papa. »
Laurent tend l’oreille. Un long hurlement, plainte lugubre comme venue d’un autre âge, emplit le silence paisible d’une inquiétude palpable.
« Il y a encore des loups, par ici ?
- Voyons, Laurent », ricane le professeur, «il n’y a plus de loup en Europe, sauf dans les réserves !
- Ca, je sais pas. Mais nous, l’an dernier, on en a traqué un, qui avait déjà tué huit moutons... Mais on l’a manqué... »
Les yeux d’Irina s’agrandissent démesurément.
« Loup ? Gentil, le loup ?
- Ici tu ne risques rien, ma chérie. Nous te protègerons. »
Aimé lui sourit gentiment.
« Ton papa et moi on est plus forts que le loup », ajoute Eric avec tendresse. « Et puis, peut-être bien qu’il est gentil... »
Le sourire d’Irina est d’une telle pureté qu’un instant Eric oublie qu’il existe des guerres.


Les respirations régulières se répondent calmement dans la quiétude du sommeil, celle d’Aimé un peu plus forte, celle d’Irina presque imperceptible. Pourtant, au coeur de la nuit, celle-ci appelle d’un voix angoissée.
« Papa !
- Dors, ma chérie, tout va bien.
- Oh la ferme, merde ! » (Ca, c ‘est le cardiologue.)
Laurent tend le bras vers la lampe qui veille sur la table et tourne un peu la mèche.
« Là, regarde, tout va bien ...
Les yeux exorbités elle regarde vers la porte.
« Femme... Il y a... une femme... Ecoute... Elle pleure... »
Laurent prend sa fille dans ses bras et tout à coup il sursaute.
« Tu as raison ! Eric ! Aimé ! Ecoutez ! »
Les deux autres se redressent. C’est un gémissement discontinu, saccadé, parfaitement distinct, et qui semble tout proche.
D’un bond, Eric est debout et enfile ses chaussures. Plus lentement, Laurent et Aimé l’imitent, mais celui-ci croit bon de préciser :
« Vous savez, avec l’écho dans les vallées, ce n’est peut-être pas tout près... »
Laurent va secouer le professeur, qui manifestement fait semblant de dormir.
« Je vous confie ma fille. D’accord ?
- Oui, vous êtes médecin », le toise Eric de toute sa hauteur. « Alors prenez soin d’elle. »
Duché s’assied en grognant.
« Ca va, ça va, je dormais... »


La neige a cessé mais il y a bien déjà trente centimètres au sol, éblouissante dans la lumière des torches. Un petit vent piquant fouette les visages. La plainte semble venir de la vallée. Les trois hommes descendent, précautionneusement, les reliefs sont effacés, la neige crisse sous leurs pas et transforme rapidement leurs pieds en moignons engourdis. On n’entend plus le loup. Ils sont tout en bas, maintenant, au bord du ruisseau. Il n’y a personne. Le silence est glacé. Puis les gémissements recommencent, entrecoupés de sanglots. Mais cela semble venir de plus haut, sur leur gauche. Ils reprennent leur marche cahotante et obstinée, trébuchant dans les ronces, incapables de courir. Les torches balaient le sous-bois en vain. Ils se fraient un passage non sans mal, contournant les buissons trop épais pour être traversés.
« Pourvu qu’on arrive à temps », murmure Eric dans une buée blanche qui danse dans la lumière.
Laurent pense à Irina, il s’en veut de l’avoir laissée seule avec ce type détestable, mais il ne veut pas passer pour un tire au flanc. Et puis elle est grande, elle ne risque rien et le gars est médecin, merde.
Ils sont remontés à mi-pente quand les pleurs leur font encore changer de direction. Et encore. Et encore. Ils ont l’impression de tourner en rond, d’être ballottés, entraînés, malmenés par une malédiction diabolique et perfide. Ils n’ont plus froid, maintenant, même s’ils ne sentent plus leurs pieds, mais ils sont perdus, désorientés, perplexes...
Un cri de terreur – une voix d’homme – vient ajouter à leur angoisse. Ils se regardent.
« Qui c’est ? Le toubib ? », demande Eric.
« Irina ! », hurle Laurent, qui se met à courir comme un fou, droit devant lui, sans savoir où il va.
« Attends, mon gars, tu vas te perdre ! »
Aimé essaie de se repérer, mais le paysage est tellement uniforme... Enfin, après détours, hésitations et retours, au dessus d’eux apparaît la lueur pâle de la fenêtre du refuge, au moment où le ciel commence à pâlir sur une aube terne et glaciale.
Irina est assise devant la cheminée, où rougeoient encore quelques braises. Elle caresse sans fin la tête de sa poupée. Duché est recroquevillé dans le coin le plus sombre, la tête sur les genoux, il sanglote comme un enfant. Laurent serre Irina dans ses bras, elle est calme et souriante. Eric s’approche du cardiologue, l’appelle, le secoue par le bras. L’autre pousse un cri affolé et lève un visage baigné de larmes, dont les yeux hallucinés reflètent une terreur profonde comme un gouffre sans fond. Il ouvre la bouche, mais aucun son n’en sort. Sa peur est vivante, envahissante, contagieuse. Les trois hommes se regardent, démunis et inquiets. Seule Irina, paisible, chantonne à mi-voix. Aimé va chercher au fond du bahut une vieille bouteille couverte de poussière et en remplit un gobelet ; les lèvres tremblantes du médecin en laissent échapper plus de la moitié, mais il parvient à en avaler un peu. Il a un soubresaut pathétique et son regard incrédule passe de l’un à l’autre comme pour s’assurer que tout est bien réel.
« Le... Le... loup... », parvient-il à prononcer, le corps secoué de spasmes. Laurent s’assied près de sa fille.
« Qu’est-ce qui s’est passé, ma chérie ? Est-ce que quelqu’un...est venu ? »
Elle lui sourit, et parle d’une voix fluide et claire comme jamais elle n’a parlé.
« Ah, oui... Le loup est venu... Un grand loup noir, très grand, très beau... Il était très gentil... D’abord il a grogné un peu, il avait faim, il voulait manger le monsieur... Mais je lui ai parlé, je l’ai caressé, et je lui ai donné le reste du saucisson... J’ai bien fait, n’est-ce pas ? C’est dur la vie d’un loup en plein hiver, les hommes veulent le tuer, il a froid, et les moutons sont tous dans la bergerie... Il a trouvé un rat avant-hier, mais ça n’est pas grand chose pour un loup... Ah, il a fini les lentilles aussi... Et il a adoré les biscuits ! Tu m’as toujours dit qu’il fallait partager... Après il m’a léché le nez et il est parti ; je crois qu’il était content. Ah... il m’a dit que pour de vrai il n’y avait pas de femme... Que c’était une histoire d’avant, dont la montagne se souvient. Elle s’appelait Anna. Tu la connais, papa, cette histoire ? »
Laurent est très pâle. Il regarde Aimé dans une interrogation muette. Le vieil homme soupire, et sert une tournée de la bouteille poussiéreuse, dont l’alcool arrache la bouche. Dehors la neige reprend son ballet de flocons, dans le jour pâle qui se lève.
« Il y a une très vieille légende, par ici. On dit qu’il y a près de deux cents ans, la femme d’un émigré espagnol, qui s’appelait Anna, se perdit un soir dans la montagne, au mois de novembre, en cherchant une brebis égarée. Elle trébucha et se cassa la jambe. Elle n’était pas très loin de la route, et elle appela longtemps au secours. Mais aucun des passants ne s’arrêta. On dit qu’une horde de loups se coucha près d’elle pour la réchauffer, mais qu’elle mourut quand même de ses blessures. On dit que son esprit est resté dans le corps d’un grand loup noir, puis qu’il est passé dans celui d’un de ses fils, puis d’un petit-fils. On dit que ça dure encore aujourd’hui, et que c’est pour ça qu’on n’arrive pas à piéger ce loup. On dit que depuis ce temps-là l’esprit d’Anna cherche à se venger des hommes peu charitables, comme en son temps elle avait dévoré les voyageurs qui ne lui avaient pas porté secours... Mais bon, c’est une légende... Ici nous on y croit, mais on est des paysans, et on sait bien qu’en montagne si on ne s’entraide pas on est mort... Je sais pas quoi vous dire... »
Eric et Laurent restent silencieux. Le regard d’Irina n’a jamais été si présent, si pénétrant.
« Il était gentil, ce loup, papa, je te promets... »
Les hommes font cercle autour d’elle, et tandis que la neige ajoute inlassablement des flocons aux flocons, le sommeil les cueille un à un, blottis les uns contre les autres comme une portée de louveteaux autour de leur mère. Seul Arnaud Duché reste blotti contre le mur, pétrifié dans son hébétude.




Les secours les retrouvent en milieu d’après-midi, endormis dans la même position devant le feu éteint. Le professeur Duché est hospitalisé, dans un état de mutisme inquiétant. Les autres se séparent après s’être longuement serrés dans les bras les uns des autres. Irina est rayonnante. Elle va bien.
Narwa Roquen, qui a dû faire face à une insurrection de ses personnages... et qui a dû se plier à leurs volontés... Donc si ça ne vous plaît pas, je n'y suis pour rien!


  
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Réponses à ce message :
3 Exercice 26 : Narwa => Commentaire - Estellanara (Mer 30 jan 2008 à 17:22)
       4 petits trucs - z653z (Jeu 31 jan 2008 à 18:08)
3 C'est très joli mais... - z653z (Mer 5 dec 2007 à 15:07)
       4 Droit de réponse - Narwa Roquen (Mer 5 dec 2007 à 17:06)
3 Frissons - Elemmirë (Sam 1 dec 2007 à 00:38)


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