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 WA - Participation exercice n°25 partie 1 Voir la page du message Afficher le message parent
De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Lundi 5 novembre 2007 à 17:45:52
Bon, je me risque sur des sentes orientales au parfum de manga. Je n'ai gardé que le strict minimum des exercices de base.

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LE JARDIN DE PIERRE



Dehors, la pluie s’éternise, danse sautillante sur la pelouse scintillante. Dehors, les grands arbres se penchent en révérence au-dessus du petit plan d’eau giflé par les rafales du vent d’automne. Dehors, les silhouettes grise et penchées se cachent sous leurs parapluies pour fuir ces lieux, pressées de rejoindre la sortie au bout de la longue allée de graviers et franchir les grilles gardées par la guérite. Là-bas, derrière les murailles où le soleil brille. Là-bas où seul mon fantôme hante désormais les échoppes des bouquinistes du Pont Marie. Là-bas où les vestiges de ce que fut ma vie disparaissent peu à peu...Là-bas...où je n’irai plus.

« Mon amour, je reviendrai demain et après-demain et le jour d’après... tant qu’il le faudra.»

Elle me murmure ces mots empreints d’un amour que je ne revendique pas. Que je revendique plus. Son parfum si familier m’enveloppe lorsqu’elle se penche vers moi et fait courir ses doigts légers sur ma nuque. Frissons électriques. Ses lèvres sont si proches de mon oreille que je sens le souffle chaud de sa respiration sur mon cou. Je laisse néanmoins mon regard vagabonder par-dessus les murailles grisâtres qui ferment mon horizon. Je ne la regarde pas. Nul besoin. Elle a cueilli le meilleur de moi et ensuite elle a laissé le reste en pâture à...aux... Ne pas se souvenir...

Je suis silencieux et immobile dans mon fauteuil, devant la fenêtre. Elle s’éloigne, sort de la pièce où s’engouffrent le vide et l’absence, qui bientôt m’absorberont à nouveau dans leur cocon duveteux. Elle me manque déjà. Je suis comme un vaisseau de ligne échoué sur un rivage inhospitalier, drossé par la tempête contre les rochers affleurants qui ont mordu son bois de leurs mâchoires de pierre. Régulièrement, la caresse d’écume de la marée montante le long des courbes de sa coque réveille en lui la nostalgie de sa liberté d’antan, l’appel du large, l’ivresse de la course. Toute sa structure frémit, cherchant à se libérer mais en vain. Au-dessus de ses gréements où pendent tristement ses ailes déchirées, les mouettes ricanent et se moquent de lui. Puis la mer, amante vaincue, se retire, le laissant en arrière, inutile et impuissant, entraînant avec elle un autre morceau de bois, une autre partie de lui. Dans le sable qui a envahi ses cales, il peut entendre les crabes qui, de retour, font claquer sinistrement leurs pinces.

Mes doigts se crispent sur les accoudoirs. Je voudrais me redresser et courir après elle, l’empêcher de partir, de me laisser seul avec la nuit qui vient. Mais mes membres débiles restent gourds et ne répondent pas. Ne répondent plus. Les murailles qui encerclent ma prison ne retiendront pas mes visiteurs nocturnes. Je hais le crépuscule et je redoute l’approche de la nuit.

Je n’aurais jamais dû ramasser les feuilles éparpillées sur le sol, étalées en corolle tout autour d’elle. Mais c’était pour moi une occasion inespérée. Je revois cette scène encore et encore...

* * *

Elle tient son carton à dessin tout contre elle, avec au fond des yeux un air désemparé qui la rend irrésistible. Instinctivement, je retiens mon pas et, passant outre ma gêne habituelle, je me baisse pour essayer, délicatement, de rassembler les grandes feuilles éparses sur lesquelles sont dessinées au fusain des formes que dans mon trouble je prends pour des objets contemporains.

« Merci monsieur ! Je crois que mon carton a fait son temps ! » dit-elle d’une voix chaude et musicale, vissant ses yeux dans les miens. Exactement la voix à laquelle je m’attendais. Une voix douce et féminine. Une voix enchanteresse. Deux mots et je pars lui décrocher la lune.

Cupidon, Cupidon, pourquoi as-tu décoché si vite ton trait ? Que ne l’as-tu laissé dans ton carquois !

Je me sens ridicule, agenouillé sur la moquette, empêtré dans mon costume sur mesure. Oui, ridicule mais à ses pieds, la place où j’ai rêvé d’être. Elle s’accroupit à son tour pour m’aider à récupérer ses dessins. Une flagrance de jasmin envahit mes narines, étourdissant mes sens. Magie Noire. Son parfum. Elle est là, son visage tout près du mien, ses yeux ne cillant pas tandis que je la contemple, éperdument amoureux. Un adolescent de seize ans moi qui en ai pas loin du triple. Un couple étrange sur la mer rouge sang de l’épaisse moquette.

Cela aurait dû m’alerter. Il était encore temps. Un battement de coeur après, il était trop tard.

« Comment vous remercier de votre amabilité ? » reprit-elle, rosissant très légèrement.

Je ne sais que dire. Comme d’habitude. Je me contente de la fixer en souriant bêtement. « Aide-moi...aide-moi ! » crie mon corps. « Aide-moi...aide-moi ! » crie mon coeur. ».

Que n’ai-je écouté la voix de ma raison : « fuis... fuis...le plus loin possible ! ».

« Une tasse de thé, cela vous tente ? » continue-t-elle alors, me délivrant charitablement de ma détresse verbale. « J’avais un très vieil ami japonais qui me répétait souvent que chaque rencontre doit être vécue comme un trésor, un moment unique qui jamais ne pourra se reproduire. Voulez-vous vous joindre à moi ? »

Je ne peux qu’acquiescer du regard, le ton de sa voix semblant écarter tout refus. Quelque chose dans son regard m’invite à plonger, à ne pas me retenir. Une lueur sinueuse et malicieuse brille au fond de ses prunelles indigo. J’adore le thé.

« Dans ce cas, c’est parfait. Disons à dix-sept heures. Ma porte se trouve tout en haut des escaliers, à gauche, la dernière au fond du couloir. »

Nous nous redressons. Elle me sourit toujours, ne détachant pas ses regards des miens. J’ai la tête qui me tourne un peu. A contrecoeur, je la quitte, parvenu devant ma porte, son parfum m’environnant encore tandis qu’elle s’éloigne dans l’escalier. Il me semble entendre un bref éclat de rire, un rire moqueur, un rire malin.

* * *


« Vous aimez le matcha ? » demande-t-elle alors que nous sommes tous les deux assis en seiza sur le tatami, de part et d’autre du tana.

« Bien sûr, même si je ne puis cacher une certaine préférence pour le Long Jing, le thé vert chinois. » répondis-je, étonné par ma propre éloquence. Le poids sur ma langue semble s’être évaporé subitement. Je me sens étonnamment à l’aise.

Une imperceptible odeur d’encens flotte dans la pièce. Non loin, sur une petite table basse, une exquise fontaine miniature fait entendre la musique apaisante de l’eau vive ruisselant sans fin sur de petits galets disposés au fond d’une vasque de schiste noir, dans la plus pure tradition Feng Shui.

Je la regarde mesurer, à l’aide de l’écope de bambou, la poudre de thé vert pour la déposer dans les bols à thé. Ensuite, tout en gestes suaves et gracieux, elle verse juste ce qu’il faut d’eau chaude dans les récipients. Se saisissant du fouet lui aussi en bambou, elle bat le thé pour provoquer l’émulsion céleste. Je respecte le silence de cet instant où se mêlent en une magie singulière la simplicité et la profondeur, le raffinement et l’imperfection, l’union de l’homme et de la nature.

Pourtant à y bien regarder, toute cette cérémonie n’est guère plus que faire et servir une tasse de thé. Cependant il faut des années de pratique pour transcender cette banalité afin que chaque geste soit effectué de la manière la plus parfaite, la plus polie, la plus gracieuse et la plus charmante possible.

Je porte le bol à ma bouche pour gouter le délicieux breuvage. Il est excellent, idéalement préparé. Ainsi qu’il se doit, je lui exprime ma gratitude :

« Ce thé est pour moi une divine surprise ! Vous avez un nouvel adepte, en tous cas dans cet immeuble !

- Je vous remercie. Je tente de suivre maladroitement les conseils de mon vieil ami japonais qui m’a initiée à son art lorsque nous marchions ensemble dans les jardins paysages du temple Daitoku-ji à Kyoto. Ici en Europe j'ai pris quelques libertés avec le rituel. La part du feu en quelque sorte. D’une part, il dure en réalité plus longtemps, beaucoup plus longtemps ! D’autre part, nous ne sommes pas habillés convenablement pour la circonstance.

- Vous êtes allée au Japon ?

- C’est une vieille histoire. Le Japon, pour moi, c’est le pays des jardins. Vous aimez les jardins ? Moi oui. Un surtout. Peut-être le plus beau qui m’ait été donné d’admirer. Celui qui m’a le plus touchée. Près du temple de Ryoanji. Le Jardin de Pierre. Il est consacré à l’eau, cet élément en perpétuel mouvement. Sauf qu’il n’y a pas d’eau dans ce jardin, non. Pas la moindre goutte. Que du gravier. Du simple gravier blanc mais ratissé de telle façon que le minéral semble doué de la fluidité du liquide. C’est là, près du Grand Océan, accompagnée de mon vieil ami, Sen no Rikyu, que j’ai parcouru un long chemin intérieur. Il est physiquement impossible de voir d’un seul coup d’oeil les quinze rochers disséminés sur le sable. Il en manque invariablement un dans le champ de vision quel que soit l’endroit où on se place. Symboliquement, cela signifie qu’il y a toujours un aspect de la réalité qui reste caché à nos yeux mais qui existe pourtant. D’autres peuvent l’apercevoir mais pas nous, non pas nous.

- Vous en parlez avec beaucoup de conviction. Malheureusement, mes connaissances en philosophie zen remontent bien trop loin, j’en ai peur.

- Cela n’est pas grave. Laissons cela de côté, voulez-vous bien ? Lorsque je parle du Japon et de sa culture, je suis intarissable et trop vite ennuyeuse. »

Le silence se reforme, le tana entre nous, les bols de thé vides à présent. Plus besoin de parler lorsque nos regards, après s’être cherchés se sont enfin trouvés. Je pourrais rester des heures comme ça, les mains sur les genoux, face à elle. Je me sens un peu mal à l’aise dans mes vêtements occidentaux. Elle est si attirante en cet instant. Il y a quelque chose de magique qui déploie ses ailes entre nous. Ma timidité s’est enfuie, je me sens bien. Si bien.

Trop bien...

Il ne faudrait pas que cet interlude s’éternise à devenir gênant. J’ai un choix à faire. M’avancer vers elle un peu plus ou détourner la conversation vers un autre sujet, remplir le temps d’une futilité de plus en plus douloureuse. Je me jette à l’eau :

« Alors comme ça vous dessinez ! »

En disant ces mots, j’ai la vision d’un croque-mort qui, à grandes pelletées joyeuses, comble la fosse où gisent tous mes espoirs. Et en rigolant comme un bossu par-dessus le marché ! Triple buse...Ca c’est de la répartie ! Trop tard. J’essaie cependant de garder contenance. J’ai réussi à ne pas bégayer. C’est déjà ça. Le hittite qui sommeille en moi ne s’est pas réveillé.

(à suivre...)

M


  
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