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Le Quêteur d'Ame

Le ciel était serein sur la plaine sous le soleil d'un été tardif. Webster songeait dans son bureau dans la vieille demeure de Plavène. Son dernier voyage lui laissait une étrange impression. Seule la paix de ce paysage, maintes fois regardé, l'apaisait un peu. Un robot avançant dans les sillons du labour de son pas régulier. Parfois une improbable mauvaise herbe arrête ses pas. Un chien l'accompagne furetant de-ci de-là. Oui, la maison était son réconfort, le seul lieu où il pouvait se sentir pleinement en paix. Et plus encore ce bureau au charme désuet voulu par ses prédécesseurs. Le vieux fauteuil, la cheminée, l'écran plat aux couleurs fanées.

Oh, je savais bien que je ne devais pas recevoir Darivel. Cet homme aux idées dépassées ne pouvait que m'entraîner dans de tristes contrées. Tout avait commencé il y a quelques mois. Darivel avait sollicité, que dis-je, exigé un rendez-vous à propos de son frère Thomas. Je le reçu. Vous avez été son ami, vous devez le ramener. Oh que de crimes commis au nom de bons sentiments.

J'avais connu Thomas dans ma jeunesse. Le jeune homme était discret, déconcertant parfois. Un parfait compagnon sachant écouter et glisser quelques mots nous laissant hilares ou pantois. Nous avions été amis. Tous deux avions goutté aux voyages oniriques ; menant aventure dans ces mondes parallèles à la croisée du rêve et des techniques neuro-informatique. Un simple jeu de rôle aux temps héroïques devenant avec les progrès de la neurobiologie et de l'informatique véritable alternative à notre monde finissant au dire de certains. Puis la vie nous avait séparés. Mon atavisme familial avait pris le dessus. Sortant de moins en moins de la maison, je m'attachais alors à ma terre, vivant en ermite, poursuivant des quêtes spirituelles d'autant plus aisées qu'elle me permettait de rester dans mon fauteuil, avec une tasse de thé pour tout stimulant. J'eus même l'audace de publier un écrit sur les anciennes techniques oniriques. Bien m'en a pris.

J'appris donc que loin d'avoir pris des distances avec ces mondes parallèles, il en était devenu un participant assidu. S'attachant de plus en plus au passée et à l'imaginaire des anciens, il avait développé un univers riche et déroutant. Décrochant une maîtrise et faisant figure d'un des hauts-rêvant les plus prometteurs de sa génération. Puis peu à peu, il s'était retranché du monde, n'apparaissait plus en public, resserrant sans cesse le cercle de ses amis. Ces derniers intimes m'apprirent qu'il s'était entiché d'un vieil auteur du nom de Tolkien accumulant livres et artefacts, se mettant même à parler des langues inventées par cet homme du passé. Quant son frère me contacta, seul son corps était encore parmi nous. Cela faisait quelques semaines qu'il était plongé dans un état de prostration proche du coma. Il semblait à peine entendre, inconscient de son environnement. Un légume fané n'attendant qu'une main charitable pour être jeté.

Qu'attendez-vous de moi ?

Rien de moins que d'entreprendre une quête pour retrouver son âme. Une quête chamanique.

Combien cela avait dû coûter à son frère de me faire une telle demande. Et voilà que je me trouvais au pied du mur. Avoir tant vanté cette psychologie naturelle. Tant fait rêver les lecteurs sur ces mondes plongeant dans l'inconscient collectif. Et devoir à présent faire acte de thérapeute. Voilà que je devais franchir le pas des idées à la réalité. Tout était prêt, je ne n'avais qu'à m'asseoir dans un fauteuil et tâcher de pénétrer l'âme ou pour le moins l'imaginaire de mon ami. Que je le veuille ou non. Il me fallait franchir le pas.

Dans un premier temps, j'eus droit à une cure d'imaginaire. Tout ce qu'ils purent me donner à lire ou à voir sur cet univers me fut donné pêle-mêle. Elfes, nains, rodeurs et hobbits bien vite n'eurent plus guère de mystère pour moi. Puis le jour du départ arriva. On m'habilla d'une robe m'équipant d'un bâton sculpté orné d'une tête de robot. " Si par mégarde vous ayez des difficultés à revenir, concentrez-vous sur cette figure cela devrait vous aider à revenir ". Voilà une mince consolation et un réconfort fort précaire.

Puis ce fut la forêt, vaste, infinie, déclinant les ors et les argents dans des teintes pastelles. Je ne savais plus le temps ; seule une faim immense d'images et de sensations, de rires et de pleurs de joie se bousculaient en moi. Combien de temps j'errai, je ne serai le dire. Tout était étrange et pourtant amical, les arbres eux-mêmes semblaient tenir des conseils de sagesse. Puis un homme... Non point un homme... Un elfe vint à ma rencontre. Caressant le sol de ses pas. Avec calme, il m'entraîna avec lui jusqu'à une cité d'arbres-maisons puis m'invita à attendre au près d'un puits sacré dans une clairière écartée.

" Bonsoir ", fut son premier mot. Quand je vis dame Galadriel, je ne vis alors que ses yeux profonds et calmes, amusés et sages. Je ne saurai vous dire si elle est grande ou petite, de quoi elle était vêtue ni encore la couleur de ces cheveux, ils devaient être blonds. Mais sa voix est claire et dansante. Les mots se bousculaient dans ma bouche, n'en trouvant pas la sortie. Sa voix se fit profonde m'invitant à dévoiler mon âme en toute confiance. Mais il ne sert de rien de se complaire dans les souvenirs fussent-ils merveilleux. Je finis par tout lui dire. Elle m'invita alors à le rencontrer.

Thomas était avec eux, il était à l'image de ses rêves de jeunesse. Serein et rieur, audacieux même. Il était heureux. Totalement et pleinement heureux. Que pouvais-je lui dire. Tout était dit avant même d'être dit. Son sourire était son seul argument mais cela suffisait.

Trois semaines je demeurais, m'enivrant des bois aux matins que l'aurore habile de rosée m'abandonnant aux chants et rires elfiques durant les nuits sous les ciels étoilées puis mon âme réclama sa dose d'images rassurantes. Cela peut vous sembler étrange de soupirer après le pas lent d'un robot dans le sillon des labours. Je suis ainsi. Je devais rentrer. Je ne pouvais que rentrer.

Le corps de Thomas fut déposé dans un caisson de verre placé dans une ancienne chapelle dans la vieille forêt. On m'a raconté, bien longtemps après, que la forêt prenait parfois des reflets d'or en novembre et que l'on entendait une voix solitaire rire et chanter.

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Publication : Concours "L'Adieu à la Forêt Dorée" (Mars 2001)
Dernière modification : 07 novembre 2006


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