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De : Eltanïn Date : Mercredi 17 juin 2009 à 17:37:04 | ||
Tout à l'heure s'allumeront unes à unes les lumière de l'aube et je verrai pointer les timides rayons du jour entre les barreaux de fer de la grille qui barre le minuscule soupirail de ma cellule souterraine, signe pour moi de me lever du pitoyable tapis de paille sur lequel je gis et avant même que l'on vienne me chercher de me placer près de la porte avec les mains sur le mur glacé, comme les gardiens me l'ordonnaient habituellement quand ils me faisaient sortir pour m'emmener au tribunal du temps de mon procès, et j'attendrai ainsi qu'ils rentrent brusquement comme ils font toujours et qu'ils me saisissent brutalement les poignets auxquels cette fois ils passeront de lourds fers qui porteront peut-être encore les croûtes du sang rouillé d'un condamné, puis ils me traineront le long du couloir en s'amusant à tirer sur la chaîne pour essayer de me faire tomber jusqu'à la petite porte sombre devant laquelle ils deviendront silencieux et tendus mais qu'ils n'ouvriront pas tout de suite car ils guetteront par le judas le signal du bourreau qui en ce moment même doit affuter la hache qui m'achèvera et tout en faisant mine de rien ils me guetteront du coin de l'oeil en espérant me voir trembler ou montrer un quelconque signe de peur alors qu'ils devraient savoir qu'un homme tel que moi n'éprouve pas cette émotion bassement humaine qu'est la crainte de la mort et par conséquent ils ne verront rien qui les rassurera et mon impassibilité les mettra tellement mal à l'aise que lorsque enfin ils ouvriront la porte et me jetteront dehors ce sera avec encore plus de violence qu'ils sont accoutumés à le faire avec ceux qui pleurent et supplient qu'on leur fasse grâce, mais je me tiendrai prêt si bien que je ne trébucherai pas sur les cailloux pointus qui recouvrent le sol de la petite cour entourée sur deux côtés des murs sales de la prison et sur les deux autres d'une foule en colère venue pour me voir mourir mais venue avant tout pour me juger encore une fois coupable et me condamner à mille malédictions qu'ils me cracheront au visage jusqu'à ce que l'un d'eux s'enhardisse à ramasser une des pierres acérées qu'il me jettera avec toute la force de sa haine et qui se réjouira quand je lèverai le bras pour me protéger le visage et plus encore lorsqu'il verra qu'il est imité par les autres et que pleuvent les pierres sur celui dans lequel ils ont oublié l'homme et ne voient que le monstre qui sans aucun motif apparent a massacré toute une famille mais que n'atteindront cependant ni les pierres ni les insultes ni le cri perçant que poussera une femme en me voyant depuis la fenêtre de l'étage supérieur où l'on réunit pour les exécutions les familles des victimes quand celles-ci ont eu de l'importance durant leur vie ainsi que quelques membres influents de la ville et le directeur de la prison qui se presseront tous pour me voir une dernière fois sur mon ultime scène où je jouerai la grotesque parodie morbide du temps où je captivais déjà les foules et en souvenir duquel j'esquisserai du haut de l'estrade branlante un petit salut à l'attention du public avec pour réponse plus de violence et d'agressivité que n'aurait jamais pu le provoquer la plus amorale de mes pièces cent fois censurées et inutilement interdites puisque personne ne se montrera désormais assez fou pour les jouer de peur d'être injustement pris pour moi et lapidé sur place, mais je sais moi ce dont ils ne se doutent pas et ce qu'ils n'oseraient même pas imaginer, que mes pièces ne s'oublieront pas et que grâce aux manuscrits et à mes mémoires que j'ai dissimulés et que l'on découvrira bien un jour on finira par parler de moi et dans mille ans tout le monde connaîtra l'histoire du poète martyr condamné pour son oeuvre cynique par les barbares insensibles qu'étaient ses propres parents l'ayant renié à l'âge où il avait décidé d'écrire pour gagner sa vie loin de la cour où ils vivaient sans savoir qu'il reviendrait se venger vingt ans plus tard et je serai aimé comme seuls le sont les artistes maudits, et c'est pourquoi je ne tremblerai pas quand s'abattra sur mon cou la hache du bourreau et que giclera le sang sur le bois déjà noirci par les morts précédentes de dizaines de vils assassins de la même sorte que sont les héros de mes écrits comme si cette mort était l'union finale de mon corps avec mon esprit et donc mieux encore que la simple libération tant de fois souhaitée depuis mon enfermement dans ce trou à rats nauséabond dans lequel ils espéraient contenir la folie de mon génie. Eltanïn, respire ! Ce message a été lu 6865 fois | ||
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