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 WA - Exercice n°16 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 10 mai 2007 à 16:13:29
Cette fois-ci, nous allons jouer à Mac Gyver. Enfin, à Mac Gyver version Grimm. C’est l’histoire d’un personnage, appelons-le Jeannot ( mais vous pouvez changer), qui, pauvre fermier isolé depuis la mort de ses parents, s’en va vendre sa dernière vache à la foire – ou pauvre informaticien allant vendre son dernier ordinateur, ou ce que vous voulez. Il a dans sa poche un bout de ficelle, un canif, une boîte d’allumettes, quelques piécettes, et un accessoire dont je vous laisse le choix. Dans la même journée, il va faire différentes rencontres, vivre diverses péripéties, et à la fin du jour il sera riche.
C’est un exercice d’imagination pure, mais aussi de logique. Vous pouvez en faire un conte traditionnel, un récit de fantasy ou de SF à votre guise. Plus il y aura de rebondissements, plus vous marquerez de points. Pour les victimes du Mangeur-de-Temps, un synopsis suffira.
Vous avez 3 semaines, jusqu’au jeudi 31 mai. A vos plumes, prêts ?
Narwa Roquen,qui compte les points


  
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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-05-10 19:45:17 

 Ouhlala!Détails
Ca sent l'arrachage de cheveux, ça ^^

Elemm', qui était amoureuse de Mac Gyver quand elle était petite, mais qui n'a jamais cru qu'on pouvait fabriquer une bombe avec une épingle et une boîte de cornflakes :)

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-05-13 20:56:50 

 WA - Participation exercice n°16 partie 1Détails
Ce cadre est rudement intéressant. L'histoire que je propose étant relativement longue, voici la partie 1.

______________

La petite flamme dans le panier


Anis Verne est un fermier. Ses traits respirent la terre et son labour. Des traits épais et francs, des traits tannés par le soleil, creusés par une farouche volonté forgée depuis la disparition de ses parents. Ici, dans le fier pays qui l’a vu naître, le territoire des neuf peuples, son destin était tout tracé, sans péripétie notable. Se lever de bonne heure pour creuser le sillon nourricier. A midi, à l’ombre fraîche d’un chêne centenaire, boire le vin généreux en longues goulées, mastiquer un bout de saucisson et une grosse tranche de pain fermier. Puis se remettre à l’ouvrage jusqu’au soir qui embrasera le ciel d’occident de couleurs pourpres et améthystes, délivrant une fragrance de myrtille sucrée.

C’est un fermier. Il y a du Navarre en lui, une prestance bourrue et cordiale, chaleureuse et ensoleillée comme son accent. Il est né dans la maison familiale, à la toiture pentue, bâtie avec un mortier nourri de gave gris. Il aime cette maison, à présent sa maison, même si l’arbre étend ses rameaux au-dessus des ardoises luisantes de la pluie matinale. Il dit toujours, mais souvent à lui-même, que ce qui doit arriver ne peut pas manquer.

C’est un fermier et son univers, jusqu’à aujourd’hui, ne s’étend guère au-delà des limites de son champ de blé. Quand les temps sont durs, la nécessité fait loi. Les saisons sont déréglées si bien que son sens inné des choses de la terre s’avère impuissant. La récolte fut peu abondante, les pluies finissant de pourrir sur pied les épis survivants. Dans la vallée plus bas, les rumeurs inquiétantes circulent, annonçant la venue de jours sombres. Derrière les vitres de la maisonnée silencieuse, l’aube embrasse les collines proches. Anis recompte les pièces jaunes et les pièces blanches qu’il cache sous une pierre dans l’âtre de la cheminée. La boîte de fer-blanc ne contient pas de billet. Le tas qu’il a soigneusement aligné devant lui ne sera pas suffisant pour payer les semences améliorées de la prochaine récolte, sans compter qu’il devra aussi payer les hommes du fermier général qui viendront bientôt réclamer leur dû. Alors il balaie d’un revers de la main les piles de pièces qui roulent sur la toile cirée de la grande table de bois. Il sait ce qu’il lui reste à faire. Quand il rentrera ce soir, l’étable sera définitivement vide. Ce qui doit arriver ne peut pas manquer.

Il noue lentement un grand foulard rouge autour du cou et coiffe enfin son béret. N’allez pas lui dire que son béret est basque! Blâmez plutôt Napoléon III et son ignorance crasse!

Anis sort rapidement de l‘oustaü. Il longe le garage où rouille l’automobile abandonnée depuis la précédente envolée du prix des carburants et entre dans l’étable abritant sa dernière blonde d’Aquitaine, fantôme amaigri d’un troupeau enfui. Il passe le licol à celle qui a été forcément sa préférée, avec un pincement au coeur. Elle le suit sans broncher, de sa paisible démarche ruminante. Le jour se lève à peine au-dessus des collines.

Il s’engage sur la route départementale déserte qui disparaît peu à peu sous la poussière blanche amenée par le vent du sud. La flèche élancée de l’église gorienne des derniers jours est visible, surplombant les toits resserrés des maisons Ash-Kueu. Pas de bruit dans le matin calme. Anis marche de son pas ample et décidé, semblant avaler la distance sans y prêter attention, le bovin dans son sillage. Il devrait rejoindre le village avant que l’astre du jour ne darde ses rayons trop violemment. Bien avant midi. Le marché à bestiaux n’aura pas pris fin. Juste la bonne heure, celle choisie par les maquignons pour faire leurs dernières affaires. C’est à ce moment qu’il tentera de tirer le meilleur prix de sa blonde. Il topera dans la main du marchand en cachant la tristesse qui l’envahira. Oui, il en tirera certainement un bon prix. La bonne viande est toujours prisée. Il pourra acheter les semences adaptées venues à grands frais de l’autre côté de l’Atlantique. Il voit déjà la chance lui sourire enfin.


M

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-05-14 11:24:01 

 Débrouille toi comme tu veux...Détails
...mais fais qu'il retrouve sa vache à la fin!!! On sent qu'il y tient, c'est mignon :) Je suis trop Disney....


Elemm', Happy End, please! ^^

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-05-15 21:56:38 

 WA - Participation exercice n°16 partie 2Détails
...l'histoire m'entraîne bien plus loin que ce que j'avais au départ imaginé.. mais bon...on va tenter de la poursuivre vaille que vaille!
__________________________________

Anis lève la tête lorsqu’un gros insecte métallique traverse en bourdonnant le ciel vers le nord-ouest, en direction de l’estuaire où l’océan se brise sur les digues du port libre d’Agen. Le lourd appareil vole assez bas, la cocarde européenne bien visible sur le fuselage hérissé de nacelles d’armement et de bulbes d’avionique. Les montagnes sont toutes proches, expliquant ces fréquents déplacements militaires. Les défenseurs montent une garde vigilante sur le rempart pyrénique. Il presse le pas, cet hélicoptère ne peut être qu’un mauvais présage. Le village n’est heureusement plus très loin. Deux ou trois kilomètres à peine, à en juger par les inscriptions à demi effacées des bornes jalonnant la route qui descend doucement vers la plaine.

La chaussée passe sous une arche végétale qui s’entortille à la base d’un rocher planté là comme tombé du ciel. C’est un rocher de granit, imposant et majestueux, gigantesque larme érodée par le temps. A ses pieds, à quelques mètres de la route, des aspérules odorantes forment un tapis d’une blancheur immaculée, pareil à la traîne frémissante d’une jeune mariée, oubliée là par enchantement La réverbération, sur ce parterre laiteux, du soleil montant, oblige Anis à cligner doucement des paupières pour protéger ses yeux. C’est une lumière particulière qui enveloppe cet endroit, une lumière dessinant d’étranges formes évanescentes, aux contours flous et mouvants. Elles paraissent danser au gré des tourbillons de chaleur qui s’élèvent en corolles autour de la pierre levée.

Anis connaît bien ce passage qu’il emprunte régulièrement. Aujourd’hui pourtant, rien n’est exactement comme à l’habitude. Il ne saurait pas précisément dire ce qui manque ou ce qui est ajouté mais quelque chose est différent. C’est cela. Différent. Dérangeant l’ordre naturel auquel il s’accorde depuis sa naissance. Malgré la gêne occasionnée par le reflet solaire, il plisse les yeux tout en formant avec sa main une visière sur son front. Il la voit. Une voiture est garée là, quasi invisible dans l’orbe solaire. Une automobile. Ce genre de véhicule est un signe de luxe et un signe extérieur de puissance. Consommer un litre de précieux carburant pour parcourir huit cents kilomètres! Qui peut se payer un litre d’essence quand son prix dépasse six mois de travail ? C’est une voiture de sport, toute en courbes profilées, à la merveilleuse robe métallisée qui fait bouillonner le feu du jour. Anis ne peut la fixer très longtemps.

Personne au volant. Un cuir rouge et sensuel ourle les dossiers comme les lèvres cramoisies d’une déesse d’Atlantide. Anis ralentit sa marche. Alors la blonde d’Aquitaine tire sur le licol pour atteindre les tendres pousses vertes qui parsèment le bas-côté, dans l’ombre fraîche de l’arche surplombant la route. Il y a une forme humaine adossée au rocher. Une forme vaporeuse et délicate, diaphane et légère. Une présence féminine, enveloppée dans une ample takchita blanche et soyeuse. D’un chapeau à larges bords murmure une mousseline en vagues étudiées éclaboussant la nuque et les épaules, tandis qu'une larva à la texture plus synthétique lui cache complètement le visage. Anis reconnaît ce personnage. C’est une Dame Blanche, une de celles qui sillonnent sans relâche le territoire rétréci des régions de l’Ouest, annonciatrices d’évènements extraordinaires pour le commun des mortels. Certains sont choisis, les autres se contentent de baisser craintivement la tête sur leur passage.

Cependant, derrière les amandes parfaites du masque, seules ouvertures apparentes, un regard bleu intense s’est attaché à celui d’Anis. Un lien immatériel mais irrésistible les unit désormais. Il se rapproche de l’apparition nimbée d’un halo surnaturel, répondant à cette invitation silencieuse et impérieuse. Anis n’éprouve aucune crainte. Ce qui doit arriver ne peut pas manquer, n’est-ce pas ?

to be continued...dans la mesure du possible!

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-05-17 18:11:42 

 WA - Participation exercice n°16 partie 3Détails
La 3ème partie....

_____________

La voix s’élève, fluide et musicale. Une voix douce et miséricordieuse. Aucun accent identifiable. La voix d’un ange aurait cette tessiture mais Anis n’a jamais vu d’ange. Il contemple les lèvres, blanches et scellées, du masque impérial.

« Oui, tu es celui que je cherchais. Ecoute bien. Quand ce matin, le soleil s’est levé, elle s’est mariée alors que les cloches retentissaient dans toute la cité de Toulouse. A midi, elle sera rayonnante, au bras de son époux, le Colonel Roland, le héros des marches du Sud, la sentinelle indomptable. Tous s’inclineront devant eux. Il rejoint son poste, sur le rempart. Mais ce soir, oui, ce soir, quand le soleil se couchera sur l’ouest, elle sera une jeune veuve, une jeune veuve éplorée car Roland sera étendu, blessé à mort, au pied du rempart. Le coup qui l’aura impitoyablement abattu ne viendra pas de face.»

Anis ne dit mot. Son destin vire de bord. Cap sur cap. Le cours de sa vie change. Les Dames Blanches maîtrisent l’influx mantique qui porte la conscience au-delà du présent, démêlant les écheveaux des probabilités évènementielles infinies. Il convient seulement d’écouter et de retenir.

« Ce futur s’écrit peu à peu dans les sables de notre temps. Il est porteur de ruine pour notre forteresse. Il y a longtemps, très longtemps, le prince d’un royaume oublié est tombé devant les murs de sa cité, sous les yeux de son père, défié par un ennemi vengeur et implacable. Sa mort entraîna la chute de la cité dont il était le protecteur. Roland est un avatar de cet antique héros. Il tombe et notre forteresse sera ébranlée jusqu’à ses fondations en raison d’une chaîne de causalités trop longue pour être ici expliquée. Le temps s’écoule rapidement ! »

La vache frémit, chassant les mouches qui l’assaillent de tous côtés.

« Tu peux rompre cette funeste chaine. Toi et toi seul. Tourne le dos au village et bifurque au prochain carrefour vers les montagnes. Tu entreras bientôt dans un village abandonné, celui qui n’a ni église ni moulin. Ecoute ce que te dira le diable qui vit dans la grotte. Il te faudra déjouer ses ruses et ses tentations. Ensuite, tu croiseras les aurostères. Exauce leur voeu et partage leur peine. Gravis le flanc de la montagne et tu toucheras au but. Mais si le soleil se couche avant que tu aies fini, tout sera perdu. Garde-toi de te séparer de la vache, elle sera utile avant la fin. »

La lumière se fait plus intense, comme focalisée au-dessus du rocher. Anis est baigné dans une stase chaude et lumineuse. Il ferme les yeux mais la lumière pénètre ses paupières closes, inondant son esprit d’une marée brumeuse et scintillante. Elle irradie ses membres, de l’intérieur vers l’extérieur, impression de dilatation. Cela dure une microscopique éternité.

Quand il rouvre les yeux, la Dame Blanche a disparu, ne laissant aucune trace derrière elle. Anis reprend peu à peu possession de son corps. Il est saisi d’un imperceptible balancement, obéissant encore à une pesanteur étrangère. Il regarde la route qui s’étend devant lui. Plus rien ne l’attend là-bas. Il se retourne. C’est de ce côté qu’il lui faut aller. Ainsi qu’elle le lui a dit. Il n’hésite pas, répondant naturellement à l’appel de la Dame Blanche : « lo que a de ser no puede faltar ».

Il revient donc sur ses pas. A quelques centaines de mètres, il parvient au carrefour annoncé. Un chemin de terre battue, aux ornières profondes, s’ouvre sur sa gauche, serpentant en pente douce sur le piémont de la montagne. C’est décidé, il s’y engage résolument, d’un pas tranquille et assuré, la blonde d’Aquitaine sur ses talons.


M

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-05-27 13:43:06 

 Dis, dis?Détails
On aura un 4??


Elemm', qui a une trame mais qui rame!!!

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-05-27 14:48:42 

 Participation ex n°16Détails
<<D'faffon, qu'ef' tu veux qu'v'en faffe, moi, de f'te bête? Depuis que Bibiffe est raide, v'ai pu que f't'animal, mais f'est pas un cadeau... Fa f'avite, fa court, fa faute, fa f'gratte, fa ronfle et fa couine, mais fa fert à rien. Allez, viens-là, Gaga, on va t'trouver une aut' maîtreffe, pi p'têt' que fa me donnera de quoi paffer l'hiver.>>
Dans l'immense poche de son immense imper', il installa le petit animal, boule de poils frisés qui remuait compulsivement la moitié arrière de son petit corps blanc et rose. Il lui donna sa laisse satinée à ronger, et fourgua dans l'autre poche sa boite d'allumettes et les trois sous qui traînaient sur le buffet.

Le ventre bedonnant et la mine fatiguée installèrent Gaga à l'entrée de la Foire Canine Annuelle de Pers-les-Pattons-en-Bourboing. Sur la tablette, trônaient les papiers et les prix de la petite bête: Gladiateur IV du Domaine de Saint-Crédibert, 2ème fils de Princesse Jasmine Blanche III et de César du Domaine de Saint-Crédibert, 1er prix beauté Foire Internationale 2001, 2002, 2004, 2ème prix beauté 2003.
Devant Gladiateur défilèrent des heures de mollets dodus, de grosses chaussures aux enjambées décidées, et quelques mains douces d'enfants bien vite rattrapées par les parents pressés: <<Allons, il est déjà adulte, celui-là! Viens, on va voir les bébés là-bas!>>. Défilèrent aussi ses congénères, les grands, les poilus, les baveux, les récalcitrants, les tout juste sortis du ventre, encore mouillés d'attention maternelle et d'innocence. Tellement d'odeurs, le lait sur les babines des chiots, le mâle dominant, le fumet du saucisson sur les mains de la bouchère qui passe, l'air du printemps sous les tonnelles, le chewing-gum à la fraise que le gamin a jeté tout près, les croquettes Vitalité du stand d'en face, ...
La laisse entre les crocs minuscules mais aiguisés, Gaga mordille pour compenser. Cercle d'action: 1 mètre de diamètre, dont la moitié est occupée par les jambes de son maître, qui sentent le tabac et la chaussette sale. Son maître qui somnole, cerné, mal rasé, les yeux rougis.
Soudain, un parfum terriblement excitant parvient à la truffe rose: à 5 ou 6 mètres de lui, se dandine la plus attirantes des femelles qu'il ait jamais vue. Une chihuahua de toute beauté.
Avant que qui que ce soit ait pu réagir, Gaga était agrippé au dos du 1er prix du concours pure race, son morceau de laisse rongée pendant à son cou, détruisant de ses instincts la pureté des lignées futures de la petite championne.
La maîtresse hurle, le bon monsieur récupère son Gladiateur tant bien que mal, la dame veut une compensation, réclame à grands cris, fait scandale. Las et impuissant, le maître prend son caniche sous le bras et ses jambes à son cou.

Le bar tabac PMU est fermé à l'occasion de la Foire. Son dernier vieux mégot entre les dents, il tente de reprendre son souffle, adossé au mur d'une maison à la sortie du village, assis par terre comme un sans-abri. La course, c'est plus de son âge. Le caniche le regarde. <<T'es invendable, maintenant, fale bête, lui dit-il avec tendresse. Mais les femmes, fa nous fait touvours perd' la tête, hein...>>. Ôtant ses chaussures, il soupire. L'image de sa feue épouse s'imprime devant ses yeux clos. Quand il les rouvre, il constate que le gras de son gros orteil droit sort de sa chaussette par un trou confortablement établi. Il se souvient qu'il n'y a plus de Bibiche pour repriser ses chaussettes, ni sa peine. Il éclate en sanglots.
Le mépris lui vient pour le monde entier. Ce monde qui lui a enlevé son épouse, qui ne lui offre plus de travail, qui le ruine et l'épuise. Il voudrait fuir, loin, loin.
Quelques minutes plus tard, les yeux gonflés, muni seulement de larmes à feue Bibiche, il pénétra dans la banque. Le désespoir du veuf effraya la guichetière.
Dans l'air printanier de la fin d'après-midi, un homme s'enfuit, un caniche dans une poche, un gros sac de toile sur le dos.


Elemm', bon d'accord j'ai joué sur les mots pour suivre la consigne, et alors?? :p

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-05-27 17:13:56 

 Au moins un 4...Détails
...bien sûr, mais j'ai été pas mal occupé ces temps-ci!

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-05-27 20:13:02 

 WA - Participation exercice n°16 partie 4Détails
Devant lui, les montagnes apparaissent formidables, même si les ibones et les gaves sont depuis longtemps rangés au rayon des souvenirs audiovisuels. La roche est nue et desséchée, dressant ses cimes loin dans un ciel bleu cobalt veiné de traces irisées.

Un nuage de poussière s’élève devant Anis, au-dessus de la crête du sentier. Au fur et à mesure qu’il progresse, la rumeur d’une troupe encore invisible parvient jusqu’à ses oreilles : martèlement de bottes et murmures de voix étouffées... Prudemment, Anis se range sur le bas-côté et s’assure qu’Aliénor, sa blonde d’Aquitaine, suit sa consigne.

Bientôt, la tête d’un convoi militaire émerge de la poussière soulevée du chemin. Des Chasseurs, reconnaissables à leurs casquettes sable ornées de l’insigne de leur régiment, palé d'or et de gueules de six pièces, au chef d'azur chargé de six étoiles d'or. Anis les connaît, ils sont les fils des anciens espagnols, les fils de l’Exode. Ils forment à présent le gros des troupes stationnées sur les remparts, regardant avec nostalgie leur pays occupé qui s’étend devant eux, si proche et inaccessible.

Anis s’est arrêté. Une vingtaine de chasseurs escorte une longue colonne de prisonniers vers les camps de recyclage. Plusieurs dizaines de pauvres hères, hommes, femmes et enfants, qui étaient prêts à tout pour parvenir en terre promise, là où la vie est plus douce. Loin de la misère, de la souffrance et de la mort. Malgré la différence de leurs traits fatigués, tous ont dans les yeux ce même désespoir insondable. Le sort qui leur est promis n’est guère enviable. Ils ont les mains et les pieds entravés par des liens en plastique qui leur scient la peau, leur infligeant déjà une douleur qui augure bien mal de la suite. Anis ne peut se résoudre à fermer son coeur et sa bonté bien qu’il sache que tout ceci nécessaire. La Confédération Européenne défend ses intérêts et ses habitants alors que la Terre s’épuise en une lente agonie écologique. Il espère de tout son être que ceci est réellement nécessaire.

Le lieutenant qui commande le détachement parvient à hauteur d’Anis. Il soulève un peu la visière de sa casquette et passe le dos de la main sur son front. Il lui lance, dans un esperanto au léger accent hispanique :

« Bonjour ! Vous comptez aller où avec votre vache ? Vous allez bientôt pénétrer dans la zone militarisée vous savez ? »

Il n’y a aucune menace ou agressivité dans les mots de l’officier.

« Je me rends au camp 28, je dois y récupérer quelque chose qui m’appartient. Je serai revenu avant que la nuit tombe. »

Ce n’est pas tout à fait faux. Le lieutenant hoche la tête et rejoint sa place dans la file. Les Chasseurs sont redoutés par les clandestins qui tentent de franchir le rempart. Les barrières électroniques et les satellites forment un réseau défensif quasi-invulnérable mais l’instinct de conservation décuple l’imagination humaine. Les Chasseurs sont là pour pallier les infimes failles de sécurité. Ils y parviennent fort bien.

Le soleil s’achemine vers le zénith. La moitié du jour est passée. Anis flatte doucement l’encolure d’Aliénor, calmant sa nervosité. Il jette un dernier regard à la troupe qui s’éloigne puis il reprend sa marche vers le camp 28, le camp abandonné, celui que la Dame Blanche a présenté comme le village sans église ni moulin. Il sait pourquoi. Mais il ignore ce qu’elle a voulu dire en parlant du diable.

Mais ce qui doit arriver ne peut pas manquer.

M

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-05-28 07:43:53 

 Ca me rappelle...Détails
...l'impression que j'avais devant les épisodes de Lost: quoi, déjà fini? Rhaaa, faut attendre la semaine prochaine!!!

^^

Elemm', qui a fini par se dépatouiller de sa trame par une petite cabriole linguistique :)

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-05-28 18:05:31 

 WA - Participation exercice n°16 partie 5Détails
Je crois que je me suis attelé à une histoire qui déborde le cadre de l'exercice, qu'importe!

J'ai la trame, les étapes du scénario, la chute finale mais j'ai beau tailler dans le texte, il en reste beaucoup.

Elemmirë a parlé de Lost (que je n'ai pas vu!). Quant à moi, je parlerais de Paradise Lost (pour les connaisseurs).

____

Il fait chaud, très chaud. La végétation souffre de cette chaleur caniculaire, aux variations exagérément brutales. Malgré les avertissements répétés des climatologues, rien ne fut entrepris pour stopper la fonte des glaces. Autour des grandes tables rondes, les discours les plus persuasifs furent vains lorsque les comptables et les financiers eurent fini de chuchoter à l’oreille des seigneurs de ce monde. Les banquises se rétrécirent, les glaciers reculèrent, jusqu’à disparaître. Le niveau des eaux s’éleva de près de cent mètres, remontant loin dans les terres.

Le sentier épouse le relief tourmenté du contrefort montagneux, dessinant des lacets parmi les chênes verts. Là se trouve le camp 28. Anis y a passé vingt quatre mois de sa vie, vers la fin de la deuxième peste aviaire. C’était un des centres de la chaîne de sécurité sanitaire. Libéré de ses obligations, Anis était revenu profondément changé, taciturne et secret. Ses parents n’ont rien demandé. Ils ont juste noté la rage sourde avec laquelle il labourait les champs, comme s’il avait voulu enterrer, dans le sillon fraîchement retourné, ce qu’il avait vu là-bas. Aujourd’hui, le centre est fermé depuis presque dix ans. Les baraquements, les silos et les laboratoires souterrains sont désormais vides et silencieux. Il n’y a ni moulin ni église. Juste un long muret de marbre noir où sont calligraphiés des centaines de noms. Aucune tombe. A son retour, Anis a fait un cauchemar récurrent. A genoux près du muret, il déchiffre son nom parmi les autres tandis qu’une voix ironique l’appelle tout bas dans le noir. "Qu’as-tu fait, Anis ? Qu’as-tu fait de ton âme ? "

La monotonie plonge Anis dans ses souvenirs. Ce n’est pas chose aisée, les fantômes hantent leurs allées obscures. Le dessein de la Dame Blanche demeure impénétrable, tissé de cette matière qui constitue l’avenir.

Une pancarte militaire de signalisation renversée parmi les mauvaises herbes indique le ciel. Pourtant, le C28 n’était qu’une version moderne et médicalement aseptisée de l’enfer. Anis fait un effort pour suivre la voie. Il est midi. La montre émet un léger bip. Anis extirpe d’une de ses poches un flacon sans étiquette contenant des comprimés pas plus gros que des grains de riz. Il en avale deux en grimaçant. Si la pollution n’est plus visible, les rayons du soleil sont des tueurs implacables. On peut vivre sans trop de contraintes à la surface du globe du moment qu’on accepte quelques désagréments et qu’on a les moyens de payer. C’est tragique mais banalement économique. Les autres, au Sud, vivent moins longtemps, c’est tout. Cela sera ainsi tant que les routes de l’espace resteront fermées. Et jusque là, les remparts protègeront la Confédération, à l’instar de ceux de la Russie, de l’Empire du Milieu ou de la Sainte Amérique.

La clôture barbelée est toujours là, avec ses griffes et ses miradors. Elle délimite une vaste clairière façonnée par l’homme. A gauche, plusieurs baraquements alignés, aux étroites fenêtres barreaudées, enfermés par une enceinte intérieure. A droite, deux silos imposants où étaient entreposés les matériaux et les consommables. Anis se rappelle que les accès aux niveaux souterrains étaient situés à l’arrière, près du poste de commandement. Beaucoup y descendirent, peu remontèrent, hormis les techniciens et les militaires du régiment de Dragons à l’oriflamme de feu et de sang. Anis n’y est jamais descendu. Affecté aux cuisines, il a failli plusieurs fois se faire prendre à donner un peu plus de nourriture aux prisonniers infectés.

Anis sait où trouver la grotte dont elle a parlé. Il attache la longe de la vache à la rampe du PC. Dans sa tête chantonne une petite voix fluttée : « Ecoute le diable, écoute le diable...écoute bien ! » Si les portes extérieures sont étrangement ouvertes, l’ascenseur ne fonctionne plus. A côté, la cage d’escaliers s’enfonce progressivement dans l’ombre. Tous les sens en alerte, Anis s’immobilise : une sorte de sanglot s’élève du trou noir. Anis n’est plus croyant. Il fréquente l’Eglise Gorienne plus par prudence que par conviction.

Il place son pied droit sur la première marche : ce qui doit arriver ne peut pas manquer.

à suivre...

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-05-28 20:36:38 

 WA - Participation exercice n°16 partie 6Détails
Et la suite des aventures d'Anis. Est-ce que Narwa Roquen aura la patience?

_____

Degré après degré, Anis s’éloigne de la lumière. Ses yeux s’accoutument peu à peu à l’obscurité, mutation génétique mineure. Il parvient à se diriger au prix d’une déformation périphérique et même à lire les panneaux accrochés aux murs, en se collant pratiquement dessus. Niveau 2. Le sanglot résonne un peu plus fort, derrière les portes coupe-feu sur sa droite.

Il passe prudemment les battants. C’est un niveau technique. Un long couloir. Une enfilade de portes closes. Une atmosphère épaisse, sentant vaguement le renfermé. Une faible lueur filtre sous l’avant-dernière porte, tout au fond du couloir. Un sanglot retentit à nouveau. Une voix humaine à n’en pas douter. Une voix enfantine. Anis s’approche doucement. Cette présence est incongrue, le C28 n’est porté sur aucune carte. Qui irait s’y réfugier ?

Le sanglot se fait entendre à nouveau, c’est bien là. Anis abaisse la poignée et pousse la porte avec une infinie patience. La luminosité le désoriente fugitivement. Un garçonnet est assis en tailleur, la tête dans les mains. Des boucles sombres et désordonnées masquent son visage. Il pleure, ignorant l’intrusion d’Anis. Quel âge a-t-il ? Pas plus de dix ans ! Un enfant ! Ses vêtements, à peine sales, trahissent une origine subsaharienne. Comment a-t-il échappé aux Chasseurs ? Une petite bougie finit de se consumer dans un coin.

« Pourquoi pleures-tu ? » demande doucement Anis, ne sachant pas par où commencer.

L’enfant lève son regard vers lui, un regard empli d’étoiles brillantes. Il y a, dans ces yeux, toutes celles qui ont disparu de la voûte céleste. Le garçon ne semble pas étonné de sa présence, ni effrayé. Il lui répond mais dans une langue inconnue d’Anis qui lui adresse une mimique d’incompréhension. L’enfant s’interrompt, semble réfléchir puis reprend, dans un français anachronique :

« J’ai cassé mon instrument sacré. Regarde ! » Il tend à Anis une sorte de bouton en bois percé de deux trous. Anis n’en a jamais vu de pareil avant.

« Cassé comment ? » demande-t-il, s’accroupissant près du garçon qui le laisse faire sans broncher.

« Il faudrait une fine corde, tu vois, sinon je ne peux plus parler à mes ancêtres ! Et je ne trouve pas de corde convenable ici! »

Anis fouille ses poches. Avec soulagement, il tend au garçonnet le bout de ficelle qu’il avait pris ce matin en prévision du marché. Un sourire radieux éclaire le visage du clandestin qui lui arrache presque la précieuse cordelette. Il la passe délicatement dans les trous du bouton. Anis ne peut s’empêcher de remarquer la grande maigreur de ses bras et de ses épaules. Satisfait, l’enfant farfouille dans un sac posé sur le sol. Il en extrait une boîte de soda cabossée qu’il offre à son sauveur.

« Tiens ! Je te donne ce que j’ai de plus précieux! Je l’ai trouvée dans une autre pièce. Prend-la et bois pendant que je parlerai aux esprits de mes ancêtres. ! »

Anis saisit la boîte mais ne l’ouvre pas. Ce n’est pas le diable. Il est perplexe. Il a pourtant fait exactement ce que lui a dit la Dame Blanche. Il n’y a ni ruse, ni tentation, juste un enfant perdu loin de chez lui en pays hostile. Non vraiment, rien de diabolique là-dedans. L’enfant, en tirant dans un mouvement d’accordéon sur la ficelle, met l’instrument en mouvement. La vibration de l’air ainsi entraînée, provoque un ronflement, une sonorité rugissante. Le vent et le tonnerre se déchaînent dans la petite pièce. Le garçon, en extase, se balance d’avant en arrière, au rythme de cet étrange musique païenne.

Alors Anis perçoit autre chose. Des voix se mêlent au vent et au tonnerre. Des voix infiniment lointaines qui l’interpellent, lui, Anis et nul autre. Le garçonnet tire sur la cordelette, inlassablement, renforçant graduellement le phénomène. Ces voix lui sont familières. Il les a entendues quelque part. Il hésite à comprendre. Un subtil sortilège l’attire intimement hors du monde terrestre vers une autre dimension entrouverte par l’aérophone. La lumière se fait plus vive, plus intense, semblant jaillir de nulle part et de partout à la fois. Une lumière au sein de laquelle des formes indistinctes prennent naissance.

Oui. Anis se rappelle. Ces voix, ce sont celles de tous les prisonniers du C28. Il leur a parlé. Quelques mots si dérisoires alors qu’il n’ignorait rien du sort qui les attendait derrière les silos. Ils ont quitté la surface de ce monde en descendant les marches de l’enfer. Aujourd’hui, leurs âmes sont là, toujours prisonnières de ces murs, perdues et tourmentées. Elles l’appellent doucement : « Anis, Anis, qu’as-tu fait ? Qu’as-tu fait de ton âme ? Rejoins-nous, montre-nous enfin le chemin et mène-nous vers la lumière ! »

Il lui faut résister. Lutter contre un courant qui l’entraîne de plus en plus vite loin d’ici. S’il ne se libère pas de cette emprise surnaturelle, il ne pourra plus quitter cet enfer. Le remords qu’il a enfoui trop longtemps broie une partie de son âme qui pleure et aspire à cette perpétuelle repentance.

« Le diable vit dans ta conscience, Anis, comme dans celle de tous les hommes. Résiste ! »

Cette phrase a été murmurée à son oreille. Anis s’y accroche comme à une planche de salut. Les voix grondent et tempêtent mais peu à peu, il reprend la maîtrise de son corps. Elles s’affaiblissent enfin, échos de regrets éternels. Il n’entend bientôt plus que le vent désolé dans les branches d’une forêt d’arbres morts. Le jeune garçon s’étant arrêté de tirer sur la corde, le fixe curieusement.

« Tu n’as pas bu ? » demande-t-il enfin.
« Non, je n’ai pas bu mais tu m’as fait un merveilleux cadeau. Pour cela, permets-moi de te rendre le tien. Dis bien aux esprits que j’ai compris. Oui, j’ai compris. »
« D’accord, mais toi, ne dis pas aux soldats où je me cache ! »
« Je te le promets ! »

Lorsqu’il sort à l’air libre, les larmes inondent son visage. Il n’oubliera pas. Il n’oubliera plus. La chaleur du soleil sur sa peau est une caresse inespérée. La Dame Blanche avait raison. Elles ont toujours raison.

Ce qui doit arriver ne peut pas manquer.

M

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-05-28 21:12:31 

 Assombrissement (ça se dit ça??)Détails
Autant le n°1 commençait de façon sympathique, autant plus on avance, et plus ça sent les ennuis sérieux... C'est angoissant comme ambiance, dépêche-toi de le faire devenir riche!!

Elemm', qui met la pression ;)

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-05-28 21:20:51 

 Eh ben...Détails
Perplexe...
A fini? Et la vache? Pourquoi la dame blanche lui a dit de ne pas s'en séparer?

En même temps, j'ai envie de dire qu'on s'en fout, de la vache, et surtout on s'en fout de la consigne, parce que ton texte est vachement bien (ha ha ha, désolée pour le jeu de mots ^^). Chouette :)

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-05-28 23:58:45 

 WA - Participation exercice n°16 partie 7Détails
patience Elemmirë ! Encore un peu de patience, tout s'ordonnera (enfin je l'espère)!

____
Anis récupère Aliénor qui l’avait attendu sagement et quitte rapidement le camp 28. Il n’y a plus rien à faire, son passé est enterré définitivement. Il est en paix avec lui-même. Il regagne la piste principale afin de poursuivre la quête assignée par la Dame Blanche. La course du soleil s’abaisse insensiblement vers le couchant. Il lui faut se hâter. Les empreintes psychiques des devineresses sont redoutablement efficaces. Rien n’existe sinon la prédiction.

Il franchit les frontières qui bornent sa connaissance topographique. Il n’est jamais allé au-delà de l’embranchement menant au C28. La route serpente sur les pentes boisées. Il est déjà très loin au-dessus de la vallée en contrebas. Un hélicoptère de surveillance longe la face escarpée d’une cime étincelante. Nulle neige pourtant. Le glacier est mort. Anis ne s’en inquiète pas, le gène surnuméraire ajouté dès sa naissance, balise organique, l’identifie à coup sûr sur l’écran des sentinelles. Le code génétique est un laissez-passer infalsifiable. Nul besoin de contrôle physique.

Après quelques derniers lacets, il atteint le cirque qui offre à ses yeux éblouis un spectacle grandiose de calcaires gris, ocre et rose empilés, donnant l’impression d’avoir été lancés dans l’azur à une altitude inouïe, par quelque géant courroucé. De nombreux sommets encadrent le cirque aux parois vertigineuses. C’est là-bas que son destin s’accomplira, il le devine. Le temps est désormais compté.

Il presse le pas. En cette période de l’année, le jour est heureusement long. Il doit pourtant se dépêcher de gravir la montagne afin de le prolonger, l’étirer... gagner quelques ultimes minutes. Aliénor le suivrait jusqu’au bout du monde. Alors tout va bien. La route l’emmène droit vers son rendez-vous. Estimant sa progression, il juge qu’il devrait y arriver avec une bonne marge.

Il détaille, tout en marchant, les étages qui composent ce cirque majestueux. Il en compte trois, cloisonnés par des pentes moins inclinées. S’il avait mieux lu les bobines scolaires, il saurait que ce décor grandiose est l’une des merveilles inscrites sur le grand registre de l’humanité. De l’autre côté des hautes parois s’étendent les territoires abandonnés.

Subjugué par ce paysage hors du temps, c’est tout juste s’il remarque la silhouette vêtue de noir juchée sur un escarpement qui domine la route. Une statue immobile dans le soleil, drapée dans une cape noire refermée sur elle comme un linceul. Elle le regarde s’avancer sur le chemin sans mot dire. C’est une grande femme austère, aux traits taillés à la serpe. Des mèches grises s’échappent de la sombre étole. Il la reconnaît, c’est une voix de la montagne. Elles ne sont plus très nombreuses à présent. L’eau s’est tarie et avec l’eau sont parties ces voix, celles qui reliaient l’homme à son passé. Elles sont l’âme de ces montagnes, vivantes et rebelles, chantant pour les disparus. Une aurostère.

« Voyageur impénitent, est-ce un dieu oublié qui a conduit tes pas jusqu’à moi ? » La voix de la femme est forte et mélodieuse, ronde et charnue, exact opposé de celle de la Dame Blanche.

« Un dieu je ne sais mais une Dame Blanche m’a confié un secret. »

« Serais-tu l’instrument d’une vision qui transcende ma complainte? Que m’importe pourvu que tu sois celui que j’attends ! Suis-moi ! » La voix commande, ne souffrant nulle discussion.

Anis hésite une fraction de temps mais les évènements guident son destin plus qu’il ne les maîtrise. Alors, en haussant les épaules, il attache à nouveau Aliénor à un jeune chêne et se lance à la suite de l’aurostère, la pleureuse des morts, qui s’enfonce entre les arbres au-dessus de la route.


La marche fut brève. Quelques centaines de mètres au plus. Là, une cuvette asséchée marque la présence enfuie d’un ancien ibon, ces petits lacs de montagne parfois enchantés. Les lits de plusieurs gaves évanouis débouchent ou repartent du lac. L’eau ne s’écoule plus. Les neiges en amont n’existent plus.

Deux autres silhouettes se tiennent sur une petite berge, rejointes bientôt par leur soeur. Les grands arbres bordent la cuvette creusée dans une roche polie comme un miroir. Parvenu tout près, Anis découvre sur le fond de pierre, quantité de petits paniers d’osier, ornés de rubans noirs. Chaque panier contient une bougie de cire de quelques centimètres à peine. Anis ne peut les compter tellement ils sont serrés les uns contre les autres. De petits bateaux voguant sur un lac de pierre.

« Tu contemples les dernières aurostères. Nous disparaissons aussi sûrement que l’eau s’épuise dans les gaves qui ont abreuvé notre soif et notre terre durant des siècles. Bientôt, nous ne serons rien d’autre qu’une autre légende désincarnée. Pourtant, aujourd’hui, notre chant s’élève encore dans ces montagnes qui nous ont vus naître, ces Pyrénées tant aimées. »

Anis ne répond pas, les paroles de l’aurostère n’appelant aucun commentaire.

« Mais le sort peut se montrer cruel. Vois ces paniers et ces bougies. Un appel impérieux venu du passé nous a poussé à refaire les gestes anciens. Sans nous connaître, nous avons quitté ce que nous faisions pour rejoindre cet ibon, guidées par la voix de la Montagne. Nous avons amené tout ce qui était nécessaire, ainsi que l’exigeait la tradition. Le sort est cruel pour celles qui respectent les coutumes ancestrales! »

En s’interrompant, la femme étend ses bras et lève son visage vers la cime des arbres, prenant l’esprit du lieu à témoin.

« Voyageur, le feu nous fait défaut et les préparatifs resteront vains. Peux-tu nous aider en cet instant de doute? »

Anis fouille une nouvelle fois ses profondes poches, abasourdi par l’énormité de son destin. Il saisit la boîte d’allumettes et les tend à l’aurostère. La lumière, par un curieux changement, enveloppe soudain la femme de noir vêtue, transfigurant son visage. Anis aurait pu tomber amoureux de ce visage. La déesse a jeté son masque. L’instant d’après, la lumière changeante a recomposé la face sévère et impénétrable de l’aurostère.

Se partageant les allumettes, les trois femmes entreprennent d’enflammer les bougies. Ce fut fait rapidement. Bientôt, au fond de chaque panier, une petite lumière chaude et vivante danse.

« Les lumières que tu vois danser sont les âmes des derniers défunts ! Ils sont tellement nombreux et leurs tourments si pénibles et douloureux. Entend le chant des Aurostères, le chant des voix de la montagne qui guidera ces âmes vers leur dernier séjour! »

Alors s’élève dans cette cathédrale végétale aux piliers escaladant l’azur, un chant poignant, un chant ample et mystérieux. Il commence dans un registre aigu et céleste, pur comme le cristal, scintillant comme la glace festonnée par le vent polaire. Les notes sont aériennes et graciles, semblant provenir de gorges surhumaines, magnifiées par la réverbération des roches alentour. Puis le chant descend vers un registre sombre et profond, douloureux et tellurique. Anis peut sentir la montagne vibrer sous ses pieds, sentir les veines minérales gronder en volutes sonores.

Enfin, le chant remonte soudain, si haut dans l’azur, et se transforme en cri déchirant pour se terminer, épuisé et impuissant, dans un silence surnaturel qui souligne la détresse de ceux qui sont restés en arrière, après avoir entr’aperçu les champs sacrés où les fatigues de la vie sont oubliées. Il y a une immense frustration.

Anis sait qui sont les défunts qu’elles ont guidés entre les trames des mondes. Tout est lié. Dans l'ouverture des capes, il peut voir le visage des trois femmes. Elles ont les yeux clos et se taisent. Elles écoutent encore les adieux des présences invisibles qui s’en sont allées. Elles s’en souviendront à jamais.

L’aurostère qui l’a accosté ouvre enfin les yeux. Elle fixe Anis intensément, semblant attendre quelque chose de lui. Comme un voile qui se déchire, son passé réinvestit tumultueusement son âme et il se souvient. Il plonge encore la main dans une poche et la ressort fermée. Il s’approche de l’ibon asséché où brûlent les lumières dansantes. Il s’agenouille délicatement et place la menue monnaie près du plus proche panier. C’est la dernière offrande, celle qui assurera le voyage à bon port des âmes défuntes.

L’aurostère pousse un long soupire et sourit à Anis.

« La déesse m’a dit que ta quête touche à sa fin. Tu as mis de l’ordre dans ta vie. Va et sois sans crainte. Un homme honnête, un homme de la montagne n’a rien à craindre !

Mais Anis n’a jamais douté ni jamais craint personne.
Ce qui doit arriver ne peut pas manquer

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-05-29 22:04:34 

 WA - Participation exercice n°16 partie 8Détails
On approche de la fin...

________________

L’aurostère s’adresse une dernière fois à Anis :

« Avant que tu ne partes, écoute mon dernier conseil. Il y a plusieurs chemins qui s’offriront à toi. Si tu n’empruntes pas la voie droite, alors le fil d’une vie sera coupé. La voix de la Montagne m’a parlé pendant l’aurost tout à l’heure pour que je te répète ceci : au moment du choix, regarde vers l’Ouest! »

Abruptement, elle lui tourne le dos, imitée par ses consoeurs. Les petites flammes dansent toujours dans leur panier. Elles paraissent apaisées. Les vaisseaux d’osier emportent leur précieuse cargaison sur une mer de pierre immobile

Anis, songeur, revient sur ses pas. Le soleil est entré dans son dernier cadran. Aliénor broute paisiblement de hautes herbes, placide. C’est un animal robuste, fier et généreux, doué d’un esprit d'abnégation qui force l’admiration d’Anis. Il reprend sa route en direction du cirque qui grossit jusqu’à emplir tout l’horizon.

Une grosse heure s’est écoulée lorsqu’ Anis parvient au carrefour : trois chemins s’ouvrent devant lui. Le premier redescend vers le fond de la vallée en longs lacets dont les derniers sont déjà noyés d’ombre. Le second s’élève sur sa gauche en une pente relativement raide et se perd parmi les arbustes accrochés dans le ciel. Le dernier poursuit droit devant, ne montant ni ne descendant.

Regarder à l’Ouest a dit l’Aurostère. En se tournant de ce côté, Anis aperçoit un point sombre jaillissant du soleil et venant vers lui. Bientôt, il distingue la forme d’un grand oiseau qui se rapproche, haut dans le ciel. Seigneur des airs, il plane sans bouger ses ailes pointues. Le dessous de son corps est roux orangé et sa tête, bridée de noir. Sa silhouette fait penser à un faucon géant. Anis le reconnaît enfin, c’est un gypaète barbu, le plus grand des vautours européens. Il en reste une poignée de ce côté-ci des Pyrénées, les opérations militaires de défense ont mortellement affecté leur écosystème et leur cycle de reproduction.

Le rapace entame un vol concentrique très haut au-dessus d’Anis. Aliénor est nerveuse. Il est vrai que l’envergure du rapace est impressionnante. Anis remarque qu’il tient quelque chose dans ses serres. Intrigué, il observe le manège de l’oiseau. Celui-ci laisse alors brutalement tomber sa prise qui virevolte dans une chute vertigineuse. Anis finit par distinguer une forme osseuse qui se brise sur un rocher plat, en contrebas, sur le chemin menant au fond de la vallée.

C’est le signe attendu. Anis n’est même plus étonné de ce nouveau prodige. Il calme Aliénor et s’engage sur le sentier de droite. Au bout de quelques minutes, il atteint le rocher où se tient le rapace arrachant de son bec les débris et les ligaments de l’os qu’il a précipité du haut des cieux. Le gypaète barbu ne lui prête aucune attention, ne consentant même pas à interrompre son repas.

Le chemin descend régulièrement, permettant à Anis de souffler un peu.

« Holà, où vas-tu l’ami ? Il n’y a rien pour toi par ici ! »

Deux militaires lui barrent le passage. Ils portent le treillis de camouflage standard mais Anis ne peut détacher son regard de l’insigne ornant leur casquette de combat : un écu sur lequel deux E dorés s’entrelacent au-dessus d'une aigle impériale frappée sur le soleil de Louis XIV. Le 13ème régiment de Dragons Parachutistes Des durs. Rompus aux techniques d’infiltration et de renseignement en zone profonde, spécialistes des missions tordues et des actions non officielles. Que font-ils dans ce secteur ?

« Ma chienne ! »
« Quoi ta chienne ? » ricane celui de droite, une main négligemment posée sur la crosse de son arme automatique.

« Elle s’est sauvée par là ! » répond Anis en désignant le fond de la vallée. Il évite soigneusement de fixer leurs yeux.

« Ton histoire n’est pas claire. Viens, le capitaine saura quoi faire de toi ! »

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2007-05-30 17:44:29 

 WA, ex n°16, participationDétails
ADELIN BAT LA CAMPAGNE



« Où allons-nous ? » demanda la Renaude dans un grand bâillement, quand Adelin lui passa le licou, au point du jour.
« Chercher d’autres pâturages, ma belle. »
Ce n’était pas tout à fait la vérité, mais il ne se sentait pas de lui faire de la peine, même si tôt ou tard... Il y avait eu la mort de ses parents, l’année d’avant, à quelques mois d’écart, puis le gel, la grêle, la sécheresse... Les récoltes étaient gâchées, les pâturages brûlés, les greniers vides. Il ne lui restait plus que la Renaude, et il n’avait plus de quoi la nourrir. Autant valait la vendre et partir s’employer quelque part. Il revoyait son père sur son lit de mort.
« Et surtout, tu ne vendras pas la Renaude. »
Il avait acquiescé, mais c’était avant, cela semblait naturel. Les temps avaient changé. Au moment de partir, il fouilla ses poches : quelques piécettes de cuivre, une boîte d’allumettes, un bout de ficelle, son couteau, un quignon de pain. Il partit sans se retourner, la peine lui trouait le coeur.
La Renaude broutillait à ses côtés sur le bord du chemin, tout en marchant.
« A la Saint Monnaital, toute foire est un régal » ; il se répétait que c’était le bon jour, et qu’à Rigodon il en tirerait de quoi subsister quelques semaines. Il marchait depuis une heure sous le soleil de juin, évitant de regarder tout ces blés presque mûrs – les récoltes des autres. Déjà certains avaient moissonné l’orge, et il laissa la Renaude glaner des épis au passage. Sur le bord de la route, juste avant le croisement pour Rigodon, une vieille femme en haillons lui tendit une sébile.
« La charité, jeune homme ! Aie pitié d’une pauvresse...
- Hélas ! Je n’ai que quelques pièces de cuivre, je te les donne volontiers, mais il n’y a pas de quoi faire bombance ! Par contre, si tu as un gobelet, je peux te donner du lait de ma vache. »
La femme dégusta le lait comme un élixir précieux, puis, comme il allait repartir, elle lui murmura, de sa petite voix cassée :
« Tu es un noble coeur. J’étais autrefois une fée puissante, la fée Alloque, et j’ai permis à plus d’un malheureux de trouver sa pitance. Mais avec l’âge je me suis affaiblie, et je n’ai plus grand chose à te donner, sauf un conseil : prends à gauche, au carrefour.
- Mais la foire de...
- Prends à gauche, te dis-je, et cette journée sera inoubliable... »

« Quand c’est-y qu’on rentre ? », demanda la Renaude un peu plus tard. « Je commence à avoir mal aux pattes !
- On peut s’arrêter un peu, si tu veux. Le temps est beau, on n’est pas obligé de rentrer ce soir.
- Un voyage ! Tu es sûr que c’est bon pour une vache ? Eh ! Tu te souviens de ce que t’a dit ton père, hein ? « Tu ne vendras pas la Renaude ». Tu t’en souviens ?
- Je m’en souviens... »
Le trottinement d’un âne interrompit la conversation. Lourdement chargé de deux gros sacs, il avançait péniblement sous les coups de badine d’un Nain maigrelet au regard courroucé. Tout à coup l’âne fit un faux pas, et les deux sacs, sans doute mal fixés, glissèrent au sol, laissant échapper une partie de leur contenu : des pépites d’or ! Le Nain insulta l’âne et lui colla un coup de badine supplémentaire, puis il se précipita pour ramasser sa fortune éparpillée. Adelin s’approcha pour l’aider.
« Qu’est-ce que tu veux, vagabond ? Cet or est à moi !
- Je voulais juste... Je n’ai pas de mauvaises intentions...
- Humpf... Avec les jeunes, on ne sait jamais... Tous des vauriens... Qu’est-ce que tu fais avec ta vache ? Tu veux la vendre ?
- Je cherche du travail.
- Humf...Du travail... C’est possible... Tout est possible... Tu m’as l’air honnête. Je peux t’embaucher. Tu ne travailleras que 18 heures par jour à la mine, tu auras un jour de vacances tous les deux ans, et je te laisserai 0,01% des bénéfices... Tu comprends, c’est à cause des charges... Si tu travailles bien, dans 117 ans tu seras presque riche ! »
Adelin éclata de rire.
« Viens, la fille, on repart. Merci, monsieur le Nain, mais je vais chercher autre chose. Ma vie vaut plus que votre profit. »
C’est à ce moment-là que l’âne, ayant finalement réalisé que le Nain ne tenait plus la longe, prit la poudre d’escampette à travers champs.
Le Nain hésita entre l’or et l’âne, l’âne pour porter l’or, mais s’il revenait avec l’âne et qu’il ne trouve plus son or...
Adelin repartit, et en regardant par dessus son épaule, il voyait toujours le Nain hésiter au même endroit. Ce Nain ne lui était pas du tout sympathique, mais il se dit que s’il lui ramenait la bête, il gagnerait peut-être une pépite d’or... Cela méritait d’être tenté. Laissant la Renaude sur la route, il se mit à courir et il eut tôt fait de retrouver l’animal qui s’était arrêté dès qu’il avait été hors de vue.
« Allons, bonhomme, ton maître t’attend !
- Oh non, par pitié ! Tu m’as l’air d’un brave garçon... Ce Nain est une brute, qui me donne plus de coups que de fourrage, malgré tout son or. Laisse-moi ma liberté, je t’en supplie ! »
Adelin avait bon coeur. Et l’âne avait de grands yeux tristes... Et le Nain était bien capable de ne lui donner aucune récompense...
« D’accord. Mais que feras-tu quand viendra l’hiver, sans rien à manger et sans abri ?
- Je ne sais pas. Si tu n’es pas trop dur avec moi, je veux bien porter tes fardeaux. »
Adelin sourit.
« Pour l’instant, je n’ai vraiment rien à te faire porter... Mais tu peux toujours venir avec moi, peut-être qu’en chemin nous te trouverons un nouveau maître. »
Et ils rejoignirent la Renaude, sans un regard en arrière vers le Nain qui hésitait toujours.


Un peu plus loin ils longèrent un petit lac, où ils se désaltérèrent. La Renaude y trempa ses sabots avec une joie évidente, et Adelin se baigna. Sur le lac, une mère cane menait ses quatre canetons et leur faisait répéter la leçon du jour :
« Nagitude et plongitude sont les deux aptitudes du canard. Nagitude et plongitude... »
« Maman, j’ai faim ! », implora le petit dernier, qui se faisait distancer par les autres.
« Tais-toi et nage. Nagitude et plongitude...
- Mais j’ai faim, maman ! »
La cane s’arrêta, attendant son caneton.
« Courage, mon petit. Je vais aller chercher des vers, mais tu vois bien qu’il y a des étrangers, je ne peux pas vous laisser sans protection.
- N’ayez crainte, madame la cane », lui cria Adelin. « Je suis juste venu me rafraîchir et faire boire ma vache et mon âne. Tenez, il me reste un quignon de pain... »
Et d’un tir précis, il le lança juste devant elle. Elle le saisit dans son bec, et un à un, les canetons vinrent le picorer avec des gloussements joyeux.
« Sois remercié, étranger. Regarde dans le trou entre les racines de ce grand chêne. Il y a là un objet humain que j’ai trouvé l’autre jour. Puisse-t-il t’être utile ! Et vous autres, maintenant, au nid ! C’est l’heure de la sieste ! »
Adelin découvrit, à l’endroit indiqué, une petite boîte métallique contenant un dé à coudre et des aiguilles. Il la fourra dans sa poche, en attendant d’en avoir l’usage.
C’est alors qu’il aperçut un chat à l’affût sur un tronc d’arbre mort qui s’avançait à moitié dans le lac. A l’autre bout, tremblant de la queue à la moustache, un lapin de garenne regardait l’eau avec méfiance. Le chat bondit, enfonça ses crocs dans la fourrure douce, mais, déséquilibré, il glissa dans l’eau sans lâcher sa proie. Ne le voyant pas réapparaître, Adelin plongea et ramena les deux. Le lapin était mort, mais le chat, toussant et hoquetant, s’ébroua vigoureusement.
« Atchoum ! Par mes moustaches, je vais m’enrhumer, c’est sûr !
- Attends, je vais faire du feu. Le vent s’est levé, et le ciel se couvre. Nous allons nous sécher... avant qu’il pleuve ! »
Le chat ronronnait près du feu, mais gardait une patte posée sur le lapin. Adelin se hasarda.
« Je pourrais dépouiller ce lapin avec mon couteau et le faire cuire, si tu veux bien partager...
- C’est ma chasse ! Chasse, pêche, c’est ma nature et ma tradition de Chat !
- Mais je t’ai sauvé la vie.
- Et alors ?
- Et alors quand j’ai faim je deviens désagréable, et je pourrais bien te remettre à l’eau...
- Hum... Mais ne fais pas cuire les abats, je les préfère crus. »
Tandis qu’ils se restauraient paisiblement comme les plus vieux amis du monde, une furie en robe verte se précipita sur eux.
« Qui a allumé ce feu ?
- C’est moi. J’avais des all...
- Eteignez-moi ça tout de suite ! La combustion du bois produit des déchets toxiques qui empoisonnent l’at... at... atchoum ! Et la destruction de la forêt serait le prélude à une ère désast... at... atchoum !
- Bon, venez vous réchauffer vous aussi, nous en reparlerons plus tard. Un morceau de râble ? »
La bouche pleine, elle se présenta.
« Che chuis la Fée Verte, scrontch, et che te remercie, miam, de ton hospitalité. Passe-moi donc ce petit bout, là, bien grillé... Mais sache que la combustion du bois...
- Je ne suis pas un incendiaire, Madame la Fée. Juste un vagabond sans travail qu’un chat généreux a invité à déjeuner. »
Le chat, très fier, se rengorgea.
« Alors si tu me promets de respecter les forêts, je vais te faire un don. Voyons... Que dirais-tu de pouvoir parler avec les arbres ? Non ? Ou de pouvoir faire pousser des artichauts où tu veux ? C’est excellent, les artichauts... Non, non, je sais. Par trois fois, tu pourras éteindre un feu d’un simple claquement de doigts. Très très bien ! Je suis géniale ! Ne me remercie pas, tu m’es très sympathique. Mais il faut que je me sauve, je suis déjà en retard... »
Au moment de repartir, Adelin essaya le don sans y croire. Et à sa grande surprise, le feu s’éteignit d’un seul coup. Mais alors qu’il rappelait l’âne et la Renaude, un cavalier arriva au grand galop. Il n’était guère plus reluisant que son cheval, qui devait manger plus de poussière que d’orge. C’était un vieil homme, portant un bandeau sur son oeil gauche, et avec une épée à la main.
« Halte-là, voyageur, la bourse ou la vie ! »
Adelin lui adressa un franc sourire.
« Désolé, mais je suis sûrement plus pauvre que toi, et de ce lapin partagé avec le chat, il ne reste que des os !
- Ce n’est pas mon jour de chance, aujourd’hui », déclara le voleur en sautant à terre. « Je vais quand même faire boire mon cheval... Ah, les temps sont durs... Les riches se protègent, et les pauvres sont de plus en plus pauvres... Je crois que je vais changer de vie. Je vais me faire pirate, et je vendrai des esclaves, c’est sûrement plus lucratif. Veux-tu venir avec moi ? Justement j’ai besoin d’un associé, jeune et vaillant...
- Non, merci, je n’ai pas envie de finir au bout d’une corde ! Je préfère rester honnête. »
Le futur pirate s’esclaffa bruyamment.
« Ah ah ah ! De toute ma vie, mon jeune ami, je n’ai jamais vu un homme honnête s’enrichir ! Vole, pille, tue, fais travailler les autres, trahis tes amis et ne tiens jamais tes promesses, là tu auras une chance... Damnation ! Cette rêne est prête à casser ! Il faudrait la réparer...
- Tiens, j’ai un bout de ficelle.
- Que le Dieu des Voleurs te protège ! Tu me sauves la vie ! »
Il effectua une réparation provisoire mais solide, et avant de se remettre en selle, fouilla dans ses sacoches. Il tendit à Adelin un petit sac en toile sur lequel était écrit ce mot bizarre : « cacao ».
« J’ai... hum... gagné ça à un marin qui revenait des Iles. C’est une poudre un peu amère, mais il paraît qu’en y mettant du sucre c’est très bon. Dans les villes, les riches en font des boissons, des gâteaux, des friandises... Enfin, sur la route, c’est pas commode... »
Adelin le regarda s’éloigner et goûta la poudre sombre. C’était amer, mais parfumé. Dommage que ça ne rentre pas dans sa poche... Il se résigna à le porter sous le bras et se remit en marche.


Un peu plus loin, assise devant sa chaumière au bord de la route, une vieille femme aux cheveux courts et habits simples, son ouvrage sur les genoux, se désespérait.
« J’ai cassé ma dernière aiguille ! Comment vais-je pouvoir finir cette jupe pour demain ? Le colporteur ne passera que la semaine prochaine, et le prochain village est tellement loin pour mes vieilles jambes ! Toi aussi, jeune homme, tu es un pauvre travailleur, cela se voit à ta mine ! Un jour les travailleuses et les travailleurs s’uniront, et les riches n’auront plus le pouvoir. Tu es d’accord, n’est-ce pas ?
- Je... Je n’ai pas encore bien réfléchi à tout ça... Mais si vous avez besoin d’aiguilles... »
Il sortit de sa poche la petite boîte que lui avait donné la cane.
« C’est merveilleux ! Je te l’avais dit, les travailleurs unis seront les plus forts !Tiens, pour te remercier, je t’offre ce foulard que j’ai cousu de mes mains. »
Adelin se confondit en remerciements, tout en pensant que cette couleur rouge vif était un peu voyante ; mais, en garçon bien élevé, il le plia soigneusement avant de le mettre dans sa poche .
Or voilà que, quelques minutes plus tard, il croisa sur la même route un paysan moustachu, plus tout jeune, qui peinait sous le soleil en portant deux sacs de grain sur ses épaules. Il s’arrêta à sa hauteur pour souffler un peu. La Renaude avait fait un petit détour par le pré d’à côté, où l’herbe était plus verte que sur le bord de la route, et l’âne, méfiant, s’était caché derrière elle comme un petit veau de l’année.
« Eh bien ! Le soleil tape ! Ou vas-tu ainsi, mon gars ?
- A Profiteroles...
- Malheureux ! N’y va pas ! Moi-même, j’ai fait demi-tour avant d’arriver, et j’ai dû acheter ce maïs à un collègue qui en a profité pour... Mais non ! Tu ne sais pas ? Ils ont un monstre, là-bas, qui les terrorise, un énorme monstre qui crache des flammes... »
Cela fit sourire Adelin, qui se disait qu’il lui restait deux fois de quoi éteindre un feu, et que peut-être cette fois sa fortune était faite. La Renaude, plus inquiète, s’approcha.
« Je serais ravie de faire demi tour... »
« C’est ta vache ? » demanda l’homme. « Tu me la vendrais ? Elle est un peu maigrichonne, mais une fois nourrie de mon mélange spécial de betterave et de tourteau, elle sera magnifique. »
La vache se campa sur ses quatre sabots et devança toute réponse d’Adelin.
« Je ne suis pas à vendre ! Et d’abord je déteste la betterave ! Et je ne suis pas maigre ! Et... Mais dis quelque chose, Adelin !
- C’est à dire que...
- Hypocrite ! Traître ! Sans coeur ! C’était donc ça, ton voyage ? Et ton père ? qu’est-ce qu’il a dit, ton père ?
- Je sais bien, mais... »
La vache frappa le sol du pied en crachant toute sa colère par ses naseaux dilatés.
« Et tu ne me vendras pas, na ! »
Les cornes basses, elle s’apprêtait à charger. Adelin soupira.
«Ca va, ça va, ne te fâche pas... Désolé, monsieur...
- Tant pis ! Il ne me reste qu’à reprendre mon fardeau... Vous comprenez, mon ânesse va bientôt mettre bas, alors je suis allé lui chercher un peu de maïs... Je ne peux pas la charger dans son état... »
Pointant son nez de derrière un arbre, l’âne intervint.
« Vous avez une ânesse ? Vous n’auriez pas la place pour un âne de plus ? Je suis très gentil... »
A la question muette de l’homme, Adelin répondit :
« Il m’accompagne, mais il n’est à personne.
- Quelle aubaine ! Et tu porterais mes sacs, petit ?
- Pfui ! Si un humain peut le faire, ce sera une paille pour moi ! Mais... il y a du son, chez vous ?
- De grandes prairies, du son... et je te ferai goûter le maïs, mais juste goûter, ça te rendrait malade...
- Tope-là, je suis votre âne ! »
Le paysan installa les sacs sur le dos du baudet ravi.
« Tu aurais pu me le faire payer, tu es vraiment bien honnête. Je te vois tout embarrassé, avec ton sac. Tiens, ma besace est vide, prends-là, ça te sera plus facile. Mais tu es sûr de vouloir aller à Profiteroles ?
- Qui ne tente rien...
- Alors tous mes voeux t’accompagnent ! »
Et ils se séparèrent.


La Renaude traînait ostensiblement les sabots, et maugréait tant et plus.
« Il est fou ! Qu’est-ce qu’il va faire devant un monstre, ce freluquet ? Je n’ai pas envie de finir en grillade, moi ! Il est fou... Qu’est-ce qu’il va... »
Or voilà que sur le chemin il croisèrent une femme qui entretenait sa clôture en fil barbelé, coupant les broussailles à la faucille, et refixant au marteau les fils sur les piquets. A tout hasard, Adelin demanda :
« Vous n’auriez pas du travail pour moi ? »
La femme, entre deux âges, la tête couverte d’un fichu rouge, le foudroya du regard.
« Jamais ! Jamais je ne me permettrais d’exploiter un être humain ! Camarade, garde ta liberté pour la lutte finale, les patrons sont tous des exploiteurs dont ta sueur engraisse les bénéfices, et aliénant ta volonté pour un morceau de pain, ils te rendront esclave de leur abominable avidité ! La terre doit revenir au peuple, et si je t’employais, je serais parjure vis à vis du peuple dont je fais partie, car la lutte des classes ne supporte aucune compromission ni aucun privi...
- Merci bien, madame, c’était juste une question...
- Meueueueuh ! », les interrompit la Renaude en levant le nez.
Une odeur de fumée commençait à se faire sentir. La paysanne sauta sur ses pieds.
« C’est ma grange qui brûle ! »
Elle se précipita vers la ferme, Adelin, qui avait sauté la clôture, courant sur ses talons. La Renaude se dit qu’elle était aussi bien là pour brouter en paix.
La grange était en feu, et déjà les flammes léchaient l’habitation. Quatre enfants hurlaient « maman, au secours, maman... » Adelin n’hésita pas une seconde. Il claqua des doigts. Aussitôt le feu s’éteignit. La femme s’arrêta, sidérée, recula d’un pas, se tourna vers Adelin...
« J’ai rencontré une fée, ce matin, qui m’a donné ce pouvoir pour trois fois. Je suis content d’avoir pu vous rendre service !
- Et moi donc ! Viens-t-en, mon gars, on va se boire une limonade, toute cette fumée me pique la gorge ! »
Elle sortit de sa cave une limonade bien fraîche, à laquelle elle ajouta pour sa part une bonne rasade d’eau de vie, et mit sur la table du pain et du pâté qui ravirent le jeune homme. Puis l’aîné des enfants sortit une guitare, et les trois autres se mirent à danser en poussant des cris bizarres : « Olé ! Olé ! »
« C’est une danse de chez moi », expliqua Carmen. « Viens, je vais te montrer. Tu frappes dans tes mains en tapant du pied, tu cambres, le regard fier, tu pivotes... et olé ! Ensuite un et deux de côté, un et deux et trois... Ah que tu es raide... danse ! »
Au bout d’une heure, Adelin avait mal aux pieds, et le dos en marmelade. Aussi préféra-t-il prendre congé, malgré l’invitation de Carmen à passer la nuit chez elle.

L’après-midi s’étirait lentement et les ombres commençaient à s’allonger quand il aperçut le clocher de Profiteroles. Les champs alentour avaient été saccagés, brûlés et piétinés furieusement par des sabots rageurs. Adelin frémit. Il y avait bien un monstre ! Il avança sur la route déserte, et s’arrêta sur le petit pont qui franchissait la rivière, dans une boucle de laquelle le village était blotti. Dans une prairie calcinée, il vit un groupe d’hommes au visage triste, entourant une jeune fille vêtue de blanc qui marchait d’un pas décidé.
« Eh bien, Férox », cria-t-elle, « montre-toi ! Tu as juré de laisser le village en paix si une jeune fille pure t’était livrée. Je suis là. Vas-tu tenir ta promesse ? »
Alors, dans un galop lourd qui fit trembler la terre, sortit du petit bois le plus gros taureau qu’Adelin ait jamais vu. Sous sa robe noire luisante roulaient des muscles ronds comme des pelotes ; de ses naseaux dilatés flammes et fumées jaillissaient en salves furieuses. Il s’arrêta, gratta le sol, lança un beuglement de victoire.
« Attends-moi là », chuchota Adelin à la Renaude.
« Eh, le veau ! Viens donc voir par ici ! »
Le taureau dressa l’oreille, et voyant Adelin qui se dirigeait vers lui avec un grand sourire moqueur, le chargea aussitôt, toutes flammes dehors. Le jeune homme le laissa s’approcher, puis quand il ne fut plus qu’à quelques mètres, il claqua des doigts. Le feu s’éteignit. Le taureau, surpris, s’arrêta, souffla aussi fort qu’il put, mais sans succès. Alors, dans un hurlement de rage, il bondit, cornes en avant, pour empaler cet avorton insolent qui l’avait ridiculisé.
Ce n’était pas du tout ce qu’avait prévu Adelin ! Mais, bien décidé à sauver sa peau, et sûr que la belle jeune fille en blanc ne regardait que lui, il sortit de sa poche le foulard rouge pour narguer le monstre, le tendit devant lui en espérant l’y attirer, et se mit à danser – taper du pied, cambrer, pivoter...
« Olé ! », cria-t-il, quand le taureau, s’engouffrant dans le foulard, ne rencontra que du vide. Mais la bête n’entendait pas en rester là, et Adelin enchaîna les passes, et le taureau, de plus en plus excédé, multipliait les allers et retours, de plus en plus vite...
C’est alors qu’une fleur entre les dents, trottinant comme une donzelle qui s’en va-t-au bal, arriva la Renaude, l’oeil aguicheur et la voix câline.
« Vous habitez par ici ? »
Le taureau, qui reprenait son souffle en réfléchissant à une tactique plus définitive, lui jeta un regard totalement déconcerté, et de surprise il ouvrit la bouche comme un benêt.
« Je m’appelle Renaude, et vous, c’est quoi votre petit nom ? On vous a déjà dit que vous aviez de beaux yeux ? Et ces muscles, mazette ! Vous devez être le roi des taureaux ! »
L’animal ouvrit grand les yeux, se redressa pour se montrer à son avantage, toussota pour s’éclaircir la voix...
« Par mes oreilles et ma queue ! », lança-t-il d’une voix tonitruante qu’il s’efforçait de rendre suave, « mais que vous êtes jolie, mademoiselle Renaude !
- Vous trouvez ? Vil flatteur ! Je meurs de soif, vous ne connaîtriez pas un coin tranquille pour me désaltérer près de vous ? Tous ces humains qui nous regardent... C’est très gênant...
- Oh mais bien sûr, mademoiselle... Suivez-moi, je vais vous montrer le chemin...
- Ah, grand fou, je crois que je pourrais vous suivre au bout du monde... Je me sens tellement en sécurité avec vous... »
Et tandis que le Férox, des étoiles dans les yeux, passait devant elle pour la mener à la rivière, la Renaude fit un clin d’oeil à Adelin et lui lança à mi-voix :
« Qu’est-ce qu’il disait, papa, hein ? Qu’est-ce qu’il disait ? »
Puis se hâtant pour rejoindre son guide :
« Pas si vite, mon joli prince ! Je ne voudrais pas me tordre un sabot ! »


Adelin fut porté en triomphe dans le village. La jeune fille en blanc, qui s’appelait Célimène, ne lâchait plus sa main et le couvait des yeux. Son père, un riche crémier, l’accueillit à bras ouverts et lui accorda la main de sa fille avant que le jeune homme, tout étourdi, ne pense à la lui demander. Pendant que tout le monde s’affairait pour préparer un somptueux festin, Célimène demanda :
« Tu aimes les choux à la crème ? Moi j’adore ça, mais à la longue, c’est toujours pareil...
- J’ai peut-être une idée », répondit malicieusement le tout nouveau fiancé, en sortant de sa besace le sac de poudre de cacao. Il me semble qu’en ajoutant du sucre et un peu d’eau chaude... »
Et c’est ainsi que naquit une des plus célèbres recettes, qui fait depuis ce temps-là le régal de tous les gourmands, et qui fit la fortune d’un pauvre jeune homme qui était parti de chez lui le matin même pour vendre sa vache...




Narwa Roquen
Narwa Roquen,vous reprendrez bien un peu de dessert?

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-05-30 19:34:31 

 WA - Participation exercice n°16 partie 9Détails
Ouf, c'est l'avant-dernière partie. Je crois que je vais réussir finalement à être dans les temps. On avait jusqu'au 31/05 soit demain, non?

___________


Anis connaît suffisamment ce genre de situation. Il pourrait faire observer que techniquement, il n’a pas franchi les limites du no man’s land. Il ne dépend donc pas de l’autorité militaire qui ne dispose pas, dès lors, des prérogatives exorbitantes dont elle jouit sur la zone frontalière. Certains n’hésitent pas qualifier ces pouvoirs d’attentatoires aux libertés individuelles garanties par le préambule du traité constitutionnel européen. Mieux vaut obtempérer docilement, cela évite souvent de plus grands désagréments ultérieurs

Les deux commandos l’encadrent , un marchant à ses côtés, l’autre quelques pas en arrière. Ils ne parlent pas. Celui qui se tient près d’Anis penche la tête sur son épaule. Cela pourrait sembler comique si Anis n’avait pas reconnu que le soldat établissait en fait une communication sécurisée avec son PC.

L’inquiétude d’Anis grandit au fur et à mesure que le soleil décline dans le ciel. L’astre frôle désormais les arêtes dentelées des hautes parois rocheuses. Déjà les ombres s’allongent dans un jour qui faiblit. Ils parviennent finalement au fond de la vallée. Le cirque majesteux les écrase de toute sa taille, géant de pierre auréolé par les derniers feux du soleil couchant.

Une agitation est perceptible devant eux. Des éclats de voix, des rugissements de moteurs... Les bruits domestiques d’un camp militaire. Ils débouchent sur vaste terrain aplani artificiellement : des tentes sont alignées d’un côté, plusieurs dizaines, des grandes, des petites, en toile brune, verte ou blanche. Des faisceaux d’armes sont visibles près de certaines d’entre elles. De l’autre côté, un parc de véhicules. Anis dénombre quatre VAB et une demi-douzaine d’hélicoptères de combat dont deux transporteurs de troupes. C’est une belle dotation compte tenu des restrictions énergétiques.. De nombreux mécaniciens s’affairent tout autour. Pas question d’en perdre un seul à cause d’un entretien défectueux. D’ailleurs, la loi militaire est très claire à ce sujet. Les mécaniciens responsables d’un accident dû à un entretien insuffisant sont tout bonnement traduits sur le champ devant une cour martiale et passés ensuite par les armes. Anis remarque également une antenne parabolique tournée vers l’orient.

Un sous-officier, s’avisant de leur arrivée, les rejoint à grands pas. C’est un homme de haute stature, aux cheveux blonds coupés en brosse et au faciès de boxeur généreux. Il interpelle l’un des soldats d’une voix de stentor, dans un espéranto approximatif mâtiné d’un accent slave indéfinissable :

« Au rapport ! »

« Nous avons intercepté cet homme sur le chemin, à quelques kilomètres d’ici. Il a déclaré avoir perdu son chien...non sa chienne dans le coin et qu’il était à sa recherche. L’histoire nous a paru légère. Nous l’avons amené ici pour vérification ! »

« Elle est à toi la vache ? » demande le sergent à Anis, semblant se désintéresser de ce que lui raconte son patrouilleur.

« Oui. Elle m’appartient ! » répond Anis sur la défensive.

« Vraiment ? C’est très intéressant. Dis-moi, tu n’es pas un terroriste par hasard ? Un de ces foutus traîtres qui mordent la main qui les a nourris?» Le ton change. Le sergent sourit bizarrement, un sourire chargé de sous-entendus.

« Absolument pas, j’ai une ferme plus au nord. Vous pouvez scanner mon ID bio, vous verrez bien que mon profil est nickel ! » Anis est nerveux. La tournure des évènements devient dangereuse. Il y a des signes qui ne trompent pas. Les patrouilleurs le serrent de près, pas encore réellement menaçants.

« Fouillez-le ! » L’ordre a claqué sèchement. Le sergent met les mains sur les hanches et défie Anis du regard, l’invitant à commettre le geste de trop. Anis se contient difficilement. Tandis que l’un des patrouilleurs le met en joue, l’autre se livre sur le fermier à une inspection en règle.

« Regardez sergent ! » exulte-t-il en se retournant. « Regardez ce que j’ai trouvé dans sa poche intérieure ! »

Au creux de sa paume, il y a un canif au manche de bois ouvragé. Aucun montagnard qui se respecte ne se séparerait pour rien au monde de son couteau. Il lui sert à tout. Mais il n’a jamais été considéré comme une arme de poing ou pire, une arme de guerre !

« Tu sais ce que cela signifie, hein ? » La voix du sergent est doucereuse. « Tu vas être fusillé, mon ami ! Je préviens de ce pas le capitaine pour la cour martiale de campagne. Avant que le soleil ne soit définitivement couché, tu dormiras bien au chaud entre deux couches de chaux vive ! Emmenez-le ! »

Anis n’en crois pas ces oreilles ! Cette histoire est dingue ! Tout sonne faux dans cette situation. Les proportions que prennent les évènements sont surréalistes. Il ne se débat pourtant pas lorsque ses mains sont entravées par un lien en plastique. Aucune chance de se soustraire pour le moment à cette folie.

« Qu’allez-vous faire de ma vache ? » demande-t-il faiblement au sergent.

« On s’en occupe mais à ta place, elle serait le dernier de mes soucis ! »

Anis est entraîné vers l’une des tentes. Un de ses gardiens le pousse à l’intérieur. Un autre l’y attend déjà.

« Assieds-toi et tiens-toi tranquille. Avale.»

Le soldat lui tend un comprimé. C’est une camisole chimique. Une médication largement répandue dans les services de sécurité. Anis se cale comme il peut et place la petite capsule dans la bouche. Impossible de ne pas l’avaler. D’ailleurs, il n’y a rien à avaler. Dès qu’elle est au contact d’une muqueuse buccale, elle se dissout instantanément et passe directement dans l’organisme. L’effet est fulgurant. Anis sent toujours ses membres mais il n’a plus la maîtrise de son corps. Il est aussi immobile qu’une statue. Plus besoin de prison aux barreaux d’acier.

Le soldat lui pique rapidement la main avec la minuscule aiguille d’une petite sonde épidermique pour vérifier que la camisole est bien activée.

« Sois sage ! »

Ils le laissent enfin. Pour Anis, tout semble perdu....

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-05-31 07:51:24 

 WA - Participation exercice n°16 partie 10Détails
En fait, ce n'est pas encore fini....

________________

Les drogues altèrent temporairement le fonctionnement du système nerveux somatique. Les dommages collatéraux sont assez rares mais certains cas de paralysie dégénérative ont néanmoins été recensés. Cependant, le véritable symptôme entraîné par ces drogues reste la désorientation temporelle. La perception du temps est gravement perturbée, ébranlant la raison des prisonniers. Il leur est impossible de mesurer le temps qui passe.

Anis n’échappe pas à cette règle. Il est complètement déboussolé. Est-il assis là depuis dix secondes ou bien dix ans ? Il se rappelle pourtant de la moindre minute qu’il a vécue durant cette journée hors du commun.

Le sergent pénètre dans la tente, un grand sourire aux lèvres. Anis essaie de voir s’il fait encore clair dehors. La luminosité est faible, presque terne, crépusculaire. Le jour touche à son terme.

« Mon ami, je vais te conduire devant le capitaine. Doc, réveillez-le ! »

Celui qui lui avait donné le comprimé entre à son tour, un pistolet à la main. Il le plaque contre le cou d’Anis et appuie sur la gâchette. Une douleur atroce explose sous le crâne du fermier. Elle s’évanouit l’instant d’après.

« Voilà ! »

Anis déplie précautionneusement une jambe. Tout répond normalement. Il ne peut s’empêcher de pousser un soupir de soulagement.

« Debout et suis-moi ! » le sergent recule pour le laisser sortir.

Derrière lui, deux autres dragons sont attentifs, la main posée sur le canon de leur arme. Sous bonne escorte, il suit le sergent qui traverse le camp en direction d’un préfabriqué adossé à un enclos fait de gros pieux de bois, plus hauts qu’un homme et maintenus ensemble par des lanières de métal. Anis entend un mugissement provenant de l’intérieur. C’est Aliénor, le sentant tout près, qui l’appelle.

« On s’arrête pas! » Un canon dans les reins le pousse à avancer. Le sergent frappe à la porte du petit bâtiment. Une voix grave et chaude lui répond, dans un français précieux :

« Entrez ! »

Dans la pièce principale, assez vaste, quelques meubles strictement utilitaires. Près d’une fenêtre donnant sur l’enclos, un bureau. Sur le bureau, une lampe, une ramette de papier, un portable multimédia, et un cadre. Un cadre tourné vers celui qui est assis, se balançant en arrière sur sa chaise, une main jouant négligemment avec le canif d’Anis. Il fait passer et repasser la lame brillante sur le dos de son autre main. Anis dévisage intensément le visage de l’officier. Un visage empreint d’une noblesse ancienne. Une bouche sensuelle, des pommettes hautes, un nez aquilin, un menton volontaire et un regard brun où ruissellent des soleils mordorés. Le portrait du parfait officier issu d’une lignée prestigieuse et aristocratique. Sur le treillis repassé de frais, un nom se détache sur la bande velcro : Cap. ANGELNO.

« Voilà donc notre terroriste ! Tu n’as pas l’air bien menaçant ! » L’officier adresse à Anis un sourire engageant.

« Fichtre non ! Je suis un fermier. J’ai une ferme plus au nord. J’ai ...perdu ma chienne un peu plus haut et j’étais à sa recherche quand je suis tombé sur votre patrouille. Et ensuite, tout est parti de travers. Votre sergent a échafaudé une histoire à dormir debout. Vérifiez, scannez mon ID bio. J’ai servi au camp 28. Pour ça vous savez bien qu’ils vérifient chaque brin de mon ADN! » Anis est presque convaincant. Tout est vrai sauf qu’il n’a pas de chienne.

Le capitaine le regarde droit dans les yeux. Il ne sourit plus. Une veine sur sa tempe pulse sous la tension extrême. Il ne se balance plus. Il pose très délicatement le couteau devant lui, la lame pointée vers Anis.

« Ici, j’ai le droit de vie et de mort sur quiconque pénètre mon périmètre. Selon moi, tu n’es pas celui que tu dis être. Selon moi, il y a une histoire derrière l’histoire. Selon moi, tu me caches quelque chose. » L’officier se lève lentement et tourne le dos au fermier pour examiner une carte topographique punaisée au mur.

« Selon moi, si tu me caches quelque chose, tu es une menace potentielle. Et je ne peux me permettre de ne pas traiter une menace potentielle. Alors dis-moi, qu’est-ce qu’il faut que je fasse de toi ? »

Anis est mal à l’aise. Il ne peut lui dire qu’il est venu là sur le commandement d’une Dame Blanche. Une prévention intime l’en empêche. Il est donc pris au piège, un piège où il s’est précipité tout seul. Que peut-il répondre ? Rien. Son destin lui échappe mais quand aujourd’hui, depuis sa rencontre avec Elle, a-t-il pu le retenir ? Il s’en remet donc encore au hasard.

Le capitaine laisse le silence devenir gênant avant de faire à nouveau face à Anis.

« Tu ne réponds pas ? Je vais donc devoir te traduire devant la cour martiale. Sur mon périmètre, la cour martiale, c’est moi ! Je signerai les papiers après...c’est la paperasse habituelle. Il ne te reste que peu à vivre. Sauf si tu me laisses te raconter une histoire. Tu permets ? Merci ! Mais je t’en prie assieds-toi ! »

L’officier s’est carré dans son fauteuil, les jambes allongées et croisées sur le bureau.

«Il y a une très vieille légende qui circulait par ici, enfin, des bribes par-ci par- là ! J’ai mis du temps à la reconstituer. Il y avait dans un temps très reculé, dans l’ancienne capitale de cette province, un seigneur qui éprouvait une profonde aversion pour l’archevêque local. Le temporel défiant le spirituel. Or, l’homme de Dieu élevait un ours, curieuse idée non ? Le vicomte voulant asseoir son autorité croisa un jour l’archevêque et lui affirma qu’une de ses vaches pouvait vaincre l’ours en combat singulier ! Et que crois-tu qu’il advint ? L’ours fut défait ! Te rends-tu compte, un ours terrassé par une vache! Cette histoire m’a prodigieusement captivé. A tel point que, figure-toi, j’ai dressé moi aussi un ours, une belle bête. Et te voilà devant moi, accusé de terrorisme, avec une vache, peut-être une lointaine descendante de celle de la légende. Alors, si tu veux sauver ta peau, je te propose un marché honnête : que ta vache combatte mon ours. Si l’ours est vaincu, tu repars libre et riche avec un sauf-conduit à ton nom. Si l’ours l’emporte, tu auras ton sauf-conduit mais tu repartiras les mains vides ! Tu vois, c’est ce qu’il y a de plus honnête non ? »

« Et si je refuse ? »

« Tu meurs et ta vache finit en barbecue ! Décide-toi sur le champ, j’ai une tâche à terminer sur les remparts, avant que la nuit ne tombe ! »

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2007-05-31 17:45:32 

 Commentaire Elemmirë, exercice n°16Détails
Ceci est un conte parfaitement immoral. D’abord par rapport aux consignes, parce que oui, il y a des rencontres, beaucoup de rencontres, où il ne se passe rien... Le héros s’échappe sans faire face à ses responsabilités, et pour finir, dévalise une banque !
Et à côté de ça, c’est super bien écrit ! Portrait d’un homme usé, désenchanté, à la dérive, d’un pauvre bougre à l’abandon à qui on filerait bien cent balles... Portrait d’un chien entremêlé au portrait de l’homme, vu de l’homme, vu du chien...
Et cette image délicieuse « encore mouillés d’attention maternelle et d’innocence »...
La moitié du texte est au présent, sur fond de récit au passé simple – et la transition est si habile que je ne m’en suis aperçue qu’à la relecture. Tu transgresses les règles, mais c’est tellement bien fait que ça passe tout seul !
Un tendre paragraphe fait de petits détails touchants, chaleureux, petit violon pleurant sous la pluie...
L’ensemble est très visuel – et c’est bien vu. C’est filmé caméra sur l’épaule, on change de point de vue, travelling, zoom...
Mais pour moi, la plus grande qualité de ce texte, c’est son humanité joyeusement compatissante, pudique et délicate. C’est un texte hors-la-loi, mais c’est un très bon texte.
Narwa Roquen,f'est bien fympa tout fa...

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-05-31 19:10:11 

 :)Détails
C'est un joli conte, ça donne le sourire, et j'ai adoré les références politiques... Et le "Au nid!". Ah oui, et l'expression des "muscles ronds comme des pelotes" qui roulent sous la robe. Et puis, tous les trocs et les échanges, et puis, c'est trop bien ^^


Elemm', contente aussi que son subterfuge du "caniffe" n'ait pas trop choqué. Ouf! D'accord c'était pas du Mac Gyver, mais pour moi, c'est déjà un scénar super développé!!! :)

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z653z  Ecrire à z653z

2007-06-01 12:38:35 

 écriture au kilomètreDétails
C'est très bien écrit mais ça manque un peu de pauses et de diverses choses qui *polluent* un peu le récit comme je les aime quand je lis un truc un peu long.


PS : Narwa augmente sournoisement le nombre moyen de caractères par message :lol:

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-06-01 12:48:21 

 WA - Participation exercice n°16 partie 11 et FIN!Détails
Je suis à la bourre...mais la fin est là...

__________

Tout cela conforte Anis dans la certitude que le cours des évènements obéit à un déterminisme obstiné. Les pièces s’assemblent à la façon d’un puzzle géant. Il a la désagréable sensation de n’être qu’une pièce manipulée par une puissance supérieure. Autour, d’autres pièces s’emboîtent, les unes après les autres. Mais une pièce, par définition, ne peut se représenter le puzzle. Anis approuve la proposition du capitaine par un simple signe de la tête, une immense fatigue sur les épaules.

Le capitaine est ravi, presque étonné de l’absence de protestation du fermier.

« Parfait. Parfait. Sergent, je vous laisse le soin d’établir le sauf-conduit au nom de...oui, c’est ça...Anis Verne, fermier de son état....patin couffin... Quant à toi, dit-il en s’adressant à Anis, tu viens avec moi. »

Anis lui tend ses mains toujours attachées.

« Rien ne presse...tu as sauvé ta peau mon vieux. N’en demande pas trop d’un coup. » Le capitaine ouvre la porte et attend Anis qui se relève et, à pas lents, se dirige vers l’officier.

« Je vais te présenter à Nandi, mon ours. Tu vas apprécier ! »

Derrière le capitaine, Anis longe la clôture de piquets, derrière le préfabriqué. Il y a un appentis complètement fermé. Des grognements, rauques et puissants, s’en échappent soudain alors qu’ils s’en approchent. « Il m’a senti ! » s’écrie le capitaine, exalté. « Vite, prenons place là-dessus. C’est étroit mais je n’avais pas les moyens de construire une arène avec des gradins. ».

Il prend appui sur quelques caisses posées contre le bâti, sorte d’escalier de fortune, pour grimper sur le toit de l’appentis, surface de quelques mètres carrés, plus ou moins plane.

« Aidez-le à grimper ! » ordonne-t-il aux deux dragons qui les ont accompagnés. « Pressez-vous un peu, il faut que j’aille ensuite sur les remparts, j’ai un travail à terminer là-bas ! «

« Ne vaudrait-il pas mieux remettre ce combat à demain » Suggère un de ses hommes en se grattant le sommet du crâne. « Il ne fera plus jour très longtemps à présent ! »

« Non !Non ! Il faut que cela se fasse maintenant caporal ! Vous croyez que je vais patienter jusqu’à demain ! Vous me connaissez mal. Je suis certain de l’issue de cette confrontation. Certain. Et je vous fiche mon billet que cela ne va pas durer plus de quelques minutes ! Allez, allez, on se presse ! »

Aidé par les dragons, Anis se retrouve bientôt aux côtés du capitaine. Les deux soldats posent leur arme contre l’enclos et se joignent à eux. Sous leurs pieds, les grognements reprennent de plus belle. Des coups sourds et profonds font trembler la structure de bois.

« Nandi s’impatiente! »s’exclame l’officier « Regarde ta vache, elle n’en mène pas large ! »

En effet, Aliénor recule le plus loin possible. Elle meugle faiblement, son sabot raclant le sol de terre battue. Elle secoue la tête, la peur s’empare d’elle, Anis détourne les yeux, cela va être une boucherie. Mais que peut-il contre un fou ? Un fou déguisé en chef de guerre !

Le capitaine tire sur la corde qui commande le mécanisme d’ouverture de la porte au-dessous d’eux. Le panneau de bois s’écarte en grinçant et une forme sombre et imposante, un pelage brun noir avec des reflets gris apparaît. Anis est fasciné par la puissance qui se dégage des pattes antérieures et du poitrail de l’animal qui possède une tête massive et ronde. Ce n’est pas un ours brun commun qui se rencontre régulièrement dans le secteur. Non. C’est un grizzli qui doit déjà peser pas loin de 200 kilos. L’animal fait quelques pas dans la lumière déclinante, semblant hésiter. Il grogne doucement, lorgnant vers la vache de l’autre côté.

« Allez, Nandi, bouge-toi ! » L’officier trépigne et souffle bruyamment, très excité. Il encourage sa bête en faisant de grands moulinets avec ses bras. « Elle est là ! Allez, attaque...attaque... »

Nandi hésite encore. Il se dresse enfin sur ses pattes postérieures, en fouettant l’air de ses pattes antérieures. Ce n’est encore que de l’intimidation mais la stature de l’animal est impressionnante. Aliénor est en proie à une terreur grandissante. Elle sent qu’elle ne peut fuir nulle part. Au loin, l’arête de la montagne est embrasée par le soleil qui a disparu derrière elle. C’est l’heure magique. Entre chien et loup. Il ne fait plus jour et pas encore nuit.

C’est à cet instant qu’un bourdonnement métallique couvre les grognements de l’ours et les meuglements de la vache. Un lourd hélicoptère survole le camp à basse altitude et à petite vitesse, en direction du sud, vers le cirque. Le bruit des rotors rebondit sur les parois rocheuses toutes proches, dans un vacarme assourdissant.

L’officier, surpris, lève la tête en sursautant. Malencontreusement, son pied d’appui dérape sur un noeud du bois. Il vacille au bord de la petite terrasse. Il va se récupérer....non ! Il tend son bras pour se raccrocher à Anis mais celui-ci se dérobe en se penchant de côté. Le capitaine lâche un cri strident lorsque son corps bascule dans l’enclos. La chute n’est pas très spectaculaire mais la réception est déplorable, le genou se plie curieusement. L’officier pousse un hurlement. Tout à sa douleur lancinante, il ne fait pas attention au fauve qui, derrière lui, formidablement dressé, le domine de toute sa hauteur. L’ours gronde rageusement. Le capitaine hoquète de surprise quand le grizzly s’abat dans son dos, sa gueule fouillant déjà la nuque découverte. Les cris font vite place à des gargouillis écoeurants. Le corps de l’officier n’est plus qu’un pantin désarticulé entre les pattes de l’ours.

L’hélicoptère passe...le silence se reforme.

La scène n’a duré que quelques poignées de secondes. Les deux dragons sont resté pétrifiés, l’horreur se peignant sur leur visage. Puis, recouvrant un peu de sa lucidité, l’un d’eux saute au sol pour récupérer son arme. Se hissant à nouveau sur le toit de l’appentis, il fait feu nerveusement sur le grizzly. A cette distance, la puissance de son fusil de combat est telle que l’ours est déchiqueté par les courtes rafales.

Les cris et les coups de feu ont attiré quasiment tout le camp. Au premier rang, le sergent constate l’étendue des dégâts. Le corps sans vie de son capitaine, l’ours étendu tout à côté, Anis qui n’a pas bougé...

Homme d’action, il prend vite sa décision. Il s’adresse à Anis :

« Le capitaine est mort. L’ours est mort. Tu vis. Ta vache aussi...Donc, pour moi, elle a remporté le combat, même par défaut ! Pour la richesse, considère le prix de ta vie ! Tu es riche mon ami !Tiens voilà ton sauf-conduit. Disparais...et emmène ta vache ! »

Il libère Anis et lui tend un petit disque de métal froid, le laissez-passer. C’est fini. La lumière bascule soudain, il fait nuit.

Anis pose une dernière question au sergent :

« Savez-vous qui était à bord de l’hélicoptère, tout à l’heure ? »

« Le Colonel Roland. Il regagnait la Trouée où se trouve son QG. Ce n’était pas l’ami du capitaine. Le colonel l’avait convoqué ce soir pour plusieurs affaires. A mon avis, ce n’était pas pour lui tresser une couronne de louanges non ! Je pense même que le capitaine risquait gros, très gros...sans doute sa carrière ! Bah, maintenant, tout çà c’est du passé....fiche le camp ! »

Anis sourit. Finalement, la Dame Blanche avait vu juste. Les Dames Blanches voient toujours juste. Le sergent aussi d’ailleurs. Dans ces temps troublés, la vie est une richesse inestimable. Il respire profondément, emplissant ses poumons de l’air de ces montagnes. Il ne s’est jamais senti aussi proche d’elles. C’est un vrai Béarnais. Et il le restera.

Ce qui doit arriver ne peut pas manquer.
(Devise figurant sur le portail du château de Coarraze, où Henri IV a vécu sa petite enfance)


M

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z653z  Ecrire à z653z

2007-06-01 13:09:26 

 superbe récit...Détails
Avec juste ce qu'il faut de descriptions.

Par contre un grizzli de 200 kilos, c'est petit et une béarnaise pèse environ 600 kilos, je comprends l'hésitation de l'ours.

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-06-01 13:21:55 

 Eh ben!Détails
Tout ça!!
Il lui arrive plein de choses, à ce petit fermier! Des rencontres, ça, y 'en a, des rebondissements, n'en parlons pas... Je me suis régalée, rien à dire de ce côté-là.
Deux toutes petites choses selon moi, quand-même:
Dommage que la phrase "Ce qui doit arriver ne peut pas manquer" ne se retrouve pas jusqu'à la fin.
Après, j'ai eu un sentiment de changement de registre, entre certaines parties ancrées dans la réalité, d'autres plus futuristes, d'autres fantastiques, ... Ca, ce n'est peut-être pas un défaut, cela dit.
Et puis, 11 parties... Je ne sais plus si les exercices proposaient une longueur limite, mais cette participation-là les a dépassées, hi hi hi ^^ C'est moi, ou tu as du mal à faire court? :p

Mais sinon, chuis contente, il a sauvé sa vache. Ouf!!

Elemm', amie des animaux :)

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-06-01 17:10:49 

 slimfast...Détails
Je voulais tellement éviter une trop grande incohérence dans les proportions que j'ai sans doute obligé mon grizly à se serrer un peu la ceinture. Mais ta remarque est judicieuse et permet finalement de légitimer le fait que l'ours ne se précipite pas immédiatement sur la béarnaise.


M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-06-01 17:21:56 

 C'est vrai que cela manquait...Détails
J'ai complété la fin...j'étais vraiment à la bourre et la relecture a été un peu baclée!

Pour les 11 parties, au départ, j'avais bien imaginé le fil conducteur pour replacer les éléments prédéfinis. Au fur et à mesure que le personnage progressait, chaque élément (corde, allumettes, couteau, piécettes) ouvrait une histoire dans l'histoire, chacune nécessaire à sa façon.

Les registres différents sont volontaires. Je souhaitais donner, dans un monde assez futuriste, des éclairages fantastiques ou prosaÎques.

Je ne cache pas que ce monde m'attire et qu'à l'occasion, je l'explorerai à nouveau.

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2007-06-01 19:26:19 

 Commentaire Maedhros, exercice n°16Détails
Hem... On avait dit « exercice »...J’ai compté à peu près 20 pages A4 ; c’est une longue nouvelle...
Quoi qu’il en soit, j’ai réussi le challenge que je m’étais fixé : te faire écrire une happy end ! « Alors, vos commentaires, cher ami, c’était douloureux ? »
Bien, passons au texte proprement dit, et d’abord, quelques commentaires généraux :
- Tu as parfaitement respecté les consignes. C’est le cas depuis plusieurs exercices et ça commence à m’inquiéter...
- Le mélange des genres, faërie et anticipation, est difficile. Tu ne t’en sors pas trop mal, même si parfois ça heurte un peu.
- Tu as parfois du mal à aller à l’essentiel, et ça fait chuter le rythme. Ton écriture est fluide, et tu baguenaudes... Je pense que tu t’épanouirais davantage dans un roman, où on peut prendre le temps de décrire, de flâner, de mettre les petites histoires dans les grandes... L’art de la nouvelle est exigeant. Celle-ci, raccourcie de cinq ou six pages, serait beaucoup plus percutante. « Mon sang se coagule... » Je sais, je sais, mais il faut bien que je te le dise...

Dans le détail :
- Le leitmotiv disparaît après l’épisode 7, c’est dommage.
- (3) « la voix d’un ange... » « mais Anis n’a jamais vu d’ange ». Rencontré serait plus juste.
- (3) Je ne suis pas sûre que tout le monde ait saisi l’allusion à Hector, la piste est fine...
- (6) « bout de ficelle qu’il avait pris ce matin en prévision du marché » : pour faire quoi ?
- (6) A quoi sert la rencontre avec le petit garçon ? Anis trouve sa paix intérieure, certes. Mais contrairement à la rencontre avec l’aurostère, tu ne donnes pas le lien avec l’histoire, autre qu’un obstacle éventuel sur la route.
- (7) « la marche fut brève » : Probablement une erreur, au milieu d’un texte au présent. Idem : « Ce fut fait rapidement »
- (9) « Cette histoire est dingue » : un peu familier vu le style général du texte



Au total : je conçois que tu aies été pris par le temps. Je pense que cette histoire mérite d’être retravaillée, et il n’est pas exclu que d’autres épisodes te viennent en chemin, car on sent que tu étais bien dans ce monde et que tu n’avais pas envie d’en sortir ; alors, en raccourcissant ce qui peut l’être, ça sera vraiment très fort !
Narwa Roquen,la patience est le propre du fort

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2007-07-06 16:37:10 

 Exercice 16 : Maedhros => CommentaireDétails
Waouh ! Il est super long, ce texte ! Je vais être obligée de faire un commentaire super long, alors... Mes impressions au fil de ma lecture :
L’écriture au présent est un parti pris intéressant. Ça me donne faim, cette histoire de saucisson et de pain... J’ai relevé des mots inconnus. Existent-ils ou sont-ils inventés pour donner de la couleur ? Quand Anis évoque sa blonde, on pourrait presque croire qu’il s’agit d’une femme aux cheveux blonds... L’époque est assez floue, apparemment le monde réel, un futur éloigné de quelques décennies. Des indices parsèment le récit : le pétrole est devenu rarissime, on parle espéranto, on en est à la deuxième peste aviaire. Bien vu !
J’ai relevé quelques lourdeurs de style, comme « un signe de luxe et un signe extérieur de puissance » et de concordance des temps comme par exemple « La marche fut brève ».
Le masque « impérial » de la dame blanche est-il un signe de son allégeance ou simplement de sa prestance ? Peu d’indices sont donnés sur les dames blanches, élément pourtant intéressant mais qui reste à peine évoqué. Dans quel but agissent-elles ? Créer le Kwisatz Haderach ? ;o)
Le récit s’oriente vers une quête, un voyage initiatique, cathartique peut-être même. Chouette !
Les descriptions sont agréables à lire. Tu glisses un brin de héraldique, l’air de rien. J’apprécie les thèmes écolos, particulièrement à leur place dans un récit d’anticipation.
« Les discours les plus persuasifs furent vains lorsque les comptables et les financiers eurent fini de chuchoter à l’oreille des seigneurs de ce monde » Voilà qui est horriblement probable en effet...
Il est bien décrit ce tableau apocalyptique d’un futur pas si lointain et qui semble inévitable.
« barreaudées » ?? Ca existe ?
La phrase « ce qui doit arriver ne peut pas manquer » rythme le récit mais devient un tantinet répétitive. Cela donne un côté blasé au héros. Y crois-tu, au karma ? J’ai toujours trouvé ce concept décourageant. A quoi bon lutter pour améliorer sa vie, en effet, si tout est joué d’avance ?
Je n’ai pas bien compris pourquoi le remord le quitte dans le camp. Cela me paraît un peu soudain et rapide.
L’aurostère est l’exact contraire de la dame blanche jusqu’au costume. Les détails sont comme toujours recherchés, comme le gène surnuméraire. Tes aurostères ont un côté mythologique, mi parques, mi Charon. Les curieux décalages fantastiques dans un décor réaliste donnent une ambiance à la Salvador Dali.
Tiens tiens, tu ne sembles pas porter les militaires dans ton coeur... Le personnage du capitaine mielleux et parano est assez spécial. J’ai trouvé un peu discordant le style oral parfois familier qu’il adopte. De même, il me semble qu’il ne devrait pas tolérer que ses hommes lui répondent. C’est de l’insubordination...
L’histoire de l’archevêque et du vicomte est particulièrement incongrue et augmente le caractère surréaliste du conte.
Pourquoi le fermier demande-t-il qui était à bord de l’hélicoptère ? Le militaire est-il supposé le savoir ? Cela m’a paru un peu téléphoné. Je me suis demandé également quel était le but de la dame blanche, à influencer tous ces destins enchevêtrés. Une histoire intéressante mais qui m’a semblée un tantinet hétéroclite.

Est', toujours en retard.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2007-07-06 16:40:14 

 Exercice 16 : Elemmire => CommentaireDétails
Rhôôô ! Un ptit fien !
Euh... on n’avait pas dit une vache ? Ah ben non. Super grande la poche ! Au début, je croyais que c’était un hamster dont on parlait... Je suis obsédée par les hamsters je crois. Il ne se sert pas de ses objets, ton héros en fin de compte...
« Le ventre bedonnant et la mine fatiguée installèrent Gaga à l'entrée de la Foire Canine » : curieuse construction...
« encore mouillés d'attention maternelle et d'innocence » rhôôô c’est mignon ! Tu es fan du zeugmas ?
Bien vu le chien qui sniffe toutes les odeurs. J'aime beaucoup les paragraphes du point de vue du chien. J’aurais bien aimé une description de la femelle chihuahua pour voir si elle était si sexy.
« le maître prend son caniche sous le bras et ses jambes à son cou. » belle phrase !
« L'image de sa feue épouse » j’aurais écrit plutôt l’image de feue son épouse.
« larmes à feue » punaise de calembour !! Compliments.
Un peu expédiée la fin, non ? Je l'aurais aimée plus longue...

Est', hop hop hop.

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